QUATRIÈME MOTIF

Tous les hommes sont assistés des saints anges

 

 

Il ne faut pas rechercher d'autre raison en l'amour de Dieu, que l'amour même, comme l'apprit de Notre-Seigneur la vénérable mère Madeleine de Saint-Joseph, religieuse carmélite, d'une éminente sainteté. Car pourquoi Dieu aime-t-il les hommes comme il les aime ? Qu'il soit publié entre les peuples, dit le dévot saint Barnard, et qu'ils confessent que le Seigneur a résolu d’agir magnifiquement avec eux. Ô Seigneur, qu'est-ce que l'homme, pour que vous daigniez vous faire connaître à lui, et lui donner les amours de votre cœur ? Vous l'aimez, vous en prenez soin, vous lui donnez votre Fils unique, vous lui envoyez votre Saint-Esprit ; et afin qu'il n'y ait rien dans le ciel qui ne soit occupé pour lui, vous en députez les bienheureux esprits pour le garder, le servir et l'instruire. Voilà donc l'ange, qui est un grand roi, tout plein de perfections, de beauté et de gloire, au service de l'homme tout rempli d'imperfections, de laideur, de misères ; de l'homme, qui n'est qu'une fourmi, un ver de terre, de la pourriture, la pâture des vers, un peu de boue et de fange, et enfin une feuille que le vent emporte. Mais ce qui est étonnant, voilà l'ange au service de l'homme pécheur.

 

Si nous disons, comme nous apprenons de la divine Parole, que nous n'avons pas péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous. Les plus saints tombent dans de fâcheux péchés véniels, quoique ce ne soit pas avec une entière advertance, et le péché véniel est une offense de Dieu : c'est pourquoi les âmes qui sont bien à Dieu ne s'y laissent pas aller que par mégarde ; elles aimeraient mieux souffrir tous les tourments imaginables de cette vie, et même de l'autre, que d'en faire un seul avec une entière vue (1). L'enfer, disait le dévot saint Anselme, me serait plus supportable que le moindre petit péché. Ceux qui aiment Dieu entendront bien cette vérité ; les autres ne la comprendront guère. Il y a bien plus : non-seulement le pêché véniel, mais la seule ombre du péché véniel, au sentiment de l'amoureuse et divine Catherine de Gènes, serait capable de faire briser le corps de celui qui saurait bien ce que c'est, quand il aurait un corps de diamant, à la moindre vue qui lui en serait donnée ; tant il est vrai que la plus petite offense de Dieu a quelque chose d'épouvantable ; on ne peut jamais exprimer combien le péché est horrible. Oh ! Que si les hommes savaient ce qu'ils font lorsqu'ils y tombent ! Or les anges, ces esprits tout de lumières, en pénètrent encore bien plus fortement l'horreur que les âmes les plus éclairées ; et ils ne laissent pas d'assister avec des bontés incroyables les personnes infectées de cette misère.

Ô âme, qui que tu sois, qui lis ces vérités, je te conjure de t’arrêter un peu pour les considérer à loisir. C'est une chose surprenante que la bonté des anges, qui ne laissent pas de donner leurs soins à des personnes qui se laissent aller à l'offense, même légère, de leur Créateur, vu la connaissance qu'ils ont des grandeurs suradorables de la majesté divine qui en est blessée. Mais que sera-ce donc de voir qu'ils ne quittent pas ces misérables qui vivent dans le péché mortel, qui sont des déicides, qui foulent aux pieds le sang d'un Dieu, et sont coupables de sa mort ; ces criminels de lèse-majesté divine, ces enfants, ces membres, ces esclaves du diable, ces captifs de l'enfer ?

 

Allons encore plus avant : les hérétiques et les infidèles ont des anges qui les gardent. La grande sainte Thérèse disait que l'âme d'un catholique qui était en péché mortel, était comme un beau miroir dont la pureté était entièrement souillée et vilainement gâtée, et qui n'avait plus rien que de hideux : mais que ce miroir, dans les hérétiques, n'était pas seulement gâté, mais qu'il était cassé. Les lumières surnaturelles de cette âme séraphique lui apprenaient de fortes vérités, sous des similitudes dont elle se servait pour les enseigner aux autres. Le mal de l'hérésie est un mal furieux que l'on ne connaîtra jamais bien que dans le pays des solides et grandes lumières de l'éternité. Après tout, l'amour des anges ne s'en rebute pas ; ils veillent sur ces malheureux, sur tous les infidèles, les païens et les idolâtres. Les Turcs, qui font profession d'être leurs ennemis, puisqu'ils le sont du nom Chrétien, en sont assistés. L'antéchrist même aura un ange gardien, selon la doctrine de saint Thomas, qui l'empêchera de plusieurs maux qu'il ferait aux autres, et qu'il se ferait à lui-même. Ils sont la même chose dans tous les endurcis, et leur protection n'est pas sans beaucoup de bons effets à l'égard même des hérétiques et infidèles. Ils servent tous ces gens comme leurs maitres, quoique ce soient des esclaves de l'enfer ; ces gens qu'ils voient bien qui se damneront et qui s'en vont le grand chemin à la perdition.

 

Admirons ici les bontés des anges. Où est le jardinier qui arrosât un arbre s'il savait qu'il ne porterait jamais de fruit, et qui le fit avec autant de soin comme s'il en devait espérer beaucoup ? Mais comment pouvoir sortir d'un abîme d'étonnement, lorsque l'on considère qu'ils continuent avec la même fidélité à nous porter au bien, après avoir reçu de nous mille et mille rebuts, et avoir vu en cent mille rencontres toutes leurs peines inutiles ?

 

Tous ces affronts, toutes ces injures, toutes ces révoltes, toutes ces perfidies, toutes ces malices et horreurs des hommes, qui sont, pour ainsi dire, comme dans un continuel combat avec ces esprits glorieux, le disputant à leur amour par leur ingratitude, ne les empêchent pas d'être tous au service de tous les hommes. Pesons donc bien ces deux grandes vérités : tous les neuf chœurs des anges, sans en excepter un seul, sont au service des hommes ; tous les hommes, tout misérables qu'ils puissent être, sans en excepter un seul, sont assistés des anges. Ils les vont chercher dans ces vastes et immenses forêts du Canada, dans les déserts les plus éloignés, dans les plus sombres cachots, aux extrémités de la terre, au milieu de la barbarie même ; et vous diriez qu'ils sont passionnés de ces hommes qui n'ont rien de l'homme que l'apparence, leur vie étant toute brutale, et bien au-dessous des bêtes. Ces beautés célestes donnent leur amour à la laideur même, et elles n'en ont que des mépris insolents. C'est de la sorte qu'aiment ces esprits, qui n'aiment que du pur amour, c'est-à-dire qui ne regardent uniquement que Dieu seul.

 

(1) C'est-à-dire avec une pleine connaissance et de propos délibéré.

 

 

 

 

 

CINQUIÈME MOTIF.

I, es saints anges font tout ce qui se peut faire pour le bien des hommes.

L* ange qui servit de domestique à ce jeune homme dont il est parlé en l'histoire de l'ordre de Saint-Dominique, fait bien voir cette vérité. Une sainte dame ayant été avertie sur le tard qu'une pauvre femme était dans une extrême nécessité, qui demeurait dans les faubourgs de la ville où elle résidait pour lors, tous ses domestiques étant dehors, elle y envoya son fils, qui était encore fort jeune. Mais comme cet enfant avait peur, allant dans les ténèbres en un lieu éloigné de son logis, un page passa devant la porte, qui le conduisit avec un flambeau . jusqu'à la maison de cette femme ; et étant obligé de s'eu retourner, un homme parut encore, qui le ramena jusque chez sa mère, (lui ne douta pas que ce ne fût son bon ange qui lui eût rendu ce charitable office. A la vérité, c'est beaucoup l'aire pour, les hommes (lue de les garder si amoureusement ; mais c'est faire davantage que de prendre leur forme, et de paraître visiblement comme eux, ce qui leur est arrivé tant de fois. Et le savant interprète de l'Écriture, Corneille de la Pierre, estime qu'après la résurrection , ils formeront quelquefois des corps d'une incroyable beauté pour contenter nos sens extérieurs ; mais ce qui est bien encore plus surprenant, c'est de les voir en toute sorte de posture pour nous rendre service. Ils prennent la forme de pauvres, de mendiants, de malades, de lépreux ; il n'y a rien qu'ils ne fassent pour les hommes, qui ne font presque rien pour reconnaître tous leurs bienfaits.

Encore si ce n'était qu'en de certaines occasions qu'ils rendissent ces assistances à de si viles et chétives créatures ; mais de nous obliger autant de fois que nous vivons de moments, et en la manière qu'ils le font, c'est ce qui est inconcevable. Nous avons dit bien des fois, que les anges nous gardaient ; vous l'avez dit, vous qui lisez ceci : mais avons-nous jamais bien pensé à une grâce si rare et si étonnante ? Un prince du sang royal qui viendrait dans un méchant village, pour y passer quelque temps service d'un pauvre paysan , dans un chét' taudis, ne ferait-il pas l'étonnement de to l

 ? Et si ce paysan était son ennemi, qui le maltraitât sans cesse, et dont le prince ne pût rien attendre pour ses propres rn -

rêts, sans doute c'est ce qui augmenterait beaucoup l'admiration de tout le monde ; mais enfin, si ce prince non-seulement passait quelques mois, quelques années auprès de ce misérable, mais s'il ne le quittait pas jusqu'au dernier soupir de sa vie, qu'il ne le perdit jamais de vue, qu'il fût toujours auprès de cet homme, non-seulement ingrat, non-seulement méchant, mais encore tout brutal, tout plein de maladies puantes, d'ulcères effroyables, de vermines, de gale, et de tout ce qu'il y a de plus infect, où en seraient les esprits des hommes ?

Cependant, ô mon âme, c'Pst de cette manière que ton bon ange te garde ; c'est de la sorte, vous à qui je parle par cet écrit, que votre saint ange vous garde, et vous rend une protection continuelle. Oui, cet aimable prince (lu paradis ne nous quitte jamais en cette vallée de misères et de larmes. Les anges, dit saint Augustin, entrent et sortent avec nous, ayant toujours les yeux arrêtés sur nous, et sur tout ce que nous faisons. Si nous demeurons en un lieu, ils s'y arrêtent ; si nous allons à la promenade, ils nous accompagnent ; si nous changeons de pays, ils nous suivent ; allons en quelque lieu qu'il nous plaira, sur la terre, sur la mer, ils sont toujours avec nous. Qu'un solitaire se renferme dans un ermitage, son bon ange y demeure avec lui ; qu'un voyageur change de pays continuellement, son bon ange ls suit de toutes parts. Ô excessive bonté ! pendant même que nous dormons, ils veillent auprès de nous, ils sont toujours à nos côtés, nous qui sommes des pécheurs, et par suite leurs ennemis ; nous qui sommes l'horreur même, par le péché ; nous qui ne pourrions pas nous supporter nous-mêmes, si nous connaissions notre laideur et sentions notre puanteur ; nous qui sommes l'ingratitude même ; nous qui passons la plupart de notre vie dans des actions criminelles, soit par le péché mortel, soit par le péché véniel, ou dans des occupations viles et basses, qui assurément font grande pitié à ces esprits éclairés, qui en découvrent pleinement la sottise et la vanité ; nous qui dans les bonnes actions que nous faisons y mêlons quantité de défauts ; avec tout cela, ils ne se lassent jamais d'être auprès de nous, et durant tout le long des jours et des nuits, .et tous les moments de notre vie. Et si nous sommes assez heureux que d'être sauvés après notre mort, ils nous rendront visite dans les prisons du purgatoire, et ne tiendront pas à déshonneur de se rendre au milieu des brasiers et des flammes de ce lieu de souffrance pour nous y consoler. En vérité, n'est-ce pas là être nos serviteurs et nos esclaves, et non-seulement nos gardiens ? Il y a plus : trouverait-on, je ne dis pas des princes pour servir de chétives ;personnes de la sorte ; mais pourrait-on bien trouver des personnes, pour malheureuses qu'elles puissent être, qui voulussent servir des rois à ces conditions, et engager leur liberté jusqu'à ce point ? Commencez donc à bien savoir aujourd'hui, mais souvenez-vous-en bien, que les anges sont nos domestiques et nos esclaves. Ô bonté de Dieu ! des princes du paradis, des rois de gloire être nos valets et nos esclaves ! Le saint homme Vincent Caraffe avait bien raison de dire que la vie d'un Chrétien était une vie d'étonnement et d'admiration.

Ajoutons à ces amours surprenants que les anges ne se contentent pas de garder les hommes de la sorte ; ils vont jusqu'à cet excès, qu'ils gardent les bêtes pour l'amour des hommes, non-seulement parce que, quelquefois déguisés eu bergers, ils ont veillé sur des troupeaux de certaines âmes d'élite, comme nous le lisons de saint Félix, qui depuis fut Capucin ;mais parue que, selon Saint Augustin, le monde visible est gouverné par des créatures invisibles, par de purs esprits, et que même il y a des anges qui président à chaque chose visible, à toutes les espèces de créatures qui sont dans le inonde, soit qu'elles soient animées, soit qu'elles soient inanimées. Les cieux et les astres ont leurs anges moteurs ; les eaux ont un ange particulier, comme il est rapporté en l'Apocalypse (xr, 6) ; l'air a ses anges qui gouvernent les vents, comme il se voit dans le même livre (vn, 1, 2), qui nous apprend de plus que l'élément du feu a aussi les siens : Les royaumes ont leurs an res, comme il se lit en Daniel ; les provinces en ont aussi qui les gardent, comme on le remarque en la Genèse, car les anges qui apparurent à Jacob étaient les gardiens (les provinces par où il passait. Jacob, dit saint Augustin, vit deux troupes d'anges # l'une était commandée par l'ange de Mésopotamie, qui avait conduit ce saint patriarche avec sa troupe jusqu'aux confins de Chanaan ; là ce saint homme fut reçu par l'ange de Chanaan, accompagné d'une multitude d'anges inférieurs, pour lui servir d'escorte et le défendre de ses ennemis. chaque pays, selon le sentiment de saint Clément, a un ange qui en prend soin ; les villes et les villages en out aussi, et les familles même particulières, selon le jugement du savant 1'ostat ; à plus forte raison les églises et les autels, comme il a plu à Notre-Seigneur de le révéler à plusieurs de ses saints.

