ONZIÈME PRATIQUE

Pratiquer quelque vertu,

ou s'abstenir de quelque vice en l'honneur des saints anges

 

 

Si nous voulons aimer véritablement les anges, il faut aimer ce qu'ils aiment, et haïr ce qu'ils haïssent. De cette manière, il nous faut donc avoir de l'amour pour la vertu, et de l'éloignement pour le péché. « Ils demandent de nous, dit un saint Père, la sobriété, la chasteté, la pauvreté volontaire, de fréquents soupirs vers le ciel, et surtout la vérité et la paix. » Ce jeune gentilhomme nommé Falcon était bien persuadé de ces maximes, lorsqu'ayant promis de ne mentir jamais, en l'honneur de son bon ange, et ayant tué un homme sans qu'il y eût aucun témoin, il avoua franchement la malheureuse action qu'il avait faite, de peur de mentir, aimant mieux perdre la vie que de ne pas tenir sa promesse à son bon ange. Le voilà donc condamné à mort : mais comme le bourreau voulait lever le bras pour lui trancher la tête, il en fut empêché par un ange qui parut, et qui arrêta encore le bras de trois autres qui s'étaient mis en devoir de le faire mourir. Ce miracle obtint sa grâce, et ensuite il changea son nom de Falcon en celui d'Ange, et quitta le monde, pour avoir plus de lieu de converser avec les anges.

 

L'humilité, la pureté et l'oraison sont les aimables vertus que ces esprits célestes recherchent dans tous ceux qui font profession de les honorer. Ils ne peuvent supporter les superbes, et l'humilité est leur première vertu, dont ils font un continuel exercice parmi nous.

 

La pureté est absolument nécessaire pour entrer dans leur amitié ; ils sont les amis des chastes, et spécialement des vierges ; car d'autant plus, dit saint Ambroise, quo les personnes sont pures, d'autant plus les anges les chérissent : aussi appelle-t-on la virginité une vertu angélique, et ceux qui la pratiquent, les anges de la terre ; et avec bien du fondement, puisque ce sont elles qui ont plus de ressemblance avec ces purs esprits. Ô vierges, qui que vous soyez, souvenez-vous que vous possédez un trésor dont le prix est inestimable, et qui est préférable aux couronnes et aux empires : si l'on en connaissait la valeur, notre terre deviendrait un ciel, et il ne se trouverait personne qui n'en fût saintement passionné. Ça été la chère vertu de Jésus, Marie et Joseph, de saint Jean-Baptiste, le précurseur de Jésus, de saint Jean l'évangéliste son aimable favori, et le grand Apôtre proteste, dans la lumière qu'il en a, qu'il voudrait que tout le monde en fût dans la pratique. C'est le grand conseil de notre Maître, et ses privilèges sont inexplicables, qui dureront autant que l'éternité même.

Il n'y a point de vie que l'on ne doive perdre pour sa conservation, point de peine que l’on ne doive souffrir, point de plaisirs qu'on ne doive quitter. Je ne puis m'empêcher ici de dire un mot, en passant, de l'étonnement où je suis de voir quantité de directeurs qui conseillent facilement le mariage à des personnes qui ont inclination pour cette vertu, sous prétexte de quelques difficultés qui peuvent se rencontrer. En vérité, en vérité, il faut tout faire pour la conservation d'une grâce si précieuse. Non, jamais l'adorable Jésus ne manquera à ceux qui pour lui plaire davantage passeront leur vie dans le célibat. C'est le même Dieu qui a assisté tant de vierges, et dans un âge si tendre, qui leur a fortifié le courage, qui les a soutenues contre toute la rage des démons et des hommes. Oh ! Gens de peu de foi que nous sommes ! une mouche nous fait peur, la moindre difficulté nous abat le courage ; il n'y a qu'à prendre une bonne résolution. Dieu ne peut donner que de bons conseils, l'on ne peut mieux faire que de les suivre avec générosité.

 

L'oraison est encore la vertu qui nous rend plus semblables aux anges ; aussi les a-t-on vus assister d'une manière extraordinaire toutes les personnes qui en sont dans l'exercice. Saint Bernard eut un jour la consolation de les voir marquer les prières de ses religieux, des uns en lettres d'or, des autres en lettres d'argent, de quelques-uns avec de l'encre, et de quelques autres avec de l'eau, selon la ferveur ou la tiédeur de leur disposition intérieure.

