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Cardinal LÉPICIER, O. S. M.



LE MIRACLE

SA NATURE, SES LOIS, SES RAPPORTS
AVEC L'ORDRE SURNATUREL

« Nicodème dit à Jésus : Maître, nous savons
que vous êtes venu de la part de Dieu comme
docteur, car personne ne saurait faire les miracles
que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui. »
Jean, III, 2.

Sommaire

AUX SEPT GLORIEUX SAINTS : BONFILS BONAJUNTA MANETTO AMÉDÉE SOSTÈNE HUGO ALEXIS QUI SUR L'ORDRE DE MARIE ONT FONDÉ IL Y A SEPT SIÈCLES AU MILIEU DES PLUS ÉCLATANTS MIRACLES LA SAINTE FAMILLE DE SES SERVITEURS O. D. C.

Préfaces

Préface

Il n'est pas rare d'entendre des gens - et parmi eux, des hommes au jugement sain - se lamenter sérieusement de l'absence de miracles dans les temps modernes. Ils déplorent vivement qu'à l'heure où l'esprit de foi s'affaiblit et où l'incrédulité grandit chaque jour, il n'y ait pas, comme au début surtout de la fondation de l'Église, des signes surnaturels à opposer comme une digue à cette marée croissante de l'infidélité. Cette lamentation, autrefois si familière aux juifs, sort volontiers des lèvres de bien des fidèles, refrain obligé de leurs conversations :
Où sont les merveilles (du Seigneur) que nous ont racontées nos pères [1]?
À vrai dire, il faut avoir fermé les yeux à l'évidence, pour s'abandonner de nos jours à de telles lamentations. Parmi tous les siècles, le nôtre restera célèbre précisément par les dérogations survenues dans le cours naturel des choses et par les signes et les manifestations d'un ordre supérieur à celui du monde où nous vivons. Ce n'est pas trop de dire que, du nord au midi, de l'orient à l'occident, la terre est tout entière parcourue et pour ainsi due animée par l'esprit des prodiges, comme par un courant bienfaisant. Lourdes en France, Pompéi en Italie, la Guadaloupe au Mexique, Sainte-Anne de Beaupré au Canada, pour ne rien dire d'une multitude d'autres sanctuaires répartis sur la surface du globe, en rendent témoignage. Dans tous ces endroits, le merveilleux est devenu chose si commune, qu'il semble être plutôt la loi ordinaire qu'une exception ; aussi, plus que jamais se trouve avéré le dire du grand poète:
Et quel temps fut jamais si fertile en miracles [2]

Toutefois, malgré la surabondance et l'authenticité de ces miracles - authenticité scrupuleusement établie - bien des gens persistent encore à ne pas vouloir admettre - ne disons pas l'existence - mais la simple possibilité de ces interventions spéciales de Dieu, dans le cours régulier de la nature.
Certes, il fallait s'attendre à ces négations obstinées, négations qui rendront tristement célèbre l'histoire de notre époque. Préparé de longue date par les faux systèmes de philosophie en vogue dans certaines écoles, ce scepticisme devait croître et mûrir sous l'influence des théories modernes. Il était bien naturel que le doute universel, prôné par quelques philosophes comme base dans la recherche de la vérité, aboutît à l'identification absolue du « oui » et du « non », qui caractérise les systèmes rationalistes allemands.
Par ailleurs, les nombreuses découvertes obtenues récemment dans le domaine des sciences physiques devaient naturellement renforcer - bien à tort certainement - cette tendance à l'incrédulité. D'abord surpris et comme désorientés, les esprits cédèrent bien vite à l'ivresse de l'orgueil, au point de regarder comme la caractéristique d'un esprit fort, d'un esprit qui se possède, le fait de rejeter catégoriquement tout ce qui est d'ordre spirituel et surnaturel. Et c'est précisément cette négation de la réalité objective des faits surnaturels qui est à la base de tout ce système moderniste qui a fait tant de bruit dans ces dernières années, et dont les échos sont loin d'être étouffés. Pour Alfred Loisy, l'un des principaux tenants de ce système, l'institution de l'Église n'est pas un fait d'ordre historique. Ce que l'historien perçoit directement, c'est la foi en cette institution, la foi au Christ qui a fondé l'Église[3].
Étrange contradiction ! Tandis qu'on reniait tout ce qui échappe aux sens, on devenait le jouet de pratiques vaines et superstitieuses. Au moment même où l'on excluait toute action de Dieu dans le monde, on se soumettait, comme de vils esclaves, à l'influence des esprits d'outre-tombe et ce commerce devenait l'occupation la plus importante et le divertissement quotidien. C'est alors que l'Église fut remplacée par les temples de la déesse raison et les assemblées religieuses par des rendez-vous spirites. A la sainteté des rites chrétiens succédèrent les orgies des bacchantes, aux sacrifices offerts au vrai Dieu, le culte de Lucifer. L'on détruisit, sans édifier.
A l'heure actuelle un réveil se fait sentir. Les esprits les moins souillés par le vice se fatiguent de rester suspendus au-dessus de l'abîme de la négation. Déçus dans leur attente, affamés d'une nourriture plus solide que celle des formules mathématiques, de la vapeur des machines ou des distillations spiritueuses, ils cherchent de nouveau l'aliment qui seul peut les rassasier. Ils ont faim de la vérité et de la vérité révélée.
Cependant, la voie qui mène à la révélation ne peut être la révélation elle-même. Une même chose ne peut être à la fois moyen et terme d'action. C'est un cercle vicieux - et, qui ne s'en aperçoit pas ? - que de vouloir prouver l'existence d'une révélation, en s'appuyant exclusivement sur cet argument : « Dieu l'a dit » .
Quelle est donc la voie qui conduit à la révélation ? Cette voie nous la trouvons précisément dans la connaissance des miracles, c'est-à-dire dans ces signes extraordinaires que les sens humains peuvent percevoir et que Dieu a coutume de susciter en faveur de la vérité révélée. Ce n'est sans doute pas la voie unique, mais c'est une des voies principales. C'est pour cela que les miracles constituent un si puissant motif de crédibilité en faveur de la révélation.
Je vois avec mes yeux de chair, et leur témoignage ne me trompe pas, je vois une œuvre vraiment merveilleuse, une œuvre qui dépasse toutes les forces de la nature créée, une œuvre qui exige une intervention divine, et cette couvre est produite précisément en faveur de la révélation. La raison veut donc que mon intelligence se soumette aux vérités proposées par Dieu à ma croyance.

... « L'antique et récente parole
D'où ton intelligence à conclure s'envole,
Pourquoi donc la tiens-tu pour un divin discours ? »
Moi: - «Des miracles saints la confirment toujours,
Œuvres qu'en vain Nature à faire se consume
En échauffant son fer et frappant son enclume ».[4]

Ainsi s'exprime Dante Alighieri, qui d'ailleurs ne fait que mettre en vers l'observation profonde du Docteur Angélique. « Il est naturel que l'homme acquière la vérité intelligible par le moyen des effets sensibles. C'est pourquoi, de même qu'en suivant les données de la raison naturelle il vient à acquérir quelque connaissance de Dieu par le moyen des effets naturels, de même aussi il arrive à acquérir quelque connaissance surnaturelle des choses qu'il faut croire par le moyen de quelques effets surnaturels, appelés miracles [5].
Le miracle est donc, de par sa nature, destiné à rendre témoignage à la vérité révélée. Les interruptions et les dérogations qui se produisent dans l'ordre physique servent à démontrer l'existence d'un ordre surnaturel et divin. Les œuvres merveilleuses s'accomplissant journellement autour de nous sont comme ces poteaux indicateurs placés aux croisements des routes : ils montrent le chemin qui mène à la vérité révélée.
C'est donc préparer la voie à la révélation, que de mettre en lumière la notion du miracle, en définir l'essence, en préciser les conditions, déterminer les critères qui nous aident à le reconnaître et surtout mettre en valeur les relations qu'il a avec l'ordre surnaturel. C'est précisément dans ce but que nous avons entrepris la présente étude.
Cette étude se recommande par elle-même. Elle est faite pour ceux qui, étudiant les secrets de la nature, rencontrent infailliblement des faits qui sont en contradiction évidente avec les lois habituelles du cosmos. Nous conseillons la lecture de cet ouvrage à tous ceux qui, doués d'une vision plus pénétrante, aiment à s'élever au-dessus de la matière, du mouvement et du monde physique en général ; à ceux qui désirent connaître l'être et ses propriétés, dans les limites permises à la raison humaine. Nous la conseillons à ceux qui, éclairés par la foi, se consacrent à la recherche des mystères de la religion chrétienne, désireux de connaître de plus près les fondements de leur croyance. Nous la conseillons enfin à ceux qui aiment la vérité, la désirent d'un cœur sincère et la recherchent avec simplicité. Puissent-ils la trouver enfin, puisque la vérité n'est autre chose que Dieu lui-même, premier principe et fin dernière de toutes les créatures.
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Cette traduction française, faite sur la troisième édition italienne, représente le fruit des recherches poursuivies par l'auteur durant les longues années consacrées par lui à l'enseignement de la science sacrée et continuées sans interruption. Cette application l'a mis à même d'étudier à fond la doctrine si importante du miracle. Sans la connaissance de cette doctrine, un grand nombre de problèmes de l'ordre surnaturel aussi bien que de l'ordre naturel restent insolubles.
Nous recommandons instamment à ceux qui cultivent les sciences sacrées, une étude attentive de ce sujet, qu'il est impossible de bien comprendre en dehors de l'enseignement du Docteur Angélique qui a, plus et mieux que tout autre philosophe, pénétré les secrets des opérations divines et humaines.


Préface à l'édition française

On peut affirmer en toute vérité que la question concernant le miracle représente la synthèse de toute la philosophie catholique. Les longues années que nous avons passées dans l'étude de l'enseignement des sciences sacrées nous ont confirmé dans cette persuasion ; c'est pourquoi nous avons eu à cœur d'approfondir ce sujet sous tous ses aspects possibles. Le fruit de ces recherches a été de dévoiler à nos yeux la grandeur des œuvres divines dans le monde, et à nous découvrir les merveilles que le Créateur a multipliées d'une main si libérale à travers les siècles.
Oh, si nos exégètes prenaient la peine d'étudier à fond la question du miracle, de sa nature et de ses relations avec l'ordre surnaturel, on n'aurait pas le triste spectacle de les voir s'attarder dans des doutes pénibles sur le texte inspiré des Saintes-Écritures ! Ils éviteraient ces fluctuations empruntées aux systèmes protestants, fruit de l'ignorance de notre philosophie, fluctuations aussi nuisibles à la science qu'à la vraie piété.
Notre désir est que cette étude, en instruisant le lecteur sur les œuvres merveilleuses du Très-Puissant, le porte à chanter d'un cœur ému : Benedicite omnia opera Domini Domino!

Rome, en la Fête de Pâques, 1936.


INTRODUCTION

Quelle place occupe, en philosophie, la question du miracle ?

L'étude concernant la possibilité du miracle, sa nature, sa finalité, la recherche de l'agent capable de le produire, appartient à cette partie de la Métaphysique spéciale, qui traite de la cause première, de ses attributs, et notamment de la Providence et du gouvernement du monde. Cette étude se place, pour ainsi dire, aux confins extrêmes de la théologie naturelle, et se rattache au point même où commence la théologie révélée.
En effet, les grands mystères de notre Religion : la Trinité, l'Incarnation, le péché originel, la grâce, etc., supposent tous l'existence d'une révélation surnaturelle faite à l'homme par Dieu. Ces mystères s'appuient sur le fait de cette révélation comme sur un fondement naturel ; mais la révélation elle-même surpasse toutes les forces de la nature créée ; aussi a-t-elle besoin, pour être acceptée par l'homme, de preuves plus grandes que celles que peuvent nous fournir les forces de la nature.
D'autre part, étant prouvé par la lumière naturelle de la raison que Dieu peut, quand il lui plaît, déroger à ses propres lois, pour écrire, en dehors du livre de la nature, un autre livre plus profond et pour cela même plus vrai, livre écrit exclusivement par son doigt divin, l'existence possible d'une science, dont la lumière est plus qu'humaine, devient un point acquis. Aussi le miracle est-il l'anneau qui, comme nous l'avons dit, relie intimement la théologie naturelle à la théologie proprement dite, c'est-à-dire à la ,théologie révélée.


Utilité de cette étude

On voit ainsi de quelle importance est l'étude du miracle, de sa nature, de ses caractères et de ses lois. Le miracle est un fait et comme tel est l'objet de l'expérience et appartient au domaine de l'histoire. Mais c'est de plus un fait surnaturel, et sous cet aspect il se relie au monde invisible et présuppose une intervention divine. Le miracle ne doit donc pas être confondu avec les œuvres du hasard. Celles-ci sont dues, il est vrai, à la cause première et, en dernière analyse, sont ordonnées au bien de l'univers, mais le miracle, opéré par Dieu seul, est directement ordonné à la manifestation de sa volonté suprême. Il est donc, proprement parlant, le sceau de la révélation divine, et comme tel constitue un des principaux motifs de crédibilité en faveur de la religion surnaturelle.
La question qui traite de ce phénomène naturel divin qu'est le miracle, est donc d'une importance capitale et ce n'est pas trop d'apporter à cette étude une attention plus qu'ordinaire. Du moment que la religion chrétienne est appuyée sur le miracle, plus encore que la religion hébraïque, celui-là sera seul en mesure de défendre nos dogmes et la vérité de la mission de nos apôtres qui connaîtra parfaitement la nature du miracle et saura discerner dans quelles circonstances et dans quelles conditions il s'opère.
Le miracle, en outre, sert à mettre en pleine lumière l'existence de Dieu. Bien que la nature tout entière suffise à nous renseigner sur cette vérité, et qu'un seul brin d'herbe proclame hautement l'existence d'un Créateur, une interruption soudaine dans le cours de l'univers réveille dans l'homme un vif sentiment de la présence divine. De plus, le miracle met en pleine lumière les attributs de Dieu, au premier chef sa toute-puissance et sa bonté, ainsi que sa providence dans le gouvernement du monde.
Et puisque les exceptions servent, bien qu'indirectement, à confirmer la règle, le miracle, comme fait exceptionnel, peut encore, suivant les temps et les circonstances, servir de guide à l'homme d'étude dans sa recherche des lois qui régissent le monde.
Voici donc comment l'étude du miracle sert non seulement au théologien chrétien, mais encore au philosophe et même au naturaliste. Pour tout dire d'un mot, cette étude doit servir à tous ceux qui, épris de la vérité, la recherchent partout où on peut la trouver et l'embrassent sous toutes les formes qu'elle peut offrir à leur considération.


Synthèse de la question

La proposition qui forme comme la synthèse de toute la question concernant le miracle, est ainsi formulée par le Docteur Angélique, dans sa Somme contre les Gentils : « Dieu seul peut faire des miracles[6]. »
Cette proposition est, pour ainsi dire, le pivot de toute la question et en renferme toute la substance. En effet, étant donné que le miracle, de la part de Dieu, est possible, qu'il est son œuvre propre et telle qu'aucune créature ne peut s'attribuer une pareille puissance, la nature même du miracle, ses rapports avec l'ordre physique et moral, ses propriétés et ses relations avec les œuvres merveilleuses des anges ou des magiciens, aussi bien que les critères servant à le faire reconnaître avec certitude, apparaissent en pleine lumière.
Notre intention n'est donc pas de rapporter ici l'histoire détaillée de tous les miracles opérés au cours des siècles, ni d'en faire un examen minutieux, les passant l'un après l'autre au crible d'une critique sévère, pour accepter les uns et rejeter les autres. Le nombre des miracles accomplis durant le cours des siècles est tel, qu'il faudrait, pour un travail de ce genre, composer des bibliothèques entières, et nous n'avons, pour notre part, ni le désir, ni les moyens de le faire. « Elle croît comme une forêt, écrit saint Augustin, la multitude de ces miracles, qui s'appellent monstres, prodiges, phénomènes merveilleux, et si l'on voulait les rappeler et les énumérer tous, quand est-ce qu'un tel travail verrait sa fin [7] ? »
Notre intention est plutôt d'étudier le miracle en lui-même et dans ses lignes générales, sous la double lumière de la philosophie et de la théologie. De plus, en appliquant, comme il sied, les critères fournis ici, nous pourrons passer en revue et examiner en particulier quelques-uns des principaux miracles opérés par notre divin Sauveur, comme preuve et complément de sa mission divine.


Critère pour déterminer la vérité

Si nous n'avions pour nous guider que les théories proclamées soit par l'école matérialiste, soit par celle appelée spiritualiste, aujourd'hui l'une et l'autre en grand honneur, il nous serait bien difficile, sur le sujet qui nous intéresse, de dire où se trouve la vérité. En effet, tandis que certains, fermant les yeux à l'évidence des faits merveilleux dont l'écho arrive à leurs oreilles, l'appellent pieuse supercherie, divine illusion, d'autres, au contraire, renouvelant les sortilèges des pythonisses des temps passés, le proclament, dans leur réunions ténébreuses, comme œuvre non pas de Dieu seulement, mais des esprits de l'autre monde qui s'abaissent ainsi pour satisfaire les désirs de l'homme, même les plus honteux.
Mais il convient de faire appel à des critères beaucoup plus élevés et solides que ne sont ces affirmations toutes gratuites. Nous devons au Docteur Angélique de nous avoir fourni, sur ce point, comme sur tant d'autres, des principes irréfutables pour reconnaître que ce pouvoir appartient à Dieu et qu'il le faut refuser aux créatures. Dans le passage que nous avons cité plus haut, saint Thomas montre, par des raisons tirées de l'ordre de la nature, comment ce privilège est le propre de Dieu. Dans d'autres passages de ses œuvres, notamment dans la première partie de la Somme théologique, le Docteur Angélique circonscrit d'un trait ferme le pouvoir soit des substances spirituelles séparées, soit de l'homme lui-même. Ainsi faut-il conclure que l'homme, aussi bien que ces substances spirituelles, ne possèdent aucun pouvoir en dehors de l'ordre qui leur est assigné, et par conséquent ne peuvent opérer des miracles proprement dits.


Synopse générale de l'ouvrage

Nous nous estimerons heureux si, avec l'aide de cette lumière et en la faisant nôtre, nous réussirons à montrer, avec assez de clarté, comment il est possible à Dieu de faire des miracles ; comment le miracle est à proprement parler son œuvre à Lui seul; quel pouvoir l'on peut, à cet égard, reconnaître aux créatures, surtout aux créatures spirituelles ; de quels critères nous devons nous servir pour arriver à connaître si telle œuvre est vraiment un miracle ou si elle n'est que le produit des forces de la nature.
Toutefois le miracle, sans cesser d'appartenir à l'ordre de la divine Providence, est un effet produit en dehors des lois habituelles de la nature et du cours ordinaire des choses. Il sera donc nécessaire de faire précéder cette étude d'une exposition, autant que possible claire et succincte, de la véritable doctrine philosophique sur la Providence de Dieu et sur l'ordre des choses créées.
En outre, sachant que le miracle est proprement un acte de Dieu et comme, par ailleurs, Dieu agit en tant que cause universelle dans toutes les actions des causes secondaires, il sera nécessaire de préciser jusqu'où peuvent arriver, dans la production des effets ordinaires, non seulement l'action de Dieu, mais encore celle de la créature. De cette manière nous pourrons savoir quand a lieu une véritable dérogation au cours habituel de la nature. En d'autres termes, il nous faudra établir quand est-ce que Dieu, laissant de côté l'efficacité de la cause secondaire d'où l'effet devrait dépendre naturellement, produit lui-même cet effet sans la médiation des créatures, condition essentielle du miracle.
D'autre part, le miracle ne peut être l'effet d'un caprice de la divinité. Le miracle est un moyen sagement ordonné en vue d'une fin très élevée. C'est pourquoi il nous faudra parler de la finalité propre au miracle et montrer quels rapports il a avec le gouvernement moral du monde.
Le développement clair et méthodique de cette belle doctrine nous fournira les éléments d'une définition exacte du miracle, outre qu'elle nous aidera à nous fixer sur la part qui revient à Dieu dans cette œuvre dont lui-même est l'agent principal. Nous arriverons, par suite, à démontrer la nécessité de refuser à une cause seconde, quelle qu'elle soit, le rôle d'agent principal, tout en admettant son concours non seulement comme cause morale, mais aussi en tant qu'instrument physique.
Nous avons déjà expliqué, et nous nous réservons de développer cette pensée plus longuement en son lieu, comment de telles dérogations à l'ordre de la nature sont ordonnées à la manifestation des vérités surnaturelles, en préparant les esprits à accepter ces mêmes vérités. Le présent ouvrage resterait donc incomplet, s'il ne faisait voir comment le miracle est l'échelle que Dieu nous tend pour nous aider à monter au delà des bornes du créé et arriver jusqu'au domaine de l'infini, où l'ascension se poursuit toujours plus haut, jusqu'aux marches du trône de Dieu, Un en essence et subsistant en trois personnes. Nous verrons donc, en dernier lieu, comment les miracles, surtout ceux qu'accomplit Notre-Seigneur Jésus-Christ - miracles qui défient l'examen le plus minutieux - furent ordonnés pour manifester la mission divine de l'Homme-Dieu. Nous verrons aussi comment l'homme, à la conscience droite, qui a su se délivrer de ses préjugés pour se donner à un examen attentif de ces miracles, est amené, par une espèce de nécessité logique, à courber le front devant Celui qui est « la lumière illuminant tout homme qui vient en ce monde [8] », jusqu'à embrasser sa loi et suivre ses commandements.


CHAPITRE I - LA DIVINE PROVIDENCE ET L'ORDRE DES
CHOSES DE CE MONDE

Deux sortes de bien dans les êtres de ce monde

L'homme qui, considérant les êtres de ce monde avec les yeux de l'esprit, n'arriverait pas à y découvrir d'autres biens que celui contenu dans la substance même de ces êtres, devrait se dire atteint d'un commencement de cécité intellectuelle, car il ne percevrait qu'une partie de la vérité. En effet tous les êtres, outre leur bien absolu, en contiennent un autre, lequel est dans chacun d'eux, par rapport à sa propre fin, et qui dans tout l'univers se rapporte à la fin dernière, c'est-à-dire à la Bonté divine. Ces deux biens, l'absolu et le relatif, forment la synthèse de tout le bien contenu dans l'univers ; ils donnent naissance à des ordres multiples et variés. Les êtres, distribués dans ces différents ordres, produisent, en vertu de leurs formes propres et de la tendance naturelle qu'ils ont vers leurs fins particulières, des effets déterminés et proportionnés à la nature de chacun d'eux.


Ce qu'est la Divine Providence

Il y a donc un ordre suprême ; il y a également une multitude et, je dirais presque, une infinité d'ordres particuliers. Le premier renferme tous les autres et ceux-ci, bien que se mouvant tous selon leurs propriétés, ne peuvent jamais sortir du cercle de cet ordre suprême dont ils dépendent comme de leur centre. Or, la disposition de cet ordre suprême dans la pensée divine est ce que nous appelons la Providence.
Rappelons ici la définition classique de la Providence fournie par l'illustre philosophe saint Séverin Boèce. « La Providence, dit-il, est la raison même divine, telle qu'elle existe dans la pensée du Souverain Maître de l'univers ; raison qui met chaque chose à sa place [9]».
Éternelle en elle-même et immobile, la Providence embrasse, dans sa simplicité suprême, la raison d'être de toutes les natures créées et changeantes, leur génération, leur progrès et le terme où elles doivent aboutir. Les paroles de Dante sont un écho de cette vérité

Et son esprit, parfait en soi, non seulement
A, d'avance, assigné sa nature à tout être,
Mais au salut de tous veille comme un bon maître[10].

Cette disposition divine est en conformité avec la nature des choses créées, si bien que celles-ci n'ont rien de plus empressé que d'exécuter, dans le temps, avec une joyeuse spontanéité, selon l'inclination de leur forme et leur mouvement déterminé, les ordres supérieurs de la Divine Providence. C'est ce que les Anciens appelaient fatum ; mais nous, d'un nom plus chrétien, nous l'appelons le gouvernement des choses. Boèce exprime cette pensée d'une manière remarquable : « Le Créateur, le Très-Haut, dit-il, est assis et, conducteur exercé, tient en main les rênes de chaque chose, Roi et Seigneur, source et origine, loi et sage arbitre de ce qui est juste et honnête[11]. »
La Providence embrasse donc non seulement les choses universelles, mais aussi les particulières ; elle comprend les choses corruptibles aussi bien que les spirituelles ; elle s'étend partout où s'exerce l'opération divine, ce qui signifie qu'elle s'étend à toutes les choses de ce monde. D'une manière spéciale, cependant, elle s'occupe de la créature raisonnable, en tant que celle-ci possède le contrôle de ses propres actions ; si bien que, « pour le dire en un mot, conclut saint François de Sales, la Providence souveraine n'est autre chose que l'acte par lequel Dieu veut fournir aux hommes et aux anges les moyens nécessaires ou utiles pour parvenir à leur fin [12]».


La Divine Providence embrasse toute chose

Pour ce qui regarde l'amplitude de l'ordre de la Providence, il faut observer que celle-ci ne connaît aucune limite, comprenant dans son cercle infini, toutes les choses de ce monde, non pas seulement les choses corruptibles, mais encore les choses incorruptibles, soit dans leurs principes généraux, soit dans leurs distinctions individuelles.
La preuve qu'en donne le Docteur Angélique est d'une clarté admirable. Rappelons-nous ce qui a été dit plus haut, à savoir que la Providence est la raison même de l'ordre des choses vers leur propre fin. En d'autres termes, la Providence est cette raison suprême par laquelle Dieu conduit toute chose suavement et fortement, à l'acquisition de leur bien respectif, par rapport à la fin qui leur est propre.
Que l'on se souvienne par ailleurs du grand principe qui régit tout l'édifice de la philosophie morale, c'est-à-dire que tout agent agit en raison de sa fin. Il s'ensuit, par voie de conséquence, que sa causalité propre s'étend, par rapport au premier agent qui est Dieu, aussi loin que s'étend l'ordre des effets à leur fin. En effet, si dans les œuvres d'un agent quelconque, un effet survient qui n'est pas ordonné à la fin de cet agent, la cause en est à un autre agent opérant en dehors de l'intention de l'agent premier. Ainsi en voulant allumer du bois on n'obtient pas toujours le but souhaité, parce que l'humidité, par exemple, empêche la combustion d'avoir lieu.
Or Dieu est le premier agent. Il est donc nécessaire que sa causalité propre s'étende à tous les êtres, non seulement quant aux principes de l'espèce, mais encore quant aux principes de l'individu, soit dans les choses incorruptibles, soit dans celles qui sont corruptibles. Par conséquent, l'ordre des effets à leur fin s'étend, par rapport à Dieu, à toutes les choses de l'univers[13].
En ce qui concerne les causes secondes, un effet peut se produire par hasard, en tant qu'il peut avoir lieu en dehors de l'intention de ces causes. Mais, par rapport à Dieu, qui rassemble en lui-même toutes choses, aucun hasard ne peut exister, parce que tout ce qui arrive est prévu par lui et c'est lui qui pourvoit à tout. C'est ainsi que, pour reprendre l'exemple du saint Docteur, la rencontre de deux serviteurs en un même endroit, peut sembler à ceux-ci chose fortuite, alors qu'elle ne l'est pas pour le maître qui les a envoyés là précisément, afin que l'un ne sachant rien de l'autre, puisse rapporter au maître ce que celui-ci désire savoir sur son compagnon.
De même, en ce qui concerne un pourvoyeur particulier, des maux nombreux peuvent arriver contre son intention, et si cela dépendait de lui, il ne manquerait pas de les repousser. Mais Dieu, pourvoyeur universel, les permet dans certains cas particuliers, précisément pour que le bien et la perfection de l'univers n'aient pas à souffrir d'empêchement ou de retard. En effet, dit saint Thomas, si tous les maux étaient exclus, beaucoup de biens viendraient à manquer dans le monde. Par exemple, la vie du lion ne se soutiendrait pas, si ce n'est par la mort de la brebis, et la patience des martyrs ne resplendirait pas aussi merveilleusement, s'il n'y avait pas de tyrans persécuteurs[14].
La phrase du grand Docteur d'Hippone est demeurée célèbre : «Dieu, qui est Tout-Puissant, ne permettrait en aucune manière l'introduction du mal dans ses œuvres, s'il n'était tellement puissant, tellement bon, qu'il peut tirer le bien du mal lui-même[15]. »
S'il en est ainsi, le hasard n'est rien d'autre qu'un mot et le destin une vaine formule inventée soit par une infidélité obstinée qui ne veut voir dans les vicissitudes de ce monde autre chose que les coups d'un destin inexorable, soit par une aveugle ignorance, toute prête à rejeter sur un hasard capricieux la responsabilité des malheurs que l'étourderie nous fait trop souvent commettre et que La Fontaine décrit à merveille
Il n'arrive rien dans le monde,
Qu'il ne faille qu'elle (la Fortune) en réponde:
Nous la faisons de tous écots; [16]
Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures,
On pense en être quitte en accusant le sort,
Bref, la Fortune a toujours tort[17].

Voici comment saint Augustin conclut qu'il n'est dans le monde ni hasard ni destin : « Tout ce qui arrive par hasard, écrit-il[18], arrive par témérité ; et tout ce qui arrive par témérité, n'arrive pas par l'ordre de la Providence. Si donc certaines choses arrivent dans le monde par hasard, le monde n'est pas tout entier administré par la Providence. Mais si le monde n'est pas tout entier administré par la Providence, c'est qu'il existe quelque nature et substance qui n'appartiennent pas à l'œuvre de la Providence. Or, tout ce qui est, en tant qu'il est, est bon. Celui-là est suprêmement bon, par la participation duquel les autres choses sont bonnes. D'autre part, ce qui est changeant est bon, en tant qu'il existe, non par lui-même, mais par sa participation au bien immuable. Or ce Bien, par la participation duquel les autres choses, quelles qu'elles soient, sont bonnes, est bon, non par une autre chose que lui, mais par lui-même, et c'est ce que nous appelons la Divine Providence. C'est pourquoi rien dans le monde n'est l'effet du hasard. »
Rien n'arrive donc ou ne peut arriver en dehors de l'ordre de la Divine Providence. Par conséquent, nous voyons déjà que le miracle lui-même ne pourra jamais se produire en dehors de cet ordre.
«Dieu, dit le Docteur Angélique, ne fait rien par une volonté changeante contre les causes naturelles, parce qu'il a de toute éternité prévu et voulu ce qu'il fait dans le temps. Il a donc institué le cours de la nature de façon à disposer d'avance, dans son éternelle volonté, ce qu'il doit faire dans le temps, en dehors de ce cours[19]
Ceci ne veut pas dire que le miracle doive être également compris dans le plan des lois universelles établies par Dieu, comme un effet par rapport à ces mêmes lois. Non, le miracle, comme on l'expliquera dans la suite, quoique ordonné à l'avance par Dieu, est une dérogation formelle aux lois universelles du monde, en tant qu'il est l'œuvre de Dieu seul. Aussi ne pouvons-nous pas admettre, au moins dans les termes où elle est exposée, l'opinion de l'abbé de Houtteville. Voici comment s'exprime cet auteur[20]. «Tandis qu'il donnait à la matière le degré de mouvement suffisant qu'elle devait avoir pour tous les siècles, on comprend que Dieu a pu déterminer de telle sorte la loi des communications, qu'à un moment donné par exemple le monde verrait telle guérison, telle éclipse, telle résurrection... Les miracles sont enveloppés, en qualité d'effets, dans le plan des lois universelles... Ils naissent de ces lois qui nous sont cachées, ou bien alors de la combinaison de celles-ci avec celles que nous connaissons. »
En réalité, le miracle, quoique compris dans l'ordre de la Divine Providence, a lieu cependant hors de l'ordre de la nature. Il nous faut donc maintenant expliquer ce que nous entendons par ordre de la nature.


Multiplicité des ordres

L'ordre des effets, écrit saint Thomas, suit l'ordre des causes. Multiples sont les causes ayant entre elles une relation de dépendance et de subordination. Les unes sont majeures, les autres mineures ; les unes sont premières et supérieures, les autres postérieures et inférieures. Ainsi donc les ordres des effets sont multiples et subordonnés entre eux. Or cette relation naturelle et cette proportion qui existe entre une cause et les effets qui en proviennent, est ce que nous appelons l'ordre des choses, d'où il suit que les ordres des choses sont multiples et subordonnés entre eux.
Par exemple, la réunion de plusieurs personnes par rapport à un même chef auquel elles sont soumises, constitue l'ordre de la famille. La réunion de plusieurs chefs de famille par rapport au magistrat par qui elles sont régies, constitue l'ordre civil, tandis que la réunion de plusieurs magistrats par rapport à un même prince, par les lois duquel ils sont gouvernés, constitue l'ordre du royaume. Le premier ordre est subordonné au second et celui-ci au troisième, parce que les causes d'où ces ordres prennent leur origine, sont pareillement subordonnées.
Élevant maintenant plus haut notre spéculation, nous pouvons distinguer, d'une part, autant d'ordres inférieurs qu'il y a de causes produisant des effets déterminés et, de l'autre, un ordre suprême, qui contient virtuellement, en les excédant, tous ces ordres inférieurs, de même que la cause dont ils dépendent, qui est Dieu, contient virtuellement et éminemment toutes les causes secondaires.
Si donc on nous demande ce que l'on entend par ordre de la nature, nous répondrons : par ordre de la nature on peut entendre premièrement l'ordre universel des choses, selon qu'elles dépendent, quant à leur essence, de Dieu même ; en second lieu, on peut entendre l'un ou l'autre des ordres des choses inférieures, selon que celles-ci dépendent des causes secondes. Or, comme le miracle est, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, un effet en dehors de l'ordre de la nature, demander si Dieu peut faire un miracle, sera la même chose que demander s'il peut agir en dehors de l'ordre de la nature.


Dieu ne peut agir en dehors de l'ordre universel

Ce n'est donc pas une réponse, mais deux qu'il faut donner à cette demande, selon que par ordre de la nature on entend l'ordre universel ou les ordres particuliers des choses.
Or il est évident que Dieu ne peut agir contre l'ordre universel. Non que la puissance lui manque, mais parce que cet ordre même n'admet la possibilité d'aucun changement, d'aucune sorte de variation.
De fait, l'ordre universel des choses dépend et de la science et de la volonté de Dieu qui ordonne toutes choses à sa bonté comme à leur dernière fin. Or, il n'est pas possible qu'une chose, quelle qu'elle soit, s'accomplisse, si elle n'est voulue de Dieu, puisque les créatures ne procèdent pas de lui en vertu de sa nature, mais bien plutôt par élection de sa volonté[21].
On ne peut non plus dire qu'une chose quelconque arrive, sinon en tant qu'elle est comprise dans la science divine, étant donné que la volonté ne peut jamais se porter qu'à ce qui est connu. On ne peut pas même imaginer que dans les créatures rien ne se fasse qui ne soit ordonné à la divine bonté, étant donné que celle-ci est l'objet propre de la volonté de Dieu. Dieu ne peut donc rien faire contre cet ordre universel ou en dehors de lui, autrement, il agirait contre sa Providence, il serait changeant et se renierait lui-même[22].
De plus, cet ordre étant universel, comprend toutes les choses, comme la cause dont il procède, qui est Dieu lui-même, comprend elle-même toutes les choses. S'il s'agit de l'ordre d'une cause particulière, il est possible que quelque effet arrive en dehors de cette cause : c'est-à-dire qu'une autre cause empêche celle-ci de parvenir à son but, comme, suivant l'exemple donné par saint Thomas, la vertu nutritive ne parvient pas toujours, chez les animaux, à son effet, c'est-à-dire à la digestion parfaite, à cause, par exemple, de la grossièreté de l'aliment. Mais cette seconde cause qui rend ainsi vaine l'efficacité de la cause antécédente, il faut bien qu'elle se réduise en une autre cause supérieure dont elle dépend comme effet, et celle-ci en une autre, jusqu'à ce que l'on rejoigne la première cause, qui est Dieu. De là vient que, si d'un côté, quelque chose semble échapper à l'ordre de la Providence divine quand on la considère par rapport à une cause particulière, par un autre côté pourtant il faut qu'elle y retourne et ainsi aucun être ne peut se dérober entièrement à l'ordre universel de la Providence, autrement il faudrait nécessairement qu'il retournât dans le néant[23].
En outre, étant donné que l'essence de l'ordre moral consiste précisément dans la juste relation de la créature raisonnable par rapport à Dieu, sa fin dernière, il en résulte que Dieu lui-même ne peut absolument pas agir contre l'ordre universel des choses. Car une telle dérogation serait directement opposée à l'ordre de relation et de dépendance qu'a l'univers tout entier par rapport à sa fin dernière. Ce serait, par conséquent, un mal moral, un péché, que Dieu ne peut absolument pas commettre[24].
Nous pouvons donc conclure, pour le but que nous poursuivons, que le miracle ne peut jamais être une œuvre faite par Dieu contre l'ordre universel de la nature, mais seulement contre quelque ordre particulier. En outre, si un fait merveilleux ne peut être rapporté à sa propre cause, c'est-à-dire, à la cause secondaire, il ne laisse pas pour cela de se rattacher à l'ordre de la cause première, qui est l'ordre de la Providence divine gouvernant tout et à laquelle rien ne peut jamais se soustraire.


La Divine Providence n'enlève pas aux choses de ce monde leur contingence

Ce serait toutefois une très grave erreur d'imaginer que, du fait que rien ne peut se faire en dehors de l'ordre de la Divine Providence ou se soustraire en quelque manière à ses hautes dispositions, les effets des causes créées perdent leur contingence, et par conséquent que tout ce que nous faisons, nous le faisons par nécessité et non point librement.
Les sages paroles de saint Thomas suffisent à exclure une telle hypothèse. « Quand une cause est efficace dans son opération, dit-il[25], l'effet suit sa cause, non seulement selon la chose produite, mais aussi selon le mode par lequel il se produit et selon le mode d'être qu'il possède. Du défaut de vigueur active dans la semence, il arrive qu'un fils naît peu semblable à son père dans les choses accidentelles qui appartiennent au mode de l'être. La divine volonté étant donc très efficace, il en résulte que non seulement ce qu'elle veut s'accomplit, mais aussi s'accomplit de la manière voulue par elle. Or Dieu veut que certaines choses soient produites nécessairement, et que d'autres, au contraire, se fassent d'une manière contingente, afin qu'il y ait de l'ordre dans les choses, pour la perfection de l'univers. Il a donc adapté à certains effets des causes nécessaires qui ne peuvent pas manquer et d'où les effets procèdent nécessairement ; à d'autres, au contraire, il a adapté des causes contingentes défectueuses, desquelles procèdent des effets contingents. »
Ailleurs, le même Docteur Angélique, après avoir dit que Dieu, dans l'exécution de l'ordre de sa Providence, n'exclut pas, mais au contraire, admet les causes secondes qui, par rapport aux effets, sont dites causes prochaines, ajoute ceci [26] : « Ce n'est pas en raison des causes éloignées que certains effets sont dits nécessaires ou contingents ; mais c'est en raison des causes prochaines. Ainsi, la fructification de la plante est un effet contingent en raison de la cause prochaine qui est la force germinative capable d'être gênée ou même annulée, bien que la cause éloignée, c'est-à-dire le soleil, agisse nécessairement. Puis donc que, parmi les causes prochaines, il en est beaucoup qui peuvent demeurer inactives, on doit dire que les effets réglés par la Providence ne seront pas tous nécessaires, mais beaucoup, au contraire, seront contingents. »
C'est ainsi que non seulement Dieu n'enlève pas aux effets contingents, tels que sont nos volitions libres, leur propre contingence, mais, de plus, celle-ci découle de l'efficacité de la volonté divine. C'est précisément afin que de tels effets se vérifient, que Dieu a ordonné qu'il y eût des causes secondes capables de les produire. La vertu divine, qui est la cause première, en se communiquant aux causes secondes, se modifie, de façon à leur permettre de produire des effets contingents.


Tous les êtres exécutent spontanément l'ordre de la Divine Providence

De là vient que toutes les choses du monde, de même qu'elles puisent en Dieu leur être et leur modalité, de même aussi courent, pour ainsi dire, avec spontanéité et joie et d'un plein consentement, exécuter cet ordre de la Divine Providence. Ni la contrainte n'intervient ni la violence. Comme l'ordre de la Providence ne tend qu'au bien, ainsi toute chose créée ne tend qu'au bien dans ses opérations, car, observe avec raison l'auteur du livre De Divinis Nominibus[27], « nul n'agit en vue du mal ». Il est nécessaire, par conséquent, que toutes les choses, dans leurs opérations, retombent dans l'ordre de la Providence qui a le bien pour objet.
D'autre part, les créatures ne peuvent manquer d'accomplir l'ordre de la divine Providence, car leur inclination, par laquelle elles agissent, vient toute de Dieu, le premier moteur. C'est pourquoi toutes les choses, libres ou non, composées ou simples, corruptibles ou incorruptibles, sont dirigées par Dieu vers leur fin propre, de même que la flèche est dirigée vers le but par la main de l'archer[28]. Il y a pourtant cette différence que le mouvement imprimé par l'homme à la flèche est violent, tandis que le mouvement imprimé par Dieu aux choses produites par lui est naturel. « Dieu, dit saint Thomas[29], est la cause première qui met en mouvement aussi bien les causes naturelles que les causes volontaires. Et comme en donnant le mouvement aux causes naturelles, il n'empêche pas que leurs actes ne soient naturels, de même, en donnant le mouvement aux causes volontaires, il n'empêche pas que leurs actes soient volontaires, mais au contraire c'est lui qui les rend tels, parce qu'il opère dans chaque agent selon la propriété de cet agent. »
C'est ainsi que, même quand il pèche, l'homme ne sort pas des limites de cet ordre. Car, en péchant, il entend se procurer un bien déterminé ; mais ce bien est lui aussi contenu dans l'ordre général des choses, étant donné que tout bien créé n'est autre chose qu'un rayonnement du Souverain Bien, qui est Dieu, centre de cet ordre. Toutefois, comme ce bien déterminé s'oppose à cet autre bien qui convient à l'homme selon sa nature ou son état, il en résulte qu'il est justement puni par Dieu[30], et cette punition même, tandis qu'elle est un mal pour l'homme prévaricateur, se trouve être en elle-même un bien, étant une réintégration de la justice divine. De la sorte, elle est elle-même comprise dans l'ordre général de la Divine Providence.


Synthèse dans l'ordre de l'univers

Un coup d'œil sur la complexité de cet univers physique suffira pour illustrer ce que nous avons dit des ordres des choses créées.
On ne peut douter que toutes les parties de ce monde ne soient étroitement unies dans une synthèse universelle, qu'elles ne forment un tout harmonieux, un système unique, régi par une loi suprême, tendant à une même fin suprême. Mais dans cet ordre suprême combien d'autres ordres existent ! Que de centres particuliers sont compris dans cet ordre, ayant chacun son orbite, sa propre sphère d'action ! Chaque partie forme par elle-même un système, est régie par des lois propres et forme le centre de révolution pour d'autres parties presque infinies, tandis que celles-ci, à leur tour, deviennent des centres pour d'autres parties, et ainsi de suite, sans que pourtant aucune d'elles ne sorte jamais de l'ordre du tout, ou ne se dérobe à la loi souveraine par laquelle est gouverné l'univers.
On sait comment notre planète a son propre mouvement de rotation autour de son axe, lequel mouvement s'accomplit régulièrement dans l'espace de vingt-quatre heures ; comment elle a en outre ses propres lois d'équilibre, ses propres forces, centripète et centrifuge, son propre satellite, la lune, qui en vingt-neuf jours et demi, accomplit son circuit autour de la terre. D'autre part, la terre, avec tout ce qui lui appartient, fait elle-même partie d'un système et suit, sans jamais s'en départir, le mouvement également imprimé à tant d'autres planètes autour d'un point d'un bien plus grand rayonnement, c'est-à-dire autour du soleil. Sans jamais rien perdre de son mouvement de rotation, elle accomplit, en harmonie avec tout l'ordre auquel elle appartient, son immense circuit de révolution autour du soleil en trois cent soixante-cinq jours. Le soleil, à son tour, n'est, avec son ordre entier, qu'une partie de la machine de ce vaste univers.
Il y a donc dans le monde un ordre général et suprême, gouverné par une Providence souveraine et générale ; il y a, en outre, tant et tant d'autres ordres particuliers, gouvernés, à leur tour, par une providence spéciale. Que si ces ordres particuliers semblent parfois se dérober, par quelque endroit, à l'ordre de la Providence Divine, ils sont obligés d'y rentrer par un autre côté. Ainsi les orages, les inondations et tous les désastres qui s'abattent parfois sur la terre, semblent, à première vue, interrompre l'harmonie du monde ; mais, en réalité, ils servent à manifester les attributs de Dieu, principalement sa justice, et à promouvoir le bien moral de la société. C'est ainsi que toutes les choses du monde sont retenues et comprises dans un ordre souverain, hors duquel toute fuite est impossible. Merveilleuse multiplicité dans l'unité, composition dans la simplicité, diversité dans l'uniformité !


Ce que dit Dante par rapport à l'ordre de l'univers

Avec des accents d'un lyrisme sublime, le grand poète, Dante, a su mettre en relief le spectacle grandiose que présente cet ordre de l'univers. Il serait difficile de trouver ailleurs une telle harmonie de langage alliée à une exposition aussi exacte de la profonde pensée philosophique qui nous occupe.

… « Un ordre mutuel
Joint tout dans l'univers; et cet ordre immortel
Est la forme qui rend le monde à Dieu semblable.

En lui se laissent voir à l'être raisonnable
Les vestiges de l'Être infini, centre, roi,
Fin où tout va selon l'universelle loi.

Dans l'ordre que je dis tout être a sa tendance,
Diverse pour chacun selon que son essence
L'approche ou plus ou moins du principe premier.
.
Chacun a donc son port et chacun son sentier
Sur le vaste océan de l'être; et la nature
Vers le but par l'instinct guide la créature.

Par cet instinct le feu vers la lune est porté,
Par lui de tout vivant le cœur est agité,
Par lui tu vois la terre unie et ramassée.

Ce n'est pas seulement aux êtres sans pensée
Que vise l'arc divin; il atteint encor plus
Ceux qui d'intelligence et d'amour sont pourvus.

Ce Dieu, qui règle tout, à la sphère première
A donné le repos joyeux dans la lumière,
Tandis qu'impétueux tourne le second ciel.

Vers elle, où nous appelle un décret éternel,
Nous sommes décochés par cet arc infaillible
Dont la direction a notre bien pour cible.

Il est vrai, comme on voit souvent à l'idéal,
Que l'art a poursuivi, l'œuvre répondre mal
Parce que la matière était sourde et rebelle,

Parfois s'écarte aussi de sa route si belle
L'être créé qui peut librement détourner
L'élan que vers le bien Dieu daigna lui donner;

Et, comme on voit le feu descendre d'un nuage,
Nous tombons, du plaisir quand la flatteuse image
Vers la terre a courbé notre instinct primitif[31].


Bonté de la Divine Providence envers les hommes

Les considérations philosophiques que nous venons de faire sur l'ordre de la Divine Providence, resteraient incomplètes, si nous ne les appliquions pas à notre vie pratique, nous fournissant ainsi de puissants et purs motifs de consolation.
Car Dieu n'est pas seulement le très sage ordonnateur de toutes les choses du monde ; il est en outre le Père très bon qui n'abandonne pas sa créature après l'avoir tirée du néant. Non, Dieu n'est pas un spectateur indifférent de nos luttes et de nos souffrances. Sa Providence embrasse tous les êtres, organiques et inorganiques, mais elle s'étend d'une façon spéciale à l'homme fait à son image et à sa ressemblance. Elle l'entoure de soins pleins d'amour, d'un amour tel que jamais n'ont eu pour leurs enfants les plus tendres des pères et les plus aimantes des mères.
Rapprochons de cette pensée les vers si connus du poète italien Vincent Filicaia. L'allusion qu'il fait à l'amour d'une mère pour ses enfants bien-aimés, exprime à merveille le soin que Dieu, notre Père céleste, a pour chacun de nous.

Comme une mère avec une tendresse touchante
contemple ses fils et, brûlante d'amour,
en baise un sur le front, en serre un autre sur son cœur,
tient l'un sur ses genoux et l'autre devant elle,
et, tandis qu'elle observe les actes, les plaintes, leur visage,
elle comprend leurs désirs si divers, si nombreux,
jetant à celui-ci un regard, à celui-là disant un mot,
et, soit qu'elle rie ou qu'elle pleure, elle est toujours aimante,

Telle pour nous la Providence, d'une infinie grandeur,
console celui-ci, pourvoit aux besoins de celui-là,
et, prêtant l'oreille à tous, à tous donne secours.

Et si parfois elle refuse une grâce ou une récompense,
ou bien son refus n'est qu'une invite à la prière,
ou bien n'est qu'une feinte en même temps qu'elle accorde.



CHAPITRE II
ACTION DE DIEU DANS LE MONDE

Idée générale du miracle

Nous avons vu comment la Divine Providence dirige l'ordre des choses vers leur fin. Or, autre est la fin universelle et autres les fins particulières. Aussi avons-nous conclu qu'il existe un ordre universel, lequel est unique, et qu'il y a plusieurs ordres particuliers, aussi nombreux que le sont les relations des causes à leurs effets. Dieu ne peut agir contre l'ordre universel ou en dehors de lui, parce qu'étant lui-même la fin et comme la règle de cet ordre, il se renierait lui-même, s'il agissait contre cet ordre. Quant aux ordres particuliers, ils sont régis selon des lois physiques déterminées, établies par Dieu dès le principe ; ces ordres particuliers sont spécifiés par les lois que Dieu leur a données, comme par des fins prochaines.
Or, comme l'idée générale que nous avons coutume de nous former par rapport au miracle est justement celle d'une œuvre faite en dehors et même à l'opposé de ces lois, c'est-à-dire en dehors et à l'opposé du cours habituel de la nature, il s'ensuit que demander si le miracle est possible, équivaut à demander si Dieu peut agir soit en dehors soit à l'opposé des ordres inférieurs et particuliers des choses.
Si l'on prend la peine d'analyser cette question, on verra qu'elle se résout facilement en deux autres : l'une objective, savoir, s'il est possible qu'un effet soit produit en dehors ou à l'encontre du cours de la nature ; l'autre, subjective, étant donnée cette possibilité, Dieu est-il suffisamment puissant pour accomplir cette dérogation. La première question regarde la possibilité absolue ou intrinsèque du miracle ; la seconde la possibilité relative ou extrinsèque.
Cependant, la première question dépend en réalité de la seconde. Car la possibilité objective ou absolue du miracle se fonde non pas sur la puissance passive naturelle de l'effet, mais sur une puissance passive d'un ordre supérieur ; sur une puissance passive qui regarde un acte excédant, un acte disproportionné et qui a pour premier principe effectif l'agent premier auquel tout doit obéir. Cette puissance est appelée en théologie puissance obédientielle.
La possibilité du miracle résultera donc, non pas tant de la non-répugnance ou de la convenance possible entre le sujet passif et l'acte excédant ou disproportionné, mais plutôt de la possibilité de trouver un agent qui puisse amener ce sujet d'une puissance passive même très éloignée, à un acte excédant sans proportion non seulement la puissance passive naturelle du sujet, mais encore la force ou capacité active d'un agent quelconque en dehors du premier.
C'est pourquoi, si l'on doit conclure à une œuvre miraculeuse, ce sera précisément dans le cas où un effet surpassera, en l'excédant, une aptitude quelconque ou exigence naturelle du sujet chez lequel cette œuvre s'accomplit. Ainsi, chez un mort que, nous savons rendu à la vie, cette même vie excède sans proportion la puissance du corps mort. De même, dans la verge qu'Aaron changea en serpent, la forme serpentine excédait également sans proportion la potentialité de la verge de bois. Dans ces cas et d'autres semblables, les effets exigent, comme principe actif, le pouvoir de l'agent premier.
On aperçoit d'ici ce que l'on entend lorsqu'on veut savoir si le miracle est possible. Demander si le miracle est possible équivaut à rechercher, non pas si tel acte ou telle forme peut ou non convenir à tel sujet, mais à examiner si l'on peut trouver un agent assez puissant pour vaincre l'excès de supériorité de l'acte ou de la forme du sujet, en dominer la puissance passive et l'amener par son action propre, quelle que soit sa puissance actuelle, à quelque acte ou forme que ce soit, nonobstant l'excès de cet acte sur la puissance, pourvu, cela s'entend, qu'il ne s'agisse pas d'une répugnance dans les termes, comme ce serait le cas pour une droite courbe ou un cercle carré.
Pour mieux rendre notre pensée, nous pouvons proposer la question de cette manière : une pierre, par exemple, peut-elle devenir du pain, ce qui, du consentement de tous, serait un miracle ? Cette question se réduit formellement à cette autre : peut-on trouver un agent qui fasse passer une pierre de la puissance passive à un acte excédant sans proportion cette même puissance, acte qui, dans ce cas, est la forme substantielle du pain ?


Deux erreurs extrêmes à éviter par rapport à l'action de Dieu dans le monde

Que Dieu puisse réduire un sujet quelconque à un acte ou à une forme hors de proportion avec la puissance de ce sujet ou l'excédant, c'est-à-dire qu'il puisse faire des miracles, est un point de philosophie également rejeté par deux écoles diamétralement opposées. Les uns, dignes émules des rationalistes, dont parle le saint homme job, jusqu'à Platon et les déistes de l'école de Hume et de Voltaire jusqu'à Renan, ont cherché à soustraire à la Providence immédiate de Dieu la raison d'être des choses et l'ordre qu'elles ont à leurs fins, disant que Dieu a pourvu suffisamment, une fois pour toutes, au bon fonctionnement de la nature, sans qu'il soit besoin, de son côté, d'une nouvelle ingérence dans le règne de celle-ci. En vertu de leurs principes, ces déistes durent rejeter à priori tout ce qui peut avoir l'apparence de miracle. Ils crurent faire acte d'humanité en plaignant les ignorants qui, ayant recouvré la vue, ne pouvaient se persuader d'être encore aveugles.
D'autres, au contraire, posèrent comme principe le fait que, dans la production des effets naturels, la créature n'a, selon eux, aucune action effective, Dieu prenant occasion de la présence de ces causes, pour produire, par lui seul, ces mêmes effets.
En vérité, ces philosophes, anciens ou modernes, que l'on s'est accordé à nommer occasionalistes, ne peuvent admettre que, quelquefois seulement, Dieu opère sans le concours des causes secondaires, étant donné que, d'après eux, il ne s'en sert jamais. Le miracle est donc pour eux une loi universelle, et non une dérogation aux lois physiques. Tout au plus distinguera-t-on une œuvre merveilleuse des autres œuvres par l'absence de l'occasion ; mais cette absence n'est qu'accidentelle : en substance, un miracle envisagé du côté de la cause opérante, ne se distinguera d'aucun autre effet.
Ceux-ci donc pèchent par excès, ceux-là par défaut. Pour nous éloigner de ces deux extrêmes et établir la vérité dans son juste milieu, il faudra démontrer, contre les premiers, que les raisons des choses sont immédiatement soumises à Dieu, et, contre les seconds, que toutes les choses de ce monde ont leurs propres opérations. En d'autres termes, il faudra revenir au concept adéquat de la Providence qui comprend ces deux aspects : la raison des choses ordonnées à leur fin, laquelle est immédiatement en Dieu et de Dieu, et l'exécution de cette raison, laquelle s'accomplit par le moyen des causes secondes.
Après avoir démontré, dans ce chapitre, comment les choses naturelles sont immédiatement soumises à l'ordre de la Divine Providence par rapport à leur fin, nous expliquerons, dans le chapitre suivant, comment la Providence n'exclut pas, mais au contraire ordonne et veut que les causes secondes aient leur propre efficience ou causalité par rapport à leurs propres effets.
Une formule synthétique résumera notre exposition : Dieu, tandis qu'il pourvoit immédiatement à toutes les choses quant à la raison qui les conduit à leur fin, non seulement ne soustrait pas, mais répartit à chacune d'elles et leur conserve continuellement le pouvoir et l'efficacité d'une véritable causalité.


Toutes les choses sont soumises immédiatement à l'ordre de la Providence

Commençons par déterminer quelle est l'action de Dieu dans le monde.
La connaissance de Dieu n'a pas de limites. Elle s'étend à tout ce qui est, a été et sera. Elle embrasse également toutes les choses qui peuvent exister de quelque manière que ce soit. Toutes sont connues de lui, non pas d'une connaissance générale et confuse, mais distinctement et d'une façon très claire ou, comme dit saint Thomas, d'une connaissance propre, propria cognitione. Ceci ne veut pas dire que Dieu connaisse les choses par le moyen de leurs raisons propres, dites espèces intelligibles, mais par le moyen de sa propre essence qui, étant elle-même une espèce intelligible très parfaite, contient éminemment tout ce qu'il peut y avoir de perfection dans les espèces intelligibles des choses créées.
C'est de cette façon que l'acte parfait contient les actes imparfaits. Par exemple, l'âme raisonnable contient l'âme sensitive et l'âme végétative ;le numéro six, qui est parfait, contient les nombres inférieurs imparfaits. De cette manière, l'acte imparfait peut se connaître parfaitement et d'une connaissance propre par celui qui est parfait, comme les choses finies peuvent toutes être connues parfaitement par Dieu dans sa divine Essence même[32]. Il s'ensuit que la divine Essence est pour Dieu, en même temps, le principe, le moyen et le terme de sa connaissance. En elle et par elle, Dieu voit avec une souveraine clarté, avec une parfaite précision et propriété, toute perfection qui peut être communiquée aux créatures, tant spirituelles que corruptibles, tant actuelles que possibles.
La science de Dieu ne réside donc pas seulement dans les généralités, elle descend aux plus petits détails ; elle embrasse les plus lointaines conclusions, tant dans l'ordre spéculatif que dans l'ordre pratique.
La même chose doit se dire de la Divine Providence, laquelle est dans l'intellect de Dieu, en supposant toutefois en lui la volonté de la fin. La Providence est la raison des choses qui doivent être ordonnées à leur fin[33]. Elle s'étend donc aussi loin que la connaissance de l'intellect divin par rapport aux choses à ordonner à leur fin, c'est-à-dire aussi loin que s'étend la causalité de Dieu. Or, la causalité de Dieu, premier agent, s'étend à tous les êtres, quels qu'ils soient, et non seulement aux principes des espèces, mais encore aux principes immédiats des individus, tant dans les choses corruptibles que dans celles incorruptibles, étant donné qu'aucune chose ne peut participer à l'être, sinon en vertu de Celui qui est l'être par essence.
Qu'on ne dise pas que Dieu a donné aux choses créées par lui quelques lois générales pour les diriger dans leurs opérations, et qu'il les laisse ensuite suivre ces lois, ou bien, lorsqu'une raison spéciale l'exige, qu'il les laisse y déroger, comme le font parfois les supérieurs, lorsqu'ils prescrivent à leurs subalternes des règles déterminées, mais non tellement inviolables, qu'elles ne puissent souffrir aucune exception. Ceci, disons-nous, lorsqu'il s'agit de Dieu, est un vain songe et une supposition chimérique.
C'est pourquoi, dit saint Thomas, interpréter la loi et dispenser de son obligation, n'appartient de droit qu'à celui qui peut porter un jugement sur cette même loi ; d'autre part, celui-là seul peut porter un jugement sur la loi, qui en est l'auteur[34]. Or, bien que, dans les choses humaines, il arrive parfois qu'un inférieur déroge effectivement pour de justes motifs à la loi de son supérieur, et qu'en cela même il se montre supérieur à la loi, un cas semblable ne peut arriver par rapport à Dieu qui n'a, d'aucune façon, aucun supérieur quelconque. Il est donc nécessaire que Dieu pourvoie immédiatement à toutes les choses, même aux plus petites et aux plus insignifiantes ; il faut par suite que les dérogations à l'ordre de la nature retombent elles-mêmes dans l'ordre de la Providence, comme conçues et voulues immédiatement par Dieu[35].
D'autre part, nous devons bien nous garder de juger l'Être suprême, qui est Dieu, à la manière d'un homme, dont le pouvoir est limité. L'homme ne peut, le voulût-il, entrer dans tous les détails des choses soumises à sa providence particulière. Un roi, quelle que soit sa pénétration, ne peut prêter une attention minutieuse et continue à toutes les choses particulières de son royaume. Tout en se réservant la haute direction sur ses ministres, il consent à ce que ceux-ci partagent avec lui le soin de pourvoir aux choses inférieures dans les cas particuliers, et qu'ils s'occupent, chacun dans sa sphère d'action, des choses que la science limitée du roi ne peut atteindre par elle-même.
Avec Dieu, au contraire, les choses ne sont pas ainsi. Son regard puissant embrasse les petites choses aussi bien que les grandes ; il pénètre jusqu'aux détails les plus minutieux ; il embrasse, sans succession, tous les temps ; il connaît sans changement tous les changements qui ont lieu ; il joint à la vivacité et à la fraîcheur de la jeunesse l'assurance et la prudence de l'âge mûr[36].
Qu'on ne dise pas qu'il répugne à la dignité d'un Dieu immense, de s'abaisser jusqu'à prendre soin de ce qui, en soi, a si peu d'importance. On ne doit pas juger Dieu de la même façon que nous jugeons les hommes. Par la condition même de sa nature, l'intelligence humaine est très limitée : aussi, nombreuses sont les choses que l'homme ne peut prévoir, et même, en les prévoyant, il ne peut actuellement les ordonner à leur fin propre. C'est pourquoi il est souvent nécessaire que nous laissions ces points secondaires à la détermination du moment, pour ne pas détourner notre intelligence de la considération de choses plus nobles et d'une plus grande importance. D'autre part, il est louable que l'homme s'abstienne de penser à certaines choses viles et basses, autrement sa volonté, inclinée déjà au mal, pourrait en recevoir quelque dommage. Le mot de saint Augustin trouve ici sa place : « Il y a certaines choses, dit-il, qu'il vaut mieux ignorer que connaître, comme par exemple, les choses viles ou nuisibles [37]»
On ne peut trop condamner ce système d'éducation, aujourd'hui tant vanté, qui consiste à permettre à tous indifféremment, toutes sortes de lectures et d'études sous prétexte qu'il n'y a rien de mal à connaître les choses. Certainement, il n'y a rien de mal à connaître les choses même mauvaises ; mais, étant donnée la faiblesse de l'homme, ce libéralisme dans l'éducation peut être cause d'une ruine irréparable, telle que, hélas, on ne l'a vu que trop souvent.
Bien différente de la connaissance limitée de l'homme est la connaissance de Dieu. L'être suprême n'arrive pas à la connaissance des choses par plusieurs actes différents, mais par un seul qui est sa propre essence. D'autre part, la volonté divine est essentiellement droite, de telle sorte qu'elle ne peut en aucune manière se porter au mal. C'est pourquoi rien ne s'oppose à ce que Dieu pourvoie à toutes les choses, immédiatement et par lui-même ; ceci même est nécessaire, et non seulement par rapport aux choses suprêmes, mais aussi à celles qui sont les plus insignifiantes à nos yeux[38].


Comment se réalisent les effets à venir

Voilà donc quelle est l'ampleur et l'universalité de la Providence Divine.
Étant donnée la distinction des ordres inférieurs d'avec l'ordre suprême, et la façon dont l'ordre suprême, qui est gouverné par la sagesse et la volonté divine, c'est-à-dire par la Divine Providence, comprend, en les surpassant, tous les ordres des causes secondes, il s'ensuit qu'un effet quelconque en tant qu'il se trouve comme contenu dans l'ordre suprême, c'est-à-dire, dans la divine volonté, se vérifie constamment avec la plus grande exactitude, ce qui n'arrive pas toujours, si l'on juge cet effet d'après sa dépendance par rapport aux causes inférieures.
Nous savons, en effet, chose qui sera exposée plus amplement dans les chapitres suivants, que la cause première n'enlève pas aux causes secondaires le pouvoir de produire leurs effets déterminés ; de telle sorte, toutefois, que, en raison de l'excellence de la puissance divine, laquelle surpasse infiniment n'importe quel pouvoir créé, beaucoup de choses sont contenues dans la science directrice de Dieu, dans sa volonté maîtresse et dans son pouvoir exécutif, lesquelles n'appartiennent pas à l'ordre des causes inférieures. Aussi, en ne regardant que les causes inférieures, on peut en venir à juger que tel effet doit se produire, lequel cependant ne se produira pas, au cas où l'ordre suprême de la cause première et infinie en aura disposé autrement.
Rappelons-nous le cas de Lazare. En n'envisageant que l'ordre des causes naturelles secondaires, on aurait certainement dû déclarer que son cadavre ne serait pas rendu à la vie, et l'on aurait dit là une grande vérité, car il n'y a, dans un corps mort, aucune possibilité naturelle de revenir à une vie nouvelle. Toutefois Jésus-Christ dit à Marthe, en lui montrant précisément le cadavre de Lazare : « Ton frère ressuscitera[39] », et il dit la vérité. Car, étant Dieu, il savait fort bien qu'il en avait été disposé autrement dans l'ordre de la Providence. « La volonté de Dieu, étant cause première et universelle, dit saint Thomas, n'exclut pas les causes intermédiaires dont le pouvoir comporte la production de certains effets. Mais comme toutes les causes intermédiaires n'égalent pas en vertu la cause première, il y a dans la puissance, dans la science et dans la volonté divine, beaucoup de choses qui ne sont pas contenues dans l'ordre des causes inférieures, telle la résurrection de Lazare[40]. »
Cette même observation sert aussi à nous faire comprendre pourquoi certaines prédictions, bien que divines, ne se réalisent pas. La raison en est que ces prédictions ont été faites, non pas en considération de l'ordre de la cause première, mais seulement des causes secondes, à l'ordre desquelles Dieu est libre de déroger, quand cela lui plaît.
De fait, nous avons dans la sainte Écriture plusieurs exemples de prophéties non vérifiées, et cela pour la simple raison que ces prophéties étaient faites par rapport à l'ordre des causes inférieures et eu égard aux dispositions naturelles des choses ou bien aux mérites de la créature, tandis qu'il en était disposé autrement dans l'ordre suprême de la Divine Providence. « Donne tes ordres à ta maison, disait de la part de Dieu le prophète Isaie à Ézéchias malade dans son lit[41], car voilà que tu vas mourir et tu ne te relèveras pas. » Tel était le verdict obligé, étant donné la nature du mal dont souffrait le roi de judas, verdict manifesté par la vision surnaturelle accordée à Isaïe ; mais une autre chose était écrite dans les décrets éternels. En effet, tandis qu'Ézéchias, bouleversé par la triste nouvelle, s'adressait au Seigneur et avec force prières et larmes le suppliait de prolonger sa vie, le premier verdict était annulé, et le roi s'entendait dire [42] : «Voici que j'ajouterai à tes jours encore quinze années.»
De la même manière, le Prophète Jonas, considérant les péchés des Ninivites, les menaçait d'une complète et prompte extermination : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite [43] ». Mais comme les décrets éternels portaient que Ninive se convertirait, le désastre prédit n'eut pas lieu. Le Seigneur étendit au contraire sur la cité contrite, et humiliée le manteau de son infinie miséricorde [44] : « Dieu se repentit du mal qu'il avait annoncé qu'il leur ferait, et il ne le fit pas. »


Erreur des déistes

La conclusion que nous tirons de tout ceci est claire. Il est faux de dire, avec les déistes, que Dieu ne s'occupe pas des choses de cette terre et que, bienheureux dans son royaume, il a livré le monde physique au pouvoir des lois de la nature, laissant le monde moral libre de disposer de lui-même.
Elle n'est pas moins fausse la remarque arrogante que Éliphas Thémanites imputait sans raison au saint homme job, mais que les incrédules ne cessent de répéter : « Qu'en sait Dieu ? Pourra-t-il juger à travers les nues profondes ? Les nues lui forment un voile, et il ne voit pas ; il se promène sur la voûte du ciel[45]. »
Elle est fausse également l'observation de Platon [46] à savoir qu'il existe une triple providence : la première, celle du Dieu suprême, qui pourvoit principalement aux choses spirituelles, c'est-à-dire aux substances séparées et ensuite au monde entier quant aux genres, aux espèces et aux causes universelles, qui sont les corps célestes ; une seconde, celle des substances séparées, qui mettent en mouvement les cieux, appelées par lui les dieux, substances qu'il imaginait connue tournant autour du ciel et auxquelles il attribuait le soin de pourvoir aux individus, tant chez les plantes que chez tous les autres êtres générables et corruptibles, quant à leur génération, corruption ou changements divers[47] ; enfin une troisième, celle des démons qui sont sur la terre, placés par Platon entre les dieux et les hommes et auxquels appartient, d'après lui, le soin des choses humaines.
En réalité, cette triple providence ou toute autre chose semblable est un mythe. Le fait est que Dieu pourvoit immédiatement à ce que toutes les choses, même les plus petites, soient ordonnées à leur fin. La raison le démontre et les saintes Écritures le confirment amplement. « C'est vous, ô Seigneur, qui avez fait les merveilles des temps anciens, et qui avez formé le dessein de celles qui ont suivi, et elles se sont accomplies parce que vous l'avez voulu[48].»- «A qui a-t-il cédé le gouvernement de la terre et à qui a-t-il donné à gouverner le monde qu'il a fabriqué [49] ? »« Le Seigneur, conclut saint Grégoire, gouverne par lui-même le monde qu'il a créé par lui-même[50]. »


Méprise de ceux qui méconnaissent la cause première

De ce que nous avons dit, on peut juger combien est loin du vrai la philosophie, si l'on peut lui donner ce nom, d'Herbert Spencer et de ses disciples qui, en s'efforçant d'expliquer l'origine du cosmos et sa constitution physique uniquement par l'opération de causes naturelles, de manifestations spontanées ou encore de productions mentales, ne reconnaissent d'autre cause efficiente que la matière et le dynamisme et croient trouver dans ces phénomènes, la somme totale de la science philosophique et notamment de la psychologie.
Saint Pierre qualifie de vaniteux ceux qui, avec un apparat ridicule de mots dépourvus de sens, affectent de méconnaître, dans leurs raisonnements scientifiques, le Seigneur et Créateur de toutes choses[51]. Ce n'est pas à tort que parle ainsi le Prince des Apôtres. Négliger les progrès obtenus dans la connaissance des forces du cosmos et de ses lois ou prétendre méconnaître les déductions légitimes des sciences expérimentales est, nous le reconnaissons, une injure faite au Créateur lui-même qui, dans la constitution du monde, a voulu que chaque chose fût marquée au sceau de sa sagesse [52] et qui a dispose tout avec mesure, nombre et poids [53]». Mais, d'autre part, c'est certainement le comble d'une ignorance folle de prétendre exclure du domaine scientifique la cause première, de laquelle toutes les autres causes dépendent nécessairement.
Il ne suffit pas d'introduire Dieu pour un moment sur la scène de l'univers pour le faire ensuite disparaître, comme si les choses du monde n'avaient plus besoin de sa présence pour exister et pour agir. La présence de Dieu dans l'univers n'est pas moins nécessaire que la présence du soleil dans le monde. Sans Dieu tout est ténèbres, inertie et mort ; c'est le chaos primitif, ou mieux encore, c'est l'abîme du néant.


