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CLEF SYMBOLIQUE DES SAINTES ECRITURES
DANS L'ŒUVRE DE SWEDENBORG
PAR CHARLES BYSES

Messieurs et chers Collègues,


     Le résultat le plus net de l'évolution théologique du dix-neuvième siècle, dans les Églises protestantes, me paraît être le rejet de l'inspiration des saintes Écritures. M. H. Vuilleumier s'est expliqué là-dessus avec une noble franchise, il y a une dizaine d'années (1), et les aveux du professeur de l'Université ont été confirmés récemment, dans une de nos séances (2), par le secrétaire de la Commission des études de l'Église libre vaudoise. « Il faut, a dit en substance M. Henri Chavannes, - nier toute inspiration spéciale, même restreinte, de nos livres sacrés. Il faut combattre le dogme de l'inspiration et renoncer à ce mot, qui est synonyme d'infaillibilité. » Après avoir entendu ce travail, M. Paul Chapuis s'est félicité « d'avoir assisté à l'enterrement du dogme de l'inspiration. »

     Faut-il en croire absolument nos docteurs ? Leur verdict est-il sans appel ? Serait-ce un progrès de traiter la Bible comme un recueil de livres ordinaires ? Devons-nous renoncer à toute inspiration divine, entendue dans un sens réel ? Avec une théorie particulière de l'inspiration, celle de Gaussen par exemple, faut-il condamner l'inspiration elle même ?

     S'il en est ainsi, la situation me semble grave, pour les trois raisons suivantes :

     1°) C'est une rupture avec la Réformation et toute la tradition protestante. Il serait injuste de déprécier aujourd'hui le principe formel des réformateurs au profit du principe matériel. Ces deux colonnes leur étaient nécessaires pour la construction du nouvel édifice, et certes sans leur foi en la Bible nos pères n'auraient pu secouer le joug du pape et des conciles.

     2°) Actuellement encore, les différentes Églises qui se rattachent à la Réforme, y compris l'anglicanisme, tiennent en général l'Écriture pour inspirée. Cette croyance s'est conservée surtout dans les milieux les plus vivants, les plus zélés pour les missions, les plus riches en bonnes oeuvres; et, si elle ne s'exprime pas par une formule satisfaisante, elle n'en est pas moins vivace, car elle repose sur l'expérience de la plupart de ceux qui ont été mis, dès leurs jeunes années, en contact avec la Bible. Certaines parties de celle-ci, notamment les Évangiles, les ont atteints dans leur conscience et touchés dans le centre de leur personnalité comme aucun autre livre ne l'a fait. Des écrits qui produisent dans leur âme de pareils résultats doivent être inspirés! Ils en ont la preuve intérieure, et cela leur suffit.

     3°) Le christianisme positif, c'est-à-dire l'Église chrétienne dans toutes ses branches, a toujours reposé sur une Bible inspirée. On peut donc se demander avec inquiétude jusqu'à quel point la foi spécifique en Jésus-Christ pourrait se maintenir, lorsqu'on aurait cessé d'admettre la divine inspiration des Évangiles. L'historicité réelle de ces quatre livres une fois renversée, n'en arriverait-on pas logiquement à nier l'incarnation du Verbe, la parfaite sainteté du Christ, sa résurrection et son ascension, son retour par le Saint-Esprit, son unité avec Dieu le Père et son titre de Rédempteur, ou du moins à prendre toutes ces doctrines dans un sens vague et rationaliste, qui les priverait de leur vertu? Cette perspective n'est que trop vraisemblable.

     Ainsi la critique sacrée, qui mérite souvent l'épithète de « négative, » est loin d'avoir remporté la victoire sur toute la ligne. Le point de vue de la piété entre fréquemment en conflit avec le point de vue de la science. Le malaise est grand alors au sein des troupeaux. Quelquefois les pasteurs, loin de rassurer les laïques, sont les premiers à s'épouvanter. Cet antagonisme, que nous avons plus d'une fois constaté dans nos entretiens, constitue un des caractères et l'une des plus graves maladies du protestantisme contemporain.

     Il n'y a là, direz-vous peut-être, qu'un phénomène tout naturel. C'est l'opposition des deux tendances qu'en politique on nomme la droite et la gauche, tendances dont l'une est tournée vers le passé et dont l'autre regarde l'avenir. Sans doute; mais, quand l'esprit de progrès et de réforme entre en lutte trop véhémente avec l'esprit de conservation, l'existence de la société se trouve compromise. La guerre sourde que nous pouvons tous remarquer entre le parti de la piété fervente et le parti de la science finira par un éclat et une déchirure, s'il ne se fait un rapprochement, une conciliation.

     En effet, on ne peut pas s'attendre au triomphe pur et simple de l'un ou de l'autre. La science, représentée par les professeurs de théologie et de philosophie, ne saurait renoncer à ses conquêtes, dont un bon nombre au moins paraissent certainement définitives. D'autre part, la piété vive et pratique ne semble nullement disposée à cesser de croire à l'inspiration toute spéciale des Écritures. Pour qu'une scission soit conjurée au sein du protestantisme et qu'un traité de paix soit signé entre les deux camps, il faut donc que de part et d'autre on s'élève à une synthèse des éléments vraiment chrétiens contenus dans les points de vue qui se heurtent sous nos yeux. Cette solution est-elle possible? Y a-t-il une notion de l'inspiration biblique qui, tout en satisfaisant les âmes pieuses, respecte pleinement les recherches de la critique et les affirmations de la science? J'en ai l'espoir, et c'est ce sentiment qui inspire le travail que j'ai l'honneur de vous présenter.

     Il y a de par le monde une notion nouvelle de l'inspiration. Cette notion singulière s'est fait accepter par plusieurs esprits distingués, et de nombreuses Églises réunissant 15.000 membres la professent avec enthousiasme.

     Emmanuel Swedenborg (? 1772) a innové sur tous les points de la dogmatique ; mais sur aucun peut-être sa réforme n'a été aussi profonde et aussi surprenante qu'au sujet des saintes Écritures. C'est cette théorie que je désire vous faire connaître. je vous l'exposerai exactement, mais en abrégé, vu le peu de temps dont je dispose. Je vous dirai ensuite par quels avantages elle me paraît se recommander. Vos observations, Messieurs, pourront soit me confirmer, soit m'ébranler dans mon admiration pour un point de vue dont je me fais provisoirement l'avocat.

     L'Écriture Sainte est réellement, d'après Swedenborg, la Parole de Dieu; car le Seigneur l'a inspirée aux prophètes, non pas directement il est vrai, mais par l'intermédiaire d'esprits et d'anges remplis de sa présence ou de son « aspect. » Dans certains cas, les prophètes ont été « en esprit » ou ont eu des visions, c'est-à-dire ont été mis dans un état d'extase, qui leur permettait de voir et d'entendre les choses et les habitants du monde spirituel. Dans d'autres cas, ils percevaient de la bouche des messagers célestes les paroles de la révélation. Mais toujours c'étaient des extatiques, des visionnaires, des hommes élevés au-dessus de leur état physiologique habituel, et rendus capables de communiquer d'une façon plus directe avec le ciel et avec Dieu. Ils racontent souvent eux-mêmes les phénomènes surprenants auxquels ils doivent leur glorieuse vocation, leur supériorité sur leurs contemporains, la puissance de leur parole et de leurs écrits. Sans doute, ces phénomènes psychologiques sont taxés aujourd'hui d'hallucinations et il est de mode de leur dénier toute réalité objective; mais d'autre part, depuis une cinquantaine d'années, ils sont étudiés avec un intérêt croissant, et ces recherches vraiment scientifiques ont guéri du matérialisme et du rationalisme beaucoup de gens intelligents. Je veux parler du grand courant spirite, occultiste et théosophique, qui prête, je l'avoue, à de sérieuses objections, mais qui a le mérite de réagir fortement contre l'incrédulité savante et de fournir à des milliers de personnes de nouvelles raisons de croire au monde invisible.

     Un certain mysticisme s'est répandu dans tous les pays christianisés à travers les diverses classes de la société; aussi étonnerons-nous moins que nous ne l'aurions fait il y a une ou deux générations, en disant que l'extase, paraît avoir été le mode primitif de perception pour les choses de l'esprit, que l'homme avant la chute a joui de sens spirituels qui le mettaient en relation avec les anges, que par conséquent les prophètes, les évangélistes et surtout Jésus lui-même, en étant favorisés de visions et d'extases, loin de donner les preuves d'une perturbation maladive de leur cerveau, nous font voir plus ou moins exactement ce que serait l'humanité normale dans ses rapports avec le royaume des cieux. Ainsi affranchis dans une certaine mesure des liens de la chair et du sang, ces organes de la Divinité ont perçu par les sens de leur corps spirituel des scènes de l'univers invisible, des réalités supérieures que l'homme ordinaire ne peut contempler qu'après la mort et la résurrection. Les prophètes ne nous apportent pas simplement le résultat de leur propre sagesse ; ils nous transmettent avec fidélité, parfois sans les comprendre (3), les pensées de l'Éternel représenté par des esprits ou des anges, qui se confondent momentanément avec lui jusqu'au point de perdre le sentiment de leur individualité (4). Nous avons donc dans leurs écrits la Parole du Seigneur, le divin vrai même ou la révélation qui nous était nécessaire.

     Cependant Dieu ne pense ni ne parle exactement comme les hommes. Pour se rendre accessible à ses créatures, il doit s'accommoder à leur ignorance et à leur bassesse. Si révélation se modifiera donc suivant les capacités individuelles de ses instruments ; elle se moulera en quelque sorte sur leur état mental, respectant ainsi de la façon la plus scrupuleuse leur individualité sans rien sacrifier de la vérité divine qu'elle fait briller à nos yeux, comme cela ressort des quatre Évangiles considérés dans leurs divergences et dans leur unité. D'autre part, malgré la sublimité de son contenu, elle devra descendre à notre niveau, revêtir une forme intelligible, simple, populaire, vraiment humaine, si du moins elle est destinée à toutes les familles de notre race. Comment faire? Il y avait là pour la sagesse divine un problème singulièrement difficile. Voyons comment elle l'a résolu.