Ainsi tout le monde est plein d'anges, et il semble que la douceur de la divine Providence le demande ; car, s'il est vrai, comme le témoignent quelques-uns, qu'il y a dans l'air un 'si grand nombre de diables que si ces esprits avaient des corps, ils y feraient comme une nuit en plein jour, nous ôtant la vue du soleil : comment les hommes, qui ne sont que faiblesses, pourraient-ils résister à une telle force, s'ils n'étaient secourus par les bons anges ? Or tous ces bons anges ne sont pas dans tout cet univers pour n'y rien faire. Comme toutes les étoiles ont leurs influences particulières, de même tous ces esprits bienheureux produisent des effets avantageux pour le bien des hommes, qui sont propres à un chacun d'eux, et, si nous savions toutes les faveurs que nous en recevons continuellement, il faudrait être plus dur que les pierres pour n'en être pas sensiblement touché. Mais c'est grande pitié que l'homme est tout chair et ne pense guère qu'aux objets qui lui tombent sous les sens. On a beau lui parler des choses spirituelles, ou il ne les entend pas ou il s'en oublie avec facilité. Quoi que le prophète Élisée pût dire à son serviteur de la protection de ces glorieux esprits, ce pauvre homme n'en était pas plus assuré, jusqu'à ce que Dieu, miraculeusement, lui ouvrit les yeux et les lui fit voir sous des formes sensibles. Oh ! Que si Dieu, tout bon, nous faisait la même grâce, que nous découvririons (le merveilles ! Ne laissons pourtant pas de bien considérer que toute la commodité et le bien que nous Lirons de la terre, dc l'air, de l'eau, du feu, <<les cieux et des animaux, et enfin de toutes les créatures, nous arrive par le ministère des saints anges qui sont les fidèles ministres du seul Dieu que nous adorons, qui est -admirable dans tous ses dons ct qui en mérite des louanges immortelles à jamais,

 

SIXIÈME MOTIF.

Les saints anges nous assistent dans les choses temporelles.

Après avoir parlé des bienfaits des anges en général, il est bon de venir un peu plus aux faveurs particulières clout ils nous gratifient, afin que le cœur de l'homme soit inexcusable et qu'il soit obligé d'aimer à quelque prix que ce soit. «  Car si les bienfaits ? dit le dévot P. de Grenade, sont à l'amour ce que le bois est au feu qui s'enflamme de plus en plus et devient plus grand à proportion qu'on lui donne de la matière, quels feux et quelles flammes, quels incendies l'amour des anges ne doit-il pas produire en nous, puisque nous sommes accablés de toutes parts, de leurs charitables bienfaits ? » 'Vous diriez qu'ils ont résolu d'emporter le prix de l'amour, en la manière dont i !s nous traitent si obligeamment et en toutes sortes de faveurs dont ils nous honorent avec des profusions d'une libéralité sans pareille. Voyons cette vérité dans les choses temporelles, et puis nous la considérerons dans les spirituelles, qui conduisent à la grande et bienheureuse éternité, et nous serons ensuite obligés d'avouer que dans l'amour des anges l'on trouve toutes sortes de biens.

Les anges ont soin de notre éducation corporelle, et ce furent ces glorieux esprits qui élevèrent (Jans le désert le petit saint Jean-Baptiste, que sa sainte mère y avait mené, fuyant la persécution d'Hérode, et qui y mourut quarante jours après sa retraite en cette solitude, laissant ce bénit enfant âgé seulement de dix-huit mois, tout seul dans un désert, sans l'assistance d'aucune créature visible. Ils prennent soin de la nourriture de nos corps. Ils portaient à la bienheureuse Clère Indoise, dans une riche coupe, de la manne plus blanche que la neige et dont la délicatesse du goût surpassait celle des mets les plus agréables de la terre. Ils traitèrent et tirent bonne chère à

à saint Firme et saint Rustique, martyrs. ils portèrent à manger à Daniel dans le lac où il était détenu, et le saint prophète Vie étant couché par terre, si fatigué qu'il n'en pouvait plus, en reçut une nourriture qui lui donna tant de force qu'elles furent suffisantes pour le faire marcher durant quarante jours, jusqu'à la sainte montagne d'Oreb. Ils donnent à boire à ceux qui ont soif. L'enfant d'Agar étant sur le point d'en mourir

_ .­

rir, ils lui conservèrent la vie par le moyen de l'eau qu'ils montrèrent à cette mère affligée. Ils donnent des habits aux hommes ; sainte Anthuse, vierge, en fut revêtue magnifiquement. Ils procurent des honneurs ; cent anges parurent à la mort de la bienheureuse Agathe et lui firent son épitaphe. Ils élevèrent à l'honneur de l'épiscopat at

l'illustre saint Mellon, archevêque de Rouen,

et à la première dignité du monde le Souverain Pontife saint Grégoire !e Grand. Ils récréent et donnent des plaisirs innocents, Saint François étant malade, ils touchèrent un instrument de musique pour le récréer. Ils donnèrent le même plaisir à Nicolas de Tolentin, six mois durant, auparavant sa mort. Ils firent entendre des concerts ravissants auprès du sacré corps de la Mère (le Dieu, trois jours durant, pour la consolation de ceux qui approchaient de ce tabernacle divin. lis donnèrent (les roses â sainte Rosalie, dans un désert qui n'en avait jamais porté. Ils veulent contenter les désirs de leurs amis. Sainte Agnès du mont Polician avait envie d'avoir de certaines reliques ; elle en reçut comme elle le souhaitait, par les waits de ces aimables esprits. Ils font la fortune et enrichissent ceux qui les servent, quand cela n'est pas contraire à l'ordre de Dieu ; ce fut par leurs saintes indus. tries que Jacob devint riche auprès de son beau-père Laban. Ils obtiennent des enfants aux personnes mariées qui n'en ont pas, comme il se lit au livre des Juges, en la personne de Nlanué. lis rendent les personnes éloquentes, comme il se voit en Isaïe. Ils font de beaux et riches présents, témoin ce tableau magnifique qu'ils donnèrent à sainte Galle, jeune veuve romaine. lis tiennent compagnie dans les voyages ; nous en avons une forte preuve en la personne de Tobie, qui fut conduit, avec une bonté toute ravissante, par saint Raphaël. Ce même archange tint compagnie visiblement à saint Macaire le Romain, durant trois ans, l'ayant mené depuis sa sortie de Rome, dont ce saint s'était enfui le jour de ses noces jusque bien avant dans les déserts. Ils rendent visite et consolent les serviteurs de Dieu. Toutes les histoires des Pères du désert sont pleines des témoignages de cette vérité. Sainte Lyduvine en était souvent visitée ; souvent les martyrs, dans leurs prisons, recevaient cet, honneur. Mais ne pensez pas, dit le docteur Rupert, qu'ils les aient seulement visités quand ils se sont rendus visibles ; ils leur étaient très-présents lors même qu'ils ne les voyaient pas, les soutenant dans leurs peines, leur donnant des forces au milieu de leurs fers, et prenant même plaisir à compter toutes leurs plaies. C'a été un spectacle ravissant de les avoir vus essuyer avec un linge blanc, les sueurs d'un glorieux martyr et lui donner de temps en temps de l'eau à boire pour lui procurer quelque rafraîchissement à ses douleurs. 0 mon Dieu, 8 mon Dieu, qu'il fait bon souffrir quelque chose pour vous I

Mais s'ils nous procurent tous ces biens en cette vie, ils nous y assistent, ou nous délivrent de toutes sortes de maux. Ils délivrent de prison, ôtent les chaînes et mettent en liberté, comme l'Écriture nous l'apprend (lu Prince des apôtres et l'unique chef de

l'Eglise. Ils délivrent des flammes, comme il est rapporté en Daniel ; des incendies, comme nous le lisons en la Genèse : des lions, comme il se voit en la personne du prophète dont nous venons de parler ; de la calomnie, de l'infamie et de la mort, comme le Saint-Esprit nous le déclare de Suzanne ; du glaive, comme il est visible en la personne d'Isaac. Ils guérissent de toutes sortes de maladies, comme l'écrit saint Jean, le disciple bien-aimé, en son Évangile. Nous voyons au IV, Livre des Rois, comme ils soutiennent leurs amis et s'opposent à ceux qui leur veulent du mal ; ils prennent leurs querelles, prennent l'habit et la forme de soldats, et vont à la guerre pour eux. Nous en avons de prodigieux exemples dans les Machabées. Enfin, il faudrait ici compter tous les maux dont nous pouvons être aflliâés, soit au corps, suit à l'esprit, soit dans les biens temporels, naturels, moraux, soit dans le particulier, soit dans le publie, par les guerres, peste, famine ; soit par nos amis, soit par nos ennemis, pour marquer les différents secours que nous recevons des anges, et pour apprendre à tous les peuples que ce sont les aimables et puissants protecteurs à qui il faut avoir recours en tous nos besoins, de quelque nature qu'ils puissent être. À la vérité, la divine Providence nous a donné les saints pour défenseurs ; les uns pour la peste, comme saint Sébastien, saint Roch, saint Adrien ; les autres pour le mal de dents, comme saint Laurent, sainte Apolline ; ceux-ci pour le mal des yeux, comme saint Clair, sainte Luce ; d'autres pour la captivité, comme saint Léonard, saint Paulin : ainsi dans l'ordre de la Providence l'on a recours particulièrement à un saint pour une chose, et à un autre saint pour une autre ; niais dans l'ordre de la même Providence, les anges sont établis pour nous assister généralement en tous nus maux, et pour nous obtenir toutes sortes de biens. L'on ne peut mieux faire que de s'adresser à ces esprits charitables, et leur faire des dévotions particulières, ou leur en ordonner dans le public, pour apaiser la colère de Dieu, et pour en obtenir les miséricordes.

Admirons encore ici, avant que de finir, la protection des anges dans l'exemple admirable que nous en donne l'Écriture. C'était un ange qui conduisait le peuple de Dieu par cette colonne miraculeuse dont il est parlé dans l'Exode. C'était l'un de ces esprits immortels qui donnait le mouvement à cette colonne, qui a marché devant ce peuple l'espace de quarante ans, et qui lui montrait le chemin qu'il fallait tenir au milieu des déserts, dans lesquels l'on ne remarquait aucune route que l'on pût suivre. Il la faisait aller ou arrêter, selon le besoin qu'avait ce peuple de marcher ou de se reposer. Il la rendait visible, sous la forme d'une nuée durant le jour, et durant la nuit sous celle du feu. I1 l'avait rendue épaisse, large, longue, afin qu'elle pût être facilement découverte par une si grande multitude de personnes, qui, selon l'opinion du savant Pererius, tenaienf environ cinq lieues de chemin. It s'en servait pour leur faire ombre et les défendre des grandes et excessives chaleurs du soleil. Il lui fit quitter le devant de ce peuple, pour prendre le derrière, pour se placer dans cette colonne entre les Hébreux et l'armée de Pharaon, éclairant les Hébreux, et aveuglant ces infidèles, qu'il fit périr malheureusement dans les eaux de la mer Rouge, qu'il avait séparée en un instant, pour y faire marcher à sec les troupes qui étaient à Dieu. Toute l'armée des Égyptiens, composée de deux cent cinquante mille soldats, y fut submergée sans qu'il en restât un seul pour en porter la nouvelle. Je laisse à la piété de ceux qui liront cette admirable eonduite, d'en méditer à loisir tous les effets. Pour peu qu'on les remarque, on en verra de si touchants, qu'il ne sera pas possible de n'être pas entièrement convaincu que les services que les anges rendent aux hommes sont incomparables, et à en magnifier ensuite le saint nom du Seigneur, qui lui seul opère toutes ces merveilles par les ministres de sa cour céleste.

 

 

 

 

SEPTIÈME MOTIF.

Les saints anges nous rendent de grands services pour l'éternité.

II n'y a, à proprement parler, qu'une seule affaire, qui est l'affaire des affaires, la seule grande et unique affaire, et c'est l'affaire de l'éternité. Tout ce qui ne tend pas là n'est rien, et c'est de la manière qu'il en faut penser et qu'il en faut parler. Oh ! que les honneurs, les plaisirs et les biens de ce monde périssable sont donc à mépriser ! Oh ! Que tout ce qui passe est indigne de l'occupation d'une âme chrétienne ! En vérité, en vérité, tout le monde, et tout ce que le monde a de plus doux ou de plus affligeant, ne mérite pas que nous nous détournions un moment pour le regarder. Que nous verrons clairement ces vérités au moment de notre mort, et que nous les verrons dans peu ; car nous serons bientôt étonnés qu'il n'y aura phis de monde pour nous ! O la folie du cœur humain de s'y arrêter ! Plût à Dieu que cette vérité de l'Écriture ne partit jamais de devant nos yeux : Le monde passe et sa convoitise (I Joan.ii, 17), et que nous entendissions une bonne fuis que tout ce qui passe ne doit point avoir de place dans nos cœurs. L'éternité, est la seule chose qui nous duit remplir l'esprit ; et les services que l'un nous rend pour y arriver heureusement sont les grands services que nous devons considérer. C'est ici que l'amour des anges est tout triomphant ; c'est en ce sujet qu'ils montrent bien qu'ils sont nos véritables amis, et que les secours qu'ils nous donnent sont tout à fait à estimer.

Ces bienheureux esprits s'appliquent avec un zèle incroyable à nous procurer la vie de la grâce, qui est la vie de la glorieuse éternité. On les a vus pour ce sujet presser amoureusement des hommes apostoliques, pour aller annoncer l'Évangile aux peuples qui marchaient dans les ombres de la mort, comme il paraît en saint Paul et en saint François Xavier ; et dans cette vue ils ont bien même vo.ulu accompagner les ouvriers divins qui travaillaient à établir la vie de l'éternité dans les âmes , comme il est rapporté de saint Martial, qui avait pour compagnons de ses fonctions apostoliques douze anges qui l'assistaient visiblement. Combien d'âmes reçoivent le saint baptême par leurs charitables soins, qui seraient mortes dans la mort du péché originel sans leur ministère 1 Le P. de Lor•et , de la compagnie de Jésus, rapporte sur ce sujet un exemple bien remarquable. Au mois de janvier de l'an 1634, en la ville de Vienne, en Autriche, trois âmes délivrées du purgatoire apparurent à un religieux de la même compagnie, pour le remercier de ce que par ses prières et par ses mortifications elles allaient jouir du repos éternel. «  Le jour de votre naissance, lui dirent-elles, nos bons anges nous en apportèrent la nouvelle, et nous promirent que vous seriez un jour notre libérateur, ce qui nous consola fort. Au reste, sachez que vous êtes bien obligé à votre ange gardien, parce que sans lui vous n'eussiez pas reçu le baptême ; la sage-femme vous avait tellement serré la poitrine et la gorge que vous eussiez été suffoqué, si cet aimable guide n'eût lâché quelque peu de langes pour vous donner la liberté de respirer.  »

Ces aimables esprits ne se contentent pas de nous procurer cette vie bienheureuse ; mais connue des mères toutes pleines d'amour, ils ont tous les soins possibles de nous la conserver, de l'entretenir et de l'augmenter ; c'est pourquoi ils s'appliquent si amoureusement à nous faire recevoir le corps adorable de notre bon Maître, qui est la vie d.9 nos vies, et sans lequel nous ne pouvons avoir de véritable vie. Combien de fois ont-ils porté ce sacrement vivifiant du corps de Jésus-Christ dans les déserts, ou en d'autres lieux, pour conserver et accroître la vie des âmes à qui ils le donnaient ! Le bienheureux Stanislas, novice de la compagnie de Jésus, d'une pureté angélique et un ange de la terre, a été honoré de ces faveurs, et saint Onuphre nous fournit en sa personne un illustre témoignage de cette vérité. Ils n'oublient rien de tous les autres moyens qui peuvent nous servir pour notre établissement éternel. L'oraison est un des plus assurés et des plus utiles ; c'est par leur ministère que nos prières sont présentées devant le (rôtie de la divine majesté, et entre tous les exercices de la vie spirituelle, il n'y en a point où ils nous soient plus présents pour nous y secourir. La mortification est la sœur germaine de l'oraison ; elles doivent être toujours ensemble, et ne se pas séparer. Que n'ont pas fait ces saints esprits, et que ne font-ils pas continuellement pour nous mettre solidement dans la pratique de cette vertu, qui est tellement nécessaire que sans elle on ne peut rien attendre d'une âme ; car il est assuré que pour être véritablement Chrétien, il faut être véritablement mortifié. Ils ont paru plusieurs fois visiblement pour en faire de saintes leçons, et ils en ont donné des instructions dignes de leurs lumières.