CHAPITRE III
L'ACTION DES CRÉATURES DANS LE MONDE

Erreur des occasionnalistes

D'après ce que nous avons exposé dans le chapitre précédent, il résulte que Dieu, cause première et suprême, pourvoit immédiatement à toutes les choses, en tant que la raison de l'ordre de ces choses par rapport à leur fin est en lui immédiatement. Mais, dira-t-on, peut-être Dieu opère-t-il directement tout par lui-même, sans la coopération d'aucune cause seconde ? Et s'il en est ainsi, tout ce qui arrive est produit directement par lui, et par conséquent, ou bien tous les effets produits dans le monde sont des miracles, ou bien ce que nous avons l'habitude d'appeler miracle ne l'est pas plus que n'importe quel autre effet, puisque Dieu seul est toujours l'unique cause de tous les effets réalisés par les créatures. Ainsi raisonnent les philosophes qu'on est convenu d'appeler occasionnalistes. Ils soutiennent que les causes secondes sont uniquement des occasions déterminant Dieu à produire par lui seul tous les effets réalisés dans les créatures.
Nous avons déjà vu comment les déistes rejettent l'intervention de la Divine Providence dans les choses de ce monde. Voyons maintenant comment les occasionnalistes, au contraire, admettent cette intervention, au point d'exclure le concours des causes secondes. De même que les premiers partaient de ce principe que les causes secondes sont suffisamment parfaites en elles-mêmes et par conséquent n'ont pas besoin du concours de la cause première, ainsi les occasionnalistes, du fait même que Dieu opère en toutes choses, ont pris motif de cela pour nier une véritable raison d'efficience dans les créatures. « Que Dieu opère en chaque chose opérante, dit le Docteur angélique[54], certains l'ont entendu de telle sorte qu'ils exclurent toute vertu créée productive des choses, comme si Dieu seul produisait directement chaque effet ; c'est pourquoi, selon eux, ce n'est pas le feu qui réchauffe, mais c'est Dieu lui-même qui réchauffe dans le feu, et ainsi doit-on dire de toutes les autres causes secondes. »
L'occasionnalisme, du reste, n'est pas de date récente. Saint Thomas rapporte l'opinion de quelques philosophes qui disaient qu'aucune forme, tant substantielle qu'accidentelle, n'est produite autrement que par voie de création [55]. Ces formes, disaient-ils, ne peuvent être produites par la matière, puisqu'elles n'ont en elles-mêmes aucune matière ; il faut donc qu'elles soient tirées du néant, ce qui signifie qu'elles sont créées, action qui ne convient qu'à Dieu seul. Une conclusion semblable découlerait, comme conséquence nécessaire, du système de Platon, ce philosophe attribuant l'origine de toutes les formes, tant substantielles qu'accidentelles, a des formes appelées par lui idées séparées.
Le philosophe arabe Avicenne s'écarte quelque peu de Platon. Tandis qu'il attribue à l'action de l'intellect, agent qui, d'après lui, est unique chez tous, la production des formes substantielles, il fait cependant une exception pour les formes accidentelles, qu'il suppose n'être que de simples dispositions de la matière, et conséquemment peuvent très bien venir de l'action des agents inférieurs, dont la vertu consiste à disposer la matière à la forme.


Malebranche

Mais il était réservé au célèbre Malebranche de renouveler ce système de philosophie, en lui donnant un plus grand développement et de nouvelles applications.
Disciple de Descartes et partant des principes de son maître, il était arrivé à des conclusions diamétralement opposées. En vertu de son doute universel, Descartes en était venu à libérer, comme il le disait, la raison de tout lien, en la délivrant également des liens sacro-saints de la foi et, disons-le, en la laïcisant comme l'observe dans ses Pensées le profond Pascal.
Malebranche, au contraire, mêlant l'ordre de la nature à celui de la grâce, voit Dieu partout, et rencontre en toutes choses l'action directe du Créateur ou son ingérence immédiate et presque exclusive dans tous les effets du monde. S'agit-il de retracer l'origine de nos connaissances dans l'ordre des idées, Malebranche, nouveau Platon, en revendique la raison au Verbe même de Dieu, à l'immatérialité duquel nous participons et en qui nous connaissons, par une vision directe, tout ce que nous percevons. Veut-on connaître d'où vient l'union de la créature avec son Créateur, il faut de nouveau recourir au Verbe incarné, auteur et médiateur nécessaire de cette union.
Veut-on, dans l'ordre de causalité, rechercher le principe d'efficience dans les choses créées, il faut remonter à la cause première. C'est de son action seule et sans intermédiaire, que dépendent les effets des créatures. Tout en admettant, en apparence, la médiation des causes secondes, la cause première ne s'en sert, en réalité, que comme d'une simple occasion d'exercer sa propre efficience. Quand donc nous voyons un effet se produire dans le monde, il nous semble qu'il dépend d'agents déterminés secondaires, mais nous nous trompons ; c'est Dieu même qui produit par lui seul tout l'effet ; l'agent secondaire n'est autre, en réalité, qu'une pure occasion.
Mais il convient de citer les propres paroles de Malebranche. « Les causes naturelles, dit-il[56], ne sont point de véritables causes, ce ne sont que des causes occasionnelles qui n'agissent que par la force et l'efficacité de la volonté de Dieu. » Et encore [57]: « Il n'y a donc qu'un seul vrai Dieu et qu'une seule cause qui soit véritablement cause, et l'on ne doit pas s'imaginer que ce qui précède un effet en soit la véritable cause. Dieu ne peut même communiquer sa puissance aux créatures, si nous suivons les lumières de la raison, il n'en peut faire de véritables causes, il n'en peut faire des dieux. Mais quand il le pourrait, nous ne pouvons concevoir pourquoi il le voudrait. Corps, esprits, pures intelligences, tout cela ne peut rien. C'est celui qui a fait les esprits qui les éclaire et qui les agite. C'est celui qui a créé le ciel et la terre qui en règle les mouvements. Enfin, c'est l'auteur de notre être qui exécute nos volontés. Semel jussit, semper Paret. Il remue même notre bras lorsque nous nous en servons contre ses ordres ; car il se plaint par son prophète[58], que nous le faisons servir à nos désirs injustes et criminels. »


Raison qu'apportent les occasionnalistes

Au soixante-neuvième chapitre du troisième livre de la Somme contre les Gentils, saint Thomas expose et résout les principaux motifs invoqués par les partisans de l'occasionnalisme en faveur de leur système. A la suite d'un tel maître nous examinerons la valeur objective de ces motifs. On verra comment un tel système est complètement dépourvu de fondement philosophique et comment le regard pénétrant du Docteur angélique en avait déjà minutieusement sondé les replis les plus secrets.
a) Le premier motif qui semblerait nous porter à attribuer à Dieu seul les effets des causes créées, c'est que dans ces mêmes effets on constate souvent la production d'une forme substantielle, comme quand, par la combustion, le bois devient cendre. Cependant aucune cause créée n'agit immédiatement par sa substance, car ceci est le propre de Dieu seul, dont l'être et l'agir sont une même chose avec son essence. Chaque nature créée agit par sa propre vertu, qui est une forme accidentelle ; c'est pourquoi un tel effet ne peut s'attribuer à la créature ; autrement il surpasserait sa cause ; la forme substantielle produite excédant la vertu accidentelle productrice. Il est donc nécessaire de remonter à une cause plus haute pour expliquer la production de ces effets. Or cette cause n'est autre que Dieu lui-même.
b) Cette conclusion apparaît encore plus évidente, nous dit-on, si l'on considère les corps en tant que causes efficientes. Afin que ceux-ci puissent agir, il faudrait qu'ils aient quelque chose qui leur soit soumis comme le principe passif l'est au principe actif. Or, aucune substance n'est inférieure à la substance corporelle. Celle-ci étant donc, pour ainsi dire, aux antipodes de Dieu, étant donné que Dieu ne possède aucune vertu passive, mais seulement une vertu active, il faut que la substance corporelle ne soit douée que d'une vertu passive ; d'où le philosophe arabe Avicebron [59]en vint à conclure qu'aucun corps ne possède le principe d'activité, mais que la vertu de la substance spirituelle, en passant par les corps, produit elle-même toutes les actions que les corps semblent produire.
Parmi les autres raisons sur lesquelles les occasionnalistes s'efforcent d'étayer leur système, nous nous contenterons d'en citer encore deux.
c) La première est celle-ci. Pour qu'un corps puisse agir sur un autre corps, le feu, par exemple, sur le bois, il est nécessaire qu'un accident passe d'un sujet à l'autre, que la chaleur passe du corps chaud au corps qui doit être échauffé, ce qui ne peut être, car de tels transferts d'accidents ne peuvent avoir lieu de sujet à sujet.
d) L'autre raison est que les corps sont doués de quantité ; et de même que celle-ci retarde le mouvement, de même aussi est-elle un empêchement au développement de l'activité. On doit conclure de là que nul corps n'est actif ; mais tous les corps sont essentiellement et exclusivement passifs.
Voici quelques-uns des principaux motifs, qui ont amené les occasionnalistes, anciens et modernes, à nier, dans les corps et, en général, dans toutes les substances créées, tout principe réel d'efficience. D'autre part, la force de la logique ne nous permet pas de rester dans le doute sur un point d'une telle importance. L'Ange de l'École nous a fourni d'amples preuves de la réalité de l'action des créatures. Nous choisissons les suivantes.


Les choses créées possèdent une véritable raison de causalité

Premièrement, s'il était vrai que Dieu produit par lui seul tous les effets que nous attribuons
aux causes secondes, cette seule action divine nous enlèverait tout moyen de distinguer spécifiquement les uns des autres les effets créés.
En effet, l'action de Dieu, étant sa propre substance qui est une et très simple, ne peut être, par elle seule, la raison de la variété des effets. D'autre part, cette variété ne pourrait se déduire des causes secondes, puisque, dans cette hypothèse, celles-ci ne seraient autre chose que de pures occasions. Il n'y aurait donc aucune raison pour que, de l'application du feu, par exemple, se produise la chaleur plutôt que le froid, ou que d'une semence déterminée, un individu naisse d'une espèce plutôt que d'une autre. Or ceci est en contradiction avec l'expérience, laquelle nous montre comment les mêmes causes produisent constamment les mêmes effets ; et pour cela des effets divers exigent des causes diverses. Dira-t-on que les effets sont différents les uns des autres en raison de la volonté divine qui détermine leur espèce selon les occasions données ? Cette hypothèse nous fait heurter contre le très grave inconvénient de dire que la volonté divine est déterminée et, pour ainsi dire, modifiée par les causes secondes elles-mêmes.
Étrange contradiction ! Tandis que l'occasionnalisme s'obstine à refuser aux créatures une causalité réelle par rapport aux effets créés, il est contraint d'admettre en elles une autre causalité bien supérieure à celle-là, c'est-à-dire, une causalité qui s'exerce par rapport à la divine volonté même [60]. Qu'on reconnaisse donc que les créatures sont de véritables causes par rapport à leurs propres effets. En d'autres termes, un effet est le produit immédiat de la cause avec laquelle il a une ressemblance spécifique. Or, les effets ont une ressemblance spécifique avec les causes secondes. Il faut donc qu'ils soient directement produits par ces causes mêmes. Supprimez cette causalité, et vous ne pourrez plus découvrir une raison suffisante, soit de la diversité qui existe entre les effets, soit de la ressemblance d'un effet avec une cause donnée, plutôt qu'avec une autre cause quelconque.
Si maintenant nous passons à considérer la question sous la lumière des principes philosophiques, pourquoi, demandons-nous, aurions-nous à refuser aux choses créées une efficience réelle par rapport à leurs effets propres ? Sans doute, Dieu est le principe de toute action, comme il est le principe de tout être ; mais, comme il a communiqué aux choses créées une certaine ressemblance de lui-même quant à l'être, de même aussi il leur a communiqué une certaine ressemblance de lui-même quant à la faculté d'agir, selon l'adage, operari sequitur esse. Il s'ensuit que de même que les choses créées possèdent leur être propre, de même aussi elles ont une vertu propre pour produire leurs effets. Il y a plus. Comme l'observe saint Thomas,[61] non seulement la vertu opérative, qui est dans les choses, leur aurait été inutilement attribuée, si celles-ci n'agissaient pas par cette vertu, mais les choses créées elles-mêmes n'auraient aucune raison d'être, si elles venaient à être privées de leur propre opération, à laquelle chaque chose est ordonnée, de même que l'imparfait est ordonné à ce qui est plus parfait. C'est pourquoi, comme la matière existe à cause de la forme, ainsi la forme, qui est l'acte premier, existe à cause de l'opération propre, qui est l'acte second. D'où il suit que l'opération est la fin propre des choses créées ; et, par conséquent, les choses créées n'auraient aucune raison d'être, si elles n'avaient pas d'opération qui leur soit propre[62].
Concluons en disant que l'occasionnalisme porte atteinte à la perfection de Dieu, à la perfection de l'univers, à la perfection de la science humaine.
D'abord, l'occasionnalisme porte atteinte à la perfection de Dieu, dont la vertu se manifeste précisément par celle des causes secondes, qui n'est autre chose qu'une participation de la vertu divine. Et la vertu divine nous apparaît d'autant plus grande, d'autant plus inépuisée et inépuisable, que nous la voyons communiquée aux causes secondes. En effet, si l'on regarde comme une chose grande la vertu de celui qui peut opérer avec perfection, combien devons-nous estimer plus grande encore la vertu de celui qui, en plus de son opération propre, peut encore donner à d'autres, en la leur communiquant, une participation de sa vertu, de son énergie, de son efficacité, ce qui revient à dire, de sa suprême et infinie perfection dans le domaine de l'action ? Au contraire, la puissance divine nous paraîtrait restreinte et assez pauvre, si elle était tellement renfermée en Dieu, qu'elle ne puisse se répandre dans les choses créées par lui.
Non, Dieu n'est pas comme ces arbres géants qui centralisent, en l'absorbant autour d'eux, le suc de la terre, et ne permettent à aucun arbrisseau de vivre sous leurs rameaux. Dieu ne tenant pas son pouvoir du dehors, mais étant lui-même ce pouvoir par essence, le fait qu'il le communique à d'autres, n'enlève rien à sa grandeur qui, au contraire, n'en retire que plus d'éclat.
L'occasionnalisme, avons-nous dit, non seulement fait tort à la perfection de Dieu, mais il s'oppose en outre à celle de l'univers. Le bien de l'univers consiste, en effet, dans cette connexion étroite qui relie entre elles les choses créées ; il établit leurs relations mutuelles d'action et de passion, il les rend subordonnées les unes aux autres. Or, ce lien, cet ordre de dépendances et d'influences mutuelles sera détruit, si les causes secondes ne peuvent agir réellement sur leurs effets. Enlevez cette subordination, et vous détruirez, en même temps, la connexion des parties entre elles, vous ôterez l'unité du monde. Tout alors sera dénoué, épars et confus ; l'univers tombera dans un état de chaos, dans un état de véritable anarchie.
Enfin, l'occasionnalisme détruit les fondements de notre science. Si aucune influence mutuelle n'existe réellement entre les choses de ce monde, si les êtres n'ont aucune raison de vraie causalité quant à leurs effets, non seulement nous ne pouvons arriver à connaître la nature des choses, mais en outre nous voyons se fermer devant nous le chemin menant à l'acquisition et au développement de la science. Nous ne connaissons, en effet, la nature des choses que d'après leurs propriétés, ces propriétés d'après leurs opérations, et ces opérations d'après leurs effets. Si donc ces effets ne dépendent pas de ces opérations, nous nous tromperons certainement quand, d'après eux, nous prétendrons tirer des conclusions sur la nature intrinsèque des choses.
D'autre part, la science n'est pas une pure nomenclature de faits isolés plus ou moins complète. La science consiste à ramener les faits à leurs causes. Or, comment cela se pourra-t-il vérifier, si, entre la cause et l'effet, il n'existe aucun lien logique, réel et nécessaire ?
Disons-le tout haut : les causes secondes ont une action véritable, réelle et efficace dans la production de leurs effets, de sorte que ceux-ci dépendent réellement de celles-là. D'autre part, Dieu qui est la vérité même, ne saurait induire l'homme en erreur, en lui faisant apparaître ce qui n'est pas. Il est trop grand pour avoir besoin d'agir entièrement par lui-même excluant la coopération de ministres exécuteurs de sa volonté ; il est trop parfait pour craindre de perdre, en le communiquant aux créatures, son pouvoir divin.
Observons ici, en passant, comment cette doctrine de saint Thomas d'Aquin sur l'efficacité des actions des créatures, doctrine d'ailleurs entièrement conforme aux lois physiques, a été constamment enseignée par les Pères de l'Église, ainsi que par les théologiens scolastiques. Ce n'est donc pas une injure légère faite à la mémoire de ces grands docteurs que d'assurer, ainsi que faisait le Professeur Zahm, que « Descartes... fut le premier philosophe, après saint Augustin, qui insista spécialement sur ce que l'ensemble des choses est gouverné par des lois naturelles et que l'univers physique n'est pas le théâtre d'un perpétuel miracle et d'interventions divines[63] ». Non, Descartes n'a rien trouvé de bon, qui n'eût été déjà enseigné par les Pères et les Docteurs de l'Église. Mais puisque le Professeur Zahm fait tant de cas de l'enseignement cartésien, il ne sera pas hors de propos de rapporter ici ce que dit Pascal sur le système du célèbre philosophe : « Je ne puis pardonner à Descartes, dit-il ; il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu ; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n'a plus que faire de Dieu.[64] »


Opinions de Platon et d'Avicenne sur l'activité des substances séparées

Si l'on ne peut pas soutenir que Dieu produit immédiatement tous les effets de ce monde, il est encore bien moins admissible qu'une telle production soit l'œuvre d'un ange ou d'une intelligence quelconque, comme l'ont rêvé autrefois Platon et Avicenne. Car si Dieu peut produire par lui-même directement des effets composés tels que ceux que nous voyons dans le monde, les anges, et même le plus grand d'entre eux ne le peuvent pas. Donner immédiatement la forme à la matière, c'est-à-dire produire un composé, ne peut appartenir que, soit à un agent lui-même composé, étant donné que tout agent produit une chose qui lui ressemble, soit à cet agent simple et infini, qui peut le faire directement, c'est-à-dire à Dieu seul, du pouvoir duquel dépend non seulement la forme, mais aussi la matière, comme on le dira ci-après[65].


L'occasionnalisme, opposé à l'œuvre de la Rédemption

Que si de l'ordre naturel, nous passons à l'ordre surnaturel, oh ! alors, l'occasionnalisme se révèle à nous tel qu'il est en réalité, un perturbateur de l'harmonie universelle, en tant qu'il bouleverse toute l'économie de la Rédemption.
Nous savons en effet que Dieu aurait pu sauver l'homme par un seul acte de sa volonté ; mais, ne voyons-nous pas, au contraire, que tout un enchaînement de facteurs subordonnés entre eux concourt à produire un même effet ? Vraiment, l'œuvre de la Rédemption nous apparaît avec un ordre merveilleux de causes subordonnées entre elles. Dans cet ordre on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, la multiplicité des causes, ou la splendide harmonie qui règne entre elles.
Au-dessous de la bienheureuse Trinité, notre première rédemptrice, nous trouvons en premier lieu l'humanité sacro-sainte de Jésus-Christ, instrument merveilleux uni à la divinité. Au-dessous du Christ, nous trouvons la Très Sainte Vierge Marie, les ministres de l'Église, les Sacrements et tout un ordre de circonstances qu'un œil superficiel jugera peut-être indifférentes ou fortuites, mais qui, en réalité, sont toutes ordonnées à la production de l'effet voulu, c'est-à-dire au salut de l'homme. Or, toutes ces causes secondaires sont si sagement disposées que, malgré leur multiplicité, elles conservent une merveilleuse subordination, un parfait enchaînement qui exclut toute espèce de confusion. La confusion, s'il y en a, est toute dans nos yeux, dont la vue trop courte ne nous permet pas toujours de discerner où commence et où finit cette mutuelle influence.
Or, que fait l'occasionnalisme ? Il biffe d'un trait de plume toute cette surprenante harmonie, la rem­plaçant par un vide inconcevable. Et c'est ainsi que ce système est opposé aussi bien à toute donnée de la raison, qu'à l'ordre tout entier de la Rédemption.


Les raisons des occasionnalistes se détruisent d'elles-mêmes

a) Venant maintenant aux difficultés proposées plus haut[66], il faut, en premier lieu, rectifier, par rapport aux choses composées de matière et de forme, le concept de la production des formes, tant substantielles, qu'accidentelles. Dans ces composés, les formes ne sont pas des choses subsistantes, des choses qui aient l'être par elles-mêmes ; ce sont plutôt des choses par lesquelles et dans lesquelles quelque être subsiste. Or, une chose est produite selon le mode dans lequel elle subsiste. Si donc, les formes ne subsistent pas par elles-mêmes, on ne peut pas dire qu'elles soient produites par elles-mêmes. Ce qui est produit par lui-même est ce qui subsiste, c'est-à-dire le composé[67]. Il faut toutefois excepter l'âme humaine, laquelle, bien que forme substantielle du corps, est, à cause de sa spiritualité, une forme subsistante per se qui, par conséquent, est produite per se.
Mais, dans les choses inférieures à l'homme, dès que le composé est réduit de la puissance à l'acte, la forme commence à exister, puisque c'est la forme qui donne l'acte. Or, comme ce n'est pas la forme qui est produite, mais bien le composé lui-même, ainsi ce n'est pas non plus la forme qui produit l'effet, mais c'est le composé même qui opère au moyen de sa forme. Et c'est de cette forme que dérive la vertu ou le pouvoir opérant qui, dans les créatures est, en vérité, une forme accidentelle. Toutefois, cette forme accidentelle n'est pas, dans les créatures, un principe d'action, si ce n'est en tant qu'elle opère en vertu de la forme substantielle du composé. Ainsi l'effet produit ressemble, non pas à cette vertu accidentelle, mais plutôt au composé, par la vertu duquel cette forme agit, comme la statue faite par l'artiste ressemble non à l'instrument dont celui-ci s'est servi, mais à la forme de l'art existant dans sa pensée.
b) On objectait encore que, comme les corps n'ont, dans l'ordre des choses, aucune substance inférieure à eux sur laquelle ils puissent agir, et qu'au contraire, ils occupent, par rapport à Dieu, pouvoir actif substantiel, l'extrême opposé, ils ne peuvent par conséquent être réellement des causes efficientes, puisqu'ils ne jouissent d'aucune activité.
Ce raisonnement est basé tout entier sur une équivoque. Tout d'abord il n'est pas juste de dire que Dieu et les corps sont à des extrémités opposées. Les corps sont ce qu'ils sont par leur forme, et précisément à cause de ces formes, ils possèdent une certaine ressemblance avec Dieu, forme infiniment simple. C'est pour cela qu'Aristote disait que la forme est quelque chose de divin[68].
Ce qu'on pourrait plutôt imaginer tenir l'extrême opposé de Dieu serait la matière première, que nous concevons comme une pure puissance, privée de toute forme. Cette matière première, n'étant autre chose qu'une pure passivité, n'a, avec Dieu, activité toute pure, aucune ressemblance ; par conséquent, elle est privée de tout principe d'activité. « Qu'on se rappelle, dit saint Thomas[69], qu'Avicebron raisonne de cette manière : Il y a un être qui meut et n'est pas mis en mouvement, c'est-à-dire le premier facteur ou producteur des choses ; c'est pourquoi, en raison des contraires, il y a une chose qui est mue et passive seulement, et ceci doit être concédé ; mais cette chose est précisément la matière première qui est pure puissance, comme Dieu est acte pur :le corps aussi se compose de puissance et d'acte et, pour cela, est, dans le même temps agent et patient. » Et il ajoute plus loin[70]: «Le corps n'est pas ce qui est le plus distant de Dieu : car il participe à quelque ressemblance avec l'être divin, selon la forme qu'il possède ; mais ce qui est bien plus distant de Dieu, c'est précisément la matière première qui n'est en aucune manière active, étant seulement en puissance passive. »
En outre, il n'est pas vrai de dire que les corps n'ont rien qui leur soit inférieur dans l'ordre physique. Car, parmi les corps eux-mêmes, il y a une gradation, une échelle merveilleusement établie par le Souverain Artiste, sur les degrés de laquelle s'étagent les êtres corporels de telle sorte que les uns exercent une action effective sur les autres, comme le feu sur le bois, ou l'eau sur les plantes.
Mais s'il en est ainsi, dira-t-on, le dernier du moins, parmi les êtres corporels, n'aura aucun pouvoir efficace sur les autres, et par conséquent ses actions doivent être accomplies par Dieu lui-même.
Ici encore, le raisonnement tombe à faux. D'abord, un composé corporel, quand il agit, n'agit pas par son être entier, mais par sa propre forme : par sa matière, le composé est en puissance et non en acte. D'autre part, le corps passif est soumis à cette forme, non par sa forme par laquelle il est en acte, mais par sa matière, par laquelle il est en puissance relativement à la forme du corps agent. Il s'ensuit que, par sa matière, le corps passif devient sujet par rapport au corps agent, lequel, par sa forme, est, par rapport à celui-là, principe d'activité ; et c'est ainsi que les corps sont tour à tour supérieurs et inférieurs. « Un corps est inférieur à un autre, dit saint Thomas[71], en tant qu'il est en puissance par rapport à ce que l'autre possède en acte. » Or, il existe des cas où la matière du corps agent est, elle aussi, en puissance par rapport à la forme du corps passif, et dans ce cas, a lieu une action et une passion réciproques. Tel est le cas des mélanges des corps élémentaires dans les synthèses chimiques, bien qu'il arrive parfois que la matière du corps agent ne soit pas en puissance par rapport à la forme du corps patient ; auquel cas, l'action et la passion ne sont pas réciproques. C'est ce qui arrive par rapport au soleil, lequel sans souffrir en lui-même aucun changement de la part des choses terrestres, réchauffe l'air, éclaire les ténèbres, dissipe les nuages et porte, partout où pénètrent ses rayons, la vie et la fécondité.
c) Une troisième objection, énoncée plus haut, contre la causalité physique des êtres créés, partait de ce fait que, pour agir les unes sur les autres, les créatures devraient faire passer leurs qualités propres ou formes accidentelles dans les effets qu'elles sont censées produire et que, par exemple, le feu ne peut réchauffer l'eau, qu'à la condition de transmettre à celle-ci sa propre chaleur, ce qui ne peut s'admettre.
Il n'est pas nécessaire d'être entré bien avant dans l'étude de la doctrine de l'École, pour savoir que tout autre est son enseignement. C'était bien là, en effet, l'opinion de Démocrite, qui, ainsi que le rapporte saint Thomas, « soutenait que toute action a lieu par une émanation d'atomes du corps agent et que toute passion se vérifie par réception de ces atomes dans les pores du corps passif [72] ». Aristote avait déjà réfuté cette opinion [73] en montrant que, s'il en était ainsi, il s'ensuivrait « que le corps passif ne serait pas tel par sa totalité, et que la quantité du corps agent souffrirait diminution du fait même qu'il agit, choses qui sont manifestement fausses [74] ».
Les créatures, pour produire des effets qui leur ressemblent, n'ont donc pas besoin de communiquer à ceux-ci leurs propres formes individuelles, comme si celles-ci passaient d'un sujet à un autre sujet. Tout d'abord, ceci n'est pas possible, un accident ne pouvant, comme l'enseigne saint Augustin[75], s'étendre hors de son sujet in essendo, comme ce serait précisément le cas si, comme l'explique saint Thomas[76], les corps agissaient au moyen de l'écoulement de leurs propres atomes.
Quand donc un corps quelconque agit sur un autre, il ne communique pas à celui-ci des formes identiques à celles qu'il possède lui-même par nature. Il opère toutes les modifications que subit ce corps, en le faisant passer de la puissance à l'acte. Or, de même que, quand Dieu produit un effet, il le fait en amenant un sujet d'une puissance passive à un acte déterminé, quelque éloignée que soit cette puissance de l'acte en question, comme lorsqu'il produit de rien un être quelconque, de même aussi, quand une créature produit un effet, elle le fait en amenant un sujet à un acte déterminé, mais en l'amenant d'un degré proportionné à la vertu propre à la créature. Il suit de là que si nous devons, d'une part, reconnaître, dans les choses créées, une véritable vertu pour pouvoir opérer et une véritable raison de causalité pour amener de la puissance à l'acte les sujets sur lesquels elles agissent, nous devons, d'autre part, circonscrire cette vertu de telle sorte que la créature ne puisse produire, d'une façon indéterminée, un effet quelconque, mais seulement l'effet qui se trouve proportionné à sa vertu.


La quantité n'est pas un empêchement à l'activité

d) La dernière difficulté partait de ce principe que la quantité étant, dans les choses matérielles, principe d'individuation, elle a la propriété de restreindre l'ampleur de la forme, et par conséquent d'empêcher le développement de l'activité : d'où il semblerait que tout corps doit être essentiellement passif et nullement actif.
Nous répondons que la quantité est bien un empêchement à l'action de la forme ; cependant cet empêchement ne provient pas de la quantité comme telle, mais en tant que la quantité est dans la matière, la forme qui est dans la matière ayant moins d'activité et de vertu pour agir que celle qui en est dégagée. Il s'ensuit que les corps qui ont moins de matière et plus de forme sont plus actifs, comme on le voit par l'exemple du feu et surtout de la radio.
Que la quantité ne soit pas par elle-même un obstacle à la vertu active, cela se manifeste par le fait que, étant donné, en un corps, un certain degré d'activité proportionné à sa forme, la vertu active croîtra avec l'augmentation de la quantité. Ainsi, plus un corps calorifique est grand, en supposant que demeure constante l'intensité de la chaleur, plus grand sera l'échauffement qu'il produira ; et plus volumineuse est la masse d'un corps pesant, la gravité demeurant constante, plus rapidement tendra-t-il vers le centre et plus difficilement s'en éloignera-t-il : signe évident que la quantité n'est pas, par elle-même, un obstacle au principe d'activité, mais qu'elle l'est seulement en tant qu'elle se trouve dans la matière, le propre de la matière étant de restreindre l'ampleur de la forme.
Pour mieux comprendre comment la quantité continue, et nous ne parlons que de celle-là, n'est pas par elle-même un obstacle à l'activité des corps, mais seulement en tant qu'elle est dans la matière, il sera bon de rappeler ici la doctrine de saint Thomas là où, recherchant l'origine de cette difficulté, sur laquelle précisément Avicebron s'appuyait pour nier aux corps toute activité, le saint Docteur en attribue la cause aux idées séparées de Platon[77].
On sait comment le disciple de Socrate avait imaginé que les formes qui sont dans la matière corporelle sont distinctes de celles qui en sont séparées, les premières, par cela même qu'elles sont reçues dans la matière, s'y trouvant comme contractées et restreintes à celle-ci, les autres, au contraire, libérées de la matière, étant en quelque sorte universelles, et par suite, causes des autres formes, lesquelles, parce qu'elles sont dans la matière, sont de ce fait même déterminées par la quantité. D'où Avicebron tirait cette conséquence, que la quantité, comme principe d'individuation, a pour objet de restreindre la forme corporelle et, pour ainsi dire, l'empêche d'étendre son action à une autre matière, d'où il suivrait que seules les formes spirituelles, n'étant pas limitées par la quantité, jouissent du privilège de l'activité.
Mais cette raison, observe le Docteur angélique[78], ne prouve rien d'autre, sinon que la forme corporelle ne peut être un agent universel ; toutefois elle peut très bien être un agent particulier.
En effet, le propre de l'acte, en tant qu'acte, est d'agir : car tout agent produit une chose qui lui est semblable, et l'agir n'est rien d'autre que faire quelque chose en acte. Or, quand une forme est participée, il est nécessaire aussi que soit participé ce qui est propre à cette forme. Par exemple, autant la lumière est participée, autant est participée la raison de visibilité qui lui est propre. De ce qu'une forme n'est pas limitée par la matière sujette à la quantité, il en résulte donc qu'elle est un agent indéterminé et universel. Si, par exemple, la forme du feu était séparée, elle serait, d'une certaine manière, cause de toutes les productions de chaleur. Si, au contraire, cette forme est déterminée à cette matière, elle devient un agent restreint et particulier. Ainsi la forme du feu, qui est dans la matière corporelle, est cause de cette production de chaleur déterminée, laquelle est due à l'action d'un corps déterminé sur un autre corps également déterminé, et c'est pourquoi une telle action s'accomplit par le contact de deux corps.
Pour conclure, disons que la quantité n'empêche pas entièrement la forme corporelle d'agir. Tout au plus, l'empêche-t-elle d'être un agent universel, en tant que la forme, se trouvant dans une matière sujette à la quantité, est par elle individualisée.
Il résulte de ce que nous avons dit que non seulement les causes secondes en général, mais aussi les corps eux-mêmes en particulier, possèdent une vertu efficiente, réelle, qui leur est propre, de même que les effets provenant de ces causes ont, par rapport à ces mêmes causes, une véritable raison de dépendance. De cette sorte, tout ce qui existe dans l'univers est relié ensemble par un lien étroit de causes et d'effets ; de causes, qui influent sur les effets ; d'effets qui, à leur tour, agissent sur leurs causes. Et tout ceci a lieu avec une harmonie si sagement réglée par le Créateur, que jamais l'équilibre du monde n'en est altéré.
C'est pourquoi la vertu divine, une et simple dans sa source, se reflète d'une façon multiple et variée sur les choses de l'univers créé, les perfectionnant, les fécondant toutes par des moyens, mystérieux sans doute, mais réels et vrais, de telle sorte que, par les choses visibles de ce monde, on peut arriver à comprendre les choses invisibles de l'autre, on peut, pour ainsi dire, les voir et les toucher de la main. «Les perfections invisibles de Dieu, dit Saint Paul[79], sont rendues visibles à l'intelligence par le moyen de ses œuvres. »Le pouvoir des créatures fait connaître la puissance du Créateur, parce que le bien créé n'est autre chose qu'une irradiation du bien incréé. C'est la pensée qu'exprime Dante dans les vers suivants [80]:

La volonté première, en soi parfaite et pure,
Ne s'écarte jamais de soi, souverain Bien.
La justice est l'accord avec elle; il n'est rien
Parmi les biens créés qui l'attire et l'invite;
Mais, rayonnant sur eux, elle fait leur mérite.


Conséquence de cette doctrine en ce qui concerne la causalité des choses du monde

Il résulte cette vérité que si, d'un côté, la disposition des choses à leur fin dans la pensée divine, disposition appelée par nous Providence, est immédiatement et exclusivement en Dieu, d'un autre côté, dans l'exécution de cet ordre, que nous appelons le gouvernement du monde, gubernatio, Dieu admet, entre lui et les effets, des agents moyens, nombreux et presque infinis. Il gouverne donc les choses inférieures par les supérieures, et ces agents deviennent les exécuteurs de cet ordre et les ministres de la volonté divine. « L'opération de la Divine Providence, écrit le Saint Docteur[81], par laquelle Dieu opère dans les choses, n'exclut pas les causes secondes ; au contraire, elle s'effectue par leur moyen en tant qu'elles agissent par la vertu de Dieu. »
Aux créatures intellectuelles, supérieures et plus nobles, parce que douées d'intelligence, Dieu a confié le gouvernement des choses inférieures douées seulement d'une vertu opérative. Dans le corps humain, un membre se meut sous l'empire de la volonté et, dans l'ordre social, il appartient à ceux qui ont une plus grande science et une expérience consommée de commander et de diriger, tandis que ceux qui, n'ayant que la force des membres et la vigueur des muscles, ne peuvent faire état que de leur valeur physique, doivent en justice obéir aux plus sages [82] : « L'insensé obéira à l'homme sage.»
C'est précisément parce que Dieu, dans l'exécution de l'ordre de sa Providence, admet le concours de causes créées, qu'il existe, non seulement dans les créatures matérielles, mais aussi dans celles purement spirituelles, c'est-à-dire, dans les substances angéliques, un certain ordre hiérarchique, dont l'agencement est en harmonie avec la dignité et la capacité de ces créatures, dignité et capacité qui se mesurent selon qu'elles sont plus ou moins proches de Dieu. Ainsi les anges supérieurs communiquent aux inférieurs leurs ordres, et ceux-ci se font les exécuteurs de la volonté de ceux-là, tandis que le premier ange reçoit directement de Dieu les ordres qu'il doit exécuter.
Ce principe, appliqué à l'ordre moral et social, est d'une application pratique. Il nous fournit cette grande leçon, si oubliée de nos jours, que si les hommes, dans le cercle de leurs relations sociales, désirent que leurs œuvres soient parfaites, ainsi que sont parfaites celles du premier Monarque, ils doivent, dans le choix de leurs gouvernements, s'efforcer que soient préférés ceux-là seuls qui surpassent les autres par les connaissances de l'esprit, par la noblesse d'intention, par les bonnes mœurs et l'intégrité de la vie. Ceux qui ne peuvent se réclamer que de leur supériorité dans l'ordre physique, l'abondance des biens temporels et l'art de flatter les passions du peuple, doivent céder la place aux premiers. Des princes sans jugement sont le pire châtiment que Dieu puisse infliger à un peuple. «Je leur donnerai pour princes des enfants, et ils seront dominés par des hommes efféminés », dit le prophète Isaïe[83].
Ainsi donc, lorsqu'il s'agit d'ordonner les choses à leur fin, Dieu dispose tout directement et immédiatement par lui-même, ou, comme dit Boèce, Deus per se solos cuncta disponit [84]. Mais dans l'exécution de cet ordre, il se sert d'agents créés, ministres de sa volonté, et ceci, non par défaut de pouvoir mais par surabondance de perfection, c'est-à-dire dans le but de communiquer à ses créatures quelque chose de cette efficience et causalité qui réside en lui essentiellement et excellemment. C'est ce que Saint Augustin exprimait magnifiquement par ces paroles [85]: «Comme les corps bruts et inférieurs sont gouvernés, dans un ordre déterminé, par les corps plus élevés et plus puissants, de même tous les corps sont gouvernés par l'esprit vivant raisonnable ; et l'esprit raisonnable qui s'égare, par l'esprit raisonnable juste et pieux.»
Ce mode d'action, suivi par Dieu dans le gouvernement des choses, peut très bien servir de règle à ceux qui ont reçu de lui la mission de gouverner les peuples et de les diriger, quelle que soit leur condition, vers leur fin éternelle. Dieu, moteur universel très sage, fixe à chaque chose sa propre fin et la met en mouvement pour qu'elle puisse l'atteindre. Toutefois, lorsqu'il s'agit de l'exécution de cette fin, il laisse chaque chose développer, dans sa sphère propre, son activité individuelle. De cette manière, il convient que les supérieurs se contentent de fixer à leurs sujets la règle de leurs actions, sans s'entremettre dans l'exécution des devoirs qui leur incombent dans leur ordre particulier. Aussi, lors même qu'un supérieur aurait assez d'habilité pour traiter toutes les affaires particulières de sa société, un gouvernement bien réglé réclame qu'il les confie à d'autres, afin que ceux-ci les traitent dans le champ de leur activité respective.
A l'imitation de la Divine Providence, qui admet opportunément le concours des choses créées dans le gouvernement du monde et dans la réalisation des effets qui s'y produisent, ceux qui dirigent les choses humaines, s'ils veulent retirer de leur gouvernement tout le bien qu'on est en droit d'en attendre, ne doivent pas absorber l'office des ministres inférieurs, mais laisser à chacun son champ d'activité propre. Rien de plus dangereux pour une société, rien de moins raisonnable en soi, que ce système de gouvernement appelé centralisme.
C'est ainsi que se révèle fertile en utiles enseignements le livre de la nature pour ce qui concerne la prospérité des sociétés, soit publiques, soit privées, civiles ou religieuses.


Diversité d'immédiation en Dieu et dans les créatures par rapport aux effets de celles-ci

Toutefois, ce serait une très grave erreur de penser que Dieu n'agit pas immédiatement dans les effets des causes secondes. En réalité, un même effet découle immédiatement de Dieu et de l'agent naturel. « Car, dans chaque agent, dit saint Thomas[86], il y a deux choses à considérer : le sujet opérant et la vertu par laquelle il opère, comme le feu réchauffe par la chaleur. Or, la vertu de l'agent inférieur dépend de la vertu de l'agent supérieur pour autant que celui-ci donne à celui-là la vertu même par laquelle l'agent inférieur agit, la lui conserve ou l'applique à l'acte. Un instrument agit en tant qu'il est mû par l'artisan qui parfois ne donne pas à l'instrument sa forme, pas plus qu'il ne la lui conserve, mais l'applique seulement à son effet, en le mettant en mouvement. Que s'il y a plusieurs agents subordonnés, l'agent infime agit par la vertu de tous les autres, car il agit en vertu de tous. Or l'agent infime est immédiatement actif par rapport à l'effet : ainsi la vertu du premier agent est immédiate dans la production de l'effet. Car l'agent infime n'est pas capable par lui-même de produire cet effet ; il le devient par la vertu de son supérieur immédiat, et celui-ci par la vertu de celui qui lui est immédiatement supérieur, jusqu'à ce qu'on arrive à l'agent suprême, dont la vertu est, par elle-même, productrice de l'effet comme cause immédiate. C'est ainsi que, dans les principes de démonstration, le premier principe est immédiat.[87] »
Le même effet est donc produit par Dieu et par les créatures, et dans l'un et l'autre cas, immédiatement, mais d'une manière immédiate différente. Par rapport au sujet qui opère, il s'agit d'une immédiation de suppôt ; par rapport à Dieu, c'est une immédiation de vertu ou de puissance. Ici, observe le Ferrarais ,
« un double procédé se présente à nous en ordre inverse : le premier, de descente de suppôt en suppôt dans la série des agents subalternes, jusqu'au dernier agent, lequel rejoint l'effet par son contact supposital ; le second, d'ascension, de vertu en vertu, jusqu'à celle du premier moteur, lequel rejoint l'effet par un contact de vertu ou de puissance. Ainsi, dans les démonstrations, les principes prochains se trouvent immédiats, pour ainsi dire, par immédiation de suppôt par rapport à la conclusion ; mais les premiers principes sont immédiats par immédiation de vertu par rapport à la conclusion elle-même, puisque c'est en leur vertu que les principes moyens ont force de conclure.


Dieu est dans toutes les choses par immédiation de suppôt,
mais il n'agit pas dans toutes les choses par cette immédiation

Dieu opère donc en toutes choses par immédiation de vertu, parce que sa vertu rejoint immédiatement tous les effets. D'autre part, la vertu ou le pouvoir de Dieu étant son essence même, et son essence étant son suppôt, Dieu est dans toutes les choses par immédiation de suppôt, ou de quasi suppôt[88], par essence, présence et puissance.
Dieu cependant, n'agit pas en toutes choses par immédiation de suppôt, car entre lui-même et l'effet, il admet un grand nombre de causes diverses, lesquelles, par ordre de subordination, influent sur l'effet. « Si nous considérons, écrit de nouveau le Docteur angélique[89], les suppôts agents, nous voyons que tout agent particulier est immédiat par rapport à son effet ; si, d'autre part, nous considérons la vertu ou puissance, par laquelle il produit son action, la vertu de la cause supérieure sera plus immédiate à l'effet que celle de la cause inférieure ; car la vertu inférieure ne s'unit point à l'effet, sinon par le moyen de la vertu de la cause supérieure ; d'où il est dit, dans le livre des Causes[90], que la vertu de la cause première agit comme première dans l'effet causé, et y pénètre avec une plus grande efficacité. »
Ailleurs, le même saint Docteur, dans le but de rendre plus tangible cette diversité de médiation de suppôt et de vertu, invoque opportunément l'exemple du roi qui opère au moyen de son ministre, et vice versa. «Plus le suppôt est premier dans l'action, dit-il[91], plus sa vertu est immédiate à l'effet, parce que la vertu de la cause première unit la cause seconde à son effet. C'est pour cela que les premiers principes dans les sciences démonstratives sont appelés immédiats. Ainsi donc, en tant que le ministre du roi est médiat selon l'ordre des suppôts agents, on dit que le roi opère par le moyen de son ministre ; au contraire, selon l'ordre de la vertu ou du pouvoir, on dit que le ministre opère par le moyen du roi, parce que c'est par la vertu du roi que l'action du ministre obtient son effet. »
Nous pouvons trouver un autre exemple de cette vérité dans l'action du soleil. Le soleil opère dans les entrailles de la terre par immédiation de vertu ou de puissance, mais non pas par immédiation de suppôt, puisque entre lui et l'effet on compte des causes nombreuses qui toutes opèrent par la vertu du soleil. Mais comme le soleil n'est pas sa propre vertu, du fait qu'il agit dans les entrailles de la terre, on ne peut déduire qu'il se trouve là présent par immédiation de suppôt. En cela il diffère de Dieu qui est présent immédiatement en toutes choses par essence, et non seulement par présence et par puissance, ou vertu, ainsi que nous l'avons dit.



CHAPITRE IV
POSSIBILITÉ DU MIRACLE

En quoi consiste la possibilité du miracle

De ce que nous avons exposé jusqu'à présent, il résulte que, dans la pensée divine, se trouve la raison des choses qui peuvent être ordonnées et sont en réalité ordonnées à leur fin. C'est ce que nous voulons dire, quand nous affirmons que Dieu pourvoit immédiatement aux choses de ce monde, et que cette Providence embrasse absolument tout ce qui peut arriver, même les choses les plus insignifiantes. Il résulte en outre que, dans l'exécution de cet ordre et dans le gouvernement du monde, Dieu opère au moyen des causes par lui créées et ordonnées à leurs fins propres. Il dirige le cours régulier des astres par l'influence mutuelle qu'il leur fait exercer les uns sur les autres ; il ordonne la succession des saisons par l'alternance constante du froid et de la chaleur, des fleurs et des fruits ; par la force des éléments il règle aussi bien les étranges soulèvements de la mer en tempête, que la force impétueuse, irrésistible de la foudre ; par l'action d'agents qui nous sont le plus souvent inconnus, mais qui pour cela n'en sont pas moins réels, il modère l'impétuosité des vents et fait descendre, en son temps, la pluie du matin et celle du soir ; il donne aux animaux des organes et des aptitudes pour nous récréer, nous aider de leur force ou nous nourrir de leur chair ; il préside au travail de l'homme quand celui-ci construit des maisons, dessine des parcs, orne des jardins, commande à ses inférieurs ou écrit des livres sur les choses mystérieuses du monde ; Dieu, enfin, coopère avec l'homme, même lorsque celui-ci élèvera une tour pour défier sa puissance, ou quand il dressera des autels pour adorer, à sa place, une idole de pierre ou une chair de péché.
Il était nécessaire de nous étendre quelque peu sur la nature de la Divine Providence et sur la façon dont Dieu gouverne toutes choses, afin de mieux faire comprendre ce qu'est le miracle et quand est-ce qu'il a lieu.
A la demande ; Le miracle est-il possible ? nous répondions au commencement du second chapitre, que le miracle est possible, pourvu qu'il se trouve un agent qui puisse réduire un sujet quelconque de la puissance passive à un acte excédant celle-ci sans mesure. C'est en cela précisément que consiste l'essence du miracle. Maintenant que nous savons quelle est la nature de l'action de Dieu dans le monde, nous pouvons simplifier la question. Nous avons dit que Dieu, comme premier agent, opère en toutes choses par immédiation de vertu ou de puissance, et non par immédiation de suppôt, puisque dans l'exercice de sa Providence, il admet un grand nombre de causes secondes, réelles et physiques.
Que veut-on donc savoir quand on demande si le miracle est possible ? Rien d'autre que ceci : étant donné que Dieu agit immédiatement en toutes choses par immédiation de vertu ou de puissance, peut-il agir de même par immédiation de suppôt, de sorte que, entre lui et l'effet il n'y ait aucune cause seconde efficiente agissant par sa propre vertu, comme il devrait y en avoir dans le cours ordinaire des choses ?
En d'autre termes, nous voulons rechercher si Dieu peut produire les effets propres des causes secondes sans le concours de celles-ci comme agents principaux ; par exemple, la santé chez un malade, sans le concours de la médecine ; ou bien s'il peut produire des effets que les causes secondes n'ont pas la vertu de produire, ad quos causae secundae non se extendunt, ainsi que s'exprime saint Thomas[92], comme serait, par exemple, le cas de la résurrection d'un mort. En d'autres termes, Dieu peut-il déroger à l'ordre particulier, par lequel il a sagement établi que chaque cause seconde ait une causalité déterminée, par rapport à un effet déterminé ?


Dieu n'opère pas à l'encontre de la nature

C'est exprès que nous avons posé la question en ces termes : Dieu peut-il agir en dehors de l'ordre de la nature, praeter rerum ordinem et non pas contre cet ordre.
De fait, lorsqu'une chose se fait en dehors de l'ordre établi par la nature, par un agent qui n'a pas donné l'inclination naturelle, on dit alors qu'il agit contre l'ordre de la nature. Mais il n'en est pas de même, si la chose se fait par l'agent même de qui provient l'inclination naturelle. Si, par un stratagème habile, je fais sortir l'eau d'un puits, j'agis contre la nature ; mais si un fait quelconque se produit par l'action des astres, comme pour le flux et le reflux de l'océan, ceci n'est pas contre la nature, car c'est précisément de l'influence des corps célestes que dépend l'inclination naturelle des corps inférieurs.
Or, toute inclination existant dans les choses du monde provient de Dieu, qui a établi l'ordre de l'univers. Donc, quelle que soit la chose que Dieu fasse dans les créatures en dehors de l'ordre naturel de celles-ci, on ne doit pas dire qu'elle est faite contre la nature, prenant le mot nature pour l'ensemble des choses, comme dépendantes de Dieu.
En outre, toute la potentialité des choses créées est, par rapport à Dieu, ce qu'est le mobile par rapport au principe moteur, ou ce qu'est l'œuvre d'art par rapport à l'art lui-même. Or, l'artisan n'agit pas contre la nature d'un travail d'art s'il y introduit un élément nouveau d'après une forme plus haute, même au cas où il lui aurait déjà donné une première forme[93]. Ainsi donc Dieu, opérant contre le cours habituel de la nature, n'agit pas contre ses propres lois, pas plus que contre la nature elle-même, puisque, au dire de saint Augustin, « ce que fait celui de qui procède tout mode, tout nombre et toute mesure dans la nature, est naturel à chaque chose [94]». Ailleurs le saint Docteur dit encore : « Nous avons coutume de dire que tous les miracles sont des œuvres faites contre la nature, mais il n'en est pas ainsi. Comment ce qui a pour cause la volonté de Dieu pourrait-il être contre la nature, alors que la nature de chaque chose créée n'est précisément autre que la volonté de ce souverain Créateur ? Le miracle n'est donc pas une chose faite contre la nature elle-même ; c'est simplement ce qui arrive contre la nature telle qu'elle nous est connue[95]. »
Nous pouvons donc affirmer, avec saint Thomas[96], que le miracle n'a jamais lieu en dehors des raisons idéales, mais seulement en dehors des raisons séminales. Les raisons idéales, aussi bien que les raisons séminales, sont précisément les raisons causales dans lesquelles, au dire de saint Augustin, Dieu créa toutes choses au commencement. Mais il y a entre les raisons idéales et les raisons séminales, cette différence, que les premières sont dans la pensée de Dieu, tandis que les secondes sont dans les semences des êtres qui doivent naître et dont le monde est rempli, comme les mères sont grosses de leur fruit[97].
Rien ne peut donc arriver en dehors des raisons éternelles des choses, mais seulement en dehors des vertus actives naturelles et des puissances passives ordonnées à ces vertus actives. En d'autres termes, rien absolument ne peut arriver en dehors de la puissance passive de la créature, en tant que celle-ci est mesurée par rapport à la vertu du premier agent, c'est-à-dire, rien ne peut arriver en dehors de la puissance obédientielle. Et puisque la puissance obédientielle suit la nature même des choses produites par Dieu dans les six jours de la création[98], on peut dire que, dans l'œuvre des six jours, préexistèrent non seulement toutes les formations qui devaient s'accomplir dans le cours des siècles, mais aussi les dérogations, c'est-à-dire les miracles. « Certaines choses, dit saint Thomas[99], ont préexisté dans les œuvres des six jours, mais seulement en puissance obédientielle, précisément comme les choses qui se font par miracle.»


Il n'en viole pas non plus les lois

On ne peut dire davantage que Dieu viole les lois de la nature. Personne ne viole une loi, si ce n'est celui qui est soumis à cette loi. D'où apparaît la fausseté de ce qu'écrivait Voltaire, «Un miracle, dit-il[100], est la violation des lois mathématiques, divines, éternelles. Par ce fait seul le miracle est une contradiction dans les termes. Une loi ne peut être immuable et en même temps violée. Mais, dit-on, une loi ayant été établie par Dieu, ne peut-elle pas être suspendue par son Auteur ? Ils[101] ont la hardiesse de répliquer qu'il ne peut arriver que l'être infiniment sage ait fait des lois pour les violer ensuite. Il ne pouvait, disent-ils, déranger sa machine, si ce n'est pour la faire mieux marcher ; or, il est clair qu'étant Dieu, il a fait cette immense machine aussi bonne qu'il l'a pu. S'il a vu qu'il y aurait quelque imperfection provenant de la nature de la matière, il y a pourvu depuis le commencement ; c'est pourquoi rien ne changera jamais. De plus, Dieu ne peut rien faire sans raison ; or, quelle raison le peut déterminer à défigurer pour un peu de temps, son propre œuvre ?... Pourquoi donc Dieu ferait-il un miracle ? Pour accomplir un certain dessein sur un être vivant. Il dira donc : je n'ai pas réussi par la fabrication de l'univers, par mes décrets divins, par mes lois éternelles à accomplir un certain dessein; je veux changer mes idées éternelles, mes lois immuables, afin de tâcher d'exécuter ce que je n'ai pu obtenir par le moyen de celles-ci. Ce serait un aveu de sa faiblesse et non de sa puissance ; ce serait, chose évidente, admettre en lui la plus inconcevable contradiction. Ainsi donc, oser supposer que Dieu fait des miracles équivaut à l'insulter impunément, »
Ainsi s'exprime Voltaire, dont l'erreur consiste précisément à parler de Dieu comme s'il était une créature quelconque et comme s'il devait être assujetti aux lois qu'il a lui-même établies. Assurément, ces dérogations, ordonnées par Dieu pour ses justes fins, ne sont pas en dehors de l'ordre universel du monde, ni des lois éternelles, qui ont leur raison d'être dans la pensée divine. Non, le miracle n'est pas une violation des lois de la nature en général ; il est plutôt une suspension de l'activité de ces mêmes lois dans quelques cas particuliers.
Ainsi, lorsque Dieu voulut que les eaux de la Mer Rouge fussent divisées afin de laisser passer les enfants d'Israël, il ne détruisit pas la loi du flux des liquides, mais il en suspendit seulement l'effet, puisqu'aussitôt après, l'eau se précipita, engloutissant les ennemis du peuple élu. De même, quand Dieu guérit instantanément quelque maladie chronique, il ne viole pas les lois de la thérapeutique en général, et pour ce motif même, la guérison d'un individu n'est pas un gage de la guérison d'un autre. Si donc l'on considère le miracle par rapport à Dieu, on ne pourra pas dire que c'est une œuvre contraire à la nature.
Cependant, si l'on considère le principe prochain et proportionné d'où de telles œuvres devraient dépendre selon l'ordre particulier auquel elles appartiennent, il faut avouer qu'elles ne peuvent pas être appelées naturelles. De fait, ainsi que l'observe saint Thomas[102], on appelle naturelles les opérations qui procèdent de la puissance ou vertu naturelle. Or le principe de la nature d'une chose déterminée est la forme existante dans une matière déterminée. Si donc la vertu ne découle ni de la forme, ni de la matière, cette action n'est pas naturelle. Et c'est pourquoi l'on a coutume de dire, et nous-même nous nous sommes servi de cette expression, que Dieu opère en dehors et même à l'opposé des ordres naturels des choses.
Avec plus de jugement que n'en montre Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, son émule, avait écrit déjà « Dieu peut-il faire des miracles ? C'est-à-dire, peut-il déroger aux lois qu'il a établies ? Cette question, sérieusement traitée, serait impie, si elle n'était absurde : ce serait faire trop d'honneur à celui qui la résoudrait négativement, que de le punir, il suffirait de l'enfermer[103]. »
Nous avons dit que le miracle est plutôt une suspension de l'activité des lois de la nature, qu'une suspension de ces lois elles-mêmes. En vérité, il ne répugne pas à la pensée que Dieu puisse soustraire, pour un temps donné, une chose à l'activité de la loi à laquelle cette chose devrait être soumise. Ainsi, la division des eaux de la Mer Rouge put très bien avoir lieu par la suspension de l'activité de la loi de gravité et de fluidité, aussi bien que par la suspension momentanée de l'obéissance de l'eau à cette même loi. Dans ce cas, comme nous le dirons plus loin[104], un tel fait appartiendrait à la première classe des miracles. Il n'y a là aucune violation de l'ordre de nature, mais seulement une soustraction momentanée d'une chose à une loi naturelle qui en soi demeure intacte.


Ce qui dépend de l'intellect divin est nécessaire; ce qui dépend de la volonté divine est contingent

La réponse à la demande proposée, à savoir si le miracle est possible, dépend donc d'une juste compréhension de ce qu'est l'ordre des causes secondes, c'est-à-dire de la nature des choses de l'univers.
Il y a dans ce monde des choses qui ont en elles-mêmes une dépendance immédiate par rapport à l'intellect de Dieu et des choses qui directement appartiennent à la détermination de sa volonté. Ce qui dépend immédiatement de l'intellect divin est nécessaire et immuable ; au contraire, ce qui proprement se rapporte à la volonté divine est contingent et changeant.
Toute chose est ce qu'elle est en vertu de son essence, et les essences des choses ne sont autres que les divers modes d'imitabilité de la nature divine. De là vient qu'un changement dans l'essence des choses est impossible, parce qu'il signifierait un changement dans l'imitation même de la nature divine, ce qui impliquerait contradiction. Un homme, sans une âme raisonnable, ou une âme humaine, sans ses facultés d'intelligence et de volonté, sont des choses absurdes en elles-mêmes.
Mais, en toute chose, hors de ce qui en constitue l'essence, il se trouve force formalités accidentelles qui, bien qu'elles soient réglées par des lois fixes, peuvent néanmoins être changées sans qu'en souffrent le moins du monde les rapports essentiels et nécessaires de cette chose à la divine essence. Ainsi, le fait qu'un homme marche sur la terre ou sur les eaux, qu'il tombe d'une hauteur ou qu'il s'élève en l'air, n'enlève rien à la vérité de son essence. Ce sont là des choses dépendantes de la libre détermination de la divine volonté, en un mot, ce sont des choses contingentes. C'est ainsi qu'est contingent en toutes choses ce qui est sujet au mouvement, ce ressort infini qui ne laisse rien en repos dans la nature, cette très générale et très active condition de toutes les vicissitudes, de toutes les générations qui sont en tout temps et en tout lieu[105].
Ainsi donc, considéré selon ce qu'il a en lui de mobile, l'ordre des causes secondes, étant en soi contingent, dépend entièrement de la volonté de Dieu. De même que le souverain Maître de l'univers aurait pu, dès le commencement, établir un autre ordre de choses, de même aussi il peut très bien agir en dehors de celui qu'il a établi. Un roi, qui a fait des lois pour le gouvernement de ses sujets peut, sans se contredire, pour une raison suffisante, déroger à ces lois et introduire dans son gouvernement un autre mode de procédure[106].
Cette raison est concluante et doit suffire à persuader les esprits même les plus limités. Mais il est, en faveur de notre thèse, d'autres raisons plus profondes encore et, par suite, plus convaincantes.


Dans les opérations ad extra Dieu n'agit pas par nécessité, mais par élection de volonté

Dans ses opérations ad extra, Dieu n'agit pas par nécessité de nature, mais par un acte libre de sa volonté. De fait, s'il agissait par nécessité de nature, Dieu deviendrait une cause univoque, et par conséquent serait lui-même compris dans l'ensemble des choses créées, puisque la cause univoque convient en espèce avec son effet propre ; et de même que Dieu est la cause de toute l'espèce, il faudrait qu'il fût pareillement la cause de soi-même[107]. Dieu n'est donc pas la cause des choses par nécessité de nature, mais par élection de volonté.
Or, une cause qui agit par nécessité de nature a besoin d'agir par la forme par laquelle elle est en acte. C'est pourquoi l'effet qui en découle ne peut être, sinon selon le mode de cette forme, et par conséquent il est nécessaire que l'effet soit proportionné à cette forme. Au contraire, l'agent qui opère par volonté, agit par sa forme non naturelle, mais idéale, c'est-à-dire par la forme exprimée par le concept de son esprit. Il suit de là que l'agent par nature ne peut produire immédiatement qu'un effet qui lui soit proportionné par nature, tandis que celui qui agit par volonté peut produire immédiatement un effet proportionné, non pas à la forme par laquelle il est en acte, c'est-à-dire à sa forme naturelle, mais bien à la forme conçue dans son esprit.
Mais ici, il s'agit de miracles, c'est-à-dire d'effets créés et finis, et par conséquent non proportionnés à la nature divine. Si donc Dieu opérait par nature, il est évident qu'il ne pourrait immédiatement produire ces effets, sans qu'ils participent de la vertu et de la nature divine. Mais Dieu opère par élection de volonté ; et de même qu'un très parfait artiste peut directement produire par lui-même ce que produirait un artiste inférieur, de même Dieu peut produire tous les effets des causes secondes, sans aucune médiation, non de temps, car il n'est pas ici question de temps, mais de causalité créée, ainsi que l'observe le Ferrarais[108].
Certes, cette vérité ne pourrait se soutenir si l'on voulait nier que Dieu agit par élection de volonté. Car une cause qui agit par nature ne peut produire un effet qui lui soit beaucoup inférieur, sans passer par un grand nombre de termes moyens. En effet, une telle cause agit, ainsi qu'on l'a montré, par sa forme naturelle. Il faut donc que l'effet directement produit soit proportionné à la forme de la cause. Or, il peut être proportionné à la forme de la cause de deux manières : premièrement, univoquement ; secondement, analogiquement. Univoquement, comme lorsqu'un père engendre son fils ; mais alors l'effet - excepté dans le cas de défaut de vertu opérative - égale la cause en perfection. Analogiquement, comme lorsque le soleil, par exemple, illumine directement la lune. L'effet n'égale pas alors la cause en perfection, parce que la cause étant analogique, possède la forme d'une manière plus excellente. Il l'égale pourtant, ainsi que de nouveau l'observe le même Docteur, en causalité et en dépendance, en tant que la causalité de la cause ne peut s'étendre à quelque chose de plus grand, et l'effet est la chose la plus noble qui puisse dépendre d'elle. Il faut donc, pour qu'une cause de très grande vertu, laquelle agit par nature, puisse arriver à produire un effet beaucoup plus petit, que cette cause passe par beaucoup de moyens termes, comme une pénombre, un clair obscur ne peuvent être directement produits par le soleil, mais bien par sa réflexion en différents corps[109].


Erreur des panthéistes

Les choses étant ainsi, les philosophes qui se représentèrent Dieu opérant, non pas par liberté d'élection, mais par nécessité de nature, soit qu'ils fussent panthéistes ou émanantistes, se virent obligés, par une conséquence inévitable, de refuser à Dieu la possibilité d'accomplir le miracle.
C'est ainsi que Spinoza[110], philosophe juif panthéiste, partant de ce principe que l'univers, avec toutes ses parties, n'est qu'une seule substance qui, d'une manière nécessaire et fatale, développe la propriété de l'intelligence dont elle est douée, en vint à conclure, déduction logique des principes posés par lui, que les lois de ce monde, ne sont autre chose que des dérivations aveugles de la nature divine, sujettes à une inexorable nécessité.
Il serait malaisé d'affirmer que Rosmini ne partagea pas cette erreur. Car, tandis qu'il admettait que. «dans la sphère du créé, se manifeste immédiatement à l'intelligence humaine quelque chose de divin en soi [111]» « non par participation »[112], « mais en un sens propre, une actualité indistincte du reste de l'actualité divine, indivisible en soi, divisible par abstraction mentale[113]», il dut encore, pour être logique, conclure que le principe de l'opération divine n'est pas une forme intellectuelle, mais bien une forme naturelle, et que les effets créés sont proportionnés à Dieu par nature, c'est-à-dire qu'ils sont infinis.
S'étant trompés dès l'entrée de la voie qui conduit à la connaissance de Dieu, ces philosophes sont forcés de s'égarer, au cours de leur route, dans un labyrinthe inextricable d'erreurs. Ayant déchiré la robe au fin tissu de la philosophie, ils n'ont pas su voir le écrit au bas de l'ourlet inférieur, c'est-à-dire les effets de l'opération divine, ainsi qu'il fut donné à saint Séverin Boèce de le voir dans la vision mystérieuse qu'il eut dans sa prison, et qui le réconforta dans son angoisse. Ils ne purent interpréter sagement le broché sur le bord supérieur de cette robe et qui signifie la connaissance de Dieu. Ils bouleversèrent ainsi l'ordre des degrés marqués en échelons, entre ces deux lettres, degrés qui de l'élément inférieur, conduisent à la connaissance de l'Être suprême[114].


Belle description allégorique de la Philosophie fournie par saint Séverin Boèce

Nous avons nommé l'insigne philosophe que fut saint Séverin Boèce. Il ne sera pas déplacé de mettre sous les yeux du lecteur la très belle description allégorique de la philosophie que ce philosophe nous a laissée.
« Pendant que j'étais occupé dans ces tristes pensées, dit-il[115], et que j'exhalais ainsi ma douleur, l'enregistrant sur les tablettes, j'aperçus au-dessus de moi une femme dont l'aspect inspirait la vénération la plus profonde. Ses yeux pleins de feu étaient mille fois plus perçants que ceux des hommes ; les couleurs les plus vives annonçaient sa force ; sa vigueur ne paraissait point altérée, quoiqu'à son air on s'aperçût bien que sa naissance avait précédé celle des hommes les plus âgés de ce siècle. Il était difficile de connaître la hauteur de sa taille, car quelquefois elle ne paraissait pas au-dessus du commun des hommes, et quelquefois elle semblait toucher aux nues, les pénétrer même, et dérober sa tête aux regards curieux des mortels. Son vêtement se composait d'un tissu fait de fils ténus, d'une matière incorruptible, ourdi avec un art admirable et de ses propres mains, comme elle me l'apprit elle-même dans la suite. Son éclat semblait un peu obscurci par un nuage léger, pareil à cette espèce de fumée qui, au cours des années, s'attache aux vieux tableaux. Au bas de sa robe on voyait la lettre , et au haut la lettre [116], brochées dans l'étoffe. Entre ces deux lettres, on remarquait différents degrés en forme d'échelle, par lesquels on montait du plus bas élément au plus élevé. On remarquait aussi qu'en quelques endroits sa robe avait été déchirée par des mains violentes, et que chacun en avait arraché ce qu'il avait pu. Dans sa main droite, cette femme majestueuse tenait des livres, et dans sa gauche elle portait un sceptre ». Admirable description qui peint au vif les sublimes qualités de la philosophie.


On confirme la possibilité du miracle

Pour revenir au point qui nous occupait, à savoir : s'il est possible à Dieu de faire des miracles, nous disons qu'on peut arriver à convaincre de la façon suivante ceux qui nient cette possibilité. Ou ils admettent la création, ou ils ne l'admettent pas. S'ils l'admettent, ils doivent avouer que Dieu a produit immédiatement sans le concours d'une force médiate quelle qu'elle fût, la substance des choses et non la forme seule, ni la matière seule, mais tout leur être, Mais qui peut le plus, peut aussi le moins ; et au générateur qui donne la forme, on ne refusera pas qu'il puisse donner aussi les propriétés et les mouvements qui procèdent de la forme. S'il en est ainsi, pourquoi nier que Dieu puisse mouvoir immédiatement les substances des choses à des actes, ou les appliquer à des mouvements proportionnés, non pas à la puissance passive naturelle de celles-ci, mais bien à la puissance passive obédientielle ?
Si au contraire, ils préfèrent retenir, contre les enseignements de la foi, l'hypothèse d'ailleurs absurde, de la non création du monde, ils doivent, s'ils ne veulent pas renoncer au témoignage des sens, admettre ce fait, qu'un grand nombre de choses arrivent dans la nature en dehors du cours habituel, soit par défaut de vertu active chez les agents, soit par une disposition contraire de matière dans les sujets, soit encore par la violence exercée sur les causes inférieures par les agents supérieurs. Mais si l'on est contraint de reconnaître, dans les causes secondes et dans les défauts mêmes de la nature, le pouvoir de changer le cours habituel des choses, niera-t-on ce pouvoir à un Dieu infini ? Qu'on renonce à croire à l'existence de Dieu, première cause de tout l'univers, plutôt que d'admettre un Dieu aussi impuissant[117].