     D'après Swedenborg, il y a dans la Parole un sens interne ou spirituel ignoré jusqu'à maintenant. Ce sens spirituel est dans le sens naturel comme l'âme dans le corps, la pensée dans le langage et la volonté dans l'action, ou encore comme le cerveau entier au-dedans de ses méninges, les branches d'un arbre à l'intérieur de leurs écorces, et tout ce qui concerne la génération du poulet dans la coque de l'oeuf.

     « Lorsque le sens interne n'est pas connu, dit le voyant suédois, ou ne saurait juger de la divine sainteté de la Parole que comme d'une pierre précieuse d'après la matrice qui l'enveloppe et qui parfois ressemble à une pierre ordinaire, ou comme d'une cassette faite de jaspe, de lapis-lazuli, d'amiante, de talc ou d'agate, dans laquelle sont placés en ordre des diamants, des rubis, des sardoines, des topazes d'Orient, etc. Tant qu'on ignore ce que contient la cassette, il n'est pas étonnant qu'elle ne soit estimée que selon le prix de la matière qui se présente à l'oeil. Il en est de même de la Parole quant au sens de la lettre. »

     C'est dans le sens interne que l'Écriture contient les « arcanes du ciel, » c'est-à-dire les vérités religieuses dont nous avons besoin; c'est par ce sens longtemps caché qu'elle sert de lieu entre les cieux et la terre, qu'elle produit en nous ses effets les plus bienfaisants, qu'elle est l'esprit vivifiant la lettre et qu'elle mérite le nom de «Parole de Dieu. »

     Le sens spirituel paraît souvent très éloigné du sens littéral; il s'y rattache néanmoins de la façon la plus directe par la loi des correspondances, qui est une des plus profondes conceptions de notre auteur. Selon cette parole de Platon : « Toutes choses sont symboliques, » l'univers matériel, avec tout ce qu'il renferme, est le reflet, l'image, la représentation concrète de l'univers invisible. C'est cette exacte correspondance qui détermine la signification hermétique des termes employés par nos auteurs sacrés.

     Swedenborg n'a pas été le premier à croire à cette grande loi. Connue des hommes primitifs, qui la regardaient comme « la science des sciences, » cette haute conception se répandit dans un grand nombre des royaumes de l'Asie et parvint jusqu'en Grèce; mais partout elle dégénéra en mythologie, en idolâtrie ou en magie, aussi tomba-t-elle peu à peu dans l'oubli par un effet de la Providence divine. Les juifs eux-mêmes la perdirent complètement de vue, malgré le symbolisme d'un culte dont le sens spirituel leur échappait.

     Si la loi des correspondances n'a pas été dévoilée plus tôt, c'est que les premiers chrétiens étaient d'une trop grande simplicité pour en faire usage. Dès lors, diverses hérésies et les décrets des conciles couvrirent la chrétienté de ténèbres, qui empêchèrent de reconnaître le sens caché des Écritures. La Réformation confirma le dogme trinitaire et rattacha la justification à la foi séparée de la charité, faisant tout dépendre de cette foi falsifiée. Dans de telles circonstances, si le sens spirituel eût été découvert, les hommes l'auraient profané et se seraient par là fermé le ciel.

     Quand Swedenborg retrouva et divulgua la science des correspondances, ces inconvénients n'existaient plus, car il enseignait en même temps une dogmatique nouvelle, la seule qui concorde avec le sens interne de la Bible.

     Quelle que soit l'importance que notre réformateur attachait au sens mystique, je vous prierai de remarquer qu'il ne dédaignait pas pour cela le sens littéral; il en relevait, au contraire, la valeur considérable ou, pour mieux dire, l'absolue nécessité. Il illustrait cette idée par les comparaisons suivantes. Privée du sens externe, la Parole serait semblable à un palais sans fondement, à un temple sans toit et sans murs pour protéger les choses saintes, au tabernacle israélite sans ses couvertures, ses voiles et ses colonnes, au coeur et au poumon sans la plèvre et les côtes, au cerveau sans les téguments qui le renferment et le protègent, savoir la dure-mère, la pie-mère et le crâne. D'autre part, l'Écriture dans son sens externe est signifiée par la muraille de jaspe de la Nouvelle Jérusalem, par ses fondements, qui sont des pierres précieuses, et par ses portes qui sont des perles. Ainsi le sens littéral ou dernier de la Parole est la base, le contenant et l'affermissement du sens interne. Mais Swedenborg va plus loin encore. Selon lui, c'est dans le sens de la lettre que la Parole manifeste sa plénitude, sa sainteté et sa puissance; c'est également de ce sens que doit être tirée la doctrine chrétienne et par ce sens qu'il faut la démontrer.

     Les Écritures Saintes servent de trait d'union entre la terre et le ciel. Voici comment. Lorsque nous les lisons et que nous les comprenons dans le sens de la lettre, les anges les comprennent dans le sens de l'esprit. Elles nous unissent avec le Seigneur lui-même, car il est personnellement « la Parole, » c'est-à-dire le divin vrai et le divin bien qui la constituent. Il affirme, en effet, à plusieurs reprises, avoir accompli les Écritures et tout consommé. Dans ces divers passages, il est certainement entendu qu'il a réalisé toutes les parties de l'Ancien Testament (types, symboles, prophéties), et non pas simplement les préceptes du Décalogue.

     Dans le résumé que je viens de faire de la doctrine de Swedenborg sur l'Écriture Sainte, j'ai laissé de côté non seulement plusieurs points secondaires, mais encore un point essentiel, savoir la révision du canon, telle qu'elle ressort de l'admission d'un sens spirituel qui fait défaut à certains livres de nos deux Testaments. Voici les raisons de mon silence : 1°) La nouvelle conception du canon biblique n'étant que le corollaire de la croyance au sens interne de la Parole, il serait prématuré de la présenter à des personnes qui s'en tiennent au sens externe; aussi Swedenborg ne la développe-t-il pas dans ses deux traités sur l'Écriture. 2°) La justification de ce canon exigerait un travail spécial. 3°) Si j'abordais cette question brûlante, votre attention s'y porterait certainement plutôt que sur l'inspiration elle-même, et la discussion, manquant de base, ne saurait aboutir. Je réserve donc à une autre fois l'examen des changements que le Prophète du Nord a fait subir à notre canon.

     Quelque succinct qu'ait dû être l'exposé que vous venez d'entendre, je ne relèverai pour aujourd'hui que l'idée fondamentale qui caractérise la doctrine de notre auteur et en forme le centre. Cette idée centrale et féconde, c'est qu'il y a dans tous les passages de la Parole un sens interne et divin, qui en fait une révélation positive. Ce sens interne, caché dans le sens externe ou littéral comme l'âme dans le corps, se dédouble lui-même en sens spirituel et en sens céleste; mais, comme ce dernier est rarement à notre portée, Swedenborg emploie ordinairement les adjectifs interne et spirituel comme synonymes. Ainsi, selon que nous serons plus ou moins exacts, nous pourrons dire que l'Écriture a deux ou trois sens.

     Swedenborg n'a pas été le premier à prétendre que la Parole a une signification multiple. Cette théorie remonte très haut. Elle existait du temps de Jésus, se retrouve chez les gnostiques, comme dans la Kabbale; Origène l'accepta et donna trois sens à l'Écriture(5)(littéral, moral et spirituel). Sous l'influence de Jérôme et d'Augustin, l'Église adopta ce point de vue, qui fût celui de tout le moyen âge, sauf que, dès le sixième siècle, Euchère de Lyon rendit populaire l'idée d'un quatrième sens. Les écoles d'Antioche et d'Edesse en Orient, en Occident celle de Pélage, qui s'opposaient à la méthode allégorique, furent condamnées et dissoutes.

     Cette méthode régnait donc sans conteste quand parurent les réformateurs. Ils furent d'accord pour répudier résolument le sens multiple (allégorique, anagogique, tropologique) et pour proclamer que l'Écriture n'a qu'un sens, qui doit être déterminé par la grammaire. Ce principe nouveau, développé par Bengel, Ernesti, Schleiermacher, etc., a certainement affranchi l'exégèse de beaucoup d'explications arbitraires ; aussi a-t-il été reçu par les diverses fractions du protestantisme et même par l'Église catholique (6). D'après Aug. Sabatier, l'un des plus brillants représentants de la théologie moderne, l'interprétation doit être grammaticale, historique, logique et psychologique, pour rendre aussi complètement que possible le sens réel des textes sacrés (7).

     Ainsi, je l'avoue, une expérience de plusieurs siècles a fait rejeter la méthode allégorique. La tentative de Swedenborg semble donc, au premier abord, absolument désespérée. Cependant, en y regardant de plus près, on se rend compte que la victoire du sens unique n'a pas été aussi générale qu'on le pensait. Oehler parle « des exégètes comme Stier et d'autres, qui trouvent dans l'Ancien Testament un second, un troisième et même un quatrième sens à côté du sens historique et grammatical (8). » Or, si dans le protestantisme même la science ne se contente pas du sens unique, l'éloquence et la piété s'en accommodent encore moins. Il est notoire, en effet, que, dans les cercles et les Églises où la vie religieuse est ardente, les traités d'édification et les sermons interprètent allégoriquement les récits bibliques tels que la sortie d'Égypte, le voyage dans le désert, le passage du Jourdain, la conquête du pays de Canaan et la destruction des peuplades qui l'occupaient. Que dis je? les prédicateurs libéraux eux-mêmes sont amenés, par la nature des choses, à donner plus d'importance à ces applications spirituelles qu'aux faits matériels dont ils les tirent. Mais ce que je tiens surtout à vous faire observer, c'est que le symbolisme du voyant de Stockholm est très différent de l'ancienne allégorisation que les réformateurs ont répudiée. je vais essayer de définir deux caractères qui l'en distinguent. 1°) La méthode en question repose sur une philosophie de la nature, sur un système complet, aussi remarquable par l'intime liaison de ses parties que par son originalité. La théorie des trois sens - un externe et deux internes - découle d'une doctrine plus générale, celle des degrés, qui me paraît avoir une importance considérable, et qui, négligée jusqu'ici par la théologie officielle, commence à frapper les savants. Un livre tout récent(9) nous apprend, en effet qu'elle est admise par un membre de l'Institut et du Bureau des longitudes, M. H. Poincaré, professeur à la Sorbonne. La doctrine des degrés est trop profonde et trop complexe pour être vraiment comprise sans une étude sérieuse et prolongée. je veux cependant vous en présenter un aperçu, qui, malgré son insuffisance, vous fera voir au moins de quoi il s'agit.