 

On peint ces esprits célestes nu-pieds et marchant sur les nues, pour nous marquer leur entier dégagement de toutes les choses de la terre. Ils ne respirent que Dieu seul, et ils sont saintement jaloux des moindres choses qui regardent ses divins intérêts. Saint Jérôme rapporte sur ce sujet une chose bien terrible, et qui fait assez voir que les anges sont jaloux des intérêts de leur Souverain. Hymetius, mari de Prétextat, et oncle de la vierge Eustochium, avait commandé à sa femme de parer cette vierge, et de la rendre belle aux yeux des hommes, pensant par là lui faire passer toutes les inclinations qu'elle avait pour la virginité. Mais l'ange du Seigneur, saintement indigné, parut à cette femme, qui avait exécuté les volontés de son mari, et lui dit ces paroles rapportées par le Père de l'Église que je viens de citer : « Vous avez donc été assez hardie que de préférer le commandement d'un mari à celui de Jésus-Christ, et vous avez eu la témérité de toucher le chef d'une vierge avec vos mains sacrilèges ? Ces mains sécheront tout maintenant, afin que cette peine vous fasse connaître ce que vous avez fait, et dans cinq mois vous serez conduite dans le chemin des enfers ; et si vous persévérez dans votre crime, vous perdrez tout à la fois votre mari et vos enfants. » Or ce grand docteur de l'Église assure que tout cela arriva comme l'ange l'avait prédit.

 

Si vous voulez donc être dévot des saints anges, il faut tâcher de leur plaire ; et pour leur plaire, il faut être dans la solide pratique de la vertu. Étudiez-vous particulièrement avec le secours du ciel, à acquérir celles qui leur sont plus agréables, et qui vous sont plus nécessaires, et en même temps apportez tous les soins possibles à détruire en vous tout ce qui peut leur déplaire. Déclarez donc une guerre continuelle au péché, et surtout à l'impureté. Saint Basile disait que ce péché éloignait de nous nos saints anges, comme la fumée chassait les abeilles, et la puanteur les colombes. L'on rapporte de ce saint, qu'étant ordinairement favorisé d'une vision céleste auparavant que de célébrer les saints mystères, en étant un jour privé, il apprit que c'était à raison d'un diacre qui était présent, qui était tombé dans l'impureté ; et l'ayant fait retirer, il jouit aussitôt du même privilège. L'ange de sainte Françoise, la grande dévote de ces aimables favoris de Jésus et de Marie, paraissant en forme visible, se cachait les yeux à la moindre faute ou imperfection qui se commettait en sa présence. Prenez donc bien garde de rien faire qui puisse offenser des yeux qui vous regardent toujours ; et comme nous avons tous quelque inclination prédominante, quelque humeur qui nous attache davantage, et qui est la source de presque tous nos dérèglements, appliquez-vous à combattre cette humeur en l'honneur des saints anges ; faites-en des examens particuliers de temps en temps, voyez si vous vous en corrigez ; prenez à tâche d'offrir tous les jours à votre saint ange quelque mortification de cette humeur, de cette inclination ; c'est le présent le plus agréable que vous lui puissiez faire, et souvenez-vous que ce n'est pas une légitime excuse, de dire que c'est notre faible : ceux qui sont en enfer y sont allés par leur humeur qu'ils n'ont pas domptée, par ce faible qui les a fait perdre. C'est par où le diable prend les hommes, et gagne les âmes ; c'est là où il nous faut veiller davantage, où nous avons plus besoin de la protection angélique.

 

Saint Bernard conseille de nous souvenir souvent de la présence de notre ange gardien, pour ne pas tomber en nos défauts. Cette pensée est grandement utile, et nous aide beaucoup à nous surmonter. C'est une chose merveilleuse, que les anciens philosophes ont même conseillée. Un de ces philosophes rapporte que c'était le sentiment de Platon, selon que je l'ai lu dans le livre De l'ange gardien du P. Drexelius, où ce philosophe dit que tous les hommes ont des témoins invisibles qui sont toujours auprès d'eux, et qui regardent non seulement leurs actions, mais encore leurs pensées ; et qu'après la mort d'un chacun, le témoin qui l'a gardé le conduit au jugement qui se fait de sa vie, selon le témoignage qu'il en rend. C'est pourquoi, continue cet homme, vous tous, qui en m'écoutant entendez le sentiment divin de Platon, disposez toutes vos actions et toutes vos pensées comme des gens qui devez savoir que vous n'avez rien de caché à ces témoins ou gardiens, soit au dedans soit au dehors de vous. Ensuite il en marque la protection : mais il faut, déclare-t-il, que ce témoin soit religieusement honoré et connu, comme il l'a été de Socrate, par son innocence et justice. Ne diriez-vous pas que c'est un Chrétien qui parle ? Et croirait-on que ces pensées ont été les sentiments d'un infidèle ?