Preuves tirées de l'analogie

Un regard sur les rapports qui existent entre les diverses parties de ce monde achèvera de nous persuader combien il est raisonnable d'admettre que Dieu peut déroger aux lois physiques établies par lui pour la marche régulière de l'univers.
Les degrés sur lesquels sont échelonnés les êtres qui composent la synthèse du monde sont ordonnés de telle sorte que l'être d'un degré supérieur peut, en quelque manière, modifier les lois auxquelles est soumis l'être d'un degré inférieur. Il peut en modifier la vertu et l'énergie. Ainsi, tandis que le suc vital, conformément aux lois de gravité, devrait tendre vers le bas, du moment qu'il est sous l'influence du principe végétal existant dans les plantes, il monte jusqu'au sommet de l'arbre, pénétrant dans les branches et arrivant jusqu'à l'extrémité des feuilles. De même aussi, chez l'animal, la vertu que possède l'imagination de modifier les fonctions végétatives est telle, qu'elle peut donner origine à une branche de pathologie spéciale. Et l'imagination elle-même, à quel point ne peut-elle pas être modifiée sous l'influence de la raison, si bien que nous arrivions à considérer comme possible pour un homme, de ne plus subir les irruptions soudaines des mauvaises passions? S'il en est ainsi, peut-on nier que Dieu, qui surpasse infiniment toutes les formes des créatures, n'ait un pouvoir suffisant pour en modifier les lois ? La proportion existant entre Dieu et le monde inférieur, dépasse infiniment la proportion entre l'âme de l'homme et son corps, et pourtant celle-là est capable de modifier les lois de celui-ci.
C'est pourquoi ceux-là jugent bien pauvrement de la divinité, qui lui refusent le pouvoir de faire des miracles.
« Les démons, dit saint Augustin[118], ont pu perfectionner l'art des magiciens, que la sainte Écriture appelle sorciers et enchanteurs, au point de changer les sentiments humains, comme il semble que le noble poète Virgile veut dire en parlant d'une femme, grande maîtresse dans cet art [119] : « Elle promet par ses enchantements de délivrer à son gré les âmes, ou de leur envoyer les amers soucis, d'arrêter l'onde des fleuves et de détourner le cours des astres ; elle évoque les Mânes ténébreux ; la terre va mugir sous ses pieds, et tu verras les frênes descendre du haut des montagnes». S'il en est ainsi, oh! combien plus Dieu est puissant pour accomplir des prodiges qui semblent incroyables aux infidèles et qui ne sont que des jeux de sa puissance infinie ? Car n'est-ce pas Dieu qui a donné aux pierres et aux autres choses leur vertu, aux hommes le génie pour qu'ils en fassent usage de différentes manières surprenantes, et aux natures angéliques une puissance plus grande que celle des animaux terrestres? Et l'infini de ces merveilles n'est-il pas surpassé par cet infini de pouvoir et de sagesse qui agit, ordonne et permet, non moins admirable dans la conduite, que dans la création de l'univers ? »
En outre, si, pour un instant, nous dirigeons notre pensée vers ce que l'homme, avec sa sagesse et sa puissance limitées, sait accomplir, nous n'aurons certainement aucune peine à admettre le pouvoir que Dieu a de produire des œuvres qui surpassent toutes les forces de la nature.
Nous savons quelle est la merveilleuse puissance de l'homme dans sa façon de multiplier et varier les effets visibles, avec les éléments finis et déterminés que lui fournit la nature. Nous restons éblouis à la vue des découvertes obtenues, surtout dans ces derniers temps, par la combinaison ou la modification des éléments de la matière et nous ne savons pas encore ce que les années à venir nous tiennent en réserve. Merveilleuses sont les harmonies que de savants musiciens ont su tirer des sept notes de la gamme ; les images obtenues avec les sept couleurs originales sont variées à l'infini ; les applications de la chimie et de la physique moderne ont donné lieu à des inventions surprenantes. Mais si l'homme possède un tel pouvoir, lui qui, en substance, est un rien comparé à Dieu, de quoi ne sera pas capable Celui qui, étant l'Être subsistant, réunit en lui toute perfection concevable ?
Observons enfin que si Dieu est la cause des choses par sa science et par sa volonté, de telle sorte qu'il lui suffit de vouloir pour effectuer ce qu'il conçoit, nous appartient-il, à nous, de fixer des limites à l'ampleur et à la variété de ses effets, tandis que notre intelligence même, finie comme elle est, ne cesse jamais de concevoir des choses nouvelles ? Du moins, concédera-t-on à Dieu le pouvoir d'actualiser nos conceptions ; or, étant donné que celles-ci comprennent également les dérogations à l'ordre de la nature, dérogations que nous appelons miracles, on ne saurait refuser à Dieu le pouvoir de les réaliser c'est-à-dire de faire des miracles[120].
Concluons, avec le Concile du Vatican [121] : « Si quelqu'un dit qu'aucun miracle ne peut avoir lieu, et que pour cela tous les faits miraculeux, y compris ceux contenus dans la Sainte Écriture, doivent être relégués parmi les fables et les mythes, qu'il soit anathème. »



CHAPITRE V - FINALITÉ DU MIRACLE

Sentiments des déistes et d'autres incrédules sur la finalité du miracle

Si nous réfléchissons sur les motifs qui poussent les incrédules à nier, contre l'évidence des faits, la réalité du miracle, c'est-à-dire la réalité d'une intervention immédiate et extraordinaire de Dieu dans les choses de ce monde, nous trouverons qu'ils y sont induits, plus que par autre chose, par une fatale nécessité, qui leur fait fermer les yeux de l'esprit sur tout ce qui n'appartient pas à l'ordre matériel. Méconnaissant les rapports qui lient l'homme à son Créateur, ils affectent de ne rien savoir de l'ordre moral, et par conséquent, tout en admettant que Dieu est l'auteur du monde, ils ne veulent pas le reconnaître comme le Gouverneur suprême qui régit les destinées de l'univers.
Si Dieu n'a d'autres relations avec le monde que celles d'un architecte avec la maison qu'il a bâtie, pourquoi permettre, ou plutôt produire ces fréquentes infractions aux lois de la nature ; pourquoi violer le cours habituel des choses ou en interrompre la merveilleuse harmonie ? Certainement Dieu n'a pas besoin de tels amusements, et l'on ne doit pas croire qu'il veuille s'abaisser à satisfaire la curiosité morbide de certains esprits toujours en quête d'événements insolites ou de phénomènes extravagants.
Rappelons ici Voltaire disant que le miracle suppose des dispositions changeantes dans la divinité; rappelons également Bentham[122], lorsqu'il confondait les miracles chrétiens avec les fables et les sorcel­leries des païens, et qu'il exigeait qu'ils fussent examinés selon la règle et les principes qui servent à examiner les prétendus faits merveilleux de la mythologie. Rappelons enfin l'opinion de Hume, quand il prenait comme équivalents les termes miraculeux et impossible[123].
Pour ces philosophes, le miracle, s'il existait, serait un phénomène anormal, irrégulier, un phénomène auquel on ne peut assigner une place logique dans l'univers ou une raison suffisante de son existence. Pour eux, l'œuvre miraculeuse ne ferait pas partie intégrante de l'univers, elle ne serait pas en harmonie avec le tout. Le miracle serait un fait détaché, sans aucune relation avec les phénomènes physiques naturels, ou l'ordre moral des choses.
Mais, qu'on le veuille ou non, il est hors de doute qu'il existe des faits évidemment extraordinaires, des faits merveilleux, dont l'authenticité est établie par la plus sévère critique. Ces faits ne sont pas isolés. On les rencontre à travers tous les siècles. Ils remplissent les annales aussi bien du peuple hébreu, que des nations chrétiennes. Pour rester dans les limites de notre ère, l'apparition de la croix à Constantin, l'éruption du feu à Jérusalem alors que Julien l'Apostat voulait reconstruire le Temple, l'ébullition périodique du sang de saint janvier, et, pour ne rien dire d'une infinité d'autres miracles, les innombrables guérisons instantanées obtenues dans plusieurs sanctuaires du monde, à Lourdes en particulier, sont des faits certifiés par trop de témoins, pour qu'une personne tant soit peu soucieuse de sa dignité, ose jeter un démenti sur la réalité de ces miracles, du moins pris dans leur ensemble[124].
Mais les philosophes rationalistes, tout en admettant le fait du miracle, ne sont pas à court de raisons pour l'expliquer, et pour ce faire, ils ne craignent point d'aller jusqu'au ridicule. Ils aiment à répéter que les forces de la nature ne nous sont pas connues ; qu'avec le temps, la science aura tellement progressé, qu'elle pourra produire des effets semblables et même plus merveilleux encore. En parlant ainsi, ils ne s'aperçoivent pas qu'ils en viennent à confesser l'impuissance actuelle de cette même science si hautement invoquée. Enfin, quand ils se sentent à court de raisonnement, il leur reste toujours la suprême ressource de l'illusion ou de l'hallucination.
D'autres crurent faire honneur à la divinité en imaginant Dieu, pareil à un despote, produisant le miracle dans l'unique but de gratifier sa volonté propre, comme si celle-ci était la raison suprême et la dernière fin de tout ce qu'il opère dans le monde. Aussi, disaient-ils, dans la recherche des causes de ce monde, nous n'avons pas autre chose à considérer, si ce n'est la volonté de Dieu[125]. La volonté de Dieu, nue et absolue, et considérée indépendamment de son intelligence, c'est là, selon ces philosophes, la raison dernière de la production du monde et des effets, tant naturels que surnaturels, que nous voyons autour de nous.
Sic volo, sic jubeo, sic stat pro ratione voluntas.


Le miracle n'est pas une œuvre monstrueuse et n'a pas pour unique raison d'être la volonté de Dieu

Mais les uns et les autres s'éloignent du vrai, trompés comme ils le sont par rapport au premier principe de toutes choses, lequel est aussi leur fin dernière. En marchant par des voies différentes, ils aboutissent au même résultat de soustraire les merveilleux effets de la nature à la loi de dépendance d'un premier principe qui n'est autre que le Souverain Bien qui, désiré et souhaité par les choses de ce monde, les met toutes en action.
Les premiers, s'arrêtant à l'écorce matérielle des effets et ne voyant dans ceux-ci qu'un pur phénomène, ne peuvent reconnaître dans le miracle rien d'autre qu'une production monstrueuse, un hors-d'œuvre, qu'on ne peut rattacher à un dessein quelconque, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral. Pour eux le miracle est un simple non-sens.
Les seconds, ne reconnaissant à Dieu d'autre principe de direction dans ses œuvres que le fait de sa volonté, se forment une idée fausse de la divinité. Il est vrai que la volonté divine n'est subordonnée à aucune cause créée, étant elle-même la Bonté par essence ; aussi tout ce que Dieu veut, il le veut pour lui-même et il le veut par un seul acte très simple[126]. Toutefois la volonté ne peut tendre au bien, si celui-ci n'est pas connu. Il faut donc que, dans les œuvres que Dieu accomplit, sa volonté soit guidée par la lumière de son intellect, dans lequel sont les idées archétypes de toutes choses et leurs raisons d'être, ainsi que l'ordonnance de celles-ci à leur dernière fin, qui est Dieu même. Donc, bien que la divine volonté ne dépende d'aucune cause en dehors d'elle-même, elle n'est pas toutefois dépourvue de motif dans ses effets. Elle ne se porte pas à vouloir ceci ou cela au hasard, mais en tout ce qu'elle veut, elle est guidée par un but très élevé. Quel est ce but ? C'est précisément ce qu'il appartient au philosophe d'examiner.


Le but du miracle est de conduire l'homme à une connaissance plus explicite de Dieu

La raison, non moins que la foi, nous enseigne que les créatures corporelles sont ordonnées à la nature intellectuelle comme à leur fin. Or, comme la fin de la nature intellectuelle est précisément la connaissance de Dieu, les créatures corporelles servent à manifester la nature, les opérations, les attributs et la présence de la Divinité[127]. «C'est par les créatures, dit saint Paul[128], que les invisibles perfections de Dieu, son éternelle puissance et sa divinité, sont rendues visibles à l'intelligence par le moyen de ses œuvres.»
Les effets que nous admirons autour de nous suffisent à nous faire connaître l'existence de Dieu, sa présence dans le monde, et aussi, en quelque sorte, sa nature subjective. Ceci est d'autant plus vrai que, comme nous l'enseigne la philosophie, rien de créé ne peut, sans l'action de Dieu, continuer d'exister. « Si la puissance divine, dit saint Augustin[129], venait, même pour un seul instant, à cesser de gouverner les choses créées, non seulement leurs espèces cesseraient d'exister, mais leur nature même périrait. »
Toutefois, étant donné que l'esprit humain, mis en présence de la continuité et régularité d'un certain processus, s'y habitue au point d'en oublier la cause mouvante, ab assuetis non fit passio, il est opportun qu'une interruption subite dans l'ordre établi, un fait insolite vienne réveiller l'attention du spectateur, et imprimer fortement, irrésistiblement en lui, la conviction que tous les effets du monde, du fait qu'ils sont réguliers, n'ont pas moins besoin d'un agent premier et infini, que n'en ont besoin les effets mêmes extraordinaires. L'agent premier et infini, par rapport au cours du monde, c'est précisément Dieu : donc, une interruption dans le cours habituel du monde oblige l'homme à y reconnaître la présence de Dieu, et à s'écrier avec les mages de Pharaon : Digitus Dei est hic[130].


« Assurément, écrit saint Augustin[131], les miracles qu'accomplit Notre Seigneur Jésus-Christ sont des œuvres divines et enseignent à l'esprit humain à connaître Dieu d'après les choses visibles. Dieu n'est pas en effet une substance telle qu'on la puisse voir par les yeux du corps. D'autre part, les œuvres surprenantes qu'il déploie dans le gouvernement du monde et de toutes les créatures, pour être de tous les jours, deviennent à ce point familières, qu'elles n'excitent plus l'admiration, telle que devrait le faire la naissance d'un seul grain de blé. Dieu donc, dans sa miséricorde, s'est réservé de faire, en temps voulu, certaines œuvres en dehors du cours habituel de la nature afin que, à la vue des choses non pas plus grandes, mais plus insolites, les hommes sentent s'éveiller leur admiration demeurée comme assoupie en présence des œuvres que Dieu accomplit tous les jours. » Saint Thomas fait écho à ces paroles quand il écrit [132] : « Il arrive que Dieu opère quelque effet miraculeux en dehors de l'ordre de la nature, pour rappeler les hommes à la connaissance de lui-même.»
Il faut conclure de là à une très grande erreur chez ceux qui refusent de ne voir dans le miracle rien de plus que ce que révèle le fait le plus ordinaire ; aussi, ajoutent-ils, par le fait du miracle, l'existence de la révélation ne vient pas à sortir du domaine de l'hypothèse, autrement la foi se démontrerait par la raison[133].
En vérité, la foi est un don de Dieu, dont la raison formelle dépend de la révélation divine ; toutefois ce don est préparé, en voie d'efficience, par des motifs de crédibilité parmi lesquels le miracle occupe la première et la principale place.


Le miracle est en relation intime avec l'ordre surnaturel

II est vrai de dire que le miracle, con­sidéré dans sa valeur intrinsèque, ne nous donne pas, sur le fait de l'existence d'un être suprême, une preuve plus convaincante que celle fournie continuellement par le cours habituel de la nature. Il est vrai qu'une exception dans le système régulier de l'univers n'a pas en faveur de l'existence de celui qui dirige ce système, une valeur plus convaincante que ne possède le système pris en lui-même ; aussi le cardinal Newman fait-il justement observer qu'un athée convaincu ne sera jamais touché par le miracle[134]. Cependant le miracle diffère du cours habituel de la nature en ce qu'il est plus étroitement lié à l'ordre moral que ne l'est le système régulier du monde.
« Les miracles, dit magnifiquement Bossuet[135], nous donnent l'idée véritable de l'empire suprême de Dieu, maître tout-puissant de ses créatures, soit pour les tenir sujettes aux lois générales qu'il a établies, soit pour leur en donner d'autres, quand il juge qu'il est nécessaire de réveiller par quelque coup surprenant le genre humain endormi. »
La succession alternée du jour et de la nuit, la révolution périodique des astres, le retour des saisons accompli avec une précision merveilleuse, en un mot la régularité des phénomènes naturels, sont assurément des choses qui proclament toutes l'existence du Créateur et célèbrent sa sagesse. Mais, une infraction inattendue à ces lois physiques, une brusque interruption dans le cours ordinaire du monde, ne peut être l'effet du hasard, et moins encore, la conséquence d'un capricieux vouloir de la part de Dieu. Un tel phénomène, au contraire, doit être ordonné pour un but spécial et précisément en faveur de ceux qui sont capables d'intelligence, c'est-à-dire en faveur de l'humanité. Un événement extraordinaire est ainsi apte à insinuer l'idée d'un gouvernement moral, qui non seulement prend soin de la marche régulière du monde physique, mais surtout qui se préoccupe de promouvoir le bien, de réprimer le mal, de protéger l'innocence, de sauvegarder les droits de la justice et de l'honnêteté, de récompenser la vertu et de punir le vice.
La pensée humaine, écrit le célèbre auteur anglais cité plus haut, a peut, au moyen du miracle, s'exciter à la réflexion, jusqu'à ce que la pure conviction d'un être surhumain devienne le premier pas vers la reconnaissance d'un Pouvoir Suprême. De plus, la même pensée humaine, tandis qu'elle observe la nature dans son ensemble, n'est pas capable d'en saisir tous les rapports et de comprendre ce qu'elle contient. Mais, dans les manifestations miraculeuses de la divine puissance, l'horizon est restreint ; on prend, à titre d'exemple, une partie détachée des opérations divines, et la cause finale est nettement indiquée... En outre, comme le miracle fournit en faveur du Créateur une preuve plus convaincante que ne peuvent le faire l'ordre et les lois fixes de l'univers, de même il témoigne encore avec plus d'évidence en faveur d'un Gouverneur moral. Car, tandis que la nature apporte son témoignage à l'existence de Dieu plus distinctement qu'à son gouvernement moral, un fait miraculeux, au contraire, a une influence plus directe sur ce dernier point, dont il est une preuve immédiate, tandis que la nature ne démontre que l'existence de Dieu. Il résulte de ceci que les miracles, outre qu'ils excluent l'idée de Destin et de Nécessité, ont une aptitude à secouer la conscience, à réveiller en elle un sentiment de responsabilité, à lui rappeler son devoir et à réclamer son attention sur ces signes du gouvernement divin contenus déjà dans le cours ordinaire des faits[136]. »
Le même écrivain dit ailleurs, avec beaucoup de raison, que par miracle on entend ordinairement un fait qui convainc l'esprit de la présence immédiate du Gouverneur moral du monde [137] ; et c'est pourquoi il serait faux de dire qu'une des conditions essentielles du miracle est qu'il soit fait en public, en présence de nombreux témoins et en de solennelles circonstances. Même pour un seul individu le miracle peut avoir lieu, sans que sa finalité en souffre tant soit peu. Car, si l'espérance d'obtenir, par une dérogation aux lois fixes de la nature, une faveur spéciale de Dieu est certainement un motif efficace pour exciter dans l'homme la foi dans la puissance et la bonté du Créateur, une faveur obtenue en des circonstances aussi extraordinaires ne peut manquer de réveiller en lui un vif sentiment de reconnaissance, sentiment qui le poussera à s'unir plus étroitement à Dieu, et à aimer avec plus de ferveur Celui qui s'est montré pour lui d'une telle libéralité.
Le but du miracle, qui est de manifester les attributs divins, de promouvoir la gloire de l'Éternel, est donc atteint, même quand il est fait en faveur d'un individu qui seul en est le témoin. Du reste, Dieu ne s'occupe-t-il pas de chacun de nous, comme si nous étions seuls au monde ?
Au contraire une dérogation aux lois ordinaires de la nature qui ne nous serait manifestée d'aucune façon, se verrait ainsi privée de cette fin, qui est de conduire l'homme à Dieu en lui faisant connaître plus vivement ses divins attributs : une telle dérogation, disons-nous, ne peut pas s'admettre. Comme l'enseigne saint Thomas, c'est une loi de la nature que l'ange supérieur illumine l'inférieur, et il n'arrive jamais que celui-ci soit illuminé directement par Dieu, parce qu'une telle dérogation n'aurait pas de but, les opérations angéliques ne nous étant point connues[138].
Nous avons entendu plus haut le Cardinal Newman dire que le but du miracle est de manifester les attributs moraux de Dieu, dans le gouvernement du monde. Ces paroles ont besoin d'être expliquées, car ce serait une grosse erreur de les comprendre du gouvernement du monde dans l'ordre naturel. Du moment que Dieu s'est plu à élever l'homme, par sa seule libéralité, à l'ordre surnaturel, dans sa connaissance et dans son amour par la foi et la charité en cette vie, et dans la possession parfaite de lui-même dans l'autre vie, il est nécessaire de reconnaître, comme étant la fin dernière de toutes les dérogations qui surviennent dans le cours habituel de la nature, l'existence de cet ordre surnaturel, c'est-à-dire l'ordre de la grâce, avec tous les moyens institués par Dieu pour la sanctification de l'homme. C'est pourquoi, aucun miracle n'a jamais lieu en dehors de cet ordre surnaturel, ou sans qu'il ait une relation à la fin dernière, qui est de conduire l'homme à la connaissance et à l'amour de Dieu, comme étant son Sauveur et son rémunérateur. Et c'est précisément la raison pour laquelle, de règle ordinaire, le miracle n'a jamais lieu en dehors de la religion instituée par Dieu. Que si l'on veut soutenir que quelques miracles ont pu avoir lieu dans l'ancien temps en dehors de la Synagogue et, dans des temps plus récents, hors de l'Église catholique, comme nous le dirons plus tard, ceci cependant ne peut jamais avoir eu lieu sans qu'il y ait, dans le miracle, une relation à la vie éternelle et aux moyens institués par Dieu pour nous y conduire : Omnia Propter electos.


Obstination de certains qui se refusent à admettre le miracle

Mais, si le but de tout miracle est d'exciter dans l'homme des sentiments de révérence et d'affection envers Dieu, auteur de l'ordre surnaturel, cela ne veut pas dire que toutes les personnes en faveur desquelles Dieu fait des prodiges, soient en réalité toujours portées à admirer et à aimer davantage les attributs divins et qu'ainsi la fin propre du miracle soit toujours atteinte. L'homme est né libre ; et comme il peut abuser de cette liberté en résistant aux impulsions du premier moteur, il peut de même encore se rendre insensible aux enseignements contenus dans les dérogations au cours habituel de la nature. Il peut en outre oublier bien vite ce qui sur le moment l'avait peut-être impressionné. Les miracles presque infinis opérés par Dieu dans le désert en faveur de son peuple, n'empêchèrent pas les Hébreux de rendre au veau d'or un culte d'adoration, et parmi les personnes que Jésus-Christ a miraculeusement guéries, combien n'y en eut-il pas qui, au jour de son délaissement, demandèrent par des cris frénétiques sa crucifixion et sa mort !
La méconnaissance formelle des attributs divins de la part de ceux mêmes qui ont été les témoins ou les sujets des manifestations miraculeuses n'est donc pas un signe infaillible, ni même un indice suffisant contre la vérité historique de ces manifestations. C'est pourquoi seul un sophiste, par exemple, niera que l'escabeau sur lequel l'empereur Valens voulait s'asseoir pour écrire le décret d'expulsion contre saint Basile se rompît, que des trois plumes qu'il employa pour écrire la peine de l'exil aucune ne voulût rendre l'encre et que, persistant dans son dessein impie, les nerfs de son bras droit se contractassent et que toute sa main tremblât : seul, un sophiste, disons-nous, niera ces faits historiques, sous le prétexte que cet empereur arien méconnut ensuite la justice de Dieu manifestée ouvertement par de semblables prodiges, au point de continuer à communiquer avec les hérétiques, et aller même jusqu'à les appeler au chevet de son fils gravement malade.
Non moins significatif est le fait raconté par des témoins dignes de foi, à propos de julien l'Apostat qui, pour donner un démenti à la parole de Notre-Seigneur prédisant la destruction du Temple de Jérusalem au point qu'il n'y resterait plus pierre sur pierre, forma le projet impie de reconstruire ce temple même, pour y instituer de nouveau le culte hébraïque qu'il considérait comme analogue au culte païen.
Julien, en effet, ayant fait venir, vers l'an 361, de toutes les parties de l'empire, des ouvriers à Jérusalem, ordonna à ses trésoriers d'avancer l'argent nécessaire à cette entreprise, bien qu'elle dût lui coûter des sommes considérables.
Déjà les ouvriers, avec une ardeur fiévreuse, avaient mis la main au travail, aidés et encouragés par des hommes et des femmes de la plus haute noblesse juive ; déjà les anciens fondements avaient été déblayés et des matériaux sans nombre s'étaient amoncelés pour l'érection du nouveau temple, quand, tout à coup, d'effroyables globes de feu sortent du sol, consumant ouvriers et instruments de travail. En même temps, un tremblement de terre violent, accompagné d'un vent furieux, fait crouler les édifices voisins, disperse les matériaux, causant la mort des personnes accourues sur les lieux du désastre. Les vêtements des juifs survivants furent vus, la nuit suivante, marqués de petites croix lumineuses que rien ne réussit à faire disparaître, tandis qu'apparaissait dans le ciel une grande croix resplendissante.
Malgré ces signes terribles, les juifs s'obstinèrent à reprendre le travail, poussés qu'ils étaient par les ordres de l'empereur et le désir de voir le temple surgir à nouveau ; mais chaque fois ils se virent empêchés par des phénomènes semblables. Enfin ils durent, bien malgré eux, renoncer à leur mauvais dessein. C'est ainsi qu'est demeurée sans démenti jusqu'à nos jours, la parole prophétique de Jésus-Christ, qui avait prédit que de ce monument insigne, une des merveilles du monde, il ne resterait pas pierre sur pierre[139]. Or, nier ce fait, disons-nous, uniquement parce que nous ne lisons pas que les juifs se soient convertis, est, à vrai dire, le propre d'un jugement faux ou déséquilibré.
De la même manière seul un esprit soi-disant fort, mais en réalité bien faible ou entêté, rejettera les miracles de Lourdes, pour la simple raison qu'un petit nombre d'obstinés persistent à ne pas vouloir reconnaître dans ces événements la main bienfaisante de Marie. Il opposera de même à l'évidence toujours croissante, une dénégation opiniâtre ou bien il niera l'authenticité d'une guérison, sous l'unique prétexte que celui qui en a bénéficié s'est ensuite révolté contre Dieu, en méconnaissant la grâce qu'il a reçue. Il est des esprits aveuglés à tel point que, même s'ils voyaient un cadavre déjà en décomposition revenir à la vie, ils nieraient le fait de sa mort, dans le seul but de refuser à Dieu la gloire de l'avoir ressuscité.
L'observation du Vénérable Bède vient ici à propos. Parlant de l'incrédulité des juifs en présence des miracles de Jésus-Christ, il dit [140] : « Les uns, tentant le Messie, lui demandaient un signe d'en Haut. Ou bien ils désiraient qu'il fît, comme Élie, descendre le feu du ciel, ou encore, comme au temps de Samuel, faire par un temps serein éclater le tonnerre, briller la foudre et tomber des nues des torrents d'eau ; comme s'ils n'eussent pu nier ces prodiges en les attribuant aux forces cachées qui opèrent dans les airs. Et toi, qui nies ce que voient tes yeux, ce que tu tiens dans tes mains et dont tu éprouves le bienfait, que feras-tu de ces phénomènes qui viennent du ciel ? Sans doute, répondras-tu que les Mages d'Égypte, eux aussi, ont opéré des prodiges nombreux. »
Mais nous pouvons passer outre et affirmer hors de doute, avec un savant écrivain que «la démonstration du surnaturel a atteint aujourd'hui le dernier degré de l'évidence[141]


Affinité du miracle avec l'ordre surnaturel

Étant donné que le but du miracle est précisément de conduire l'homme à sa fin dernière, laquelle fin consiste dans la possession de Dieu auteur de l'ordre surnaturel, nous repousserons loin de nous la pensée que Dieu veuille interrompre, par pur caprice, le cours de la nature réglé par lui avec tant de sagesse. Un simple caprice ne peut être le motif d'un si grand Souverain, d'un Maître aussi sage. Si donc nous le voyons quelquefois agir contre cet ordre ou en dehors de lui, nous nous persuaderons facilement qu'il le fait pour le seul motif d'imprimer plus fortement dans l'homme, pour l'usage duquel le monde physique a été tiré du néant, la connaissance de sa fin dernière, fin qui est Dieu même et de lui rappeler les moyens par lesquels il doit arriver à le posséder. Ces moyens, nous le savons, sont la vérité e l'honnêteté, et par-dessus tout, la foi en la doctrine de l'Eglise et des sacrements institués par Jésus-Christ pour nous aider à atteindre notre fin dernière.
Ce ne sera donc pas pour nous chose difficile de croire que Dieu s'interpose quelquefois comme témoin des vérités annoncées par ses prophètes ; que, dans d'autres cas, il veuille venger lui‑même l'innocence opprimée et châtier le crime laissé impuni par la justice humaine ; que, pour preuve de la sainteté de ses serviteurs et pour nous stimuler à les imiter, il rende, grâce à leurs prières, la santé aux malades et la vie aux morts ; que, plein de pitié, il prête l'oreille aux supplications des malheureux qu'il calme soudainement des tempêtes ; qu'il fasse cesser des guerres dévastatrices ; qu'il donne à la terre une fécondité insolite ; qu'il multiplie le vin, l'huile, le froment ; que, voulant à la fois faire connaître et craindre sa Majesté divine, il fasse le ciel de bronze et de pierre les masses liquides ; qu'il ôte au soleil et à la lune leur splendeur naturelle ; qu'il ébranle la terre ou suscite parfois d'étranges et insolites phénomènes célestes.
En d'autres termes, nous n'hésiterons pas à admettre que Dieu, après avoir, pour la manifestation de sa gloire, créé ce vaste univers, et cela plus facilement que le potier ne fabrique ses vases, puisse, quand il veut plus spécialement faire ressortir cette gloire, interrompre soudainement le cours de la nature, au point de contraindre un homme de peu de foi ou irréfléchi à reconnaître la présence immédiate de son Créateur, principe et fin de toutes choses.
D'autre part, c'est pour l'homme un strict devoir de ne pas fermer les yeux à ces manifestations de la puissance divine, mais au contraire, de les étudier et d'agir conformément aux enseignements qui en découlent. Car, étant donné le droit d'autorité qui revient à Dieu sur l'homme, étant donnée également l'absolue liberté qu'a ce Souverain Seigneur de manifester aux créatures raisonnables les ordres de sa Volonté suprême au moyen des dérogations au cours de la nature, le miracle ne peut apparaître comme un fait indifférent, un simple phénomène éphémère, mais il se révèle comme l'empreinte des pieds de Dieu qui passe dans le monde.
Si donc c'est un devoir pour l'homme de ne pas fermer les yeux au livre toujours ouvert de la nature, mais plutôt d'étudier les vérités qu'il renferme par rapport à l'existence de Dieu, à sa simplicité, à sa perfection, à son unité, ce n'est pas un moindre devoir de lire dans le livre des dérogations au cours habituel de cette même nature et de s'écrier humblement avec Samuel [142]: « Parlez, Seigneur, votre serviteur vous écoute. »
Si le sage aime à contempler les sphères célestes, semées avec une royale profusion dans les espaces éthérés, à en étudier les mouvements, à en calculer les rapports, supposant que tout à coup apparaisse dans le ciel une nouvelle étoile d'une splendeur insolite, qui, dans sa marche, vienne se poser sur une petite cabane où gît un enfant nouveau-né, ce sera le devoir de quiconque est témoin de ce météore insolite d'en suivre les traces et de rechercher quel peut être cet enfant si merveilleusement désigné. Le pieux spectateur, ayant reconnu cet enfant pour son Dieu, bien que celui-ci soit plongé dans l'abjection d'une extrême pauvreté, se prosternera devant lui et, plein d'un humble respect, il l'adorera.
Pareillement, si la nature nous a inspiré le désir de connaître le genre humain tel que nous le révèlent les annales de l'histoire, étant donnée la certitude que, dans les temps passés, un homme est apparu sur cette terre, annonçant une doctrine plus parfaite, se disant envoyé par Dieu pour établir une religion nouvelle, et confirmant sa mission par des miracles qui lui permettaient de dire à la face du monde, sans crainte de contradiction[143] : «Les œuvres que mon Père m'a donné d'accomplir, ces œuvres mêmes que je fais, rendent témoignage de moi, que c'est le Père qui m'a envoyé », ce sera le devoir de tous ceux qui viennent ainsi à le connaître, de recevoir son témoignage et de lui dire avec Nicodème[144]: «Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu comme Docteur, car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui. »
Les paroles du Concile du Vatican trouvent ici leur place [145] : « Afin de rendre l'hommage de notre foi conforme à la raison, Dieu a voulu ajouter aux illuminations intérieures de l'Esprit-Saint les preuves extérieures de sa révélation, c'est-à-dire les faits divins et surtout les miracles et les prophéties. Ces choses, de même qu'elles démontrent la toute-puissance et la science infinie de Dieu, sont aussi des signes très certains de la révélation divine adaptés à l'intelligence de tous. D'où il suit que Moïse et les Prophètes et Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, et lui plus que tous, ont fait un grand nombre de miracles et de prophéties d'une évidence formelle ». On lit aussi, au sujet des Apôtres : «Pour eux, étant partis, ils prêchèrent en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui l'accompagnaient [146]». Et encore : «Ainsi a été confirmée pour nous l'Écriture prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur[147]


Aucun miracle ne peut se produire pour confirmer l'erreur ou sanctionner le vice

C'est donc ainsi que le miracle rend un témoignage solennel à la vérité surnaturelle. Par contre, le miracle véritable ne pourra jamais et d'aucune manière s'accomplir pour confirmer l'erreur ou approuver le vice, Dieu étant la vérité et la bonté par essence, d'où découle, comme de son principe, tout ce qui, dans le monde, jouit de la qualité du vrai, du bien et de l'honnêteté. C'est pourquoi, étant donné que le miracle est son œuvre et une oeuvre qui a pour but la manifestation de l'ordre surnaturel, Dieu se renierait lui-même, s'il pouvait l'accomplir pour confirmer l'erreur ou approuver le vice[148].
Il ne faudrait pas conclure de là que Dieu ne se sert jamais d'hommes mauvais pour opérer des miracles. Cependant, même dans ce cas, son but unique est d'appuyer la vérité dont ces hommes pervers sont, malgré eux, les témoins, sans que pour cela le miracle fournisse un témoignage en leur faveur. Il importe peu à la valeur intrinsèque de la vérité, qu'elle soit annoncée par un saint prophète ou par l'âne de Balaam ; la vérité possède en elle-même sa propre justification, et c'est pour la cause de la vérité, bien plus que pour ceux qui la prêchent, que Dieu accomplit le miracle.
Ajoutons que, de même qu'un thaumaturge peut abuser du don de faire des miracles, comme plusieurs chrétiens de la primitive Église abusèrent du don des langues, de même aussi la sainteté n'est pas, chez un individu, la condition essentielle pour opérer de tels miracles. C'est pourquoi le même Jésus-Christ, qui ordonna d'écouter les scribes et les pharisiens parce que, assis sur la chaire de Moïse, ils annonçaient au peuple la vérité qu'ils avaient reçu mission de prêcher, dit encore aux Soixante-douze qui retournaient auprès de Lui, pleins de joie pour avoir chassé les démons : « Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; réjouissez-vous, au contraire, de ce que vos noms sont écrits dans les cieux [149]» voulant signifier par là que le fait d'opérer des miracles n'est pas nécessairement cause ni même signe infaillible d'une véritable sainteté, et qu'il peut se faire que ceux-là même qui, au nom de Dieu, opèrent des prodiges, ne soient pas reconnus par Lui, au dernier jour, pour ses disciples [150].
D'autre part, comme la vertu n'est pas uniquement l'apanage des chrétiens et que même un barbare ou un individu hors du corps de l'Église peut être agréable à la Divinité et pratiquer sincèrement la vertu, rien ne saurait s'opposer à ce que Dieu opère parfois des miracles en faveur d'un tel individu, non pour sanctionner son hétérodoxie, mais pour témoigner d'une qualité spéciale possédée par lui à un degré éminent. Ce n'est pas pour les chrétiens seuls que Dieu est le juste rémunérateur des mérites, mais pour tous les hommes, de même qu'il est pour tous et non pour les seuls chrétiens, le défenseur des opprimés, le protecteur des affligés, le vengeur de l'innocence.
C'est pourquoi nous lisons, si toutefois le fait est authentique, qu'une des vierges romaines, dites Vestales, pour preuve de sa chasteté, aurait porté dans un tamis de l'eau du Tibre jusqu'à la roche du Capitole, sans qu'il s'en répandît une seule goutte[151]. D'autre part, de graves auteurs soutiennent sérieusement l'authenticité de quelques-uns parmi les oracles sibyllins, ce qui impliquerait une intervention de Dieu chez des personnes hors de la vraie religion, dans le but, non de recommander leurs erreurs, mais de manifester la vérité que le Messie devait venir enseigner aux hommes[152].
Si, au contraire, le miracle est accompli par Dieu précisément pour rendre témoignage à la bonté morale de l'un ou l'autre de ses serviteurs, ce miracle devient alors un signe certain d'une sainteté véritable. Par une intervention aussi solennelle, Dieu se rend, pour ainsi dire, garant de la vertu et de la justice de celui-ci. De cette manière, le miracle ne peut être fait qu'en faveur de celui qui possède la grâce de Dieu ; il est une prérogative de la vraie religion, car faire des miracles en faveur du vice ou d'un faux culte, équivaudrait pour Dieu à se renier lui-même. C'est pourquoi, dans les procès de canonisation des Saints, l'examen des miracles que l'on dit opérés par les serviteurs de Dieu en conséquence de prières faites en leur honneur et, par conséquent, en témoignage de leur vertu, est, d'habitude, tenu par l'Église comme une condition indispensable pour que la sainteté de ces personnages soit solennellement proclamée et que le privilège d'un culte public leur soit accordé.


Enseignement de saint Thomas sur les miracles opérés par ceux qui ne sont pas en grâce avec Dieu

Bien que le don de faire des miracles ait généralement pour but de manifester la présence de Dieu dans l'âme du thaumaturge, il y a néanmoins des cas où ce don est accordé à des individus privés de la grâce de Dieu. Mais alors, comme l'observe saint Thomas, on ne dit pas simplement que l'homme reçoit le Saint-Esprit, comme c'est le cas lorsque le thaumaturge est un saint, mais qu'il reçoit l'esprit de prophétie ou l'esprit de miracles.
« L'opération des miracles, dit-il[153], est ordonnée à la manifestation de la grâce justifiante, de même que le don de prophétie et toute grâce gratis data. C'est pourquoi saint Paul nomme la grâce gratis data, manifestation de l'esprit[154], et pour cela il est dit que l'Esprit-Saint fut donné aux Apôtres pour opérer des miracles, parce que la grâce justifiante leur fut donnée avec un signe qui la manifestait. Que si le signe de la grâce justifiante était donné sans la grâce elle-même, on ne dira pas simplement que l'Esprit-Saint est donné, mais seulement avec une certaine limitation, comme l'on dit que l'esprit de prophétie ou de miracle a été donné à quelqu'un, en tant qu'il a reçu de l'Esprit-Saint le pouvoir de prophétiser et de faire des miracles.»
A cette seconde catégorie appartiennent les miracles, si toutefois on peut les tenir pour authentiques, que l'on dit opérés parmi les païens, miracles auxquels fait allusion saint Augustin, précisément pour convaincre les Gentils de la possibilité des miracles opérés au sein de la religion chrétienne. « Je parle, dit-il[155], de ces prodiges que l'on voit assez clairement opérés par l'œuvre et la puissance des divinités païennes. Tel est, par exemple, le fait que l'on raconte des images des dieux Pénates, qu'Énée, dans sa fuite, aurait emportées de Troie, et qui passèrent d'elles-mêmes d'un lieu à un autre ; cet autre fait d'une pierre à aiguiser, que Tarquin aurait coupée de son rasoir ; du serpent d'Épidaure, fidèle compagnon d'Esculape dans son voyage à Rome ; de ce navire, portant l'image de la mère phrygienne et rendu immobile malgré les efforts réunis des hommes et des bœufs, et néanmoins cédant à la main d'une femme qui l'avait attachée à sa ceinture, et cela pour rendre témoignage de sa chasteté ; enfin, de cette vestale, accusée de corruption, se justifiant par l'épreuve d'un crible qui conservait l'eau puisée par elle dans le Tibre.»
A ce propos, il ne sera pas inutile de rappeler l'enseignement du Docteur Angélique sur les modes divers dont les bons et les mauvais accomplissent, dans la nature, des choses merveilleuses. Cette doctrine limpide nous préparera à mieux comprendre la différence immense qui existe entre les vrais mira­cles et les œuvres qui, pour être merveilleuses, n'en sont pas moins du ressort de la nature.
« Parmi les miracles, dit-il[156], certains ne sont pas véritables, mais sont seulement le produit d'opérations fantastiques, par lesquelles l'homme est trompé, de telle sorte qu'une chose lui semble vraie, qui ne l'est pas en réalité ; par contre, d'autres sont des faits véritables, mais il leur manque le caractère de vrai miracle, parce qu'ils sont dus aux forces de quelque cause naturelle : ces deux sortes de faits peuvent être l'œuvre des démons. Au contraire, les vrais miracles ne peuvent s'opérer que par la puissance divine, car c'est Dieu lui-même qui les produit pour l'utilité de l'homme. Et ceci il le fait pour deux fins : premièrement, pour confirmer la vérité prêchée ; deuxièmement, pour démontrer la sainteté de quelque individu, sainteté que Dieu veut proposer en exemple aux hommes. »
Dans le premier cas, les miracles peuvent s'accomplir par le ministère de quiconque prêche la vraie foi et invoque le nom du Christ, chose qui peut se produire par l'entremise des méchants, si bien que, de cette façon, les méchants peuvent, eux aussi, produire des miracles. C'est pourquoi sur ce passage de saint Mathieu : « N'avons-nous pas prophétisé en ton nom, » etc. [157]», saint Jérôme écrit « Prophétiser, faire des choses merveilleuses, ou chasser les démons, de tels faits ne se produisent pas toujours en vertu du mérite de celui qui accomplit ces merveilles ; mais c'est l'invocation du nom du Christ qui en est la cause, afin que les hommes honorent Dieu, par l'invocation duquel ces grands miracles s'accomplissent. »
« Dans le second cas, seuls les saints font des miracles qui ont pour but d'attester leur sainteté ; ils les font, soit pendant leur vie, soit après leur mort, par eux-mêmes, ou par l'entremise d'autres hommes. C'est ainsi qu'on lit dans les Actes des Apôtres, que « Dieu faisait des miracles par l'entremise de Paul [158] » ; et, de nouveau : « on appliquait sur les malades des mouchoirs et des ceintures qui avaient touché son corps, et les maladies les quittaient [159]». De même rien n'empêche que, sur l'invocation d'un Saint, des miracles s'accomplissent par un pécheur, bien qu'on ne puisse dire que ces miracles sont faits par lui, mais bien par celui dont la sainteté est attestée par ces mêmes miracles.
Nous pouvons, à l'appui de cette doctrine, citer l'exemple tiré de la vie d'un Saint de Palestine, surnommé Joseph Comte, mort vers le milieu du quatrième siècle. Cet homme était né Juif, et Notre Seigneur lui était apparu plusieurs fois, l'exhortant, mais en vain, à embrasser la religion chrétienne. Finalement, pour l'assurer davantage de la vérité de notre foi, il lui promit que s'il désirait accomplir lui-même quelque miracle, il n'avait qu'à invoquer son nom, et qu'il serait exaucé. Il en fut ainsi, car s'étant fait amener un fou depuis longtemps possédé du démon, il le guérit complètement par l'invocation du nom de jésus de Nazareth[160].
Il ne faudra donc pas rejeter un miracle à priori, par le fait qu'on le voit s'accomplir par un homme d'une vie répréhensible, car la bonté morale n'est pas, dans l'instrument, une condition sine qua non, pour que l'agent principal s'en serve dans la production de l'effet merveilleux. Du reste, les pécheurs ont fait parfois des miracles que les Saints eux-mêmes n'ont pas été capables d'imiter, Dieu en disposant ainsi, « afin que les faibles, dit saint Augustin, ne soient pas dupes de l'erreur très pernicieuse de croire qu'il y a dans des faits de ce genre, des dons plus grands que dans les œuvres de justice, par lesquelles on gagne la vie éternelle[161] ». De même aussi, les prophéties faites par Balaam et par Caïphe, le premier, mage coupable, le second, prêtre prévaricateur, ont été, selon la juste observation de saint François de Sales[162], utiles à d'autres et inutiles à eux-mêmes, et ne prouvent d'aucune façon leur sainteté.


Le miracle dans ses rapports avec la canonisation des saints

Nous trouvons dans la pratique de l'Église une sanction formelle de ce que nous venons d'exposer, à savoir que le don de faire des miracles peut être possédé par des personnes d'une vie rien moins qu'édifiante. Dans le procès de canonisation des Saints, il est prescrit que l'examen des miracles attribués à un Serviteur de Dieu que l'on désire voir glorifié, soit précédé d'une recherche minutieuse des vertus pratiquées par lui durant sa vie[163]. La raison de cette méthode de procédure est indiquée par le célèbre jurisconsulte Lambertini, qui fut Pape sous le nom de Benoît XIV, et cette raison est que les mauvais comme les bons peuvent faire des miracles[164].
S'il était nécessaire d'insister, on pourrait invoquer la célèbre Décrétale d'Alexandre III, Audivimus[165], par laquelle ce Pontife reproche à certains moines d'avoir honoré un homme qui avait été tué en état d'ivresse. Ces moines lui avaient rendu ce culte en vue des miracles qui lui étaient attribués. « Quand bien même cet individu, observe le Pape avec insistance, aurait vraiment fait plusieurs miracles, vous ne devriez pas le vénérer comme saint.
C'est bien là une preuve de ce que nous avons dit, que les miracles pris isolément ne prouvent rien en faveur de la sainteté d'une personne, puisque, comme l'observe Gonzales, il est certain que même des individus déshonnêtes, pris dans les liens du péché grave, ont chassé les démons et ont opéré des miracles. Du reste, comme l'écrit Maldonat, Notre-Seigneur lui-même se refusait à reconnaître comme siens ces mêmes hommes qui avaient prophétisé et chassé l'esprit malin en son nom[166]. Saint Paul suppose également qu'on puisse avoir une foi capable de transporter les montagnes, sans que pour cela on possède la charité[167]. Les juifs eux-mêmes, les païens et les hérétiques ont fait de vrais miracles, dit Gonzales, dans un passage auquel se réfère Lambertini et où cet auteur raconte un grand nombre de faits merveilleux.
Il n'y a donc pas à s'étonner si l'Église, toujours prudente, tout en laissant aux faits miraculeux la place qui leur revient, met toutefois en premier lieu, dans les procès de béatification et de canonisation, l'héroïcité des vertus, et avant de pousser plus loin la procédure, prescrit d'interroger tous ceux qui ont connu le Serviteur de Dieu, dont on demande la glorification.



CHAPITRE VI - CE QU'EST LE MIRACLE

Nature du miracle

Dans les chapitres précédents, nous avons étudié l'ordre de la Providence divine, lequel, en sa qualité de cause universelle, comprend tous les ordres particuliers des choses. De plus, en considérant le degré d'action qui appartient à Dieu comme cause universelle, et à la créature comme cause particulière, dans la production des effets naturels du monde, nous avons tiré cette conclusion, que le miracle est possible, non seulement en tant qu'il n'y a aucune répugnance intrinsèque à ce qu'une chose soit amenée directement d'une puissance éloignée à un acte qui en excède la portée, sans passer par les milieux habituels, mais encore en tant qu'il ne surpasse pas le pouvoir d'un agent infini, tel qu'est Dieu.
Nous avons montré, en outre, comment le miracle n'est pas une œuvre privée de finalité. Le miracle a un but, un but très élevé, celui de servir à manifester les attributs de Dieu et particulièrement de le montrer comme le Pourvoyeur et le Gouverneur surnaturel des choses humaines. De sorte que, si le cours habituel de la nature, conforme aux lois fixes qui régissent le monde, enseigne tacitement à l'homme quels sont ses devoirs envers la Divinité, une déviation au cours de ces lois, une irrégularité subite dans l'économie de la nature devient, selon la belle expression du cardinal Newman, une signature de Dieu écrite de sa main sur un message, celui-ci fût-il transmis par la bouche d'un homme[168].
Le Docteur Angélique avait écrit déjà dans le même sens : «Quand quelqu'un accomplit des œuvres qui ne peuvent être faites que par Dieu, (on croit) que ce qui est annoncé est de Dieu, de même que lorsque quelqu'un apporte des lettres scellées du cachet du roi, on regarde ce que ces lettres contiennent comme exprimant la volonté du roi »[169].
Donc, en tant qu'il surpasse toutes les forces de la nature créée, le miracle, ainsi que l'indique l'étymologie elle-même, est une œuvre de tout point merveilleuse : Miraculum dicitur quasi admiratione plenum[170].
Mais, dans le miracle, comme dans toute autre oeuvre, il faut soigneusement distinguer deux choses : l'une est l'effet, et l'autre, la cause de l'effet. Dans le miracle l'effet est sensible, évident, palpable ; la cause, au contraire, est latente, cachée ; et c'est précisément parce que la cause est cachée, que l'effet est appelé merveilleux, un miracle.
Cependant une occultation quelconque de la cause ne suffit pas pour que l'effet soit un miracle proprement dit. Le flottement sur l'eau d'un navire très pesant, nonobstant son armature de fer, le vol d'un avion puissant malgré le poids des matériaux dont il est construit, la reproduction du visage humain sur une feuille de papier ou de choses cachées dans un coffre, la conservation et la transmission à grande distance de la voix humaine avec ses modulations et son timbre - toutes ces choses sont des effets visibles, dont les causes sont cachées, il est vrai, mais en partie seulement, c'est-à-dire à ceux qui ignorent les multiples applications des lois physiques.
Saint Augustin énumère, sur l'autorité d'écrivains dignes de foi, plusieurs de ces effets naturels, que le vulgaire considérait autrefois comme des miracles, précisément parce qu'il n'en connaissait pas les causes, bien que celles-ci ne soient pas, de par leur nature, entièrement cachées.
Rapportons ici, à titre d'information, les propres paroles du grand Docteur[171]: « On dit que le sel d'Agrigente, en Sicile, jeté dans le feu, fond comme s'il était dans l'eau ; et qu'au contraire, jeté dans l'eau, il crépite comme s'il était dans le feu. Près de Garamanzia, se trouve une fontaine, si froide le jour qu'on n'en saurait boire, si brûlante la nuit, qu'on ne saurait y toucher. Dans une autre fontaine, en Épire, les torches allumées s'éteignent, et les torches éteintes s'allument. En Arcadie, se trouve une pierre que l'on nomme Asbeste, parce que une fois allumée, elle ne s'éteint plus. Le bois d'un certain figuier d'Égypte ne nage pas sur l'eau, comme les autres bois, mais il s'y plonge et, ce qui est plus merveilleux, après quelques instants de séjour au fond de l'eau, il remonte à la surface, quand l'eau dont il est pénétré devrait au contraire l'appesantir. Certaines pommes de la terre de Sodome arrivent à une apparente maturité, mais, pressées qu'elles sont par les dents, elles se réduisent en fumée et en cendre, tandis que l'écorce extérieure se couvre de rides. La pierre pyrite, de Perse, brûle la main qui la serre ; de là lui vient son nom. » Toutes ces merveilles et beaucoup d'autres semblables ne peuvent s'appeler miracles que dans un sens impropre, et non dans le sens strict et formel du mot.
C'est aussi dans ce sens large que doivent s'entendre les paroles que, d'après Gerson, jean XXII aurait prononcées quand il fut question de la canonisation du Docteur Angélique, Thomas d'Aquin. Quelqu'un ayant dit, en présence du Pape, que sa vie n'avait pas été particulièrement illustrée par des miracles, le Vicaire de Jésus-Christ observa : « Qu'avons-nous besoin de nouveaux prodiges ? Thomas a fait autant de miracles qu'il a composé d'articles. » C'est encore dans le même sens que nous appelons miracles de science des personnes très doctes, et les Pères, surtout de l'Église grecque, attribuent à la glorieuse Mère de Dieu, à cause de sa sublime dignité, le titre de miracle incompréhensible[172].
Au contraire, que l'eau s'élève en forme de muraille, comme ce fut le cas dans la Mer Rouge pour laisser passer les Israélites[173], qu'une eau limpide jaillisse de la roche aride sous le coup d'une verge comme celle de Moïse, ou qu'un homme sorte sain et sauf d'une fosse de lions affamés, comme ce fut le cas pour Daniel, ce sont là des œuvres dont la cause adéquate est cachée à tous, parce que celle-ci est précisément la cause première, que nous connaissons quant à son existence, mais non quant à son essence et à son mode d'opérer. « On nomme miracle, observe saint Thomas, ce qui, pour ainsi dire, est plein d'admiration, par le fait que la cause en est simplement cachée à tous : or, cette cause, c'est Dieu »[174].


En quel sens dit-on qu'un miracle est une œuvre merveilleuse

Notons ici que lorsqu'on dit du miracle qu'il est une oeuvre merveilleuse, cela veut dire que c'est une œuvre qui, de sa nature, est apte à exciter l'admiration, bien qu'il arrive parfois que, par suite des dispositions des témoins, elle ne l'excite pas en réalité. Cette observation est nécessaire, parce qu'il n'est pas rare qu'un fait, quelque merveilleux qu'il soit, cesse d'éveiller notre attention, par la raison qu'il est fréquemment répété. Un exemple suffira à faire comprendre ce que nous voulons dire.
Quoi de plus merveilleux que, dans une si grande multitude d'hommes se succédant continuellement sur la terre, chaque individu porte, avec l'uniformité du type représentant l'espèce commune, un signe distinctif imprimé sur son visage par lequel il est différencié de tous ses semblables ? Il fallait une ressemblance de forme extérieure pour que tous les hommes apparussent membres de la même famille humaine et, par cela, distincts des bêtes ; mais, sans un signe spécial imprimé sur chacun d'eux, il n'y aurait aucun moyen de distinguer un homme de l'autre. Et pourtant, cette diversité, pour merveilleuse qu'elle soit, n'est pas ce qui éveille le plus notre admiration. Personne ne s'en soucie. Au contraire, nous nous émerveillons quand, ainsi que l'observe si bien saint Augustin[175], le cas se rencontre de deux ou trois hommes tellement semblables entre eux dans l'apparence extérieure que, ou nous les confondons tout à fait, ou nous les distinguons difficilement.
Nous disons donc que le miracle est une œuvre merveilleuse. Il suffit pourtant qu'elle soit merveilleuse en elle-même, bien que, pour une raison ou pour une autre, elle cesse de l'être pour nous. Or, une œuvre, quelque merveilleuse qu'elle soit en elle-même, cesse de l'être pour nous, du moment qu'elle devient de fréquente occurrence. Il s'en suit que la rareté d'une œuvre, d'un fait, ne doit pas être regardée comme un signe distinctif et certain du miracle.


Il doit y avoir dans le miracle quelque chose qui semble répugner à ce que l'effet soit produit

Pour ce qui regarde l'effet, une admiration pleine et entière ne peut s'éveiller chez le témoin, s'il n'y a pas, dans la chose produite, une disposition naturelle contraire à la production de cet effet[176]. C'est pourquoi, on ne peut pas considérer comme miracles proprement dits, les effets que Dieu seul opère directement et qui ne peuvent être produits d'autre manière que par Lui, et précisément dans l'ordre même tenu par Lui. C'est ainsi que la création et la justification de l'impie, ne sont pas des miracles à proprement parler, comme on le dira plus loin.
En d'autres termes, pour qu'il y ait miracle, il ne suffit pas que la cause en soit cachée ; il faut encore que, dans le sujet même du miracle, il existe une sorte de répugnance naturelle à sa réalisation. A défaut de l'une ou de l'autre de ces conditions, c'est-à-dire si la cause du miracle n'est cachée que pour quelques-uns seulement et non pour tous, ou si la répugnance entre l'effet produit et la nature du sujet, n'est qu'apparente, le miraculeux n'aura pas lieu au sens strict du mot ; l'on ne sera en présence que du merveilleux pris dans un sens large et inadéquat.
Saint Augustin avait devant les yeux ces deux éléments d'admiration, c'est-à-dire l'ignorance de la cause et la non disposition ou répugnance du sujet à recevoir la forme déterminée, quand il décrivait le miracle comme a une chose difficile et insolite, surpassant le pouvoir de la nature et se vérifiant au delà de l'espérance de celui qui l'admire[177]».
Cette description, observe saint Thomas[178], «contient d'abord quelque chose qui excède l'ordre de la nature, quand il est dit : Dépassant le pouvoir de la nature, et c'est à cela que correspond, du côté de la chose merveilleuse, le mot difficile. Elle contient aussi quelque chose qui dépasse notre connaissance, dans ces paroles, au delà de l'espérance de celui qui l'admire, et à cette expression correspond, du côté de la chose merveilleuse, le terme insolite. L'habitude, en effet, a pour résultat de rendre les choses plus familières à notre connaissance.»
Saint Thomas fait ailleurs, à propos de la définition de saint Augustin, l'observation suivante[179]: « Le miracle est appelé difficile, non à cause de la dignité du sujet dans lequel il s'accomplit, mais parce qu'il excède le pouvoir de la nature. Il est dit en outre insolite, non parce qu'il ne se vérifie pas fréquemment, mais parce qu'il est en dehors du cours habituel des choses. On dit encore qu'une chose est au delà du pouvoir de la nature, non seulement à cause de la substance de l'effet, mais aussi à cause du mode et de l'ordre de sa réalisation. On dit enfin que le miracle est au delà de l'espérance de la nature, et non pas au delà de l'espérance de la grâce, puisque celle-ci procède de la foi, par laquelle nous croyons à la résurrection future. »
Le miracle, avons-nous dit, tire son nom de l'admiration qu'il a coutume de susciter chez ceux qui en sont témoins, mais on l'appelle aussi par d'autres noms. On le nomme quelquefois, prodige, voulant par là attirer en particulier l'attention sur ce fait, que la puissance passive naturelle du sujet est dépassée par l'effet produit. On l'appelle encore signe, mot qui regarde la finalité du miracle, qui est de manifester les attributs divins. On lui donne aussi le nom de vertu, pour indiquer la grandeur de l'œuvre et la puissance de celui qui l'accomplit[180].
Miracle, en latin, se dit monstrum, ostentumn, portentum et prodigium[181]. « L'expression monstrum, dit saint Augustin[182], dérive du verbe monstrare, et indique que les miracles montrent, qu'ils signifient quelque chose ; l'expression ostentum, vient du verbe ostendere, et portentum du verbe portendere, c'est-à-dire, montrer en avant ; le nom prodigium sert à indiquer que le miracle annonce de loin, porro, ou encore sert à annoncer les choses futures.»
Ce que l'on a dit ici sert à démontrer la fausseté de ces paroles de Loisy [183] : «Si l'on va au fond des choses, il n'y a, sans aucun doute, dans le miracle, rien de plus que dans le plus petit des faits ordinaires ; de même que, vice versa, dans le plus petit des faits ordinaires, il n'y a rien de moins que dans un miracle. » A ce sophisme nous répondons qu'il y a dans tout miracle avéré, même dans le plus petit, quelque chose qui n'est pas dans les faits ordinaires, même les plus grands, c'est-à-dire, l'action immédiate de Dieu.


Différence entre les miracles proprement dits et ce qu'on appelle communément des grâces

Il est à propos de noter ici la différence qui existe entre un vrai miracle, tel que nous venons de le définir et ces manifestations de la divine Bonté, que nous appelons habituellement grâces ou mieux réponses à nos prières.
Notre divin Sauveur nous exhorte à recourir à Dieu dans tous nos besoins et nous promet que tout ce que nous demanderons à son Père en son nom nous sera accordé[184]. Ceci, les fidèles le savent et ne manquent pas de le mettre en pratique. C'est chose ordinaire que de rencontrer par centaines et par milliers la narration de faveurs ainsi obtenues, dont beaucoup portent la marque de l'authenticité.
Ces grâces ne doivent pourtant pas être confondues avec le miracle. Le miracle, avons-nous dit, est une dérogation formelle à l'ordre de la nature. Dans le miracle Dieu met de côté les causes secondes ; il produit par lui-même leurs effets, de telle sorte qu'il rejoint, pour ainsi dire, avec immédiation d'agent suppôt, l'effet produit. Mais dans les grâces que Dieu nous accorde, aucune dérogation à l'ordre de la nature n'a lieu. L'effet produit, objet d'ardents désirs et de ferventes prières, est préparé et conduit à sa fin par les causes secondes elles-mêmes. Il n'y a là aucune interruption de ces causes, mais plutôt une disposition régulière et précise de ces mêmes causes à produire leur effet déterminé, de telle sorte que celui-ci paraît ne pas devoir se produire autrement. S'il y a du merveilleux dans de tels effets c'est justement l'absence de merveilleux.
En effet, lorsque l'homme prie Dieu et que Dieu précisément à cause de ces prières, accorde ce qu'autrement il n'aurait pas accordé, aucune interruption ne se vérifie dans le cours de la nature, aucune dérogation aux lois physiques, aucune violation de l'ordre universel. Car, dans cet ordre même, parmi les causes secondes par lesquelles Dieu avait de toute éternité décrété que de tels effets seraient produits, ces mêmes prières étaient prévues.
Dieu ayant, en effet, ordonné de toute éternité les causes secondes, comme facteurs pour la production d'effets déterminés, voulut toutefois que, parmi ces mêmes causes, fût aussi la prière ; et par conséquent, bien que l'ordre de la nature suive son cours régulier, néanmoins il est très vrai de dire que, sans la prière, on n'aurait pas obtenu le but désiré. C'est donc là une grâce, une réponse aux prières, bien que le tout soit préparé et conduit à sa fin par les causes secondes. C'est pourquoi, dans les grâces que Dieu accorde comme réponse aux ardentes supplications et aux prières ferventes, les causes secondes ont pleine liberté d'action, ce qui n'arrive pas dans la production du miracle.
Le célèbre docteur Boissarie, qui pendant bien des années dirigea le bureau des constatations médicales à Lourdes, insiste sur l'importance qu'il y a à bien distinguer ce genre de grâces des vrais miracles. « Le docteur de Saint-Maclou, écrit-il dans un article sur la grâce et le miracle, nous dit combien il est important de distinguer ces deux ordres de faits ; combien il importe de ne pas assimiler aux miracles certaines guérisons, surprenantes peut-être, mais que les médecins voient se produire partout dans les hôpitaux ou ailleurs, sans l'intervention d'aucune cause surnaturelle.[185] Faute d'attention suffisante à tenir compte d'une pareille distinction, beaucoup de nos amis, dit-il, aident ainsi les médecins plus ou moins atteints de naturalisme, à présenter comme résultat d'une illusion, victorieusement combattue par la science actuelle, la croyance aux miracles de Lourdes. Ils font ainsi servir nos erreurs à la propagation de leur doctrine, preuve d'habilité chez les uns, de légèreté chez les autres, leur coutume étant de prendre dans les livres pieux, dans les publications religieuses où malheureusement elles abondent, des grâces transformées en miracles bruyants, et de montrer que ces prétendus miracles s'expliquent naturellement sans trop de peine. On prend ainsi souvent un fait mal observé et dénaturé et l'on abuse de la confusion que l'on signale. Sous la plume d'un médecin, on relève une erreur et l'on ne veut plus rien voir d'autre ; on ne veut plus rien entendre. Si les guérisons sont l'oeuvre de Dieu, l'interprétation est l'œuvre de l'homme, et l'homme est toujours faillible. Qui pourra jamais dénombrer les erreurs commises dans tous les domaines des connaissances humaines ?[186].


Différence entre les diverses œuvres merveilleuses

De ce que nous avons dit sur la nature du miracle, il apparaît nettement que l'agent proportionné et seul capable de l'accomplir est l'agent infini, l'être premier et nécessaire.
Ce point, déjà signalé dès le début, est à la base de toute la discussion présente. C'est de ceci que nous voulons parler maintenant en attirant spécialement sur ce point l'attention du lecteur. En effet, le miracle étant, comme on l'a dit, un motif efficace de crédibilité ordonné par Dieu en faveur de notre foi, s'il était démontré avec pleine évidence qu'un miracle vrai et qui défie tout examen, peut être produit par une simple créature, un des principaux préambules de notre foi viendrait à faire défaut, et la preuve, que l'on prétendrait en tirer en faveur de la vérité de la religion chrétienne, recevrait un coup mortel. De fait, si une simple créature peut accomplir un miracle par sa propre puissance, aucune raison ne s'oppose à ce qu'elle puisse le répéter, et si elle peut faire deux miracles, il est certain qu'elle en pourra faire d'autres en nombre infini. D'où la nécessité d'établir sans conteste le principe, qu'à Dieu seul il appartient de faire des miracles par sa propre vertu.
Cependant, avant d'en venir à parler directement du pouvoir de Dieu sur le miracle, il sera nécessaire d'exposer, pour l'intelligence de ce qui suit et d'après les enseignements de saint Thomas[187], quelles différences existent entre un miracle et un autre, en d'autres termes, en combien de classes le miracle se divise : étude d'une importance capitale pour le discernement des œuvres merveilleuses enregistrées dans les Saintes-Écritures ou attribuées à des personnes remarquables par leurs vertus ou leur sainteté.
Qu'il y ait une différence entre un miracle et un autre, c'est ce qui apparaît avec évidence du fait de l'admiration plus ou moins grande que ces miracles éveillent chez les hommes, le miracle étant, de par sa nature, une œuvre apte à susciter l'admiration, précisément parce que la cause nous en est cachée.
Pourtant on se tromperait, si l'on voulait rechercher la cause de la différence entre un miracle et un autre dans la plus ou moins grande puissance de Dieu. La puissance de Dieu est simplement infinie et, en ce qui la concerne, aucun fait n'est extraordinaire, aucune œuvre merveilleuse. Toute œuvre, si grande qu'on veuille l'imaginer, n'est qu'un rien par rapport à la puissance de Dieu. De même, toutes les nations de la terre, avec leurs cités, leurs industries, leurs intérêts, ne sont qu'une goutte d'eau, un atome impondérable en sa présence : «Voici que les nations sont comme la goutte suspendue à un seau, elles sont réputées comme la poussière dans la balance ; voici que les îles sont la poudre menue qui s'envole.[188] »
De plus, l'infini surpasse sans mesure aucune toute chose finie. Or, la puissance divine est simplement infinie ; donc elle surpasse sans proportion tout effet créé. Ainsi donc, pour ce qui est de la puissance de Dieu, la création de la plus haute hiérarchie angélique n'est pas chose plus merveilleuse que la production du plus infime brin d'herbe.
Les différences entre les œuvres merveilleuses, comme aussi les divers degrés merveilleux dans les œuvres divines, doivent donc s'estimer du côté de ces œuvres elles-mêmes, eu égard à l'excès de l'œuvre par rapport au pouvoir, à la vertu et aux forces de la nature. Le miracle sera donc plus ou moins grand, suivant que l'œuvre elle-même surpassera plus ou moins la vertu, les forces ou le pouvoir de la nature.
Il nous faut encore observer qu'un miracle peut être plus grand qu'un autre quant à la substance de la chose, et en même temps être moindre que celui-ci quant à la solennité avec laquelle il s'accomplit, ou à l'attention qu'il éveille. C'est ainsi que faire arrêter le soleil et la lune, comme il est dit de Josué, ou faire rétrograder le soleil, comme le fit Isaïe, ou ressusciter un mort comme le firent Élie et Élisée, sont des miracles substantiellement plus grands que la division de la Mer Rouge au commandement de Moïse ; et pourtant ce miracle et les autres que fit le chef du peuple de Dieu sont plus grands en ce sens qu'ils furent faits pour tout un peuple, comme ce fut le cas précisément dans le partage de la Mer Rouge, ou encore parce qu'ils furent accomplis à la vue de tout le peuple des infidèles, comme les miracles d'Égypte. C'est là la raison pour laquelle Moïse est appelé le plus excellent de tous les Prophètes [189] : « Il ne s'est plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse, que le Seigneur connaissait face à face, ni quant à tous les signes et miracles que Dieu l'envoya faire dans la terre d'Égypte. »
Saint Thomas écrit à ce sujet [190] : « Les signes opérés par ces prophètes (Josué, Isaïe et Élie) furent plus grands quant à la substance du fait ; toutefois, les miracles de Moïse les surpassèrent par le mode de leur accomplissement, en tant qu'ils furent faits pour le peuple. »
« Dieu, dit encore le Docteur angélique[191], peut faire quelque chose dans les effets particuliers en dehors du cours de la nature, soit par rapport à l'être, en tant qu'il introduit dans les choses naturelles une nouvelle forme que la nature ne peut introduire, comme la forme de la gloire, ou bien dans une matière déterminée, comme la vue chez un aveugle ; ou bien encore par rapport à l'opération, en tant qu'il empêche que les opérations des choses naturelles produisent les effets qu'elles sont destinées à produire, comme ce fut le cas pour le feu qui ne brûla pas, ainsi qu'il est écrit dans Daniel[192], ou pour l'eau qui suspendit son cours, ainsi qu'il advint au Jourdain.[193] »
Également digne de considération est la remarque que le même saint Thomas fait à propos de la préservation des trois enfants dans la fournaise [194] : « On dit qu'un miracle est contre la nature, quand il reste dans la nature une disposition contraire à l'effet produit par Dieu, comme lorsque les jeunes gens furent préservés intacts dans la fournaise, tandis que le feu conservait la vertu de brûler ; ou bien comme lorsque l'eau du Jourdain arrêta son cours, tandis que demeurait en elle la force de gravité ; il en fut de même pour l'enfantement virginal. »
Enfin, il convient de tenir présentes à l'esprit ces paroles du Docteur angélique sur la grandeur des miracles en général. « A un degré supérieur, dit-il[195], appartiennent ces miracles dans lesquels Dieu opère ce que la nature ne peut jamais produire ; par exemple, que deux corps se trouvent simultanément dans le même endroit, que le soleil retourne en arrière ou s'arrête, ou que la mer se sépare, pour laisser passer le peuple. Dans ces miracles eux-mêmes il existe une gradation, dans ce sens que plus grands sont les effets opérés par Dieu et plus ils sont éloignés du pouvoir de la nature, plus grand aussi est le miracle ; aussi, le fait de l'arrêt du soleil fut en réalité plus grand que celui de la division des eaux de la mer. »


Trois classes distinctes de miracles

Passons maintenant à examiner les différentes classes dans lesquelles le miracle se divise. Mais d'abord observons qu'un effet peut surpasser le pouvoir de la nature quant à la substance du fait, c'est-à-dire lorsque la substance de l'effet est telle que la nature ne le peut absolument pas produire.
Ainsi la nature est absolument incapable non seulement de faire rétrograder le soleil de dix degrés, comme le fit Isaïe[196], mais aussi de l'arrêter comme le fit Josué par son commandement pendant un jour entier [197]. La nature ne peut pas davantage faire que l'eau de la mer se divise et se dresse comme un mur de pierre, laissant libre passage à tout un peuple, comme il advint dans le Mer Rouge au commandement de Moïse[198]. De même, elle ne peut faire que deux corps se trouvent en même temps dans le même lieu, comme il arriva quand Jésus-Christ sortit du sein virginal de sa Mère, ou quand il entra dans le cénacle les portes fermées[199]. De même encore, la nature ne peut donner à un corps humain les qualités des corps glorieux, comme il advint quand le Sauveur fut transfiguré en présence de trois de ses Apôtres sur le Mont Thabor[200]. De telles œuvres surpassent entièrement les forces de la nature, et occupent le premier et suprême degré parmi les miracles.
Deuxièmement, une œuvre merveilleuse peut surpasser le pouvoir de la nature, non quant à la substance de l'œuvre elle-même, mais quant au sujet dans lequel cette œuvre s'accomplit. C'est-à-dire, que cette œuvre peut surpasser le pouvoir de la nature quoad subiectum, de sorte que la nature produise une telle œuvre, mais non pas dans tel sujet déterminé, mais dans un autre. A cette classe appartient, par exemple, le fait du mort, que des passants jetèrent dans le sépulcre d'Élisée et qui revint à la vie au contact des ossements de ce saint homme[201], ou bien encore la guérison de l'aveugle-né, à qui Jésus-Christ donna la vue, rien qu'en lui touchant les yeux avec de la terre imbibée de sa salive[202]. Car la nature donne bien la vie, mais pas à un corps mort ; elle donne également la vue, mais pas à un aveugle. Ces miracles occupent le second degré.
Notons ici, afin d'éviter toute équivoque, que lorsque nous disons que la nature donne la vie, mais non à un corps mort, on ne doit pas entendre par là que la nature peut donner la vie à quelque autre matière, en dehors de celle d'un cadavre. Le sens de ces paroles est que le sujet, auquel la nature donne la vie, la possède déjà en puissance, comme la possède la semence. Car la nature ne fait que réduire en acte la disposition de cette semence à la vie, laquelle disposition manque évidemment dans un cadavre.
En troisième lieu, viennent les miracles qui ne surpassent le pouvoir de la nature ni quant à la substance du fait, ni quant au sujet dans lequel ils sont opérés, mais seulement quant à la manière dont ils sont opérés, ou à l'ordre observé dans leur accomplissement, quoad modum. De tels effets sont produits par la nature et dans un tel sujet, non cependant dans le même ordre, ou de la même manière.
Par exemple, la nature guérit bien la fièvre, mais seulement en des circonstances déterminées, c'est-à-dire en suivant un ordre régulier, après telle période de temps et souvent aussi non sans le secours de la médecine. La nature, en effet, ne peut rendre la santé à un fiévreux, sans expulser la cause de la maladie, c'est-à-dire l'excès de la chaleur avec les dispositions pathologiques qui l'accompagnent. De même la nature produit la pluie, mais en condensant, sous l'action d'agents proportionnés et dans une suite déterminée de changements, les molécules de la vapeur d'eau. Au contraire, dans les miracles de cette classe, l'effet est produit sans que cet ordre soit suivi et sans les dispositions préalables, sans l'usage d'aucun remède, et sans passer par aucune crise, comme lorsque Notre Seigneur délivra instantanément et par son seul commandement, la belle-mère de Simon[203], ou quand, aux prières de Samuel [204] et à celles d'Élie[205], le ciel, jusqu'alors de bronze, s'ouvrit et répandit une pluie torrentielle. De telles dérogations tiennent la dernière place parmi les miracles.
L'on voit ici comment répondre à ce sophisme de Jean-Jacques Rousseau [206] : «Je ne sais si l'art de guérir a été trouvé, ni si on doit le trouver un jour. Ce que je sais, c'est qu'il n'existe pas en dehors de la nature. Il est aussi naturel qu'un homme guérisse, qu'il l'est qu'il tombe malade. Il peut aussi bien guérir subitement que mourir subitement. » Oh, la belle trouvaille ! Il est tout aussi naturel à l'homme de mourir subitement qu'il l'est de guérir subitement ! Pauvre Jean-Jacques !