     Les degrés continus ou degrés de largeur, que nous connaissons tous, indiquent des différences dans la qualité d'un être ou d'un objet, marquent des variations, du plus ou du moins quant à la chaleur, au poids, aux dimensions, à la densité, etc.

     Mais, à côté des degrés continus, Swedenborg établit les. degrés discrets, c'est-à-dire distincts ou séparés, ou degrés de hauteur, qui indiquent des plans d'existence totalement différents. On peut les comparer à des étages ou aux marches d'une échelle. Il n'y en a que trois, qui sont l'un à l'égard de l'autre comme la fin, la cause et l'effet. La fin, ou le but, est un sentiment, une intention, une volition ; la cause est une pensée; l'effet est un acte, une manifestation quelconque. Ces trois degrés se retrouvent partout, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes; seulement, tandis qu'ils sont finis chez l'homme et dans la création, ils doivent être infinis en Dieu.

     À la lumière de cette théorie, la Sainte Trinité cesse d'être un scandale pour notre intelligence et s'explique rationnellement. Elle devient le Dieu triun, consistant en trois facultés ou essentiels : 1°) le divin amour (catégorie de la fin) ; 2°) la divine sagesse, ou le Verbe qui revêt l'humain en Jésus-Christ (catégorie de la cause) ; 3°) la divine énergie ou la divine opération, qui procède des deux premiers essentiels réunis (10). Voilà, sous d'autres noms et sans les erreurs de la théologie orthodoxe, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

     Ce trine, qui nous permet de comprendre un peu plus profondément ce qu'est Dieu, est en parfaite analogie avec ce que nous savons de nous-mêmes. Nous distinguons, en effet, dans l'homme l'âme, le corps et l'énergie procédant de l'union du corps avec l'âme ; et cette sorte de trinité n'empêche en rien l'unité de la personne humaine.

     Ainsi, dans tous les domaines et chez tous les êtres, les trois degrés discrets sont présents, le but se réalisant dans l'effet par l'intermédiaire de la cause. « Qu'il n'y ait rien de parfait qui ne soit trine, c'est ce qu'enseigne la géométrie, affirme notre penseur; car la ligne n'est rien s'il ne se fait une surface, et la surface n'est rien s'il ne se fait un corps. Il faut donc que l'un aboutisse à l'autre, afin de coexister, et il y a coexistence dans le troisième. Il en est ainsi de toutes les choses créées : elles ne sont réalisées et finies que dans le troisième degré. »

     L'univers dans son ensemble se répartit en trois régions la royaume céleste, le royaume spirituel et le royaume naturel. Le monde angélique se divise lui-même en trois cieux ; le troisième ciel est habité par, les anges célestes, le second par les anges spirituels, le premier par les anges restés plus ou moins naturels. L'homme, à son tour, a dans son mental les trois degrés de hauteur, qui peuvent :s'ouvrir successivement et par lesquels il communique avec les trois cieux, le plus souvent sans le savoir. Le premier de ces degrés fait l'homme naturel, supérieur à la bête ; le second, qui s'ouvre par la conversion, fait l'homme spirituel ; le troisième, dont l'ouverture a lieu rarement de nos jours, fait l'homme céleste. Ajoutons que les degrés discrets, ou plans de vie, se subdivisent à l'infini en degrés continus.

     Les trois sens de la Parole correspondent aux trois cieux, d'où ils émanent, et aux trois régions du mental, auxquelles ils s'adressent. Le sens céleste concerne surtout l'amour pour le Seigneur ou le bien suprême; le sens spirituel est plutôt relatif à la foi et à la charité ; le sens naturel s'applique aux usages terrestres ou aux oeuvres dans lesquelles l'amour et la foi doivent se réaliser. Ces trois sens, sont produits par la loi des correspondances, indispensable corollaire de celle des degrés. En effet, une des plus belles conceptions de Swedenborg, c'est que l'univers visible correspond exactement à un. univers invisible, auquel nous appartenons déjà par notre esprit. Et non seulement les choses naturelles correspondent aux spirituelles, mais encore, comme elles en procèdent, elles les représentent et les signifient. Tout ce qui nous entoure est symbolique, et la création peut être appelée le « théâtre représentatif » du royaume du Seigneur et de sa gloire céleste.

     Vous le voyez, Messieurs, la doctrine du sens interne des Écritures, loin d'être une hypothèse en l'air, repose sur une philosophie sérieuse et bien liée, d'autant plus difficile à battre en brèche que nous n'avons aucun autre système à lui opposer, vu le désarroi philosophique dont le protestantisme donne présentement le spectacle.

     2°) Le symbolisme dont je me suis fait le champion se distingue, en outre, par le fait qu'il émane non d'un professeur de théologie ou de philosophie, mais d'un savant illustre et de plus en plus admiré; d'un homme qui, jusqu'à l'âge de cinquante-sept ans, a exploré avec une rare sagacité et un succès croissant les différents règnes de la nature; d'une intelligence encyclopédique et puissante, qui a embrassé sans effort toute la science du dix-huitième siècle et pressenti celle du nôtre. Il y a là quelque chose de nouveau et peut-être d'unique dans les annales de l'Église. La science proprement dite manque presque toujours aux grands docteurs du christianisme. Quelles étaient les connaissances positives d'un Origène, d'un Jérôme et d'un Augustin, de nos réformateurs, des exégètes et des dogmaticiens qui leur ont succédé, d'un Schleiermacher, d'un Tholuck, d'un Hofmarin, d'un Rothe, d'un Beck ? En y réfléchissant quelque peu, vous comprendrez, je l'espère, quelle immense supériorité Swedenborg possédait sur tous ces théologiens par le fait qu'avant de se mêler de théologie il avait approfondi toutes les sciences naturelles, enrichissant, aiguisant et disciplinant, jusqu'à la limite du possible, son esprit d'ailleurs si merveilleusement doué. Rien d'étonnant à ce que cette préparation vraiment exceptionnelle, jointe à une spiritualité peu commune, même dans le corps enseignant des Églises protestantes, l'ait amené à comprendre le livre des livres plus profondément que ses prédécesseurs! Son exégèse échappe à l'arbitraire, parce qu'elle s'appuie à chaque pas sur la nature rigoureusement observée. D'autre part, elle évite tout conflit avec les savants; car elle fait usage d'une méthode qu'ils ne connaissent pas, qui se meut dans un domaine plus élevé que le leur, qui par conséquent ne saurait ébranler ce qu'ils ont réellement établi. Le sens interne des Écritures, devenu l'unique objet de ses investigations, n'a rien à faire avec leur science, qui ne dépasse point le monde naturel.

     Mais de ces arguments trop généraux passons aux détails et aux exemples, sans lesquels il est impossible que vous vous rendiez bien compte de l'herméneutique de Swedenborg.

     En conséquence du point de vue philosophique dont je vous ai donné l'esquisse, les mots employés par les auteurs sacrés se classent non d'après la fantaisie de l'exégète, mais d'après les divisions que lui fournit la science. Chaque catégorie d'êtres et d'objets naturels correspond à une catégorie de choses spirituelles et célestes.

     Ainsi notre soleil, qui, selon plusieurs prophéties, doit « s'obscurcir » et « se changer en ténèbres, » est l'image du soleil divin, dont la lumière est sagesse et la chaleur amour. Le Seigneur lui-même est représenté par ce soleil spirituel, immédiate émanation de son essence et source intarissable de vie pour toutes les provinces de l'univers. Aussi, lors de la transfiguration, « son visage devint-il resplendissant comme le soleil. » (Comp. Apoc. 1, 16.)La venue du Sauveur est annoncée sous la figure d'un lever de soleil, de la lumière d'un matin sans nuages. (2 Sam. XXIII, 3, 4.) « Sur vous qui craignez mon nom se lèvera le soleil de la justice, et la guérison sera sous ses ailes. » (Mal. IV, 2.) C'est grâce à cette correspondance que certains peuples ont adoré le soleil matériel. Si cet astre enflammé, source de toute chaleur et de toute vie dans la sphère dont il est le centre, symbolise le divin amour, la lune, avec sa pâle et froide lueur, simple reflet de la splendeur solaire, symbolisera la divine sagesse ou la foi et la vérité. « Ton soleil ne se couchera plus, et la lune ne s'obscurcira plus (11); car Jéhova sera ta lumière à toujours et les jours de ton deuil seront passés. » (Esaïe LX, 20.) Le prophète décrit ici l'économie glorieuse où le divin amour du Seigneur et sa divine vérité régneront sans partage dans l'humanité rachetée. Comparez Esaïe XXX, 26 : « La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus grande, comme la lumière de sept jours. »

     Les étoiles, qui éclairent notre globe, bien faiblement sans doute, pendant la nuit, sont les connaissances du vrai et du bien, qui brillent çà et là dans les ténèbres de notre ignorance. L'étoile qui conduisit au berceau de Jésus les mages d'Orient représentait la connaissance venant du ciel, en particulier l'antique espérance de l'avènement d'un Sauveur. Quand le Seigneur apparut à Jean, « il avait dans sa main droite sept étoiles, » donnant à entendre par là qu'il possède toutes les connaissances religieuses et morales ; il les communique à son Église et plus directement aux anges .qui sont associés avec elle. « Les sept étoiles sont les anges des sept Églises. » Nous pouvons comprendre maintenant les prédictions telles que celle-ci, touchant le retour du Seigneur : « Le soleil s'obscurcira, la lune ne répandra pas sa clarté, les étoiles tomberont du ciel et les puissances des cieux seront ébranlées. » (Mat. XXIV, 29; comp. Joël 11, 10; XIII, 15 ; Apoc. VI, 12, 13 ) Il ne s'agit pas ici d'une catastrophe cosmique, dont la description serait bien peu conforme à notre science actuelle, mais d'un état des esprits, d'une période où les hommes n'auront plus d'amour pour Dieu, ni d'intelligence spirituelle, où même les rares connaissances du bien et du vrai qui peuvent subsister. en dehors de la révélation auront disparu.