Ils sont aussi saintement occupés à nous inspirer l'amour de toutes les autres vertus, et particulièrement l'amour de la pureté virginale ; car elle nous rend semblables à eux, elle nous fait leurs frères, dit saint Cyprien, elle nous fait entrer plus intimement dans leur sainte amitié. Que ne font-ils pas pour la défendre 1 ils donnent des combats, ils se travestissent, ils font mourir ceux qui l'attaquent, ils rendent invisibles les personnes qui la possèdent, pour les délivrer du péril ; ils changent tout en la nature, pour conserver une vertu qui, élevant l'homme au-dessus de l'homme, lui fait mener eu terre une vie toute céleste.

Mais enfin, leurs grands soins vont à donner de l'amour pour l'aimable Jésus et l'aimable Marie. Comme ils savent que l'amour de ces sacrées personnes est l'éme de toutes les vertus, ils s'attachent fortement eut à }e bien placer dans les cœurs. Saint Dominique a été l'un des plus fervents amants de Jésus et de Marie qui fut jamais, aussi était-il le bien-aimé des anges. Il en recevait toutes sortes de secours durant ses longues veilles de nuit, qui le tenaient attaché au pied des saints autels pour y répandre son cœur, et soupirer à l'aise en la présence de son hon Maître, au très-saint Sacrement de l'autel, y invoquant avec larmes la protection de la très-sacrée Vierge. Quelque las qu'il pût être quand il allait par le chemin, il ne se lassait jamais de veiller les nuits en prières, et il tâchait de faire sun possible à ce que ce fût devant l'adorable eucharistie. Les anges, ravis de cet amour infatigable, se mettaient de la partie. Ces esprits du ciel prenaient plaisir de se joindre à cet homme céleste. On les voyait venir avec des flambeaux, le prendre à la chambre où il s'était retiré, ouvrir les portes de la maison, et ensuite de l'église où ils le conduisaient ; et puis, quand il était temps, le reconduire en la même manière. Les domestiques d'un évêque, chez qui il était logé, s'étant aperçus de cette merveille, ils le témoignèrent à leur prélat, qui, ayant épié le saint homme vers le temps que cette merveille arrivait, eut la consolation d'en être le spectateur, et eut lieu d'admirer la bonté des esprits célestes envers les hommes.

Mais parce qu'il est nécessaire, pour la pratique de la vertu, d'avoir l'esprit éclairé et la volonté touchée, ils ne manquent pas de donner des lumières à l'entendement, et de pieux mouvements au cœur, éclairant l'entendement quelquefois, et touchant la volonté par la manifestation de quelques vérités cachées sous des similitudes sensibles ; mettant dans l'imagination quantité de saintes espèces qui produisent de bonnes pensées ; agissant sur les sens extérieurs et intérieurs ; remuant les esprits et les humeurs de nos corps, et excitant les passions dans l'appétit sensitif. Ils révèlent les plus divins mystères de la religion. C'est par eux que la !ui ancienne a été donnée, et les plus grandes vérités de la nouvelle manifestées. Toute l'ancienne loi est pleine de révélations faites par les saints anges ; et dans la nouvelle ils ont annoncé à la glorieuse Mère de Dieu le mystère adorable de l'Incarnation, aux pasteurs la naissance du Fils de Dieu, à saint Joseph la Conception du Verbe incréé dans les pures entrailles de sa virginale épouse, et le lieu où il devait mener le saint Enfant pour le délivrer de la persécution d'Hérode ; aux Maries, la résurrection de notre Sauveur ; aux disciples, sa venue redoutable au dernier jour du jugement.

Ils pensent de plus, et n'oublient rien pour nous préserver du péché, et pour nous en délivrer quand nous y sommes tombés ; tantôt par des vues puissantes du paradis, ou de l'enfer, ou de l'éternité ; tantôt par la considération des effets funestes qui suivent le crime ; quelquefois par (le fortes pensées de la mort, de la brièveté de la vie ; d'autres fois par les exemples des saints, ou par la punition des pécheurs. Ces lumières, qui quelquefois nous ouvrent subitement les yeux de l'âme aux plus grandes vérités, ces mouvements inopinés qui nous surprennent lorsque nous y pensons le moins, et qui nous touchent si efficacement, nous arrivent par le ministère des bons anges. Il y a des moments heureux où l'on se trouve le cœur étrangement pressé d'être à Dieu, sans cependant en savoir, la cause, et même au milieu d'une récréation, d'un divertissement, d'un festin, en de certaines rencontres, dans le temps même que l'on est résolu de se laisser aller au crime. Ce sont les anges qui font ces grands coups de salut, si l'on en veut faire bon usage ; nous obtenant de la miséricorde de Dieu de fortes grâces, et faisant de leur part des merveilles dans nos sens intérieurs et extérieurs ; réprimant nos passions, éloignant les empêchements à l'usage de la grâce, terrassant les démons, et nous facilitant tous les moyens propres pour nous rendre fidèles aux attraits de l'esprit de Dieu. lis nous découvrent les grandes et petites fautes ; ils font voir les imperfections ; ils manifestent les oppositions les plus cachées que nous avons à l'esprit de la grâce ; ils nous portent à la pénitence, à faire une bonne confession, à satisfaire à la justice divine ; et souvent ils ont pris des corps pour paraître visiblement, et par ce moyen pouvoir entretenir les hommes d'une manière plus sensible de l'affaire de leur salut.

Enfin, ils nous animent et nous donnent courage dans les choses difficiles ; ils nous consolent dans les travaux et dans les souffrances ; ils nous soutiennent pour nous faire persévérer dans la vertu ; ils nous obtiennent de la force dans les peines d'esprit, et parmi les scrupules ; ils nous conduisent dans les voies les plus obscures ; ils relèvent nos esprits abattus ; ils donnent (le la joie. et procurent cette paix qui surpasse tout sentiment, mettant le fond de l'âme, parmi même tous les orages et toutes les tempêtes qui s'élèvent contre son gré dans la partie inférieure, dans une tranquillité que rien ne peut troubler. C'est le propre de ces esprits de donner de la joie et de la paix : aussi voyons-nous que saint Raphaël saluant le jeune Tobie, lui désire une joie continuelle, et en le quittant il lui souhaite la paix. Il ne tient pas aux saints anges qu'elle ne règne dans l'intime de nos âmes, mais l'attache aux choses créées nous en empêche. Pour être toujours dans la paix, il faut toujours être à Dieu seul.

 

 

 

 

HUITIÈME MOTIF.

La protection des saints anges contre les démons, particulièrement au sujet de leurs différentes tentations, dont il est ici traité.

«  Toute notre vie, dit !e dévot saint Bernard, n'est qu'une tentation ; et il avait pris cette doctrine de l'Écriture qui nous enseigne la même vérité. (Job vii, 1.1 Tentation au dehors, tentation an dedans. Tentation de la part des créatures, nos semblables, tentation du côté de nous-mêmes. C'est une chose étrange, que nous nous soyons à nous-mêmes de dangereux ennemis ; que nous soyons obligés de nous tenir sur nos gardes, et de nous défier de nous-mêmes, puisque notre perte vient de nous, qui souvent travaillons de toutes nos forces à notre ruine. Mais nous avons encore d'autres combats à donner contre des ennemis puissants en leur force, cruels en leur rage, redoutables en leurs ruses, innombrables en leur multitude, infatigables en leur poursuite. Ajoutez à cela que ce sont de purs esprits, qui frappent sans être vus, qui entrent partout, qui en bas, quoiqu'invisibles, voient tout ce que nous faisons, et qui combattent avec des personnes très-faibles, lesquelles marchent ait milieu d'une sombre nuit, dans des chemins tout glissants, où l'on ne peut presque se soutenir, et qui sont environnés de tous côtés de précipices effroyables, qui sont suivis de malheurs qui ne finiront jamais, et qui sont extrêmes dans leur grandeur. Oh ! Que si les hommes méditaient bien ces grandes vérités, s'ils donnaient un peu de lieu à la lumière surnaturelle, qu'ils changeraient bien de vie ! Ce serait pour lors assurément qu'ils serviraient le Seigneur avec crainte, et que leur chair serait transpercée de la frayeur des maux épouvantables où nous sommes continuellement exposés, et à qui, hélas ! nous ne pensons guère.

Obi qui que vous soyez, qui lisez ces choses, ne les lisez pas sans y faire de grandes attentions ! Ces combats que vous allez voir font une guerre qui ne regarde pas seulement le royaume où vous vivez, et les personnes que vous aimez ; c'est à vous-même qu'elle est déclarée ; c'est vous que ces ennemis furieux attaquent ; c'est avec eux qu'il vous faut combattre ; c'est de leur force et de leur ruse que vous, qui n'êtes qu'une pure faiblesse et sans lumière, devez triompher : ou il faut que vous soyez damné pour un jamais. Répétez ces mots effroyables : damné pour un jamais, damné pour un jamais 1 Mais en bonne vérité, savons-nous bien ce que nous disons quand nous parlons de la sorte ? et si nous le savons, pourquoi vivre comme des gens qui n'en ont jamais entendu parler ?

Mettons-nous donc en la présence de la divine Majesté ; et après un désaveu de cœur, pour l'amour de Dieu seul, de tous nos péchés, rentrons en notre intérieur. Après eq avoir calmé toutes les passions, considérons, dans la tranquillité de notre hme, que les démons sont nos ennemis enragés, qui ont tous conspiré de nous perdre éternellement : car ils sont si cruels dans leur rage, qu'ils ne s'attachent pas seulement, comme les ennemis de la terre, à nous ôter une vie du corps, qu'il faut tôt ou tard perdre, ou à nous ravir nos biens, notre honneur, nos amis : niais ils en veulent à notre âme pour la priver d'un empire éternel, pour lui enlever une joie et un honneur achevé de tout point, et pour l'engager dans (les tourments que l'tz ;il de l'homme n'a jamais vus, que l'oreille n'a jamais entendus, et que l'esprit ne s'est jamais pu figurer :

et cela pour une éternité, pour nous faire souffrir ces tourments inconcevables, dans des rages et désespoirs continuels, autant que Dieu sera Dieu. C'est pourquoi dans l'Écriture, pour nous en donner quelque petite idée, ils sont appelés loups, lions et dragons, leur cruauté ne pouvant jamais être assez bien expliquée.

Cette rage est accompagnée d'une telle puissance, que nous lisons au chap, XLI de Job (V, 24), qu'il n'y a point de force en la terre qui lui soit comparable, et que le diable ne craint personne. Tous les hommes unis ensemble ne pourraient lui résister sans un secours particulier du ciel ; et les millions de soldats rangés en bataille ne seraient à cet esprit que comme un peu de paille que le vent emporte. Aussi ces anges de ténèbres sont-ils appelés, dans l'Écriture, les Puissances ; ils y sont nommés les princes et les gouverneurs de ce monde corrompu, la plupart des hommes s'étant assujettis par le péché à leur détestable tyrannie.

Il faut ajouter à leur rage et à leur force iiiie infinité de ruses malicieuses dont ils se servent pour nous séduire, avec des inventions si subtiles et si méchantes que les plus sages en ont été trompés, et les plus éclairés en sont tombés dans l'aveu ; ;leurent. C'est pourquoi l'Apôtre appelle le diable celui qui tente , ! Thess, ni, 5) ; et le nom que lui donne l'Évangile est celui de Tentateur. (Matth. IV, 3) Il est encore nommé dans l'Écriture,

tantût dragon et serpent, tantôt chasseur ; menteur, et le père du mensonge, un esprit d'erreur et de vertige. Le serpent, dont il avait pris la figure, est le plus rusé des animaux, comme nous lisons dans la Genèse ; et ayant trompé nos premiers parents par finesse, il a continué dans la suite de tous les siècles à tentei• les hommes par cette voie, voyant que c'est le moyen le plus propre pour en venir à bout, et pour mettre à exécution ses plus cruels desseins. La durée des temps ne lui sert qu'à le rendre plus habile dans ses fourbes, et de vient que les dernières hérésies sont ordinairement les plus subtiles. Les tentations dont il se sert deviennent tous les jours (le plus en plus dangereuses, et c'est ce qui nous doit bien donner lieu de trembler, puisque nous devenons plus faibles et nos ennemis plus redoutables. «  Comment, lui disait un jour le grand Pacôme, peux-tu avancer les choses que tu me soutiens devoir arriver à mes religieux ? Ne sais-tu pas bien qu'il n'y a que Dieu seul qui connaisse le futur, ou ceux à qui il lui plait de le révéler ? - Il est vrai ; répartit ce démon, je ne le sais pas ; mais la grande expérience (lue j'ai des choses m'en donne des conjectures si fortes, que souvent je les prévois avec facilité auparavant qu'elles soient arrivées.  »

C'est donc un ennemi que les hommes ont dès le commencement du monde, et qui, depuis six ou sept mille ans s'est exercé jour et nuit sans aucun relâche à leur dresser des embûches en toutes choses. Saint Antoine vit un jour le monde plein de pièges, les airs, la terre, les mers et tout le reste des eaux. Il y a des pièges tendus pour la perte éternelle des âmes, dans les déserts et solitudes, au milieu des villes et assemblées, dans les palais et châteaux , dans les plus petites cabanes, dans les honneurs et les bassesses, dans les plaisirs et les souffrances, dans les richesses et la pauvreté, dans les cloîtres et dans le monde, dans le boire, le manger, les veilles , le dormir, dans les exercices les plus saints. Cet ennemi a des traits et des flèches tout prêts à décocher en toutes sortes de lieux, et sur toutes sortes de personnes. Il glisse la médisance dans les entretiens, des pensées sales dans les conversations entre personnes de différent sexe ; quand l'on nous dit quelque chose (lui nous fâche, à même temps il ne manque pas de nous porter à la colère ou à la vengeance. li se met eu toutes manières, il prend toutes sortes de figures. Quelquefois, comme le remarque saint Augustin, il prendra la forme d'un loup, et d'autres fois celle d'agneau : en de certaines occasions, il vient nous battre au milieu des ténèbres, et en d'autres, il nous attaque en plein midi, Il y a un démon dans l'Écriture appelé le démon du midi. (Psal. xc, 6.)

Il s'accommode merveilleusement bien à nos humeurs, et dès notre enfance il étudie nos inclinations, il prend garde au penchant de notre nature, à ce qui domine le plus en nous ; et c'est là qu'il dresse particulièrement sa grande batterie, comme un général d'armée, bien expérimenté au fait de la guerre, qui attaque une ville par l'endroit le moins soutenable. Il nous prend par notre faible ; il l'ait naître mille occasions de lier des amitiés à ceux qui >ont portés à l'amour ; il portera à l'impureté et aux plaisirs de la vie les personnes qui ont le sang chaud ; les atrabilaires , à la vengeance ; les mélancoliques, à la tristesse, à l'abattement de courage, au désespoir ; les colères, aux querelles ; les flegmatiques, à la paresse ; les timides, à l'avarice ; les naturels élevés, à l'ambition des charges et des honneurs. Il a dans ses pièges des amorces pour y prendre toutes sortes de personnes, les donnant selon l'inclination d'un chacun , et selon l'huurenr qu'il aperçoit dominer davantage .