Les œuvres correspondant aux miracles de troisième classe ne surpassent pas le pouvoir des anges

Une question se pose ici. Une créature supérieure peut-elle, par sa propre vertu, produire quelqu'une des œuvres indiquées ?
Nous répondons que les œuvres énumérées plus haut parmi les miracles de troisième classe, ne dépassent pas en elles-mêmes le pouvoir angélique naturel, et pour cela un ange peut les produire. Toutefois, s'il arrive que ces œuvres soient produites par la vertu que possède l'Ange, elles cessent d'être des miracles : le miracle étant l'œuvre de Dieu seul.
L'Ange peut donc produire les œuvres indiquées dans la troisième classe de deux façons : premièrement, comme ministre de Dieu, et par conséquent par la vertu de Dieu lui-même, qui est l'agent principal ; deuxièmement, par sa vertu propre, en dehors du divin commandement, et seulement avec la permission divine. Dans le premier cas, de telles œuvres seront des miracles ; elles ne le seront pas dans le second cas.
Mais nous nous occuperons plus à propos de cet aspect de la question du miracle dans quelqu'un des chapitres suivants[207]. Pour le moment, reportons-nous à une autre classification indiquée par saint Thomas dans la célèbre question de Miraculis[208]. Cette classification est basée sur la différente disposition que peut avoir un sujet à une forme déterminée.


Autre classification

Nous avons dit plus haut que les miracles sont plus ou moins grands, selon qu'ils surpassent plus ou moins les forces de la nature. Faire rétrograder le soleil est, par exemple, une œuvre plus grande que de le faire arrêter ; de même, le fait de rappeler un mort à la vie, est une œuvre plus grande que celui de rendre la vue à un aveugle.
Considéré sous ce nouvel aspect, le miracle se divise en miracles contra naturam, praeter naturam et super naturam, suivant que le sujet se trouve soit dans une disposition contraire à la réception de la forme, soit dans la disposition à recevoir cette forme, mais dans d'autres conditions et dans d'autres circonstances ; soit qu'il ne se trouve, par rapport à la forme, dans aucune disposition, simplement parce que cette forme surpasse la capacité de la matière.
La merveilleuse préservation des trois jeunes hommes hébreux dans la fournaise ardente de Babylone[209], ou celle de Daniel dans la fosse aux lions[210], de même que l'enfantement virginal de Marie, sont des exemples de miracles de la première classe, puisque dans ces sujets, avant que ne s'introduisît la forme, il y avait une disposition contraire aux effets produits.
La multiplication des pains opérée par Jésus Christ, dans le but de rassasier quatre mille hommes, sans compter les femmes et les enfants[211], le changement de l'eau en vin aux noces de. Cana[212], cet autre changement, encore plus merveilleux, du pain et du vin au Corps et au Sang de notre divin Sauveur, changement qui a lieu tous les jours au saint Sacrifice de la Messe, sont des exemples de miracle de la seconde classe, parce qu'il y a bien, dans le pain, une disposition à se multiplier, dans l'eau à se changer en vin, dans le pain et l'eau à se changer dans le corps et dans le sang d'un homme ; mais tout ceci dans l'ordre de la nature se fait d'une autre manière et par un procédé tout différent. La première multiplication s'opère par la génération d'un grand nombre de grains de froment ; la seconde, par la lente conversion de l'eau, d'abord dans le suc de la vigne, et ensuite dans le jus du raisin ; la troisième par le changement produit par la digestion, des éléments du pain et du vin dans la chair et le sang de l'homme déjà existants.
Finalement, donner une forme glorieuse au corps humain, ou unir la nature humaine à la personne du Fils de Dieu, sont des exemples de miracle de la troisième classe c'est-à-dire supra naturam ; la forme introduite surpassant absolument toute la potentialité de la nature humaine.
Il n'est pas difficile de ramener cette nouvelle classification à celle donnée plus haut, de telle sorte que, en général, les miracles supra naturam coïncident avec ceux quoad substantiam facti ; ceux contra naturam avec les miracles quoad subiectum, et les miracles praeter naturam avec ceux quoad modem. Cette coïncidence toutefois n'est pas universelle, parce que les distinctions partent de principes divers dans l'une et l'autre classification : ainsi, par exemple, la rétrogradation du soleil est un fait contraire à la nature, et cependant, elle appartient, comme nous avons dit, à la classe des miracles quoad substantiam facti.



CHAPITRE VII - L'INCARNATION ET LA TRANSSUBSTANTIATION SONT-ELLES DES MIRACLES ?

Questions à résoudre dans le présent chapitre et les trois suivants

Les théologiens ont recherché si l'Incarnation de Notre Seigneur et la Transsubstantiation qui a lieu tous les jours au saint Sacrifice de la Messe, peuvent être appelés miracles à proprement parler. Un doute semblable subsiste par rapport à la création du monde et à la justification de l'impie, deux choses qui sont à bon droit comptées parmi les plus grandes oeuvres de Dieu.
A ces doutes se rattache une autre question qui, pour autant que nous le sachions, non seulement n'a pas encore été résolue, mais n'a même jamais été posée. Cette question concerne le Sacrement de l'Extrême-Onction, à savoir, si le pouvoir de rendre la santé corporelle, pouvoir reconnu par l'Église comme lié à ce sacrement, opère à la manière d'un miracle ou par un procédé inhérent, pour ainsi dire, naturellement au rite sacramentel.
Une étude aussi attentive que possible sur ces diverses questions servira, nous l'espérons, à éclairer davantage l'idée du miracle. Ceci peut suffire pour retenir l'attention du lecteur sur les observations qui vont suivre,
Nous parlerons de l'Incarnation et de la Transsubstantiation dans ce chapitre et le suivant ; la question touchant la création et la justification sera étudiée au chapitre neuvième, et celle touchant l'Extrême-Onction au chapitre dixième.


Motifs de douter si l'Incarnation et la Transsubstantiation sont des miracles

La question de savoir si l'Incarnation et la Transsubstantiation sont des miracles, naît de ce fait que l'un et l'autre de ces mystères appartient essentiellement à l'ordre surnaturel, et par conséquent, qu'on ne peut dire de ces oeuvres qu'elles sont faites en dehors de l'ordre de toute la nature créée, condition nécessaire pour que se vérifie le miracle. En outre, ces œuvres ne sont pas visibles aux yeux des hommes, comme doit l'être une œuvre qui est un vrai miracle. De plus, elles dépassent à ce point nos sens corporels, qu'elles ne nous sont pas visibles, mais qu'elles font partie, à proprement parler, de l'objet de notre foi. Finalement, on ne voit pas comment se vérifie ici la condition formelle du miracle, qui consiste en ce que, dans la nature même de l'effet produit, il y ait quelque chose d'où il paraisse que cet effet aurait dû procéder différemment[213].


Ces mystères sont de véritables miracles, selon saint Thomas

Néanmoins, ce qu'il faut retenir, c'est que l'Incarnation du Verbe et la Transsubstantiation sont, en réalité, de vrais miracles. Telle est la véritable doctrine, conforme en tout à l'enseignement de saint Thomas[214].
Le Docteur angélique s'était proposé cette objection : les œuvres merveilleuses des Apôtres ne furent pas de vrais miracles, leur fréquence s'opposant au caractère d'événements insolites. Dans sa réponse, faisant entrer en même temps le mystère de la Transsubstantiation, il écrit [215] : « On dit que le miracle est insolite parce qu'il se produit contrairement au cours habituel de la nature, bien qu'étant renouvelé tous les jours, comme la Transsubstantiation du pain au corps de Jésus-Christ, laquelle, bien que s'effectuant tous les jours, ne laisse pas cependant d'être un miracle. »
De même, parlant de l'Incarnation du Verbe, saint Thomas dit expressément [216] : «L'Incarnation du Verbe est le miracle des miracles, comme s'expriment les Saints ; car cette chose est plus grande que tous les miracles, et tous les autres miracles lui sont subordonnés. » Saint Épiphane avait dit aussi dans le même sens [217] : «Un miracle surprenant dans le ciel fut la couche nuptiale de la Vierge enfantant le Fils de Dieu ; un miracle surprenant dans le ciel fut le Seigneur des Anges devenu le Fils de la Vierge.»
Saint Thomas, dans les passages que nous venons de rapporter, prend le mot miracle dans son sens strict, comme nous le montre le contexte et le parallèle que lui-même établit entre les miracles des Apôtres et les mystères dont nous parlons, c'est-à-dire l'Incarnation et la Transsubstantiation. Il faut donc reconnaître dans ces œuvres, selon l'autorité du Docteur angélique, toutes les conditions exigées par le miracle. La solution des difficultés ci-dessus exposées, mettra plus clairement encore en relief la présence et la nature de ces conditions.


Le fait qu'ils appartiennent formellement à l'ordre surnaturel n'empêche pas qu'ils soient de véritables miracles

Pour ce qui est de la première difficulté, où l'on objectait que tant l'Incarnation que la Transsubstantiation appartiennent déjà, de par leur nature, à l'ordre surnaturel, nous observons que cette circonstance n'empêche pas qu'une chose ne soit un miracle. Il y aura miracle, quand le fait se produira en dehors des lois et des causes ordonnées à sa production, soit que cette chose rentre dans l'ordre naturel, soit qu'elle appartienne à l'ordre surnaturel. Ainsi, la glorification du corps humain, glorification qui, par sa nature, appartient à l'ordre surnaturel, est un miracle quand elle se produit en dehors des lois et des causes auxquelles elle est soumise. Au contraire, ce fait ne sera pas un miracle chez les Saints après la résurrection, parce qu'elle se produira en vertu du cours naturel de l'âme glorifiée. Par contre, la Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ, au mont Thabor, fut un vrai miracle, parce qu'elle se produisit par une dérogation spéciale, plutôt que par la vertu naturelle de l'âme de Jésus-Christ lui-même. Le Verbe, en effet, avait décrété que la gloire de son âme ne rejaillirait pas sur son corps tant que devait durer sa vie mortelle ; mais que, par contre, chacune de ses puissances dût agir et souffrir les choses qui lui étaient propres[218]. Ainsi donc, le fait que l'Incarnation et la Transsubstantiation de par leur nature, appartiennent à l'ordre surnaturel, n'empêche pas que ces œuvres ne soient de vrais miracles, l'une et l'autre se vérifiant en dehors des lois et des causes destinées à les produire.
Pour mieux comprendre ceci, il est utile de recourir à l'ordre des quatre causes : finale, efficiente, matérielle et formelle. Dans tous les miracles, la cause finale et la cause efficiente appartiennent à l'ordre surnaturel, puisque tout miracle est accompli directement par Dieu et pour une fin de grâce. Dans les miracles ordinaires, la cause matérielle et la cause formelle sont comprises dans l'ordre naturel ; mais dans les deux miracles dont nous parlons, ces deux causes appartiennent, elles aussi, formellement à l'ordre surnaturel.


Ils sont visibles dans leurs effets

On objectait encore [219] que le miracle doit être visible, tandis que l'Incarnation et la Transsubstantiation ne le sont pas. Non, disons-nous, ces deux faits ne sont pas entièrement inaccessibles à nos sens.
Pour qu'une chose soit visible, il n'est pas nécessaire qu'elle soit manifeste en elle-même ; il suffit qu'elle le soit dans ses effets. Saint Thomas répondant à l'objection que la science des Apôtres ne fut pas miraculeuse, parce qu'elle n'était pas chose visible, fait la remarque suivante [220] : « La science des Apôtres, bien qu'elle ne fût pas manifeste en elle-même, le devenait pourtant dans ses effets, par lesquels elle apparaissait merveilleuse. » La même chose doit se dire des deux faits que nous examinons en ce moment.
Sans aucun doute, non seulement l'Incarnation n'est pas visible en elle-même aux yeux des hommes, mais la raison seule ne peut arriver à la connaissance de ce fait, au point qu'il doive être compté parmi les mystères de foi proprement dits. Toutefois, l'Incarnation devient manifeste dans ses effets surprenants, par lesquels et dans lesquels on peut dire qu'elle apparaît comme une chose très merveilleuse. En effet, tandis que Jésus-Christ, d'une manière vraiment étonnante, rendait l'ouïe aux sourds, la parole aux muets, la vue aux aveugles, aux morts la vie du corps, tandis qu'il commandait aux éléments et calmait les tempêtes, que faisait-il, sinon rendre visible son admirable incarnation au point que les foules stupéfaites s'écriaient : « Qu'est celui-ci, à qui les vents et la mer obéissent ? [221]»
Pareillement, la Transsubstantiation se rend visible, elle aussi, dans ses merveilleux effets. Nous ne parlons pas seulement des manifestations que Dieu accorde de temps en temps comme preuve de la vérité de ce fait, comme lorsque l'Hostie consacrée fut par quelques Juifs impies transpercée avec un couteau et qu'il en jaillit du sang, ou quand elle resta suspendue et parfaitement intacte au milieu des flammes d'un incendie. Nous ne parlons pas, disons-nous, de ces effets seulement, puisqu'ils sont eux-mêmes des interventions extraordinaires et miraculeuses, rarement accordées par Dieu d'une manière directe. Nous parlons, au contraire, des effets produits directement en vertu de la Transsubstantiation ; de la puissante énergie que puisent les chrétiens en se nourrissant de ce pain céleste ; nous parlons de l'aide qu'il donne aux moribonds ; de la sainteté des mœurs qu'il produit et maintient ; du culte auquel il a donné origine, culte maintenu pendant dix-neuf siècles et sanctionné par d'innombrables monuments : toutes ces choses, disons-nous, prises non isolément, mais dans leur ensemble, suffisent à rendre visible la sainte Eucharistie, sinon en elle-même, du moins dans ses effets.
En vérité, bien que le fait de l'Incarnation et celui de la présence réelle de Jésus-Christ dans le saint Sacrement soient visibles dans leurs effets, ni l'un ni l'autre ne cesse pour cela d'être l'objet de notre foi et par suite d'être de vrais mystères, car les effets dont nous parlons ne les rendent visibles qu'indirectement. Ce qu'ils prouvent directement, c'est la vérité des témoignages de Jésus-Christ, soit qu'il se proclamât Dieu, soit qu'il se dît être l'aliment de nos âmes. Observons encore que, lors même que rien de visible ne se produirait par rapport à ces mystères, il y aurait toujours la parole de Dieu qui ne ment pas, parole qui nous a révélé et par conséquent a rendus comme visibles, aux yeux de notre esprit, ces mêmes mystères divins.


Miracles qui sont des motifs de crédibilité et miracles qui sont des articles de foi

Pour mieux comprendre cette doctrine, il convient de distinguer, parmi les miracles, ceux qui servent de motif de crédibilité pour quelque point de notre foi, de ceux qui sont en eux-mêmes articles de foi. Quand le prophète Élie appela le feu du ciel, il le fit dans le but de prouver que son Dieu était le véritable, et que ceux des prophètes de Baal n'étaient que de faux dieux[222]. Au contraire, l'Incarnation du Seigneur et la Transsubstantiation ne sont pas ordonnées à la confirmation de notre foi, mais elles sont en elles-mêmes des articles de foi. «Le mystère de l'Incarnation du Christ, dit saint Thomas, est quelque chose de miraculeux, non pas comme ordonné à la confirmation de notre foi, mais comme article de foi.[223]» Auparavant il avait dit : «Parmi les miracles de Dieu, certains sont matière de foi, comme le miracle de l'enfantement virginal, et celui de la Résurrection du Seigneur, auxquels il faut ajouter le Sacrement de l'Autel ; pour cela le Seigneur a voulu que ces choses fussent cachées, afin que la foi que l'on a envers ces choses fût d'autant plus méritoire ; d'autres miracles, au contraire, sont ordonnés à la confirmation de la foi et ceux-ci doivent être manifestes.[224]»
Or, lorsqu'il s'agit de miracles qui doivent servir de motif de crédibilité, ceux-ci doivent être des effets par eux-mêmes directement sensibles ; mais lorsqu'il s'agit de miracles qui sont plutôt en eux-mêmes des articles de foi, la révélation divine, et par conséquent la foi qui naît de cette révélation, suffit, en l'absence d'autres motifs, pour que l'on puisse dire qu'ils sont, au moins médiatement, sensibles et par conséquent qu'ils sont des miracles dans le sens propre et véritable, pourvu qu'ils possèdent les autres conditions requises.


Il y a dans ces effets quelque chose d'où il semblerait qu'ils devraient être différents

La dernière difficulté formulée plus haut [225]consistait en ceci, qu'on ne voit pas comment se vérifie, dans l'Incarnation et dans la Transsubstantiation, la condition essentielle du miracle, c'est-à-dire qu'il y ait dans la nature même de l'effet produit, quelque chose d'où il paraisse que l'œuvre aurait dû procéder différemment. Cette difficulté tombe d'elle-même, si l'on considère de près la nature de ces œuvres.
En réalité, s'il y eut jamais une œuvre dans laquelle il apparaît que l'effet produit aurait dû être différent, c'est bien dans ces deux cas. Qu'une nature humaine singulière soit terminée par une personnalité divine et subsiste de la subsistance même de Dieu, comme c'est le cas dans le mystère de l'Incarnation ; ou bien qu'un morceau de pain se change au corps du Seigneur, comme cela arrive dans la Transsubstantiation, ce sont là sûrement des choses qui se vérifient à l'encontre ou au-delà de ce que la nature de ces choses mêmes demande. Car la nature humaine singulière, à peine mise hors de ses causes, c'est-à-dire à peine produite, demande à être terminée par sa propre personnalité et à subsister de sa propre subsistance. De même le pain peut bien, suivant la loi ordinaire, se transformer en la chair de celui qui le mange, mais non devenir soudainement le corps d'un Homme-Dieu. Il y a, par conséquent, dans ces œuvres, quelque chose qui montre que, selon le cours naturel des choses, l'effet devrait procéder d'une manière différente.
Il reste donc acquis que l'Incarnation de Notre Seigneur et la Transsubstantiation sont des miracles véritables au sens propre du mot.


Miracles dans la conception et la naissance de Jésus-Christ

C'est une chose intéressante au plus haut point que de rechercher combien l'on peut distinguer de miracles proprement dits dans l'Incarnation et combien dans la Transsubstantiation.
Pour la première, il faut distinguer, dans le fait même de l'Incarnation, un triple miracle. Le premier consiste en ce que la Vierge bénie fut rendue féconde, non par l'œuvre d'un homme, comme le voudrait la loi de nature, mais par l'opération de l'Esprit-Saint. A ceci il convient d'ajouter la formation instantanée du corps de Jésus-Christ et son animation pareillement instantanée par une âme raisonnable créée au moment même de la conception. Tandis que, dans les autres conceptions, le corps du futur enfant n'est formé que graduellement et que c'est seulement après une certaine période de temps, c'est-à-dire quand ce corps est suffisamment organisé, qu'il est informé par l'âme intelligente, dans le cas de Notre Seigneur, au contraire, justement à cause de l'action du Saint-Esprit, qui dans ses opérations, n'a besoin d'aucun sujet déterminé et peut ainsi directement donner à toute matière la forme qui lui plaît, la matière fournie par Marie fut directement changée au corps du Christ, de même qu'au commencement Dieu avait changé le limon de la terre, au corps d'Adam. En ce même moment, qui fut le dernier terme de la génération humaine du Sauveur, cette nature singulière, composée d'âme et de corps, fut élevée à l'unité de personne par le Verbe de Dieu qui alors termina par lui-même, hypostatiquement, cette humanité singulière. C'est donc en toute vérité que l'on appelle le Verbe de Dieu fils de Marie.
Nous devons donc distinguer trois miracles dans la conception de Jésus-Christ : le premier, dans la formation de son corps par l'opération du Saint-Esprit ; le second, dans l'organisation instantanée et la perfection de cette singulière humanité ; le troisième, dans l'élévation de cette humanité à l'union hypostatique avec la personne du Verbe.
Ajoutons que pour ce qui appartient à la nativité du Sauveur, il faut encore enregistrer un nouveau miracle, qui consiste en ce qu'il sortit du sein fermé de la Vierge Marie, ne causant ainsi aucun dommage à sa virginité parfaite. Notons ici comment saint Grégoire le Grand voit dans le miracle de l'enfantement virginal de Marie, une preuve du miracle de l'entrée de Jésus-Christ, après sa Résurrection, chez ses Apôtres au Cénacle, les portes étant fermées. « Les œuvres du Rédempteur, dit-il, tout à fait incompréhensibles en elles-mêmes, doivent être jugées d'après quelque autre œuvre de lui, afin qu'aux merveilles accomplies on ajoute foi, d'après d'autres merveilles plus grandes encore. Ce corps du Seigneur, en effet, qui entra chez les disciples les portes étant fermées, est celui-là même qui, à sa nativité, sortit, aux yeux des hommes, du sein clos de la Vierge. Quelle merveille donc que, devant vivre désormais pour toujours après sa résurrection, ce même Seigneur qui, venu pour mourir, sortît du sein fermé de la Vierge, entrât les portes fermées, là où étaient ses disciples ? [226]»


Miracles dans le mystère de la Transsubstantiation

Après les deux plus grands mystères de notre foi, celui de la Sainte-Trinité et celui de l'Incarnation du Verbe, il n'existe certainement, dans la doctrine révélée, aucune vérité inaccessible à la raison humaine autant que celle de la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin consacrés. Cette vérité est spécialement désignée dans l'Église sous le nom de Transsubstantiation. Nous n'avons, de fait, dans tout l'ordre de la création, aucun exemple d'un changement aussi complet, aussi radical, aussi instantané que celui d'une substance ordinaire, comme celle du pain et du vin, au corps et au sang d'un Homme-Dieu. Nos sens sont trop matériels et trop grossiers pour percevoir une vérité si haute et si sublime. L'esprit, même le plus élevé et le plus pénétrant, laissé à ses propres forces, se perd devant le simple énoncé d'un prodige aussi insolite, aussi extraordinaire. Seule une foi humble et sincère s'incline avec respect devant l'Hostie sainte et adore là présent l'auteur de notre salut.

... Si sensus deficit,
Ad firmandum cor sinceruin
Sola fides sufficit.

Mais la Transsubstantiation, outre qu'elle est elle-même un mystère sublime, est aussi intimement liée aux principaux mystères de notre foi : par exemple, à la Trinité, à l'Incarnation, à la divine Maternité, à la grâce, à la gloire. De plus, non seulement elle est en elle-même une œuvre extrêmement merveilleuse, mais elle est encore accompagnée d'un cortège d'autres œuvres merveilleuses qui s'accomplissent précisément au moment même où le pain et le vin se changent au Corps et au Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. «D'innombrables miracles, écrit Léon XIII[227], accompagnent ce miracle de la Transsubstantiation qui est, en son genre, le plus grand de tous les miracles. Ici, en effet, toutes les lois de la nature sont suspendues; la substance du pain et du vin est tout entière changée au corps et au sang de Jésus-Christ ; les espèces du pain et du vin, tout en étant privées de leur substance, continuent à subsister sans autre support que la puissance divine ; le corps du Christ est présent simultanément en autant de lieux que s'accomplit le Sacrement. » C'est pourquoi, en vérité, le mystère de l'Eucharistie est appelé l'abrégé de toute la théologie catholique, ainsi que le complément de la philosophie chrétienne.
Nous ne pouvons pas prétendre, il est vrai, pénétrer à fond dans la nature même du mystère sublime qu'est la Transsubstantiation. Nous ne pouvons comprendre la manière dont s'accomplit chaque jour sur nos autels ce changement extraordinaire. Il est cependant utile et agréable de rechercher, avec humilité et respect, les merveilles multipliées, comme à profusion, par la bonté divine dans cet auguste sacrement, et de comparer cette œuvre aux autres œuvres prodigieuses accomplies par Dieu, tant dans l'ordre de la nature, que dans celui de la grâce. Une telle étude, tandis qu'elle élève et ennoblit la pensée, est faite pour exciter dans nos cœurs des sentiments de profonde admiration et de louange pour ce même Dieu, que son amour envers nous a poussé à accomplir des œuvres si belles et si bienfaisantes.
C'est pourquoi nous nous proposons de rechercher, dans le chapitre suivant, quels sont au juste les miracles qui accompagnent la Transsubstantiation et de comparer ce mystère avec les autres œuvres merveilleuses accomplies par Dieu dans l'ordre de la nature et de la grâce, afin que resplendisse à nos yeux, dans toute sa grandeur, l'harmonie du plan divin.
Ce travail ne sera pas, croyons-nous, dépourvu d'utilité pratique.
Peut-être, en feuilletant les pages de l'Ancien Testament, nous sentons-nous parfois tentés de ne prêter qu'une attention relative à ces histoires merveilleuses dont abonde, nous dirions presque, chacune des pages des Saintes-Écritures. Il nous semble à peu près impossible que la mer ait pu s'ouvrir pour laisser passer Moïse avec le peuple Hébreu, que chaque matin tombât du ciel avec abondance, pour la nourriture du peuple de Dieu, une rosée céleste de la plus exquise saveur, qu'à la parole d'un homme, le soleil pût s'arrêter ou rétrograder, etc.
Mais, si l'on y réfléchit sérieusement, toutes ces œuvres extraordinaires ne sont rien en comparaison de celles bien plus grandes et plus splendides qui accompagnent le miracle eucharistique. Il semble même que Dieu ait voulu multiplier dans l'Ancien Testament des faits prodigieux et presque innombrables, afin de disposer l'homme à accepter, dans la nouvelle Alliance, avec une foi humble et une vive reconnaissance, la révélation de cet auguste mystère, en même temps un don insigne de sa bonté, et un merveilleux abrégé de prodiges, s'accomplissant à chaque moment sur l'un ou l'autre point de notre planète.



CHAPITRE VIII - LES MERVEILLES EUCHARISTIQUES

Combien est nécessaire une connaissance profonde du mystère de la Transsubstantiation

Nous avons dit que l'Incarnation du Verbe et la Transsubstantiation, bien qu'étant mystères de foi, sont néanmoins de véritables miracles. Le désir de mieux connaître le second de ces faits merveilleux, avec lequel la profession de la vie chrétienne nous met en contact immédiat et continuel, nous invite à réserver une attention particulière aux rapports étroits qu'offre ce mystère avec le domaine philosophique.
L'Eucharistie, en effet, n'est pas seulement un trésor de grâce, une source éternelle de biens spirituels, mais elle est aussi un trésor de merveilles, une synthèse des prodiges divins. Ce mystère d'amour, sérieusement étudié à la lumière de la philosophie chrétienne, nous fait découvrir des horizons nouveaux qui nous mettent en présence d'une vision céleste, remplissant l'esprit de joyeux étonnement, digne récompense des efforts dépensés dans le champ des recherches métaphysiques. C'est alors que l'esprit humain peut goûter, autant que cela est possible en cette vie, toute la vérité de cette parole du Roi-Prophète : « Le Seigneur doux et miséricordieux a laissé un témoignage de ses merveilles : il a donné un aliment à ceux qui le craignent.[228] »


Différence entre la Transsubstantiation et les autres changements, tant naturels que miraculeux

Pour connaître en quoi consiste le miracle insigne qui, en vertu du pouvoir divin, s'accomplit dans la Transsubstantiation, il faut d'abord le comparer aux changements qui nous sont connus, soit à ceux qui s'accomplissent dans le cours de la nature, soit à ceux qui ont lieu par une intervention divine spéciale. Mais avant tout, qu'entendons-nous par Transsubstantiation ?
Non seulement c'est un dogme de notre foi que Jésus-Christ est réellement présent en corps et en âme dans la Très Sainte Eucharistie, mais nous devons croire également que ce fait s'accomplit par une merveilleuse conversion des éléments du pain et du vin au Corps et au Sang de Notre Seigneur, laquelle conversion est appelée par l'Église d'un nom qui lui est tout à fait propre, Transsubstantiation. La singularité du nom indique une particularité dans la chose signifiée, c'est-à-dire qu'une conversion aussi merveilleuse est sans exemple dans toute la nature créée.
La Transsubstantiation n'est pas un changement naturel. Elle ne peut pas non plus se comparer à aucune de ces transformations miraculeuses, dont nous rencontrons de nombreux exemples, tant dans l'Écriture, que dans l'histoire ecclésiastique. La Transsubstantiation ne peut même pas s'appeler, à proprement parler, un changement. Elle est, comme l'appelle l'Église, une véritable conversion. Voyons en quoi cette conversion diffère, tout d'abord des changements naturels, et ensuite des changements miraculeux.
Les changements naturels sont de deux sortes: quelques-uns sont seulement accidentels, les autres sont substantiels. Les changements accidentels sont de trois espèces : de lieu, d'augmentation, et d'altération. Dans les changements locaux, rien n'est changé de ce qui est intrinsèque au sujet, mais seulement ce qui lui est extrinsèque, c'est-à-dire une ubication ou localisation déterminée. Dans les autres changements accidentels ceux d'augmentation et d'altération, il y a bien quelque chose d'intrinsèque au sujet qui est changé, mais cela se vérifie seulement dans l'ordre des accidents, c'est-à-dire de la quantité ou de la qualité.
Au contraire, dans les changements substantiels, la mutation est plus radicale, pénétrant jusqu'à la forme substantielle. C'est alors que l'on a la génération et la corruption proprement dites, et c'est pour cela que nous disons que la corruption de l'un est la génération de l'autre.
Mais en tous ces changements naturels, tant accidentels que substantiels, l'action de l'agent ne va pas au delà de la forme. L'agent naturel ne peut arriver jusqu'à la matière qui dépend de Dieu seul quant à son être et, pour cela même, n'est atteinte par l'action d'aucun agent fini, demeurant invariable, comme premier sujet de toute mutation naturelle.
La même chose doit se dire proportionnellement des changements miraculeux, en dehors de la Transsubstantiation, qu'ils soient accidentels, ou substantiels. Ce qui est changé dans ces cas est soit la forme accidentelle, soit la forme substantielle : mais la matière demeure la même. La seule différence entre ces changements miraculeux et les changements naturels est, qu'en ceux-ci, le sujet est en puissance prochaine par rapport à la forme qu'il reçoit ; en ceux-là, au contraire, le sujet n'est qu'en puissance éloignée, comme lorsque l'eau fut immédiatement changée en vin aux noces de Cana ; ou bien le sujet est seulement en puissance obédientielle, comme lorsque, de la côte d'Adam, Dieu forma la première femme.
Mais dans toutes ces mutations, qu'elles soient naturelles ou miraculeuses, le ternie de la mutation est changé, ou bien il est produit de nouveau. Dans le sacrement de l'Eucharistie, au contraire, le corps de Jésus-Christ, étant déjà préexistant et immuable, parce que glorieux, ne peut ni changer ni se produire de nouveau. C'est pourquoi il est absolument impossible que le changement du pain au Corps de Jésus-Christ se vérifie par l'une des mutations susdites ; mais une conversion substantielle est nécessaire, en d'autres termes, une transsubstantiation. C'est pourquoi, dans cette merveilleuse conversion, la matière même du pain est changée en la matière même du Corps de Jésus-Christ, par le fait que Dieu étant l'auteur de la nature, et ayant toute puissance même sur la matière première tirée immédiatement par Lui du néant, il n'a nullement besoin, comme les créatures, d'aucun sujet pour opérer.
Les mutations naturelles, aussi bien que les surnaturelles, se distinguent donc de la Transsubstantiation par ce fait que, dans les mutations mentionnées, le composé se change, Primo et Per se, en un autre composé et, par conséquent, la forme précédente dans la forme subséquente, la matière n'étant pas changée ; dans cette conversion spéciale, au contraire (celle de la Transsubstantiation), non seulement le tout est changé dans le tout, et la forme précédente dans la forme subséquente, mais, en outre, la matière précédente est aussi changée dans la matière subséquente. C'est pourquoi les mutations susdites sont appelées formelles, tandis que celle-ci, étant d'une singularité absolue, revêt un nom qui lui est propre et se dit Transsubstantiation.
C'est ainsi que lorsque, par un procédé chimique, certains gaz comme par exemple, l'hydrogène et l'oxygène combinés, se changent en eau, tout ce premier volume de gaz est remplacé par la forme de l'eau ; mais la matière des gaz n'est pas changée en une autre matière et demeure en réalité la même. De même quand Jésus-Christ, aux noces de Cana, après avoir fait remplir d'eau six urnes, changea cette eau en vin, tout le volume d'eau fut converti en un égal volume de vin, et par suite la forme de l'eau fut remplacée par la forme du vin, la matière demeurant intacte. De même encore, dans l'Éden, quand Dieu, ayant pris de l'argile en forma le corps d'Adam, toute cette terre fut changée au corps de notre premier père, bien que la forme, qui était l'âme raisonnable, excédant la capacité de la matière, dût être par Dieu actuellement créée ; pourtant là aussi, la matière demeura la même, et c'est pourquoi Dieu dit à l'homme après sa première faute : «Tu es poussière et tu retourneras en poussière[229]
Dans la Transsubstantiation, au contraire, non seulement la forme du pain se change dans la forme du Corps de Jésus-Christ, mais la matière du pain, elle aussi, se change en la matière de ce même Corps. Et, puisque le Corps de Jésus-Christ, tel qu'il est maintenant dans le ciel, est glorifié, nous avons ici une matière terrestre et inerte changée en une matière glorifiée et vivante. Et même, puisque cette matière est le corps même de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, la matière du pain est changée au corps même de Dieu.
Signalons une nouvelle différence entre cette mutation et les autres ci-dessus nommées. Quand, par un procédé naturel ou miraculeux, l'eau, par exemple, est convertie en vin, les deux termes sont changés ; l'eau est corrompue, et le vin est produit. De même, quand un animal se nourrit, l'aliment qu'il prend est corrompu, tandis que l'animal lui-même augmente de volume, ou tout au moins récupère en tout ou en partie ce qu'il avait précédemment perdu. Mais dans la conversion eucharistique, le pain seul est changé, se convertissant au Corps de Jésus-Christ, tandis que celui-ci n'est ni produit, ni altéré, ni augmenté d'aucune façon.
Voilà donc ce qu'est cette merveilleuse conversion qui n'a pas d'exemple dans toute la nature, précisément parce que, dans ce cas, et ce cas seulement, la mutation va jusqu'aux racines de l'être de la chose changée, c'est-à-dire jusqu'à la matière. C'est pourquoi cette conversion a son ultime raison d'être dans la très parfaite simplicité de Dieu dont l'essence est une même chose avec son être. Étant l'être subsistant par lui-même, comme il peut produire de rien l'être des choses, il peut aussi changer l'être d'une chose en celui d'une autre chose, que ces deux choses soient matérielles ou spirituelles, ou bien que l'une d'elles soit spirituelle et l'autre matérielle[230]. C'est ici justement que réside toute la possibilité de la Transsubstantiation, au sujet de laquelle le Docteur angélique affirme que, considérée du côté de la chose qui est changée, elle est a plus difficile et suppose une puissance plus grande que n'importe quelle autre transmutation [231]».
Remarquons toutefois en quel sens il est dit que, dans ce sacrement, la forme est changée en forme. Le sens est celui-ci : l'âme étant la forme du corps auquel elle donne l'être corporel, l'être animé, etc., par conséquent la forme du pain est changée en la forme du Corps de Jésus-Christ, en tant que celle-ci lui donne l'être corporel, mais non en tant qu'elle lui donne formellement l'être animé[232].
Le fait que la matière du Corps de Jésus-Christ est plus grande en quantité que la matière du pain ne doit pour autant faire aucune difficulté. Car la mutation des parties suit, par ordre de nature, la mutation du tout, c'est-à-dire la mutation de la première substance dans la seconde ; c'est pourquoi, dans les mains de Dieu, une substance minime peut se changer en une autre substance de plus grand volume, ou vice-versa. Et puisque, dans ce sacrement, la substance du pain est changée en la substance du Corps de Jésus-Christ, il s'ensuit que Jésus-Christ est formellement dans l'Eucharistie par manière de substance : ce qui explique comment il peut être présent en sa totalité dans l'hostie tout entière, et en même temps dans chacune de ses parties.


Compénétration des corps

Nous avons dit que plusieurs autres miracles accompagnent le fait merveilleux de la Transsubstantiation. Il convient maintenant de parler de ces miracles, afin qu'apparaisse davantage la grandeur de la puissance divine dans l'accomplissement de ce très auguste mystère. Quels sont donc ces miracles ?
Il y en a plusieurs, mais parmi ceux-ci nous pouvons en choisir deux principaux, autour desquels d'autres gravitent. L'un est l'existence simultanée de Jésus-Christ dans le ciel et dans un grand nombre d'hosties consacrées ; l'autre, la permanence des espèces sacramentelles sans leur propre sujet, qui est la substance du pain et du vin. Nous parlerons séparément de ces deux effets merveilleux. Cependant, afin de bien comprendre l'explication qui s'y rapporte, il sera nécessaire, en premier lieu, de résoudre le problème suivant : Un même corps peut-il se trouver simultanément en plusieurs endroits ? Mais, pour résoudre ce doute, il faut, avant tout, rechercher s'il est possible que deux ou plusieurs corps se trouvent en même temps occuper un même endroit.
Aucun doute ne peut exister sur la possibilité de la présence simultanée de deux ou de plusieurs corps en un même endroit, chose que l'on appelle vulgairement, compénétration des corps. De fait, il est de foi que notre divin Sauveur est sorti du sein très pur de Marie, sans porter atteinte à son intégrité virginale ; en outre, nous lisons dans le saint Évangile[233] qu'il entra, les portes étant closes, dans la salle où étaient réunis ses disciples, Il y a ici un miracle de première classe. Pour comprendre comment cela peut se faire, il est nécessaire de rechercher d'où naît la difficulté d'admettre la présence simultanée de deux ou de plusieurs corps dans un même endroit.
Cette difficulté naît précisément de ce fait qu'on ne voit pas comment peut se conserver la distinction matérielle et numérique entre deux corps, sans que se vérifie également, entre ces corps, une distinction de lieu. Pour résoudre cette difficulté, il faut observer d'abord que la distinction numérique entre deux corps consiste formellement en ceci, que chacun de ces corps, tout en étant indivisé en lui-même,. demeure divisé d'avec l'autre. La distinction de lieu, au contraire, dépend de la relation de la quantité dimensive avec quelque chose d'extrinsèque, c'est-à-dire avec les dimensions du lieu où se trouve ce corps actuellement.
Or, c'est précisément la relation des dimensions de cette quantité avec les dimensions du lieu extrinsèque, qui est la raison immédiate de la distinction d'un corps d'avec un autre, dans ce sens qu'un corps est tellement comparé et commensuré aux dimensions du lieu où il se trouve, que ses dimensions propres sont les mêmes que les dimensions du lieu lui-même. Serait-il donc possible que la distinction numérique et matérielle continue d'exister entre deux corps, si l'on supprime la relation que la quantité dimensive de l'un de ces corps possède par rapport aux dimensions de sa localisation naturelle, ce qui, avons-nous dit, donne la raison immédiate de la distinction d'un corps avec un autre ?
Nous répondrons que la chose est possible, à la condition que la cause de cette distinction soit suppléée par un autre côté. Or donc, cette cause peut-elle être suppléée par Dieu ? Il est certain que Dieu, cause première de toute la création, peut produire par lui-même tous les effets des causes secondes sans l'opération de ces mêmes causes, à moins que ne se présente quelque contradiction. Or, y a-t-il contradiction dans ce fait que la distinction numérique et matérielle entre deux corps puisse se conserver sans la distinction de situation entre les corps ? En d'autres termes, Dieu peut-il conserver, par son action directe, la distinction numérique entre deux corps, sans que soit nécessaire la relation de la quantité dimensive de l'un d'eux avec les dimensions du lieu correspondant ? Oui, répondons-nous, Dieu peut le faire, de sorte que le fondement de la distinction entre ces deux corps, qui, dans l'ordinaire des choses, est leur matière respective, reste sain et sauf.
La matière est, en effet, par elle-même, principe d'individuation dans les corps, non pas immédiatement, mais par le moyen de la quantité dimensive. C'est pourquoi, si l'effet propre de la quantité dimensive, par lequel les dimensions du corps correspondent parfaitement à celles du lieu, est supprimé par la puissance divine, la distinction numérique entre ces deux corps peut encore subsister, n'étant plus fondée sur la distinction de situation, mais sur la distinction matérielle. Il s'ensuit, par conséquent, que sous les dimensions du premier corps, dimensions correspondant à celles du lieu, peut coexister un autre corps distinct numériquement du premier, à cause de la distinction de la matière. Et c'est précisément ainsi que le corps de Jésus-Christ a pu sortir du sépulcre clos et scellé ou pénétrer dans le cénacle pareillement fermé. C'est de la sorte encore que doivent s'interpréter les faits, s'il en est d'authentiques, de la coexistence, dans un même lieu, de corps réellement distincts entre eux[234].
Cette existence simultanée de deux ou plusieurs corps dans le même endroit ne serait pas possible même par vertu divine, si la matière d'un corps cessait d'être distincte de celle d'un autre corps. Car alors tout principe constitutif de la distinction des corps viendrait à manquer, et Dieu ne peut pas faire ce qui répugne, comme il ne peut faire qu'une brute comprenne quelque chose, la faculté de comprendre répugnant à la nature même de la brute. Nous voyons ainsi que lorsque deux corps sont mélangés, au point de perdre leur propre individualité matérielle et devenir une nouvelle substance, ils perdent aussi leur être distinct. De même, dans les opérations mathématiques, où l'on fait abstraction de la matière déterminée, niateria signata, et où l'on examine seulement la quantité dimensive, il n'est pas possible de conserver la distinction des lignes ou des figures géométriques, du moment que l'on met de côté la distinction de situation. Celle-ci, comme nous l'avons dit, suit immédiatement la quantité dimensive ; et ceci parce qu'alors la matière manque également, sans laquelle il est impossible de conserver la distinction réelle entre deux corps. Nous pouvons, en effet, imaginer deux lignes qui, bien que sans matière, soient toutefois distinctes par leur situation ; mais si nous ôtons de ces deux lignes leur distinction de situation, elles ne sont plus deux, mais une seule, et il en est de même pour toute autre figure géométrique[235] .
Nous concluons par conséquent que Dieu peut, en vertu de sa puissance infinie, faire que deux corps soient en même temps dans le même lieu, sans cesser pour cela d'être deux corps distincts. Car, tandis qu'il suspend l'effet propre de la quantité dimensive, qui est de rapporter les dimensions de ce corps déterminé aux dimensions du lieu qu'il occupe, Dieu maintient en même temps la matière en existence, laquelle matière, prenant la place de dernier principe d'individuation et de distinction, est cause que ces deux corps ne cessent pas d'être deux corps distincts, bien qu'occupant le même endroit.


Le phénomène de la bilocation

Si Dieu, en raison du pouvoir qu'il a de suppléer à l'action de la quantité dimensive d'où résulte directement la distinction de situation des corps, peut faire que deux corps se trouvent dans le même endroit, peut-il faire encore, demandera-t-on, qu'un même corps se trouve miraculeusement en plusieurs endroits circumscriptive, c'est-à-dire avec ses propres dimensions correspondantes aux dimensions de ces endroits ?
Telle qu'elle est posée, la question doit être résolue négativement, en tant qu'il s'agit de présence réelle. C'est pourquoi l'ubiquité concédée à quelques Saints, n'est pas à considérer comme une présence réelle de la même personne en plusieurs endroits ; mais elle est due généralement à l'opération des Anges qui peuvent représenter les hommes, en prenant dans un corps éthéré leur ressemblance et en se comportant comme s'ils étaient ces hommes eux-mêmes.
La raison de cette réponse est que, du moment qu'un corps se trouve en un lieu circumscriptive, c'est-à-dire avec ses propres dimensions correspondantes aux dimensions du lieu qu'il occupe, il est nécessaire que, tandis qu'il est indistinct en lui-même, il soit en même temps distinct de n'importe quel autre corps. Or, pour qu'il puisse se trouver dans un autre lieu sous les mêmes conditions, et malgré cela continuer à être le même corps, il faudrait qu'il fût de nouveau indistinct en soi et distinct de tout autre corps. Mais, parmi les autres corps, il y a aussi ce même corps. Il faudrait donc qu'il fût aussi distinct de lui-même, alors que, nous l'avons dit, il est déjà, au contraire, indistinct en soi. C'est pourquoi saint Thomas conclut avec raison qu'il y a contradiction à dire que le même corps puisse être en même temps localement en différents endroits, de même qu'il y a contradiction à dire qu'un homme est privé de raison[236].


Présence simultanée de Jésus-Christ dans le ciel et dans le Très Saint Sacrement

S'il n'est pas possible qu'un même corps se trouve en deux ou plusieurs lieux de la manière indiquée, c'est-à-dire en tant que les dimensions du corps se rapportent aux dimensions du lieu, ou circumscriptive, sera-t-il impossible que, par la puissance divine, un même corps occupant déjà un lieu déterminé, se trouve en même temps dans un autre lieu, non par sa quantité dimensive, circumscriptive, mais bien de quelque autre manière ? De cela nous ne pouvons douter, puisque le corps de Notre-Seigneur qui se trouve au ciel[237], est en outre miraculeusement, par la puissance divine, dans le sacrement de l'Eucharistie et ceci partout où il y a une hostie consacrée, ce qui n'offre rien de contradictoire, comme il apparaîtra par l'explication suivante.
Pour comprendre ceci, observons que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ n'est pas dans le Sacrement de l'Eucharistie selon le mode propre de la quantité dimensive, c'est-à-dire circumscriptive, ou localiter, mode dans lequel les autres corps sont commensurés aux dimensions du lieu qu'ils occupent. Le corps de Jésus-Christ est dans l'Eucharistie par manière de substance, puisque la Transsubstantion consiste précisément dans le fait que la substance du pain est changée directement dans la substance du Corps de Jésus-Christ. C'est pourquoi, de même que la substance du pain n'était pas dans le lieu, in loco, sous les propres dimensions du pain, mais par manière de substance, de même aussi le Corps de Jésus-Christ ; avec cette différence, toutefois, que la substance du pain, avant la consécration, se trouvait là moyennant les propres dimensions du pain et par conséquent localement ; tandis que la substance du Corps de Jésus-Christ ne se trouve pas dans l'Eucharistie selon les propres dimensions de ce corps, mais directement par elle-même. C'est pourquoi les dimensions du Corps de Jésus-Christ se trouvent dans l'Eucharistie plutôt par le mode de sa substance, laquelle cependant se rapporte au lieu moyennant les dimensions du pain qui demeurent avec les accidents après la Consécration. C'est pourquoi le Corps de Jésus-Christ n'est pas dans l'Eucharistie localiter ou circumscriptive, mais à proprement parler, sacramentaliter, et c'est aussi pourquoi rien n'empêche qu'il se trouve en même temps partout où a lieu le miracle de la Transsubstatiation[238].


Permanence des accidents dans la sainte Eucharistie

Nous avons dit comment, dans cet auguste Sacrement, les accidents du pain et du vin continuent à exister sans leur sujet propre. Il nous faut ici insister sur ce point, car l'infinie puissance de Dieu s'y révèle également ; bien plus, ce même miracle est la raison d'autres merveilles que nous voyons accomplies dans ce sacrement d'amour.
Que les accidents continuent à exister sans leur propre sujet est un effet de cette même puissance, qui peut faire que deux corps soient dans le même lieu, ou que le même corps, comme celui de Jésus-Christ, se trouve, non pas circumscriptive, mais sacramentaliter, en plusieurs endroits. Cette vérité est fondée précisément sur le principe invoqué plus haut, à savoir que de même qu'un effet dépend de la cause première plus que de la cause seconde, ainsi Dieu, cause première de tout accident, peut, par son infinie puissance, conserver en existence un accident, même en l'absence de la substance en vertu de laquelle, comme cause propre et proportionnée, ce même accident est, selon les lois naturelles, conservé en existence. C'est pourquoi, de même que Dieu peut faire germer une plante sans la semence de celle-ci et comme il peut conserver la distinction actuelle entre plusieurs corps sans la propre cause de cette distinction, qui est la distinction de lieu, de même il peut conserver l'existence aux accidents du pain et du vin sans la substance connaturelle de ces accidents eux-mêmes[239].
Il n'y a là aucune contradiction, et la nature des accidents qui est de chercher un appui, pour subsister, dans une autre chose qui lui serve de sujet, n'est pas changée le moins du monde. Cette même nature reste intacte dans les accidents eucharistiques ; c'est-à-dire que ceux-ci conservent une aptitude et une inclination radicale à chercher leur soutien dans les sujets qui leur sont connaturels. Dans la Sainte Eucharistie, c'est donc le pouvoir divin lui-même qui soutient ces accidents, précisément comme le ferait le sujet propre de ces accidents eux-mêmes[240].
Mais, demandera-t-on, comment les accidents peuvent-ils conserver leur individualité, la matière du pain après la consécration étant absente, laquelle matière était précisément le principe de leur individuation ? C'est encore saint Thomas qui nous donnera la clef pour résoudre ce problème.
Le principe d'individuation des accidents, observe le Docteur angélique[241], est cette chose qui est le sujet propre des accidents eux-mêmes. C'est dans ce sens que la personne à qui appartient formellement l'individualité, se définit : Rationalis naturae individua substantia. En disant substantia, on exclut précisément l'accident qui n'est pas individualisé par lui-même, mais l'est par la substance à laquelle il est inhérent.
Or, le sujet immédiat des accidents est la quantité dimensive, laquelle possède ceci en propre, qu'elle a une position locale déterminée, et par conséquent revendique pour elle-même la fonction d'individualiser, en dernière analyse, les substances composées de matière et de forme.
Dans les formes immatérielles qui ne sont pas aptes à être reçues dans la matière, ce mode d'individuation n'a pas lieu ; car ces formes, précisément parce qu'elles sont immatérielles et séparées, sont subsistantes par elles-mêmes et par conséquent elles sont individualisées par elles-mêmes. Mais dans les formes destinées à informer la matière, cette même matière est le principe d'individuation par rapport à la forme qu'elle reçoit, en tant que cette forme est en soi indifférente au fait d'être dans un sujet plutôt que dans un autre, et c'est seulement quand elle est reçue dans un sujet déterminé, qu'elle ne peut plus être apte à informer un autre sujet.
Mais la matière n'est principe d'individuation que pour la forme ; il reste donc à assigner la raison ou la cause de l'individuation de la matière elle-même, c'est-à-dire de son indivision en elle-même et de sa division de toute autre chose. Or, cette cause est précisément la quantité dimensive : la preuve en est dansée fait que l'on peut imaginer des choses privées de matière sensible, telles que sont les figures mathématiques, lesquelles, cependant, par cela même que nous les concevons comme ayant une quantité dimensive, demeurent distinctes entre elles, ainsi que nous l'avons observé plus haut[242].
Ainsi donc, dans le Sacrement de l'Eucharistie, bien que cesse la substance du pain, néanmoins les accidents, ainsi que nous l'avons dit, continuent d'exister, en vertu de la puissance divine, et première entre tous, la quantité dimensive, raison ultime de l'individuation de la substance matérielle, et conséquemment des autres accidents, dont cette même quantité reste comme le propre sujet qui les soutient.
Mais il y a quelque chose de plus à dire à propos de cet accident qui est la quantité dimensive. En vertu de la consécration, cette quantité reçoit la propriété de devenir le premier sujet des formes suivantes, c'est-à-dire qu'elle reçoit la propriété de la matière même, celle-ci étant précisément le premier sujet des formes. C'est pourquoi saint Thomas écrit : « Comme conséquence (de la consécration), la susdite quantité reçoit tout ce qui appartient à la matière ; c'est pourquoi tout ce qui peut être produit de la matière du pain et du vin, si elle était là présente, peut aussi bien être produit de la susdite quantité dimensive du pain et du vin, et cela sans nouveau miracle, mais par la vertu du miracle déjà accompli [243] ».
Les accidents eucharistiques sont donc individualisés par la quantité dimensive, laquelle a, pour ces accidents, la raison de sujet apte à les soutenir; quant à la quantité dimensive, celle-ci est individualisée par elle-même ; et puisque dans la Transsubstantiation la substance du pain et du vin cesse entièrement, cette quantité est soutenue immédiatement par la puissance divine, de laquelle elle reçoit, par la force même du miracle de la Transsubstantiation, la vertu de pouvoir faire fonction de sujet matériel, et par conséquent, de pouvoir elle-même être changée, par un procédé naturel, en une autre matière.


Les miracles eucharistiques

Voulant maintenant embrasser d'un regard rétrospectif toutes les merveilles virtuellement contenues dans la Transsubstantiation et accomplies par Dieu au moment de la consécration du pain et du vin, nous pouvons les énumérer dans l'ordre suivant : d'abord, il y a celles se rapportant au Corps de Jésus-Christ qui, par la consécration, devient présent sous les espèces sacrées ; puis celles ayant trait à la substance du pain qui cesse à la consécration. L'observation du Cardinal Cajetan doit ici servir de règle : «Il est préférable d'introduire un petit nombre de miracles, plutôt qu'une multitude[244]», ajoutons : à moins, de raison contraire.
Pour commencer par les miracles qui regardent le Corps de Jésus-Christ présent dans la sainte Eucharistie par la consécration, nous avons en premier lieu ce fait que, en vertu de ce changement radical, toute la substance du pain et du vin se convertit en toute la substance du Corps et du Sang de Jésus-Christ, étant bien entendu qu'unis au Corps se trouvent, par concomitance, le Sang, l'Ame et la Divinité du Sauveur et, unis au Sang, pareillement son Corps, son Ame et sa Divinité. En second lieu, le vrai Corps de Jésus-Christ se trouve non seulement dans le ciel, mais encore dans la sainte Eucharistie, partout où il y a une hostie consacrée. Troisièmement, le changement du pain et du vin au Corps et au Sang du Christ Notre-Seigneur, étant une parfaite et totale conversion de substance en substance, le Corps de Jésus-Christ se trouve, il est vrai, dans le sacrement avec sa quantité dimensive, non pourtant de telle manière que cette quantité soit commensurée aux dimensions du lieu : d'où il suit que Jésus-Christ est dans l'Eucharistie non pas circumscriptive, mais sacramentaliter. Quatrièmement, en vertu du principe que nous venons d'invoquer, comme la substance du pain se trouve tout entière dans tout le pain, il s'ensuit que le Corps de Jésus-Christ se trouve lui aussi tout entier non seulement dans l'hostie tout entière, mais aussi dans chaque partie de la même hostie.
En ce qui concerne le pain qui disparaît, nous avons, premièrement, ce fait que les accidents du pain et du vin continuent à exister et à opérer sans leur propre sujet. Deuxièmement, la quantité dimensive fait fonction de substance, par rapport aux autres accidents. Troisièmement, cette quantité dimensive devient, à l'égal de la substance, sujette à l'altération et à la corruption. Quatrièmement, de nouvelles substances peuvent être formées de la quantité dimensive, laquelle peut encore nourrir celui qui reçoit les saintes espèces, tout comme la substance du pain et du vin nourrit l'homme.
Il ne faudrait pas croire, cependant, que toutes ces merveilles, tant celles qui concernent la présence du Corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, que celles ayant pour objet la permanence des accidents après la consécration, soient autant de miracles. En réalité, deux seulement sont les miracles fondamentaux, desquels tous les autres découlent par conséquence nécessaire : l'un est la conversion du pain et du vin au Corps et au Sang de Notre Seigneur, ou la Transsubstantiation proprement dite, l'autre est la permanence des accidents sans leur sujet propre.
En effet, de ce que la substance du pain et du vin se change en la substance du Corps et du Sang d'une personne déjà existante, qui est Jésus-Christ, réellement présent dans le ciel, il s'ensuit que cette personne doit nécessairement se trouver non seulement dans le ciel, mais en tout lieu où le pain et le vin sont consacrés. En outre, puisque ce changement est une conversion substantielle, c'est-à-dire, de substance en substance, il résulte que le Corps et le Sang de Jésus-Christ ne sont pas présents dans l'Eucharistie immédiatement par leurs propres dimensions ou circumscriptive. Finalement, de ce même principe il résulte encore que le Corps et le Sang de Jésus-Christ sont tout entiers dans tout le pain et dans tout le vin consacré, aussi bien qu'en chacune de leurs parties. Ces trois dernières merveilles sont donc la conséquence nécessaire du miracle de la Transsubstantiation.
Mais, absolument parlant, cette conversion pourrait s'effectuer d'une manière invisible, la substance des choses n'étant pas l'objet de vision corporelle. Dieu, pourtant, a voulu nous donner ce Sacrement sous une forme visible, c'est-à-dire sous les espèces du pain et du vin, qui après la Consécration continuent d'exister sans leur propre sujet. Or, tandis que ce fait est, sans aucun doute, un miracle distinct du précédent, il donne origine en même temps aux autres merveilles énumérées plus haut, c'est-à-dire au fait que la quantité dimensive fait fonction de substance, qu'elle est sujette à la corruption, et que de cette même quantité une substance nouvelle peut être produite. Toutes ces conséquences, on le voit, découlent nécessairement du miracle de la permanence des espèces sans leur sujet propre.


La Transsubstantiation et la permanence des espèces dans l'Eucharistie sont de véritables miracles

Il est hors de doute que ces deux faits, c'est-à-dire, la Transsubstantiation et la permanence des espèces sans leur propre sujet, sont de véritables miracles, comme nous l'avons exposé plus haut [245]: miracles qui, selon l'ordre de la Providence, sont essentiellement reliés ensemble et, par conséquent, se complètent réciproquement. Ce qui manque à la visibilité dans la Transsubstantiation est remplacé par la permanence des espèces ; et ce qui semblerait manquer à la difficulté de l'œuvre, dans la permanence des espèces, est suppléé par la Transsubstantiation elle-même. En tout cas, il faut se souvenir que ces deux miracles qui, ainsi que nous l'avons dit, se peuvent réunir ad modum unius sous le nom de miracle eucharistique, appartiennent à la catégorie des miracles de quibus est fides, tels que, par exemple, la résurrection de Jésus-Christ et l'enfantement virginal de Marie[246].
Veut-on maintenant savoir à quelle classe appartient ce double miracle, c'est-à-dire celui de la Transsubstantiation et celui de la permanence des espèces? Nous disons, sans hésitation aucune, qu'ils appartiennent à la première classe, laquelle comprend les miracles secundum substantiam facti, puisque la nature ne peut jamais effectuer une conversion totale d'une substance dans l'autre, et qu'elle ne peut non plus faire en sorte que les accidents continuent à exister sans leur sujet propre.


Le très saint sacrifice de la Messe, identique avec le sacrifice de la Croix, est un vrai miracle

Notre étude sur les miracles eucharistiques ne serait cependant pas complète, si nous n'arrêtions un instant notre pensée à une autre merveille, qui accompagne, selon l'institution voulue par Jésus-Christ, les miracles de la Consécration. Nous voulons parler de l'identité du sacrifice eucharistique avec le sacrifice de Notre Seigneur en Croix.
Jésus-Christ, en instituant la très Sainte Eucharistie, n'a pas eu seulement en vue de nous donner, sous les espèces du pain et du vin, son Corps et son Sang pour être notre nourriture et afin de demeurer toujours avec nous, mais son but principal fut de nous laisser comme un legs divin, le sacrifice qu'il offrit de lui-même à son Père sur la Croix, afin qu'il devienne, pour ainsi dire, notre propriété, dans ce sens que, aussi souvent que s'accomplirait la consécration des deux espèces, le sacrifice de la Croix deviendrait présent sur nos autels.
Sans entrer dans les belles et consolantes considérations théologiques qui accompagnent l'explication de ce mystère d'un amour infini, disons, pour ce qui nous regarde ici, que cette identité du sacrifice de la Messe avec le sacrifice de la Croix est un nouveau miracle, et un miracle aussi de première classe, ajouté à ceux que nous avons jusqu'ici énumérés. Car la nature ne peut faire qu'une action déjà passée, comme l'est l'immolation de Jésus-Christ sur la Croix, s'identifie actuellement avec une action présente, telle qu'est la Messe, ou le sacrifice eucharistique.
Voilà donc quelles merveilles la sagesse divine a voulu multiplier et pour ainsi dire condenser pour notre amour, au moment de la Consécration du pain et du vin sur nos autels. A l'approche de cet instant solennel, toute la nature s'arrête, comme si elle frémissait d'impatience, dans l'attente de quelque chose qui surpasse toutes ses forces. La Consécration accomplie, elle s'incline avec respect pour laisser place aux effusions de l'amour d'un Dieu tout-puissant qui, pour s'unir à sa pauvre et chétive créature par les liens de la plus ardente charité et l'aider de tout son pouvoir, n'hésite pas à suspendre les lois les plus solennelles de l'univers. Sic nos amantem quis non redamaret ?



CHAPITRE IX - LA CRÉATION, LA JUSTIFICATION, LA RÉVÉLATION ET LA VISION BÉATIFIQUE SONT-ELLES DES MIRACLES ?

Ni la création, ni la justification ne sont, en elles-mêmes, à proprement parler, des miracles

Suivant l'ordre annoncé au commencement du chapitre septième, nous devons maintenant rechercher si la création et la justification de l'impie sont des œuvres miraculeuses.
Pour résoudre ce problème et afin de mieux préciser la doctrine exposée jusqu'ici sur la nature du miracle, rappelons avant tout, ce qu'enseigne à ce sujet le Docteur angélique[247], à savoir que le miracle est une œuvre apte à éveiller l'admiration, et que l'admiration exige, à proprement parler, deux choses: l'une, que la cause de l'œuvre soit cachée ; l'autre, qu'il y ait dans l'effet quelque chose d'où il semblerait que l'effet devrait être différent. Ainsi donc, la nature du miracle, proprement et simplement dit, exige premièrement que sa cause soit tout à fait cachée ; et, secondement, que l'effet se produise hors de l'ordre qu'exigerait la nature.
Voyons comment ces deux conditions se vérifient, par exemple, dans la résurrection. La résurrection est l'œuvre de Dieu seul, et la nature d'un corps mort ne comporte pas qu'il retourne à la vie, mais plutôt qu'il demeure toujours privé de son âme. Par défaut de l'une ou de l'autre de ces deux conditions, un effet, bien qu'il puisse, à première vue, paraître merveilleux, ne peut pas l'être simplement parlant et, par conséquent, ne peut pas être un miracle ; de même, par défaut de la seconde condition, beaucoup d'œuvres parmi celles accomplies par Dieu, bien que grandes en elles-mêmes, ne sont pas, à proprement parler, des miracles, bien que souvent on les appelle ainsi. C'est justement pour cela que ni la création, ni la justification ne sont des miracles proprement dits.
En ce qui concerne la création du monde, il est impossible de nier qu'elle ne soit une œuvre insigne, et dans un certain sens, la plus grande parmi les œuvres de Dieu dans la nature. Toutefois, cette œuvre ne peut proprement s'appeler miracle, parce que les choses du monde, ainsi que nous l'avons dit, ne sauraient être produites d'une autre manière. Il faut dire la même chose de la production des âmes humaines, œuvre exclusivement divine, dont la cause est cachée aux yeux des hommes ; mais comme il n'est pas possible que ces âmes soient produites par une autre voie que par celle de la création, cette œuvre aussi n'est pas un miracle. Ce serait un miracle si Dieu créait une âme sans que l'homme ait à préparer la matière, parce qu'alors il y aurait dans l'effet quelque chose qui se produirait hors du cours ordinaire, quelque chose d'où l'on jugerait qu'elle aurait dû se produire autrement. De même aussi, on ne peut appeler miracle proprement dit, la formation du corps du premier homme, telle qu'elle est racontée dans la Genèse[248], car c'est là une œuvre qui exigeait l'action immédiate de Dieu, aucune force créée ne pouvant suffire à son accomplissement[249].
Pour une même raison, la justification de l'impie n'est pas, avons-nous dit, un miracle, parce qu'elle ne peut s'accomplir hors du cercle de la cause propre, qui est Dieu. C'est pourquoi, si quelquefois elle est considérée comme miracle, c'est seulement quand, dans son accomplissement, le cours habituel n'est pas suivi, ce cours consistant en ceci que le pécheur est peu à peu préparé, jusqu'à ce qu'arrive le moment de sa parfaite conversion. Au contraire, il arrive quelquefois que Dieu, par sa puissance infinie, supplée, en un instant, à tout le processus préparatoire. C'est le cas de la conversion de l'Apôtre saint Paul, conversion accomplie soudainement par un mouvement très véhément de l'Esprit-Saint, et à laquelle vint s'ajouter une prostration merveilleuse. Cette conversion est célébrée dans l'Église comme un miracle des plus éclatants[250].
« L'ordre général et habituel de la justification, dit saint Thomas[251], consistant en ce que Dieu meut intérieurement l'âme de l'homme pour le convertir à Lui, d'abord par une conversion imparfaite, pour arriver ensuite à la conversion parfaite, n'est pas un miracle. Mais quand Dieu meut l'âme si fortement qu'il lui fait atteindre en un instant une certaine perfection de justice, comme ce fut le cas dans la conversion de Paul, et en usant extérieurement d'un prodige tel que fut sa chute, provoquée miraculeusement, la justification, dans ce cas, est vraiment un miracle. C'est pourquoi la conversion de Paul est solennellement commémorée dans l'Église comme étant miraculeuse [252] ».
Considérées en elles-mêmes, la création et la justification ne sont donc pas des miracles. « Le ciel et la terre, aussi bien que les âmes raisonnables, dit encore le Docteur angélique, ne sont pas d'après l'ordre naturel, des choses aptes à être créées par une autre cause que Dieu lui-même, et par conséquent la création du monde et celle des âmes raisonnables n'est pas un miracle, et cela doit se dire également de la justification de l'impie[253]. »


La justification dans le Sacrement de Pénitence ne l'est pas davantage

Ce que nous venons d'expliquer regarde l'œuvre de la justification en général ; mais quel jugement porter, quand il s'agit de la justification qui s'accomplit ordinairement par le ministère du prêtre dans le Sacrement de Pénitence ? N'est-elle pas à compter parmi les miracles, à l'égal du mystère de la Transsubstantiation ? De fait, comme, à la parole du prêtre, le pain se change au Corps de Jésus-Christ, de même aussi, aux paroles de l'absolution qu'il prononce, les péchés sont remis. Qu'on ne dise pas que l'effet n'est pas sensible ; car, bien que la justification de l'impie s'accomplisse dans l'intimité de l'âme, elle arrive toutefois à se manifester en quelque manière extérieurement, par des effets de sainteté et de bonté de vie, dont le Sacrement de Pénitence est la source féconde.
Nous devons dire néanmoins que la justification, même lorsqu'elle s'opère par l'absolution du prêtre dans le Sacrement de la Pénitence, n'est pas un miracle. La raison en est que, dans la dispensation actuelle, il n'existe pas d'autre voie par laquelle elle s'accomplisse, la contrition parfaite ne remettant les péchés que par la vertu du Sacrement, au moins en désir. C'est pourquoi, quand le prêtre remet au pénitent ses péchés, il n'y a rien dans l'effet d'où il semblerait que la chose devrait s'accomplir différemment, ainsi qu'il est requis, comme condition essentielle du miracle. Au contraire, dans l'effet de la présence réelle de Notre Seigneur dans l'Eucharistie par la Transsubstantiation, il y a quelque chose d'où il semblerait que l'effet devrait procéder d'une autre manière, le Corps de Notre Seigneur pouvant être présent dans le monde, soit par génération dans le sein très pur de Marie, ou bien par une translation locale. C'est justement hors de ces deux modes naturels que le très saint Corps de Jésus-Christ se trouve en un lieu déterminé, par le changement total de la substance du pain et du vin.