     La chaleur, qui nous vient du soleil de notre système astral, représente l'amour qui procède du soleil spirituel considéré comme un feu. Son contraire, le froid, représentera donc l'absence d'affection, l'indifférence, l'égoïsme, j'allais dire la froideur. Car ici, comme dans plusieurs autres cas, le symbole est si naturel qu'il est compris de tout le monde, et que le terme matériel est employé couramment pour désigner une chose spirituelle. L'amour le plus pur était représenté dans le culte israélite par le feu de l'autel, feu qui consumait les sacrifices et que parfois on voyait tomber du ciel.

     C'est le moment de faire une observation de grande importance pour la compréhension du point de vue de Swedenborg. La plupart des expressions bibliques, outre leur sens spirituel direct, ont encore un sens opposé. Le soleil et la chaleur, qui s'entendent ordinairement des bonnes affections, peuvent s'entendre aussi des mauvaises. La lune, la lumière et tous les mots qui désignent la foi, l'intelligence, la vérité, s'appliquent parfois à la fausseté, à la stupidité et au mensonge. Ainsi l'arc signifie d'abord la doctrine du vrai, et cela en raison des traits, flèches ou javelots, c'est-à-dire des doctrinaux avec lesquels combattent les hommes spirituels, qui, à cause de cela, furent appelés tireurs d'arc. Les arcs appartiennent à Jéhova, il a tendu son arc; dans l'Apocalypse, le personnage qui monte un cheval blanc, et auquel on doline une couronne, tient un arc dans Sa main. Mais, dans quelques passages, l'arc et les flèches sont entendus des doctrines fausses. « Ils tendent leur langue, leur arc, pour le mensonge et non pour la vérité. » (Jér. 3.) « Les impies tendent l'arc, ils ajustent leurs flèches Sur la corde pour les lancer dans les ténèbres contre ceux qui ont le coeur droit. » (Ps. XI, 2.) « Jéhova brise l'arc, il coupe la lance, il brûle les chariots au feu. » (Ps. XLVI, 10.) En général, il n'est pas difficile de choisir entre le sens direct et le sens opposé d'une expression ; il n'y a pour cela qu'à jeter un coup d'oeil sur la série à laquelle elle appartient, c'est-à-dire sur l'ensemble du passage.

(12)En rapport avec la chaleur et la lumière, les quatre régions du ciel ou les points cardinaux ont également un sens mystique. L'Orient et l'occident sont relatifs aux affections ou à la Volonté, le midi et le nord le sont aux pensées ou à l'intelligence. Ainsi tous les degrés du vrai et du bien, tous les mélanges de la foi et de l'amour, sont symbolisés par la situation et l'orientation d'une société ou d'un individu. Le haut et le bas sont plus aisés à comprendre dans le sens spirituel. Le premier de ces mots désigne les choses célestes et bonnes, le second les choses terrestres et mauvaises, Haut est d'ailleurs synonyme d'interne et bas synonyme d'externe. 

     Les nombres - qui jouent un si grand rôle dans la philosophie de Pythagore et dans la structure de l'univers - représentent les qualités des êtres. Deux rappelle l'union des deux facultés divines et humaines, l'intelligence et la volonté. C'est le chiffre des grands commandements, des. tables de la loi, etc. Trois suggère l'idée du Dieu triun, des degrés discrets, des trois cieux, des trois atmosphères, par conséquent de quelque chose de complet. De là les trois fêtes juives, les trois parties du tabernacle et du temple, les trois jours et trois nuits passés par Jonas dans le monstre marin et par Jésus dans le sépulcre, Pierre reniant trois fois son Maître et trois fois lui exprimant son amour. Quatre, cinq, sept, douze, mille et leurs multiples sont également expliqués d'une manière ingénieuse et plausible. Il est évident, en effet, que, dans beaucoup de passages, les chiffres n'ont d'intérêt sérieux, ou même ne correspondent à une réalité, que grâce à l'interprétation symbolique.

     Le roc est d'abord l'emblème du fait solide, inébranlable, qui sert de fondement, puis de la vérité révélée, sur laquelle nous devons élever l'édifice de notre salut. Jéhova est fréquemment nommé le rocher, mon rocher, le rocher de mon refuge, le rocher d'Israël. « Il n'y a point d'autre rocher que notre Dieu. » Dans le désert, les Israélites « buvaient du rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était Christ. » (I Cor. X, 4.) Le disciple qui le premier confessa Jésus comme « le Christ, le fils du Dieu vivant, » fut en récompense appelé Céphas ou Pierre, et son Maître lui dit: « Tu es Pierre (ou de pierre), et sur cette pierre (ou ce roc) je bâtirai mon Église. » Ce roc est la vérité fondamentale de la divine humanité du Sauveur. Sans doute, le premier des apôtres n'était pas personnellement le rocher, « la principale pierre de l'angle, » mais il personnifiait la foi chrétienne, positive et solide, et fut choisi pour représenter cet élément dans l'Église.

     Par les pierres ordinaires, opaques et sans beauté, on entendait parfois les réalités inférieures, les faits de l'ordre naturel et scientifique. Les pierres précieuses, qui reflètent si brillamment et par des feux si variés les rayons du soleil, signifiaient « les divins vrais dans les derniers de l'ordre, » c'est-à-dire les vérités révélées telles, qu'elles transparaissent dans la lettre de la Parole. Les douze pierres resplendissantes que le grand prêtre juif portait sur sa poitrine, en mémoire des douze tribus, n'intéressent plus aujourd'hui que par leur symbolisme. J'en dirai autant de celles qui, dans l'Apocalypse, ornent les fondements de la Nouvelle Jérusalem. La signification de chacune d'elles est déterminée par sa couleur. Le rubis, la topaze et l'escarboucle se rapportent à l'amour céleste du bien ; la chrysoprase (13), le saphir et le diamant à l'amour céleste du vrai ; le lapis-lazuli, l'agate et l'améthyste à l'amour spirituel du bien ; enfin la chrysolite, l'onyx et le jaspe à l'amour spirituel du vrai.

     Les couleurs en effet, provenant des modifications ou des variations de la lumière et de l'ombre, dénotent l'état ou la qualité des êtres au point de vue de la sagesse et de l'intelligence. Elles manifestent aux yeux la mentalité des hommes, des esprits, des anges, des satans et des diables, dans son infinie diversité et son incessante fluctuation; par leur richesse et leur magnificence, elles reflètent même les attributs du Seigneur ou de l'homme parfait. Je n'entrerai pas dans ce sujet, que le savant suédois a traité avec une grande profondeur et auquel le baron Frédéric Portal a consacré un volume remarquable (14).

     Les métaux sont des minéraux, mais ils se distinguent des pierres par la faculté qu'ils ont d'être fondus, coulés, moulés, de manière à prendre aisément les formes les plus diverses. Les quatre métaux composant l'immense statue que Nébucadnetsar vit en songe correspondent aux états successifs que l'Église traversa depuis le commencement du monde jusqu'à la venue du Christ. L'âge d'or et l'âge d'argent sont les deux périodes préhistoriques où les hommes furent d'abord célestes, puis spirituels, pour employer le vocabulaire de Swedenborg. L'or, où le soleil semble avoir déposé une étincelle de son feu et dont nous ne risquons pas de méconnaître la suprématie, l'or correspond au bien le plus élevé, l'amour de Dieu. L'argent, qui fait penser à la blême lueur de la lune, correspond à la vérité ou à la foi, qui se rattache à l'amour du prochain. Le cuivre et le fer sont des métaux moins nobles. Aussi le cuivre (ou l'airain) représente-t-il le bien naturel ou externe, et le fer le vrai naturel, le principe légal, la dure nécessité. Il est parlé de « gouverner les nations avec une verge de fer, » de « les écraser avec un sceptre de fer. » Ces passages n'annoncent pas autre chose que la répression des maux provenant de l'enfer, et leur destruction par la puissance de la vérité contenue dans la lettre de la Parole et par l'application des lois.

     Plus élevés que les minéraux sur l'échelle de la création, les végétaux servent encore mieux à illustrer les choses de l'esprit. Les arbres en général symbolisent les perceptions de l'homme céleste et les connaissances de l'homme spirituel; les arbres fruitiers ont rapport à la connaissance indispensable pour pratiquer le bien. L'arbre des vies et l'arbre de la connaissance du bien et du mal sont l'emblème de deux états séparés par la chute comme par un abîme. Dans le premier de ces arbres notre théologien voit la divine miséricorde, dont procèdent tout amour et toute vérité, par conséquent toute vie; dans le second la foi provenant du sensuel ou de la science. Dès lors, manger du fruit de ce dernier arbre, c'est vouloir pénétrer les mystères de la religion par le moyen des sensuels et des scientifiques. Cette recherche aboutit au doute et à l'incrédulité. En effet, les vérités spirituelles et célestes ne peuvent être découvertes par l'homme livré à ses seules ressources; mais, une fois qu'elles lui ont été révélées, il trouve dans sa raison et dans la science, c'est-à-dire en lui-même et dans le monde, de nombreux arguments pour les confirmer.