Pour y réussir mieux, il ne fait voir que re qui est agréable dans les honneurs ou lrlàisirs, y cachant subtilement le mal qui s'y rencontre, comme le pêcheur son hameçon dans la nourriture qu'il prépare aux poissons. Il empêche que les voluptueux ne pensent aux infâmes maladies, au déshonneur, à la dissipation des bien,, qui suivent l'impureté. II fait de même à l'égard de tous les autres vices ; il ne remplit l'imagination (lue de ce qui plaît à l'humeur, et détourne la vue du malheur éternel, qui est le grand mal, et le souverain et unique mal, qui est caché dans ce bien apparent et trompeur.

S'il remarque ne rien gagner par une ten­tation , parce que quelquefois l'âme, avec le secours de la grâce , y veille extraordinairement, il l'attaque par plusieurs. Il imite les tyrans qui, voulant pervertir les Chrétiens 'it les faire renoncer à leur sainte foi, se servaient de toutes sertes de moyens pour réussir dans leur entreprise ; tantôt leur proposant de belles alliances, de riches partis, la douceur des plaisirs de la vie ; tantôt de glorieuses charges et une fortune élevée. Et quand ces généreux martyrs se rendaient imprenables à tout ce qui pouvait agréer aux sens, ils tâchaient de les surmonter par la peur des tourments et tout ce qu'il y a de plus horrible en ce monde. Ainsi le démon fait la guerre aux hommes par tout ce qui peut charmer les sens ou Satisfaire à l'esprit ; et lorsqu'il tie gagne rien par cette voie, il prend celle des peines, soit extérieures, soit intérieures. Il se sert de maladies, de pertes de biens, de réputation , de délaissement de nos amis, du mauvais traitement que l'on nous fait, des contradictions que nous avons, de tristesses, d'ennuis, de nos mauvaises humeurs, d'angoisses intérieures, de dégoûts, de scrupules, et d'autres peines très grandes qu'il nous fait porter à l'égard de Dieu et des hommes.

Une de ses grandes occupations est de bien prendre son temps ; ainsi il tentera de l'impureté dans le temps où l'on y sera plus porté ; et aussitôt qu'il remarquera quelque émotion violente dans les sens, dans une occasion où le temps, le lieu ou la personne y donneront plus de facilité, en quelque rencontre où il y aura plus de peine à s'en défendre, comme, par exemple, lorsqu'une fille destituée de tout secours voit sa pudicité combattue par des offres qu'on lui fait de la mettre à son aise ; ou bien il portera au péché quand l'on est moins sur ses gardes, dans un lieu de campagne où l'on a moins de secours spirituels, le jour que l'on n'aura pas fait l'oraison, on bien que l'on se sera relâché de ses autres exercices spirituels ; dans le temps de la tiédeur, de l'abattement, de l'inquiétude, du découragement ; lorsqu'il y a quelque temps que l'on ne s'est pas approche de la confession et de la communion, ou bien dans l'état de privation des goûts et consolations sensibles.

Quelquefois ces malheureux esprits feignent de se retirer, comme ces généraux d'armées qui lèvent le siège de devant une ville pour retourner sur leurs pas et la prendre lorsqu'on y pense le moins. Ils dissimuleront longtemps pour mieux faire leur coup. Par exemple, vous verrez des personnes de différent sexe, soit mariées ou non, qui lieront de fortes amitiés n'ayant aucune intention mauvaise, et il se passera quelquefois des années entières sans que les uns ni les autres pensent au mal : les démons ne les tentent pas, parce que comme ce sont des personnes qui craignent Dieu, elles auraient de la peine de leur amitié si elles en remarquaient le danger. Mais quand ils voient les cœurs bien pris, et la familiarité bien établie et sans crainte, pour lors ils font leurs efforts, et souvent avec des succès qui ne sont que trop funestes. Ainsi ils laisseront engager dans le jeu, dans les divertissements, dans les belles compagnies, dans la lecture des romans, dans la bonne chère et choses semblables, comme le bal ou les promenades un peu libres ; et en tout cela ils travailleront afin que les âmes ne s'aperçoivent pas que l'esprit de dévotion se ralentisse en elles : ils empêcheront même plusieurs fautes qu'on y pourrait commettre, afin que ces gens y étant fortement engagés ne puissent que difficilement s'en déprendre, ce qu'ils pourraient faire avec facilité dans le commencement : et étant ainsi pris, ils tentent avec force et leur font ressentir, mais trop tard, le danger où ils se sont exposés sans l'avoir reconnu.

Ils amusent par une fausse paix plusieurs qui sont dans le vice ou dans l'erreur, leur faisant faire quantité d'aumônes, de mortifications, de prières et œuvres semblables, leur procurant de belles lumières, des con solatious sensibles, nue tranquillité de conscience apparente ; et ils trompent de la sorte plusieurs personnes qui sont dans l'hérésie, et qui y demeurent prises par ces belles apparences de vertu, qui servent même aux démons pour Y attirer ceux qui en étaient bien éloignés : c'est pourquoi les hérésies qui se masquent de 1a piété sont bien plus dangereuses que celles que le pur libertinage introduit. J'ai connu un serviteur de Dieu, qui étant tourmenté par de fâcheuses tentations, et en même temps fort porté à embrasser une opinion hérétique, dès lors qu'il délibérait en quelque façon de prendre cette opinion, toutes ses tentations le quittaient ; ces esprits d'enfer se servant de cette ruse pour lui persuader qu'il pouvait en bonne conscience suivre ce sentiment. Souvent il arrive qu'ils usent de cette adresse pour ôter les remords de conscience de ceux qui quittent la religion catholique, faisant qu'ils ne les sentent presque plus, et les portant à la pratique de quantité d'actions fort vertueuses en apparence. Ils s'en servent encore à l'égard de certaines âmes qui, ayant peur de leur perte, à raison de quelque péché mortel où elles sont engagées, tâchent d'apaiser leur conscience par de bonnes œuvres, et de leur ôter ainsi, s'ils peuvent, la juste crainte de leur damnation.

Ces malheureux esprits étudient, autant qu'ils peuvent, les desseins de Dieu sur une âme, pour lui donner le change dans les voies de la grâce, la tirant de celle où elle est appelée. Ils feront entrer dans le cloître celui qui est appelé à servir l'Eglise dans le monde, et ils arrêteront celui qui est appelé au cloître, à demeurer prêtre vivant avec les séculiers. S'ils remarquent une grâce étendue dans une personne, et une grande vocation pour trsvarller en plusieurs lieux pour le bien des âmes, ils tacheront de l'arrêter à quelque cure, quelque prébende, ou autre bénéfice qui demande résidence. Le saint homme Avila, bien éclairé de cette vérité, ne voulut jamais consentir aux propositions que lui fit un grand prélat pour l'arrêter dans son diocèse ; l'événement a bien fait voir que la gloire de Dieu y était intéressée. Ce fui ei cure la cause qui pressa plusieurs grands personnages de la Compagnie de Jésus, comme il est rapporté dans leur histoire, ,de résister aux puissantes poursuites que l'empereur leur faisait de prendre des évêchés, outre la raison particulière qu'ils en ont d'autre part ; parce que, disaient-ils ; il faut, disait feu M. Vincent (8) à un ecclésiastique de grande piété, qui quittait une cure que son oncle voulait lui donner, pour entrer dans la congrégation de la Mission , il faut, dis-je, être curé du inonde.

II y en a d'autres dont la grâce n'est pas si générale, qu'ils porteront à embrasser trop d'emplois, et les épuisant, les rendent inhabiles à des l'onctions plus resserrées que Dieu demande d'eux. Il y a des directeurs qui ont grâce pour les âmes qui commencent dans les voies de la vertu ; il y en a qui ont grâce pour celles qui sont avancées, il y en a qui ont des talents admirables pour celles qui sont dans les voies les plus parfaites. L'on a remarqué dans notre siècle, qu'un des plus grands serviteurs de Dien qui y ai(

paru avait une grâce prodigieuse pour les âmes les plus parfaites, et très peu ou presque point pour la conversion des pécheurs. II se rencontre aussi de saints personnages qui ont des bénédictions incroyables pour tirer les âmes du péché, mais qui en ont pen pour les conduire à une éminente sainteté. C'est une chose rare que d'en trouver (font la grâce s'étende sur toutes sortes d'états. L'occupation des démons est d'appliquer les directeurs hors de leurs grâces, et de leur faire entreprendre ou trop ou trop peu, dans le soin (les âmes que Dieu leur adresse. Un grand homme de notre temps, assez connu par plusieurs tomes de Méditations qu'il a données au public, disait à une personne qui lui demandait avis : «  Je n'entends rien dans cette voie.  » Et un autre religieux de cette même congrégation répondit à une personne qui lui demandait ses sentiments sur son état : «  Je n'ai de lumières que jusque-là.  » C'étaient des âmes véritablement ir Dieu, qui, malgré la haute estime où elles étaient, rie rougissaient pas d'avouer qu'il y avait (le certains états dans la vie spirituelle où elles n'avaient pas d'entrées pour y conduire les autres.

Ces esprits artificieux inspirent la solitude à ceux que la grâce mène aux emplois extérieurs pour le prochain, et donnent de l'inclination pour la vie couversante à ceux qu'elle attire à la retraite. Oh ! combien, écrit dans une de ses épîtres le saint homme Avila, que nous avons déjà cité, combien y a-t-il de personnes qui prennent les ordres sacrés, et s'inäèrent dans le sacerdoce par les instigations des diables, qui voyant bien leurs défauts et leurs inclinations vicieuses, savent assez les profanations et sacrilèges qui eu arriveront, lorsque ces prêtres seront obligés de célébrer presque tous les jours le saint sacrifice de la messe 1 plusieurs de ces gens-là se seraient sauvés dans le mariage.

Ils tentent les pères, mères et parents de l'amour du bien ou de l'honneur, pour, dins ces vues, obliger leurs enfants à prendre des états où Dieu ne les appelle pas : ainsi on les fera entrer dans l'état ecclésiastique, ou dans un cloître, pour le soulagement de la famille, ou pour avoir de l'honneur ; par ces mêmes motifs on les pressera d'accepter une charge de judicature, quoiqu'ils n'aient pas, ou la science requise, ou l'application nécessaire pour s'acquitter dignement des devoirs d'un bon juge, d'un bon avocat, ou des obligations d'une autre charge qu'on leur mettra entre les mains. La plupart des gens font toute autre chose qu'ifs ne devraient faire, par les tromperies de ces méchants esprits.

S'ils ne peuvent pas nous détourner (les voies de la grâce, ils s'y mêlent, nous y faisant faire les choses d'une autre manière que Dieu ne veut. Dieu demande d'une âme les jeûnes, les veilles, l'exercice de la sainte oraison : ils feront trop jer1ncr, trop veiller,

(X) Aujourd'hui saint Vincent de Paul.

trop prler. C•est, dit le pieux (irenade, une tentation ordinaire à ceux qui commencent de servir Dieu, et qui se rendent souvent par excès inhabiles à ce qu'ils devraient ou pourraient faire dans la suite du temps. Ils font en sorte que l'on ne s'aperçoit pas du mal que l'on se fait à l'esprit et au corps, afin de ruiner l'un et l'autre avec plus de loisir, sous prétexte que l'on n'est pas incommodé de ces pratiques. Dieu demande la perfection : ils y poussent avec titi empressement naturel, qui ne vient que d'amour-propre. Dieu veut que nous ayons regret de nos fautes : ils y mêleront l'inquiétude, le découragement, le chagrin et le dépit. Dieu demande que nous travaillions à notre sanctification, avec le secours de sa grâce - ils n'oublieront rien pour nous mettre dans l'impatience, pour nous décourager, nous faisant voir, par les fautes réitérées que nous commettons, que c'est une chose qui nous est comme impossible. Ils feront tous leurs efforts pour nous faire aller devant la grâce, ou après, nous faisant faire les choses hors les temps que Dieu a ordonnés. Il faut faire le bien, et faire celui que Dieu veut de nous, en la manière qu'il le vent, dans le temps qu'il a ordonné. Saint Philippe de Néry assurément était appelé au sacerdoce ; mais l'ordre de Dieu sur lui était qu'il y entrât dans un arge déjà assez avancé : jamais aussi il ne se voulut rendre aux prières qu'on lui fit de prendre les ordres sacrés auparavant ce temps-la. L'adorable Jésus était venu au monde pour y immoler sa divine vie pour le salut du monde ; il s'enfuit et se cache jusqu'à ce que le temps prescrit par son Père éternel soit arrivé. Il a mis les temps et les moments en sa puissance, dit ce débonnaire Sauveur : ce n'est donc pas à nous de le prévenir ou de reculer quand il est arrivé. Cet aimable Maître devait mourir ; niais il fallait mourir dans le temps que son Père éternel avait ordonné. Le silence est une vertu, cependant saint François le reprit en l'un de ses religieux ; il y avait de l'excès.

Dieu demande des âmes l'exercice de la sainte oraison ; les démons arrêteront à l'oraison de discours, ou à la méditation, celles qui ont attrait de l'Esprit divin pour la contemplai ion ; ils en élèveront à la contemplation d'autres qui doivent encore marcher par la voie du discours. Ils feront passer de la contemplation active à la passive les âmes que l'Esprit de Dieu n'y introduit pas ; celles qui y sont introduites, ils leur en donneront et feront donner de la peur. Ils donneront des consolations sensibles pour tirer de la pure foi ou pour débiliter les forces du corps, ils occuperont trop l'imagination et l'esprit, et tâcheront de gâter le cerveau. Ils se transfigureront en anges de lumière par de fausses visions, révélations, paroles intérieures ; et leurs ruses sont si artificieuses, qu'ils feront prendre pour des vues purement intellectuelles leur opération, qui est quelquefois si subtile, qu'en apparence il semble (lue les sens extérieurs et intérieurs n'y aient aucune part. et que ce suit une opération surnaturelle et par suite de l'Esprit de Dieu, afin que l'on s'y fie, et qu'on tombe plus fortement dans l'illusion.

Dieu veut que l'on se confesse : ils feront approcher de ce sacrement par amour-propre pour être au plus tôt soulagé de ses fautes, non pas tant par amour de Dieu et mouvement de la grâce que par amour de soi-rnème, parce que la superbe a de la peine de se voir en cet état humiliant ; aussi ces personnes qui s'en approchent de la sorte retombent encore plus lourdement : l'on peut se confesser tous les jours, et plusieurs fois par jour, ce que quelques saints ont fait, mars il faut le faire comme eux.