La justification en dehors du Sacrement

Que dire maintenant de la justification opérée par Dieu en dehors du Sacrement de Pénitence comme quand, par une inspiration intérieure, il justifie les païens auxquels le Nom de Jésus-Christ n'a pas été prêché ?
Nous répondons que, pour ce qui regarde proprement la justification, le miracle ne se vérifie pas dans ce cas, pas plus que dans le cas précédent. La raison en est qu'il n'y a miracle que quand Dieu, dans la production d'un effet, met de côté les causes secondes, lesquelles sont aussi causes principales ; mais non quand il ne se sert pas des instruments de ces causes : or, les sacrements de l'Église ne sont pas des causes principales, mais seulement instrumentales. C'est pourquoi, quand Dieu justifie l'homme sans se servir des sacrements, comme c'est peut-être le cas pour beaucoup de païens, on ne peut pas dire qu'il opère là des miracles.
Nous avons dit que la justification, qui a lieu en dehors du Sacrement de la Pénitence, n'est pas un miracle, pour ce qui regarde la justification en elle-même, parce qu'il peut très bien arriver que, même dans ce cas, quelque miracle se vérifie, sinon quant à la justification, certainement quant à l'illumination de l'esprit.
La loi ordinaire est que l'esprit de l'homme, pour ce qui regarde les choses de la foi, soit illuminé par l'action de quelque agent visible, par exemple, par la parole des prédicateurs sacrés ou bien par la lecture de livres instructifs. Or, il peut se faire que Dieu illumine l'esprit soit directement par lui-même, soit par le ministère de quelque ange, et dans ce cas, le miracle aurait lieu, miracle non de justification proprement dite, mais d'illumination.


La révélation de vérités naturelles est un miracle

Avec ce critère devant les yeux, on résoudra facilement cette autre question, à savoir, si les révélations faites par Dieu sont des miracles.
La réponse est facile : s'il s'agit de la révélation de vérités surpassant la capacité de l'intelligence humaine, il n'y a pas là de miracle, ces vérités ne pouvant, dans l'état présent, être manifestées à l'homme d'une autre manière. S'agit-il, au contraire, de la manifestation de vérités de l'ordre purement naturel, alors une telle révélation est vraiment miraculeuse, puisque l'homme peut apprendre, par les seules forces de son intelligence, bien que difficilement, les vérités appartenant à l'ordre dans lequel il se trouve. « Parfois, dit saint Thomas, Dieu instruit miraculeusement par sa grâce quelques hommes sur les vérités qui peuvent être connues par la raison naturelle, comme parfois encore il fait miraculeusement des choses que la nature peut elle-même produire[254].


La vision béatifique n'est pas un miracle proprement dit

Les considérations que nous venons de faire sur la révélation, nous amènent à parler de la vision béatifique, laquelle consiste formellement en ce que l'esprit créé, angélique ou humain, est informé ou possédé, non par une lumière divine quelconque, mais par la lumière incréée et subsistante par elle-même, lumière qui est Dieu, Un et Trine, lequel devient à la fois terme et moyen de la connaissance des bienheureux. Il n'y a pas lieu de s'émerveiller si nous disons que la vision béatifique possède, avec l'Incarnation, une étroite affinité, étant dans l'ordre idéal ou logique, quelque chose d'analogue à ce qu'est l'Incarnation dans l'ordre réel et ontologique.
Il faut toutefois observer, entre l'Incarnation et la vision béatifique, les différences suivantes. Premièrement, l'union de Dieu avec l'homme dans l'Incarnation, se vérifie dans une seule nature humaine individuelle, tandis que, dans la vision béatifique, cette union a lieu dans le cas de tous les bienheureux. De plus, par l'Incarnation, seule la personne du Verbe peut être appelée homme, l'union de Dieu avec la nature humaine étant faite en personne, tandis que dans la vision béatifique, non seulement le Verbe, mais aussi le Père et le Saint-Esprit deviennent en quelque manière, c'est-à-dire intellectuellement, ou intentionnellement l'homme ou l'ange. Finalement l'Incarnation s'étant accomplie dans une personne divine, il en résulte nécessairement que tout ce qui est dans la nature humaine appartient hypostatiquement à Dieu. Par conséquent, le corps avec toutes ses parties et l'âme avec toutes ses facultés sont, dans le Christ, choses de Dieu, de même que toutes les opérations de ces parties ou de ces facultés. Au contraire, dans la vision béatifique, l'union intime et formelle de Dieu avec notre intellect laisse intacte notre personnalité ; d'où il suit que les opérations intellectuelles accomplies grâce à cette union ne sont pas de Dieu, mais demeurent formellement nôtres. Il reste donc avéré que l'Incarnation est supérieure, comme œuvre divine, à la vision béatifique, laquelle pourtant ne se peut dire miracle au vrai sens du mot, sinon lorsqu'elle a lieu hors du cours habituel, comme dans le cas de Moïse et de saint Paul[255].


Comparaison entre les œuvres merveilleuses de Dieu

Après avoir considéré les œuvres merveilleuses accomplies par Dieu, il ne sera pas inutile de les comparer entre elles, afin de déterminer la grandeur de chacune d'elles.
En premier lieu, nous pouvons comparer le miracle eucharistique avec les divers changements produits par la nature. Ceux-ci, avons-nous dit, peuvent être substantiels ou accidentels, ces derniers se vérifiant de trois manières, c'est-à-dire, selon le lieu, selon la quantité et selon la qualité. Or, il est évident que les mutations substantielles surpassent essentiellement les accidentelles et, parmi celles-ci, la mutation locale a la primauté ; vient ensuite celle d'augmentation et finalement celle d'altération.
Au-dessus des mutations naturelles, viennent les mutations extraordinaires ou surnaturelles, mais ainsi ordonnées que celles où le sujet n'a pas d'autre puissance que la puissance obédientielle par rapport à la forme qu'il doit revêtir, sont plus grandes que celles où le sujet est en puissance naturelle, bien que non immédiate. Ainsi, le changement de l'eau en vin est un miracle moindre que celui de la formation d'un corps humain de l'argile de la terre, ou bien d'une côte d'un homme, telle la formation d'Ève de la côte d'Adam. L'eau, en effet, par un processus naturel assez long, est par elle-même apte à se transformer en vin ; au contraire, il ne peut y avoir, dans la terre ou dans une côte humaine, une puissance naturelle à devenir un corps animé par une âme raisonnable. Toutes les mutations, que nous pouvons appeler formelles, sont donc surpassées par cette mutation ou mieux conversion, laquelle pénètre jusque dans l'essence même de la matière et que, par conséquent, nous appelons transsubstantiation.
Il faut cependant reconnaître que dans la transsubstantiation, on rencontre une certaine puissance obédientielle, puissance d'un autre ordre, il est vrai, que celle que nous trouvons dans les mutations formelles miraculeuses. Dans ces mutations, en effet, il y a une puissance obédientielle à recevoir une forme déterminée ; mais dans la conversion eucharistique, qui est proprement substantielle et non seulement formelle, il y a une puissance obédientielle, ordonnée à ceci que cette substance se convertisse en celle-là. Si donc, nous avons une opération divine, dans laquelle ne se trouve aucune puissance, pas même obédientielle, cette opération sera plus grande encore que la transsubstantiation elle-même. Cette opération est précisément la création, par laquelle la matière tout entière est produite du néant, bien que la création ne puisse s'appeler, ainsi que nous l'avons démontré[256], un miracle proprement dit.
Au-dessus de la création, pour ce qui concerne le terme ou la quantité de l'œuvre, nous devons placer la justification, c'est-à-dire la sanctification de la créature raisonnable par le moyen de la grâce. La raison en est que le bien auquel la créature est élevée par la justification, lequel bien est la grâce divine, surpasse infiniment toutes les forces, tous les désirs et toutes les espérances de la création. Malgré cela, si l'on considère le mode d'agir ou de produire l'effet, la création est plus grande que la justification, puisque celle-là ne s'appuie sur aucun sujet, tandis que dans la justification, l'âme est le sujet de la grâce par rapport à laquelle elle est en quelque sorte en puissance. Mais la justification, ainsi que la création, n'est pas en elle-même, nous l'avons dit, un miracle proprement dit.
Quant à l'Incarnation, nous devons dire que, considérée par rapport à son terme, qui est l'union de la nature humaine avec la personne divine, non seulement elle est un vrai miracle dans le sens strict du mot, mais, comme miracle, elle est une œuvre plus grande que la transsubstantiation elle-même. Car, ainsi que l'observe le Docteur angélique[257], « en ce qui concerne le terme de la mutation, celle qui se vérifie dans l'union de la nature humaine à la personne divine, surpasse toutes les autres en difficulté ; c'est pourquoi l'Incarnation est le miracle de tous les miracles ».


Une œuvre qui n'est pas un miracle peut surpasser en grandeur une œuvre qui en est un

De tout ce que nous avons expliqué, il résulte que le cas peut se présenter où une œuvre divine soit, comme œuvre, plus grande qu'une autre, et toutefois, comme miracle, qu'elle soit plus petite. La création et la justification de l'impie sont certainement des œuvres plus grandes que la guérison instantanée d'un malade terrassé par la fièvre ; pourtant, comme miracle, celle-ci surpasse celle-là. Car la grandeur des œuvres divines se rend manifeste par leur noblesse et leur excellence et parce qu'elles mettent davantage en relief la puissance divine ; dans les miracles, au contraire, on s'en tient principalement à l'excès de l'œuvre sur la puissance créée de la nature ; c'est-à-dire, ce que l'on considère est la grandeur des dérogations faites au cours habituel de la nature.
Il peut donc très bien se faire qu'une œuvre qui n'est pas un miracle, surpasse une autre œuvre qui en soit un, précisément parce que, dans une telle œuvre, la puissance divine se manifeste davantage, bien que dans sa réalisation aucune dérogation aux lois naturelles n'ait lieu. D'autre part, des effets de peu d'importance, comme par exemple, le flottement d'une hache sur l'eau [258] ou la flagellation d'Héliodore par l'ange dans le temple[259], sont des miracles étonnants, précisément à cause des dérogations extraordinaires aux lois de la nature qui se vérifient dans ces effets. C'est ce à quoi faisait allusion saint Augustin quand, prenant occasion de la multiplication des pains par Jésus-Christ, il disait: «C'est un plus grand miracle de gouverner l'univers que de rassasier cinq mille hommes avec cinq pains. Et cependant le premier fait n'excite aucun émerveillement : au contraire, les hommes admirent ce dernier fait, non parce qu'il est plus grand, mais parce qu'il est rare.[260]»
Remarquons que c'est dans un sens équivoque que saint Augustin appelle ici miracle le gouvernement du monde.


But des œuvres merveilleuses de Dieu

Voici donc comment Dieu, à qui toute la nature est soumise et dévouée, et qui, comme le dit l'Écriture, se joue dans l'univers[261], a voulu manifester aux hommes la puissance de sa droite. Mais dans quel but, demandera-t-on, a-t-il voulu multiplier dans le monde, avec une telle munificence, des œuvres si merveilleuses et dépassant à un tel point les forces de la nature ? La seule réponse à faire à cette demande est que Dieu a voulu accomplir tous ces miracles pour sa gloire d'abord, puis pour l'amour qu'il porte à l'homme. La gloire divine et le salut du monde, voilà la suprême raison de la création, de la justification, de l'Incarnation, de la vision béatifique et de l'institution du très Saint et très auguste Sacrement de l'Autel.
Mais qu'est-ce donc que l'amour ? L'amour, dit l'auteur du livre des Noms Divins[262], est une force, qui est en même temps unitive et concrétive. Que signifient ces mots ? On dit, tout d'abord, que l'amour est une force unitive, car, aimer signifie vouloir du bien à quelqu'un. C'est pourquoi en disant que nous nous aimons, nous signifions que nous nous voulons du bien, et ce bien justement nous cherchons à nous l'unir autant que nous le pouvons ; nous cherchons, s'il était possible, à nous identifier avec lui : voilà comment l'amour est appelé une force unitive.
Que veut-on dire ensuite en affirmant que l'amour est une force concrétive ? Quand l'objet de l'amour, au lieu d'être nous-mêmes, est notre prochain, il faut alors, si cet amour est vrai, qu'à celui-ci nous voulions du bien, et ce faisant nous agrégeons en quelque sorte notre prochain à nous-mêmes, nous comportant envers lui comme nous nous comporterions envers nous-mêmes ; et c'est ce qu'on entend quand on dit que l'amour est une force concrétive[263].
Appliquons ces notions aux œuvres merveilleuses dont nous avons parlé. Il n'y a aucun doute que toutes les œuvres divines tirent leur origine de l'amour, et que, dans l'amour également elles aient leur complément. En tant que Dieu se veut du bien à lui-même, toutes ses œuvres sont dirigées à Lui, non pas pour qu'il lui soit ajouté quelque chose, puisqu'il est infini, mais afin que sa gloire soit manifestée, et c'est là que se vérifie la vis unitiva de l'amour divin. En tant que Dieu nous veut du bien à nous, ces œuvres sont dirigées à notre avantage, dans ce sens que Dieu se comporte envers nous comme il se comporte envers lui-même ; et c'est en cela que consiste la vis concretiva du divin amour. Or, quel est le terme de cette vis concretiva ? C'est précisément notre union avec Dieu lui-même. Les dons qu'il veut nous procurer et qu'il nous a réellement procurés au moyen des œuvres merveilleuses de sa droite, sont tous ordonnés à resserrer les liens de notre union avec Lui. Voyons maintenant de quelle manière les œuvres énoncées plus haut nous unissent intimement à Dieu.


Comment les œuvres merveilleuses de Dieu sont-elles ordonnées à parfaire notre union avec lui

Pour commencer par la création, au moyen de laquelle nous avons reçu notre être, nous trouvons en elle le principe fondamental de notre union avec Dieu, en tant que cet être que nous avons n'est qu'une participation de l'être divin, par laquelle nous pouvons nous élever à la connaissance et à l'amour du Créateur. Toutefois, cette union n'est autre chose qu'une union naturelle, à laquelle participent également, chacune à sa manière, les créatures inférieures ; union qui n'arrive pas jusqu'à l'essence de Dieu, car la Trinité, qui est l'essence même de Dieu, est entièrement au-dessus de tout l'ordre des choses créées.
Pour que nous pussions être intimement unis à Dieu, il était nécessaire que nous fussions élevés à l'ordre surnaturel, c'est-à-dire à une participation d'amitié avec la très Sainte Trinité, participation qui imprime sur notre âme un sceau divin et la rend capable de s'approcher de Dieu, et de s'unir à lui au moyen d'une connaissance et d'un amour divin, ce qui se vérifie par la justification, grâce à laquelle l'esprit connaît Dieu en lui-même et l'aime, également en lui-même, d'un pur amour.
Cependant, au-dessus de cette union d'opération resplendit l'union personnelle de Dieu avec l'homme, accomplie dans l'ineffable mystère de l'Incarnation. Cette union, pour la raison même qu'elle rapproche, au plus haut degré possible, la nature humaine de Dieu, devient la plus haute expression de l'amour déifiant. C'est pourquoi nous appelons avec raison Jésus-Christ notre Seigneur, l'homme idéal, sur lequel doit se modeler quiconque désire s'unir intimement à Dieu. Et non seulement l'Incarnation représente le degré le plus sublime de l'union de l'homme avec Dieu, mais, en outre, elle constitue elle-même le principe de cette union pour les autres hommes, tous les dons de foi et de grâce nous étant originairement départis par Jésus-Christ, Homme-Dieu.
Cette union, commencée pendant cette vie par le moyen de la grâce, s'achèvera pour nous dans le ciel par la vision béatifique, alors que nous verrons Dieu face à face. Dieu sera alors en même temps l'objet et le moyen de notre vision, l'objet et le moyen de notre amour. Par conséquent, cette union, commencée dans le ciel, ne pourra jamais cesser d'exister, étant nourrie et alimentée par un Dieu intimement uni à nous, plus intimement que notre âme ne l'est actuellement à notre corps, plus intimement que la forme du diamant n'est unie à la matière précieuse dont il est composé.
Quelle miséricorde est celle de Dieu, qui a voulu se faire homme pour déifier sa créature : déification commencée par la grâce, scellée dans l'Incarnation pour l'humanité en général, et dans l'Eucharistie pour chacun de nous, complétée et achevée dans la vision béatifique !
Notre union avec la divinité dans le ciel sera donc indissoluble, parce que le sceau de cette union sera Dieu lui-même, Dieu qui, par sa présence d'infinie bonté et d'infinie majesté, remplira l'esprit des Bienheureux, en se faisant voir à eux dans sa propre lumière incréée[264].
Sur terre, le sceau de notre union avec Dieu est aussi Dieu lui-même ; toutefois, nous ne le voyons pas à découvert, mais caché derrière les merveilleux effets qu'il produit dans l'ordre surnaturel. Ce sceau de l'union de notre âme avec la Divinité deviendrait indissoluble, si notre condition de voyageurs ne nous empêchait de voir face à face ce même Dieu, que nous possédons par la grâce et que nous recevons dans l'auguste Sacrement de l'Autel.


La très sainte Eucharistie, lien d'union intime avec la divinité

Nous avons parlé de la très Sainte Eucharistie, lien incomparable qui nous unit intimement à la divinité. En réalité, la sainte Eucharistie est un aliment si délicieux et d'une telle suavité, que non seulement elle empêche que ne se rompe notre union avec Dieu, mais encore elle fait vivre notre âme de la vie divine elle-même. « Je vis, mais non plus moi, disait saint Paul[265], mais c'est le Christ qui vit en moi.» De sorte qu'il est impossible que nous nous séparions jamais de Dieu tant que nous ferons notre nourriture de cet aliment céleste qui possède toutes les douceurs. L'Eucharistie est un gage solennel de vie immortelle et bienheureuse[266]. C'est ce que dit Notre Seigneur lui-même : «Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et je demeure en lui»[267] ; et encore : « Celui qui me mange vivra aussi par moi» [268] ; et enfin : «Qui mangera de ce pain vivra éternellement.»[269]
Quelle utilité pour l'esprit, quelle douceur pour le cœur de considérer attentivement les merveilles eucharistiques à la lumière de la philosophie chrétienne et en rapport avec les autres œuvres de Dieu !
Cette étude, tout en nous enlevant ce sentiment de vaine estime de nous-mêmes, qui est à la racine de tout péché, nous portera en même temps à louer et à magnifier Celui dont les œuvres sont belles et variées au delà de toute expression. Et non seulement nous nous sentirons portés, en voyant les œuvres de Dieu, à en exalter la grandeur, mais, en particulier, notre cœur s'enflammera d'un très pur et très ardent amour envers Dieu qui, étant infiniment bienheureux en lui-même, et n'ayant besoin de rien, a voulu néanmoins répandre dans l'univers les merveilles de sa toute-puissance, et cela afin que nous puissions être unis à Lui, source de toute beauté et de toute félicité, et que nous chantions éternellement ses infinies miséricordes[270]: «Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur.»



CHAPITRE X - LE RÉTABLISSEMENT DE LA SANTÉ PAR L'EXTRÊME-ONCTION EST-IL UN MIRACLE ?

Importance de la question

C'est une vérité de foi hors de doute, que l'Extrême-Onction a pour effet secondaire le rétablissement de la santé corporelle aux malades, si le Seigneur le juge utile pour le salut éternel de l'âme.
Saint Jacques nous l'enseigne quand, parlant précisément de ce sacrement, il écrit : « Le Seigneur soulagera (le malade) »[271]. Le saint Concile de Trente dit aussi expressément que, en vertu de ce sacrement, le malade «obtient parfois la santé du corps, quand cela est utile à la santé de l'âme »[272].
Les choses étant ainsi, un doute naît spontanément : doit-on considérer une guérison obtenue de cette sorte par l'Extrême-Onction comme un effet naturel ou bien comme un véritable miracle ? Et si c'est un miracle, comment pourrait-on en discerner la propre nature, au cas où, comme cela se produit souvent, l'on aura adressé des prières spéciales à quelque Saint pour obtenir de Dieu miraculeusement la guérison du malade ? Si le malade a déjà été muni de l'Extrême-Onction, à quelle cause devra-t-on attribuer sa guérison, au Sacrement, ou à l'intervention immédiate de Dieu déterminée par les prières faites dans ce but ?
La question prend une importance encore plus grande et présente aussi une difficulté plus sérieuse, si l'on considère que l'Église admet souvent de telles guérisons miraculeuses pour établir son jugement sur la sainteté des serviteurs de Dieu dont les procès de béatification ou de canonisation suivent, devant ses tribunaux, leur cours régulier.
Pour mettre davantage en relief le doute qui nous occupe, nous pouvons demander, étant donné que des guérisons extraordinaires peuvent être obtenues par la vertu attachée au Sacrement de l'Extrême-Onction, comment pourra-t-on distinguer les guérisons dues à l'intercession du serviteur de Dieu précédemment invoqué, de celles qu'il faut attribuer à l'efficacité du Sacrement lui-même ? En d'autres termes, une double question se présente à notre esprit : d'abord, les guérisons opérées par la vertu de l'Extrême-Onction sont-elles des miracles véritables et proprement dits ; en second lieu, en supposant qu'elles soient de véritables miracles, comment peut-on les distinguer des guérisons opérées par l'intercession des Saints ?
L'examen de ces questions n'est pas à prendre à la légère. Car, si, généralement parlant, ce n'est pas chose facile de discerner les œuvres miraculeuses des effets de la nature, les difficultés croissent dans le cas présent, étant donné que l'on ne comprend pas clairement quelle est la nature de cette vertu thérapeutique attribuée à l'Extrême-Onction.


En quel sens dit-on que l'Extrême-Onction possède la vertu de rendre la santé du corps ?

Pour commencer par le premier doute, il est nécessaire avant tout, d'examiner en quel sens l'on dit que l'Extrême-Onction possède la vertu de rendre au malade la santé corporelle. La solution de ce doute nous aidera à résoudre la question de savoir si cet effet peut se comparer aux miracles opérés sur des malades par l'intercession des Saints.
Pour bien comprendre la réponse que nous donnerons, il faut tout d'abord observer, avec saint Thomas, que, dans les guérisons ordinaires, l'agent principal dans l'acte de rendre au malade la santé corporelle, est la nature elle-même ou bien les forces de la nature, d'où procède cet effet ; tandis que les remèdes opèrent seulement comme instruments de la nature[273].
Ceci dit, remarquons bien que, selon les prescriptions de l'Église, on ne doit administrer le Sacrement de l'Extrême-Onction que dans les cas de maladies graves ou dangereuses. Or, de deux sortes peuvent être ces maladies graves ou dangereuses. Dans les unes, la nature n'est pas encore rendue incapable de s'assimiler les remèdes administrés au malade, et peut ainsi, en réalité, s'en servir comme d'instruments pour rendre la santé perdue ; dans d'autres maladies, au contraire, la nature est tellement affaiblie, qu'elle ne possède plus cette force, auquel cas on dit que la maladie est mortelle, car il n'y a plus, naturellement parlant, d'espoir de guérison chez le malade. Pour le guérir, il faudrait, dit-on, un véritable miracle, et même, ajoutons-nous, un miracle de seconde classe, qui a lieu quand une forme est introduite dans un sujet naturellement incapable de la recevoir.
La question posée se réduit par conséquent à ces termes : l'Extrême-Onction peut-elle rendre la santé corporelle dans ces deux cas, ou bien seulement dans le premier cas, c'est-à-dire quand le malade, bien qu'il soit en danger de mort, n'est cependant pas tout à fait dans un état désespéré ? Ceci posé, le rétablissement de la santé produit ainsi par la vertu du Sacrement, pourra-t-il être appelé un effet vraiment miraculeux, de telle sorte que l'on puisse le comparer aux miracles de troisième classe qui ont lieu, avons-nous dit, quand la nature peut produire ces effets, mais non de cette manière, ni par les moyens observés dans la production du miracle ?


Rétablissement de la santé corporelle par le moyen de l'Extrême-Onction, lorsqu'il y a encore quelque espérance de vie chez le malade

Pour commencer par le premier des deux cas ci-dessus exposés, à savoir : quand il reste encore chez le malade quelque espoir de santé, c'est-à-dire quand la nature conserve encore assez de force pour pouvoir se servir des remèdes administrés, le rétablissement de la santé, en supposant qu'on doive l'attribuer à l'Extrême-Onction et non aux remèdes, peut être appelé un véritable miracle de troisième classe.
Dans un tel cas, en effet, bien que la guérison ne soit pas instantanée, elle est cependant obtenue, comme on le suppose, par le moyen d'une cause qui n'est pas ordonnée Par la nature à cet effet. Cette cause est l'huile sainte, ou mieux son application sacramentelle, et ceci, disons-nous, est suffisant pour qu'il y ait un miracle, comme le serait la guérison des fièvres obtenue par un autre moyen que celui ordonné par la nature. Donc, bien que la nature puisse opérer une guérison de ce genre par l'emploi de remèdes convenables, si cette guérison s'opère au contraire, par la vertu du Sacrement, celle-ci sera un véritable miracle, soit que la guérison ait lieu instantanément, soit qu'elle s'opère avec lenteur, mais sans l'emploi des remèdes qu'un tel effet réclamerait naturellement, et supposé qu'une telle guérison ne soit pas l'effet de la nature, laquelle peut quelquefois guérir sans l'usage de certains remèdes.
Or, la nature, d'après ce que l'on suppose dans le cas présent, pourrait rendre la santé par l'emploi de remèdes convenables, ou, comme nous le disions, par elle seule ; toutefois, dans chaque cas, elle ne le fait que progressivement. C'est pourquoi, étant donné le cas où la guérison serait produite par la vertu du Sacrement, on aurait ici un miracle de troisième classe ; ce qui, absolument parlant, pourrait se vérifier de deux façons : premièrement, au cas où les remèdes étant employés, la santé serait rendue instantanément ; deuxièmement, au cas où elle reviendrait progressivement, mais sans les remèdes naturels et non par l'opération de la nature.
Nous savons cependant que l'Extrême-Onction, en rendant la santé corporelle, ne procède jamais instantanément, mais seulement graduellement, tout comme le ferait la nature elle-même, moyennant l'application de remèdes opportuns. C'est pourquoi si un malade récupère instantanément la santé, la guérison devra être attribuée à une cause qui ne sera ni la nature, ni les remèdes, ni le Sacrement ; c'est-à-dire à une intervention surnaturelle de Dieu, opérant miraculeusement. Que si la guérison s'obtient progressivement, mais sans les moyens naturels et seulement au moyen de l'Extrême-Onction, on aura également un miracle, un miracle, dis-je, de troisième classe.


Solution d'une difficulté

A ce qui vient d'être dit, savoir : que la guérison obtenue par le moyen de l'Extrême-Onction est un véritable miracle, on pourrait opposer que ce Sacrement est un moyen stable, régulièrement institué par Dieu pour produire un tel effet et que, par conséquent, cet effet ne se produit pas en dehors des règles établies et ne peut, pour cela, revêtir le caractère d'un véritable miracle.
Mais, si l'on examine bien la nature du miracle, dire qu'un effet est produit régulièrement par un moyen institué par Dieu dans ce but déterminé, n'empêche point qu'on ne puisse l'appeler un miracle dans le sens propre du mot. Nous en avons un exemple dans la Transsubstantiation et dans la libération des corps tourmentés par les mauvais esprits, libération effectuée par le moyen des exorcismes de l'Église. Personne, en vérité, ne niera que ces deux effets soient de véritables miracles, bien qu'ils soient régulièrement produits grâce aux moyens établis, par Dieu dans le premier cas, par l'Église dans le second.
La vérité est que, pour qu'il y ait vraiment miracle, il est formellement exigé, comme saint Thomas l'indique à maintes reprises, que dans l'objet sur lequel s'opère le miracle, il y ait un élément qui montre que l'effet devrait être produit différemment. En d'autres termes, il faut que la cause de cet effet, quel que soit le mode dans lequel cette cause a été instituée, soit, de par sa nature, disproportionnée avec la production de l'effet, Pour reprendre l'exemple déjà cité, les paroles du prêtre sont sans proportion avec le changement du pain et du vin au corps et au sang de Notre Seigneur qu'elles opèrent dans le saint Sacrement, et la même chose doit se dire par rapport aux prières de l'Église en vue de chasser les démons, bien que les paroles du prêtre, aussi bien que les prières de l'Église, aient été élevées au grade d'instruments pour produire ces effets déterminés, et non pas d'instruments quelconques, mais d'instruments infaillibles.
Nous disons donc que, de la même façon, l'huile des infirmes, même bénite, est de par sa nature disproportionnée à l'effet de rendre la santé, comme on peut le voir par ce fait que, en dehors du Sacrement, cette huile ne produit pas cet effet, et que, dans le Sacrement lui-même, elle n'est pas appliquée aux parties malades, mais aux sens qui peut-être n'ont nul besoin de traitement. Par conséquent, il est clair que cette huile, appliquée par le prêtre dans le Sacrement, revêt la nature ou la dignité d'instrument du pouvoir divin, étant incapable par elle-même de rendre la santé. En outre, cette huile ne produit l'effet indiqué qu'en tant qu'elle est soumise à l'action de Dieu, agent principal : ce qui veut précisément dire qu'elle est cause d'un miracle véritable.


L'Extrême-Onction administrée à un malade chez lequel il n'y a plus aucune espérance de vie

Voyons maintenant si l'Extrême-Onction peut rendre la santé à un malade désespéré, c'est-à-dire à un malade que la nature, même avec l'aide de toute la science médicale, est incapable de guérir.
Si l'Extrême-Onction pouvait, même dans un tel cas, rendre la santé, il s'ensuivrait que ce Sacrement pourrait produire un miracle de second ordre, lequel genre de miracle advient quand un sujet reçoit une forme à laquelle il n'est pas en puissance. Certes, Dieu pourrait, s'il le voulait, opérer un miracle de ce genre par le moyen de l'Extrême-Onction. Mais ce Sacrement n'est pas ordonné à ce genre d'effets, ayant été institué, comme nous l'avons dit, à titre de remède. C'est pourquoi il est recommandé aux prêtres de ne pas attendre, pour administrer ce Sacrement, que le malade soit dans un état tout à fait désespéré, et ceci non seulement pour ne pas le priver des biens spirituels qu'il pourrait obtenir en recevant le Sacrement en pleine connaissance, mais aussi pour qu'il ne soit pas tout à fait frustré de son effet secondaire, qui est précisément celui de rendre la santé corporelle[274]. Et c'est bien la raison pour laquelle nous disons que l'Extrême-Onction n'est pas ordonnée à rendre la santé à un malade chez qui il ne reste plus aucune espérance de guérison.


A quelle cause doit être attribué le rétablissement de la santé corporelle chez un malade muni de l'Extrême-Onction

Venons maintenant à la solution de la question qui forme le point central de l'étude présente, c'est-à-dire à quelle cause doit-on attribuer la restitution de la santé corporelle chez un malade muni de l'Extrême-Onction. Est-ce aux remèdes pris par le malade, ou aux prières d'un Saint invoqué précisément dans ce but ? D'autre part, comme nous n'avons pas toujours un critère suffisant pour juger si un malade est dans un état désespéré ou non, ne sera-t-il pas possible qu'une guérison, même de nature progressive, puisse être attribuée à l'intercession d'un Saint, tandis qu'en réalité elle pourrait être due à la vertu du Sacrement de l'Extrême-Onction ? On voit de suite l'importance de ce doute, en vue des guérisons invoquées pour procéder à la Canonisation des serviteurs de Dieu.
Pour résoudre cet important problème, nous ne pouvons guère recourir à la révélation, car le passage de saint Jacques, se référant à l'Extrême-Onction, tel qu'il est authentiquement interprété par le Concile de Trente, dit seulement que ce Sacrement donne aussi quelquefois la santé corporelle, c'est-à-dire au cas où Dieu le juge expédient à la santé de l'âme. Le Concile n'ajoute rien d'autre. Il ne nous reste donc qu'à recourir à l'analogie existant entre les deux effets attribués à l'Extrême-Onction, qui sont la restitution de la santé corporelle et le don de la parfaite santé spirituelle.


Comment le sacrement de l'Extrême-Onction rétablit-il la santé corporelle ?

Que l'Extrême-Onction ait été instituée comme remède, c'est ce qui résulte clairement des paroles mêmes du Concile de Trente[275]. D'autre part, saint Thomas a sur ce point des paroles qu'il ne sera pas inutile de rapporter ici. « Le sacrement de l'Extrême-Onction, dit-il[276], est employé comme remède de même que le baptême l'est comme ablution. Or le remède est ordonné à l'éloignement de la maladie ; c'est pourquoi ce Sacrement a été institué principalement pour guérir la maladie du péché. » Ailleurs il dit encore[277] : « Le sacrement de l'Extrême-Onction est une certaine cure spirituelle, qui est signifiée par un certain mode de cure corporelle. »
L'Extrême-Onction a donc la nature d'un remède, non seulement par rapport à l'effet spirituel, qui est la santé de l'âme, mais aussi pour ce qui regarde l'effet secondaire, qui est la restitution de la santé corporelle. C'est pourquoi du fait que nous connaissons la manière dont un remède naturel produit son effet, nous pouvons légitimement arriver à connaître le mode d'opération de cette médecine surnaturelle qu'est l'Extrême-Onction, toutes réserves faites, bien entendu, suggérées par la nature même des choses.


De quelle manière opère la médecine corporelle ?

Or, de quelle manière agissent les qualités salutaires contenues dans les remèdes corporels ?
A cette demande nous pouvons répondre tout d'abord que les dites qualités n'exercent aucune influence thérapeutique en celui qui a déjà perdu la vie, puisque, comme dit saint Thomas[278], « la médication présuppose la vie corporelle chez celui qui est ainsi soigné. »
Il est également nécessaire que le malade conserve encore un peu de vie, autant qu'il est nécessaire pour pouvoir s'assimiler ces qualités ou propriétés médicales, celles-ci étant, par rapport à la nature, ce qu'est l'agent instrumental par rapport à l'agent principal. Or, l'agent principal ne produit son effet qu'en tant qu'il meut l'agent instrumental, en l'appliquant à l'œuvre qu'il a pour but. Les remèdes corporels ne sont donc profitables qu'à ceux chez qui il subsiste encore quelque espérance de vie, c'est-à-dire chez ceux dont la nature possède encore assez de force pour se les assimiler. Chez ceux dont la vie est entièrement désespérée, ces remèdes ne sont, au contraire, d'aucune utilité, comme le prouve l'expérience de chaque jour.
Appliquons maintenant cette observation au sacrement de l'Extrême-Onction, premièrement en tant qu'il est une médecine spirituelle de l'âme ; deuxièmement, en tant qu'il tient lieu parfois de remède corporel.


L'Extrême-Onction fait fonction de médecine spirituelle et corporelle en même temps

Considérons en premier lieu l'Extrême-Onction comme remède spirituel. Il nous faut observer ici que, de par sa première institution, l'Extrême-Onction n'est pas ordonnée à la guérison spirituelle d'un homme privé de la vie de la grâce par le péché, soit originel, soit actuel-mortel. «De même que la médication corporelle, écrit saint Thomas[279], présuppose la vie dans celui auquel on l'applique, de même aussi la médication spirituelle présuppose la vie spirituelle. C'est pourquoi ce sacrement n'est pas conféré pour être un remède aux défauts qui enlèvent la vie spirituelle, c'est-à-dire contre le péché mortel, mais bien contre ceux qui rendent l'homme spirituellement malade, dans ce sens qu'il ne possède pas une vigueur parfaite, pour accomplir les actes de la vie de la grâce ou de la gloire. »
C'est pourquoi, si l'Extrême-Onction remet parfois le péché mortel, elle ne le fait pas directement, mais seulement par voie de conséquence, c'est-à-dire, dans l'absence du Sacrement qui, de sa nature, est ordonné précisément à la rémission du péché mortel, c'est-à-dire du Sacrement de Pénitence.
Observons, d'autre part, que si par rapport à la santé corporelle, la nature de l'homme est comme la cause principale, ceci ne se peut dire par rapport à l'effet spirituel du Sacrement de l'Extrême-Onction, les forces de la nature étant essentiellement disproportionnées à un effet de la grâce, quel qu'il soit.
Venons maintenant à l'autre effet de l'Extrême-Onction qui est la restitution de la santé corporelle. Rappelons avant tout que, de par l'institution de Jésus-Christ, le Sacrement de l'Extrême-Onction ne doit s'administrer qu'aux vivants. Mais, que l'on remarque attentivement que de même que le remède corporel opère par le moyen de la nature, ainsi c'est par le même moyen qu'opère la vertu thérapeutique jointe à ce Sacrement. L'Extrême-Onction n'est donc pas ordonnée à rendre la santé aux malades désespérés, chez qui la nature n'a plus aucune force pour s'assimiler la vertu que possède ce Sacrement. En réalité, comme la santé obtenue par le moyen de l'Extrême-Onction ne diffère pas spécifiquement de la santé obtenue par un remède naturel, ainsi l'Extrême-Onction elle-même ne peut agir comme remède corporel dans le cas où ce sacrement est administré à un malade vraiment désespéré.


Comparaison entre l'Extrême-Onction et la médecine corporelle

Un parallèle entre la médecine naturelle et l'Extrême-Onction, en tant que celle-ci tient lieu de remède tant spirituel que corporel, ne sera pas ici hors de propos.
Tandis qu'une substance médicinale quelconque est un remède corporel et rien de plus, l'Extrême-Onction, au contraire, est à la fois remède spirituel et remède corporel. Par rapport à son effet premier, l'Extrême-Onction est un remède surnaturel spirituel qui guérit les restes du péché ; par rapport à son effet secondaire, elle est un remède surnaturel corporel.
Ces différentes sortes de remèdes, c'est-à-dire le naturel et le spirituel tels qu'ils sont administrés dans l'Extrême-Onction, s'accordent en ceci que tous les deux possèdent une certaine vertu curative. Cependant, comme le but de l'Extrême-Onction, en tant que remède spirituel, lequel but est un effet spirituel, diffère du but non seulement du remède corporel mais aussi de l'Extrême-Onction elle-même considérée comme remède corporel surnaturel, dont l'effet est corporel, il s'ensuit que ces deux espèces de remèdes, le naturel et le surnaturel corporels, s'accordent avec le remède spirituel seulement analogiquement ; entre eux, ils s'accordent d'une manière univoque, parce que spécifiés par le même but, qui est la santé corporelle. Ils diffèrent cependant l'un de l'autre ; car, la médecine corporelle naturelle, considérée en elle-même, est une certaine substance d'où résultent naturellement des propriétés telles, qu'elles peuvent guérir l'homme de certaines maladies ; tandis que ce qui donne la santé corporelle dans l'Extrême-Onction est une substance déterminée, élevée à l'ordre surnaturel, c'est-à-dire, l'huile des infirmes, laquelle appliquée dans ce sacrement, possède surnaturellement la vertu de guérir, non pas d'une infirmité déterminée, mais bien de toutes sortes d'infirmités, pourvu que toutefois se vérifient les conditions que Jésus-Christ lui-même a déterminées et voulues.


De quelle manière la vertu thérapeutique réside-t-elle dans l'Extrême-Onction ?

Une question se pose : la vertu thérapeutique dont nous avons parlé en rapport avec l'Extrême-Onction, réside-t-elle dans ce Sacrement d'une manière permanente ?
A cette question nous devons répondre affirmativement, ainsi que nous autorisent à le faire les paroles suivantes de saint Thomas [280]: « La troisième raison pour laquelle l'huile des infirmes est consacrée est tirée de ce fait que son effet corporel, à savoir sa vertu curative, n'a pas pour cause la propriété naturelle de la matière ; et c'est pourquoi il faut que cette efficacité lui soit octroyée par la consécration ».
Il faut déduire de ceci que, de même que dans les substances naturelles réside constamment la vertu de guérir certaines maladies, de même cette vertu réside en permanence dans l'Huile consacrée. Ce qui pourtant ne doit pas s'entendre d'une manière absolue, mais sous réserve de la volonté divine, ainsi que nous l'avons dit. On ne doit pas non plus l'entendre de l'huile indépendamment du Sacrement, puisque cette huile n'exerce sa vertu, que lorsqu'elle est sacramentellement appliquée. C'est pourquoi, nous ne devons pas dire que cette vertu réside en permanence, à proprement parler, dans l'huile sainte, mais bien dans le Sacrement de l'Extrême-Onction, en ce sens que toutes les fois que ce sacrement est administré régulièrement, il doit produire cet effet, en dépendance cependant des dispositions divines quant au salut spirituel du malade, ainsi que nous l'avons déjà expliqué.
Nous disons que la vertu thérapeutique ne réside pas dans l'huile sainte indépendamment du Sacrement, c'est-à-dire de son application dans le sacrement. Il ne suffit pas, en effet, qu'un remède ait la vertu de rendre la santé; pour qu'il la rende actuellement, il faut encore qu'il soit convenablement appliqué. Or, par la volonté de Jésus-Christ, l'huile des infirmes n'est convenablement appliquée que dans le Sacrement. D'autre part lorsque deux choses sont tellement coordonnées entre elles, que l'une dépende de l'autre et non vice versa, on ne peut obtenir la seconde si ce n'est par le moyen de la principale. Or, les deux effets de l'Extrême-Onction, à savoir : la santé spirituelle et la santé corporelle, sont coordonnées et subordonnées entre elles, de telle sorte que celle-ci ne peut s'obtenir, si elle ne sert à celle-là. Il serait donc vain d'espérer que l'huile des infirmes produise l'effet secondaire auquel il est ordonné, si tout d'abord elle ne produisait l'effet premier, c'est-à-dire celui qui ne s'obtient que dans le Sacrement, la santé spirituelle[281].


Résumé de la question

Résumons en quelques mots ce que nous avons dit sur la vertu thérapeutique dont est douée l'Extrême Onction et sur la manière de distinguer les guérisons opérées par ce Sacrement de celles obtenues par l'intercession d'un saint.
Nous disons donc que l'Extrême-Onction, par rapport à son effet secondaire, qui est de rendre la santé corporelle, s'étend jusqu'à la dernière limite où peut agir un remède naturel, aux mains du médecin le plus habile ; mais sa vertu ne va pas plus loin, c'est-à-dire qu'elle ne peut atteindre, par la voie ordinaire, un effet qui équivaudrait à un miracle de second ordre, tel que serait la guérison d'une maladie désespérée.
C'est pourquoi l'Église, en reconnaissant les guérisons obtenues par l'intercession des Serviteurs de Dieu, n'a pas coutume de rechercher si le malade, étant donné qu'il se trouvait dans un état désespéré, avait reçu ou non le Sacrement de l'Extrême-Onction, car il est clair que, dans ce cas la guérison doit être attribuée à l'intercession du Serviteur de Dieu et non pas à l'Extrême-Onction , dont la vertu n'atteint pas, nous l'avons dit, les cas désespérés.
Que si la maladie était telle qu'elle n'enlevât pas toute espérance de guérison, il faudra rechercher si cette guérison a été obtenue soudainement ou progressivement. Si la guérison fut soudaine, nous avons là certainement un miracle attribuable aux prières du Serviteur de Dieu, car une telle guérison n'est due ni à la médecine naturelle, ni à l'Extrême-Onction, puisque ni l'une ni l'autre n'opèrent de cette façon.
Si la guérison fut obtenue progressivement avec l'usage des remèdes, c'est à ceux-ci qu'elle doit être attribuée ; si les remèdes ne furent pas employés, elle pourra également l'être à l'Extrême-Onction ou à l'intercession du Serviteur de Dieu. Toutefois, comme nous devons toujours préférer un moyen stable et ordinaire tel que l'Extrême-Onction à un moyen extraordinaire tel que l'intercession des Saints, nous devrions, dans ce cas attribuer l'effet plutôt au Sacrement qu'aux prières du Saint, à moins qu'on ne puisse l'attribuer à la nature elle-même, qui guérit quelquefois sans l'usage des remèdes, par exemple, dans le cas de sujets de constitution robuste.
Nous conclurons en fin de compte, que les guérisons miraculeuses obtenues par l'intercession des Serviteurs de Dieu, quand elles sont vraiment réelles, c'est-à-dire, quand elles ont eu lieu alors qu'il n'y avait plus, au point de vue naturel, aucune espérance de vie chez le malade, ou quand elles se sont vérifiées instantanément chez des malades qui n'étaient pas tout à fait désespérés, doivent être retenues comme des signes donnés par le ciel de la sainteté de ces Serviteurs de Dieu, expressément invoqués, et comme étant de véritables miracles, soit que les malades aient reçu l'Extrême-Onction, soit qu'ils ne l'aient pas reçue.



CHAPITRE XI - DE LA PUISSANCE DE DIEU DANS L'ACCOMPLISSEMENT DU MIRACLE

Possibilité intrinsèque et extrinsèque du miracle

Nous avons démontré, au cours des chapitres précédents, comment le miracle est une œuvre accomplie dans la créature, œuvre dépassant sa puissance naturelle passive ou même contraire à cette puissance ; nous avons ajouté que le miracle se produit en dehors de l'ordre habituel de toute la nature créée, et qu'il a pour but de rendre manifeste le gouvernement moral de Dieu dans le monde, pour ce qui regarde l'ordre surnaturel. Passant ensuite à examiner cette question : quel peut être l'agent inconnu de l'homme à qui l'on doit attribuer le miracle comme à sa propre cause efficiente, nous avons démontré que celui-là seul peut accomplir un miracle, à qui l'ordre universel des choses est immédiatement soumis.
Toutefois, ce que nous avons exposé jusqu'ici avait pour but de mettre en lumière la nature intrinsèque du miracle, plutôt que de traiter ex-professo de la cause efficiente per se, propre et proportionnée du miracle. En d'autres termes, la démonstration adéquate de la possibilité objective du miracle réclame que nous parlions aussi de la possibilité de trouver une cause agissante capable de le produire, puisque dans la question de la possibilité intrinsèque l'on ne peut faire complètement abstraction de la possibilité extrinsèque.
Il est cependant nécessaire que nous revenions sur ce point d'une façon explicite et que nous parlions en termes formels de la cause propre et proportionnée du miracle, c'est-à-dire de Dieu. L'ordre de la méthode que nous nous sommes imposée exige cette étude et, comme nous l'avons observé dès le début, la proposition de saint Thomas au chapitre 102 du livre troisième de la Somme contre les Gentils, c'est-à-dire que « Dieu seul peut faire des miracles », est à la base même de tout ce traité.
Nous devons donc démontrer comment l'accomplissement du miracle appartient en propre à Dieu, à Lui seul, à l'exclusion de toute créature, quelle qu'elle soit, comme cause principale. Mais, comme l'on peut et doit attribuer à la créature quelque efficience, comme cause ministérielle ou instrumentale dans la production du miracle, nous traiterons de ce point dans les chapitres qui suivent, où nous rechercherons jusqu'où peut s'étendre la causalité de la cause seconde dans la production des effets merveilleux accomplis par Dieu dans l'univers.


C'est à celui-là seul qui peut créer, qu'il appartient de faire des miracles

Venons aux arguments proposés par le Docteur angélique à l'appui de cette vérité[282].
Prenons comme exemple un miracle de seconde classe, c'est-à-dire un effet produit dans un sujet déterminé, effet vis-à-vis duquel ce dernier n'est pas en puissance, comme c'est le cas dans la résurrection d'un mort. Un cadavre n'est nullement en puissance d'avoir la vie, en puissance passive naturelle, disons-nous, laquelle, selon le Ferrarais[283], se définit et par l'acte naturel et par l'agent naturel ; car la puissance naturelle est celle qui regarde un acte d'ordre naturel et a pour principe actif propre et proportionné un agent de l'ordre naturel.
Or, tout agent qui exige dans son action un sujet déterminé, ne peut produire qu'une chose pour laquelle ce sujet est en puissance, parce que cet agent opère dans le sujet précisément pour le réduire de la puissance naturelle à l'acte naturel. Donc, toutes les causes qui dans leur action exigent un sujet déterminé sur lequel elles agissent, sont incapables d'un effet pour lequel ce sujet n'est pas en puissance. Telles sont toutes les créatures. Seul Dieu n'exige dans son action aucun sujet, parce que Lui seul, comme cause universelle, pénètre, par son action créatrice et conservatrice, jusqu'à l'être lui-même, non pas en tant que cet être est tel ou tel, mais en tant qu'il est être, c'est-à-dire, matière et forme. Il s'ensuit que de même que créer et conserver les choses sont proprement l'action de Dieu, de même aussi opérer en une chose ce qui n'est pas dans la puissance naturelle de celle-ci, est proprement une action divine[284].
Que Dieu n'ait besoin, pour agir, d'aucun sujet, mais qu'il pénètre directement par son action jusqu'à l'être en tant qu'être, est ainsi exprimé par un théologien moderne : « La matière, écrit le P. Lepidi[285], ou l'objet de la divine causalité, que les Saintes-Écritures appellent materia invisa[286], n'est pas la matière traitable dans laquelle, selon le dualisme philosophique, comme dans un sujet à présupposer à l'action de Dieu, Dieu marque l'empreinte de son art divin. Par matière nous entendons les choses possibles, lesquelles n'étant rien en elles-mêmes, sont cependant idéalement dans la pensée de Dieu, par la participabilité de la nature divine, et peuvent être produites par la puissance divine. »
Cette description, à proprement parler, ne se rapporte pas au miracle, mais plutôt à la création. Toutefois, le fait d'accomplir le miracle étant identique à l'actuation immédiate des choses possibles qui existent idéalement en Dieu, en partant de la puissance obédientielle du sujet, sans passer par les moyens par lesquels doivent passer les agents naturels, cette actuation immédiate, non moins que celle appartenant à la création par rapport aux choses possibles, est l'œuvre de Dieu seul. C'est ainsi que l'accomplissement du miracle peut être comparé avec raison à l'acte de créer.


Dieu n'a besoin d'aucun sujet dans ses actions

Arrêtons-nous un instant pour examiner comment Dieu, précisément parce qu'il n'a besoin d'aucun sujet pour agir, peut par cela même réduire n'importe quel sujet à n'importe quel acte.
Tout agent, dit saint Thomas, qui a besoin d'un sujet déterminé pour agir, ne peut faire que ce dont ce sujet même est en puissance. Or, un sujet déterminé n'est naturellement en puissance prochaine qu'à un acte déterminé, comme l'aliment n'est naturellement en puissance qu'à sa transformation en chair et en sang. Afin donc que ce sujet, par l'action d'un agent créé, puisse parvenir d'une puissance éloignée à un acte dernier, il faut qu'il passe par divers moyens. Ainsi l'aliment n'est pas en puissance à devenir de la chair, s'il ne devient d'abord du sang, et la vapeur d'eau n'est pas en puissance à devenir de la glace, si elle ne devient tout d'abord de l'eau. «Et ceci, dit le Ferrarais[287], vient du fait que la vertu qui, dans son action, requiert nécessairement un sujet, n'opère que ce à quoi ce sujet est en puissance, et conformément à la manière dont il est en puissance. Il est par conséquent nécessaire que la dite vertu réduise ce sujet à l'acte selon l'ordre des actes vis-à-vis desquels il est en puissance. Pour le réduire à un acte ultime, il faut que cette même vertu réduise d'abord le sujet aux actes intermédiaires, ce qui signifie opérer avec ordre par des moyens déterminés. »
Mais Dieu dans son action n'a besoin d'aucun sujet; aussi, de même qu'il peut immédiatement donner n'importe quel être à ce qui n'est pas, de même aussi il peut immédiatement réduire ce qui est à n'importe quel acte auquel le sujet est en puissance même très éloignée[288]. C'est ce que saint Thomas appelle mouvoir immédiatement la matière à la forme [289] : chose qui appartient en propre à l'agent, sous la puissance active duquel est soumise, sans jamais l'égaler, toute la puissance de la matière[290].


On confirme cette doctrine

Dans la question De Miraculis[291], saint Thomas use d'autres arguments, un peu moins directs, mais non moins efficaces, pour prouver qu'il appartient en propre à Dieu d'opérer en dehors du cours de la nature dans les effets particuliers.
Tout d'abord, il observe, contre les matérialistes, que Dieu est la cause des choses non seulement quant à la forme, mais encore quant à la matière, ce qui revient à dire qu'il est la cause de leur être.
Il rappelle, en outre, que la connaissance que Dieu possède est très parfaite, embrassant, en une manière propre à chacune d'elles, toutes les choses jusqu'à leur dernière différence et il ajoute que la divine Providence dispose tout jusqu'aux effets les plus insignifiants avec une souveraine sagesse.
Enfin il inculque ce grand principe que Dieu est un agent essentiellement libre, un agent qui opère comme il veut, quand il veut, ce qu'il veut, pour son plaisir, non par nécessité de nature.
Ces principes étant bien établis, il s'ensuit que Dieu, cause première et incréée, peut opérer en dehors du cours de la nature dans les effets particuliers, soit quant à l'être même de ces effets, soit quant à leur opération, laquelle suit l'être. Quant à l'être même, Dieu opère en dehors du cours de la nature, soit en introduisant dans les choses naturelles une forme nouvelle que la nature ne peut introduire, comme la forme de la gloire dans les corps des bienheureux, ou bien une forme nouvelle que la nature donne, mais non pas en un tel sujet, comme la vie chez un aveugle[292]. Quant à l'opération, Dieu opère également en dehors du cours de la nature, en faisant en sorte que les choses naturelles ne produisent pas les effets qu'elles sont destinées à produire, comme, par exemple, que le feu ne brûle pas, ainsi que cela eut lieu par rapport aux trois jeunes hommes dans la fournaise de Babylone[293], ou que l'eau ne coule pas, comme cela se vérifia au passage des juifs dans le Jourdain[294].


Conséquence qu'on en tire pour notre foi

Tel est donc le pouvoir que Dieu possède sur l'être des créatures et sur leur manière d'agir. En raison de ce pouvoir, nous n'hésiterons pas à croire que, de même que, par sa vertu toute puissante, il tira du néant tout cet univers, et que, par cette même vertu, il changea la matière la plus vile, le limon de la terre, la disposant à recevoir la forme la plus noble de ce monde visible, c'est-à-dire l'âme raisonnable, de même aussi il peut changer en un instant ce composé humain pour le porter de l'état d'infirmité à celui de santé parfaite ; bien plus, qu'il peut rappeler un cadavre, réduit en poussière dans sa tombe, à une vie nouvelle, jusqu'à l'élever aux ineffables communications de la gloire éternelle.
Nous admettrons de même sans aucune difficulté que Dieu peut, par sa vertu toute puissante, tirer d'une pierre informe des fils d'Abraham[295], ou faire en sorte qu'un homme participe à la subsistance même d'une personne divine, comme dans l'Incarnation.
Nous ne douterons pas davantage de la possibilité pour Dieu de produire, en dehors du procédé naturel, le pain qui sert à soutenir notre vie. En effet, de même que par divers procédés de nature et d'art, il nous procure le pain qui nous nourrit, de même aussi sans aucun processus naturel, mais seulement en vertu de son commandement, il le peut bien produire du néant, ou le former par le changement substantiel d'une vile matière[296]. Sur sa parole nous croirons fermement aussi que, par son ordre, il peut changer en vin très pur une quantité d'eau déterminée, comme il le fit aux noces de Cana[297]. Nous ne trouverons même aucune difficulté à admettre que par un changement instantané, qui n'a dans toute la nature aucun exemple, Dieu soit capable de changer le pain et le vin au Corps même et au Sang de notre divin Rédempteur[298]. L'ange ne dit-il pas, pour rassurer la Vierge Très Sainte, que l'annonce des mystères insolites qui devaient s'accomplir en elle, avait frappée de stupeur [299]: «Il n'y a rien qui soit impossible à Dieu ? »
Il faut observer toutefois que, selon l'enseignement de saint Thomas[300], ces formations miraculeuses advenues après la création ont préexisté dans la création même. Il faut dire par conséquent que, dans l'ordre de la nature, Dieu ne crée rien de nouveau, excepté les âmes humaines, que l'on peut dire cependant avoir préexisté selon leur ressemblance, dans celle d'Adam.


Il est permis de recourir aux moyens surnaturels, avant même d'avoir épuisé les moyens naturels

Une question se pose ici, à savoir s'il est permis de recourir aux moyens surnaturels avant d'avoir épuisé les naturels ? En réalité, il n'est pas rare d'entendre dire, même par des personnes jouissant d'une certaine autorité, qu'il ne faut jamais recourir aux moyens surnaturels, tant que les moyens naturels n'ont pas été épuisés.
Tout d'abord, s'il en était ainsi, il ne serait jamais permis de demander à Dieu qu'il fasse, en faveur d'un malade, un miracle de troisième classe, tel que la guérison de la fièvre sans le concours de la médecine, puisqu'un tel effet se peut très bien obtenir avec des remèdes humains opportunément appliqués. Naturellement, de telles demandes doivent être faites avec discrétion et avec foi. Ce serait tenter Dieu que de recourir à l'intervention divine uniquement pour se soustraire à la fatigue du travail. Mais, là où existe un motif suffisant pour le faire, on peut très bien recourir aux moyens surnaturels, même avant d'avoir épuisé les remèdes naturels, un tel recours étant en même temps un effet et un signe de foi vive dans la bonté et la toute-puissance de Dieu.


Les dérogations au cours de la nature sont ordonnées par Dieu en vue de l'harmonie de l'univers

Que ces dérogations à l'ordre accoutumé de la nature servent à mettre en relief la grandeur de la Providence divine, c'est ce qui apparaît d'après l'action même des éléments du monde qui, mus par le doigt de Dieu, peuvent varier leur opération, tout en conservant leur nature. C'est ce qui arrive lorsque l'eau n'éteint pas le feu ou s'arrête dans sa course, s'immobilisant comme une muraille et donnant passage à une armée, ou encore lorsque le feu ne fond ni la neige ni la grêle, comme nous lisons que cela arriva en Égypte, lors de la septième plaie, qui consista précisément en une pluie de grêle mêlée de feu[301]. Il en est ici comme au toucher d'un instrument de musique, d'une harpe, par exemple. L'on varie bien l'harmonie et l'accord de la musique en touchant l'une ou l'autre corde et cela à des endroits différents ; mais ceci n'empêche pas que chacune des cordes conserve le son qui lui est naturel.
Cette vérité est exprimée magnifiquement au livre de la Sagesse. « Car les éléments échangeaient leurs propriétés, comme dans le psaltérion les sons changent de rythme, tout en conservant le même ton. C'est ce qu'on peut voir clairement par les faits qui se sont passés. [302]»


Le fait que Dieu seul possède le pouvoir de faire des miracles comme agent principal n'empêche pas que les créatures n'y puissent coopérer comme instruments

C'est donc à Dieu seul, comme à la cause per se, cause propre et proportionnée, qu'il appartient de faire des miracles.
Mais la proposition que nous citions plus haut est exclusive. Nous disions, en effet, avec saint Thomas, que Dieu seul peut, comme agent principal, produire le miracle. Or donc, après avoir montré dans ce chapitre comment cette puissance appartient en réalité au Créateur, il nous reste à prouver, chose que nous ferons dans les chapitres suivants, qu'aucun autre agent ne possède une vertu capable d'une action semblable. Toutefois, comme une cause efficiente peut être, par rapport à l'effet, soit agent principal, soit simple instrument, cette question revêt un double aspect, selon que l'on désire savoir si quelque créature peut, dans l'accomplissement du miracle, devenir agent principal, ou tout au moins, si elle peut en être l'agent instrumental.
Nous examinerons la première question dans les deux chapitres suivants, renvoyant au chapitre quatorzième la solution de la seconde.
En attendant, nous clorons le présent chapitre par la citation suivante de saint Thomas qui, à notre avis, résume admirablement la doctrine que nous avons exposée jusqu'ici. « De même que la nature est limitée à un effet, dit-il[303], de même aussi elle est limitée à un mode déterminé de le produire. Mais la puissance surnaturelle divine étant infinie, n'est pas limitée à un effet et n'est pas davantage limitée à un mode déterminé dans la production d'un effet quelconque. C'est pourquoi, comme il a pu arriver que, par la vertu divine, le corps du premier homme fût formé du limon de la terre, de même il a pu se faire que le corps du Christ fût formé d'une Vierge sans le concours de l'homme. »



CHAPITRE XII - IMPUISSANCE DES ANGES A FAIRE DES MIRACLES COMME AGENTS PRINCIPAUX

Sens strict et sens large du mot miracle

De ce que nous avons exposé dans les chapitres précédents sur la nature du miracle et sa cause efficiente propre et proportionnée, il résulte que Dieu est, strictement parlant, l'unique cause capable de le produire. Car le miracle étant un effet en dehors de l'ordre particulier des causes, celui-là seul est capable de le produire, qui n'est limité à aucun ordre particulier, mais qui embrasse dans son action, tous les ordres particuliers et à qui est soumis, comme à son propre principe effectif, l'ordre universel de la nature.
En disant que Dieu est l'unique cause efficiente capable de produire le miracle, nous avons par là même exclu toute cause seconde, quelle qu'elle soit. Cependant la gravité de la question demande que nous nous arrêtions quelque peu sur ce point, surtout en vue des substances angéliques, bonnes ou mauvaises, dont la puissance naturelle est de beaucoup supérieure à celle de n'importe quel agent visible, et qui réalisent, en particulier de nos jours, des effets merveilleux au point d'entraîner les imprudents dans une déplorable erreur.
Cependant, avant d'aborder la question touchant la puissance que les substances séparées possèdent sur la matière corporelle, et les effets merveilleux qu'elles peuvent produire, il sera bien, pour rendre plus clairs les développements qui suivent, de rappeler la distinction fondamentale qui est à la base de toute cette étude, entre les miracles pris au sens étroit et ceux pris au sens large et impropre du mot. Les premiers sont des effets dont la cause est inconnue de tous, c'est-à-dire des effets dont la cause est Dieu, dont l'homme ne peut en cette vie connaître la nature. Les autres, au contraire, sont des effets dont l'homme peut connaître la cause bien que tous ne la connaissent pas, étant donné que beaucoup, soit par étroitesse d'esprit, soit par défaut d'instruction, sont en dehors du nombre de ces heureux mortels, qui peuvent relier l'effet à sa cause,

Felix qui potuit rerum cognoscere causas.

Que l'aimant attire le fer, qu'un poisson ait assez de force pour donner à celui qui le touche une secousse semblable à la secousse électrique, que l'aiguille d'une boussole suffise à déterminer les points cardinaux, que sous l'effet du froid succédant le soir à la chaleur d'une journée de canicule, des rochers énormes se brisent avec une forte détonation, ou bien que le sable du désert prenne, sous les rayons d'un soleil tropical, l'aspect d'une mer houleuse avec des promontoires mouvants, toutes ces choses ont pu sembler merveilleuses aux premiers naturalistes qui n'en comprenaient pas encore la nature et les qualités et, sans aucun doute, elles sont encore un objet de stupeur pour les sauvages de l'Afrique centrale. Mais de telles choses ne sont merveilleuses, ainsi que le remarque saint Thomas<;;;;;;ref>. 2, Dist. XVIII, Quaest. I, art. 3 etc,</ref>, que relativement à ceux qui en ignorent et la nature et la vertu. Par elles-mêmes, elles peuvent être comprises par une intelligence créée et, par conséquent, ne sont pas merveilleuses simplement et absolument, comme le sont au contraire, les choses faites en dehors de l'ordre de toute la nature finie, et par une vertu qui surpasse la connaissance de n'importe quelle intelligence créée.
« Toutes ces raretés, écrivait Boèce[304], que vante notre siècle et qui font l'étonnement du vulgaire, dès que se dissipe le nuage de l'erreur et de l'ignorance, cessent bientôt de paraître merveilleuses. »
Qu'au contraire, un homme marche sur les eaux comme s'il était sur la terre ferme[305], qu'il passe à travers des portes fermées[306], ou que, plein de gloire, il s'élève dans les airs[307], voilà ce qui éveille et éveillera toujours l'admiration de tous, car ces effets sont de ceux qui surpassent toutes les forces et toutes les lois de la nature connue. De plus, si ces choses, selon la juste observation du Cardinal Newman[308], étaient merveilleuses pour les Juifs, bien plus doivent-elles l'être pour nous, « les lois de la nature étant, aujourd'hui, mieux comprises qu'elles ne l'étaient autrefois et les vieilles fables sur le pouvoir magique des sorciers étant tombées en discrédit».
Le célèbre écrivain avait déjà dit dans le même sens[309] : «Tandis que par les découvertes faites en optique et en chimie on a eu raison d'une armée de miracles apparents, ces mêmes découvertes effleurent à peine les miracles des religions israélite et chrétienne. Il n'y a ici nulle fantasmagorie à dévoiler, pas d'analyse ou de synthèse de substances, pas d'embrasements, d'explosions et autres ressources habituelles de l'art du prestidigitateur. »
On voit d'ici combien perfide est l'observation de Jean-Jacques Rousseau [310] : «Jadis les prophètes faisaient descendre à leur voix le feu du ciel, aujourd'hui, les enfants en font autant avec un morceau de verre. Josué fit arrêter le soleil, un faiseur d'almanacs va le faire éclipser. Si les prêtres de Baal avaient eu M. Rouelle au milieu d'eux, leur bûcher eût pris feu de lui-même et Élie eût été pris pour dupe.»


Le spiritisme et les effets merveilleux auxquels il donne lieu

Mais, objectera-t-on, bien que le miracle soit une chose merveilleuse pour tous, toutefois l'expérience moderne prouve qu'il peut être produit par d'autres agents que par Dieu. Qui n'a entendu parler des merveilleux effets obtenus par le moyen de l'hypnotisme, du magnétisme ou encore par le spiritisme ? Que sont, en effet, la révélation de choses éloignées, la manifestation de secrets profondément cachés, la prédiction de l'avenir faite avec autant de précision que s'il s'agissait du présent, que sont toutes ces choses, sinon des œuvres entièrement merveilleuses ? Et cependant elles sont produites par le moyen d'agents secondaires. Au surplus, on avait cru jusqu'ici que Dieu seul pouvait agir immédiatement sur la volonté d'autrui en l'inclinant, selon son bon plaisir, à des actes déterminés ; maintenant, au contraire, les découvertes de la science moderne nous font voir que ce phénomène, que l'on pourrait appeler le miracle des miracles, est également, par le moyen de la suggestion, au pouvoir de l'homme.
Telles sont les raisons qui poussent beaucoup de personnes à considérer le miracle non pas comme l'œuvre de Dieu seul, mais comme un effet que la créature, en qualité de cause efficiente principale, peut également accomplir dans des temps et des circonstances déterminées.
Mais, si l'on y réfléchit bien, on verra que dans toutes ces œuvres merveilleuses, fruits de l'hypnotisme ou de la suggestion, on est amené à reconnaître la présence et l'action de quelque substance séparée ; et c'est précisément l'ignorance du pouvoir que l'ange possède sur la matière visible qui provoque l'erreur de croire que dans ces purs esprits, ou dans les créatures visibles dont ils se servent parfois, réside le pouvoir d'opérer des miracles.


Existence des Anges

Ce n'est que par la révélation que nous arrivons à connaître l'existence de substances séparées que nous appelons des anges. La nature visible n'est pas à même de nous renseigner suffisamment sur cette vérité, parce qu'aucun phénomène physique ordinaire n'a nécessairement, par rapport à ces substances, la. raison d'effet. C'est pourquoi saint Thomas, parlant de ceux qui nient l'existence des démons, n'hésite pas à écrire[311]: « Cette opinion provient de la racine de l'infidélité, ou de l'incrédulité, car ils ne croient pas que les démons existent, si ce n'est dans l'imagination du peuple. » L'existence des anges est, sans contredit, un dogme de notre foi.
Cependant, la nature nous fournit des arguments de grande probabilité en faveur de l'existence objective et réelle de ces purs esprits. Il est juste de noter comment le Prince des Philosophes, Aristote, bien que privé du bienfait de la révélation, a pourtant soupçonné et presque deviné le fait de l'existence de substances incorporelles créées, auxquelles appartient un pouvoir relativement grand sur la nature visible[312]. Mais nous, nous possédons la révélation qui fixe, d'une manière irrévocable, notre foi sur ce point.