     L'olivier, la vigne et le figuier, souvent mentionnés dans l'Écriture, se rapportent aux trois degrés du mental. Par l'olivier sont signifiés le bien ou la perception de l'amour céleste, l'Église céleste et le troisième ciel; par la vigne le vrai provenant du bien, l'Église spirituelle que caractérisent la foi et la charité, le deuxième ciel; par le figuier le bien naturel ou le bien de l'homme externe, l'Église externe (par exemple le judaïsme) et le premier ciel.

     Une forêt désigne l'ensemble des connaissances purement naturelles, tandis qu'un jardin et un paradis indiquent l'intelligence et la sagesse des membres de l'Église ou des vrais croyants.

     Les diverses parties du végétal ont également un sens allégorique. Les graines ou semences sont les vérités naturelles ou spirituelles, qui, reçues par le mental bien disposé comme par un terrain fertile, se multiplient à l'infini. Les racines sont les affections; le tronc est la vérité scientifique et rationnelle ; les branches sont les connaissances qui s'y rattachent ; les feuilles symbolisent les croyances et toutes les choses du domaine de l'entendement; les fruits enfin sont les biens de la charité ou les usages généralement appelés bonnes oeuvres.

     En passant de l'empire inorganique (minéraux et plantes) à l'empire organique, nous quittons le domaine de la pensée pour entrer dans celui du sentiment. Les animaux, en effet, figurent d'une manière frappante les passions nobles ou coupables des diverses catégories d'hommes, leur caractère dominant. C'est ce qui ressort du Rheinecke Fuchs, illustré par Kaulbach, comme des fables de La Fontaine, pour ne pas remonter plus haut. Nous voyons dans les bêtes de la terre ou des champs les instincts de l'homme naturel. La distinction entre animaux purs et animaux impurs s'explique d'elle-même. Ceux qu'on devait choisir pour les sacrifices symbolisaient les bonnes affections que nous devons apporter au Seigneur, en reconnaissant qu'elles nous viennent de lui et en le priant de les employer à sa gloire.

     Pour le dire en passant, Swedenborg résout ici d'une façon inattendue un des problèmes les plus embarrassants que l'Ancien Testament pose à la théologie contemporaine, celui de la valeur des sacrifices. Les moutons, les chèvres et les boeufs correspondent aux trois degrés de notre amour pour Dieu et pour nos semblables, en d'autres termes à ce double amour d'abord céleste, puis spirituel, enfin naturel. L'agneau représente l'innocence, c'est-à-dire l'état le plus pur et le plus élevé, celui des habitants du troisième ciel. Le Seigneur est nommé l'Agneau de Dieu ou simplement l'Agneau, parce qu'il est l'innocence même et que toute sainteté provient de lui seul. Les brebis, dont parle Jésus et dont il se déclare le berger, sont les gens vraiment religieux, les bons de toute catégorie. Les boucs, qu'un passage bien connu leur oppose, ne sont pas tous les méchants indistinctement, mais les hommes qui ont la foi sans la charité, ceux dont la religion tout intellectuelle ne produit pas d'oeuvres intérieurement bonnes.

     Il y aurait encore des choses fort intéressantes à dire sur le cheval et l'âne, sur le lion, le léopard, le porc, le serpent, etc. ; sur les oiseaux et les poissons. Mais il est temps de m'arrêter.

     Un mot encore avant de quitter ce sujet.
Notre corps, dans sa forme générale et dans chacune de ses parties, correspond à notre mental, en même temps qu'au ciel et au Seigneur. Le coeur représente la faculté d'aimer et de vouloir; le sang, qui en procède, est la vérité divine ou le principe de la charité. Les poumons représentent l'intelligence, la faculté de penser et de comprendre ; dès lors la respiration, le souffle, l'esprit, ont rapport à la foi et à la vérité. La tête, le tronc, les jambes, sont les trois degrés de hauteur. L'épaule, le bras, la main, la droite surtout, indiquent la puissance. Les pieds rappellent les principes inférieurs, les sentiments de l'homme naturel, d'où la coutume symbolique du lavement des pieds.

     Cet exposé du sens interne, tel que l'entend Swedenborg, vous a paru long, je le crains ; il est néanmoins trop court et trop sec pour vous faire sentir toute la richesse et toute la profondeur de cette nouvelle exégèse. Il suffira pourtant, je l'espère, pour vous convaincre que la méthode inaugurée par notre philosophe, loin de favoriser l'arbitraire comme l'allégorisation d'Origène et des mystiques, repose d'aplomb sur les lois et les phénomènes de la nature scientifiquement observés, et se distingue de toute autre par la logique la plus rigoureuse.

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     Pour compléter cette étude sommaire il me reste, Messieurs, à vous indiquer plusieurs avantages que me paraît offrir la méthode herméneutique de Swedenborg.

     1°) Le premier, c'est qu'elle met la Parole de Dieu ou la révélation à l'abri des coups de la critique. Que certains récits soient exacts ou arrangés, authentiques ou non, que les livres de la Bible proviennent ou ne proviennent pas des siècles et des auteurs auxquels on les a longtemps attribués, peu nous importe ! Ce qui importe souverainement, c'est le sens interne, et ce sens ressort aussi bien d'un mythe, d'une légende, d'une narration fictive ou d'une parabole que d'événements réels minutieusement rapportés. Aussi le réformateur suédois a-t-il devancé nos Églises en faisant un usage hardi de la critique; en déclarant, par exemple, que les onze premiers chapitres de la Genèse, jusqu'à Eber ancêtre d'Abraham (XI, 14), ne sont pas vraiment historiques (15), qu'Adam, Ève, Caïn et les plus anciens patriarches n'étaient pas des individus, et que plusieurs livres du canon ne sont pas spécialement inspirés. Sans doute, certaines négations du libéralisme moderne contredisent, sur des points essentiels, le sens interne établi par Swedenborg, mais ces négations sont plutôt des conséquences discutables que des résultats avérés de la critique. On peut, en tous cas, maintenir que, grâce à la théorie du sens spirituel, le conflit si grave et si périlleux aujourd'hui de la critique et de la foi se trouve, sinon tout à fait aboli, du moins extrêmement atténué. Le croyant ne demandant plus aux textes sacrés que leur esprit, leur lettre peut être livrée sans crainte aux fibres investigations de la science.

     2°) Un second avantage de ce principe herméneutique, c'est d'expliquer d'une façon satisfaisante de nombreuses prophéties dont le sens littéral est ou très difficile ou absolument impossible à soutenir.
Je place dans la première catégorie les promesses et les menaces, introduites solennellement comme des oracles de l'Éternel et annonçant des événements précis : sécheresse, sauterelles, famine, dévastation par l'épée et par le feu, victoires, délivrances, restaurations. Ces prédictions ne se sont pas accomplies dans leur sens littéral et, selon toute vraisemblance, ne s'accompliront jamais ainsi. Du reste, leur réalisation dans le passé est souvent encore discutée par les érudits. En tout cas, les simples fidèles sont hors d'état de se prononcer sur de pareils sujets. Il est évident que ces prophéties, que l'histoire paraît démentir, loin de servir de preuve à l'inspiration de la Bible, sont une pierre d'achoppement pour beaucoup de ceux qui là lisent, fussent-ils d'ailleurs des croyants. Une seule chose peut les arracher au discrédit qu'elles mériteraient si l'on devait les prendre au pied de la lettre; c'est le symbolisme. L'herméneutique de Swedenborg leur rend précisément ce service, en les faisant sortir du domaine des faits extérieurs, et en leur donnant une signification religieuse que chacun peut vérifier; car il s'agit de lois générales du règne de Dieu, de faits intérieurs qui se reproduisent sous diverses formes et à divers degrés dans tous les âges.

     De ces prédictions non réalisées les plus connues sont celles qui annonçaient aux Israélites transportés en Assyrie le rétablissement dans leur pays. « Que ce ne soit ni Israël ni la maison d'Israël qu'on doit entendre dans ces passages, dit notre auteur, cela est évident, puisqu'ils ont été dispersés parmi les nations et que jamais ils ne sont revenus de leur captivité. Ainsi ce n'est pas non plus « Juda ou la maison de Juda que l'on doit entendre. Mais par eux, dans le sens interne, ont été signifiés ceux qui sont du royaume spirituel et du royaume céleste du Seigneur; c'est avec ceux-ci qu'il a traité une nouvelle alliance et c'est dans leur coeur que sa loi a été écrite (16). »

     Non seulement les Israélites des dix tribus ne sont point revenus de l'exil, mais ils ne pourront jamais en revenir, car ils ont cessé d'exister comme nation et même comme race. Nous sommes donc forcés de donner un sens spirituel à l'étonnante prédiction d'Ésaïe (XIX, 23-25) : « En ce jour-là, il y aura une route d'Égypte en Assyrie; les Assyriens iront en Égypte et les Égyptiens en Assyrie, et l'Égyptien rendra son culte avec l'Assyrien. En ce jour-là, Israël sera en tiers avec l'Égypte et avec Assur, et ce sera une bénédiction au milieu de la terre, que Jéhova Sébaoth bénira disant : Bénis soient l'Égypte mon peuple, Assur l'ouvrage de mes mains et Israël mon héritage! » Vous savez tous qu'en aucun moment de l'histoire cette promesse grandiose ne s'est accomplie à la lettre. Et comment pourrait-elle s'accomplir désormais, attendu que ces trois nations, jadis ennemies, ont perdu non seulement leur antique importance, mais encore leur autonomie et leur identité ?