Dieu demande que l'on communie : les démons empêcheront la fréquentation de ce sacrement d'amour ou ils en feront approcher trop souvent des âmes qui n'y ont pas les dispositions nécessaires, et quelquefois même qui y sont attirées par un mouvement secret de leur amour-propre, quoiqu'elles ne !a voient pas. Un écolier, un régent, un prédicateur, un juge, un évêque, doivent faire l'exercice de leurs charges, et vaquer aux Obligations de leur état : les démons, sous prétexte de retraite, de dégagement du monde, de l'application à la prière, les feront laisser leur étude, le soin des procès. l'attention à leur diocèse ; et d'autre part, sous prétexte d'études, d'affaires, des grands soins que demande l'épiscopat, ils les occuperont tout au dehors ; et le prélat, le juge, le prédicateur ne feront qu'étudier, que parler d'affaires , que converser avec les hommes, sans donner presque aucun temps à l'oraison et 31a conversation avec Dieu.

O mon Dieu 1 à combien de misères le cœur humain n'est-il pas réduit parles ruses de ces ministres de l'enfer, même dans les voies les plus spirituelles ! Le vénérable P. Jean de la Croix, personnage d'une admirable sainteté, nous enseigne qu'il se rencontre dans ceux mêmes qui tendent à la perfection, une secrète satisfaction de leurs bonnes œuvres, une envie de faire leçon de la vie spirituelle, une démangeaison d'en parler. Les diables, dit ce grand maître du chemin de la perfection, les portent à faire quantité de bonnes œuvres par amour-propre. Quelquefois ils font paraître leur dévotion par des signes extérieurs, comme gestes, soupirs, et parlent facilement de leurs vertus, ayant ce­pendant de la peine jusque dans le confessionnal à déclarer nettement leurs péchés. En de certains temps, ils tiennent peu de compte de leurs fautes, et en d'autres, ils s'en attristent avec excès. Ils ont de la peine à louer les autres, et sont bien aises d'être loués. Ils ne se contentent jamais des dons et des grâces de Dieu, de conseils, d'avis, de livres : ils se chargent de pièces curieuses de dévotion. Quand ils n'ont pas de dévotion sensible, ils s'en fâchent contre eux et contre les autres. Ils s'irritent contre les vices d'autrui d'un zèle inquiet, et les reprennent dans ce zèle. Ils voudraient être saints en un jour, et ont des désirs si naturels et si imparfaits de la perfection, que plus ils font de bons propos et plus ils tombent. Ils tâchent de se procurer du goût dans leurs exercices, s'emportent dans des excès d'austérité qu'ils cèlent quelquefois à leurs directeurs ; ils contesteront avec leurs pères spirituels our les faire entrer dans leur sentiment. Fls se relâchent et s'affligent quand on leur contredit, et croient que tout ne va pas bien lorsqu'on les tire de leurs pratiques. Ils pensent qu'on ne comprend pas leurs voies, lorsqu'on résiste à leurs pensées. Ils voudraient que Dieu fît leur volonté : d'où vient qu'ils pensent que ce qui n'est pas à leur goût n'est pas la volonté de Dieu. Ils ont de l'envie du bien spirituel de leur prochain, et supportent avec peine de s'en voir dévancés dans les voies de l'esprit ; enfin leur goût n'est pas pour la croix et la pure mortification, l'abnégation de soi-même et l'entier anéantissement.

Ce n'est pas que, dans les peines, les diables ne s'y mêlent, invitant quelquefois à désirer des croix, prévoyant bien que certaines âmes n'en feront pas bon usage ; ou les poussant à s'en procurer, ce qui n'arrivant pas par l'ordre de Dieu, il est facile d'y succomber, ou leur doannnt lieu d'augmenter celles qui viennent de la divine Providence. Par exemple, Dieu enverra quelques peines d'esprit, qu'il faut porter avec patience et résignation ; ils porteront les personnes qui les souffrent à y rêver, à faire trop de réflexion, et par suite à les accroître par elles-mêmes. Comme ils cachent le mal qui se rencontre dans les plaisirs illicites, ils ôtent la vue du bien qui est renfermé dans les peines ; ils n'en font voir que ce (lui peut faire souffrir, dans le dessein de porter à l'impatience, à l'ennui, au désespoir, aux murmures contre la divine conduite. Ils travaillent puissamment pour faire entrer les âmes dans le découragement, leur faisant voir leurs maux sans remèdes, ne leur faisant envisager que la vie présente, et les poussant à bout. Ils donnent même de pénibles tentations à l'égard de Dieu, par des peines contre la foi, par des pensées que l'on est réprouvé, par, des doutes du consentement au péché ; brouillant l'imagination et laissant l'esprit inquiet, parce que l'on ne sait si l'on a consenti à la tentation ou non ; donnant des scrupules au sujet des confessions que l'on s'imagine n'avoir jamais bien faites , faisant réitérer des confessions générales mal à propos, et souvent les confessions ordinaires, par la peur que l'on a de n'avoir pas tout dit ou de s'être mal expliqué ; tenant le cœur dans l'angoisse , car, comme ce sont les esprits hors de toute espérance, hors de tout ordre, et toujours dans des inquiétudes inexplicables, les effets qu'ils produisent sont convenables à leur malheureux état. Ils causent partout où ils sont le trouble, le découragement, la tristesse et le désordre, et ils ne peuvent rendre les hommes compagnons de leur misère en l'autre vie, au moins ils tâchent de les y faire participer eu la vie présente. Dans les contradictions extérieures, ils suscitent nos proches, nos amis, des personnes que nous avons obligées, connue il se voit en la femme de Job, pour nous irriter, nous représentant dans nation leurs ingratitudes et leurs injustices.

Quelquefois, Dieu le permettant ainsi , ils s'ernparenl de l'imagination des gens de bien, même d'une telle façon qu'ils leur font voir les choses tout d'une autre manière qu'elles ne sont, rendant inutile parce moyen tout ce que l'on peut dire et faire au contraire. Ce saint homme ; !e P. Jean de la Croix , fut empoisonné par les religieux de son ordre, et étrangement maltraité : on lui ôta même l'habit de religieux comme à un incorrigible. L'on s'étonne qu'un si grand serviteur de Dieu ait été traité de la sorte par des gens de bien ; mais il n'en faut pas être surpris : Dieu ayant dessein d'en faire un homme de souffrance, il permit au diable de l'exercer cruellement ; et pour ce sujet ces esprits d'artifice ne le faisaient voir aux religieux qui le tourmentaient que comme une personne désobéissante et nullement soumise ; et ces pensées ne manquèrent pas d'apparence, car, dans un chapitre que l'on avait tenu dans l'ordre, plusieurs braves religieux, supérieurs en charges et gens de doctrine, et considérables par leurs qualités, avaient ordonné que le P. Jean de la Croix ne se mêlerait plus dans les affaires qu'il avait commencées ; ainsi on ne le regardait que comme rebelle. L'on ne manquait pas de dire que ses desseins, quelque bons qu'ils fussent, étaient à rejeter, puisqu'on lui faisait défense d'y plus penser ; qu'au reste c'était une personne sans conduite, qui n'était propre qu'à faire grand bruit et bien brouiller, dans l'ordre du Carmel, par son zèle indiscret et emporté. Tout ce que l'on alléguait au contraire n'était nullement considéré, Mais cette vérité est toute sensible en la dernière persécution qu'il endura à la mort, par le prieur de la maison où il était malade. Ce prieur, quoique religieux réformé, et dans le commencement de l'une des plus saintes réformes qui ait jamais été, dans un temps où les prémices du plus pur esprit dg ce saint ordre étaient communiquées en abondance, interprétait toutes les actions de l'homme de Dieu d'une étrange manière, ce qui lui donnait lieu de l'exercer puissamment. C'est une chose étonnante que son provincial, passant par ce monastère, fit ce qu'il put, et par son autorité et par ses raisons, pour adoucir l'esprit de ce prieur ; mais tout cela en vain : le démon, qui était dans son imagination, ne la tenait remplie que de certaines espèces qui lui faisaient voir les choses tout autrement qu'elles n'étaient. Enfin, quelque peu de temps auparavant que l'homme de Dieu expirât, le démon s'étant, retiré, voilà ce supérieur dans un étonnement prodigieux de ce qu'il avait fait ; il n'était arrivé rien de nouveau, toutes choses étaient dans le même état, le démon seulement s'était retiré.

Les plus petites imperfections donnent de grandes prise, ; à ces esprits apostats. 1-,9

moindres choses, comme il est dignement remarqué dans la Vie de saint Jean Chrysostome, depuis peu donnée au public, leur suffisent pour exciter des passions violentes contre ceux qui leur font la guerre, en tâchant de rétablir les mœurs de l'Église dans leur première pureté. Les moindres actions d'un fidèle serviteur de Dieu peuvent servir aux princes des ténèbres, de fondement et d'ouverture à une grande persécution, et ils savent envenimer les choses les plus innocentes. Si les évêques et les prêtres qui ont vécu au temps de la persécution sont morts pour la défense de la foi , les évêques et les prêtres ne peuvent être persécutés, depuis la paix de l'Église, que pour la défense de la vigueur de la discipline. Les démons font dans l'imagination ce que certains miroirs font à nos veux : ils grossissent les espèces, et ils peuvent faire paraître des atomes comme de hautes montagnes.

ils font aussi voir les choses, comme nous l'avons déjà dit, d'une autre manière qu'elles ne sont ; comme ces verres qui vous représentent les objets tout d'une autre couleur que celle qu'ils ont. Ils vous donnent des idées très-fausses de la véritable dévotion ; ils la font mettre où elle n'est pas, en do certaines pratiques, en des lumières et mouvements sensibles ; ils ne la l'ont pas mettre où elle est, dans une volonté résolue de faire la volonté de Dieu en toutes choses, et eu la manière qu'il le veut. Ils persuadent aux gens du monde qu'elle n'est bonne que pour les cloîtres, et la font paraitre d'une telle façon qu'il ne leur est pas possible de la pratiquer. Leurs artifices vont à la 'faire envisager comme impossible à ceux qui vivent dans le siècle, afin de leur en êtër la pensée ou ils la repr3sentedt si hideuse, qu'on n'a pas le courage de l'embrasser ; ou ils lui imposent les défauts de ceux qui en l'ont profession, pour la décrier.

Comme ils sont tous dans la malignité, ils glissent dans les esprits une inclination maligne, qui leur fait trouver du venin dans les actions les plus saintes, et les portent à interpréter en mal les œuvres du prochain ; au contraire de la véritable charité, qui pense du bien d'un chacun, et qui, lorsqu'elle ne peut pas approuver l'action, excuse au moins l'intention. C'est un des maux des plus ordinaires (lu monde, que de croire le bien avec peine, et (le penser le mal avec facilité. Si l'on ne peut pas blâmer une vie vertueuse, qui nous sert de reproche, l'on s'en prend à l'intérieur ; et pénétrant le fond du cœur, qui n'est connu que de Dieu seul, on le taxera d'hypocrisie et de dissimulation. Sainte Thérèse rapporte que la sainte dame de Cardone parlait facilement de ses grâces, et disait assez bonnement ses vertus ; elle regarde ce procédé comme celui d'une âme qui ne regardait que Dieu seul, sans se considérer : une autre l'aurait condamnée de vanité, et aurait soupçonné cette vertueuse dame de rechercher l'estime des créatures.

Le P. Caussin, dans sa Cour sainte, faisant réflexion sur cette vérité, que nous devons être fort retenus à porter notre jugement sur les actions de nos prochains, après avoir hautement loué la conduite du grand saint François de Sales , remarque qu'un esprit critique y aurait bien trouvé à redire. Par exemple, dit cet éloquent auteur, le saint témoigne que le souvenir de madame de Chantal (9), do glorieuse mémoire, lui est si cher, qu'il y pense souvent, et avec affection, et même au saint autel ; un esprit pointilleux n'approuverait pas que l'imagination d'un saint homme fût remplie du souvenir d'une femme ; cependant il y était appliqué par grâce. Mais nous lisons de certains saints qu'ils demandaient à Dieu de ne se souvenir jamais, même dans leurs prières, destèmmes qui s'y recommandaient. C'était leur grâce que d'en user de la sorte ; mais les voies que tient l'esprit de Dieu en la conduite de ses saints sont si différentes, que c'est un abîme au pauvre esprit humain.

Quand les démons prévoient de grands secours pour les âmes, des bénédictions spéciales sur une ville, un diocèse, une province, ils suscitent de grandes persécutions contre les personnes dont Dieu veut se servir. Ils n'oublient rien pour les décrier et pour en donner de l'horreur : et non-seulement ils maltraitent les personnes employées dans les fonctions publiques, mais celles qui sont les plus retirées et les plus solitaires, lorsqu'ils y remarquent une vertu extraordinaire ; car ces âmes, dit sainte Thérèse, ne vont jamais au ciel seules ; elles sauvent et sanctifient grand nombre de personnes par leurs oraisons et par leur union avec Dieu. L'on a vu de notre temps un religieux canne déchaussé mener une vie fort solitaire sur le mont-Carmel, et imiter ces anciens Pères qui se retiraient dans les solitudes les plus écartées, pour y passer quelque temps dans un entier éloignement des hommes ; c'est ude chose étonnante d'apprendre la rage des démons contre ce servi leur de Dieu.

S'ils conjecturent que la piété d'une âme solidement vertueuse, et les grâces extraordinaires que le ciel lui a faites, doivent faire de grands fruits dans l'Église, ils travailleront à mettre en vogue quelque créature trompée ; ils la feront passer pour sainte, ensuite ils en découvriront les tromperies, pour faire juger qu'il en est de même de celles qui sont mues par l'esprit de Dieu, et par là empêcher le bien qui eu peut arriver. S'ils voient que la dévotion s'établisse dans un pays, par la solide pratique de l'usage fréquent des sacrements, de l'exercice de l'oraison, de l'union avec Dieu, ils feront tomber dans quelques fautes quelques-unes des personnes qui font profession de dévotion, et ensuite feront crier contre la fréquente communion, contre l'oraison, et les autres pratiques de piété : ils rendront ri­

 

mémoire ; et la chose mérite bien d'être remarquée, pour ne pas donner lieu aux diables de nous tenter, particulièrement à l'heure de la mort, prenant garde aux compagnies que nous fréquentons. Disons ici que comme les diables nous font de rudes combats par les gens qui sont à eux, aussi l'esprit de Dieu nous donne de grands secours par les âmes qu'il remplit. La bienheureuse Angèle de Foligni, faisant titi voyage de dévotion, fut favorisée de dons grandement extraordinaires, et notre bon Sauveur lui révéla que si elle eût pris une autre compagnie que celle qu'elle avait, qui était une personne de vertu, elle eût é ?à privée de toutes ces grâces. Bien de plus pernicieux que la conversation avec les méchants, rien de plus utile que celle que l'on a avec les gens de bien.

Enfin, le grand ravage rie ces maudits esprits est l'établissement de l'hérésie : pour ce sujet ils usent de leurs ruses ; ils commencent par les choses qui ne peuvent pas tant étonner de prime abord, Ils suscitèrent Luther pour crier contre les indulgences ; mais ils le firent commencer par les abus des indulgences, des cérémonies, et insensiblement ils en vinrent à la foi.