Pouvoir des Anges sur la nature corporelle

Que les choses corporelles soient régies et gouvernées par les Anges, c'est le sentiment unanime des docteurs catholiques, dont saint Augustin s'est fait le porte-parole quand il a dit [313] : « A chacune des choses visibles de ce monde a été députée la puissance angélique. » A cette assertion font écho tous les philosophes qui ont admis l'existence des substances incorporelles. D'après eux, les choses corporelles sont régies par les Anges, non quant à la spécification du mouvement, mais quant à l'exercice de ce mouvement. La raison qu'ils en donnent est que le pouvoir particulier est régi par le pouvoir plus universel, comme le pouvoir des créatures, en général, est régi par le pouvoir de Dieu, de la même façon que la vertu du bailli est régie par celle du roi.
Cependant, la manière dont ces philosophes ont compris la présidence des Anges sur la nature corporelle ne fut pas uniforme. Elle varia suivant la façon dont chacun d'eux envisagea la nature de ces mêmes substances séparées.
Pour Platon, les substances immatérielles n'étaient autre chose que les raisons et les espèces des êtres corporels sensibles, les unes plus universelles que les autres, et toutes, selon le degré de leur nature propre, régissant les corps inférieurs en correspondance avec elles.
Aristote, au contraire, ne se contenta pas de cette explication touchant la nature des substances angéliques. Il comprit qu'il convenait de dire que les substances spirituelles sont quelque chose de plus noble, de plus spirituel, de plus universel, que ne sont les espèces des corps. C'est pourquoi il ne leur attribua pas la présidence immédiate sur les corps inférieurs qu'il voyait toujours agir selon l'opération naturelle pour laquelle l'influence des corps célestes majeurs est suffisante ; mais il attribua à ces substances séparées la présidence sur les corps célestes majeurs, sur les astres, les planètes, etc.
Au moyen-âge, le philosophe arabe Avicenne essaya d'une explication intermédiaire. S'éloignant de Platon il admit une seule substance séparée; d'autre part, se rapprochant d'Aristote, il voulut que cette substance ne fût pas une pure espèce, mais bien quelque chose de plus noble. Il l'appela l'intellect agent. Et tandis que, par ailleurs, il se retrouvait avec Platon en affirmant que cet intellect agent préside à toutes les choses, il s'éloignait en même temps d'Aristote qui déniait aux substances angéliques la présidence sur les corps inférieurs[314].
La doctrine catholique est qu'il existe des substances spirituelles en très grand nombre, que nous appelons des anges, qui sont spécifiquement distincts les uns des autres, tout en participant tous à la même nature incorporée.


L'Ange peut-il connaître les secrets des cœurs ?

Voyons maintenant jusqu'où s'étend la puissance de l'ange. Il est très important de préciser nettement ce point, aujourd'hui surtout, où nous voyons s'accomplir par l'opération des esprits de ténèbres, des œuvres si merveilleuses, qu'elles seraient capables, si cela était possible, d'induire en erreur, les élus eux-mêmes[315]. Nous allons donc examiner brièvement quel est le pouvoir naturel de l'ange, d'abord dans le règne invisible, c'est-à-dire sur les facultés mentales de l'homme, et ensuite, dans le monde visible, sur la matière corporelle.
Cherchons à savoir d'abord si l'ange peut naturellement connaître les pensées ou les affections de l'homme ?
Pour résoudre ce problème, il faut distinguer ce que nous appelons connaissance au sens formel et propre du mot, d'une certaine connaissance conjecturale, vague et indéterminée, qui consiste à raisonner, d'après certains signes extérieurs, sur des choses qui, par leur nature, sont invisibles en elles-mêmes.
Pour parler de cette seconde espèce de connaissance purement conjecturale, il n'y a aucun doute que les pensées de l'esprit et les affections du cœur peuvent naturellement être connues par l'ange. L'homme lui-même, surtout s'il est un observateur expérimenté, peut, à travers les gestes d'une personne ou les traits de son visage, déduire avec une certaine probabilité, quelles sont, en général, les pensées qui occupent l'esprit de son prochain. Certains médecins sont si habiles, qu'au seul toucher du pouls des malades, ils peuvent déduire, avec assez d'exactitude, si ces malades sont agités ou non par quelque grave préoccupation mentale. Or, ce que peut l'homme, l'ange le peut aussi, et même avec d'autant plus d'exactitude qu'il perçoit plus facilement tout changement pouvant advenir, tant au dedans qu'au dehors de l'organisme humain.
S'agit-t-il, au contraire, d'une connaissance claire et parfaite des pensées de l'homme, il faudra dire que l'ange, quel que soit son degré dans la hiérarchie céleste, ne peut les connaître, comme il ne peut connaître les mouvements de la volonté, non seulement chez l'homme, mais encore chez un autre ange, cette connaissance étant propre à Dieu seul. Car c'est à Dieu seul que la volonté de la créature raisonnable est soumise tout entière, puisque Dieu seul peut opérer en elle, étant lui-même son principal objet et sa dernière fin. C'est pourquoi Dieu seul connaît avec une souveraine précision, tout ce qui est caché dans les plis de notre esprit et de notre volonté, c'est-à-dire tout ce qui dépend de la seule volonté, telles que sont les pensées et les affections du cœur, lesquelles précisément dépendent de la volonté en tant qu'il est au pouvoir de celle-ci de penser ou de ne pas penser à un objet ou à un autre, de vouloir une chose ou d'en vouloir une autre[316].
Dira-t-on que l'ange peut former dans l'imagination de l'homme des phantasmes pour lui faire entendre, sous de telles similitudes, ce qu'il veut lui-même, [317] et qu'ainsi il pourra, par les phantasmes qui accompagnent toujours ici-bas les opérations de notre intellect, arriver à connaître ce que nous pensons et ce que nous voulons ?
A ceci on peut répondre, avec saint Thomas[318], que «les anges connaissent, il est vrai, les choses corporelles et leurs dispositions, et peuvent par cela même connaître ce qui est dans l'appétit et dans l'appréhension des animaux brutes ainsi que des hommes, en tant que chez ceux-ci, l'appétit sensitif procède en acte, en suivant quelque impression corporelle, comme cela arrive toujours chez les brutes. Mais il ne faut pas de cela tirer la conséquence que les anges connaissent le mouvement de l'appétit sensitif et l'appréhension phantastique de l'homme selon que ces facultés sont mues en acte par la volonté et la raison ; parce que la partie inférieure de l'âme participe elle aussi, en quelque façon, à la raison elle-même, de la même manière que le serviteur participe à l'autorité de son maître, quand il en exécute les ordres. Donc, bien que l'ange connaisse ce qui est dans l'appétit sensitif ou dans l'imagination de l'homme, il ne s'ensuit pas qu'il connaisse ce qui est dans sa pensée ou dans sa volonté, parce que l'intelligence et la volonté ne sont pas soumises à l'appétit sensitif et à l'imagination, mais ces facultés intellectuelles peuvent se servir différemment des facultés sensitives ».
Concluons donc que les anges, quels qu'ils soient, ne connaissent pas naturellement, de science propre et certaine, nos pensées et nos affections, conformément à ce que dit saint Paul [319] : « Qui parmi les hommes connaît les choses de l'homme, si ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui ? »


Comment l'Ange peut-il arriver à la connaissance de ce que nous pensons ou voulons ?

Si l'ange ne peut connaître, par l'inspection de notre imagination et de notre appétit sensitif, nos pensées et nos affections, comment pourra-t-il arriver à la connaissance de ce que nous pensons ou de ce que nous voulons ? Pas autrement, nous répondons, qu'il ne peut avoir la connaissance des pensées d'un autre ange, c'est-à-dire selon que celui-ci dirige, par un acte de sa volonté, les concepts de son propre esprit vers un autre ange déterminé. La volonté, en effet, meut l'intellect vers son opération, non seulement en tant qu'elle l'excite à considérer en acte ce qu'il connaissait déjà en habitus, mais encore elle le meut en tant qu'elle en ordonne et dirige la manifestation vers un autre individu. C'est là ce qu'on appelle en théologie, locution angélique ; car le langage des anges consiste uniquement à diriger leurs propres concepts vers d'autres anges pour les leur manifester[320].
Mais si l'ange peut ainsi manifester ses pensées à un autre ange, l'homme a-t-il la même faculté ? Il est certain que l'homme peut manifester d'une égale manière ses propres concepts à un ange bon et ami de Dieu, comme il peut le faire vis-à-vis de Notre Seigneur, de la Très Sainte Vierge et des Saints du Paradis, ceux-ci n'ayant pas besoin des phantasmes des choses matérielles pour comprendre, mais voyant toute chose immédiatement dans le Verbe. L'homme peut donc ainsi discourir avec son ange gardien, rien qu'en dirigeant vers lui sa volonté et son intellect. L'ange ne pourra cependant pas, vice-versa, dans l'état de la vie présente, manifester à l'homme ses propres pensées et ses propres affections, si ce n'est en excitant dans l'imagination de celui-ci des phantasmes tels que l'exige la condition de l'âme humaine dans l'état d'union avec le corps.
Le commerce intellectuel de l'homme avec les esprits est donc bien différent du commerce intellectuel des hommes entre eux. Pour que mon prochain connaisse mes pensées et mes affections, ou vice-versa, il ne suffit pas que je les dirige vers lui, avec la volonté de les lui manifester, ou que lui-même dirige vers moi ses propres pensées et ses affections. Il faut aussi que je les exprime par des paroles, parce que la masse de mon corps forme comme un mur qui empêche la communication intellectuelle, et les sens sont comme les fenêtres par lesquelles entre jusqu'à l'âme le rayon de la connaissance intellectuelle[321].
Après la mort, l'âme acquerra un mode de compréhension semblable à celui des esprits, et ainsi elle pourra converser avec eux, ou bien avec d'autres âmes séparées, de même que ces esprits et ces âmes conversent entre eux. Mais, dans cette vie, dit saint Grégoire[322], nous restons, aux yeux d'autrui, comme enfermés dans le sanctuaire de l'esprit, cachés derrière les parois de notre corps ; et, si nous voulons manifester l'intérieur de notre âme, nous devons sortir, pour ainsi dire, par la porte du langage, afin de nous montrer au dehors, tels que nous sommes au dedans.


Phénomène de télépathie, de suggestion et d'hypnotisme

Si l'on tient présente à l'esprit cette doctrine, on comprendra facilement les raisons de tous ces phénomènes de télépathie, de suggestion ou d'hypnotisme, qui ne cessent de se multiplier chaque jour, et par le moyen desquels tant de personnes malavisées sont entraînées dans l'abîme de la perdition. Tous ces phénomènes consistent plus ou moins dans la manifestation de choses tout à fait secrètes et qui, humainement parlant, ne se peuvent connaître au dehors. L'on révèle les secrètes pensées de personnes présentes ou absentes, l'on annonce des faits et des événements qui viennent à peine de se produire, même en des régions très éloignées et qui ne pourraient être connus par aucun moyen matériel à notre disposition[323].
Après ce que nous avons dit plus haut sur le commerce possible de l'homme avec les esprits, ainsi que des esprits entre eux, il ne sera pas difficile de comprendre comment toutes ces révélations ou manifestations des secrets des cœurs ne surpassent pas les forces de la nature, et pour cela ne sont pas des miracles proprement dits. On aura également la clef pour interpréter, comme il convient, la manifestation de choses occultes, telle qu'elle a lieu chaque jour en des proportions fort grandes, dans des pratiques connues sous le nom de télépathie, de psychotélépathie[324], de suggestion, de sympathie électrique, et autres choses semblables.
Il faut le reconnaître, car c'est une vérité incontestable, nous sommes tous entourés d'anges, bons et mauvais. Par le mouvement de notre volonté nous pouvons leur manifester nos pensées secrètes. Ils peuvent, de leur côté, se les communiquer mutuellement, même à grande distance, l'éloignement local ne faisant pas obstacle à la locution angélique, puisque l'opération intellectuelle des esprits fait abstraction du temps et de l'espace[325]. C'est ainsi que les esprits mauvais, présents aux réunions spirites, peuvent, soit par la formation de phantasmes dans l'imagination des assistants, soit par l'écriture ou des sons articulés, manifester ce qu'une personne même placée à une grande distance, peut actuellement penser ou vouloir, à la condition toutefois que cette personne, par un acte explicite ou implicite de sa volonté, consente à porter son attention vers les esprits. Et si la chose est possible par rapport aux pensées secrètes de l'homme, à plus forte raison le sera-t-elle des événements extérieurs, tels qu'un incendie, un tremblement de terre, la mort de quelque connaissance, une disgrâce subite ou une fortune inattendue.
Il était réservé à l'orgueil des matérialistes et des athées de nos jours, de donner par les évocations spirites et les phénomènes télépathiques dont nous parlons, une confirmation solennelle, non seulement de l'existence en général de substances angéliques séparées, mais spécialement de leur nature toute spirituelle, de leur connaissance et de leur pouvoir, tels précisément que la théologie catholique, par la plume de saint Thomas, les avait, longtemps auparavant, décrits avec une souveraine précision et la plus grande exactitude.
Ceci toutefois sera plus évident encore, si l'on recherche, comme nous voulons le faire maintenant, jusqu'où s'étend la puissance de l'ange sur la matière corporelle.


Puissance de l'Ange sur la matière corporelle

Après avoir examiné jusqu'où peut arriver la puissance de l'ange dans le monde invisible de la pensée, il nous faut maintenant rechercher quelles sont les limites de l'activité de l'ange sur les corps. L'ange peut-il, selon les données de la théologie, mouvoir la matière à la forme, c'est-à-dire changer substantiellement la matière ? Cette matière obéit-elle au commandement de l'ange, comme elle obéissait à celui de Dieu quand il se servit du limon de la terre, pour former le corps du premier père du genre humain ?
Ceux qui soutiennent la possibilité de la création par une puissance inférieure à celle de Dieu, pourront répondre affirmativement. Car, selon leur manière de voir, tout le composé, et quant à la forme et quant à la matière, serait soumis à la puissance d'un tel agent, qui, par conséquent, pourrait mouvoir n'importe quelle matière à n'importe quelle forme. Mais ceci est en contradiction non seulement avec la foi, mais encore avec les données de la saine philosophie.
Or, si l'on supprime cette puissance, nous allions dire : cette suprématie de la nature angélique sur la matière corporelle, il ne reste plus aucune possibilité pour l'esprit créé de transformer immédiatement la matière. Car, ce qui est produit par un tel changement n'est ni la forme, ni la matière, mais bien le composé. Or, étant donné le grand principe que l'effet doit ressembler à la cause, il s'ensuit que l'ange ne pourra jamais transformer immédiatement la matière, dissemblable comme il l'est, à cause de la simplicité, de n'importe quelle chose corporelle. Ceci ne pourra s'accomplir que par un agent corporel ou par Dieu. Dans le second cas, la transformation dont nous parlons n'aura pas lieu en vertu d'une ressemblance naturelle de l'agent avec l'effet corporel, Dieu étant un pur et simple esprit; mais elle s'accomplit en vertu du pouvoir suprême que Dieu possède sur toute la nature, c'est-à-dire sur la forme aussi bien que sur la matière[326].


L'Ange peut se servir du mouvement local pour produire des choses merveilleuses

Il faut remarquer toutefois que nous n'avons pas nié, d'une façon catégorique, que l'ange puisse transformer la matière ; nous avons dit seulement qu'il ne le peut d'une manière directe et immédiate. Il peut, en effet, mouvoir les corps localement, et par conséquent il peut s'en servir comme d'agents inférieurs ou d'instruments, pour produire des effets merveilleux, capables d'induire parfois en erreur les plus grands savants eux-mêmes.
C'est précisément ainsi que saint Thomas, et avec lui les anciens scolastiques, admettaient ce qu'ils appelaient génération spontanée, c'est-à-dire la génération d'animaux imparfaits produite de quelque substance en putréfaction, soit par la vertu du soleil, soit parcelle de quelque constellation. Selon le Docteur angélique, chacun des corps célestes est mis en mouvement par quelque intelligence séparée ; aussi attribue-t-il aux anges, comme à des causes principales, la production de ces animaux imparfaits. « Le corps, dit-il, étant un mouvant qui est mû, revêt la nature d'un instrument agissant par le pouvoir de l'agent principal, qui est l'ange. C'est pourquoi, par la vertu de son moteur, qui est une substance vivante, il peut produire la vie[327].» De là vient que, selon les anciens philosophes, l'intelligence angélique ne produisait ces animaux imparfaits que par le moyen des corps célestes ; et comme les scolastiques prétendaient que ceux-ci sont d'une matière différente de celle des corps terrestres, en conséquence ils enseignaient que par eux, comme des instruments équivoques, les anges pouvaient produire de tels animaux.
Mais il n'est pas nécessaire le moins du monde de recourir à une telle théorie, étant donné que la science moderne démontre qu'il y a dans les substances en putréfaction une infinité d'œufs ou de semences animales, qui n'attendent que les circonstances favorables pour se développer en acte.
Du reste, que les corps obéissent au commandement angélique quant au mouvement local, est une opinion communément reçue par ces mêmes philosophes anciens, qui assignaient comme cause immédiate du mouvement des corps célestes, les substances séparées.
La foi nous donne, de son côté, le même enseignement. Nous lisons dans la Sainte Écriture que le démon transporta Notre Seigneur au sommet d'une haute montagne, et de là sur le pinacle du temple, bien que cet esprit de ténèbres montrât en même temps son impuissance à changer les pierres en pain : «Si tu es le Fils de Dieu, disait-il en s'adressant à Notre Seigneur, commande que ces pierres deviennent du pain[328]. »
Et ceci ne manque pas de raison. En effet, de même que la divine Sagesse, au dire de l'auteur du livre de Divinis Nominibus[329], a réuni les termes des choses premières aux principes des choses secondes, de même la nature inférieure, en ce qu'elle a de plus élevé et de plus noble, est soumise immédiatemment à l'action de la nature supérieure. Or, ce qu'il y a de plus noble dans les corps est précisément le mouvement local ; car le mobile, pour ce qui regarde le mouvement local, n'est pas en puissance par rapport à quelque chose d'intrinsèque, mais seulement par rapport à quelque chose d'extrinsèque, c'est-à-dire par rapport au lieu. De là vient que les formes plus nobles, comme l'âme des bêtes et l'âme de l'homme, sont, dans les sujets qu'ils informent, principe de mouvement local ; toutefois, leur puissance limitée au corps qu'elles informent actuellement ne leur permet pas de mouvoir des corps séparés[330].
En conséquence, tandis que l'âme des brutes et celle de l'homme même ne peuvent mouvoir localement sinon les corps qui leur sont substantiellement unis, les Anges, au contraire, appliquant leur propre puissance au corps mobile, peuvent mouvoir n'importe quel corps par immédiation de suppôt, bien qu'ils ne soient unis à aucun corps en tant que suppôt.
C'est ainsi que nous lisons que le démon transporta dans les airs Simon le Magicien et de nos jours nous entendons souvent raconter comment, dans les réunions spirites, il arrive que la main de l'homme soit guidée comme par une force supérieure, pour retrouver les objets cachés ou perdus ; comment se mettent en mouvement des tables pesantes ; comment des maisons tremblent ou de fortes détonations se font entendre : toutes choses qui peuvent très bien être produites par les substances angéliques, mais que l'âme humaine ne peut pas accomplir, parce que, unie comme elle l'est à son propre corps qui est sa forme, elle ne peut mouvoir que celui-ci, et seulement quand elle l'informe actuellement. C'est ainsi que, après la mort, elle ne peut plus mouvoir son corps et même pendant la vie elle ne peut non plus donner le mouvement vital à un membre mort, bien que ce membre soit encore matériellement uni au corps[331].
Que l'âme humaine ne puisse mouvoir des corps séparés d'elle, peut encore se démontrer par le fait qu'en nous l'appétit supérieur, c'est-à-dire la volonté, ne meut que par le moyen de l'appétit inférieur ou sensitif[332], tout comme les corps célestes inférieurs sont mus par les corps célestes supérieurs [333] ; or, l'appétit sensitif étant lié au corps organique, il s'ensuit que la volonté ne peut être principe de mouvement que par rapport au corps qui est le sien[334].
Il sera bon, surtout pour expliquer les merveilleux effets produits par les démons et en particulier par les artifices du spiritisme, de rappeler combien est grande la connaissance naturelle qu'ont les Anges, même les mauvais, non seulement touchant la nature des choses terrestres, animées ou inertes, ou même en puissance prochaine de vie, telles que les semences des plantes et des animaux, mais aussi touchant la nature, les lois, les influences des astres, qui, selon les données de la foi, sont mus par les anges, comme s'exprime saint Thomas[335].
Or, bien que les anciens aient de beaucoup exagéré la vertu des corps célestes par rapport aux effets terrestres, il faut néanmoins reconnaître dans ces mêmes corps une influence certaine sur le règne végétal. Or les anges connaissant la vertu propre de chaque étoile, ainsi que les influences qui peuvent en provenir selon les combinaisons où les astres se trouvent ; il est donc clair qu'ils peuvent produire dans ce monde des effets très surprenants. C'est justement pour cela, observe saint Thomas[336], que les nécromanciens, dans leurs invocations diaboliques, observent la position des astres.
Ajoutons qu'un instrument, lorsqu'il est employé par l'agent principal, participe à la puissance de celui-ci, au point d'être élevé jusqu'à produire des effets qui lui sont de beaucoup supérieurs, comme lorsque la chaleur naturelle, qui est l'instrument de l'âme végétative, concourt à produire la chair de l'animal. C'est pourquoi, même les plus petites choses employées par ces êtres supérieurs que sont les esprits angéliques, peuvent produire des effets surpassant tout ce que l'homme peut imaginer[337].


Effets variés du spiritisme

En vérité, nous entendons souvent raconter des choses bien merveilleuses accomplies au cours de certaines réunions spirites par l'opération des esprits infernaux évoqués et mis en scène par les pontifes du spiritisme, appelés vulgairement médiums.
Plusieurs personnes s'étant réunies et se tenant par la main, de manière à former comme une chaîne ininterrompue autour d'une table, voient bientôt cette même table se mettre en mouvement, tournant rapidement, tantôt du côté droit, tantôt du côté gauche, s'inclinant en différentes directions et s'élevant et se déplaçant dans les airs. Bientôt le mouvement se communique aux sièges et aux meubles de la chambre, les objets en verre tombent sur le sol sans se rompre, des meubles très pesants s'élèvent jusqu'au plafond tandis que des objets par eux-mêmes très légers, deviennent exagérément lourds au point qu'il est impossible de les bouger. En même temps, on voit des portes, hermétiquement closes, s'ouvrir d'elles-mêmes et d'elles-mêmes se refermer, tandis que le médium, porté comme par enchantement dans l'air, sort dans la rue par une fenêtre qui s'ouvre spontanément pour lui laisser le passage, et rentre par une autre fenêtre qui d'elle-même aussi s'ouvre et se referme.
Tandis que ces phénomènes émerveillent les assistants, voici tout à coup sortir d'un instrument de musique, accordéon ou piano, une mélodie très suave, les notes mises en mouvement par des doigts invisibles, s'abaissant ou s'élevant d'elles-mêmes. Quelquefois encore cette musique sort de quelque boîte vide qui se trouve là par hasard, ou encore de la paroi, du plancher, etc.
Tantôt c'est un vent frais qui vient caresser le visage ; tantôt c'est une lumière très vive dont l'éclat n'a rien de commun avec les feux de Bengale, la lumière électrique ou aucune autre lumière connue.
Interrogés, les esprits donnent des réponses, souvent au moyen de coups conventionnels, quelquefois par des sons articulés ou encore par l'écriture. Un papier plié est déposé avec ou sans plume dans un coffre ; on le retire, et l'on trouve qu'il porte écrites les réponses aux questions posées ; parfois encore, sur la demande qui leur est faite, les esprits parlent des langues étrangères.
Mais ce qui suscite le plus l'admiration est ce que l'on nomme habituellement la matérialisation ou réincarnation des esprits. Non seulement on voit le médium tantôt grandir, tantôt diminuer considérablement de volume, mais encore sur un signe de lui, on voit subitement apparaître d'abord un membre du corps humain, puis un autre, jusqu'à ce que soit formé tout entier un être ayant parfaitement l'aspect et toutes les caractéristiques d'une personne humaine : la couleur, la chaleur, la respiration, le battement du pouls, etc.
Parfois, ces apparitions ne sont pas produites tout d'un coup, mais se forment avec une certaine progression : d'abord un léger nuage apparaît, qui petit à petit devient plus dense. Dans le centre de ce nuage, la personne attendue commence à se dessiner, puis elle parle, se meut et se nourrit, comme toute autre personne vivante. C'est ainsi que le célèbre William Crookes put, pendant plusieurs années, jouir de la compagnie quotidienne d'une jeune fille, qui, apparaissant le matin, disparaissait le soir, suivant dans sa disparition un ordre inverse à celui observé pour son apparition.
Nous ne devons pas non plus passer sous silence le phénomène dit végétation spontanée, souvent reproduit par les fakirs indiens. Ce phénomène consiste en ce que de simples graines plantées dans une terre spécialement préparée, germent en quelques heures et des plantes croissent en quelques semaines jusqu'à donner des fruits.
Si cependant on étudie tous ces phénomènes en les faisant passer au crible d'une critique sévère, on verra facilement comment, dans leur accomplissement, ils dépendent constamment du mouvement local, au moyen duquel les anges des ténèbres s'efforcent, autant qu'il est en leur pouvoir, de singer la puissance divine.
On voit d'après ces faits et d'autres semblables qui se pourraient multiplier à l'infini, combien est grande la puissance de l'ange sur la nature corporelle. Elle n'est pourtant pas telle qu'on la puisse croire illimitée ou autonome, car la Providence, toute de bonté et de justice, en règle l'usage selon ses fins très hautes, en lui fixant des limites déterminées. Aussi lisons-nous que les mages de l'Égypte, tandis qu'ils purent, de la manière décrite plus haut, produire des animaux d'une certaine grandeur, se virent, par ordre de Dieu, dans l'impossibilité de former les moucherons que Moïse avait produits[338]. La puissance de l'ange ne doit pas nous effrayer outre mesure, ni ébranler notre foi. D'autre part, nous ne devons pas, en présence de ces faits merveilleux, crier trop vite au miracle ; mais imitant la sage lenteur de l'Église, nous examinerons si l'effet merveilleux peut s'attribuer à la vertu naturelle d'une cause seconde.


Les œuvres merveilleuses des Anges ne sont pas des miracles

C'est précisément parce que les anges, dans leurs opérations sur la matière corporelle, se servent du mouvement local, qu'ils peuvent accomplir des choses tout à fait surprenantes, sans pouvoir toutefois faire aucun miracle proprement dit.
Écoutons comment saint Thomas développe cette vérité. « Entre les espèces de mouvement, dit-il[339], il existe un certain ordre naturel, consistant en ceci que le premier des mouvements est le mouvement local, qui se trouve pour cela être la cause des autres mouvements, car ce qui est premier en quelque genre que ce soit, se trouve être la cause des choses qui le suivent dans ce même genre. Or, tout effet qui se produit dans ces choses inférieures, est nécessairement produit par la voie de génération ou d'altération. Il faut donc que cela advienne par quelque chose mue localement, en supposant que cela soit produit par quelque agent incorporel, qui ne puisse, à proprement parler, être mû localement. Mais les effets que les substances incorporelles produisent par des instruments corporels, ne sont pas miraculeux, les corps ne pouvant opérer d'autre manière que naturellement. Les substances incorporelles créées ne peuvent donc faire aucun miracle par leur vertu propre et bien moins encore les substances corporelles, dont l'action est toute naturelle. »
Pour confirmer cette vérité, c'est-à-dire que les anges ne peuvent faire des miracles, nous exposerons deux autres arguments tirés des enseignements du même Docteur angélique.
Le premier est tiré de la raison même du miracle. Pour qu'il y ait vraiment miracle, il est nécessaire, comme nous l'avons déjà démontré, que l'effet merveilleux soit produit en dehors de tout l'ordre de la nature créée et non pas seulement en dehors d'un ordre particulier. Autrement, comme l'observe saint Thomas, on dirait de quelqu'un qui jette une pierre en l'air qu'il fait un miracle, ce mouvement étant en dehors de l'ordre propre de la pierre. Or, un ange, pour grand et puissant qu'il soit, est aussi une simple créature, comprise, comme toutes les autres créatures, dans l'ordre fini qui lui est propre ; et c'est pourquoi il n'a pas la puissance d'agir hors de cet ordre[340].
En effet, toute créature étant contenue dans un ordre particulier, tel que Dieu l'a établi pour chaque chose du monde, il s'ensuit que la créature ne peut absolument pas agir hors de cet ordre. Car il est contradictoire, observe le Ferrarais, de dire qu'une créature, selon son être tout entier et, par conséquent, selon toute sa force, soit contenue dans un ordre comme en faisant partie, et puisse, en même temps, opérer en dehors de cet ordre. Si elle pouvait opérer hors de l'ordre qui lui est propre, il faudrait qu'elle possède une force excédant cet ordre même : or il est impossible qu'une substance déterminée, contenue dans un ordre particulier, possède une force et produise un effet dépassant cet ordre[341].
L'autre argument est tiré de la nature de l'agent universel.
Étant admis que le miracle doit être une œuvre parfaite, puisque personne n'appellera miracles les monstres de la nature et qu'un effet n'éveillera pas l'admiration par cela seul qu'il est défectueux, nous observons que pour arriver à l'accomplissement de sa perfection, un effet a besoin d'avoir non seulement sa cause universelle, mais aussi sa cause particulière toutes les fois que celle-là ne comprend pas virtuellement et éminemment celle-ci. Car tout sujet comporte un ordre non seulement par rapport à l'acte auquel il est réduit, mais aussi à l'agent qui le réduit de puissance en acte ; et comme le sujet est naturellement en puissance par rapport à un certain acte déterminé et non à n'importe quel acte, de même il ne peut être réduit de puissance en acte déterminé si ce n'est par un agent particulier déterminé et non par n'importe quel agent universel.
Un exemple facilitera l'intelligence de cette vérité. Prenons un gaz qui soit en puissance d'être du feu et aussi d'être de l'eau. Sous l'action seule d'un agent universel, du soleil, par exemple, il n'y aura aucun motif pour dire que ce gaz deviendra du feu plutôt que de l'eau. Mais pour devenir l'une ou l'autre chose, ce gaz exige, outre l'agent universel, un agent particulier proportionné à l'effet que l'on veut voir produire.
De même, sous la seule action d'une substance séparée, laquelle, par rapport aux effets inférieurs du monde visible, est comme un agent universel supérieur, il n'y aura aucune raison pour laquelle un effet devra être ceci plutôt que cela. La détermination à être un effet spécial doit provenir de l'agent secondaire proportionné à l'effet. Dieu seul est l'agent qui peut réduire à l'acte déterminé n'importe quel sujet sans concours d'aucune cause seconde, parce que, étant l'acte très pur, il contient en lui-même virtuellement et éminemment la vertu de n'importe quel agent secondaire.
Or, si tous les effets sensibles des substances séparées sont produits par le moyen d'instruments corporels, comme de causes particulières et proportionnées par rapport à ces mêmes effets, il s'ensuit que ceux-ci, pour parler avec toute la précision nécessaire, ne peuvent être appelés miraculeux, les corps, en effet, n'opérant que naturellement, c'est-à-dire dans leur propre sphère ou dans l'ordre d'action qui leur appartient.
Pour éviter toute équivoque, il nous faut ajouter que, bien qu'aucun ange ne puisse, par sa propre vertu, accomplir des miracles, précisément parce qu'il opère par le moyen des agents corporels dont la vertu est naturelle, quelques anges peuvent néanmoins devenir des instruments dans la production du miracle, en tant qu'ils opèrent en vertu et par le commandement de Dieu, auteur de la nature. C'est d'ailleurs ce que nous expliquerons plus complètement dans les deux chapitres qui suivent. Nous rechercherons, dans le premier, quelle est la différence entre les opérations angéliques et les miracles ; et, dans le second, en quoi consiste la vertu instrumentale des créatures dans la production du miracle.


Conclusion

Concluons maintenant avec saint Thomas [342] : « C'est donc le propre de Dieu de faire des miracles. Car Dieu seul est supérieur à l'ordre où sont contenues toutes les choses de l'univers, de même que c'est de sa Providence que cet ordre même découle. Sa puissance également étant infinie, n'est pas déterminée à quelque effet spécial ni à ce que cet effet soit produit dans un mode ou un ordre déterminé. »
C'est pourquoi le psalmiste royal, voulant célébrer sur sa lyre inspirée, non seulement les grandes œuvres de la création du monde, mais encore les prodiges survenus, soit dans la libération des fils d'Israël de l'esclavage de l'Égypte, soit dans leurs victoires insignes sur leurs ennemis, ne manque pas de rappeler, en premier lieu, comment Dieu, et Dieu seul, possède une telle puissance pour accomplir des œuvres aussi grandes et aussi merveilleuses en leur faveur, et comment il ne fut pas, dans cette opération, contraint par la nécessité de sa nature, mais bien uniquement par sa souveraine bonté et son infinie miséricorde : « Celui qui seul fait de grandes merveilles, parce que sa miséricorde est éternelle[343]



CHAPITRE XIII - DIFFÉRENCE ENTRE LES OPÉRATIONS
ANGÉLIQUES ET LE MIRACLE

Pouvoir de l'Ange sur la matière

Du fait que les substances spirituelles ne sont pas capables de faire des miracles, il ne faudrait pas en déduire que les œuvres accomplies par ces substances ne soient pas merveilleuses aux yeux des hommes et parfois surprenantes au point d'induire en erreur, si la chose était possible, les élus eux-mêmes[344]. En réalité, le pouvoir des substances angéliques surpasse de beaucoup nos forces. Il excède considérablement toute puissance connue en ce monde, quelle qu'elle soit.
La nature corporelle, avons-nous dit, est soumise, quant au mouvement local, à la puissance angélique et, précisément par le mouvement local, les anges peuvent faire usage de moyens naturels sans nombre, parmi lesquels il faut aussi compter l'usage des semences d'êtres corporels. Par de tels moyens, ils peuvent aller jusqu'à opposer aux œuvres divines des opérations magiques d'une efficacité en apparence non moins grande[345].
Ces moyens naturels sont pour les anges comme autant d'instruments dont ils se servent ; et de même que l'instrument outre sa vertu propre reçoit aussi quelque chose de la vertu de l'agent principal, comme lorsque la scie est employée pour former un banc, l'instrument reçoit aussi quelque chose de la vertu de l'artisan, ce qui fait que nous disons que l'artisan a fait le banc avec la scie ; de même, ces instruments sous l'action des substances angéliques qui s'en servent pour leurs fins, produisent des effets bien supérieurs à ceux qu'ils pourraient réaliser par eux-mêmes. C'est ainsi qu'aux signes opérés par Moïse, par la vertu du Très-Haut, pour délivrer le peuple hébreu de l'esclavage d'Égypte, les magiciens en opposèrent d'autres accomplis au moyen de maléfices et d'enchantements, c'est-à-dire par la puissance diabolique[346].
Il sera donc opportun d'indiquer ici en quoi consiste la différence entre les miracles véritables et les opérations angéliques et de montrer jusqu'à quel point celles-ci peuvent avoir une ressemblance avec le miracle. Un doute est en même temps à résoudre : est-il vrai, comme certains pourraient le croire, que la matière corporelle, en obéissant à l'ordre de l'ange, lui obéit quant à son changement substantiel ?


Différence entre les opérations des Anges et les œuvres miraculeuses

Il est nécessaire, avant tout, de rappeler la grande différence qui existe entre la manière dont les miracles s'accomplissent, et celle dont s'accomplissent les œuvres merveilleuses qui ne sont pas de véritables miracles.
Cette différence, comme il résulte clairement de ce que nous avons exposé jusqu'ici, consiste dans ce fait que, tandis que, dans le miracle, c'est Dieu qui opère immédiatement, les œuvres magiques, au contraire, sont toujours produites par le moyen de quelque cause seconde, bien que celle-ci n'apparaisse pas toujours à la surface.
Dans le miracle Dieu opère donc comme agent suffisant et adéquat, et bien qu'il admette souvent l'instrumentalité d'une créature, surtout d'une créature raisonnable, comme on le dira dans le chapitre suivant, cette créature, qui est la cause seconde, n'est pas nécessaire, mais est employée par Dieu seulement par pure bonté. Elle n'agit pas davantage par sa vertu naturelle, mais uniquement comme un instrument élevé au-dessus de sa propre nature par une vertu spéciale qui lui est directement communiquée par Dieu.
Au contraire, les œuvres merveilleuses qui ne sont pas des miracles, sont accomplies par des causes secondes naturellement aptes à produire ces effets déterminés ; que ces causes secondes soient visibles ou invisibles, qu'elles opèrent sans instruments, comme lorsque les anges transportent les corps d'un lieu à un autre, ou en se servant, comme d'instruments, de moyens à nous peut-être inconnus, mais non moins aptes à produire, sous l'action d'agents principaux, tels que sont précisément les anges eux-mêmes, ces effets merveilleux.
Si donc les effets produits ainsi par Dieu et par les démons se ressemblent dans la substance, ils sont très différents par le mode de leur production, et cette différence est justement la cause pour la­quelle les uns sont des miracles et les autres ne le sont pas.
Ainsi pour nous servir d'un exemple opportun, tandis que, par un changement substantiel, la verge de Moïse, sous l'action immédiate de Dieu, se changea en un serpent, les eaux en sang et en grenouilles, l'air en sauterelles et la lumière en d'épaisses ténèbres, des effets semblables furent produits également par les magiciens de Pharaon, mais au moyen de semences de ces êtres ou d'autres éléments proportionnés, que la vertu angélique rassemblait en des conditions favorables[347]. Et comme Dieu envoya immédiatement par lui-même le feu, tantôt sur l'autel d'Élie pour confondre les prophètes de Baal[348], tantôt sur les cités impudiques de Sodome et Gomorrhe, pour les faire disparaître de la face de la terre[349], de même aussi le démon, de son côté, en se servant de moyens opportuns, envoyait le feu du ciel[350], et excitait dans l'atmosphère un violent tourbillon afin de consumer la famille de job, et de détruire ses troupeaux et sa maison.
C'est pourquoi les effets merveilleux produits par le démon dépendent, en général, comme de principes efficients propres, des causes secondes, tandis que les miracles véritables ne dépendent que de Dieu seul. Nous disons en général, parce que rien ne s'oppose à ce que Dieu se serve aussi des démons pour produire des effets merveilleux ; et dans ce cas, ces effets doivent être attribués à Dieu, comme lorsqu'il se sert de ces esprits malins pour châtier les impies.
Si donc Dieu daigne se servir de la créature comme d'instrument lorsqu'il opère les miracles, comme lorsqu'il rend la santé par le moyen d'une relique ou par le toucher d'un Saint, c'est lui-même qui communique à cette créature une vertu tout à fait supérieure à sa nature, comme on le dira au chapitre suivant.
Or Dieu, nous l'avons dit, est une cause universellement et simplement cachée à l'homme pendant la vie présente. Les causes secondes, au contraire, même spirituelles et d'un degré élevé comme le sont les anges, ne nous sont pas simplement inconnues. Il en résulte que les œuvres merveilleuses faites par Dieu sont de véritables miracles ; les œuvres merveilleuses des anges, au contraire, étant dues à leur propre puissance, n'appartiennent pas, bien qu'insolites, à la catégorie des miracles proprement dits, précisément parce qu'elles sont produites par des causes propres et proportionnées à tels effets, causes que nous pouvons connaître, bien qu'il arrive parfois que nous ne les connaissions pas toutes et que les savants eux-mêmes aient encore beaucoup à apprendre au sujet des lois de la nature et de la vertu des causes secondes.
Saint Augustin exprime excellemment cette différence quand il dit : «que les magiciens font des miracles par des pactes privés ; les bons chrétiens par la justice publique ; les mauvais chrétiens par les signes de la justice publique »[351]. Le commentaire de saint Thomas sur ces paroles est digne d'être rapporté ici. «Pour parler simplement, dit-il[352], on appelle miracles les œuvres faites en dehors de l'ordre de toute la nature créée. Mais comme nous ne connaissons pas tout le pouvoir de la nature créée, quand une chose est faite en dehors de l'ordre de la nature créée, qui nous est connue, par un pouvoir créé qui nous est inconnu, cette chose est, par rapport à nous, un miracle. Ainsi donc, quand les démons font des choses par le pouvoir naturel qui leur est propre, ces choses sont appelées miracles, non pas simplement, mais par rapport à nous, et c'est ainsi que les magiciens font des miracles par le moyen des démons, et l'on dit que ces œuvres merveilleuses sont faites par contrat privé, parce que le pouvoir, quel qu'il soit, d'une créature dans l'univers est comme le pouvoir d'une personne privée quelconque dans la cité. C'est pourquoi, quand un magicien fait une chose par un pacte conclu avec le démon, c'est comme si ce pacte était fait par un contrat privé. La justice divine, au contraire, est dans tout l'univers comme la loi publique dans la cité ; d'où il suit que quand les bons chrétiens font des miracles en vertu de la justice divine, on dit qu'ils font des miracles par la justice Publique. Enfin, quant aux mauvais chrétiens, on dit qu'ils font des miracles par les signes de la justice Publique; telles sont précisément les œuvres que parfois ils accomplissent au moyen de l'invocation du nom de Jésus-Christ ou de l'administration d'un sacrement. »


Comment les opérations angéliques peuvent se confondre avec le miracle

Mais l'importance du sujet demande que nous nous arrêtions un peu plus longuement pour examiner, à la lumière de critères intrinsèques, la différence qu'il y a entre les miracles véritables et les œuvres merveilleuses accomplies par l'entremise des démons.
Il faut, avant tout, rappeler ce que nous avons dit plus haut[353], qu'il appartient à Dieu seul de faire des miracles, comme à Celui à qui est soumise la nature des choses tout entière, la matière avec la forme, et l'être en tant qu'être. Par conséquent, aucune créature, fût-elle la première parmi les plus élevées, ne peut par elle-même, produire le miracle, soit de première, soit de seconde ou même de troisième classe. Car tout agent créé exige dans son action, que le sujet sur lequel il agit soit en puissance par rapport au terme ; et quand il s'agit en particulier des substances angéliques, celles-ci, en outre, n'ont par elles-mêmes aucune efficacité pour produire les formes des choses sensibles[354].
Toutefois, si les anges n'ont pas le pouvoir d'introduire, à leur gré, des formes sensibles dans les corps, c'est-à-dire de mouvoir la matière à la forme, ils ont néanmoins, comme nous l'avons dit, une extraordinaire efficacité sur les corps quant à leur mouvement local. En vertu de ce pouvoir, ils peuvent agir, par voie d'artifice, dans le but de produire des effets merveilleux, en employant opportunément et avec une adresse extraordinaire, les choses naturelles qu'ils savent être proportionnées aux dits effets afin d'arriver à leurs fins.
En premier lieu nous savons, par saint Paul, que toute notre atmosphère est remplie et pour ainsi dire infestée d'esprits mauvais. « Nous n'avons pas à lutter, écrit le grand Apôtre aux Éphésiens[355], contre la chair et le sang, mais contre les princes, contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais répandus dans l'air. » Par ces paroles, selon le jugement commun des Docteurs de l'Église, il faut entendre que notre planète est remplie d'esprits mauvais, qui peuvent y susciter des tempêtes, des tourbillons, des éclairs, du tonnerre et autres phénomènes semblables ; ils peuvent aussi occasionner sur la terre des froids excessifs, des chaleurs tropicales, des inondations, des pestes, des stérilités, des maladies et beaucoup d'autres fléaux ; c'est, en outre, leur occupation préférée d'inciter les hommes au péché et, par suite, de les précipiter pour toujours dans l'enfer.
Ajoutons qu'ils ont, de la nature et de ses lois, une connaissance bien plus pénétrante que celle du plus savant des naturalistes. Ils savent de quels éléments sont composés les corps ; ils connaissent parfaitement les propriétés de ces éléments ; ils savent avec une précision parfaite quelles combinaisons sont nécessaires pour la production d'effets déterminés. Ils peuvent de même facilement discerner les vertus médicinales de certaines plantes et les propriétés nocives d'autres plantes[356].
Ces esprits subtils possèdent, en outre, en vertu de leur supériorité native sur la matière, le pouvoir d'agir immédiatement sur les humeurs du corps humain, sur le sang et en général sur tout le système nerveux. Ils peuvent exciter en nous des émotions violentes et occasionner par là de profondes altérations dans notre corps. Ils peuvent encore agir sur l'imagination de l'homme et, avec la permission de Dieu, la modifier au point de faire apparaître parfois pendant le sommeil ou même pendant la veille, des choses dépourvues de toute objectivité, mais qu'eux-mêmes présentent comme véritables et réelles.
Et non seulement l'ange a le pouvoir d'altérer le système nerveux et de modifier l'imagination de l'homme, mais il peut aussi mouvoir son appétit sensitif, excitant en lui, par le moyen des esprits vitaux, de fortes passions, qui peuvent ensuite donner origine soit à de généreux élans vers le bien, soit à de très fortes tentations, selon que ces mouvements proviennent ou des anges de lumière, ou de ceux de ténèbres.
« La nature corporelle, dit saint Thomas[357], obéit naturellement à la nature spirituelle pour ce qui regarde le mouvement local. L'ange rebelle a donc le pouvoir, s'il n'est pas empêché par la vertu divine, de produire tous les effets qui peuvent résulter du mouvement local des corps inférieurs. Ce mouvement local suffit parfois, à lui seul, pour rendre certaines formes présentes à l'imagination. Dans son livre de Somno et Vigilia, Aristote dit que, pendant le sommeil de l'animal, comme le sang descend en grande quantité vers le principe sensitif, les impressions produites par les mouvements sensibles et conservées dans les espèces sensibles, meuvent le principe perceptif, de la même manière que si les sens les recevaient immédiatement des objects extérieurs. Que le démon puisse ainsi mouvoir les humeurs ou les esprits vitaux dans l'homme à l'état de veille, aussi bien que pendant le sommeil, rien de plus certain ; il peut donc ébranler et frapper (du moins indirectement) l'imagination.
De même certains mouvements du cœur et des esprits vitaux peuvent exciter certaines passions dans l'appétit sensitif, et le prince des ténèbres a le pouvoir de concourir à ces mouvements, comme à ceux dont nous venons de parler. Et quand les passions sont excitées dans l'appétit sensitif, l'homme perçoit avec plus de force et plus de vivacité les impressions sensibles qui sont ramenées, comme nous l'avons dit, vers le principe perceptif : car lorsque l'homme est enflammé par l'amour, la plus légère image, dit le Philosophe dans le même livre, réveille en lui l'idée de l'objet aimé. Il arrive aussi que la passion, quand elle est vive, gagne le jugement de l'esprit aux choses que l'imagination présente, parce que la passion fait paraître bon son objet. Voilà comment le démon porte l'homme intérieurement au péché. »
Ajoutons que les anges ont une connaissance pénétrante de la conduite, du caractère, des dispositions des hommes ; qu'ils font des conjectures assez exactes, qu'ils devinent souvent et peuvent quelquefois annoncer ce qui doit arriver dans certaines circonstances déterminées, d'où leur nom de démons, Daimones ou connaisseurs, et l'on aura une idée,inadéquate sans doute, du pouvoir que les substances séparées possèdent sur la matière, aussi bien que sur les hommes.


Les opérations angéliques peuvent ressembler à des miracles de deux façons

Les œuvres angéliques peuvent donc sembler merveilleuses et même se confondre avec le miracle, de deux manières : premièrement, dans ce sens que, tout en n'étant pas des miracles, elles sont toutefois des œuvres réelles dont l'homme est incapable de découvrir la cause [358] ; deuxièmement, parce qu'elles sont des apparences tout à fait subjectives sans aucune réalité objective. Il y a toujours là de simples hallucinations, semblables à celles qui sont parfois produites dans l'homme par une grande agitation intérieure, comme lorsqu'il se trouve en état de fièvre ou d'hystérie.
Il n'est pas difficile avec le temps de découvrir la fausseté de ces vaines apparences. De même que la médecine a des remèdes efficaces pour soigner les hallucinations, de même aussi la théologie mystique fournit des règles pleines de sagesse pour le discernement des esprits.
Quant aux œuvres merveilleuses réelles produites par le démon, elles ne peuvent jamais être comparées aux miracles de première ou de seconde classe. Elles peuvent cependant être comparées aux miracles de troisième classe, bien qu'elles ne soient pas telles en réalité. Elles ne peuvent être comparées aux miracles de première ou de seconde classe, parce que le démon n'a aucun pouvoir sur l'ordre universel de la nature et ne peut réduire des sujets à des formes vis-à-vis desquelles ceux-ci ne sont d'aucune façon en puissance, ou possèdent une disposition contraire. Le démon ne peut donc faire que le soleil rétrograde ou qu'un mort revienne à la vie. Les œuvres diaboliques peuvent cependant être comparées aux miracles de troisième classe, parce que le démon, précisément par le moyen des instruments dont il dispose, peut agir hors du cours de la nature particulière auquel nous sommes habitués. Il peut donc produire dans un sujet des effets vis-à-vis desquels ce sujet est en puissance naturelle, bien que la nature de cette puissance nous soit inconnue.
Nous ne devons pas non plus omettre d'observer ici que le démon pouvant agir directement sur le corps humain et sur le système nerveux, ne trouve pas de difficulté à susciter chez l'homme d'étranges maladies, en troublant le cours naturel du sang ou des humeurs. Il suffit ensuite que sa mauvaise influence vienne à cesser, pour que bientôt la santé revienne, chose qui, aux yeux d'une personne ignorante, semblera miraculeuse, mais en réalité ne l'est pas. « Les démons commencent par nuire, dit très bien Tertullien[359], puis ils prescrivent des remèdes nouveaux ou d'un effet contraire, en vue de produire leurs miracles ; après quoi ils cessent de nuire, et l'on croit qu'ils ont guéri le malade. »
Pour conclure, disons que le critère intrinsèque certain pour discerner les véritables miracles des faux, c'est-à-dire ceux qui se font par l'opération de Dieu de ceux qui ne sont que des œuvres merveilleuses faites par l'opération du démon ou, avec son aide, par les méchants, est celui-ci : que seul Dieu a un pouvoir absolu sur la substance entière des choses, et que par conséquent il peut, lui seul, mouvoir immédiatement ou directement n'importe quelle matière à n'importe quelle forme. Le démon, au contraire, comme agent fini, ne possède pas un pouvoir absolu sur la substance des choses ; c'est pourquoi il ne peut mouvoir directement la matière à n'importe quelle forme, mais il lui faut se servir des moyens naturels proportionnés aux effets qu'il entend produire.
Par conséquent, le démon aussi bien que les instruments dont il se sert n'opèrent pas au delà de la sphère qui leur est propre, laquelle est limitée à l'ordre particulier dans lequel ces choses se trouvent. Dieu, au contraire, en accomplissant un miracle, opère comme cause universelle, non pas contenue dans un ordre particulier, mais embrassant dans sa compréhension tous les ordres des choses. S'il se sert d'instruments en accomplissant les miracles, ainsi qu'on le démontrera dans le chapitre suivant, ces instruments ne produisent ces effets merveilleux, qu'en tant qu'ils agissent en vertu d'une motion reçue de Dieu. Cette motion élève à ce point ces instruments, qu'elle leur fait produire des effets que ceux-ci ne pourraient jamais produire sous la motion d'un agent créé, celui-ci fût-il la plus élevée parmi les substances angéliques.


On propose une difficulté

Mais, dira-t-on, qu'est-ce donc qui empêche l'ange de mouvoir immédiatement la matière à n'importe quelle forme ? Si la matière obéit aux agents contraires dans la nature, pourquoi n'obéirait-elle pas au commandement des substances séparées qui ont une vertu plus grande et sont capables d'effets plus importants et plus surprenants que ne sont ces mêmes agents ? Pourquoi donc devra-t-il sembler impossible que se vérifie dans les choses inférieures, un effet, par exemple de restitution de la santé, sans qu'intervienne l'action de quelque agent corporel, mais par le seul vouloir ou, comme dit saint Thomas, par la seule perception de l'ange, sola apprehensione angeli <;ref>. L. C.</ref> ?
Pourquoi douterons-nous de la possibilité d'un tel fait, ajoute-t-on, quand nous voyons que les mouvements de notre âme, surtout lorsqu'elle est saisie d'une très forte impression, suffisent parfois pour produire dans notre corps des troubles graves et souvent même des agitations très marquées ? Ne voyons-nous pas un homme, sous l'impulsion de la colère, s'enflammer subitement ; agité par la honte, il rougit ; oppressé par la crainte, il devient fiévreux ; excité par l'espérance, il se rassérène ; surpris par l'annonce d'une heureuse ou d'une triste nouvelle, un trouble soudain s'empare de lui qui va jusqu'à mettre sa vie en péril ; et tandis qu'il marche avec sécurité sur une poutre peu élevée, il est presque certain de tomber si, par hasard, cette poutre est haussée à quelques mètres du sol ? N'avons-nous pas là des signes indiquant que la matière corporelle obéit au commandement ou à l'appréhension ou perception de l'âme humaine ?
Or, si la matière obéit à l'appréhension de l'âme humaine, cela se vérifiera mieux encore si l'âme est forte dans son appréhension et libérée du poids de la chair, et si, d'autre part, le corps est facilement susceptible d'impressions, comme nous voyons l'âme perverse des sorciers exercer parfois une grande influence sur les enfants, au point de leur causer, par la fascination, un dommage physique réel. De l'âme humaine passons aux substances angéliques. Nous savons combien est fort dans son appréhension l'intellect des anges, leur substance étant libre de toute matière. Il leur sera donc possible d'agir immédiatement sur la matière et la changer, en la mouvant, à n'importe quelle forme.
Voici donc tous les phénomènes miraculeux expliqués par l'opération des substances angéliques, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la toute-puissance divine. Aussi faut-il conclure que le miracle n'est pas exclusivement une œuvre divine, mais que ce pouvoir appartient également de droit à la nature angélique ?


Réponse à la difficulté

Une telle explication des œuvres merveilleuses qui se répètent dans le monde n'est pas chose nouvelle. Avicenne[360], ainsi que le rapporte saint Thomas[361], s'était déjà autorisé de ces principes, pour expliquer les œuvres merveilleuses qui ont lieu dans la nature. Et cette explication était en harmonie avec tout le système de ce philosophe, car il n'admettait rien d'autre qu'une substance séparée, de laquelle il voulait que provinssent, dans les choses inférieures, toutes les formes substantielles, tandis que les agents corporels n'auraient rien fait sinon de disposer la matière à recevoir l'impression de l'agent séparé. Selon ce philosophe arabe, cette substance séparée, cet intellect agent, aurait pu mouvoir immédiatement n'importe quelle matière à n'importe quelle forme.
Mais Avicenne était loin de la vérité, comme le sont tous ceux qui attribuent à l'ange le pouvoir de transmuer immédiatement la matière. Répétons-le les substances séparées ne peuvent immédiatement changer les corps, ou, comme le dit saint Thomas, mouvoir la matière à la forme. Car, premièrement, il faut qu'entre l'agent et l'effet il y ait un habitus de ressemblance, puisque omne agens agit sibi simile. Les formes qui sont dans la matière ne sont donc produites que par des agents dont la forme est également dans la matière. Ou bien, si elles proviennent d'un agent sans matière, il est nécessaire que cet agent soit tel qu'il ait tout pouvoir même sur la matière, ce qui appartient à Dieu seul, précisément parce qu'à Lui, comme à la cause universelle, est soumis l'être des choses en tant qu'être, et non pas en tant qu'il est cet être ou un autre être : d'où il suit que la matière, aussi bien que la forme, sont subordonnées au pouvoir de Dieu seul.
En outre, l'appréhension de l'esprit ou le mouvement de la volonté ne suffisent pas, en eux seuls, à changer le corps même uni à l'âme ; mais celle-ci a besoin du concours de quelque affection ou passion, comme la colère, la joie, le désir ou chose semblable. Or cette passion n'est pas séparée d'un mouvement déterminé du cœur, lequel, en dernière analyse, se réduit à un mouvement local. C'est pourquoi les changements physiques, les malaises, les convulsions, les frémissements et autres phénomènes qui se succèdent dans l'homme en suite de l'appréhension de l'esprit, doivent finalement être attribués au mouvement local du cœur.
« La substance spirituelle créée, dirons-nous avec saint Thomas[362], ne peut donc, par sa propre vertu, introduire aucune forme dans la matière corporelle, comme ce serait le cas, si la matière lui obéissait de manière à se réduire à son commandement en l'acte d'une forme quelconque. En effet, la vertu de la substance spirituelle créée a ceci en propre, que le corps lui obéit en ce qui regarde le mouvement local ; mais, en mouvant localement un corps, elle peut employer certains principes naturels actifs pour produire certains effets ; c'est ainsi que le taillandier, dans son art, se sert du feu pour ramollir le fer. Mais ceci n'est pas à proprement parler un miracle. Les substances spirituelles créées ne font donc pas de miracles par leur vertu propre.»


Moyens dont se servent les magiciens dans leurs enchantements

Certaines personnes ont prétendu expliquer suffisamment les altérations et les changements substantiels, en un mot, tous les effets merveilleux qu'opèrent les devins, les magiciens et les sorciers, ou les démons eux-mêmes par l'instrumentalité de ceux-ci, en attribuant ces effets à l'usage de paroles de sons, de figures, de caractères ou de signes mystérieux, dont ces agents se servent dans leurs enchantements.
On sait quel usage, aux temps surtout qui suivirent les deux ou trois premiers siècles du christianisme, comment aussi au moyen âge, la cabale juive faisait de ces signes dans le but d'extorquer l'or des chrétiens, spéculation adoptée non sans succès par les charlatans modernes. Les sociétés secrètes ont aussi leurs devises fatidiques, et les rites d'Éleusis ne s'accomplissent pas sans l'usage de sons magiques ou de signes mystérieux, choses tenues par les adeptes comme sacro-saintes et auxquelles on attribue une vertu extraordinaire.
On ne saurait dire jusqu'où peuvent arriver dans ces pratiques superstitieuses, la fraude, le mensonge et la mauvaise foi. Cependant, il est hors de doute que des faits extraordinaires, absolument authentiques, se produisent de temps en temps par l'usage de ces sons ou de ces signes mystérieux. La question se pose donc : ces choses auraient-elles le pouvoir de réaliser les phénomènes merveilleux dont il s'agit et, par conséquent, ne pourrait-on pas dire que la vertu de faire des miracles est communicable à la créature, sans qu'il soit nécessaire de la considérer comme l'apanage de Dieu seul ?
Non, ces sons, ces paroles, ces signes ne peuvent pas être la cause adéquate des phénomènes merveilleux qu'on leur attribue. Bien qu'on puisse les considérer comme des conditions requises dans la pro­duction de semblables effets, cela n'empêche pas qu'il faille reconnaître que le vrai miracle est l'œuvre exclusive de Dieu, et que, par conséquent, de tels effets, bien que merveilleux sans être miraculeux, ne surpassent pas la vertu créée des causes secondes.
La parole, en effet, n'est qu'un signe du concept intellectuel ; elle n'a par conséquent aucune vertu de produire un effet quelconque, sinon par le moyen de l'intellect de celui que la profère ou de celui à qui la parole elle-même est adressée. L'intellect de Dieu a produit toutes les choses créées par sa parole ou par son Verbe : dixit et jacta sunt [363] ; le serviteur, au contraire, exécute les ordres de son maître par la parole qu'il reçoit de lui dans son intellect : Dico huit: Vade, et vadit[364].
Or, les paroles proférées, par exemple, par les devins, lorsqu'ils prétendent guérir quelque maladie rebelle à l'art du médecin ou produire quelque effet merveilleux, ne peuvent tirer leur efficacité de l'intellect de celui qui les profère, car la science ou connaissance humaine n'est pas la cause des choses, mais au contraire, elle est causée par elles. Il faut donc que la vertu de produire ces effets provienne de l'intellect de celui auquel ces paroles ou ces voix sont adressées.
C'est là justement ce qui arrive chaque fois que les sorciers, les devins ou les magiciens, accomplissent par le moyen de certaines paroles et la même chose peut se dire de n'importe quel signe conventionnel, des phénomènes merveilleux, telle qu'une guérison presque instantanée, la révélation de certains secrets, l'annonce d'événements éloignés, la manifestation de trésors cachés ou bien encore la connaissance et l'usage de quelque langue étrangère, etc.
En réalité, ces paroles, ces voix, ces figures, ces gestes ne sont pas autre chose que des signes conventionnels, par le moyen desquels les charlatans et les devins invoquent les démons, auxquels ils sont liés par un pacte personnel. Ce sont justement ces esprits de ténèbres, esprits déchus certes, mais néanmoins purs esprits, très perspicaces et très puissants, qui produisent, par de tels moyens parfaitement connus d'eux, ces effets merveilleux qui pour beaucoup passent pour des miracles, précisément parce qu'ils ne connaissent pas l'extension et le pouvoir de la vertu angélique. Et c'est ainsi que ces paroles, ces signes mystérieux, privés par eux-mêmes de sens et inadéquats, servent comme de moyens dans certaines opérations extraordinaires, qui semblent à première vue surpasser l'ordre de la nature créée, mais qui en réalité, n'excèdent pas son pouvoir.
Quant aux figures et aux caractères dont firent usage autrefois les enchanteurs et qu'emploient également les sorciers modernes, signes auxquels certains voudraient reconnaître une vertu secrète pour produire des effets merveilleux, nous observerons en particulier que ces choses sont mathématiques et, par conséquent, sont privées de tout principe d'efficience, comme aussi elles ne peuvent souffrir d'aucune manière[365].


Pratiques superstitieuses très fréquentes au Moyen Age

Il n'y a pas davantage la moindre parcelle de vérité dans l'opinion de ceux qui attribuent à l'influence des astres le pouvoir de changer les choses naturelles, au point d'imiter les miracles faits par Dieu et par ses saints.
C'était l'habitude au moyen âge, d'attacher une très grande importance à l'étude de l'influence des corps célestes sur la nature humaine et sur les effets qui se produisent en général dans le monde. Cette étude, élevée alors au rang de science, avait pris le nom d'Astrologie judiciaire. On enseignait que si les étoiles se trouvaient dans certaines positions et que l'on fît usage au préalable de certaines herbes pour préparer la matière à recevoir l'influence du corps céleste, cela suffisait pour que l'on obtînt des phénomènes merveilleux semblables aux miracles. On professait que, par une observation minutieuse des astres, il était possible d'acquérir la connaissance des choses secrètes, la révélation de l'avenir, le pouvoir d'opérer des phénomènes insolites comme, par exemple, de se rendre invisible, de priver un animal de la faculté de locomotion et de la lui rendre, d'ouvrir des portes hermétiquement closes, de transporter des corps d'un lieu à un autre, et autres choses semblables. Le livre des songes, étudié avec tant de passion par les joueurs à la loterie, représente en quelque façon les efforts tentés par les astrologues d'autrefois pour déchiffrer l'avenir.
Ces charlatans, faisant grand étalage de leur science, prétendaient donc, en observant le mouvement des astres, arriver à connaître avec la plus grande certitude, non seulement les choses présentes, mais encore les événements futurs. Ils prétendaient également, en relevant la date et l'heure de la naissance d'un enfant, formuler avec assurance leurs pronostics sur les qualités morales, la fortune, l'avenir ou la durée de la vie des nouveaux-nés[366]. Le sujet sur lequel ils s'exerçaient de préférence était la personne même du Souverain Pontife ou celle de ses parents[367].
A l'astrologie judiciaire se rattachaient d'autres pratiques également superstitieuses, comme la géomancie, l'hydromancie, l'aeromancie, la Pyromancie, l'onomancie, la chiromancie, la nécromancie, arts ou sciences qui prétendaient faire connaître, juger et annoncer les choses cachées et futures, en observant certains signes, soit dans la terre, sur les pierres, sur le bois, etc. ; soit dans l'eau ; soit dans l'air ; soit dans le feu ; soit dans les songes ; soit sur les mains ; soit en évoquant les âmes des défunts. Abusant des rites et des sacrements de l'Église, on offrait à certains caractères conventionnels des prières et de l'encens, on fabriquait des bagues, des miroirs, des fioles qu'on remplissait d'eau, dans le but, disait-on, d'emprisonner le démon ;on allumait aussi des cierges bénits que l'on plaçait devant ces objets. Sous l'impression du mauvais génie, les sorciers exerçaient leurs enchantements multiformes[368].
Comme on le voit, c'est avec raison que de telles sorcelleries, de tels sortilèges furent condamnés par l'Église, car ils comportent un pacte, pour le moins implicite, avec le démon, les causes prétendues ne pouvant, étant matérielles, produire des effets spirituels, tels que ceux nommés plus haut. On ne nie pas, pour autant, que les astres puissent exercer une certaine influence sur les corps terrestres, et surtout sur la naissance et le développement des plantes ; mais cette influence sur les choses matérielles, exagérée à l'excès par les astrologues, ne saurait s'exercer hors des limites normales et de la nature propre des causes en question[369].
Les superstitions, les enchantements du magnétisme, de l'hypnotisme ou de la suggestion, tels qu'ils se pratiquent aujourd'hui, ne sont donc qu'une substitution, sous des noms différents et avec des apparences diverses, des anciennes sorcelleries. Participant à leur malice, ces pratiques ont mérité pareillement les condamnations de l'Église[370].
De même encore, bien que par une disposition spéciale de sa Providence et pour ses fins très saintes, Dieu ordonne quelquefois aux âmes des défunts d'apparaître aux vivants, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, ce qui sans doute est un vrai miracle, néanmoins, toutes les prétendues évocations de défunts qui ont lieu chaque jour dans les réunions spirites, ne sont pas des miracles, mais uniquement l'œuvre des anges déchus qui, à l'insu des morts qu'ils feignent de représenter, forment dans l'air ces ressemblances, sans doute dans le but de tromper les ignorants et de les entraîner par ce moyen dans l'abîme de la perdition éternelle[371].
Nous pouvons donc conclure que, si merveilleuses que soient les œuvres diaboliques, elles ne peuvent cependant pas prétendre à la dignité de miracle. Un magicien pourra bien changer, par la vertu de l'ange déchu, une verge en serpent, produire des grenouilles vivantes ou changer en sang l'eau des fleuves, tout comme le fit Moïse par vertu divine ; mais en réalité, les œuvres du libérateur des Hébreux seront à considérer comme de vrais miracles, parce que produites immédiatement par Dieu qui, en opérant, n'a besoin d'aucun sujet ; celles des magiciens, au contraire, resteront des choses naturelles, parce que formées par des semences naturellement mues aux formes qui leur sont propres.
Et si ces anges de ténèbres, par le moyen de faux christs ou de faux prophètes se disant partisans du mesmérisme, du magnétisme, de l'hypnotisme ou de la suggestion, arrivent à faire « des signes et des prodiges », tels que l'on dise : « Voici qu'il est dans le désert, le voici au fond de la maison », nous suivrons le conseil évangélique, nous n'ajouterons aucune foi à leur dire[372] et nous confesserons avec saint Thomas, « qu'aucune force limitée ne peut faire de miracle, ceci appartenant à Dieu seul »[373].


Pourquoi les œuvres merveilleuses faites par les démons ne sont pas des miracles, comme le sont les œuvres merveilleuses faites par les bons Anges

Une dernière question s'offre à notre attention dans ce chapitre. Nous avons dit que les œuvres répondant aux miracles de troisième classe peuvent être produites par les anges. Or, comme il y a de bons anges et des anges mauvais, on désire savoir quelle différence il y a entre les œuvres merveilleuses des premiers et celles des seconds. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de déterminer quand est-ce qu'un ange opère sous l'ordre de Dieu, ou seulement avec sa permission.
Quand un ange agit en ce monde visible d'après l'ordre reçu de Dieu, il agit comme son instrument ou son ministre. Dans ce cas, son but rentre dans les desseins de Dieu et son action est ordonnée à une fin qui surpasse l'ordre de la nature tout entière. Son action est, pour ainsi dire, une seule et même chose avec celle de Dieu ; elle revêt, par conséquent, la qualité d'un miracle véritable, car un miracle proprement dit est une œuvre appartenant à Dieu seul. Quand, au contraire, un ange n'agit qu'avec la permission divine, il agit de sa propre initiative, et pour cela même comme agent principal ; l'effet produit ne surpasse pas alors l'ordre naturel et, bien que merveilleux, il ne peut être appelé miracle dans le vrai sens du mot, car il reste proportionné à la puissance naturelle de l'ange lui-même.
Il résulte de ceci qu'un même effet, par exemple, la guérison d'un malade de la fièvre, guérison produite par des anges de qualité morale différente, peut, dans un cas, être un vrai miracle et ne pas l'être dans un autre cas. Il y aura miracle, si cette guérison est produite d'après l'ordre de Dieu par un ange agissant comme son ministre ; au contraire, il n'y aura pas de miracle, si elle est produite par un ange agissant par sa volonté propre, cet effet restant dans la sphère du pouvoir naturel de cet ange.
Qu'on observe ici la différence de moralité existant entre les bons et les mauvais anges et à quel point leur mode d'action diffère. D'un côté, les bons anges n'usent jamais de leur pouvoir dans ce monde matériel, que par ordre de Dieu et comme instruments de son pouvoir ; aussi toutes leurs interventions visibles sont-elles de vrais miracles. Au contraire, les interventions des anges mauvais procèdent, ordinairement parlant, de leur propre initiative et n'ont lieu que pour des fins immorales. A moins donc qu'ils ne soient contraints d'agir en ce monde visible comme ministres de la justice de Dieu, les anges mauvais n'opèrent jamais de miracles.
Voilà quels sont les critères généraux qui peuvent nous aider à connaître la différence entre les opérations angéliques qui sont de véritables miracles et celles qui, étant proportionnées aux forces créées, appartiennent simplement à l'ordre de la nature.
Dans les cas particuliers il n'est pas toujours facile de discerner clairement entre l'un et l'autre genre d'opérations, l'ange des ténèbres cherchant à se transformer en ange de lumière. Il est donc prudent de ne se prononcer qu'avec une grande réserve sur la nature des interventions angéliques. L'Église elle-même nous donne à ce sujet un lumineux exemple, en procédant avec une extrême prudence dans les cas de ce genre soumis à son tribunal.