     Si d'ailleurs, par une sorte de prodige, ces peuples renaissaient à la vie politique, si les Assyriens et les Égyptiens, réconciliés entre eux et avec Israël, formaient une confédération religieuse, soit juive, soit chrétienne, ce serait un grand spectacle sans doute, mais le sens spirituel de ce texte mystérieux nous ouvre la perspective d'un état de choses bien plus général et bien plus désirable encore. Voici ce sens dans les paroles mêmes de Swedenborg : « Au temps de l'avènement du Seigneur, le Scientifique, le rationnel et le spirituel feront un; alors le scientifique sera ,au service du rationnel, et l'un et l'autre au service du spirituel. Car par l'Égypte est signifié le scientifique, par Assur le rationnel et par Israël le spirituel. » En d'autres termes, lors du retour du Seigneur, l'Église, devenue spirituelle de naturelle qu'elle était, sera réconciliée avec la science et avec la raison. Alors ces deux dernières puissances, au lieu de combattre le christianisme comme elles l'ont fait depuis le dix-huitième siècle, le confirmeront d'un commun accord, et par là donneront à la religion esprit et vie une irrésistible impulsion.

     Ainsi le vieux prophète ne prédit pas une destinée invraisemblable à trois nations jadis glorieuses, mais déchues et mortes depuis longtemps; il parle pour les croyants du monde entier et décrit l'état d'âme auquel le Saint-Esprit les fera parvenir. Il nous promet la cessation de cette déplorable guerre que la science positive et la libre pensée livrent à la foi évangélique. Il répond ainsi à. nos préoccupations les plus actuelles, et nous fait saluer l'aurore brillante d'une nouvelle phase dans les progrès du règne de Dieu sur la terre.

     Au reste ce passage n'est point isolé. Partout où la Bible mentionne Israël, Assur ou l'Égypte, une étude attentive pourra nous convaincre de l'insuffisance du sens littéral. Il faut même généraliser cette observation en l'appliquant à tous les noms propres, qu'ils désignent primitivement des peuples ou des cités, des monts ou des cours d'eau, des patriarches, des nâbis, des prêtres ou des rois. Dans les endroits mêmes Où ces noms font partie d'un récit vraiment historique, C'est leur signification spirituelle qui nous fournit l'enseignement révélé et dans les oracles prophétiques cette seconde signification est souvent la seule qui puisse être accomplie. 
Pour ne citer qu'une des prophéties du Nouveau Testament, celle de la fin de l'Apocalypse, « la Nouvelle Jérusalem descendant du ciel d'auprès de Dieu » ne saurait être une ville d'or pur, ornée de pierres précieuses, vu ses dimensions fantastiques. Songez qu'elle mesure 12000 stades, c'est-à-dire 540 lieues ou 2160 kilomètres, non seulement en long et en large, mais encore en hauteur! Elle dépasserait donc infiniment la sphère des nuages et même l'atmosphère aérienne, bien plus, elle s'enfoncerait vers le zénith dans l'immensité de l'éther. Limitée au sens littéral, cette prophétie est puérile, incroyable, absurde; mais expliquée au moyen des correspondances elle devient plausible, sublime et singulièrement encourageante. Sous l'image de cette cité merveilleuse, le voyant de Patmos décrit l'Église de l'avenir ou la « Nouvelle Église, » cette ère glorieuse que doit inaugurer l'ouverture du sens caché des Écritures, et qui justifiera le vrai christianisme en montrant son parfait accord avec la science et la raison.

     Quant aux prophéties qu'il est absolument impossible d'entendre au sens littéral, en voici quelques-unes: « En ce jour-là, des eaux vives sortiront de Jérusalem et couleront la moitié vers la mer Orientale, la moitié vers la mer Postérieure. » (Zach. XIV, 8.) Comparer aux eaux jaillissant sous le seuil oriental du temple d'Ézéchiel et allant se jeter dans la mer Morte pour la purifier. (Ezéch. XLVII.) « je vais nourrir ce peuple d'absinthe et je lui ferai boire des eaux empoisonnées. » (Jér. IX, 15.) « Ils ont semé du froment, ils moissonneront des épines. » (Jér. XII, 13.) « je leur ferai manger la chair de leurs fils et de leurs filles, et ils mangeront la chair l'un de l'autre. » (Jér. XIX, 9.) Ézéchiel doit inviter les oiseaux de proie et les bêtes féroces au grand sacrifice que Jéhova prépare sur les montagnes d'Israël. « Vous mangerez la chair des héros et vous boirez le sang des princes de la terre, béliers, agneaux, boucs, taureaux, engraissés sur le Basan. Vous mangerez de la graisse à satiété et vous boirez du vin jusqu'à l'ivresse à ce festin de victimes que j'immolerai pour vous. Vous vous rassasierez à ma table de la chair des chevaux et des cavaliers, de la chair des héros et de tous les hommes de guerre, dit le .Seigneur Jéhovi. » (Ezéch. XXXIX, 17 sq. Voir le passage parallèle Apoc. XIX, 17, 18.)

     Pour comprendre ces textes manifestement symboliques, il faut une clef qui a jusqu'ici manqué aux exégètes. Cette clef, le prophète suédois nous l'apporte et il en fait l'essai en notre présence. Expliquant ce que signifient l'eau et la chair, boire et manger, les chevaux et les cavaliers, les héros et les hommes de guerre, les fils et les filles, les oiseaux de proie et les bêtes féroces, Jérusalem, le Basan et la mer Morte, le vin, le sang, l'absinthe et les sacrifices, sa théorie donne à ces prédictions singulières un sens rationnel et lumineux.

     En somme, les prophéties non accomplies, fort difficiles ou même impossibles à interpréter littéralement, ne peuvent conserver leur valeur religieuse que pour ceux qui sauront leur appliquer la loi des correspondances. Faute de connaître cette loi et le sens spirituel qui en découle, on en vient à laisser de côté : a) dans l'Ancien Testament, une foule de passages du Pentateuque et des livres historiques, les quatre grands prophètes et les douze petits à l'exception de quelques pages choisies, séparées de leur contexte; b) dans le Nouveau Testament, l'admirable écrit prophétique qui se donne pour une « révélation de Jésus-Christ à son serviteur Jean, » et qui, au moment de conclure, adresse à l'Église universelle cet avertissement incisif dans son étrangeté : « Si quelqu'un retranche quoi que ce soit aux paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part du livre de vie et de la cité sainte, choses décrites dans ce livre. » (Apoc. XXII, 19.)

     C'est ainsi qu'en agissent, au moins dans les pays de langue française, la plupart des protestants, même évangéliques ou orthodoxes, au grand détriment de leur piété; car cette négligence habituelle d'une portion considérable des Écritures, en particulier des prédictions dont l'accomplissement est encore à venir, les prive de lumières, de directions et d'espérances dont notre époque éprouve le besoin et qu'une bonne Providence lui a destinées.

     En résumé, les prophéties, gravement compromises aux yeux de notre génération critique, ne peuvent désormais conserver ou regagner leur valeur religieuse que grâce à la théorie du sens spirituel.

     3°) Un troisième avantage présenté par le principe herméneutique de Swedenborg, c'est d'abolir le trop fréquent scandale que donnent aujourd'hui de nombreux passages. bibliques, quand on s'en tient au sens littéral. je veux parler de ceux qui attribuent à un ordre positif de Dieu l'extermination des peuplades cananéennes, ou en général tous ceux qui dépeignent Jéhova comme un être partial et injuste, jaloux et vindicatif, se repentant et se contredisant, tentant les hommes et les châtiant cruellement, prenant plaisir à les torturer et à les détruire.

     Les massacres exécutés au nom de l'Éternel, ainsi que le spectacle d'un patriarche levant le couteau pour immoler son fils afin de plaire à son Dieu, cessent de révolter notre conscience et de nous voiler l'inspiration des écrivains sacrés, dès que nous avons saisi le point de vue du symbolisme swedenborgien. En effet, - Israël figurant l'homme interne, l'Église spirituelle ou le royaume spirituel du Seigneur, - les ennemis d'Israël typifieront les faux et les maux de l'homme externe ou naturel, et chaque nom de peuple ou de contrée, de montagne ou de ville, de fleuve ou de mer, signifiera un état mental qui se reproduit dans tous les temps et dans tous les lieux. Ainsi les narrations les plus anciennes, fussent-elles mêlées de mythes et de légendes, les événements de tout ordre concernant une petite nation, une famille ou un individu, jusqu'à des détails insignifiants en eux-mêmes, acquièrent une importance durable et transmettent un enseignement divin à tous les lecteurs de la Bible, s'ils savent l'y chercher.

     Il faut d'ailleurs avouer franchement, avec notre théologien, que Moïse et les prophètes ont compris d'une manière imparfaite et souvent matérialisé les oracles célestes. L'influx divin prend en effet, d'après Swedenborg, la forme de son récipient, c'est-à-dire de l'esprit individuel dans lequel il agit. « Les choses qui influent sont, dit-il, changées et transformées selon la réception. » Là où « la lumière divine » rencontre des faussetés ou des péchés, elle est « ou reflétée, ou suffoquée, ou pervertie »

     Expliquons-nous. L'influx - encore une importante notion de Swedenborg, - l'influx, ou la vie de Dieu se communiquant à toutes les créatures, est à la fois le bien et le vrai qui procèdent, comme chaleur et comme lumière spirituelles, du soleil des esprits. Cette vie divine est reçue par chaque homme « selon sa forme » ou « selon son génie, » c'est-à-dire selon son état intellectuel et moral. « Que chacun reçoive l'influx selon sa forme, cela peut être illustré par des comparaisons, dit notre auteur (17). Tout arbre, tout arbrisseau, tout arbuste et toute herbe reçoivent l'influx de la chaleur et de la lumière selon leur forme ; ainsi non seulement les végétaux utiles, mais aussi les nuisibles. Le soleil (de notre monde), par sa chaleur, ne change pas les formes, mais les formes changent en elles-mêmes les effets du soleil. Il en est de même des sujets du règne minéral. Chacun d'eux, tant le précieux que le vil, reçoit l'influx selon la forme de la constitution de ses parties; ainsi une pierre autrement qu'une autre pierre, un minerai autrement qu'un autre minerai, un métal autrement qu'un autre métal. Quelques-uns sont bigarrés de très belles couleurs, d'autres transmettent la lumière sans bigarrure, d'autres enfin l'absorbent et l'étouffent. » - « La même chose peut encore être illustrée par l'influx dans les animaux de toute espèce, selon la forme de chacun (18). Que l'influx prenne la forme de chaque chose, c'est ce que peut voir même un homme illettré, s'il fait attention aux divers instruments à vent, tels que pipeaux, flûtes, cors, trompettes et orgues, en ce qu'ils retentissent selon leurs formes d'après un semblable souffle ou influx. »