Sainte Thérèse enseignait que le grand courage était tout à fait nécessaire err la milice spirituelle ; et il est bien vrai, puisque nos ennemis, non-seulement sont terribles en leur force, cruels en leur rage, extraordinairement redoutables en leurs ruses, mais qu'ils sont infatigables en leur poursuite : toute leur occupation est de nous surprendre ; ils veillent à notre perte pendant que nous dormons. «  Nos ennemis, dit saint Augustin, sont toujours attentifs à notre ruine, et nous sommes toujours dans l'oubli de notre salut. Ils veillent sans cesse pour nous faire mourir de la mort éternelle, et nous sommes continuellement endormis quand il s'agit de nous sauver. Le sommeil et la nourriture, non plus que les autres soins qui nous lassent, ne les fatiguent jamais, puisqu'ils n'en ont pas besoin ; ils sont toujours sous les armes jour et nuit, et durant tout le cours de notre vie, et ils ne les quittent jamais : s'ils donnent quelque apparence de paix ou de trêve, ce n'est que pour mieux nous faire la guerre, et pour nous combattre avec plus de forces et plus de succès. ),

De plus, ce sont de purs esprits, aussi vites que nos pensées, qui entrent partout , qui nous suivent partout, à qui rien n'est fermé : vous avez beau mettre des portes et des serrures à vos chambres et à vos cabinets, l'entrée ne laisse pas de leur en être libre ; et comme ils sont invisibles, ils vous combattent sans être vus ; ils vous frappent, et vous ne voyez personne, ils sont auprès de vous méditant votre perte, et vous n'en savez rien ; leurs armes sont invisibles ; ce qui marque assez combien il est difficile de s'en défendre. Ils nous tentent en tout temps, et Cassien nous apprend que les Pères du désert connaissaient par expérience que dans

dicules les dévots, et feront les derniers efforts pour s'opposer aux desseins de Dieu. - : O mon Seigneur, s'écrie la séraphique Thérèse, que c'est une grande pitié ! Si une personne est trompée dans les voies de l'oraison, l'on crie, l'on fait grand bruit, et l'on ne voit pas que pour une personne qui s'égare, prenant mal l'oraison, les milliers d'âmes se damnent par faute de la faire. Le pieux Grenade, en soit Mémorial, fait un chapitre dans lequel il montre que c'est souvent un grand abus que de crier tant contre les abus de la fréquente communion : «  Ce n'est pas qu'on ne les doive blâmer et avoir en horreur ; mais l'on ne prend pas garde, dit ce savant maître de la vie spirituelle, que sous prétexte de quelques abus qui se commettent, l'on empêche non-seulement les grands progrès des bonnes âmes en la vertu, par l'usage fréquent de la communion, mais encore, et c'est ce qui est grandement considérable, beaucoup de gloire qui en reviendrait à Dieu.  »

Notre-Seigneur révéla à sainte Gertrude, fille ceux qui empêchaient la fréquente communion lui ravissaient ses délices. Saint Thomas enseigne que la communion journalière était de précepte dans les premiers siècles. Le saint concile de Trente souhaite que l'usage eu pût être rétabli. Il faut examiner les personnes qui reçoivent tous les jours la sacrée communion, afin qu'on n'en fasse pas un mauvais usage : mais de désapprouver un usage si établi dans la primitive Église, et que le dernier concile général voudrait pouvoir être rétabli, c'est un effet de la haine que les esprits d'enfer ont conçue contre ce mystère d amour.

Un grand serviteur de Dieu a sagement remarqué qu'il y a de certaines personnes dans lesquelles les démons sont comme dans leur fort, et par le moyen desquelles ils rendent leurs tentations plus dangereuses. Il y a des personnes dont les approches portent a l'impureté, les autres à la vengeance, les autres à la vanité. Les démons sont dans les yeux de quelques personnes, dans leurs cheveux, dans leurs mains ; et ils rendent tout ce que ces personnes font si agréable, leur voix, leurs paroles, le mouvement de leurs yeux, leurs gestes, qu'il est difficile de n'y être pas pris. L'on s'étonne quelquefois (le voir des malheureux s'attacher à des .créatures assez imparfaites, et quitter leurs femmes qui sont belles et agréables ; souvent cela arrive par l'opération secrète des démons, qui mettent des charmes pour les cœurs en des misérables qui naturellement devraient donner de l'aversion. Un malade qui était sur le point de mourir était dans une grande paix ; un de ses amis, hérétique, entre en sa chambre pour lui rendre visite, à même temps il se trouva grandement tenté contre la foi. Les démons, qui n'avaient pas de prise dans ce lieu pour combattre ce pauvre malade, se trouvèrent en cet hérétique comme dans leur fort pour l'attaquer : j'ai appris ceci de feu M. Gauffre, digne successeur du P. Bernard, de glorieuse

les temps les plus saints leurs tentations étaient plus grandes ; comme, par exemple, durant le saint temps de carême.

Leurs attaques deviennent plus violentes à mesure que l'amour de Dieu s'augmente. Dès qu'on commence à le servir, il faut se préparer à la tentation ; et il ne faut pas s'en étonner : pour lors la guerre est déclarée, auparavant ils ne s'en mettaient pas en peine, tenant l'âme sous leur tyrannie. Les saints se voient souvent sur le bord du précipice, par la violence de leurs tentations : ce sont ceux-là, dit Cassien, qui souvent sont bien tentés des convoitises de la chair. Ce Pharaon infernal accable de travaux ceux qui tâchent de s'échapper de sa cruelle domination. Il n'y a point de lieu qui nous exempte de cette guerre ; nos temples et les lieux les plus saints ne nous en préservent pas : ils se glissent partout. Ils font tomber dans la solitude le pauvre Loth dans l'impureté, lui qui s'était conservé chaste au milieu d'une ville toute pleine des plus monstrueuses impudicités. Il n'y a point d'âge en la vie qui nous mette à couvert de leurs attaques. Un grand et excellent solitaire, ayant résisté à leurs tentations en sa jeunesse, aimant mieux faire brûler son corps dans le feu matériel que d'abandonner son âme aux feux de l'impureté, et triomphant de la sorte de l'effronterie d'une femme qui tendait des pièges à sa pudicité, étant âgé de soixante ans ou plus, se laissa vaincre à ces tentateurs, par le moyen d'une créature qui en était possédée. Considérons cet exemple en passant, et tremblons. Un jeune homme, qui dans la fleur de son âge avait remporté, do si glorieux triomphes, se laisse vaincre, et cela dans la vieillesse, après tant de jeûnes et de mortifications, ayant le corps consumé de grandes austérités ; après tant de victoires remportées durant le cours de tarit d'années ; après une vie céleste, tant de dons extraordinaires, tant de grâces miraculeuses , il se laisse vaincre par une femme qui était possédée, ce qui devait donner de l'horreur, et après avoir chassé le diable de son corps.

Un de leurs soins est de nous lasser par la durée du combat ; et l'expérience fait assez voir que l'on succombe à la fin, après avoir résisté un long temps. Une âme sera fidèle à ses exercices, malgré tous les dégoûts et toutes les répugnances qu'elle en peut avoir, quoiqu'elle n'y ait aucun sentiment, et qu'elle n'y porte que des peines : à la fin l'ennui l'accable, et elle cède à la tentation. Elle s'assujettira aux bons conseils qu'un lui donne, et gardera inviolablement les ordres qu'on lui prescrit : à la fin elle en fera à sa tête, et cédera à ses pensées et à ses inclinations. Quand ces esprits malheureux voient qu'i !s ne peuvent rien gagner, ils vont prendre de nouvelles forces ; ils s'associent des démons plus puissants encore et plus malicieux, et reviennent au combat, terrassant souvent ceux qui en avaient auparavant triomphé.

Après tout, leur nombre est incroyable.

Saint Bernard dit que les diables, qui sont les singes de la Divinité, se partagent, afin que tous les hommes aient un mauvais ange, comme il en ont un bon. Saint Grégoire de Nice est dans le même sentiment. Saint Antoine disait souvent que des millions de diables parcouraient toute la terre. Saint Hilarion, son disciple, disait la même chose, et rapportait sur ce sujet l'histoire de l'Évangile, qui nous enseigne qu'un seul homme en était possédé d'une légion, c'est-à-dire de six mille six cent soixante-six. Le glorieux saint Dominique délivra un malheureux qui était possédé de quinze mille diables, qui étaient entrés dans son corps en punition des railleries qu'il avait faites des quinze mystères du rosaire. Ceci mériterait bien d'être considéré par ces gens qui se raillent des associations établies avec autorité légitime. Mais considérons combien d'ennemis conspirent à la perte d'un seul homme. Saint Jérôme, sur le chapitre vi aux Ephésiens, déclare que c'est une opinion générale des docteurs, que l'air est tout rempli de ces ennemis invisibles.

Après cela, donnons un peu nos attentions aux dangers où nous sommes exposés ayant de tels ennemis sur les bras. Mais donnons-les en même temps à la considération de ce que nous sommes, nous qui avons à combattre contre de telles forces. Nous vivons au milieu de la nuit, et dans le plein midi de la grâce, nous ne voyons pas même, aveuglés que nous sommes de nos passions. Nous marchons dans des lieux tout pleins de précipices éternels, et dans des chemins si glissants, que les plus saints ont bien de la peine à s'y soutenir : nous ne savons pas le chemin qu'il faut tenir, et nous prenons facilement, selon le sentiment de saint Bernard celui de l'enfer ; ceux que nous rencontrons sont des aveugles et (les ignorants comme nous, qui, au lieu de nous aider à nous tirer de ces mauvais pas, servent à nous y perdre. Nous ne sommes que pure faiblesse, et percés de coups mortels de toutes parts. Ô mon Dieu, ô mon Dieu, qui pourra se sauver dans un état si déplorable ? Hélas ! Ô homme, à quoi pensons-nous, lorsque nous sommes dans l'oubli de ces dangers effroyables ? Est-il donc possible que ces vérités soient indubitables, et que nous y pensions si peu comme il faut ? En vérité, en vérité, il faut que nous soyons enchantés ; qu'ayant des yeux nous ne voyions pas, des oreilles sans entendre, et des pieds, demeurant cependant immobiles pour l'éternité ; nous ne voyons, nous n'entendons, nous ne marchons que pour la vie présente.

Ces aveuglements et insensibilités, sont la cause que la plupart des âmes deviennent la proie des démons : si nous voulions bien nous laisser aller aux lumières et aux mouvements de la grâce, ne pouvant rien de nous-mêmes, nous pourrions tout en celui qui est notre force. C'est en sa vertu qu'il faut résister généreusement à la puissance des démons, qui, à la manière des crocodiles, fuient ceux qui les poursuivent et poursuivent ceux qui les fuient. Résistez au diable, nous enseigne la divine parole, et il s'enfuira de vous. (Jac. IV, 7) Il est vrai clue nos forces sont entièrement inégales ; mais la vertu de Jésus-Christ supplée à notre faiblesse. Le grand saint Antoine assurait que depuis la venue de Notre-Seigneur, nous pouvions venir à bout du démon comme d'un moineau, et briser ses forces comme l'on ferait de la paille.

Il faut donc mettre toute sa confiance en Jésus-Christ et sa sainte croix, en la protection de sa sainte Mère, qui a écrasé la tête de ce malheureux serpent, et se servir des sacrements , de l'eau bénite , (les images saintes, pour détruire tous ses efforts , nous tenant toujours d'u}re autre part dans l'humilité, vertu toute-puissante pour rendre les tentations de l'enfer inutiles, mais vertu sans laquelle toutes les autres vertus nous serviront de pou contre ses attaques. Saint Antoine, dont je viens de parler, ayant vu tout le monde rempli de pièges, et un démon qui de sa tête touchait les astres, et ravissait la plupart des âmes, fut pénétré de douleur ; et comme ce saint homme criait avec force ; « Qui pourrait donc s'échapper de ces liens, et des mains de ce monstre infernal ?  » une voix du ciel lui répondit : «  Antoine, ce sera l'humilité. Celle vertu doit être accompagnée d'une entière défiance de nous-mêmes. Si nous prenons quelque appui sur nos forces, sur notre expérience, notre conduite, nos résolutions, nous sommes perdus ; tôt ou tard, infailliblement, nous périrons : et il faut bien prendre garde à une confiance secrète que nous avons en nous-mêmes, qui est quelquefois imperceptible : il semble, quand nous avons fait de certaines pratiques de piété, que tout est gagné ; et Notre-Seigneur permet qu'ensuite nous retombions plus lourdement.

Il y a des âmes qui voient bien do certaines imperfections dont elles ont horreur ; elles soupirent, elles travaillent, et n'en peuvent venir à bout. C'est, dit le saint homme le P. de Condren, que ces âmes ne connaissent pas encore assez leur faiblesse, leur insuffisance, leur impuissance. La défiance de nous-mêmes doit être suivie de crainte : Craignez le Seigneur, est-il écrit, vous tous qui êtes ses saints (Psal. XXXIII, 10) Si les saints doivent opérer leur salut avec lremblement (Philip. ii , 122), clue doivent faire les pécheurs ? Un larron auprès de la croix est sauvé, un autre dans le même lieu est damné. Dieu pardonne à l'un de ses apôtres qui l'a renié, il condamne un de ses disciples qui l'a trahi. Il y a un paradis, mais il y a un enfer ; quelques-uns ont fait une véritable pénitence à la mort, mille et mille sont morts dans le péché. Enfin, l'un a vu les plus belles lumières de l'Église s'éclipser, l'on a vu des anges de la terre se précipiter dans les enfers par un mouvement de superbe à la fin de leur vie ; l'on a vu des colonnes de l'Église ébranlées et abattues, l'on a vu ceux qui y éclairaient les autres, des pl.us pures lumières, de la fui tomber dans l'hérésie, l'on a vu des saints devenir des diables.

Pour ce sujet, il faut être fort sur ses gai-des, et ne pas donner lieu à la tentation, en évitant toutes les occasions qui pourraient nous y engager. Veillez et priez, dit la divine Parole, de peur que vous n'entriez en tentation (Matth. XXVI, 41) ; elle ne dit pas de peur que la tentation n entre en vous, mais de peur que vous n'entriez en la tentation. Quand c'est par l'ordre de Dieu que nous nous trouvons dans le péril, avec son divin secours nous en échapperons ; si c'est de nous-mêmes que nous y sommes engagés, nous y périrons. La tentation de Joseph était bien plus forte que celle de David : Joseph était jeune, David était vieux ; Joseph était poursuivi par les caresses et les menaces d'une femme qui l'importunait sans cesse, David n'était poursuivi de personne. La pudicité de Joseph était attaquée par une femme qui était sa maîtresse ; en lui résistant, il courait risque de sa vie, en donnant les mains à la passion, il pouvait attendre une grande fortune temporelle ; David était roi, il n'avait rien à craindre ni rien à attendre que les remords de sa conscience. David était plus avancé dans la vie spirituelle, et c'était l'homme selon le cœur de Dieu ; cependant David est vaincu par la tentation, Joseph y résiste : c'est que David s'expose lui-même à la tentation, et que Joseph se trouve engagé dans le péril s'acquittant de son devoir dans l'ordre de Dieu. Les enfants ont été délivrés de la fournaise de Babylone, saint Pierre du danger des eaux ; mais, si vous vous jetez à l'eau, ou dans le feu, vous y serez noyé ou brûlé. Si vous vous sentez bilieux, pourquoi n'évitez-vous pas les occasions de la colère ? Si vous vous sentez porté à l'amour, pourquoi ne fuyez-vous pas discrètement les occasions des femmes ? Vous vous fâchez en jouant, pourquoi donc ne renoncez-vous pas au jeu ? Vous êtes distrait quand vous faites vos prières clans des lieux qui ne sont pas assez retirés, que n'en choisissez-vous de plus propres ? Saint Ignace, le fondateur de la compagnie de Jésus, avait le privilège de ne point avoir de distractions pendant ses prières ; mais il fallait qu'il fît, de son côté, ce qu'il pouvait : quand il ne s'éloignait pas assez du monde et du bruit, il ne jouissait plus de cette grâce.