CHAPITRE XIV - INSTRUMENTALITÉ DE LA CRÉATURE DANS LE MIRACLE

Sens de la question

Nous avons vu jusqu'ici comment il appartient à Dieu seul de faire des miracles. Sachant qu'aucune créature, même parmi les plus nobles, c'est-à-dire parmi les substances spirituelles séparées que nous nommons les anges, ne possède pas le pouvoir de faire des miracles au titre d'agent principal, une autre question surgit, à savoir : si les causes secondes peuvent du moins avoir quelque pouvoir instrumental dans l'accomplissement de ces œuvres merveilleuses, de telle sorte qu'elles puissent agir comme instruments de la puissance divine.
Pour bien saisir le sens de cette question, il faut distinguer dans l'instrument deux choses : la première est l'instrument considéré indépendamment de l'agent qui s'en sert, c'est-à-dire selon ce qui lui est propre de par sa nature, son pouvoir et son mode d'opération. Considéré sous cet aspect, il est clair que l'instrument possède une action propre, distincte de l'action de l'agent principal, comme la lyre, considérée selon sa propre nature et non formellement comme instrument de l'art musical, a pour opération propre de faire entendre des sons quelconques et non pas des sons harmonisés. Le second aspect à considérer dans l'instrument, est précisément le fait que l'agent principal s'en sert dans le but de produire des effets de son art, comme lorsque la lyre est actuellement jouée par un excellent musicien sachant en tirer de mélodieuses harmonies. D'après cette seconde considération, il est clair que l'action de l'instrument ne précède pas, mais plutôt accompagne l'action de l'agent principal, ou mieux encore que l'instrument n'a pas d'autre action, en dehors de celle de l'agent qui s'en sert.
Quand on demande si les créatures raisonnables peuvent être instruments dans la production du miracle, l'objet de la question n'est donc pas de savoir si les hommes ou les anges peuvent, par le moyen de prières ou de supplications, induire Dieu moralement à agir en dehors du cours habituel de la nature ou contre ce même cours. Ceci est trop clair pour quiconque ne veut pas nier absolument tout commerce spirituel entre la créature raisonnable et le Créateur. Il est donc certain que les anges ou les hommes peuvent, par manière de mérite ou d'intercession, agir auprès de Dieu et l'induire à l'accomplissement d'un miracle pour le bien de l'humanité, ou pour sa propre gloire.
Il est hors de doute que la créature peut, par sa vertu naturelle disposer et préparer la matière afin que le miracle ait lieu. Ceci ne peut faire difficulté pour quiconque reconnaît, dans la vertu propre de chaque chose, un principe efficace d'opération, correspondant à la nature de cette chose elle-même. C'est ainsi que, à la résurrection, les anges, par leur vertu naturelle, recueilleront la poussière des morts que la puissance divine rappellera à la vie, ce qui, par ailleurs, serait impossible aux esprits humains parce que, unis ou devant être unis à leurs propres corps, ils ne peuvent agir sur les choses extérieures, sinon par le moyen de ces mêmes corps[374].
C'est donc d'une véritable instrumentalité que nous parlons, d'une action instrumentale qui consiste précisément en ce que la cause seconde coopère avec Dieu dans la production d'un effet déterminé; qu'elle suive, pour ainsi dire, l'action divine, qu'elle exécute le commandement divin. Nous voulons donc savoir si, en dehors du pouvoir que les créatures raisonnables possèdent selon leur propre vertu, soit de par la nature, soit de par la grâce, elles peuvent avoir un autre pouvoir, une autre vertu supérieure qui leur soit communiquée par Dieu, vertu par laquelle elles puissent exécuter en quelque façon sa volonté et coopérer avec lui dans la production du miracle, non seulement en disposant la matière à recevoir la forme, mais formellement comme instruments de la puissance divine, en introduisant dans l'effet même la forme désirée.
Nous savons que, dans la création, ceci n'est pas possible, parce que la création étant la production de tout l'être, c'est-à-dire de l'être en tant qu'être n'admet aucune opération qui la précède. Or, comme l'action de l'instrument précède l'effet, il s'ensuit que la vertu créatrice ne peut, même pas secondairement, ministériellement ou instrumentalement, être communiquée à la créature, et la même chose doit se dire de la conservation des choses et aussi de leur anéantissement, si jamais la chose arrivait. Mais le miracle est bien différent de la création. Il n'est pas la production de tout l'être ; c'est pourquoi il reste encore à savoir s'il peut comporter l'action de la cause seconde, comme instrument de Dieu.


Les créatures raisonnables peuvent être instruments dans l'accomplissement du miracle

Telle est la question qui préoccupait le grand saint Augustin, quand il écrivait [375]: « Soit que Dieu éternel, suivant le mode admirable qu'il suit dans l'administration des choses temporelles, accomplisse ces miracles par lui-même ou par ses ministres ; soit que, opérant par l'entremise de ses ministres, il les fasse par les esprits des martyrs, ou par la médiation d'hommes vivant encore de la vie corporelle, soit qu'il les opère tous par le ministère des anges sur lesquels il exerce un empire invisible, immuable, incorporel ; en sorte que les miracles que l'on dit être faits par l'entremise des martyrs soient dus à leurs seules prières ou impétration, sans le secours d'une intervention active ; ou enfin, qu'ils soient faits de quelque autre manière, incompréhensible aux hommes, ils rendent toujours témoignage à cette foi, qui enseigne la résurrection des corps pour l'éternité ».
Saint Grégoire le Grand, au contraire, n'hésite pas à résoudre cette question au sens affirmatif : « Ceux qui, en esprit de dévotion, dit-il[376], sont unis à Dieu, lorsque la nécessité des choses l'exige, ont coutume d'opérer des miracles de l'une et de l'autre manière, de façon à produire des choses merveilleuses quelquefois par la prière, quelquefois par leur propre puissance s. Ce qui revient à dire, comme l'explique saint Thomas[377], que Dieu peut se servir soit du mouvement intérieur de l'homme, soit de sa parole, soit encore d'un acte extérieur, comme d'un contact corporel, d'un geste ou de quelque signe, pour opérer le miracle. C'est ainsi que la créature agit par la vertu de Dieu, dont elle est l'instrument. Cependant elle opère, en quelque manière, ce qui est produit par cette vertu divine ; car l'opération de l'instrument, en tant qu'instrument, ne se distingue pas de l'opération de l'agent principal. C'est pourquoi les saints et, par conséquent, les thaumaturges en général, même lorsqu'ils vivent encore en ce monde, font des miracles, non seulement par leurs prières et leurs supplications, mais aussi potestative, c'est-à-dire, en vertu du pouvoir de coopération avec Dieu[378].


Preuve de cette vérité par des arguments de Saint Thomas

Pour mieux comprendre comment la créature peut être l'instrument de Dieu dans la production du miracle, il faut nous rappeler comment le commandement divin, ainsi que s'exprime saint Thomas[379], parvient jusqu'aux esprits raisonnables inférieurs, c'est-à-dire aux esprits humains, par le moyen des esprits supérieurs, c'est-à-dire des esprits angéliques. C'est ainsi que la loi ancienne fut donnée au peuple hébreu par le moyen des anges, comme nous lisons dans l'Exode[380]. De même, le commandement peut arriver jusqu'aux créatures corporelles par le moyen des esprits humains. Il reste donc avéré que Dieu seul peut faire des miracles, parce que, sans son commandement et en dehors de son pouvoir comme agent principal, ces œuvres ne sauraient s'accomplir ; mais la créature raisonnable, soit angélique, soit humaine, peut, elle aussi, être appelée à prendre une part active dans ces œuvres, celle d'un instrument animé, qui communique et exprime (defert) le commandement divin.
Nous qui, par la bonté du Très-Haut, avons reçu le don incomparable de la foi, nous n'hésiterons pas à donner à cette vérité le plein assentiment de notre intellect. Car, si, comme le dit saint Jean, Dieu a donné aux hommes le pouvoir de devenir vraiment ses fils adoptifs, il n'y a pas de raison de douter que la puissance de faire des miracles en son nom et par sa vertu ne puisse aussi leur être communiquée. Que si Dieu se sert des créatures corporelles comme d'instruments réels pour la justification de l'âme, ainsi que cela se vérifie dans les sacrements, il n'y a aucun motif de s'étonner si, d'une manière analogue, il se sert de la créature comme d'instrument non moins réel pour la production d'effets merveilleux dans le domaine de la nature corporelle. « Il n'y a pas lieu de s'émerveiller, dit encore le Docteur angélique[381], si Dieu se sert, de cette même manière, de la créature spirituelle en qualité d'instrument pour produire des effets merveilleux dans la nature corporelle, puisqu'il se sert même de la créature corporelle comme d'instrument pour la justification des esprits, ainsi que cela se voit dans les sacrements. »
Du reste, cette instrumentalité de la créature est signalée à plusieurs reprises dans les Livres Saints. Nous lisons, en effet, que le prophète Élie, en étendant son propre corps sur celui d'un enfant mort récemment, fit venir en lui le principe de la vie[382]; qu'au contact des ossements d'Élisée, un cadavre fut rappelé à la vie[383]; qu'au reproche autorisé de Pierre, les menteurs Ananie et Saphire furent frappés de mort subite [384] ; que ce même Apôtre guérissait les malades par la seule ombre de son corps[385], et qu'au simple toucher des linges de Paul, les possédés étaient délivrés[386]. Saint Grégoire nous enseigne également qu'il existe un ordre spécial d'anges, appelés Vertus, destinés par Dieu précisément pour l'accom­plissement des miracles : « Les esprits, dit-il[387], par le ministère desquels les signes et les miracles sont le plus souvent opérés, s'appellent Vertus ».
Nous voyons également que ce même Dieu qui, dans le baptême, a donné à l'eau naturelle la vertu de sanctifier, par son contact corporel, l'âme spirituelle et immortelle, avait déjà donné à l'eau du Jourdain, eau naturelle, la vertu de guérir Naaman d'une lèpre répugnante[388]. Mais pourquoi nous rapporter à des faits si anciens ? Est-ce que tous les jours n'arrive pas à nos oreilles le récit de personnes guéries instantanément, à peine sont-elles plongées dans les eaux salutaires de la piscine de Lourdes ?
Il n'est pas hors de propos de rapporter ici les paroles du Docteur angélique : « Les substances spirituelles créées, dit-il[389], ne peuvent faire des miracles par leur vertu propre. Je dis par leur vertu propre, parce que rien ne s'oppose à ce que ces mêmes substances spirituelles, en tant qu'elles agissent par la vertu divine, fassent des miracles. C'est ce qui apparaît du fait même qu'un ordre spécial d'anges, comme le dit saint Grégoire, est député pour faire des miracles ; et le même saint Docteur dit encore que certains Saints font quelquefois des miracles non seulement par intercession, mais encore par leur propre pouvoir ». Et saint Thomas ajoute encore « De l'instrument procède non seulement l'effet correspondant à sa vertu, mais encore quelque chose qui dépasse cette vertu qui lui est propre, en tant qu'il agit en vertu de l'agent principal. La scie, en effet, et la hache ne peuvent faire un lit, sinon en tant qu'ils agissent étant mûs par l'art et pour un tel effet. De même, la chaleur naturelle ne peut pas produire de la chair, sinon par la vertu de l'âme végétative, laquelle se sert de la chaleur comme de son instrument ».


Le pouvoir qu'ont les thaumaturges de faire des miracles n'est pas chez eux par manière d'habitus

Ce serait toutefois une grande erreur d'imaginer ce pouvoir chez les Saints comme étant une forme résidant en eux habituellement. Ce pouvoir, observe saint Thomas[390], doit se concevoir en forme de forme imparfaite, dite intention, laquelle ne se trouve dans l'agent secondaire qu'à la présence de l'agent principal qui le meut, comme, par exemple, l'illumination ne demeure dans l'air qu'à la présence du soleil, et le mouvement ne reste dans l'instrument qu'à la présence de celui qui en fait usage.
Ce don que Dieu communique parfois à ses Saints et qui fait partie des grâces désignées sous le nom générique de gratiae gratis datae, est donc semblable au don de prophétie, par lequel le voyant ne peut prophétiser chaque fois qu'il le voudrait, mais seulement quand l'esprit de prophétie touche son cœur[391].
Et de même qu'il ne répugne pas que les méchants eux-mêmes soient ainsi mus par Dieu comme instruments de son pouvoir, de même également il ne répugne pas qu'eux aussi opèrent des miracles, non pas en confirmation d'une sainteté qu'ils ne possèdent pas, mais comme preuve de la vérité qu'ils prêchent[392].
Dans un remarquable opuscule, intitulé de occultis operibus naturae ad quemdam militem, saint Thomas explique d'une manière encore plus précise en quel sens nous devons envisager ce pouvoir qui est communiqué à la créature dans l'opération des miracles.
De deux manières, dit-il, un agent inférieur peut être mû selon la vertu de l'agent supérieur. L'une est que l'action procède de l'agent inférieur selon cette forme parfaite ou vertu permanente imprimée en lui par l'agent supérieur : ainsi l'eau réchauffe en vertu de la chaleur qui lui est propre quand elle a été elle-même réchauffée par le feu. L'autre manière est quand l'agent inférieur agit par la seule vertu de l'agent supérieur, sans avoir reçu de lui une forme permanente pour agir ; il n'agit alors que par la force du mouvement imprimé en lui par l'agent supérieur. Ainsi l'ouvrier n'imprime aucune forme permanente à la scie dont il se sert pour travailler ; mais scier est principalement l'action de l'ouvrier, et secondairement l'action de la scie qui est mue par celui-ci. Cette action ne dépend donc d'aucune forme ou vertu demeurant dans la scie après la motion de l'ouvrier, mais elle reste l'action même de l'ouvrier, selon que celui-ci se sert de cet instrument pour travailler.
« Dans l'agent principal, dit un docte auteur[393], une telle vertu demeure, pour ainsi dire, comme chez elle ; c'est pourquoi elle y est à l'état permanent et parfait. Mais, dans l'instrument, cette vertu n'est que de passage et presque comme étrangère, comme un hôte dans la maison d'autrui. Elle n'y est pas, en effet, comme une chose qui soit propre à l'instrument, mais uniquement par l'influence de l'agent principal. Elle n'y possède donc qu'un être éphémère et imparfait ; elle ne s'y trouve que lorsque la cause instrumentale est mue par la principale et seulement dans la mesure où celle-ci exerce sa motion. Chez le sculpteur, par exemple, la vertu de former la statue est permanente et parfaite, parce qu'elle s'y trouve par la force de l'art qui a chez l'artiste sa demeure fixe, étant un habitus de sa pensée. Mais, dans le ciseau, cette vertu n'est pas permanente, parce qu'elle n'y est que pendant le temps où l'artiste se sert de cet instrument pour travailler. Elle n'y est pas à l'état d'un être parfait, parce qu'elle n'y est pas en mode d'habitus comme chez l'artiste, mais seulement dans le mode et suivant le degré où l'artiste s'en sert pour exécuter, par ce moyen, son travail dans le marbre. »


Le prêtre, dans l'acte de consacrer le Corps du Seigneur, est l'instrument de Dieu

Une difficulté se présente ici à l'esprit. Nous avons dit plus haut[394] que la Transsubstantiation est un miracle proprement dit. Or, le pouvoir de changer le pain au Corps du Seigneur et le vin en son Sang, est un habitus inhérent à l'âme du prêtre, c'est-à-dire que c'est le caractère sacerdotal même, par lequel le ministre peut faire ce miracle toutes les fois qu'il le veut. Le pouvoir de faire des miracles peut donc être plus qu'un simple mouvement ; il peut être un habitus permanent de l'âme.
A cette difficulté quelques-uns répondent qu'en général le pouvoir de faire des miracles n'est pas, à vrai dire, un habitus de l'âme ; il peut l'être cependant par rapport à une certaine classe de miracles, telle qu'est précisément la Transsubstantiation, que le prêtre a mission d'accomplir en vertu du caractère sacerdotal reçu par lui dans la sainte ordination[395].
Cette réponse toutefois n'est pas satisfaisante, car il n'y a pas de raison d'admettre un tel habitus pour un genre de miracles, et de le nier pour d'autres, d'autant que la vertu du caractère sacerdotal s'étend non seulement à la consécration du Corps de Jésus-Christ, mais bien encore aux effets des autres sacrements, qui sont comparables à l'Eucharistie en ce qu'ils confèrent la grâce. Il est donc mieux et plus conforme aux principes déjà exposés, de maintenir que la créature ne fait jamais de miracles, ou de choses miraculeuses, ou d'effets surnaturels, tels que la justification du pécheur ou la communication de la grâce par le moyen des sacrements, en vertu d'une forme permanente, mais bien en vertu d'un mouvement qui passe, comme il convient précisément à la nature de l'instrument.
En vérité, quand le prêtre consacre à l'autel le Corps du Seigneur ou qu'il remet aux pécheurs leurs fautes au tribunal de la Pénitence, il faut distinguer avec soin ce qui appartient au caractère sacerdotal, de ce qui est propre à la motion divine. Le caractère sacerdotal est bien la condition sine qua non pour que le prêtre puisse produire les effets attachés aux rites sacramentels ; mais ce n'est qu'en vertu d'une motion actuellement reçue, que le prêtre, instrument de la Divinité, produit ces merveilleux effets, qu'ils soient de vrais miracles, comme dans la Transsubstantiation, ou seulement des effets surnaturels, improprement appelés miracles, dans les autres sacrements. Du fait que le prêtre peut, quand il le veut, consacrer le Corps du Seigneur, il ne faudrait pas inférer qu'il est en son libre arbitre de mouvoir Dieu, le principal agent, toutes les fois qu'il lui plaît : c'est plutôt Dieu lui-même qui, fidèle à ses promesses, ne cesse pas de correspondre à la volonté du prêtre. Même en supposant cette volonté désordonnée ou mal réglée, son mouvement ne cesserait pas pour cela d'avoir Dieu lui-même comme cause première.
C'est ainsi que Jésus-Christ pouvait, comme homme, faire des miracles toutes les fois qu'il le voulait, sans que cependant ce pouvoir fût en Lui un habitus permanent et sans qu'il eût le moins du monde autorité sur la Divinité, mais plutôt en vertu de la motion que la Divinité elle-même communiquait à son âme, grâce à l'union hypostatique, union dont le caractère sacerdotal représente, chez le prêtre, bien que de loin, une sorte de participation[396].
Il reste donc acquis que, dans la Transsubstantiation, le prêtre qui en est le ministre, opère ce miracle non pas précisément en vertu de son caractère sacerdotal, mais formellement en vertu de la motion que, comme instrument de la Divinité, il reçoit actuellement chaque fois qu'il consacre le pain ou le vin. De même aussi, chaque fois qu'il administre, au nom de l'Église, quelque rite sacramentel, il confère aux fidèles, comme instrument de la Divinité, la grâce céleste. « Notre aptitude vient de Dieu, dit l'Apôtre des Gentils[397] ; c'est lui qui nous a rendus capables d'être les ministres idoines de l'alliance nouvelle. »


L'impulsion que l'ange inférieur reçoit de l'ange supérieur est un mouvement transitoire

La doctrine que nous venons d'exposer est celle de saint Thomas. Le Docteur angélique veut y voir une application du principe général qui régit toutes les actions des causes secondaires sous la motion d'agents supérieurs, que ceux-ci soient des corps célestes ou des substances séparées ou bien que ce soit Dieu lui-même. Tout mouvement imprimé par ces agents supérieurs ne comporte dans la chose mue par eux, aucune forme permanente par manière d'habitus. Le reflux de la mer, par exemple, n'est pas occasionné par quelque vertu imprimée dans l'eau d'une manière permanente, mais par une motion reçue de la lune transitoirement. L'impulsion, soit de l'intellect, soit de la volonté, que la créature raisonnable d'un ordre inférieur reçoit d'une autre appartenant à un ordre supérieur, n'est pas l'effet de la production d'une nouvelle forme permanente, mais d'un mouvement passager. Ainsi donc cette même vertu que la créature raisonnable reçoit de Dieu, en vue de coopérer avec Lui à l'accomplissement du miracle, n'est autre chose qu'une motion qui vient et s'en va selon le bon plaisir du Très-Haut[398].
S'il en était autrement, tel homme privilégié pourrait, selon son bon plaisir, opérer n'importe quel miracle et en n'importe quel temps ou lieu ; telle relique pourrait toujours guérir de n'importe quelle maladie ; l'ombre de saint Pierre aurait pu rendre la santé corporelle à tous ceux qui auraient eu la bonne fortune de se trouver sur le passage de l'Apôtre ; c'est ainsi que nous voyons l'aimant attirer toujours le fer, une plante déterminée guérir toujours de la fièvre[399]. Si cela était, le pouvoir de la créature s'étendrait à toutes les choses qui peuvent se faire surnaturellement, et embrasserait ainsi un objet non moins vaste que celui de la toute puissance divine ; en d'autres termes, sa vertu deviendrait égale à la vertu même de Dieu.
Il ne sera pas sans utilité de rapporter ici les paroles du Docteur angélique, quand il conclut que la vertu de faire des miracles n'est pas une qualité permanente dans l'âme des Saints. «De même que la prophétie, dit-il[400], comprend tout ce que l'on peut connaître par une lumière surnaturelle, de même aussi l'opération des miracles s'étend à tout ce qui peut se produire d'une manière surnaturelle. De l'une et de l'autre la cause se trouve dans la toute puissance divine, qui ne saurait être communiquée à aucune créature. Et c'est pourquoi il est impossible que le principe d'opérer des miracles soit une qualité déterminée résidant dans l'âme d'une manière permanente et habituelle. Toutefois, il peut arriver que de même que l'esprit du prophète est mû par une inspiration divine à connaître quelque chose d'une manière surnaturelle, ainsi l'esprit de celui qui fait des miracles soit mû à faire une chose suivie de l'effet du miracle, que Dieu opère par sa vertu propre. Quelquefois cela a lieu à la suite d'une prière, comme il arriva quand saint Pierre ressuscita Tabithe[401] ; quelquefois aucune prière n'est offerte apparemment, mais Dieu semble agir selon la volonté de l'homme comme quand saint Pierre reprochant à Ananie et à Saphire leur mensonge, les punit de mort[402]. » Les Saints, dit saint Grégoire[403], font des miracles tantôt en vertu de leur puissance, tantôt en vertu de leurs prières ». Toutefois, dans l'un et l'autre cas, l'auteur principal est Dieu, qui se sert, comme d'un instrument, soit du mouvement intérieur de l'homme, soit de sa parole, soit d'un acte extérieur, soit même du contact d'un corps mort. C'est pourquoi, quand Josué dit au soleil avec autorité [404] : «Tiens-toi contre Gabaon, la sainte Écriture remarque qu'il n'y eut, ni avant ni depuis, un jour aussi long, le Seigneur obéissant à la voix d'un homme.»


Seul le don des langues, parmi les grâces gratis datas, est un habitus

A la lumière de la doctrine que nous venons d'exposer, on saisira également et l'on résoudra avec facilité cette autre question, à savoir s'il existe dans l'Église un don permanent de faire des miracles, question proposée, mais résolue incomplètement par le Cardinal Newman[405]. Sur ce point nous nous permettons de rapporter ici, en les approuvant, les paroles suivantes de François Silvius, qui nous avaient tout d'abord[406] paru manquer d'exactitude. « Quand Dieu élève un homme à l'état prophétique, dit-il[407], quand bien même l'on supposerait qu'il ait reçu une certaine lumière habituelle pour prophétiser, on ne devrait pas pour cela lui attribuer l'aide actuelle pour prophétiser, mais celle-ci lui serait donnée ou non, comme il plairait à Dieu, ainsi que cela se vérifie actuellement, comme il est facile de le comprendre, d'après plusieurs passages de l'Écriture Sainte [408] aussi bien que de l'enseignement de saint Grégoire[409]. »
En harmonie avec ces principes certains, nous pourrons conclure avec le cardinal Newman que le don des langues, une fois donné, était possédé comme un talent ordinaire, sans qu'il fût besoin d'une nouvelle influence pour s'en servir par la suite[410]. C'est là d'ailleurs la doctrine explicite de saint Thomas qui, comparant la révélation prophétique avec le don des langues, écrit[411] : «La révélation prophétique s'étend à la connaissance de toutes les choses surnaturelles ; c'est donc en raison même de sa perfection, que dans l'état imparfait de cette vie, on ne peut en jouir habituellement, mais seulement d'une manière imparfaite, à la manière d'une passion transitoire. Le don des langues, au contraire, ne s'étend qu'à une certaine connaissance particulière, celle des sons humains ; c'est pourquoi il ne répugne pas à l'imperfection de cette vie, qu'on le possède parfaitement et habituellement.»


Une difficulté résolue

Contre ce qui a été dit plus haut, c'est-à-dire que le pouvoir de faire des miracles n'est pas chez les Saints une forme résidant habituellement en eux, autrement la créature égalerait la puissance de Dieu, on pourrait objecter qu'il ne suffit pas, pour que la puissance de la créature égale celle de Dieu, qu'elle puisse par sa vertu immanente accomplir un miracle, puisque changer une chose en une autre n'est pas l'effet propre de la vertu divine ; l'effet propre de la vertu divine étant la création, dans laquelle l'être, en tant qu'être, est tout entier produit par Dieu. La créature ne posséderait donc la vertu de Dieu que si elle créait ; par conséquent, la raison mise en avant pour prouver que le pouvoir d'accomplir des miracles n'est pas dans les créatures une forme permanente, reste sans valeur, puisque la puissance divine ne se manifeste tout entière que lorsque Dieu produit quelque chose du néant, ce qui n'est pas le cas dans l'opération des miracles.
A cette difficulté on répond que, du moment qu'une créature produirait un miracle par sa forme propre résidant en elle habituellement, cette créature serait placée en dehors et au-dessus de l'ordre tout entier de la création, et par conséquent deviendrait l'égale de Dieu ; et si cela était possible, elle pourrait même, à l'instar de Dieu, créer quelque chose du néant. Mais ceci est inadmissible. Il est donc également inadmissible qu'une créature possède en elle-même, par mode d'habitus permanent, la vertu d'accomplir un miracle quelconque.
Il est vrai que la puissance infinie de Dieu se manifeste formellement dans la créature. Mais si la créature pouvait, en vertu d'une forme résidant habituellement en elle, faire un miracle par elle-même, fût-ce le plus petit d'entre tous les miracles, par cela même elle transcenderait l'ordre de toute la nature créée et serait placée de droit dans la sphère de l'incréé. Par conséquent, si une telle créature pouvait de même faire des miracles, elle devrait aussi pouvoir créer, et par conséquent elle ne serait pas inférieure à Dieu.


Comment la grâce de faire des miracles peut-elle être objet de mérite

Une question se pose ici : la grâce des miracles peut-elle être l'objet du mérite ? La réponse suppose une distinction préalable. S'il s'agit de la grâce des miracles prise en sens passif, en ce sens qu'un miracle s'opère sur une personne, nous répondons affirmativement ; cette faveur est même l'objet du mérite de condigno. Si, au contraire, il est question de la grâce des miracles dans un sens actif, c'est-à-dire du pouvoir de faire un ou plusieurs miracles, on doit alors répondre négativement s'il s'agit du mérite de condigno ; affirmativement, au contraire, s'il s'agit du mérite de congruo.
Voyons d'abord comment la grâce du miracle, prise dans un sens passif, c'est-à-dire la grâce de recevoir un miracle, peut être un objet de mérite. Souvent dans la Sainte Écriture nous trouvons de parfaites guérisons miraculeuses opérées par les prières d'autrui, ce qui appartient au mérite de congruo, comme lorsque la femme chananéenne obtint par sa persévérance dans sa confiance en Jésus et dans la prière, la guérison de sa fille, ce qui la rendit digne d'entendre le Seigneur lui dire[412] : « O femme, ta foi est grande, qu'il soit fait comme tu le veux. »
Nous trouvons aussi des miracles opérés en récompense de la foi chez celui qui en était l'objet, et là se rencontre le mérite de condigno. C'est dans ce sens que jésus dit à la femme affligée d'un flux de sang[413] « Ta foi t'a sauvée ». C'est là d'ailleurs le sentiment des fidèles qui demandent parfois à Dieu des miracles non seulement en faveur des autres, mais aussi pour eux-mêmes, avec la confiance d'être exaucés. Enfin il faut bien se rappeler que les biens temporels, parmi lesquels on compte aussi les miracles susdits, c'est-à-dire les miracles passifs, sont l'objet direct du mérite, selon qu'ils sont utiles pour accomplir les œuvres qui nous conduisent à la vie éternelle ; dans ce cas, il faut considérer, dans la prière de celui qui demande ces faveurs, la motion divine ordonnée à l'acquisition de ces mêmes biens.
Qu'on ne dise pas que le miracle est une dérogation à l'ordre de la nature, et que l'on conçoit difficilement qu'une telle dérogation puisse être un objet de mérite. Car une telle dérogation n'est pas demandée à Dieu et n'est pas non plus un objet de mérite en tant que dérogation, étant donné que dans ce sens elle appartient à l'opération divine, dont l'homme lui-même ne peut être la cause ; cette dérogation est demandée à Dieu en tant qu'elle est une faveur spéciale ordonnée à la fin de la vie éternelle.
Parlons maintenant de la puissance active de faire des miracles. Nous disons que cette grâce peut être l'objet du mérite de congruo, mais non du mérite de condigno. La raison, dans ce premier cas, est qu'il est rapporté dans les Saintes Écritures que les Saints ont parfois obtenu de Dieu, par la prière, la grâce de faire des miracles, comme nous lisons de saint Pierre que, ayant prié, il ressuscita Tabithe[414], et saint Grégoire dit à ce sujet que les Saints font quelquefois des miracles par leur propre pouvoir, d'autres fois, au contraire, par leurs prières. En outre, comme l'homme, tant qu'il est en grâce avec Dieu, accomplit la volonté divine, il convient que suivant les règles de l'amitié, Dieu, à son tour, exauce la volonté d'un homme ordonnée au salut d'un autre, le mérite de congruo se fondant précisément sur ce fait que nous faisons quelque bonne œuvre de notre propre choix.
L'homme ne peut cependant pas mériter cette faveur de condigno, ce qui serait contre la nature d'une grâce donnée gratis, telle qu'est précisément celle de faire des miracles. A cette grâce ne s'étend pas la motion divine, laquelle est ordonnée à cette fin que l'homme lui-même parvienne à la fin de la vie éternelle. Le mérite de condigno ne s'étend donc pas au-delà de cette motion : or, le fait d'opérer des miracles, n'est pas nécessaire au salut éternel de l'homme.
Toutefois, bien que l'homme ne puisse mériter cette grâce de condigno, il peut mériter de condigno que soit enlevé ce qui fait obstacle à cette grâce, de même que l'homme mérite de condigno l'éloignement des empêchements à la grâce.
Remarquons enfin que lorsque nous disons que l'homme ne peut mériter de condigno la grâce de faire des miracles, il faut faire exception pour Jésus-Christ notre Sauveur, qui mérita cette grâce de condigno non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres, selon que l'Esprit-Saint le mut à l'obtenir au titre de chef de l'Église tout entière.


Conséquence de cette doctrine

A Dieu donc est réservé le privilège de faire des miracles. C'est ce qu'exprime le Psalmiste par ces paroles[415]: «Lui seul opère de grands prodiges.» Car sa vertu ne diminue pas du fait qu'il la communique à ses créatures par mode d'intention passagère ou de motion. Au contraire, sa grandeur en est exaltée, montrant par là que ce n'est pas par impuissance, mais par excès de bonté, qu'il daigne se servir des créatures même les plus faibles, les constituant les messagères de ses ordres et les instruments de ses œuvres merveilleuses.
Et ceci n'est pas peu de chose, si l'on considère le miracle dans ses rapports avec l'ordre de la divine Providence.
La fin du miracle, avons-nous dit, est de manifester l'empire souverain de Dieu sur toute la nature, tant sensible que raisonnable, de montrer ses attributs comme Gouverneur moral du monde, c'est-à-dire sa Vérité, sa justice, sa Sainteté et sa Miséricorde, le tout ordonné à l'ordre surnaturel. Ainsi Dieu opère des miracles afin de conduire l'homme à sa perfection suprême qui consiste précisément dans l'union parfaite de l'âme avec son premier principe dans la joie éternelle, de le connaître comme source de toute vérité, de l'aimer comme Souverain Bien, de l'imiter comme un très parfait modèle, de le craindre comme celui qui punit le péché, d'espérer en Lui, de l'adorer comme le rémunérateur de la vertu, le protecteur des affligés, le soutien des faibles, le vengeur de l'innocence opprimée, le garant de la sainteté et de la justice.
Si donc Dieu, soit pour rappeler les hommes à la connaissance de la loi naturelle écrite dans leurs cœurs mais obscurcie par leur méchanceté, soit surtout pour les porter à une plus haute perfection que celle dictée par la nature, par exemple à la perfection de la loi judaïque ou de la loi chrétienne, a daigné envoyer, comme messagers de ses ordres, des hommes de chair et d'os, mais investis par lui de la vertu d'opérer, en son Nom, des prodiges et des miracles, ce sera le devoir de l'homme de baisser la tête et de recevoir comme divine la parole de la vérité annoncée par les prophètes.
S'il arrive qu'à un peuple, oublieux de la justice et de la vertu, Dieu accorde un de ces types de sainteté parfaite, comme Lui seul, par sa grâce, sait en produire, lui communiquant en même temps la vertu de guérir les malades ou de rendre la vie aux morts, ce sera le devoir de ce peuple de vénérer la sainteté d'un tel homme et, autant que possible, d'en reproduire les vertus. Si, se servant d'instruments faibles et mortels, il opère, en faveur de l'innocence opprimée ou de la vertu calomniée, des effets vraiment merveilleux et qui surpassent les forces de toute la nature créée, ce sera le devoir de ceux qui rendent la justice de réformer leur verdict ou de ceux qui inconsidérément ont lésé la réputation d'autrui, de leur rendre l'honneur qui leur est dû.
Car, bien que Dieu seul ait le pouvoir de faire des miracles, toutefois la créature et l'homme en particulier peut, comme un instrument dans ses mains, participer quelque peu à sa vertu ; aussi ce que font les Saints par la vertu de Dieu doit-il lui être rapporté comme à la cause principale. Agir contre le but évident d'un miracle vérifié et approuvé, accompli par la médiation d'un homme, rejeter la vérité confirmée par des miracles authentiques, serait agir contre Dieu lui-même et rejeter son enseignement : «Qui vous écoute m'écoute, a dit Notre-Seigneur[416], qui vous méprise, me méprise.»
C'est pourquoi nous devons dire que l'injustice était dans le cœur du Pharaon quand, malgré l'évidence des miracles opérés par Moïse, il ne voulut pas laisser partir les fils d'Israël. Les Hébreux également étaient injustes quand, ayant méprisé les enseignements de Jean qui était venu «dans l'esprit et la puissance d'Élie»[417], ils clouèrent sur un bois infâme le Christ de Dieu, rejetant sa doctrine, bien qu'ils dussent reconnaître les nombreux miracles dont il était l'auteur[418]. De même les empereurs romains manquaient de rectitude quand, à la vue des prodiges opérés par les saints martyrs, ils continuaient à persécuter la religion chrétienne, professée et proclamée par ceux-ci comme véritable. Et ceux-là sont également les ennemis de la vérité et de la justice qui, à la vue des merveilles accomplies par les Saints de l'Église catholique, demeurent indifférents à ses enseignements, ou s'obstinent à en nier la divine origine, ou bien, ce qui est pire encore, lui préfèrent des sectes où la porte est ouverte à toute négation comme à toute affirmation.
La philosophie, conclurons-nous avec le grand Alighieri[419], «vient en aide à notre foi, car son principal fondement repose sur les miracles accomplis par celui qui a été crucifié, qui a créé notre raison et qui a voulu qu'elle fût inférieure à son pouvoir, miracles faits précisément en son nom et par ses Saints. Mais beaucoup sont d'une telle obstination que, leur esprit étant comme voilé par un nuage, ils doutent de la réalité de ces miracles et ne peuvent croire à aucun d'eux, à moins qu'ils n'en aient une expérience visible. Dieu a donc voulu que cette Dame (la philosophie) fût une chose visiblement miraculeuse et dont les yeux des hommes pussent faire l'expérience... Il est donc manifeste que cette Dame, par la vue admirable qu'elle offre à nos yeux, vient en aide à notre foi ».



CHAPITRE XV - UN MIRACLE, OBTENU PAR L'INTERCESSION D'UN PERSONNAGE RÉPUTÉ SAINT, EST-IL UNE PREUVE DE LA SAINTETÉ DE CE DERNIER, BIEN QU'ON AIT INVOQUÉ EN MÊME TEMPS LA TRÈS SAINTE VIERGE OU LE TRÈS SAINT SACREMENT ?

Occasion de la présente étude : la guérison de Thérèse Bellin

Une question très intéressante et qui a donné lieu, en ces derniers temps, à de longues discussions est celle se rapportant à l'obtention d'un miracle comme conséquence de l'invocation de plusieurs personnes mortes en odeur de sainteté. Du fait que Dieu daigne opérer un miracle à l'invocation de l'un ou l'autre de ses serviteurs, il se porte garant, avons-nous dit, de la sainteté de ce serviteur. Qu'en sera-t-il, si en même temps que ce personnage, d'autres sont également invoqués, surtout Jésus-Christ et la Très Sainte Vierge ? Par exemple, si l'on unit dans une même supplication, la Très Sainte Vierge et Jeanne d'Arc et si l'on obtient un miracle comme réponse à cette prière, ce miracle devra-t-il être attribué à Notre-Dame seulement ou aussi à Jeanne d'Arc ?
La question n'est pas hypothétique. En effet, lors de la cause de canonisation de cette Servante de Dieu, le postulateur présenta à l'examen de la Sacrée Congrégation des Rites, la relation d'un miracle opéré à Lourdes, en conséquence de l'invocation collective de la très sainte Vierge et de la bienheureuse Jeanne. La personne sur laquelle se produisit cette guérison, instantanée et complète, était une jeune fille, du nom de Thérèse Bellin.
Cette personne, comptant sur la puissante intercession de Jeanne d'Arc et justement dans le but d'obtenir de Dieu un signe de la sainteté de cette même Servante de Dieu, après avoir imploré elle-même, et d'autres ayant imploré pour elle le secours divin, recouvra à l'instant même, à Lourdes, une parfaite santé, et les médecins experts déclarèrent qu'elle était guérie. Cette jeune fille qui, quelques instants auparavant gisait sur un grabat comme un tronc à demi mort, put tout d'un coup accomplir parfaitement toutes les actions d'une personne en pleine santé. En présence de ce fait, l'âme simple et candide du peuple formula spontanément la conclusion : Dieu, par un tel prodige, a voulu démontrer la sainteté de Jeanne d'Arc, sa Servante ; c'est pourquoi la guérison peut servir à son procès de canonisation.
Cette conclusion pourtant, rencontra de fortes oppositions. La guérison en question avait eu lieu à Lourdes, avons-nous dit, endroit, comme tout le monde le sait, consacré, par une disposition divine toute particulière, au culte de la glorieuse Mère de Dieu. Elle se produisit après qu'on avait également invoqué, avec le nom de Jeanne d'Arc, celui de la céleste Reine des Anges, et justement dans le temps où de grandes fêtes se célébraient en son honneur; de plus, le miracle s'était produit au moment où le Très Saint Sacrement était porté processionnellement, selon la coutume, au milieu des infirmes. Ne fallait-il donc pas attribuer cette guérison à la Bienheureuse Vierge Marie, ou certainement à Jésus-Christ caché sous les voiles eucharistiques, plutôt qu'à la Pucelle d'Orléans ? Et si, de fait, cette guérison fut opérée par Notre-Seigneur ou par la Sainte-Vierge, comment peut-on invoquer ce fait comme un argument en faveur de la sainteté de la Servante de Dieu ?
Telle la question souverainement intéressante, mais plutôt complexe, car elle comporte aussi plusieurs autres points douteux, qu'avec le secours d'En-Haut et en nous appuyant sur les enseignements de la théologie, nous avons l'intention de résoudre ici. L'examen de cette question, tout en nous donnant l'occasion de mettre en pleine lumière, les glorieuses prérogatives de la Mère de Dieu et de son Fils, Jésus-Christ, ainsi que celles de sainte Jeanne d'Arc, nous permettra d'entrer plus à fond dans la connaissance du miracle et des causes qui le déterminent. Nous verrons comment la réputation de sainteté de la vierge d'Orléans, loin d'avoir été amoindrie, en cet événement miraculeux, par l'intervention de la Vierge Immaculée ou celle de Jésus-Christ, en fut, au contraire, largement accrue, si bien que le reflet des diadèmes resplendissants de Jésus et de Marie, ont fait briller avec plus d'éclat l'auréole de la vierge française.


Dieu seul, auteur du miracle

Le miracle, avons-nous dit, est un effet produit au-dessus et en dehors de tout l'ordre de la nature créée. Il ne peut être opéré que par Celui à qui toute la nature est soumise et dont la puissance n'est pas déterminée par un ordre particulier quel qu'il soit. C'est pourquoi le psalmiste royal dit de Dieu que «seul il opère de grandes merveilles»[420]. Or, comme Dieu a un pouvoir absolu sur toutes les créatures, il peut se servir d'elles pour opérer des miracles. Les créatures, de leur côté, peuvent prêter ce service de deux façons, c'est-à-dire : soit par l'intercession, en touchant Dieu par leurs prières à cette fin, soit par leur propre puissance, comme des instruments qui transmettent (deferunt) ou exécutent un mandat divin[421].


Le miracle a pour fin la confirmation de la vérité ou la manifestation de la sainteté

Dieu ne fait rien d'inutile. C'est pourquoi, tandis que, d'une part, l'homme est obligé d'admettre que le monde avec les lois habituelles de la nature sagement établies par un Dieu souverain, est régi et gouverné par lui, d'autre part, les faits miraculeux que nous rapporte l'histoire, ont pour but, comme nous l'avons dit, de nous faire comprendre qu'ils ont été ordonnés pour manifester quelque fait surnaturel, ou pour confirmer une vérité révélée, ou encore pour démontrer la sainteté de quelque personnage que Dieu veut proposer aux autres hommes comme un modèle de vertu.
Dans le premier cas, rien n'empêche que les miracles soient opérés par quiconque prêche la vraie foi et invoque le nom de Jésus-Christ, ce qui peut se produire parfois même par l'intermédiaire des méchants, et par conséquent, les méchants eux-mêmes peuvent faire des miracles. Mais, dans le second cas, les miracles ne peuvent être opérés que par des Saints, en témoignage de leurs vertus, soit que ces miracles soient accomplis par eux pendant leur vie, ou après leur mort.


Vertu probative spéciale dans les guérisons

Sans aucun doute, parmi les opérations miraculeuses, la restitution de la santé, appelée aussi grâce de guérison, occupe un rang spécial. Car, comme le remarque le Docteur angélique[422], «l'homme reçoit par là un certain bienfait, c'est-à-dire, la santé du corps, en plus du bienfait qui est accordé à tous dans chaque miracle, bienfait qui consiste en ce que tous les hommes soient amenés à la connaissance de Dieu». Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner si l'Église a coutume d'exiger la présence de ces miracles, avant d'ordonner qu'un Serviteur de Dieu soit inscrit au catalogue des Bienheureux ou des Saints.
Telle est la raison du canon suivant solennellement admis en hagiologie : les guérisons obtenues comme conséquence de l'invocation explicite des serviteurs de Dieu, doivent être considérées comme des signes accordés par Dieu pour prouver leur sainteté; car on ne peut admettre que Dieu puisse se porter garant de l'erreur et de l'impiété.


Le miracle obtenu dans le but de vérifier un fait, prouve la vérité de ce fait

On pourrait opposer à ce que nous venons de dire, que les faveurs et grâces singulières qu'on obtient parfois en des lieux déterminés, où certaines reliques sont exposées à la vénération des fidèles et où la tradition porte que quelque saint ait apparu, ne peuvent être regardées comme des preuves certaines de l'authenticité de ces reliques ou de ces apparitions, ces faveurs pouvant bien être accordées par Dieu en récompense de la foi et de la dévotion de ceux qui les demandent, et non pas nécessairement comme gage de la vérité historique du fait déterminé. En d'autres termes, les faits historiques, dira-t-on, doivent être étudiés à la lumière d'investigations scientifiques, ce procédé étant, d'ordinaire, le moyen naturel d'établir et de confirmer la vérité de ces faits.
En réalité, nous sommes bien disposés à accorder tout cela. Mais il est certain que la chose est bien différente quand les faveurs célestes spéciales, telles que les guérisons ou les opérations miraculeuses, sont demandées à Dieu, précisément dans le but d'obtenir de Lui qu'il veuille bien manifester par ce signe la vérité cachée à nos yeux. C'est ce qui arriva lors de la découverte de la Croix de Notre-Seigneur à Jérusalem, quand Macaire, évêque de cette ville, ne pouvant parvenir à savoir laquelle des trois croix trouvées sur le Calvaire était celle du Sauveur, il adressa à Dieu de ferventes prières et obtint, par la guérison d'une femme infirme au toucher d'une de ces croix, de connaître avec certitude que c'était celle-ci qui avait eu l'honneur d'être sanctifiée par le contact du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ.


Le miracle demandé et obtenu dans un but spécial est une sorte de pacte entre Dieu et l'homme

Mais revenons à la question qui nous intéresse tout particulièrement ici, à savoir si, du fait qu'une guérison est obtenue en conséquence de l'invocation collective de plusieurs personnages, on peut en conclure que chacun d'eux jouit au ciel de l'amitié de Dieu.
Supposons pour un moment que l'on obtienne de Dieu la guérison d'un malade après avoir invoqué, avec d'autres noms, celui d'un défunt qui en réalité serait damné, on ne pourrait jamais obtenir un tel bienfait, au cas où le nom de ce défunt serait invoqué, justement dans le but d'obtenir de Dieu qu'il se porte garant, par un miracle, de la sainteté de cet individu. Car si Dieu le faisait, il devrait se renier lui-même, puisqu'il est la vérité par essence. «Il doit nous suffire, dit Benoît XIV, de savoir, selon que le comporte l'économie actuelle, que Dieu ne fera, ni ne pourra faire, de puissance, comme l'on dit, ordinaire, de vrais miracles pour confirmer de fausses doctrines ou une sainteté non véritable. [423]»
A bien plus forte raison doit-on insister sur ce que nous venons de dire au cas où Dieu est expressément prié de daigner manifester la sainteté d'un de ses serviteurs au moyen d'un signe miraculeux. Car il y a alors un contrat véritable et formel dans lequel Dieu est invoqué comme garant de la sainteté de l'individu invoqué. En vertu de ce pacte, l'homme demande au ciel une œuvre prodigieuse pour connaître la sainteté d'un individu déterminé Dieu, de son côté, accomplit en réalité cette œuvre afin que l'homme, à son tour, après avoir été témoin d'un tel miracle, s'oblige à vénérer la vertu de la personne indiquée. En d'autres termes, le miracle fait en de semblables circonstances, est comme une lettre portant le sceau de Dieu lui-même, lettre qu'on ne peut avoir vue sans ajouter foi à ce qu'elle contient comme procédant de la volonté divine.
Il ne faudrait pas craindre que l'homme en vienne à offenser la Divinité en conjurant Dieu de la sorte en effet, comme nous avertit saint Thomas[424], «si quelqu'un expérimente les choses qui appartiennent à la perfection divine, non pas afin de les connaître pour lui-même, mais pour les démontrer aux autres, cela n'est pas tenter Dieu ; car, il y a là une juste nécessité ou une pieuse utilité et d'autres motifs qui doivent concourir à cela : c'est ainsi, en effet, que les Apôtres demandèrent au Seigneur que des miracles fussent accomplis au nom de Jésus-Christ, comme il est rapporté dans les Actes des Apôtres[425], pour cette fin, que la puissance de Jésus-Christ devînt manifeste aux yeux des infidèles.»


Comment nous faut-il procéder dans cette étude ?

Ceci posé, venons maintenant à la discussion de la question qui nous intéresse et que nous avons exposée au début de ce chapitre ; c'est-à-dire, si un miracle obtenu à la suite de l'invocation collective de plusieurs saints peut être attribué à l'intercession de chacun d'eux.
Pour procéder avec ordre en une chose d'autant d'importance, il est juste d'exposer, avant tout, le fait miraculeux auquel nous faisons allusion, afin de pouvoir montrer ensuite comment l'admirable guérison de Thérèse Bellin fut intimement liée à l'invocation de la Bienheureuse Jeanne d'Arc. La conclusion à déduire de cet exposé sera que, soit que l'on considère l'intention de ceux qui priaient, soit qu'on regarde la façon même dont ils priaient, telles que ces choses ressortent de la déposition authentique des témoins, la dite guérison demandée à Dieu et accordée par Lui, fut réellement un signe formel de la sainteté de la Servante de Dieu, signe donné justement dans le but d'obtenir du Saint-Siège sa canonisation solennelle.
Nous nous occuperons ensuite de résoudre les objections qui pourraient être faites, sous quelque forme que ce soit, contre la susdite conclusion, comme si la guérison dont nous parlons devait être attribuée soit à la Très Sainte Vierge, soit au Très Saint Sacrement, à l'exclusion de la bienheureuse Jeanne d'Arc.
Nous aurons par là une occasion de mettre en plus vive lumière l'universalité de l'action salvifique de Notre Seigneur Jésus-Christ, en même temps que l'intercession et la médiation de sa Très Sainte Mère, médiation qui, loin d'offusquer celle des autres Saints, la complète et la perfectionne. Enfin, comme complément à nos explications, nous discuterons le doute général relatif aux miracles opérés à la suite de l'invocation simultanée de plusieurs serviteurs de Dieu.


Le fait de la guérison miraculeuse de Thérèse Bellin

Quatre années n'étaient pas encore écoulées depuis que, après l'examen juridique des vertus et des miracles opérés à l'invocation de la servante de Dieu, Jeanne d'Arc, par une sentence de l'Église, les honneurs de la Béatification lui avaient été décrétés. Depuis lors, Dieu n'avait cessé de rendre plus évidente encore la sainteté de la pieuse vierge par de nouveaux prodiges qui furent dûment soumis à l'examen de la Sacrée Congrégation des Rites, dans le but de les faire servir, au cas où ils seraient reconnus véridiques, au procès régulier de sa canonisation.
Il y en avait un, entre autres, tout à fait exceptionnel, qu'on disait s'être produit le 22 août 1909, dans la personne de la jeune Lyonnaise Thérèse Bellin. Celle-ci, atteinte d'une maladie mortelle, avait été transportée à Lourdes à l'occasion du pèlerinage national, et se trouvait parmi les malades au milieu desquels était porté, comme d'habitude, le Très Saint Sacrement. Thérèse était alors à toute extrémité, lorsque, immédiatement après le passage de l'Hostie divine, elle recouvra instantanément et parfaitement la santé. Cette guérison reconnue merveilleuse par les médecins experts, s'était produite juste à l'instant où les foules acclamaient Jeanne d'Arc, par cette invocation : «O Bienheureuse Jeanne d'Arc, guérissez nos malades ; bienheureuse Jeanne d'Arc, faites qu'ils marchent.»
Tel est le fait ; essayons maintenant d'en rechercher les causes. D'abord nous voyons les fidèles conjurant le Seigneur de daigner manifester par un prodige la sainteté de Jeanne. A cet effet, ils font pour ainsi dire, un pacte avec Dieu, pacte en vertu duquel on viendrait à savoir que, le miracle se réalisant, la volonté divine était que la canonisation de Jeanne d'Arc eût lieu. Partant de là nous observons, témoignages en main, que ces prières furent faites conformément à cette convention ou intention particulière, de telle sorte qu'on peut conclure que la malade fut réellement guérie par les prières adressées à Dieu à cet effet.


La guérison de Thérèse Bellin, conséquence des supplications adressées à Dieu pour demander la preuve de la sainteté de la Bienheureuse Jeanne d'Arc

En premier lieu, le fait que l'admirable et soudaine guérison de Thérèse Bellin doit être attribuée à la servante de Dieu, Jeanne d'Arc, ne se déduit pas seulement de ce que cette guérison coïncida avec la dite invocation, mais surtout, de ce que plusieurs personnes pieuses, et en particulier la malade elle-même avaient justement, sur la proposition explicite de l'Évêque d'Orléans, invoqué en premier lieu la Servante de Dieu, dans le but que cette guérison rendît manifeste la sainteté de Jeanne. D'où l'on peut déduire logiquement qu'un certain pacte avait été conclu entre Dieu et les fidèles, en ce sens que, la guérison se produisant, on pût en conclure que Dieu voulait voir sa servante honorée d'une façon spéciale.
En réalité, tandis que les guérisons miraculeuses qui s'opèrent à Lourdes au cours des pèlerinages nationaux, se produisent surtout quand les malades sont bénis par le Très Saint Sacrement porté en procession, la guérison de Thérèse Bellin, au contraire, n'eut lieu qu'après le passage de la Sainte Hostie, comme si, en s'éloignant, Notre-Seigneur avait voulu montrer que cette guérison devait être attribuée formellement aux prières de sa Servante.
Et ici, il nous faut encore faire mention d'une autre circonstance particulière. Tandis que les invocations prescrites par l'évêque de Tarbes pour la dite procession du Saint Sacrement, étaient habituellement adressées uniquement à Notre-Seigneur et à sa Sainte Mère, cette fois, au contraire, et sans qu'il y ait eu d'entente préalable, le même évêque avait prescrit exceptionnellement, que des invocations fussent adressées en même temps à la bienheureuse Jeanne d'Arc. Il avait aussi ordonné, pour la circonstance, un triduum de prières en l'honneur de la même bienheureuse, triduum qui coïncidait avec le pèlerinage national. C'est pourquoi tous les témoins du fait reconnurent spontanément, en toute simplicité que, comme la guérison de Thérèse Bellin avait été demandée à la Pucelle d'Orléans, cette guérison avait précisément été obtenue par l'expresse médiation de Jeanne d'Arc.
Il y eut donc ici un véritable pacte entre les fidèles demandant le miracle, et Dieu lui-même pouvant l'accorder. D'où il fallait comprendre que si le miracle se produisait, il serait un signe ordonné par Dieu pour montrer que sa volonté était de voir la bienheureuse Jeanne inscrite au catalogue des Saints.
Il est évident, d'après les relations des témoins, que l'invocation de cette Servante de Dieu avait eu pour objet d'obtenir de Dieu un signe de sa sainteté et justement dans le but de pousser le Saint-Siège à procéder à la canonisation solennelle. Les dépositions des témoins ne pourraient être plus explicites, comme il résulte des actes du procès[426]. Ces dépositions, en effet, prouvent bien qu'il n'y eut pas une simple coïncidence chronologique fortuite, mais un lien véritable et logique entre l'invocation à l'adresse de la bienheureuse et la guérison instantanée de la malade. Il faut donc conclure avec Benoît XIV [427] : «Étant donné qu'un vrai miracle ne peut avoir lieu que par la puissance de Dieu, il est évident qu'il ne peut être opéré pour confirmer ce qui est faux et, par conséquent, il est impossible qu'une chose ne soit pas vraie, du moment qu'un miracle authentique a été opéré pour l'attester, c'est-à-dire quand, pour démontrer la vérité de cette chose, un miracle véritable est opéré.»


Tous les miracles sont opérés par la très sainte Humanité de Jésus-Christ

Venons-en maintenant à résoudre les objections qui peuvent se présenter à l'esprit, non pas certes contre la guérison de Thérèse Bellin en substance, mais contre le lien nécessaire entre cette guérison et les prières adressées à la vierge d'Orléans.
On pourrait peut-être affirmer que l'admirable guérison de Thérèse Bellin doit être attribuée non à la bienheureuse Jeanne, mais à la Mère de Dieu invoquée elle aussi, ou à Notre-Seigneur, présent au Très Saint Sacrement ; et que, par conséquent, ce miracle ne peut valoir pour démontrer la sainteté de la Servante de Dieu.
Cette objection est soulevée par le fait que cette merveilleuse guérison de Thérèse Bellin s'est produite précisément dans le lieu même où l'on vénère tout particulièrement la Vierge Immaculée et justement au moment où on l'honorait solennellement et où le Très Saint Sacrement était porté en procession. Ne devra-t-on pas, dès lors, attribuer ce miracle à la Reine du Ciel ou au Sacrement de l'Autel, plutôt qu'à la Pucelle d'Orléans ?
Pour répondre à cette objection, il faut remarquer tout d'abord, qu'on célébrait en même temps à Lourdes des fêtes solennelles en l'honneur de la Bienheureuse Jeanne. D'autre part, si cette difficulté avait une valeur, il faudrait l'étendre également au cas de Notre-Seigneur, puisque en ce même endroit et dans des circonstances analogues les fidèles honorent d'un culte particulier, d'après une coutume antique et très louable, Jésus-Christ caché sous les espèces eucharistiques. Faudra-t-il nier pour cela que les faveurs accordées aux malades justement alors que le Très Saint Sacrement passe en procession parmi eux, soient obtenues par l'intercession de la bienheureuse Vierge Marie ? Non, vraiment, puisque la théologie nous enseigne que tout miracle, quel qu'il soit, est accompli par la médiation de la très sainte humanité de Notre Seigneur Jésus-Christ., en tant qu'instrument du Verbe.
«Si nous parlons de l'âme de Jésus-Christ en tant qu'instrument du Verbe qui lui est uni, dit le Docteur angélique[428], elle eut ainsi la vertu instrumentale pour opérer tous les changements miraculeux se rapportant à la fin de l'Incarnation, qui consiste dans le renouvellement de toutes les choses, tant du ciel que de la terre.» Et plus expressément encore [429] : « La grâce de faire des miracles est donnée à l'âme de quelque saint, non pas parce qu'il lui convient de faire des miracles par sa propre puissance, mais de façon que ces miracles soient opérés par la puissance divine ; et cette grâce a été donnée excellemment à l'âme de Jésus-Christ de telle sorte que non seulement il pût faire des miracles, mais pût aussi communiquer à d'autres cette même grâce ; c'est pourquoi l'on dit [430] qu'« ayant assemblé ses douze disciples, il leur donna pouvoir sur les esprits impurs, afin de les chasser et de guérir toute maladie et toute infirmité ».
Les saints reçoivent donc de Jésus-Christ, comme d'une source très abondante, la grâce sanctifiante et la grâce de guérison que l'on appelle «gratis data». C'est pourquoi, le fait que toutes les opérations miraculeuses doivent lui être attribuées, n'empêche pas qu'on puisse aussi les attribuer au saint dont le patronage a été expressément demandé.


Toute grâce nous vient par Marie, Médiatrice de grâces

C'est une doctrine admise par l'Église et consacrée solennellement par l'enseignement des saints Docteurs que, si tous les biens que nous recevons nous viennent originairement de Jésus-Christ, ils ont aussi pour source la très efficace intercession de Marie que, comme Mère de Dieu, «nous devons croire, dit le Cardinal Cajetan, être semblable à son Fils en tout, autant qu'il est possible de l'être »[431]. C'est ainsi que Marie obtient de ce même Fils le privilège de communiquer des grâces et des faveurs aux fidèles qui l'invoquent ; d'où la phrase bien connue de saint Bernard[432] : « Telle est la volonté de Dieu, qui a disposé que nous recevions tout par la médiation de Marie. » Rien d'étonnant donc, si même la grâce de la prodigieuse guérison de Thérèse Bellin, tout en ayant pour cause première la sainte volonté de Dieu, ait été obtenue par la médiation de la Très Sainte Mère de Dieu.
C'est là une vérité aussi importante qu'elle est consolante, et que nous ne devons jamais perdre de vue, toutes les fois que nous désirons recevoir de Dieu quelque grâce, ou obtenir en faveur de la foi catholique, quelque effet visible extraordinaire. Les saints, les anges et même les prêtres de la nouvelle loi, sont en quelque sorte nos médiateurs auprès de Jésus-Christ ; mais la Très Sainte Vierge, plus que tout autre saint, possède pour ainsi dire, par droit de naissance, d'une manière très excellente, le beau titre de Médiatrice universelle. Elle doit ce titre au fait qu'étant plus que tout autre saint, proche du Christ, elle interpose directement sa médiation près de Lui, tandis que les autres Saints exercent leur médiation par le moyen de Marie. De plus, la médiation des saints ne s'étend pas à tous les hommes comme celle de la Très Sainte Vierge qui, justement, parce qu'elle est la Mère de l'Église, a le souci du salut de tous les chrétiens.
Donc, de même que Jésus-Christ est seul notre principal et parfait Médiateur, de qui découle pour nous tout bien spirituel, « en tant que par sa mort il a réconcilié le genre humain avec Dieu[433], la Médiatrice près du Christ, ministérielle et dispositive, est, avant tout, la Très Sainte Vierge Marie dont la médiation s'étend à tous les hommes et à toutes sortes de grâces.


Conséquence de cette doctrine

De cette doctrine touchant l'universalité de la médiation de Marie dans les œuvres de la grâce et dans l'opération des miracles, jaillit spontanément la conséquence suivante. Les saints régnant dans le ciel, recourent, selon l'ordre aimable et adorable de la Providence divine, à cette glorieuse Vierge, chaque fois qu'ils veulent obtenir de Dieu quelque grâce en faveur des hommes voyageurs sur la terre. Combien cette vérité est profondément gravée dans le cœur des fidèles, on le voit clairement par la pratique générale. Qui en effet, tandis qu'il recourt à quelque saint ou bienheureux, n'adresse également ses prières à la glorieuse Mère de Dieu, en récitant le Rosaire ou en visitant l'un ou l'autre de ses sanctuaires ? L'Église elle-même n'a-t-elle pas confirmé cette pratique, en disposant que, dans les offices liturgiques, l'on n'omette jamais l'invocation de la glorieuse Mère de Dieu ?
Nous ne devons donc pas nous étonner si la Très Sainte Vierge prit part, elle aussi, à la guérison de Thérèse Bellin, comme on peut le déduire des circonstances du pèlerinage à Lourdes et des nombreuses prières qu'on adressa alors à cette glorieuse Mère de Dieu.
Concluons que, non seulement l'invocation de la Très Sainte Vierge, entremêlée par la piété des fidèles à l'invocation de la bienheureuse Jeanne d'Arc pour obtenir la guérison de Thérèse Bellin, n'empêche pas que cette guérison ne soit due à cette Servante de Dieu. Au contraire, nous voyons ici une application de la loi qui veut que Marie entre comme médiatrice dans toutes les grâces qui nous sont faites. L'Immaculée Mère de Dieu et la vierge d'Orléans semblent avoir fait une alliance amicale pour obtenir de Dieu le miracle insigne dont nous parlons.
Si la guérison de Thérèse Bellin devait ne pas être attribuée à l'intercession de la bienheureuse Jeanne d'Arc par le fait que les fidèles ont prié la Mère de Dieu en même temps qu'ils invoquaient la Pucelle d'Orléans, il nous faudrait affirmer qu'aucun miracle ne peut jamais être attribué à aucun serviteur de Dieu, mais que tous sont exclusivement dûs à la glorieuse Mère de Dieu. Mais ce ne serait pas même à la Mère de Dieu elle-même, mais uniquement à Notre Seigneur Jésus-Christ qu'il faudrait attribuer tous ces miracles, puisque c'est de Lui que sa Très Sainte Mère reçoit toute la puissance qu'elle exerce, soit en intercédant auprès de Dieu, soit en opérant elle-même des choses merveilleuses. Ajoutons, pour l'honneur de la vérité, que la médiation de Jésus-Christ et celle de Marie, revêtent pour ainsi dire , dans la concession des grâces et des miracles, le caractère de cause première et universelle, laquelle, loin d'exclure l'influence de la cause seconde et particulière, telle que la médiation des saints, confère plutôt à celle-ci tout ce qu'elle possède de puissance active et d'efficacité.



CHAPITRE XVI - CRITÈRES INTRINSÈQUES POURDISTINGUER LE VRAI MIRACLE DU FAUX

Opinions des rationalistes sur le miracle

Le Créateur, en commandant que des dérogations se produisent parfois dans le cours de la nature et des infractions aux lois de celle-ci, opère, avons-nous dit, pour le bénéfice de l'homme; pour son profit moral, pour son avancement spirituel, et enfin, pour la manifestation de sa gloire.
Il ne nous est donc pas permis de demeurer indifférents à ces dérogations, encore moins de les ignorer.
Le devoir nous incombe, correspondant au droit de Dieu, d'étudier ces œuvres merveilleuses, pour en connaître la nature et en déduire les enseignements. Il nous importe peu que ce devoir soit accompli par chaque individu pour son propre compte, ou que quelques-uns seulement, distingués par leur science et leur bonté, le remplissent pour toute la société, ou mieux encore, que ce devoir soit accompli d'une manière authentique pour tout le monde, par cette institution qui tient sur terre la place de Dieu, c'est-à-dire par l'Église catholique. L'essentiel est que les œuvres de Dieu ne soient pas oubliées et ses vouloirs méconnus.
Ici pourtant, un double écueil est à éviter. Quelques-uns, d'un caractère naturellement superstitieux, sont portés à voir le miracle partout ; d'autres ne le veulent jamais reconnaître d'aucune manière. Doués d'une imagination vive, les premiers sont toujours prêts à découvrir, sur leur chemin, des manifestations extraordinaires de la Divinité ; les seconds, remplis d'un faux sentiment de leur propre suffisance, s'obstinent à n'admettre que ce dont leur courte intelligence peut se rendre raison. A ceux-là, un frein est nécessaire, à ceux-ci un stimulant ; mais l'écueil auquel ces derniers se heurtent est beaucoup plus dangereux, attendu que là où se trouve une trop grande abondance de vie, il est facile de la réduire ; mais autre chose est l'augmenter alors qu'elle fait défaut. Saint François de Sales dit très bien[434] : «En matière de religion, les âmes bien faites ont plus de suavité à croire les choses esquelles il y a plus de difficulté et d'admiration». Auguste Nicolas dit également[435] : «Il faut tout éprouver avec une grande propension à croire à l'amour de Dieu et à ses prodiges... Être bien prévenu, c'est n'être que juste à l'égard d'un amour qui nous a déjà donné tant de gages».
Les rationalistes, car c'est ainsi que les seconds aiment à s'appeler, rejettent à priori le miracle comme chose impossible et par suite indigne d'un examen sérieux.
Quelques-uns d'entre eux, comme Strauss et Renan, après avoir rejeté, sans examen, la véracité des Livres Saints, ont essayé de réduire les miracles racontés dans les Saintes Écritures à des fictions mythiques, comme si les Évangélistes et les Apôtres avaient voulu substituer au Christ historique un Christ fabuleux et légendaire. Ils ont eu l'audace de le représenter, lui et ses gestes, non tel qu'il fut en réalité, mais comme l'avaient prédit les Prophètes et comme leur propre imagination l'avait envisagé. Cependant ces auteurs ne se sont pas aperçus combien est absurde une telle supposition à propos de choses survenues au siècle d'Auguste et par rapport à un homme d'un caractère aussi public que fut précisément le Messie.
D'autres, non moins superficiels, tels que Paulus et Eichhorn, ont préféré ramener tous ces phénomènes merveilleux à la condition de faits simplement naturels, faits que les Apôtres, dans leur simplicité, ont retenus pour des événements extraordinaires et racontés comme tels. Ou bien encore, disent les auteurs auxquels nous faisons allusion, les Apôtres ont très bien connu les faits comme ils se produisirent en réalité, mais ils les exagérèrent de parti-pris, les présentant d'une manière hyperbolique afin de tromper les ignorants. Ceux-ci, comme ceux-là, pour soutenir leurs théories destructives, durent faire des efforts inouïs d'imagination, ajoutant ou ôtant à la simple narration biblique, changeant la forme dans laquelle elle se présente, interrompant la trame du récit, invertissant l'ordre des faits, en un mot, transformant entièrement le texte sacré, au point de le rendre méconnaissable.


On sait avec certitude qu'il existe de vrais miracles

C'est un dogme de notre foi que l'on peut arriver à connaître avec certitude le miracle, et nous devons croire également à l'existence de faits réellement surnaturels, faits qui ne peuvent se classer parmi les mythes et les fables, mais qu'il faut tenir pour vraiment miraculeux. «Si quelqu'un, proclame le Concile du Vatican[436], dit qu'aucun miracle ne peut se produire et, par conséquent. que tout ce que l'on raconte, même dans les Saintes Écritures, est à ranger parmi les fables et les mythes, ou que l'on ne peut jamais connaître les miracles d'une manière certaine, ni prouver par eux, à rigueur de logique, l'origine divine de la religion chrétienne, qu'il soit anathème.»
La raison humaine proclame hautement, elle aussi, cette insigne vérité. Car, si les Livres Saints que nous possédons sont parvenus jusqu'à nous sans altération substantielle, si en outre, ils furent vraiment écrits par les auteurs auxquels on les attribue communément, si ces auteurs furent des hommes à même de connaître la vérité, et si nulle raison n'existe de douter de leur honnêteté et de leur véracité, si en un mot, nos Livres Saints jouissent de toute l'autorité qu'un livre peut humainement posséder, nous devons reconnaître comme authentique ce qui y est raconté ; et comme la narration de faits que l'on ne peut d'aucune façon attribuer à des causes secondes et qui, par conséquent, sont miraculeux, forme une partie importante de ces livres, force nous est de reconnaître que non seulement le miracle n'est pas impossible, mais en outre qu'il est un fait historique solidement établi.
Ainsi, pour ne citer qu'un cas, dans le seul chapitre huitième de saint Matthieu, nous lisons, à côté d'autres choses merveilleuses, le récit de quatre faits absolument hors de l'ordre habituel de la nature la guérison du lépreux, la guérison instantanée du serviteur du centurion, la guérison de la belle-mère de saint Pierre, et l'arrêt subit d'une violente tempête. A ce sujet, l'auteur déjà cité par nous, Auguste Nicolas, dit très bien[437]: «Un peu plus de philosophie en attendant la foi, et nous y verrons plus clair».
D'autre part, les miracles forment avec le reste de la Sainte Écriture un tout tellement homogène, et ceux du Christ, en particulier, offrent une harmonie si parfaite. avec ses discours et ses autres actions ; il existe dans la narration scripturaire une telle uniformité d'intention, une telle correspondance des faits miraculeux avec les personnes, les temps et les lieux, que ces faits ne peuvent être supprimés, sans que la physionomie elle-même, pour ainsi dire, de la Sainte Écriture n'en soit profondément altérée. Les miracles sont dans la Sainte Écriture, pour nous servir de l'expression du cardinal Newman, «comme la figure de Phidias sur le bouclier de Minerve ; on ne peut les effacer sans altérer toute la composition[438]
Jésus-Christ fait appel, à la face du monde entier, aux miracles accomplis par lui en public, comme aux sceaux de sa qualité de Messie promis par les Prophètes. En effet, aux disciples envoyés par jean pour lui demander qui il était, il répond sans hésiter[439] «Allez, rapportez à Jean ce que vous avez entendu et vu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent. »
Et quand bien même les autres miracles seraient suspects, il en est un que la nature même du fait, les circonstances qui l'accompagnèrent, les témoins qui en font foi, et surtout les contradictions qu'il a rencontrées et dont il a triomphé, mettent absolument hors de toute exception, c'est celui de la résurrection du Sauveur.
Il ne faudrait pas nous imaginer que le pouvoir de faire des miracles ait été restreint aux Prophètes ou à Jésus-Christ ou qu'il ait cessé avec eux. Comme le Messie promit que celui qui croirait en lui ferait les mêmes œuvres qu'il avait faites lui-même, et d'autres plus grandes encore[440], ainsi il advint que la prédiction des Apôtres fut accompagnée et confirmée par des signes et des faits excessivement surprenants [441] »
«Ils allèrent et prêchèrent en tout lieu, le Seigneur travaillant avec eux, et confirmant leurs paroles par les miracles qui l'accompagnaient», et les païens eurent connaissance de ces miracles, non moins que les chrétiens. C'est ainsi que julien l'Apostat alla jusqu'à appeler saint Paul un magicien insigne[442], et Hiéroclès dans son Philalèthe, réfuté victorieusement par Eusèbe, prit prétexte de ces faits pour qualifier tous les Apôtres de magiciens et de sorciers.
Si donc, d'une part, le sentiment de profonde vénération que nous devons à la Divinité, non moins que le respect dû au cours habituel des lois physiques et l'honneur même de la raison humaine, doivent mettre en garde tout homme sérieux pour ne pas accorder une foi irréfléchie à n'importe quel récit, du seul fait que ce récit tient du merveilleux ; d'autre part, l'existence de faits extraordinaires et leur pleine évidence, comme aussi le consentement du genre humain, doivent nous faire haïr le sot orgueil de ceux qui rejettent à priori n'importe quelle ingérence du Créateur dans la marche habituelle du monde et préfèrent rester incrédules devant des récits merveilleux, quels qu'ils soient. Peut-on imaginer une assertion plus vide de sens et plus digne de commisération pour son auteur, que celle du fameux Renan dans sa Vie de Jésus : «Nous ne disons pas, écrit-il, le miracle est impossible ; nous disons : il n'y a pas eu jusqu'ici de miracle constaté [443] » ?
Ce même auteur ultra-rationaliste, dans l'Introduction à l'ouvrage cité[444], dit encore qu'une narration prodigieuse et surnaturelle ne peut, comme telle, être admise et comporte toujours soit la crédulité soit l'imposture. A cet écrivain, comme à ses disciples, convient parfaitement l'observation faite par un auteur contemporain[445] : Si, en fin de compte, dans le sein même du christianisme, surgit une génération pour laquelle il faille recommencer dès le début la démonstration des miracles, comme il arrive à notre époque, on pourra, avec Veuillot, lui jeter au visage non le reproche d'obstination; d'orgueil, ou d'infidélité, mais le fait d'un affaiblissement du sens commun. »
Hélas ! la sotte ambition de faire parler de soi est ce qui pousse les esprits forts de notre temps à fuir l'ombre même d'un fait surnaturel. N'ayant pas d'autres moyens pour se rendre célèbres, ils incendient, nouveaux Erostrates, le temple de Diane, dans l'unique désir de transmettre leurs noms à la postérité, sous n'importe quel aspect que ce soit. « En somme, dirons-nous avec Auguste Nicolas[446], il y a plus de vrais miracles inconnus que de faux miracles publiés, et ce sont les vrais qui font croire aux faux.» Nous ajouterons encore avec un célèbre auteur protestant[447] : « Je pense des prodiges de la chimie ce que je pense des miracles de la théologie, c'est-à-dire qu'il ne faut ni les croire, ni les repousser trop légèrement, bien que, grâce à Dieu, les vrais miracles théologiques soient plus certains que les chimiques et qu'ils aient des conséquences bien différentes ».