     En vertu de cette théorie, dont la justesse est évidente, la révélation sera comprise de bien des manières et toujours moins parfaitement, à mesure qu'elle descendra des anges les plus glorieux aux êtres les plus bornés et les plus vils. En passant du troisième ciel au deuxième, de celui-ci au premier, puis au monde des esprits et de là sur notre terre, une parole du Seigneur perd chaque fois quelque chose de sa pureté lumineuse, se mélange d'éléments inférieurs, se déforme de plus en plus jusqu'à devenir très différente de ce qu'elle était au point de départ. Rien d'étonnant à ce qu'elle soit parfois méconnaissable, quand elle a été perçue par un membre de notre race que le péché a dégradée, par un prophète appartenant à un peuple arriéré, idolâtre et sensuel comme l'étaient les Hébreux! Cette remarquable théorie explique admirablement le sacrifice d'Isaac, par exemple. Abraham se crut appelé à immoler littéralement son fils, lorsque l'Éternel ne lui en demandait que le sacrifice moral.

     Je dois mentionner ici une autre théorie, non moins ,originale, qui jette également un grand jour sur les passages choquants de nos saints livres. Swedenborg distingue entre les vrais nus ou réels et les vrais vêtus ou apparents. Les vrais « nus » sont fournis par les textes qui expriment la pensée de Dieu dans un langage simple et direct. Les vrais « vêtus » se trouvent dans les textes où le sens interne est caché par le sens de la lettre, comme notre corps est recouvert d'habits qui ne laissent voir à l'ordinaire que notre visage et nos mains. Grâce à Dieu, les vérités fondamentales, nécessaires pour la direction de notre conduite et pour notre salut, sont « nues » dans un assez grand nombre d'endroits pour que le lecteur le plus ignorant puisse les comprendre. Les enseignements moins importants sont, au contraire, tellement « vêtus » qu'ils prêtent à d'interminables discussions et font le désespoir des exégètes. C'est à la lumière des vrais réels que nous devons juger les vrais apparents. Ainsi le caractère de Dieu, tel qu'il ressort avec évidence de certaines paroles de l'Écriture, nous permet d'interpréter sainement, sans en prendre ombrage, les passages de l'Ancien Testament qui le dépeignent sous des traits grossiers et repoussants.

     4°) Je terminerai par un quatrième avantage de la méthode symbolique : elle est réclamée et pratiquée par les Écritures, qu'il s'agit d'expliquer, notamment par Celui auquel les Écritures rendent témoignage et autour duquel elles convergent.

     Quelques lignes de Pascal vous rappelleront comment ce grand penseur a combattu la théorie du sens unique. « Pour voir clairement que l'Ancien Testament n'est que figuratif, et que par les biens temporels les prophètes entendaient d'autres biens, il faut prendre garde : premièrement qu'il serait indigne de Dieu de n'appeler les hommes qu'à la jouissance des félicités temporelles. Secondement que les discours des prophètes expriment clairement la promesse des biens temporels; que les prophètes disent néanmoins que leurs discours sont obscurs, que leur sens n'est pas celui qu'ils expriment à découvert, qu'on ne l'entendra qu'à la fin des temps. Donc ils entendaient parler d'autres sacrifices, d'un autre libérateur, etc. Enfin il faut remarquer que leurs discours sont contradictoires et se détruisent, si l'on pense qu'ils n'aient entendu par les mots de loi et de sacrifice autre chose que la loi de Moise et ses sacrifices; et il y aurait contradiction manifeste et grossière dans leurs livres, et quelquefois dans un même chapitre. D'où il s'ensuit qu'il faut qu'ils aient entendu autre chose (19). »

     « Les prophètes ont dit clairement qu'Israël. serait toujours aimé de Dieu, et que la loi serait éternelle; et ils ont dit que l'on n'entendrait point leur sens, qu'il était voilé. Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l'on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens est voilé et obscurci, qu'il est caché en sorte qu'on verra cette lettre sans la voir et qu'on l'entendra sans l'entendre, que doit-on penser, sinon que c'est un chiffre àdouble sens, et d'autant plus qu'on y trouve des contrariétés manifestes dans le sens littéral? Combien doit-on donc estimer ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à connaître le sens caché, principalement quand les principes qu'ils en prennent sont tout à fait naturels et clairs (20)! »

     « Dès qu'une fois on a ouvert ce secret, il est impossible de ne pas le voir. Qu'on lise l'Ancien Testament en cette vue, et qu'on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d'Abraham était la vraie cause de l'amitié de Dieu, si la. Terre promise était le véritable lieu de repos. Non. Donc c'étaient des figures. Qu'on voie de même toutes les ordonnances et tous les commandements qui ne sont pas de la. charité : on verra que c'en sont les figures (21). »
Le caractère figuré des prophéties de l'ancienne alliance ressort de passages tels que ceux-ci « Fils d'homme, propose une énigme, présente une parabole à la maison d'Israël. » (Ezéch. XVII, 2.)Il s'agit de l'apologue des deux grands aigles. Le même mot  chîdah, désigne l'énigme de Samson. (Jug. XIV, 12, 14, 15,16.)Il est synonyme de mâshâl, similitude, parabole, puis sentence, proverbe, à cause du sens souvent métaphorique des maximes israélites. Les juifs se plaignaient de cette façon de parlerhabituelle aux nâbis. Nous lisons en effet dans Ézéchiel (XXI, 5) : « Ah! Seigneur Jéhova, ils disent de moi : N'est-ce pas un faiseur de paraboles?   Et au Psaume XLIX, 5 : « je vais incliner mon oreille aux paraboles (lemâshâl), chanter (proprement ouvrir, ephlach) sur la harpe mon énigme(22). » - « Salomon prononça trois mille paraboles (ou sentences). » (I Rois IV, 32.)
     « Va et dis à ce peuple : Vous entendrez, mais vous ne comprendrez point; vous verrez, mais vous ne discernerez point. Endurcis le coeur de ce peuple, rends ses oreilles dures et couvre-lui les yeux, » etc. (Esaïe VI, 9, 10.) « Va, Daniel, car ces paroles sont cachées et scellées jusqu'au temps de la fin.... Aucun des méchants ne comprendra, mais les intelligents comprendront. » (Dan. XII, 9, 10.) Les oracles de Balaam sont appelés par trois fois mâschâl (Nomb. XXIII, 7, 18; XXIV, 3), et la Revised Version traduit : He look up his parable, and said.... (Ostervald Rev. discours sentencieux, et Segond oracle.)

Massa,  sentence, prophétie, oracle, et melîtsah, (Hab. II, 6(23); Prov. 1, 6), parole obscure et parfois sarcastique, ont un sens évidemment très analogue à mâshâl et chîdah. Ces différents termes, tous synonymes, expriment l'idée que les paroles prophétiques ont un sens caché, que le sage peut seul découvrir.

     Ce point de vue est confirmé de la façon la plus catégorique par les écrits du Nouveau Testament. L'Épître aux Hébreux démontre la mission du Christ en symbolisant ce que l'Ancien Testament rapporte du sacerdoce et du culte. Saint Paul allégorise de la même manière les personnages, les événements et les lois d'Israël, affirmant que tout est typique dans l'histoire du peuple élu. Dans les Évangiles, si telle parole de l'Ancien Testament est donnée comme accomplie à la lettre, d'autres passages relèvent le sens typique ou symbolique; ainsi dans Matthieu : « J'ai rappelé mon fils d'Égypte. » Rachel pleurant ses enfants à Rama. « Il sera appelé Nazaréen. » Et dans saint Jean, après l'affirmation de Jésus : « Renversez ce temple, et dans trois jours je le relèverai, » cette explication inattendue : « Mais il parlait du temple de son corps. » L'auteur du quatrième Évangile ajoute : « Lorsqu'il fut ressuscité d'entre les morts, ses disciples se souvinrent de ce langage; ils crurent alors à l'Écriture et à la parole que Jésus avait prononcée. » (Jean II,19, 21, 22.) C'est dire de la façon la plus positive que la foi des premiers fidèles se rattachait directement à l'intelligence du sens interne. 

     Le Seigneur lui-même instruisit les multitudes « par un grand nombre de paraboles » (Marc IV, 33), et « il ne leur parlait qu'en paraboles. » (Mat. XIII, 35.) Peut-être même ce caractère figuré joue-t-il dans ses discours et ses prédictions un rôle plus grand qu'on ne l'a imaginé jusqu'ici. En tout cas, après sa résurrection, Jésus dévoile à deux de ses disciples le sens interne des livres saints, non sans leur avoir sévèrement reproché de s'en être tenus au sens littéral. « Ô insensés ! ô coeurs lents à croire tout ce que les prophètes ont dit!... Puis, commençant par Moïse et continuant par tous les Prophètes, il leur expliqua ce qui le concerne dans toutes les Écritures. » (Luc XXIV, 25, 27.)Or l'Ancien Testament contient bien peu de chose au sujet du Sauveur pour celui qui ne va pas plus profond que la signification naturelle des termes.

     Avant de s'élever au ciel, le Christ revient avec insistance sur la révélation féconde qu'il a faite à deux des siens sur le chemin d'Emmaüs, et il la complète pour tous en les mettant à même d'en profiter. « Ce sont là les paroles que je vous ai dites, quand j'étais encore avec vous. je vous disais qu'il fallait que fussent accomplies toutes les choses écrites de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes. Alors il leur ouvrit l'entendement pour qu'ils comprissent les Écritures. » (Luc XXIV, 44, 45.)