Soyez aussi prompt à résister à la tentation. Le même saint disait que le serpent fait glisser facilement tout son corps où il a passé sa tête. La négligence que vous apportez à résister à la tentation donne de grandes prises à vos ennemis ; ils craignent grandement les âmes qui résistent de prime abord à leurs attaques ; car ils voient que ces attaques ne leur servent qu'à leur acquérir des couronnes. Si un charbon de l'en tombait sur votre habit, en même temps et, avec le plus de diligence qui vous serait possible, ne le jetteriez-vous pas par terre ? Et, pour peu que vous le laissassiez sur votre habit, n'en serait-il pas gâté ? Quoique la négligence ne soit pas entièrement

 

taire, n'y ayant pas une advertance parfaite, c'est toujours un péché véniel, et un seul péché véniel donne des forces étranges au démon pour nous tenter. Quand les exorcistes des possédés de Marseille avaient commis la moindre petite faute, ils ne pouvaient rien faire contre les démons durant quelque temps : au contraire, lorsqu'on a repoussé la tentation promptement, les démons ont péur de revenir, et leurs forces sont affaiblies. Il ne faut jamais délibérer ; une ville qui parlemente est presque prise. Dès lorsque l'on voit le péché, ou l'occasion du péché, il faut rompre, il faut quitter, il faut tout souffrir plutôt que d'y penser.

Dans les combats de la chasteté, il faut vaincre en fuyant ; ne vous amusez pas à regarder les tentations, fuyez au plus vite : les tentations contre la pureté ont des charmes pour les sens, qui vous prennent si vous les regardez. Dans celles de la foi, il ne faut jamais raisonner : I1 faut s'enfuir, disait saint François de Sales, par la porte de la volonté, et non pas par celle de l'entendement. Donnez-vous bien de garde d'aller chercher des raisons pour vaincre ces sortes de tentations ; ne disputez pas avec le démon, il est trop habile pour vous ; vous ne vous tirerez jamais de ses difficultés. Le saint évêque que nous venons de citer rapportait que cet esprit de subtilité et de malice lui forma une objection si forte contre la présence de Notre-Seigneur en l'Eucharistie, que sans un secours particulier de la grâce il était perdu ; c'est pourquoi jamais cet incomparable prélat n'a voulu dire la difficulté de sa tentation, dans la crainte qu'il avait qu'elle ne fût le sujet de la perte de quelque âme.

Dans les autres peines d'esprit, il faut un grand abandon à Dieu, et y éviter les réflexions volontaires. L'on ne peut pas empêcher que l'imagination n'en soit attaquée, mais on doit les souffrir en patience, et ne les pas entretenir ou augmenter par des réflexions volontaires. Elles portent ordinairement les personnes à être rêveuses : ce qu'il faut tâcher d'éviter, s'oceupan+ doucement, pour y donner le moins de lieu que l'un peut ; la trop grande crainte en imprime les espèces plus fortement dans l'imagination, et, dans les tentations de l'impureté, les sens en sont plus émirs.

Dans les peines de scrupules ou d'autres inquiétudes, le remède est de ne se pas arrêter à son jugement, de prendre avis d'une personne expérimentée dans ces sortes de voies (car il y a de grands directeurs qui n'en ont pas d'expérience), et qui ait (le la doctrine et de la résolution, et s'eu rapporter à ses avis, soit pour ne plus réitérer de confessions générales, quoique l'on estime en avoir besoin ; soit pour ne plus dire de certaines fautes, soit pour ne se pas accuser de certains doutes. Car enfin l'ordre que Dieu a établi en son Église est de ne nous pas gouverner immédiatement, mais par les personnes qu'il a appelées aux fonctions sacrées du sacerdoce. Une personne qui, agissant contre la conscience, ferait une chose qu'elle estimerait péché mortel, quoique ce ne fût qu'une faute vénielle, sans doute, si elle faisait cette chose avec une délibération parfaite, il y aurait un péché notable ; mais, si, nonobstant le jugement qu'elle fait de l'énormité d'une faute, elle passe par-dessus, soumettant son jugement à celui de son directeur, qui a plus de lumière qu'elle, et qui discerne mieux le péché d'avec le péché, assurément elle fait bien. Mais elle a, it, nie direz-vous, contre la conscience ; il est vrai, mais c'est une conscience dans l'erreur, et elle suit les règles d'une conscience véritablement éclairée, qui est celle du directeur. L'on ne doit pas non plus s'inquiéter sur ce qu'il vient en l'esprit que l'on ne s'est pas assez bien expliqué, ou bien que le directeur ne connaît pas bien notre état (ce sont des tentations communes presque à toutes les personnes peinées), ni s'embarrasser sur ce que nos peines peuvent venir de nos pochés ; car, après avoir renoncé à nos fautes, il est expédient d'en porter les peines dans la paix. Les peines du purgatoire sont à la vérité des peines et des châtiments du péché ; cela empêcherait-il que les âmes qui y souffrent ne les portent avec tranquillité et une entière résignation aux ordres de Dieu ?

 ; Dans les peines de blasphème ou de réprobation, il est nécessaire d'y éviter doucement les réflexions volontaires ; et dans ce temps ordinairement la vue confuse de Notre-Seigneur est plus propre, dans l'oraison, qu'une connaissance distincte des mystères, parce que la tentation s'augmente et s'entretient par la vue distincte des vérités de la foi. Surtout, il est à propos de ne se pas laisser aller au découragement, quelques fautes que l'on commette. Quand vous tomberiez cent fois par jour, relevez-vous cent fois par jour. Un homme ne serait-il pas ridicule s'il demeurait couché au milieu d'une rue dans la boue, et la fange, parce qu'il s'est laissé tomber plusieurs fois ? Humilions-nous bien de nos fautes, et en ayons du regret, mais jamais ne nous en décourageons... C'est une maxime générale : l'ennui et l'impatience causent de grands maux. Apprenons à nous supporter dans nos défauts, attendant avec patience le secours du Seigneur. C'est une fâcheuse tentation que le trop grand empressement à la perfection, que souvent nous voulons par amour-propre. Notre orgueil voudrait noirs voir bientôt être parfaits, et il nous fait étonner de ce que nous tombons, qui est tout ce que nous pouvons de nous-mêmes. Mon juste, dit l'Apôtre, vit de la foi (Galal. rrr, 91) ; c'est la grande et certaine règle de toute la vie spirituelle. Ne vous réglez pas par les goûts, les sentiments, ou les sécheresses et aridités, mais conduisez-vous par la foi, qui vous montrera que Dieu doit être également servi et adoré dans le temps de la tribulation comme dans le temps de la consolation. Ainsi vous serez fidèles à vos exercices, sans considérer si vous y avez répugnance ou inclination. Vous ne serez jamais non plus trompés dans les voies extraordinaires, où souvent les directeurs perdent beaucoup de temps pour discerner si les grâces viennent de l'esprit de Dieu, du démon, ou de l'imagination, et bien souvent ils y sont abusés.

Les serviteurs de Dieu, qui conclurent que sainte Thérèse était trompée dans ses grâces extraordinaires, à raison de plusieurs imperfections qu'ils remarquaient en elle, se trouvèrent eux-mêmes dans la tromperie. Ce n'est pas une conclusion, dit le savant évêque qui a composé la Vie de la sainte, que les dons que l'on voit dans une âme ne procèdent pas de l'esprit de Dieu, parce qu'elle est imparfaite, car quelquefois ils sont donnés pour délivrer de ces imperfections. Si l'âme, quelques paroles intérieures qu'elle entende, quelque vision qui lui soit représentée, ne s'arrête qu'à la pure foi, laissant ces choses pour telles qu'elles sont, elle demeurera toujours dans la vérité. Si c'est le démon qui agit, il n'en recevra que de la honte et du dépit ; si c'est l'esprit de Dieu, il opérera dans l'âme, indépendamment de sa vue ou réflexion. Les tableaux que nous avons dans nos églises sont un usage que l'esprit de Dieu a introduit, et qui le blâmerait serait hérétique. Cependant si l'on s'arrêtait à l'image, au lieu de passer de l'image à la chose représentée, sans doute l'un manquerait beaucoup. Or , les visions que l'esprit de Dieu même donne, sont des figures ou images de la Divinité ; elles ne sont pas Dieu, et l'esprit de Dieu ne les donne que pour nous élever à lui. Or, comme la foi est le plus prochain moyen de l'union divine, il faut s'en tenir là. Enfin, l'entier et parfait abandon à la divine volonté pour toutes choses, et en toutes choses, ne désirant rien en particulier, est le brand secret pour vaincre les tentations. L'on doit se souvenir qu'il ne faut pas s'attacher aux moyens qui conduisent à Dieu, quelque excellents qu'ils soient, nià aucune pratique, quelque bonne qu'elle puisse être ; niais qu'on doit la prendre et la quitter quand il la faut prendre ou quitter ; car tous ces moyens ne sont pas Dieu, à qui seul nous devons nous arrêter inviolablement comme à notre seule fin.

Avant que de finir cette matière, je me sens pressé de donner avis d'une tentation ordinaire, mais dangereuse, et qui rend presque toutes nos actions, ou inutiles ou imparfaites. C'est que le démon travaille à nous faire occuper de toute autre chose que de ce que nous faisons. Si vous êtes dans l'oraison, il vous fera penser à quelque bonne, action que vous avez à faire ; quand vous serez dans cette action, il vous occupera d'une autre ; et ainsi vous pensez toujours à ce que vous ne faites pas, et ne pensez jamais bien, ou qu'à demi, à ce que vous laites. Or, chaque moment a sa bénédiction ; laites bien ce que vous faites, et pour le bien faire ne pensez à autre chose. Le moment passé n'est pas b vous ; te futur n'y est pas encore ; il n'y a donc que le présent. Or voici la ruse du démon : vous désoccupant du présent, et vous tenant toujours en haleine pour l'avenir, jamais vous n'avez aucun moment à vous.

 

C'est encore une de ses ruses, de vous donner du goût pour des emplois qui ne sont pas de votre état. Que vous sert-il de vous occuper de la vie des Chartreux, si votre état est dans les emplois extérieurs ? et que sert aux Chartreux de penser à la prédication, ou à la visite des hôpitaux, puisqu'il faut qu'ils vivent solitaires ? Nous ferions des merveilles, à ce que nous pensons, si nous faisions des choses que cependant nous ne ferons jamais ; et nous ne songeons pas à bien faire ce que nous sommes obligés de faire tous les jours. Vous êtes engagé dans un état où il y a bien de la peine à se sauver, et il faut, malgré vous, que vous y demeuriez. Considérez donc sérieusement qu'il faut vous sauver dans cet état si dangereux, et n'allez pas perdre le temps à vous imaginer d'autres états où vous n’entrerez jamais. Travaillez cependant, dans quelque condition que vous soyez, à bien régler vos passions ; et sachez que la moindre est capable de vous jeter dans un aveuglement déplorable, et qui vous met même hors d'état de prendre aucun avis ; la raison en est que nos passions nous trompant, nous font voir les choses d'une autre façon qu'elles ne sont ; ainsi nous les proposons, pour era avoir avis, comme nous les concevons , et l'on nous donne conseil comme nous les expliquons ; ce qui fait que souvent l'on est dans de grandes erreurs, même en suivant conseil, et cela par notre faute, ce qui ne nous excusera pas devant Dieu. Or, ce que nous avons déjà dit, que les démons nous trompent dans la vue des choses, cela arrive par le moyen de nos passions, dont ils se servent.

Mais le Dieu du ciel a plus de désir de nous sauver que l'enfer n'a de rage pour nous perdre. Comme il sait à fond nos impuissances, dans l'excès de ses divines miséricordes, il donne des secours proportionnés à nos faiblesses ; et pendant que l'enfer veille continuellement à notre perte, ses yeux sont toujours amoureusement ouverts à notre défense. Il nous envoie les anges bienheureux de sa cour céleste, par une Providence que l'Église appelle ineffable, pour nous soutenir dans les combats que nous devons donner contre ces puissances, dont la force infailliblement nous accablerait, sans une protection si particulière. «  L'âme, dit saint Bernard, est quelquefois dans un tel trouble, son esprit dans un ennui si fâcheux, son cœur dans des angoisses si pressantes, son corps tellement aflliäé, sa tentation si vive, que, sans un grand secours, elle succombera. Elle a besoin pour lors d'être assistée par les anges, continue ce Père ; elle a besoin de la consolation de ces esprits du ciel. Comme elle est toute languissante, elle ne pourrait pas marcher ; il est nécessaire que les anges &aportent entre leurs bras. ), Certainement j'estime qu'en cet état ils la soutiennent, ur ainsi dire, comme avec deux mains, et fa font passer si doucement à travers de tous les dangers qui lui donnaient plus de crainte, qu'en quelque façon elle les sent, et ne s'en aperçoit pas. Il nous faut marcher sur les aspics et les basilics ; il nous faut fouler aux pieds les lions et les dragons. Qu'il est nécessaire, pour cet ef%t, d'avoir les anges pour maîtres et pour guides ! Qu'il est nécessaire même qu'ils nous portent, particulièrement nous qui ne sommes que comme de faibles enfants ! Mais que nous passons facilement ces routes dangereuses, si nous sommes portés par leurs mains ! Que craignons-nous ? Ils sont fidèles, ils sont sages, ils sont puissants ; suivons-les seulement, et ne nous en séparons pas.

Toutes les fois donc que vous vous verrez pressé de quelque grande tentation ou affliction, ayez recours à votre bon ange ; dites-lui : Seigneur, sauvez-nous, car nous sommes sur le point de nous perdre. Ce sont les sentiments de ce grand saint qui nous font assez voir la nécessité et la douceur de la protection de ces aimables princes du paradis. Comme les rois font mourir dans leurs États les larrons, pour y conserver les biens et la vie de leurs sujets, de même ces glorieux esprits détruisent la puissance des princes de l'enfer pour le salut de nos âmes, et la gloire de leur souverain. Aussi est-il dit dans l'Écriture qu'ils lient les démons, c'est-à-dire, qu'ils empêchent leur pouvoir. Le solitaire Moïse était grandement tourmenté des tentations de la chair ; et allant trouver l'abbé Isidore, pour lui exposer ses peines, et y trouver quelques remèdes, cet abbé lui fit voir une troupe de démons sous des formes sensibles, animés plus que jamais à le combattre ; ce qui affligea beaucoup ce serviteur de Dieu : mais peu à peu il lui montra une bien plus grande troupe de saints anges préparés à sa défense, en lui disant : Sachez, mon fils, qu'il nous faut dire, avec le prophète Élisée, que nous en avons plus pour nous que contre nous : ce qui lui donna une telle consolation, qu'il s'en retourna tout joyeux en sa cellule, et dans une grande résolution de résister généreusement à toutes les attaques des esprits de l'enfer. Je vous dis, mon cher lecteur, la môme chose, après vous avoir parlé des tentations des démons, de leur rage, de leur force, de leurs ruses et de leur multitude. Nous en avons plus avec nous que contre nous. Cette vérité est bien douce et bien capable de nous consoler dans toutes nos peines ; mais méditez-la un peu à loisir. Nous espérons encore en parler, avec le secours du ciel, au sujet de la confiance que nous devons avoir en la protection des saints anges, dont nous traiterons ci-après. Seulement encore un mot : Sachez qu'un seul démon, si Dieu lui permettait, serait capable de faire périr tous les hommes, quand tous les hommes de la terre seraient autant de soldats et tous sous les armes. Mais sachez aussi qu'un seul ange du ciel est plus puissant, en la vertu qu'il reçoit de Dieu, que tous les diables ensemble. Souvenez-vous ensuite que tous ces anges bienheureux veillent avec des bontés qui surpassent nos pensées à notre défense, et que les diables les craignent étrangement et plus que les saints (l'on excepte toujours celle qui ne peut souffrir de comparaison, l'incomparable Mère de Dieu) : la raison est que les bons anges ayant combattu généreusement pour la cause de Dieu contre ces apostats, dans le temps de leur rébellion, ils ont mérité d'avoir un empire particulier sur ces rebelles. Le souvenir aussi que les démons ont, qu'ils ont été dans le même pouvoir qu'eux d'arriver à la gloire, dont ils sont si malheureusement déchus, la vue qu'ils ont du bonheur qu'ils possèdent, et dont ils sont privés, les tourmentent extraordinairement.

 

 

 

 

NEUVIÈME MOTIF.

Les grands secours que les saints anges nous donnent à l'heure de la mort, et après la mort.

Si l'un des plus grands philosophes a estimé que la mort était la chose la plus terrible de toutes les terribles, quoiqu'il n'eût pas la connaissance de ses suites, que doivent penser les Chrétiens, à qui Dieu tout hon les a si miséricordieusement révélées ? Quand un esprit considère sérieusement que de cet instant épouvantable dépend la décision d'une éternité bienheureuse ou malheureuse ; que bien peu, et très-peu y reçoivent une sentence favorable pour la sainte éternité ; et que la plupart du monde y est  condamné aux flammes impitoyables de l'enfer pour un jamais ; il faut être plus qu'insensible pour n'avoir pas le cœur transpercé de la dernière frayeur. Mais croyons-nous à ces paroles du Fils de Dieu qui nous apprennent que le chemin de la vie est bien étroit, et qu'il y en a bien peu qui le trouvent ? (Matth. VII, 14) Croons - nous à cette vérité effroyable, qu'il' nous a révélée, qu'il y en a bien pen de sauvés :' (Matth. XX, 16.) Songeons-nous que nous allons, ou pour mieux dire, que nous courons à la mort, où il faudra faire l'expérience de ces infaillibles mais redoutables paroles, vous qui lisez ceci, et moi qui vous l'écris ? Quoi 1 sera-t-il donc vrai, qu'à peine le juste sera sauvé (ce qui fait trembler les âmes les plus innocentes), et que le pécheur vivra dans l'assurance, comme si à la mort le paradis lui était dû et qu'il n'y eût rien à craindre pour lui ? Ô mon Dieu et mon Seigneur ! N’entrez pas en jugement avec votre pauvre serviteur, parce que personne ne sera justifié en votre divine présence. (Psal. CXLII, 2) Le saint abbé Agathon étant sur le point de mourir, était saisi d'une extrême frayeur ; et comme ses disciples étonnés lui demandaient s'il avait quelque chose en sa conscience qui fût un juste sujet d'une telle crainte, il leur répondit que par la grande miséricorde de Notre-Seigneur sa conscience ne lui donnait aucun remords ; mais que les jugements de Dieu étaient bien autres que ceux des hommes. Toutes nos justices, nous enseigne l'Écriture (Job XXV, 4-6), ne sont qu'ordures, quand elles paraissent devant sa divine pureté.

Si donc les saints anges nous rendent de grands secours à cette heure terrible, c'est pour lors qu'ils nous montrent bien qu'ils sont nos véritables amis. On reconnaît le véritable ami dans l'affliction, et lorsqu'on est dans un grand délaissement. Or quelle affliction semblable à celle de la mort, où il s'agit de tout perdre ou de tout gagner, et où tout le monde nous quitte généralement et sans réserve : les maris, leurs femmes ; les pères et mères, leurs enfants ; les plus fidèles amis, les personnes qui leur sont plus chères. Personne ne nous tient compagnie au tombeau ; l'âme s'en va seule dans l'éternité ; le corps s'en va seul dans le sépulcre. Oh ! Quelle étrange solitude, et qu'elle mérite bien de faire souvent l'occupation de nos esprits ! Toutes les créatures de la terre nous abandonnent ; pas une seule ne nous vient défendre au jugement de Dieu : les plus grandes amitiés de ce monde se terminent à la mort ; c'est un privilège de l'amour angélique, dont la durée s'étend au delà de la mort même : aussi il ne faut pas se lasser de le répéter, ce sont les non pareils en matière d'amour.

Notre-Seigneur a révélé que les âmes qui avaient eu une dévotion particulière aux saints anges pendant leur vie, en recevaient des assistances extraordinaires dans le temps de la mort, et il est bien juste ; car enfin Notre-Seigneur, le Dieu de la grande éternité, récompense pour lors la digne réception de ses ambassadeurs ; son honneur y est intéressé ; car le bon ou le mauvais traitement que l'on fait aux ambassadeurs d'un roi, retourne sur sa personne, et les docteurs tiennent pour un sujet légitime de guerre l'affront qu'un ambassadeur aura reçu. Or les saints anges sont les ambassadeurs du Roi des rois : que ne méritent donc pas ces gens, qui à peine les ont regardés, à peine ont pensé à eux, à peine les ont remerciés, mais les ont traités avec la dernière des ingratitudes, avec les derniers mépris, rebutant leurs avis, se rendant insolents à leurs remontrances ? Mon Dieu, que cet instant de la mort nous apprendra de choses 1 Oh 1 que bienheureuses sont les âmes qui par leur soumission aux saints mouvements que ces esprits d'amour leur auront inspirés, par l'amour et la dévotion qu'elles auront eus pour ces charitables intelligences, seront en état d'en recevoir les assistances parti­culières , et la glorieuse récompense de Dieu 1

Après la mort, les saints anges présentent nos âmes devant le tribunal de Dieu, et y défendent notre grande cause de l'éternité. Oh 1 qu'il fait bon pour lors d'avoir de si bons et si zélés avocats ! Ils nous accompagnent dans la gloire tout comblés de joie. Ils nous visitent dans le purgatoire, et nous y rendent tous les offices imaginables que l'un peut attendre de la plus belle et de la plus constante amitié. Ils y consolent les âmes, mais à leur manière angélique, c'est-à-dire, d'une consolation toute céleste, dont toutes les joies de ce monde ne sont que des ombres et de pures apparences : ils y procurent leur soulagement ou leur délivrance, par les prières qu'ils inspirent de faire pour elles, par les messes, par les aumônes, par les mortifications ; et quelquefois même ils paraissent visiblement pour y exhorter, en se servant des espèces de notre imagination, représentant les personnes que l'on a connues, particulièrement durant le sommeil. Enfin, le docte Suarez estime qu'ils recueilleront au jour du jugement les cendres de ceux dont ils auront été gardiens. Que peut-on ajouter à des soins si amoureux et si fidèles ? Mais pourquoi des amours si précieux pour de si chétives créatures, si ce n'est que dans la créature ils y regardent Dieu seul

 

DIXIÈME MOTIF.

La dévotion des saints anges est une marque d'une haute prédestination.

Si nos yeux étaient un peu plus ouverts aux vérités éternelles, toute notre consolation serait d'être quelque chose dans la glorieuse éternité. Tout ce qui passe est méprisable ; et dès lors qu'une chose finit, quelque satisfaction qu'elle peut donner, quelque honneur qui en puisse arriver, l'on n'en doit pas faire grand état. Que sont devenus ces fameux conquérants de la terre, les Alexandre et le •s César ? Où sont leurs lauriers et leurs couronnes 1 Que leur reste-t-il de leurs triomphes et de leurs victoires ?

,

Allons, mon âme, allons en esprit dans ces cachots de feu et de flammes où ils brûlent depuis tant de siècles, et voyons dans ce funeste lieu de toutes les misères, ce q.>`2 les richesses, les plaisirs et les honneurs de cette vie périssable leur ont servi. Toutes ces choses ont passé, et ils ont passé avec toutes ces choses ; il ne leur en reste que de funestes désespoirs, et une rage continuelle, des tourments qui dureront toujours et qui sont inconcevables. Dans la vérité, il n'Y a que le bien ou le mal éternel qui doivent nous toucher. Répandons ici des larmes sur l'aveuglement des hommes.

Le cœur humain est fait pour de grandes choses, et il ressent je ne sais quoi en lui-même qui lui donne de forts mouvements, pour la grandeur. Ainsi l'on aspire toujours à quelque chose de plus que ce que l'on a. Le soldat voudrait être capitaine, le capitaine général d'armée, le général d'armée serait bien aise d'être prince, le prince désirerait d'être roi, le roi souhaiterait être le monarque du monde : car il est vrai, par une induction générale en toutes sortes de conditions, que l'on aspire toujours à a• : .r plus, à être quelque chose de plus que l'on n'est. Il n'y a que pour le ciel et pour l'éternité que l'on demeure dans une bassesse (le cœur qui ne se comprend nullement. Vous entendrez des gens qui vous diront qu'ils ne se soucient pas d'être les derniers du paradis. A la vérité ce nous est bien encore trop de grâce, à nous qui ne méritons que les dernières places de 1°enfer : mais puisque notre Dieu très-miséricordieux nous invite et nous appelle à des honneurs si élevés, à la sainte éternité, il faut être le plus lâche du monde pour n'y pas aspirer généreusement. Soyez saintement ambitieux des meilleures grâces, nous enseigne le Saint-Esprit. (I Cor. xrr, 31.) Si vous aimez l'honneur, disent les saints, recherchez avec courage celui qui durera toujours. Sainte Thérèse et saint François de Borgia protestaient que pour un seul degré de gloire davantage, ils auraient été contents de brûler dans les feux du purgatoire jusqu'au dernier jour du jugement. Ces Mues éclairées en savaient l'importance ; celles qui sont toutes plongées dans la chair ne voient goutte dans ces pensées.

Mais, dira-t-on, les bienheureux ne sont-ils pas tous parfaitement contents ? Ils le sont tous assurément ; mais leur joie n'est pas égale. Deux hommes ont chacun un vaisseau plein de pierreries : l'on peut dire que les vaisseaux de tous les deux sont entièrement remplis ; mais si le vaisseau de l'un ne peut contenir que mille pierres précieuses, et que le vaisseau de l'autre en renferme un million, leur plénitude ne sera pas égale, et la différence de leur valeur sera très-grande. De même tous les bienheureux sont pleinement satisfaits ; mais la plénitude de leur satisfaction est bien différente. 1{. n'y a pas de' comparaison entre la félicité de l'heureuse Mère de Dieu et celle des autres saints. Comme une étoile diffère d'une autre en clarté, de même la résurrection des morts. La grande sainte Thérèse, dont nous venons de parler, dit que dans une vision surnaturelle on lui montra la différence de la gloire d'un ange d'un chœur plus élevé d'avec celle d'un ange d'un ordre inférieur, et qu'elle n'est pas concevable. Le docteur spirituel Thaulère, pour tâcher d'en donner quelque idée, dit qu'il y a plus de différence entre un bienheureux qui tient les premiers rangs dans l'Empyrée et un autre qui n'est pas si élevé, qu'il n'y a entre un roi et un paysan. Ces élévations toutes glorieuses où nous sommes si saintement appelés devraient bien rehausser notre courage, et nous donner des inclinations généreuses pour les honneurs de la belle éternité. Mais quand il n'y aurait que ce seul motif, que dans notre plus grande gloire éternelle Dieu y est plus glorifié éternellement, il faut renoncer au divin amour, ou il faut mourir à la peine pour devenir quelque chose dans l'aimable paradis. Un seul degré de la gloire de Dieu à une âme qui a le pur amour, quand il ne s'agirait que d'un moment, lui ferait souffrir dix mille morts et endurer dix mille martyres. Ici il s'agit, non pas seulement d'un degré, mais peut-être d'un million et de cent millions de degrés de gloire, et pour une éternité ; et 1 on ne s'en remue pas. Qu'il est vrai que nous aimons peu Dieu et ses sacrés intérêts ! Qu’il est vrai que nous nous aimons peu nous-mêmes !

Or la dévotion des anges contribue merveilleusement à la perfection du divin amour, et par suite à l'accroissement de la gloire du ciel. Ces esprits sont de vives flammes du pur amour ; il n'est pas possible de s'en approcher souvent sans prendre feu, et participer à leurs ardeurs. Avec les saints l'on se sanctifie ; avec les anges on devient tout angélique, c'est-à-dire tout céleste. C'est le propre de l'amour de rendre les personnes qui aiment semblables ; or ils ne peuvent pas nous ressembler : leur pureté est inviolable ; il est donc nécessaire que nous leur rassemblions. Leur vie a toujours été une vie du pur amour ; l'union que nous aurons avec eux nous eu procurera quelque rapport. Leurs soins auprès de Dieu pour nous nous obtiennent de grandes grâces, et ils ne se lassent jamais de nous les augmenter et de travailler en nous, afin que, par le fidèle usage que nous en ferons, nos mérites s'accroissent tous les jours de plus en plus. Ils nous façonnent à la perfection ; ce sont les grands maîtres de la vie spirituelle ; ils nous y élèvent avec des amours inénarrables. Quels profits ne ferions-nous passons une telle conduite, si nous étions plus sages ? Quand sainte Thérèse fut délivrée de ses imperfections et mise dans les plus pures voies de la perfection, une voix céleste lui dit qu'il ne fallait plus converser avec les hommes, mais avec les anges. La conversation des créatures d'ici-bas nous forme de grands obstacles à la sainteté ; celle des anges y fait faire des progrès admirables.

Mais comme la sainteté est rare, la dévotion à ces esprits célestes l'est aussi ; et dans le petit nombre de leurs dévots on n'en rencontre presque pas dont la dévotion aille plus avant qu'aux anges du dernier chœur. Il y en a très-peu qui excellent dans la dévotion des séraphins, des chérubins et des autres anges des premières hiérarchies. Nous lisons bien qu'un saint François, qu'une sainte Élisabeth de Portugal, et d'autres personnes saintes se sont rendus admirables dans cette dévotion ; aussi étaient-ils dé grands saints, et établis dans les voies les plus parfaites de la sainteté par les premiers des troupes angéliques, comme il se voit en la personne du même saint François, qui reçut les stigmates sacrés de Notre-Seigneur par un séraphin ; et en celle de sainte Thérèse, dont le cœur fut encore si amoureusement blessé par l'un des premiers séraphins du paradis. Si nous avions un peu du pur amour, ce serait assez de nous dire que Dieu seul, étant dans tous les anges, il y a plus de ce Dieu seul dans ceux qui sont les plus élevés. Ô Dieu seul, Dieu seul, Dieu seul !