     Ainsi Jésus n'a pas voulu quitter la terre sans éclairer les premiers chrétiens sur l'existence et la portée du sens spirituel, qu'ils n'avaient pas su trouver par eux-mêmes. Au moment de terminer ici-bas sa mission divine, il leur remet sa clef symbolique des livres inspirés en leur montrant la manière de s'en servir, afin que, sous les types et les figures, les similitudes et les énigmes, l'Église découvre et s'approprie plus complètement, de siècle en siècle, la vérité qui régénère et sanctifie, la Parole même de Dieu.

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CONCLUSION

     J'ai essayé de vous montrer qu'en dépit de la méthode protestante l'Écriture a un double sens, et que le sens mystique ou caché, s'il n'est pas indispensable aux simples, a cependant une extrême importance et mérite une sérieuse étude. Vous l'avez compris, Messieurs, il ne s'agit pas uniquement de reconnaître dans la Bible certains éléments métaphoriques, produit de l'imaginationdes Orientaux, ni de légitimer les applications religieuses que les prédicateurs font souvent de récits ayant trait à des événements d'ordre matériel. Il s'agit d'un symbolisme très spécial, qui dans les faits cosmologiques, historiques et sociaux rapportés par nos livres saints, et dans les choses terrestres en général, voit la représentation des choses spirituelles et célestes, c'est-à-dire de tout ce qui a trait au Seigneur et à son royaume, à l'Église, à l'amour, à la foi et aux bonnes oeuvres, au salut individuel et collectif. Fondé d'une part sur la loi des correspondances, de l'autre sur l'enseignement et l'exemple du Christ, ce symbolisme mystique et rationnel tire des passages les plus obscurs, les plus ingrats ou les plus déconcertants de l'Écriture une signification psychologique et religieuse dont la valeur est universelle et permanente. Que dis-je? Cette valeur va toujours croissant et me paraît être, vu le désarroi des croyances dans la chrétienté contemporaine, plus actuelle que jamais.

     En effet, si le principe herméneutique de Swedenborg est repoussé, nous verrons bientôt s'effondrer complètement dans nos Églises la foi à l'inspiration et à l'autorité des Écritures, cette foi qui a soutenu Jésus et ses apôtres, les Pères et les Réformateurs, les prédicateurs de réveil, les missionnaires, les fondateurs des grandes oeuvres protestantes, et tous les saints, les religieux dévoués, les docteurs ou prélats illustres, dont s'honore le catholicisme romain. Or, quand l'Écriture sera définitivement dépouillée de ce cachet surnaturel et divin que toutes les fractions de l'Église lui ont, reconnu jusqu'à ce jour, quand on n'y verra plus qu'un recueil de livres humains, remarquables sans doute, mais pleins d'erreurs et de superstitions, et souvent incompréhensibles, la critique n'enlèvera-t-elle pas au Christ des Évangiles tout ce qui le distingue des hommes pécheurs, jusqu'à le rendre incapable de les sauver et même de leur servir de modèle? Un commencement d'expérience se joint, hélas! au raisonnement pour nous faire craindre ce résultat.

     Mais nous attendons de meilleures choses! Beaucoup de chrétiens, qui ne s'en rendent pas bien compte, se nourrissent déjà de la moelle des Écritures, c'est-à-dire de leur sens caché. Beaucoup de sermons l'exposent, sinon dans toute sa pureté, du moins avec une chaleur communicative.

     Les vérités supérieures que l'interprétation symbolique nous fait découvrir dans l'Écriture Sainte paraissent même répondre à des besoins de plus en plus sentis. Comme à l'époque du Christ, le. monde aspire à quelque chose de meilleur, à plus de lumière, de justice et d'amour. Le foyer de tous ces progrès, c'est le christianisme compris spirituellement.

     Il existe une ressemblance frappante entre la révélation par le sens interne et la révélation par Jésus-Christ, ou plutôt l'une est la continuation de l'autre. Dans les deux cas, c'est le Verbe divin qui, pour se mettre à notre portée, prend un vêtement matériel.: d'abord la lettre des livres sacrés, ensuite le corps de chair et l'âme psychique du fils de Marie. De ces deux manières, le Seigneur descend jusqu'à nous afin de nous élever jusqu'à lui. Mais, dans la Parole écrite comme dans son apparition terrestre, il ne peut être reconnu et reçu que par ceux qui ont « des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, » ou dont « les yeux ont été ouverts. » Suivant qu'ils étaient plus préoccupés des richesses périssables ou des trésors célestes, les Juifs comprenaient les paroles de leurs prophètes et celles du Messie dans l'un ou l'autre sens. Il en sera de même de l'Église du vingtième siècle. Il faut qu'elle se régénère, ou du moins se réveille, avant d'avoir soif du sens spirituel et de faire, en conséquence, quelque effort pour le trouver ou le comprendre.

     Ce sens spirituel s'impose-t-il à nous, ou du moins se justifie-t-il absolument à nos yeux ? La clef symbolique des Écritures Saintes s'adapte-t-elle à toutes les serrures, ouvre-t-elle toutes les portes? Je ne prétends nullement vous avoir fourni les moyens de vous prononcer séance tenante sur cette délicate question. Obligé de me borner aux grandes lignes et à un petit nombre d'exemples, je n'ai pu ni enrichir cet exposé de détails concrets qui l'auraient rendu plus intéressant et plus convaincant, ni répondre d'avance aux objections probables. D'ailleurs, je dois le reconnaître; la théorie que je viens de vous expliquer n'est pas pour moi sans quelques difficultés. Cependant je la crois, en somme, fondée, je l'admire sincèrement, et il faudrait des arguments bien inattendus, bien puissants, pour me la faire abandonner.

     Swedenborg a fait, le premier, l'essai persévérant de La clef qu'il avait découverte. Il a interprété, selon sa méthode, des livres entiers de la Bible : la Genèse, l'Exode, l'Apocalypse, et un nombre immense de passages, on peut vraiment dire tous les passages essentiels des autres livres du canon : Prophètes, Évangiles, Épîtres. On ne saurait étudier cette exégèse d'un nouveau genre sans être frappé de sa profondeur et de son unité. Il y a là une mine inépuisable d'observations, qui dénotent à la fois une intelligence merveilleuse, un degré de spiritualité rarement atteint, et une rigueur de logique dont aucun philosophe à moi connu n'a donné l'exemple. J'ai donc l'impression que le savant suédois a démontre la vérité de sa thèse. je pense, jusqu'à preuve du contraire, qu'une « illustration » due à la bonté divine l'a mis à même de nous donner un sentiment plus vif du prix des Écritures et une plus haute conception de la religion définitive. Mais des milliers de chrétiens, dont le niveau mental dépasse assurément celui de nos Églises, sont encore plus convaincus, plus enthousiastes que moi et rendent joyeusement témoignage à l'excellence du sens interne, qui sert d'ailleurs de base au système doctrinal le plus raisonnable et le plus positif.

     Quelle que soit l'imperfection de ce plaidoyer, je désire. qu'il vous ait fait sentir que la méthode herméneutique du Prophète du Nord est digne de votre attention. Heureux serai-je, Messieurs, si deux ou trois d'entre vous arrivent à croire, avec moi, que nous n'avons qu'à frapper le rocher des Écritures avec la verge de Moïse pour en faire sortir une source, dont les eaux vivifiantes rajeuniront la chrétienté !

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(1)Voir Théologie et Philosophie, 1893, P. 408, sq.
(2) Le 24 novembre 1902. Voir même Revue, 1905, P. 34.
(3) 1 Pierre 1, 10, 11.
(4) le Prophète du Nord, P. 239,240.
(5)Lichtenberger, Encyclopédie, art. Herméneutique, P. 211.
(6)Dans l'Église catholique romaine, la théorie du sens multiple, sans être officiellement reniée, disparut peu à peu de la pratique. Lichtenberger, Encyclopédie, art. Herméneulique, par A. Sabatier, P. 213.
(7) Art. Cité, P. 2 16 sq.
(8) Théologie de l'Ancien Testament, p. 6o, note.
(9) Documents pour une biographie complète del.-B. André Godin, p. 106. 1903.
(10) On peut dire aussi : le divin mérite, le divin humain et le divin procédant.
(11) Dans le verset précédent, le soleil représente l'amour purement naturel, et la lune l'intelligence qui en provient.
(12) Le développement qui commence ici, et qui se termine à fin de la page 23, a dû être omis à la lecture.
(13) Variété d'agate d'un vert blanchâtre, d'après Littré.
(14) Des Couleurs symboliques dans l'antiquité, le moyen âge et les temps modernes. Paris, Treuttel et Würtz, 1837.
(15) Voir dans les Arcanes célestes, § 1403, au commencement de Genèse XII : « Depuis le premier chapitre de la Genèse jusqu'ici, ou plutôt jusqu'à Eber, les historiques n'étaient pas vrais; c'étaient des historiques factices, qui, dans le sens interne, signifiaient les choses célestes et spirituelles. Dans ce chapitre et dans les suivants les historiques ne sont pas factices ; ce sont des historiques vrais, qui, dans le sens interne, signifient pareillement les choses célestes et spirituelles.» P. 356.
(16) Arcanes célestes, § 3654.
(17) Vraie Religion chrétienne, § 366.
(18) Arcanes célestes, § 86.
(19) Pensées de Pascal, Firmin Didot, 1850, p 208, sq. 
(20) Idem, P. 210. 
(21) Idem, P. 215.
(22) Segond, trop peu exact ici : «je prête l'oreille aux sentences quime sont inspirées, j'ouvre mon chant au son de la harpe. » 
(23) Hab. II, 6. Seg. : « Ne sera-t-il pas pour tous un sujet de sarcasme(mâshâl), de tailleries et d'énigmes? »