D'où résulte la probabilité intrinsèque du miracle ?

Si ces auteurs, opposés à toute manifestation extraordinaire de la divinité, avaient pris la peine d'examiner la nature des faits merveilleux consignés dans l'histoire, peut-être ne seraient-ils pas aussi enclins à les rejeter tous a priori. Examinant le poids de probabilité intrinsèque inhérente à chacun de ces faits, ils pourraient du moins discerner judicieusement parmi ceux qui se rapprochent le plus et ceux qui se rapprochent le moins de la probabilité objective. «Si nous ne pouvons toujours juger avec certitude quels miracles sont improbables, écrit le Cardinal Newman[448], du moins pouvons-nous déterminer ceux qui ne le sont pas.» A ce résultat nous pouvons parvenir en faisant un usage opportun de quelques critères qui nous aideront à nous prononcer sur la probabilité plus ou moins grande inhérente aux faits que l'on dit miraculeux.
Tout d'abord, une parcimonie relative, disons presque une sobriété dans la répétition des faits miraculeux, et ceci parce que le miracle ne doit pas être un hors-d'œuvre, un événement sans but moral, telle est une des principales conditions aptes à fournir au miracle un certain degré de probabilité.
Si le miracle était, comme certains l'imaginent, un phénomène sans cause, une violation de la nature ne se rapportant à aucun but, rien n'empêcherait alors que nous ne rencontrions un miracle à chaque pas, comme nous rencontrons à tout instant dans la campagne des jeux de la nature, dans le règne végétal aussi bien que dans le règne minéral. Mais le miracle, avons-nous dit, a un but, un but très élevé, celui de servir aux manifestations des attributs de Dieu dans le gouvernement surnaturel du monde. Or, l'ordre physique étant, dans sa constitution régulière, ordonné tout entier à l'ordre surnaturel comme à sa fin, une dérogation au cours usuel de la nature ne sera nécessaire qu'en tant que la nature elle-même ne suffit pas à imprimer dans l'esprit des hommes les vérités qui surpassent cet ordre. Il faut donc conclure de là non seulement que le miracle ne doit pas être privé de finalité, mais aussi qu'il ne doit pas être un fait trop fréquent, puisque le livre de la nature est assez complet et que ses données sont assez claires pour tout ce qui regarde les choses d'ici-bas. D'autre part, nous ne devons pas avoir de la Divinité une idée si basse, qu'il nous faille l'imaginer voulant intervenir pour le moindre prétexte, en dehors de l'ordre établi.
Pour cette raison, toutes les histoires où le merveilleux surabonde et où il n'est pas possible de retrouver une intention finale, doivent nous paraître pour le moins suspectes. Tels sont les faits narrés dans les Évangiles apocryphes. La vie de Notre-Seigneur aussi bien que celle de la Très Sainte Vierge y sont remplies d'anecdotes, merveilleuses autant qu'étranges, dont le but échappe à l'attention même la plus scrupuleuse. Au contraire, dans les miracles rapportés dans les Écritures canoniques, on distingue toujours le but bien déterminé d'imprimer dans l'esprit des témoins ou des lecteurs, quelque vérité de dogme ou de morale et, bien que les faits merveilleux enregistrés dans les Livres Saints soient, à première vue, très nombreux, ils se présentent toutefois répartis avec une économie opportune et même avec quelque parcimonie, si l'on considère le temps qu'embrasse le récit scripturaire, les divers pays formant la trame de l'histoire sainte, et bien plus encore l'importance des vérités en vue desquelles les miracles ont été faits, c'est-à-dire l'existence et les attributs du vrai Dieu, ainsi que les qualités et le caractère propre du Messie promis, fin dernière de l'homme, et autres choses semblables.
En outre, des faits, curieux et étranges de par leur nature, offrant un caractère très insolite et incroyable, quelle que puisse être leur probabilité intrinsèque, demandent d'être corroborés par des preuves extrinsèques plus qu'ordinaires, pour mériter l'adhésion de notre foi.
Ce n'est pas que la difficulté de l'œuvre soit un motif suffisant pour rejeter l'œuvre elle-même a priori. Si du fait qu'un événement a pour soi toutes les présomptions, il ne s'ensuit pas qu'il soit un vrai miracle, l'absence de ces mêmes présomptions n'est pas une raison pour qu'on puisse se prononcer décidément contre l'existence du miracle. Mais, lorsqu'il s'agit d'établir sur des bases solides les motifs de crédibilité en faveur d'un fait très extraordinaire, il faut que ces motifs soient tels que non seulement le fait triomphe de la présomption contraire, mais encore recueille l'assentiment de la raison en sa faveur.
C'est pourquoi nous rejetons, comme intrinsèquement improbables et comme insuffisamment corroborés par l'évidence extrinsèque, les faits merveilleux que l'on raconte de Zoroastre, des Rabbins, de Simon le Magicien, de Mahomet et d'autres personnalités de ce genre. Il faudrait certes plus que l'autorité d'un homme quelconque pour nous faire croire aux assertions de Simon le Magicien quand il prétendait pouvoir prendre l'apparence d'un serpent, se montrer avec deux visages ou se transformer en n'importe quel animal ; ou aux faits que les partisans de Mahomet racontent de lui, que les arbres venaient à sa rencontre, que les cailloux du chemin le saluaient, qu'un chameau se plaignit à lui, etc.
Au contraire nous n'hésitons pas à admettre, sur l'autorité de l'Église, vengeresse de la vérité des Livres Saints, que l'ânesse de Balaam parla, que Jésus-Christ marcha sur les eaux, qu'à sa mort le ciel s'obscurcit et que les sépulcres rendirent leurs morts.


Reconnaissance authentique du miracle par l'Église

En ce qui concerne la reconnaissance authentique de certains miracles, il convient d'observer que l'on ne saurait trouver un meilleur critère que celui fourni par une autorité supérieure, autorité qui tient ses lettres de créance de Dieu même, c'est-à-dire de Celui qu'elle représente ici-bas. Nous voulons parler de l'autorité de l'Église catholique. Toute autre autorité serait incapable d'exiger notre assentiment envers des choses qui, vulgairement parlant, semblent impossibles.
Nous ne voulons pas cependant dire que le seul motif qui nous induit à ajouter foi aux miracles est l'autorité de l'Église, puisque les miracles mêmes, et surtout le plus grand de tous, c'est-à-dire la résurrection de Notre-Seigneur, sont à la base et forment comme le fondement de notre croyance à la divine institution de l'Église, comme nous l'avons déjà établi. Nous tomberions dans un cercle vicieux, si nous ne voulions croire aux miracles que sur l'autorité de l'Église, ces miracles eux-mêmes étant ordonnés à la manifestation de cette grande société surnaturelle.
Mais, en supposant l'origine divine de l'Église rendue suffisamment manifeste par le concours de miracles véritables et tout à fait indiscutables comme est celui de la résurrection de Notre-Seigneur, l'autorité même de l'Église vient opportunément, si la chose est nécessaire, corroborer l'autorité humaine, par rapport à des événements miraculeux que l'homme ne serait pas autrement disposé à croire et, au besoin, à suppléer à leur défaut d'évidence. En d'autres termes, l'autorité de l'Église vient opportunément, pour donner à certains miracles une sanction solennelle, et pour en rejeter d'autres comme privés de fondement réel.


Critères intrinsèques permettant de connaître la vérité du miracle

Dieu étant la sainteté même, si, d'un côté, nous pouvons considérer comme impossible a priori un miracle accompli dans un but évidemment immoral et si, de l'autre, il arrive qu'il y ait entre ce miracle et notre sens naturel de moralité une parfaite harmonie, cette harmonie sera pour nous une condition suffisante pour nous disposer, abstraction faite d'une autorité supérieure, à y donner l'assentiment de notre croyance. Telle est, nous semble-t-il, le fait de la destruction de Sodome. Arrivée au comble de l'immoralité, cette ville impure ne pouvait s'attendre à rien d'autre qu'à être rayée de la face de la terre et qu'à son élégance de jadis, succédât une effrayante laideur, à la fertilité de ses champs, une horrible stérilité. «La terre de Sodome, écrit saint Augustin[449], depuis que le feu du ciel l'a touchée, ainsi que l'histoire l'atteste[450], et que les voyageurs confirment chaque jour par leurs yeux ce témoignage, n'est, à sa surface qu'une cendre hideuse, et ses fruits sous une trompeuse apparence de maturité, ne recèlent qu'une vaine fumée. Telle elle n'était pas, et telle la voilà.» Un tel procédé convenait bien au gardien et au vengeur de l'ordre moral.
Par contre, il faudra rejeter un miracle, s'il est prouvé qu'il a été accompli pour des fins contradictoires. Notons cependant, par rapport à ce dernier point, que rien ne s'oppose à ce que Dieu, à différentes époques, manifeste, par des miracles, tantôt son plaisir, tantôt son déplaisir vis-à-vis d'une même institution, étant donné que de nouvelles circonstances peuvent parfois rendre mauvais ce qui était bon auparavant. Ainsi, ce même Dieu qui, pour la construction du temple de Jérusalem, avait opéré des miracles, en fit aussi pour sa destruction, lorsque l'impie julien l'Apostat, malgré la parole de l'Écriture, tenta de le reconstruire. Dieu qui avait, si l'on peut dire, fondé la religion juive dans un berceau de miracles, voulut, par le miraculeux déchirement du voile du Temple, montrer aux yeux de tous la fin des observances rituelles.
Des auteurs graves ont pensé que le fait d'être accompli au bénéfice d'individus plutôt que de la société ou d'une communauté assez nombreuse, enlève au miracle quelque chose de sa probabilité. Ils ont estimé que le miracle étant, ce qu'il est en réalité, une dérogation à l'ordre de toute la nature créée, ne devrait être fait que si des intérêts d'un ordre général et assez importants étaient en jeu.
Cependant, si l'on considère la dignité humaine et si l'on se rappelle comment l'homme est la fin prochaine et immédiate de tout le monde physique, on comprendra facilement que rien ne s'oppose à ce que Celui qui forma l'homme à son image et ressemblance et qui a réuni en lui, comme dans un petit monde, les éléments de toutes les choses, ne juge pas indigne de sa majesté de commander à la nature de suspendre son cours quand le bien de l'homme, fût-il individuel, ou même matériel, le requiert. C'est pourquoi ces paroles du cardinal Newman ne sont pas entièrement exactes[451] : «Les miracles ont une moindre apparence de probabilité, quand ils sont faits pour la conviction des individus».
De même, du fait qu'un miracle ne dure pas ; que, par exemple, une guérison miraculeusement obtenue, cesse de se maintenir après un certain temps, on ne peut logiquement conclure qu'il n'ait été qu'apparent, le bienfaiteur n'étant pas tenu de continuer ses dons indéfiniment. Nous ne pouvons donc pas non plus approuver entièrement ces autres paroles du célèbre auteur[452] : «Les miracles temporaires peuvent être aussi l'effet d'accidents ou de causes inconnues ; car si les causes ordinaires peuvent défaire, il n'est pas improbable qu'elles puissent aussi effectuer.»
La réalisation progressive et d'une manière assez lente, d'une œuvre merveilleuse, n'est pas non plus un motif suffisant pour en rejeter l'authenticité. Dieu ne s'est pas engagé à agir de telle manière plutôt que de telle autre, et l'on peut reconnaître à Celui qui mit six jours ou six époques à former le monde, le droit d'employer, s'il lui plaît, quelques minutes ou même quelques heures pour rendre la vue à un aveugle ou à un malade la santé. Telle fut précisément la guérison de l'aveugle racontée par saint Marc, là où nous lisons[453] : « Ils présentèrent un aveugle à Jésus, le suppliant de le toucher. Jésus, ayant pris l'aveugle par la main, le conduisit hors du bourg ; et lui ayant mis de la salive sur les yeux, et lui ayant imposé les mains, lui demanda s'il voyait quelque chose, et l'aveugle, levant les yeux, répondit : Je vois des hommes marcher semblables à des arbres. Alors Jésus imposa de nouveau les mains sur ses yeux, et l'aveugle commença à voir, et il fut guéri au point de voir les choses distinctement. »
Nous ne pouvons donc non plus souscrire à cette autre observation de l'auteur déjà cité, dans laquelle il compare la liquéfaction graduelle du sang de saint janvier, aux prétendues guérisons des jansénistes, pour la raison, dit-il, « qu'un effet progressif doit être caractéristique des opérations de la nature »[454].
Mais si l'œuvre merveilleuse est telle que des personnes compétentes jugent qu'elle peut s'accomplir par les seules forces de la nature, un soupçon plus ou moins prononcé pourra naître à son sujet, selon que le concours de la nature aura été plus ou moins accessible. A défaut donc d'autres motifs, ce dernier point suffirait à rendre tout au moins suspectes les guérisons attribuées par Tacite et Suétone à l'empereur Vespasien. Il s'agissait d'un homme souffrant de la main (manu aegrum), d'après Tacite, ou de la jambe (debilem crure), d'après Suétone, ainsi que d'un autre, privé de la vue. Ces individus auraient été guéris par Vespasien par le seul fait d'avoir été touchés par lui dans le temple de Sérapis à Alexandrie. Mais, suivant le témoignage de Tacite lui-même, l'un et l'autre auraient été jugés guérissables par l'usage de remèdes opportuns. «Vespasien, dit cet historien[455], ordonna que les médecins examinassent les malades et jugeassent si une telle cécité et une telle faiblesse pouvaient être guéries par des moyens humains. Les sentiments des médecins furent divisés. L'homme menacé de cécité ne perdrait pas la vue si l'on éloignait les causes de son mal ; l'autre recouvrerait la vigueur de ses membres s'il recevait des soins convenables.» Il ne faut donc pas s'émerveiller si les remèdes proposés ayant été employés, chose d'ailleurs assez facile, les malades furent guéris. Pour la même raison, le fait rapporté par l'historien juif Josèphe[456], à propos d'un certain Éléazar, ne mérite pas le nom de miracle. Cet Éléazar aurait fait sortir un démon du corps d'un possédé en tirant le mauvais esprit par les narines du patient, grâce à un anneau où se trouvait enchâssé un remède prescrit, paraît-il, par Salomon.
Un examen sérieux suffit à convaincre tout homme soucieux de la vérité que tous les prétendus miracles des païens furent produits au moyen de quelque prescription de la science médicale. C'est pourquoi Arnobe, écrivain du troisième siècle converti du paganisme à la religion du Christ, défiait les païens de produire un seul miracle opéré par leurs dieux sans le concours de la médecine[457]. Et c'est pour cela que l'Église établit une différence immense entre les miracles véritables et les faveurs que nous recevons en réponse à nos prières. Dans ces faveurs, l'efficience de la nature n'est ni surpassée, ni contrariée, ni omise, et par conséquent nous appelons ces faits du simple nom de grâces ou réponses aux prières. Nous nous abstenons de les nommer formellement miracles, ainsi que nous l'avons démontré plus haut[458].


Critères pour distinguer les œuvres diaboliques des miracles véritables

Nous avons déjà parlé[459] du pouvoir que la substance séparée possède sur la matière corporelle quant au mouvement local. Nous avons montré comment l'ange, surtout l'ange des ténèbres, peut produire des effets surprenants, au point d'imiter parfois les vrais miracles. Il résulte de ce fait un danger grave pour l'homme, celui d'attribuer à Dieu des œuvres diaboliques, au grand détriment de la vérité, dont la manifestation est précisément, comme nous l'avons dit, la fin suprême du miracle. La Sainte Écriture elle-même nous avertit de ce danger[460]. Il ne suffit pas, pour l'éviter, d'assigner comme critère le fait que les miracles de Dieu sont grands et nombreux, ceux du démon, au contraire, mesquins et rares. Outre que le plus et le moins ne constituent pas en soi une différence réelle, le fait que le pouvoir naturel du démon se borne à une certaine espèce d'œuvres merveilleuses, dépend uniquement du commandement divin, Dieu pouvant sans aucun doute l'étendre au delà des limites que nous sommes en mesure de concevoir. En outre les œuvres diaboliques sont parfois assez importantes au point de surpasser, en apparence au moins, les vrais miracles eux-mêmes.
Il convient donc d'établir certains critères authentiques, qui nous aident à discerner, sous réserve d'un jugement plus autorisé, tel que nous le fournit le magistère suprême de l'Église, parmi les œuvres merveilleuses, celles qui doivent être attribuées exclusivement à Dieu, de celles qui sont imputables au pouvoir magique ou diabolique.


Premier critère : but des œuvres merveilleuses

Le premier de ces critères a trait au but des œuvres accomplies. Tout vrai miracle, avons-nous dit, est l'œuvre de Dieu, qui est la sainteté même et la bonté par essence, Il est donc clair qu'aucune œuvre, qui a pour but de porter l'homme au mépris de la vertu, à la recherche du vice, à la convoitise des biens terrestres ou à l'abandon des biens éternels, ne peut être attribuée à l'immédiate et exclusive action de la divinité.
Une œuvre n'ayant pour objet que les richesses matérielles et le bien-être temporel ; une œuvre qui n'est utile qu'au corps au détriment des intérêts de l'âme, une œuvre qui lèse les droits de la religion, de la justice et de l'honnêteté, ne peut être l'œuvre de Dieu. De même, des œuvres dont la finalité ne dépasse pas l'ordre temporel, par exemple, la découverte de trésors cachés, la délivrance momentanée d'une maladie, ou des phénomènes dont le seul but serait d'exciter la curiosité, comme de faire tourner les tables, produire des bruits insolites, allumer dans l'air des feux momentanés, faire paraître, sous diverses formes des visions extravagantes, et, en particulier, des œuvres conduisant directement au vice, comme sont celles du mesmérisme ou de l'hypnotisme, - de telles œuvres, disons-nous - ne peuvent avoir d'autre cause que le pouvoir de l'ange déchu, envieux du salut du genre humain. «Quand le miracle manque de pieuse utilité ou de nécessité, dit justement le docte Gerson[461], il faut le tenir pour suspect et le rejeter, comme serait, pour Mahomet, le fait de voler dans les airs et comme c'est le cas pour les prestiges sacrilèges des magiciens.» Il faut ranger parmi ces sortes de manifestations suspectes et à rejeter, le fait de parler, sans aucun motif, des langues étrangères, d'annoncer des choses éloignées ou de révéler des secrets. De tels faits sont rangés par le Rituel Romain parmi les signes de l'obsession diabolique[462].
Les œuvres de Dieu, au contraire, ont toutes un but très louable, celui de promouvoir la gloire divine et l'utilité de l'homme dans l'ordre surnaturel. Délivrer la pauvre humanité des infirmités et des misères de la vie, la fortifier dans la lutte, la préserver des dangers, lui procurer les moyens de pourvoir aux besoins de la vie, en multipliant en sa faveur le froment, le vin, l'huile, etc., la prémunir contre les maux futurs par des prédictions opportunes et des signes extraordinaires, ce sont là des œuvres qui, de par leur propre finalité, suggèrent une intervention directe de la divinité.
Telle doit être jugée également la pluie quotidienne de manne dans le désert[463], pour la nourriture du peuple hébreu ; telle l'étrange apparition qui se produisit à Jérusalem au temps des Machabées quand, pendant quarante jours on vit des cavaliers revêtus d'or, armés de lances et disposés en files, courir dans l'air et s'attaquer les uns les autre[464]. Telle encore cette autre apparition d'un genre analogue qui eut lieu également à Jérusalem au temps de Titus[465], signe précurseur, comme l'apparition précédente, de guerre et de destruction. Tel aussi le fait de cette croix resplendissante apparue dans le ciel aux yeux de Constantin comme gage de sa future victoire sur Maxence[466] et de cette autre croix miraculeuse apparue à Jérusalem au temps de saint Cyrille, évêque de cette ville[467].


Second critère : nature de ces œuvres

Il ne suffit pas cependant que les œuvres merveilleuses aient en elles-mêmes un but moralement bon, pour qu'on doive les attribuer nécessairement à la divinité, car la fin ne justifie pas les moyens par lesquels cette œuvre est accomplie et ne peut, par conséquent, imprimer à cette œuvre un caractère surnaturel. Pour être œuvre de Dieu, un fait merveilleux doit être bon non seulement quant à son entité morale, mais aussi quant aux moyens par lesquels il s'accomplit et quant à toutes les circonstances de personne, de lieu et de temps qui l'accompagnent.
C'est pourquoi, le second critère pour connaître si une œuvre merveilleuse est vraiment un miracle, doit se tirer de la nature même de l'œuvre accomplie.
Le miracle étant une œuvre faite par Dieu en faveur de l'homme, afin qu'un caractère merveilleux lui soit attribué, il faut qu'il convienne à la dignité de Dieu aussi bien qu'à celle de l'homme, c'est-à-dire qu'il revête une empreinte de bonté morale conforme aux règles de l'honnêteté. Aussi devra-t-on attribuer au démon, les œuvres qui, de par leur nature, sont indignes de Dieu et de l'homme, ou capables uniquement de satisfaire la curiosité ou de provoquer l'hilarité.
En effet, comment attribuer à l'action de Dieu la forfanterie de Zoroastre, se faisant verser sur la poitrine nue du bronze liquéfié, sans qu'il prétendît en ressentir aucune douleur, ou ces ridicules convulsions des jansénistes du dix-septième siècle, cette insensibilité de leurs membres sous les coups les plus violents, ces faits non moins puérils et vulgaires, que l'on raconte comme arrivés sur la tombe du diacre Paris, au cimetière de Saint-Médard, en somme, tous ces phénomènes d'hypnotisme, de magnétisme et de clairvoyance, dans lesquels c'est déjà beaucoup si l'honnêteté même rudimentaire est sauvegardée ?
Comment, au contraire, ne pas reconnaître l'intervention de Dieu dans le don des langues accordé aux Apôtres, dans la délivrance des possédés par Jésus-Christ ou ses disciples, dans les victoires obtenues avec un prodigieux succès sur les ennemis de la foi, dans les guérisons merveilleuses obtenues dans les sanctuaires les plus fameux du monde catholique ?


Troisième critère: manière dont sont accomplies ces œuvres

Le troisième critère servant à distinguer les œuvres du démon de celles de Dieu, consiste à observer la façon dont les unes et les autres sont accomplies. Dieu est le Maître et Seigneur suprême du monde entier. A sa justice est soumis l'ordre de l'univers, et tout ce qui se vérifie dans cet ordre a sa raison d'être dans cette justice, de même que les magistrats qui,dans la société, exercent une fonction juridique, le font précisément en vertu de la loi publique. Il y aura donc miracle quand l'œuvre sera faite en vertu de cette justice et précisément en relation avec l'invocation du suprême pouvoir que Dieu possède sur toute la nature.
Au contraire, les œuvres faites par des moyens futiles et, pour ainsi dire, hors de l'ordre de la divine justice, ne pourront pas être retenues comme œuvres de Dieu, mais bien comme des tromperies du démon. Il faudra les comparer à ces marchandises introduites dans les provinces par contrebande, ou encore comme ces contrats illicites, rédigés de façon à échapper à la loi. Par contre, les vrais miracles ressemblent à des actes légaux, revêtus des formalités prescrites et validés par l'autorité suprême. C'est ce que saint Augustin exprimait, quand il disait que les magiciens font des miracles par des contrats privés ; tandis que les bons chrétiens le font en vertu de la justice publique[468].
Avec ce critère devant les yeux, nous pouvons dès maintenant tirer une ligne de démarcation très nette entre les miracles faits en réponse à la prière ou à l'invocation du nom de Dieu, tels que les miracles de Notre-Seigneur et des Saints, et les œuvres accomplies grâce à des artifices plus ou moins suspects et parfois même ridicules, comme sont des gesticulations magnétiques, des attouchements lubriques, des regards lascifs, des paroles dénuées de sens, des lettres, des figures ou même des textes de la Sainte Écriture employés abusivement ; la même chose doit se dire de l'observation des astres, des mains, des animaux et choses semblables.
Avant donc d'attribuer à Dieu une œuvre merveilleuse quelconque, il faut procéder avec prudence et examiner tous les points par où elle peut pécher. On ne saurait assez admirer à ce propos la grande prudence et la sage lenteur suivies par l'Église, avant d'admettre, comme miracle, des œuvres, même très merveilleuses en apparence, accomplies dans le monde.


De combien de façons un miracle peut-il, d'après saint Thomas, être tenu pour faux

Il ne sera pas inutile de mettre ici sous les yeux du lecteur un passage de saint Thomas qui, avec sa clarté habituelle, expose les différents motifs pour lesquels on doit conclure à la fausseté d'un miracle. Commentant le passage où saint Paul peint l'Antéchrist comme celui « dont l'avènement se produira par l'opération de Satan parmi toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges menteurs[469]», il écrit[470] : «On dit qu'un miracle est faux quand il lui manque soit l'existence d'un fait réel, soit la vraie nature du miracle, soit, enfin, le but légitime du miracle.
«Dans le premier cas, un fait peut être l'effet d'une simple prestidigitation, c'est-à-dire quand les sens, trompés par l'œuvre du démon, font voir ce qui en réalité n'existe pas, comme ce fut le cas lorsque Simon le magicien fit décapiter un bélier qu'il fit voir ensuite comme s'il était en vie ; quand un homme, également, après avoir été décapité, fut montré vivant encore et qu'on le crut ressuscité. Ces choses sont l'œuvre des démons qui créent des phantasmes pour tromper les gens.
«Dans le second cas, on appelle improprement miracles des faits qui sont admirables, où l'on voit un effet dont on ne connaît pas la cause. En réalité, les faits qui ont leur cause occulte pour quelqu'un seulement et non pas absolument, sont appelés faits miraculeux, mais non pas des miracles ; ceux au contraire, dont la cause est universellement cachée, sont dits miracles dans le sens propre, cette cause étant le Dieu de gloire, d'où il suit que de tels faits surpassent tout l'ordre de la nature créée. Quelquefois, il est vrai, des choses merveilleuses se produisent, mais non en dehors de l'ordre de la nature, dont cependant les causes sont cachées. C'est là précisément le cas de ces faits merveilleux qui, plutôt que l'œuvre de l'homme, sont l'œuvre des démons, Ceux-ci, en effet, connaissent. bien les lois de la nature et en plus, possèdent une efficacité déterminée sur certains effets, comme la possédera l'Antéchrist ; mais ces faits n'ont pas la vraie raison de miracle, parce qu'ils ne transcendent pas les lois de la nature.
« Dans le troisième cas, certains faits sont dits miracles en tant qu'ils sont ordonnés à confirmer la vérité de la foi, pour ramener l'homme à Dieu. Mais si quelqu'un possède la grâce de faire des miracles et ne s'en sert pas dans ce but, ces miracles sont véritables quant à la substance du fait et quant à la raison du miracle, mais sont faux par rapport à leur fin légitime et à l'intention de Dieu. Toutefois, personne ne peut faire de vrais miracles contre la foi, parce que Dieu ne peut servir de témoin à l'erreur. C'est pourquoi un homme qui prêche une fausse doctrine ne peut pas faire de miracles, tandis qu'un homme même mauvais, peut en faire de véritables. »



CHAPITRE XVII - CRITÈRES INTRINSÈQUES POUR LA CONNAISSANCE DU MIRACLE

Le miracle considéré par rapport à l'autorité du témoin

Après avoir examiné la probabilité du miracle considéré en lui-même et par rapport aux œuvres qui ont avec lui quelque ressemblance, il est opportun d'attirer l'attention sur le degré de probabilité que le miracle peut revêtir par rapport à l'autorité de ceux qui s'en portent garants.
Comme fait particulier, le miracle appartient au domaine de l'histoire et, par conséquent, doit être jugé par les mêmes. critères qui servent à nous prononcer sur les faits historiques. Ne pouvant nous-mêmes être témoins de ce qui s'est produit dans les siècles passés, nous sommes contraints de nous en remettre au témoignage de ceux qui ont vu le fait de leurs propres yeux ou qui, du moins, en ont entendu, de la bouche de témoins dignes de foi, la relation authentique. Exiger des témoignages plus nombreux pour cela seul que le fait en question appartient à l'ordre surnaturel équivaut à barrer la voie à la connaissance du miracle, un fait surnaturel, en tant qu'il est un fait, ne pouvant être vérifié d'une autre manière que ne le sont des faits naturels. C'est pourquoi, nous ne voyons qu'un sophisme très vulgaire dans ces paroles du vieux baron d'Holbach[471]: «Un fait surnaturel demande, pour être cru, des témoignages plus forts qu'un fait qui n'a rien contre la vraisemblance.»
Or, c'est par ses qualités subjectives que le narrateur d'un fait acquiert un titre à notre créance. Comme, d'ailleurs, la qualité du narrateur relève de sa compétence à connaître le fait rapporté et de sa loyauté éprouvée à le raconter, s'il est démontré que l'historien n'a pu être induit en erreur et n'a pas voulu lui-même nous tromper, il aura certes acquis moralement tous les titres à notre créance, et seule une obstination orgueilleuse de notre part nous empêchera de donner à son récit l'assentiment complet de notre intelligence. Examinons l'un après l'autre ces deux points : la science du témoin et sa véracité.


Science compétente dans le témoin

En premier lieu, pour ce qui regarde la science compétente du narrateur, nous avons déjà expliqué comment il est nécessaire. pour lui d'avoir été témoin du fait personnellement ou de l'avoir connu par des personnes dignes de foi. Or, les témoins les plus dignes de foi sont les spectateurs immédiats du fait. Plus nous nous éloignons de cette immédiation de témoignage, plus la relation perd de son importance et moins le narrateur a droit à notre créance. Croire à un récit miraculeux sur la foi d'un narrateur quelconque est un signe de crédulité puérile ; ne pas vouloir y croire même quand la science du narrateur est au-dessus de tout soupçon, est indice d'une obstination aveugle. Nous avons déjà fait observer que si quelques-uns pèchent sur le premier point, beaucoup plus nombreux sont ceux qui pèchent sur le second.
Il s'est trouvé des gens et il s'en trouve encore, qui persistent à rejeter a priori et sans l'ombre d'examen, tout récit de miracle qui leur est fait. Ils soutiennent avec Hume[472] que la fausseté du témoignage est beaucoup plus probable que ne l'est l'authenticité du miracle et qu'il est plus vraisemblable de croire à une violation de la vérité dans le récit d'un homme, qu'à une violation des lois de la nature par le miracle[473]. Ces personnes objectent encore, avec Voltaire, que le miracle suggère l'idée d'une Divinité inconstante et celle d'un système du monde reconnu défectueux et réclamant une amélioration. Ou bien, avec Bentham, ils veulent que le miracle soit mis au rang des fables de magie et d'enchantement[474].
D'autres, plus arrogants encore, posent les conditions dans lesquelles le miracle devrait, d'après eux, être fait, pour avoir droit à notre créance. Ils prétendent que l'on ne doit pas ajouter foi à un témoignage, à moins que ce témoignage même n'ait passé par la filière d'un examen légal. Ils voudraient une commission composée de physiologistes, de physiciens, de chimistes qui, ayant fixé le lieu de l'expérience, viendraient juridiquement témoigner du fait ; et ces conditions remplies, ils seraient disposés à attribuer à ce fait non pas une certitude, mais une probabilité presque égale à la certitude. Et puisqu'une expérience faite une fois peut toujours se répéter, ces personnes voudraient que le thaumaturge refasse son miracle à un signe donné, mais par un autre moyen, devant de nouveaux témoins et sur d'autres sujets.
Donnons en entier le passage du fameux apostat Renan auquel notre texte fait allusion, afin que le lecteur juge par lui-même de l'absurdité de ses prétentions. Il écrit[475] : « Que demain un thaumaturge se présente avec des garanties assez sérieuses pour être discuté ; qu'il s'annonce comme pouvant, je suppose, ressusciter un mort ; que ferait-on ? Une commission composée de physiologistes, de physiciens, de chimistes, de personnes exercées à la critique historique, serait nommée. Cette commission choisirait le cadavre, s'assurerait que la mort est bien réelle, désignerait la salle où devrait se faire l'expérience, réglerait tout le système de précautions nécessaires pour ne laisser prise à aucun doute. Si dans de telles conditions, la résurrection s'opérait, une probabilité presque égale à la certitude serait acquise. Cependant, comme une expérience doit toujours pouvoir se répéter, que l'on doit être capable de refaire ce que l'on a fait une fois, et que dans l'ordre du miracle il ne peut être question de facile ou de difficile, le thaumaturge serait invité à reproduire son acte merveilleux dans d'autres circonstances, sur d'autres cadavres, dans un autre milieu. Si chaque fois le miracle réussissait, deux choses seraient prouvées : la première, c'est qu'il arrive dans le monde des faits surnaturels; la seconde, c'est que le pouvoir de les produire appartient ou est délégué à certaines personnes. Mais qui ne voit que jamais miracle ne s'est passé dans ces conditions là?»
Ces raisonneurs ne s'aperçoivent pas que des prétentions aussi absurdes, au lieu de confirmer leur cause, l'affaiblissent plutôt. Car, tandis que des rapporteurs indépendants l'un de l'autre peuvent toujours être appelés à examen, un verdict juridique, au contraire, barre la voie à des recherches ultérieures. D'autre part, une expérience subséquente, quelle que soit sa valeur, n'est nullement capable soit de corroborer, soit d'affaiblir la valeur intrinsèque d'une expérience antécédente.
C'est, en outre, une très grave erreur d'exiger que le témoin d'un fait miraculeux soit toujours un savant ou une personne très érudite. Les livres ne perfectionnent pas les sens, surtout le sens de la vue ; d'autre part, le moyen pour nous assurer d'un fait, est précisément le ministère des sens. Que de fois, au contraire, un paysan se trouve en position d'observer les phénomènes naturels bien mieux que ne l'est un savant ! Les paroles du cardinal Newman sont à noter ici[476]. «Si dans le cas d'une pluie d'aérolithes, on admet le témoignage d'un paysan, celui-ci peut également certifier que des ténèbres extraordinaires sont survenues sans cause naturelle. Un certificat médical n'est pas nécessaire pour nous assurer de la maladie d'un ami, pas plus que pour certifier le simple fait de sa guérison instantanée.»
Pour citer un seul fait biblique, celui de la pêche miraculeuse racontée par saint Luc[477], quels meilleurs témoins pourrait-on trouver que les pêcheurs eux-mêmes ? En général, sur les miracles de Notre-Seigneur, quel juge plus compétent que le peuple de Galilée, peuple de marins et par conséquent, à cause de ses relations étendues avec d'autres peuples d'esprit avisé et peu facile à se laisser duper par de fausses apparences ?


Le peu que nous connaissons des lois de la nature suffit pour nous faire discerner les vrais miracles des faux

Une objection que nous entendons souvent répéter semblerait, à première vue, ébranler toute créance accordée aux narrateurs de faits merveilleux dont ils auraient été les témoins ou qu'ils auraient appris de témoins de premier ordre. Les lois de la nature, dit-on, ne nous sont pas toutes connues ; nous voyons, au contraire, que tous les jours nous découvrons de nouveaux mystères cachés dans le trésor immense de l'univers. Il est donc impossible de savoir si telle ou telle œuvre surpasse, ou non, les forces de la nature.
Voici comment l'ineffable Jean-Jacques formule cette objection[478] : «Puisqu'un miracle est une exception aux lois de la nature, pour en juger il faut connaître ces lois, et pour en juger sûrement il faut les connaître toutes, car une seule qu'on ne connaîtrait pas pourrait, en certains cas inconnus aux spectateurs, changer l'effet de celles qu'on connaîtrait. Ainsi celui qui prononce que tel ou tel acte est un miracle, déclare qu'il connaît toutes les lois de la nature, et qu'il sait que cet acte en est une exception. Mais quel est ce mortel qui connaît toutes les lois de la nature ? Newton ne se vantait pas de les connaître. Un homme sage, témoin d'un fait inouï, peut attester qu'il a vu ce fait et on peut le croire : mais ni cet homme sage, ni nul autre homme sage sur la terre n'affirmera jamais... que ce fait, quelque étonnant qu'il puisse être, soit un miracle : car comment peut-il le savoir ?»
Nous répondons que, tout en concédant le fait que nous ne connaissons pas toutes les lois de la nature, nous savons pourtant qu'il ne peut exister de lois se détruisant mutuellement. Nous en concluons qu'il est impossible que des lois inconnues existent qui soient en contradiction avec celles que nous connaissons. D'autre part, nous n'appelons miracle que ce qui se produit en contradiction avec les lois connues et certifiées.
Si les lois de la nature, en effet, sont fixes et constantes, au point que les adversaires du miracle n'admettent même pas la possibilité d'aucune infraction à ces mêmes lois, en supposant que, par exemple, le feu se refuse à brûler, comme ceci arriva par rapport aux trois jeunes gens dans la fournaise de Babylone, un tel phénomène ne pourra pas être attribué à une loi inconnue de nous, puisque nous savons que la nature du feu est précisément de brûler, et qu'il ne peut posséder en même temps la propriété de ne pas brûler.
Or, bien que nous ne connaissions pas positivement toutes les lois de la nature, nous les connaissons pourtant négativement, en ce sens que nous savons, au moins dans beaucoup de cas, ce que la nature est incapable de produire. Ainsi, bien que toute la force de l'électricité ne nous soit pas encore parfaitement connue, nous savons pourtant que si, d'un côté, ce facteur mystérieux peut avoir des effets thérapeutiques surprenants, d'un autre côté il ne pourra jamais redonner la vie à un cadavre.


Vérité des miracles opérés par Jésus-Christ

Appliquons ici ce que nous venons de dire aux miracles de notre Divin Sauveur. En examinant la chose de près, nous trouvons qu'il ne manque à ces miracles aucune des conditions désirables pour concilier en leur faveur, et en particulier en faveur du plus grand de tous, la Résurrection, l'assentiment du critique le plus exigeant. La résurrection est un fait sensible. Jésus-Christ invite ses disciples à s'assurer, par leurs yeux et leurs mains, de la réalité de son corps ressuscité[479] : de plus, après sa Résurrection, non pas une fois seulement, mais bien pendant quarante jours, il converse avec eux, mange avec eux, s'entretient familièrement[480] non pas avec un ou deux seulement d'entre eux, mais avec un grand nombre, avec cinq cents personnes, nous dit Saint Paul[481], et parmi ces personnes de divers pays, et de langues différentes, ne manquaient certainement pas des hommes insignes par leur science doctrinale, et ceci en un temps où la culture intellectuelle et morale était à son apogée.
Nous savons en outre que, par disposition personnelle, les Apôtres n'étaient pas faciles à se rendre à l'évidence et parfois refusaient décidément de croire. S'étant mis ensuite à prêcher au monde ce grand miracle, ils sont les premiers à mettre en garde leurs auditeurs contre les fables ridicules et vaines que certains, de bonne foi peut-être, contaient à tout venant[482]. Ajoutons leur persévérance à affirmer cette vérité en présence d'auditoires rien moins que bienveillants, leur constance au milieu des tourments, même les plus atroces[483], et nous serons obligés de reconnaître que s'il est un fait attesté dans l'histoire, c'est précisément celui de la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ.


Fausseté des miracles faits par les païens

Si nous passons à examiner, sans passion aucune et avec une attention scrupuleuse, les prétendus miracles opérés par les païens et enregistrés par les anciens auteurs profanes, comme Hérodote, Diodore de Sicile, Denys d'Halicarnasse, Tite-Live et Valère-Maxime, nous découvrirons sans peine que ces narrations sont privées de toute base solide. Plusieurs parmi ces écrivains racontent des faits datant de plusieurs siècles ; d'autres, comme Tite-Live et Valère-Maxime, expriment leur doute sur la vérité des événements qu'ils décrivent ou les attribuent au pouvoir magique des sorciers, plutôt qu'à un pouvoir surnaturel authentique.
Citons en passant le prétendu miracle attribué à l'empereur Adrien, qui aurait rendu la vue à une femme en lui lavant les yeux. On peut affirmer sans crainte d'erreur que cet événement ne fut pas autre chose qu'une comédie habilement préparée par Antonin, fils adoptif d'Adrien, dans le but de raviver chez l'empereur son père l'espoir de la guérison. On raconte, en effet, qu'Adrien ayant perdu tout espoir de guérison, Antonin pensa lui rendre courage par le moyen suivant. Il fit pénétrer dans la chambre où gisait son père adoptif, une femme se disant envoyée par le ciel pour assurer le prince qu'il serait guéri. Elle ajouta, pour donner une preuve de sa mission, que le prince lui-même, en lui touchant les yeux, la guérirait de la cécité dont elle avait été atteinte, en punition du retard mis par elle à obéir aux ordres célestes. Quoi qu'il en soit de ce récit, le fait perd toute probabilité du moment qu'on considère que le biographe d'Adrien, Elius Spartianus, qui nous le rapporte, a écrit la vie de cet empereur près de deux siècles après la mort de celui-ci et qu'au surplus, il dit expressément que le pseudo-miracle se serait produit en présence de quelques familiers seulement[484].
En un mot, ou les prétendus miracles des païens, pour qui veut prendre la peine de les passer au crible d'une critique sérieuse, sont des œuvres magiques, ou bien leur narration manque de cette condition fondamentale, nécessaire pour mériter un titre à notre créance, c'est-à-dire une science véridique au-dessus de tout soupçon chez celui qui en a été le témoin.
Souvent ces récits sont dus à une imagination déréglée ou à un cerveau dérangé. Tels sont les ravissements de Montanus et de ses disciples et le voyage nocturne de Mahomet au Ciel. D'autres fois, ils ont pour principe la superstition ou l'exagération, comme les fables des Centaures ou celles des Cyclopes, la métamorphose annuelle racontée par Hérodote, des Scythes qui pendant quelques jours étaient changés en loups[485]. D'autres fois, ils sont le résultat de l'ignorance des lois de la nature, de l'électricité, de la lumière, de la chaleur, de la médecine, etc. ; les miracles de l'Évangile, au contraire, s'appuyent sur une base solide scientifique chez des témoins compétents : science et compétence que dix-neuf siècles d'opposition la plus hostile qu'on puisse imaginer n'ont pas été capables d'ébranler.
Rien de plus opportun ici que l'observation de saint Augustin[486]. « Nous ne sommes pas obligés de croire tous les récits de l'histoire profane, puisque les historiens eux-mêmes, de l'aveu de Varron, semblent, pour la plupart du temps, conspirer dans le but de se contredire. » Le même saint Docteur raconte[487], sans cependant y ajouter foi, que «des hôteliers initiés aux pratiques magiciennes, recélaient dans un fromage offert à des voyageurs le secret de les transformer soudain en bêtes de somme, qu'ils chargeaient ensuite de leurs bagages. Cette tâche accomplie, ils revenaient à leur première nature»[488].


Véracité et sincérité, conditions requises dans le témoin

Outre la science compétente, le témoin d'un miracle doit aussi posséder une autre qualité, et celle-ci d'ordre moral : il faut que son caractère personnel, son honnêteté, soient à l'abri de toute atteinte. Il ne suffirait pas qu'il connût le fait sans danger d'erreur ; si nous n'avons pas la certitude qu'il ne veut pas nous tromper, si nous n'avons pas des preuves de sa véracité, nous ne pourrons pas lui accorder le plein et entier consentement de notre intelligence.
La sincérité d'un auteur est sans contredit mise en doute s'il est prouvé que, dans d'autres occasions, il a été convaincu de fausseté. Ce n'est pas qu'un mensonge précédent appelle nécessairement un autre mensonge, autrement le pécheur se verrait fermer toute voie de réhabilitation ; mais un mensonge, surtout s'il est fait en pleine connaissance de cause et répété à plusieurs reprises, engendre le soupçon que le témoin se livre en d'autres occasions semblables, à des déclarations également malhonnêtes.
C'est pourquoi nous rejetons, comme manquant de preuve solide, les prodiges attribués à Apollonius de Thyane, parce que Philostrate, qui nous en a laissé le récit, écrivit plus de cent ans après la mort du prétendu thaumaturge et sans avoir en main des documents authentiques, mais seulement en se référant à de vagues traditions populaires. Aussi faut-il lui reconnaître le vice originel de passer pour un auteur dépourvu de véracité. Eusèbe de Césarée[489], Photius et d'autres appellent son ouvrage un tissu de mensonges, attribuant à l'auteur la renommée d'un conteur de fables. Son héros d'ailleurs ne jouit pas d'une meilleure réputation. D'après Philostrate[490], l'antiquité le tint pour un imposteur, disciple des Bracmanes et, de plus, pour un magicien fort habile grâce à l'art de la médecine et à celle de la physique où il excellait.
L'histoire d'Apollonius fut d'abord écrite par un de ses disciples, un certain Damida de Ninive, que Lucien désigne comme un aventurier indigne de toute créance. Le sophiste Philostrate, que Nonnette appelle le plus menteur des hommes après Voltaire, recueillit, longtemps après la mort d'Apollonius, tout ce qu'il put trouver sur des fragments d'écritures apocryphes ayant trait à son personnage, et ceci dans le but de flatter les goûts littéraires qu'étalait l'Impératrice Julie, femme de Sévère et comme lui cruelle persécutrice des chrétiens.
L'absence de fins personnelles et intéressées chez le témoin est en outre une condition essentielle pour mériter la créance du lecteur. Si, au contraire, la trame du récit trahit le désir du lucre, la recherche de la renommée ou du pouvoir, l'intention d'exalter un parti ou toute autre fin intéressée, la sincérité du témoin sera justement mise en doute. La vérité est simple et candide, étant elle-même sa propre fin puisqu'elle n'est autre chose que Dieu lui-même.
Sur ce point encore, les récits merveilleux des auteurs déjà cités ne pèchent pas moins gravement que sur le point précédent. Par rapport à Vespasien, nous savons que son but, en accomplissant les prétendues guérisons racontées plus haut[491], était d'acquérir du crédit auprès des juifs, ennemis jurés de Jésus-Christ, en imitant ses miracles. De cette manière il cherchait, par un simulacre de religiosité, à raffermir son trône chancelant. Philostrate n'avait pas non plus, en racontant les prodiges d'Apollonius, d'autre intention que de s'attirer les bonnes grâces des princes païens et d'affaiblir, autant qu'il le pouvait, la religion chrétienne qu'il voyait s'établir de plus en plus et gagner chaque jour du terrain. D'autre part, tout homme de bon sens ne saurait douter que les œuvres merveilleuses attribuées à Mahomet ne furent en réalité que de mensongères imitations des miracles de Notre Seigneur jésus-Christ.
Quelle diversité, au contraire, dans la fin des miracles chrétiens et même judaïques ! Loin d'eux l'apparence de tout intérêt personnel. Ici un but unique apparaît, celui de promouvoir le règne de Dieu, de venger la vérité, de faire du bien à l'humanité. Chez les témoins nous trouvons une sincérité à toute épreuve, dût cette sincérité leur coûter l'honneur, la réputation, la paix et même la vie. Ils ne reculent pas devant les plus cruels tourments, parce que leurs regards vont plus haut que tout motif temporel. «Nous ne pouvons pas, disent-ils, nous abstenir de parler des choses que nous avons vues et entendues[492]
Ajoutons que les miracles de l'Écriture s'opposent à toute suspicion de fraude, trop nombreuses étant les personnes intéressées à découvrir la supercherie, si elle avait eu lieu. Par contre, les miracles attribués aux auteurs païens nous apparaissent si mal étayés, qu'ils ne peuvent résister à la critique même la plus indulgente. Nous savons, par exemple, que les fameuses guérisons qui se produisaient au temple d'Esculape, n'étaient pas autre chose que l'effet des remèdes préparés et administrés par les prêtres de ce dieu, très versés comme ils l'étaient dans l'art de la médecine[493].


Des faits merveilleux ne sont pas à rejeter à cause du simple défaut de témoins contemporains

Au cas où la véracité du témoin et sa compétence à connaître l'existence des faits et à les discerner judicieusement soient choses pleinement prouvées, il n'y aura aucune raison pour rejeter a priori comme absolument faux, certains événements merveilleux, pour le seul motif du manque de témoins contemporains qui en fassent foi. On ne peut pas toujours avoir à sa disposition de pareils témoins. Par conséquent si, d'un côté, une foi aveugle est à réprouver là où ne se rencontrent pas tous les motifs de crédibilité, d'un autre côté, ne pas reconnaître à des faits attestés ce degré de probabilité que leur confère l'autorité d'un témoin bien que non contemporain, constitue le défaut opposé.
C'est à un cas de ce genre que se rapportent, nous semble-t-il, les deux miracles opérés, dit-on, par Jésus-Christ à son entrée en Égypte : celui d'un arbre nommé Persis ou Persaea, qui se serait courbé jusqu'à terre comme pour adorer le Sauveur, et celui du renversement et de la ruine des statues de faux dieux.
Les faits sont rapportés par Sozomène, un écrivain du cinquième siècle, qui souscrit à leur authenticité, en même temps qu'il en appelle à la tradition constante des peuples de ces contrées. Nous citerons ses paroles mêmes, d'autant que ce récit préparera la voie à la doctrine que nous nous proposons d'exposer dans les chapitres suivants, où nous étudierons les vrais miracles de Jésus-Christ, en relation avec le fait de sa divinité.
«On fait mention, dit-il[494], d'un arbre nommé Persis, à Hermopolis, ville de la Thébaïde, dont les fruits, les feuilles et des fragments d'écorce appliqués aux malades ont la vertu de chasser de beaucoup d'entre eux le mal dont ils souffrent. La tradition veut, en effet, que joseph fuyant Hérode avec Jésus-Christ et Marie la Sainte Mère de Dieu, vînt à Hermopolis et qu'au moment où il approchait des portes de cette ville, cet arbre, bien que de très grosse taille, fût tout à coup si remué par la venue du Christ, qu'il se courba jusqu'à terre pour l'adorer. Ces choses, je les redis comme je les ai entendu raconter bien des fois et, en vérité, s'il m'est permis de formuler un jugement, je dirai que l'on en peut conclure que Jésus-Christ venait dans cette ville ou que, chose vraisemblable, l'arbre que les habitants, soumis à la loi du paganisme, vénéraient pour sa grandeur et sa beauté, fut cause que le démon que l'on adorait en ce lieu, terrifié par la présence du Christ venant détruire un tel culte, l'abandonna, et que toutes les statues des Égyptiens furent jetées à terre à la venue du Christ ainsi que l'avait prophétisé Isaïe. C'est pourquoi le démon, ayant été chassé, l'arbre demeura comme témoin du prodige et servit à délivrer les fidèles de leurs maladies. Or, de même que les Égyptiens, les Palestiniens aussi ont rendu à ce sujet d'amples témoignages, tandis que les habitants d'autres pays ont rendu particulièrement témoignage par rapport à d'autres prodiges survenus chez eux.[495]»
En réalité, des faits enregistrés comme authentiques par des historiens sérieux, attestés par tous les peuples de la contrée où ils se produisirent, confirmés par des guérisons miraculeuses et que l'on peut dire prédites, quant à la substance, par les Prophètes de l'Ancien Testament, de tels faits méritent qu'on leur prête une certaine attention et qu'on ne les rejette pas a priori comme des choses invraisemblables ou tout à fait arbitraires.
Nous dirons donc que, s'il y a de faux miracles, ce n'est pas une raison suffisante pour comprendre dans une même catégorie, comme quelques-uns ont hâte de le faire, toutes les merveilles contenues dans les pages de l'histoire. Si dans les temps anciens aussi bien qu'à des époques plus récentes, au milieu de gens cultivés ou de peuples barbares, au sein de religions païennes et de sectes chrétiennes, il y a eu des œuvres accomplies dans le but avoué de tromper les simples ou d'induire en erreur les ignorants, il n'est pas moins vrai qu'il existe de vrais miracles, dont l'authenticité demeure à l'abri de toute attaque.
Pour citer un exemple, comment rejeter l'existence de miracles tels que ceux rapportés par saint Augustin dans son livre de la Cité de Dieu, où il parle de prodiges survenus en présence de tout un peuple à l'occasion de la translation des reliques du martyr saint Étienne. « L'Évêque Projectus, dit-il[496], ayant apporté à Tibilis les restes du très glorieux martyr saint Étienne, une affluence et un concours extraordinaire de fidèles se pressèrent pour les vénérer. Une femme du pays, aveugle, se fit conduire à l'évêque chargé des précieux restes. Elle lui donna les fleurs qu'elle avait elle-même apportées ; on les lui rendit ; elle les approcha de ses yeux, et soudainement elle recouvra la vue. Au grand étonnement des assistants, elle précéda la procession, marchant pleine de joie, sans avoir besoin de l'assistance d'un guide pour diriger ses pas. Les reliques du même martyr déposées à Synite, dans le voisinage de la colonie d'Hippone, étaient portées par l'évêque du lieu, Lucillus, précédé et suivi de tout son peuple. Une fistule dont il souffrait depuis longtemps et qui attendait la main de l'opérateur, fut tout à coup guérie par ce précieux fardeau, car l'évêque ne retrouva plus en lui aucun vestige du mal.» De nombreux miracles du même genre opérés par saint Étienne sont encore rapportés par le saint Docteur.
Si des faits entourés de preuves si solides ne sont pas à reconnaître comme authentiques, il faudra renoncer à jamais trouver la vérité. Il faudra se résigner à croire que toutes les histoires sont fausses, que tous les peuples ont été induits en erreur, que le monde entier a pris pour blanc ce qui était noir.


Liquéfaction du sang de saint Janvier

Si des temps déjà lointains nous venons à notre époque, nous trouverons que les deux conditions requises pour nous assurer de l'authenticité d'un miracle, c'est-à-dire : la science du témoin et sa véracité, ne manquent pas de nos jours pour corroborer la créance en certains faits merveilleux, dont nos contemporains peuvent être les témoins. Pour ne rien dire des miracles de Lourdes, auxquels nous avons déjà fait allusion et dont l'authenticité est parfaitement garantie par la réalisation de ces deux conditions, nous croyons être agréable au lecteur en appelant son attention sur certains faits merveilleux qui se produisent constamment sous les yeux de tous. Bornons-nous à trois de ces faits : d'abord, la liquéfaction périodique du sang de saint Janvier ; en second lieu, la transformation de la sainte Épine d'Andria ; enfin les guérisons obtenues par la médiation de certains individus appartenant à une famille italienne, appelée Cancelli.
Commençant par le miracle de saint Janvier, nous observons qu'il y a là un prodige se répétant depuis des siècles avec une régularité surprenante, dans des circonstances déterminées et devant un immense concours de peuple accouru de toutes parts et ne songeant qu'à prier. Telle est la liquéfaction du sang de saint Janvier, évêque et martyr de Bénévent. Le prodige se reproduit chaque année à Naples, où repose son corps, le jour de sa translation, c'est-à-dire le 2 mai, et le jour de son martyre, le I9 septembre. Il se produit également, mais d'une manière exceptionnelle, en la fête du patronage de ce saint, le 16 décembre.
Le miracle a lieu dans la grande rotonde attenant à la cathédrale de Naples, dite la Chapelle du Trésor. Il est accompagné de telles garanties de la part de personnes autorisées et sérieuses, qu'il ne saurait laisser place à aucun doute. Depuis plus de quatre siècles, en effet, on confie à un comité de douze membres, choisis dans les divers quartiers de la ville, le soin exclusif de régler tout ce qui concerne la garde et le culte particulier des reliques du saint. Sur la liste des membres de ce comité, on relève les noms des personnages les plus éminents et les plus respectables de la ville.
Les reliques, c'est-à-dire le chef du saint et les deux ampoules contenant son sang, sont conservées sur l'autel de la Chapelle du Trésor, dans deux niches séparées, creusées dans le mur et fermées par deux panneaux de métal, ce qui les fait ressembler à deux coffres-forts. Chacune de ces niches est fermée par quatre clefs, dont deux sont confiées à la garde de l'archevêque de Naples, les deux autres sont entre les mains du Podestat de cette ville. Aux jours de fête indiqués plus haut, les deux niches sont ouvertes et les deux ampoules exposées devant le reliquaire contenant le chef du martyr. Les ampoules sont de verre : la plus petite ne contient que quelques traces de sang ; l'autre, plus grande, a la forme d'une petite amphore dont le col se rétrécit vers le haut. Elle est remplie, plus qu'à moitié, d'une matière dure, épaisse et d'une couleur très foncée, celle précisément du sang coagulé. Ces deux ampoules s'offrent nettement à la vue, enchâssées comme elles sont dans la cavité circulaire d'un ostensoir fermé par deux cristaux translucides.
A une heure déterminée arrivent le clergé et les autorités qui ont peine à se frayer un passage, tant est compacte la foule des fidèles. L'on commence par réciter des prières, entre autres le Miserere, que tout le peuple accompagne. Alors, un prêtre, portant l'ostensoir, passe d'un côté à l'autre du chœur, le montrant au peuple qu'il bénit à diverses reprises avec la sainte relique. Puis, à la vue de tous, il renverse l'ostensoir, le prenant par la croix qui le surmonte. Le sang qui est encore compact, adhère toujours au fond de l'ampoule ; le miracle ne s'est pas encore produit. L'on continue les prières commencées ; on récite les litanies et les psaumes jusqu'à ce que, tout d'un coup, le prêtre retournant l'ostensoir, on voie descendre le long des parois de verre. une matière rougeâtre, dense d'abord, puis petit à petit plus liquéfiée. Encore un bref intervalle, et la fluidité est complète. Un Te Deum d'action de grâces s'échappe alors de toutes les lèvres!
Tout ceci se passe dans un laps de temps assez variable : d'une minute à une heure et demie et parfois davantage. La liquéfaction a lieu dans la matinée. Chacun est libre d'observer la couleur vive du sang dont la liquéfaction s'accompagne d'une augmentation de volume et de poids.
A la même heure, un miracle analogue s'accomplit à quatorze kilomètres de Naples, à Pouzzoles, où saint janvier fut décapité. Une pierre poreuse imprégnée du sang du martyr et conservée jusqu'à nos jours est, dans cet endroit, l'objet d'une vénération particulière.
Une chronique sicilienne anonyme[497] enregistrait déjà, vers la fin de 1389, le prodige de cette liquéfaction miraculeuse. Depuis le milieu du XVe siècle jusqu'à nos jours, les récits de ce miracle se succèdent sans interruption[498].


Les saintes épines de Notre-Seigneur

Une autre merveille ordonnée, elle aussi, par Dieu pour raviver dans les peuples la foi au surnaturel et qui depuis des siècles se répète périodiquement, est le miracle de la sainte Épine de Notre Seigneur Jésus-Christ, relique conservée religieusement dans la cathédrale d'Andria, au pays des Pouilles. Ce miracle a lieu chaque fois que le Vendredi-Saint coïncide avec le 25 mars, jour où le Verbe s'est incarné et où, selon l'enseignement d'auteurs dignes de foi, il est mort pour nous.
La sainte Épine, ce jour-là, prend tout à coup une couleur vermeille et apparaît comme baignée de sang. Nous savons par les Actes de la Curie d'Andria, que ce miracle se produisit en 1633, année où il en fut rédigé un rapport notarié ; il se renouvela dans les années 1644, 1701 et 1712. C'est à cette dernière date que la Sacrée Congrégation des Rites accorda au clergé séculier de la ville et du diocèse un office de la sainte Épine à célébrer l'un des vendredis de mars. Le miracle s'est encore produit récemment, le 25 mars 1932, en présence d'une foule nombreuse et des autorités ecclésiastiques et civiles qui en confièrent l'examen à une commission médicale compétente[499].
Un miracle semblable a eu lieu à diverses reprises et notamment en I921, dans la grande basilique de Saint-Nicolas de Bari, riche en précieux souvenirs et où l'on vénère également une épine de la couronne de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'insigne relique dont la couleur est habituellement celle d'une écorce desséchée, comme celle du caroubier, apparut alors subitement, en présence d'une nombreuse assistance, teinte entièrement d'une belle couleur vermeille.


Cures opérées par l'instrumentalité des Cancelli

Un fait susceptible d'attester la vertu instrumentale accordée par Dieu aux thaumaturges, fait auquel ne manque ni l'approbation de la science, ni la véracité des témoins, nous est fourni par des guérisons merveilleuses obtenues par la médiation de quelques individus privilégiés appartenant à une famille nommée Cancelli, dans le village de ce nom au diocèse de Foligno.
Comme l'a déjà déclaré la Curie Épiscopale de cette ville, et comme l'atteste une ancienne tradition soigneusement conservée dans le pays, les Apôtres saint Pierre et saint Paul, prêchant l'Évangile dans l'Ombrie, auraient un jour passé par ce village et auraient reçu l'hospitalité d'une pieuse famille à laquelle les Apôtres susdits auraient accordé, en récompense, pour le chef de la famille et tous ses descendants, le pouvoir de guérir les personnes malades de la sciatique, de la goutte et d'autres infirmités semblables. La famille Cancelli, qui ensuite a donné son nom au petit village alpestre, serait la descendante directe de l'heureuse famille où furent reçus les saints Apôtres, et serait héritière de ce privilège apostolique. Les chefs de cette famille, en récitant l'oraison dominicale et en faisant sur le malade des signes de croix, opèrent souvent des guérisons fort surprenantes.
Des documents authentiques établis depuis le XVIe siècle attestent la réalité de ces miracles. Parmi les guérisons les plus notables, on cite celles opérées à Turin en 1761 par Vincenzo Cancelli qui, dit-on, guérit alors plusieurs centaines de malades. Quelques années après, on érigea dans l'église des saints Apôtres, au pays même des Cancelli, un monument de marbre pour perpétuer le souvenir de cet événement.
Une autre guérison plus récente et plus célèbre, fut celle de Lady Denbigh, en I85o. Cette dame anglaise était depuis quelque temps tourmentée par une sciatique douloureuse. Malgré les soins des meilleurs médecins de l'époque, elle était, depuis déjà de longs mois, en proie à une grande souffrance, au point que devant aller à une audience du Pape Pie IX, elle dut être transportée sur une civière. Le Souverain Pontife l'ayant vue en cet état et connaissant la famille Cancelli pour avoir lui-même, étant évêque de Spolète, visité l'église de ce pays, conseilla à Lady Denbigh de faire appeler le chef de la famille, ce qu'elle fit sans retard. Le résultat fut une guérison immédiate dont le fils de la malade, Lord Denbigh, a donné un récit circonstancié[500].
Plus remarquable encore fut la guérison que l'on dit avoir été opérée sur Sa Sainteté le Pape Pie IX, qui, malade, lui aussi, d'une grave attaque de sciatique, fit venir dans ses appartements l'un des Cancelli, Giovanni Battista, et tout comme un simple fidèle, récita avec lui les prières prescrites accompagnées du signe de la Croix sur la partie malade et fut parfaitement guéri[501].



CHAPITRE XVIII - L'HOMME-DIEU

Jésus-Christ vrai Dieu et vrai Homme

S'il y a dans les annales du monde une chose capable de susciter l'admiration de l'homme, c'est à coup sûr l'histoire des miracles opérés par Jésus-Christ. Ces miracles sont nombreux au point qu'on ne peut les compter, si extraordinaires, qu'ils surpassent toute attente. Cet homme singulier, de sa propre vertu, multiplie le pain, change l'eau en vin, annonce les choses à venir, met à nu les secrets des cœurs, guérit toutes sortes d'infirmités, calme les tempêtes, commande aux éléments, chasse les mauvais esprits. Un astre annonce sa naissance ; à sa mort, le soleil le pleure, la terre tremble, les rochers se fendent, les sépulcres rendent leurs morts ; bientôt il sort lui-même du tombeau et monte au ciel beau comme l'aurore, glorieux comme la lumière du plein midi.
Le secret d'une telle puissance nous est révélé par les Évangélistes, quand ils nous disent que Jésus-Christ était à la fois Dieu et Homme. C'est là l'unique raison valable pour expliquer ces faits éclatants. Éternel comme son Père et comme Lui infini et immortel, Jésus-Christ est en même temps un homme comme les autres hommes, né d'une femme et, comme tel, fini et mortel.
Le Verbe de Dieu a voulu, dans le cours des siècles, s'unir à notre humanité dans l'unité de personne et dans la communauté de son être. De cette très étroite union, il résulte que Jésus-Christ est une seule personne, subsistant réellement en deux natures, sans confusion de celles-ci, comme aussi sans séparation aucune. Le Verbe demeure ce qu'il était, communiquant sa personnalité, son être, à cette humanité ; en outre, en vertu de cette union hypostatique, il l'enrichit de la plénitude de la grâce et des dons célestes.
On ne peut concevoir une perfection plus grande que celle de la bienheureuse humanité de Jésus-Christ, embellie et ornée à profusion par le Verbe Divin. L'esprit humain, quelque effort qu'il fasse pour en dessiner les traits, n'arrivera jamais à s'en faire une idée adéquate. Seuls les Bienheureux peuvent dire combien est beau le Fils de l'Homme, eux qui, dans la contemplation de sa face, trouvent une cause intarissable de délices, toujours anciennes et toujours nouvelles.
Il nous faudrait le langage d'un Séraphin pour décrire les trésors infinis de la grâce cachés dans l'âme sacro-sainte de Jésus-Christ, pour exalter dignement son ardente charité, sa générosité, son sens élevé de la justice, la noblesse de son esprit, sa promptitude à suivre tous les mouvements de l'Esprit-Saint, sa sagesse céleste, sa science profonde de toutes choses, science s'étendant à chaque genre de connaissances et embrassant toutes les vérités, tant dans l'ordre de la nature que dans celui de la grâce. Outre la science divine que Jésus-Christ eut comme Dieu, il posséda également, comme homme, non seulement la science bienheureuse, qui consiste dans la vision de l'Essence divine, mais aussi la science infuse qui est la propriété des Anges, ainsi qu'une très vaste science acquise semblable en nature à la nôtre, mais de bien loin supérieure à celle-ci[502].
Or, toutes ces qualités se reflétaient, comme dans un miroir, dans la noblesse innée du visage du Rédempteur, dans la calme dignité de sa démarche, dans l'exquise mélodie de ses paroles, dans la douceur majestueuse de ses manières. Affable avec les bons, sévère avec les méchants, très juste avec tous, « Il passa en faisant le bien[503]»; et après trente-trois ans de fatigues et de souffrances, il fut mis à mort par les hommes ; enfin, ressuscité, il retourna à son Père.


But de l'Incarnation

Mais pourquoi Dieu voulut-il se faire homme ? Pourquoi l'Éternel a-t-il choisi de s'unir à une créature si inférieure à lui en dignité, en vertu, en perfection ?
Certes, Dieu est infini et peut tout ce qu'il veut. Il aurait pu revêtir notre nature humaine à seule fin de se présenter, d'une manière nouvelle, dans le monde, où il était dès le commencement, ou comme un maître et seigneur dans le but d'élever l'homme, sa créature, au delà des limites concevables de la nature créée, ou bien encore pour donner au monde un spectacle tout à fait insolite, celui, pour ainsi dire, de la déification de la créature, et de l'anéantissement du Créateur.
Mais ce n'était pas là ce que Dieu avait en vue en revêtant notre nature et en se l'unissant en l'unité de personne. Son but, but tout spécial, fut de procurer le salut de l'homme. Sauver l'homme tombé de son premier état dans l'abîme du péché et par conséquent privé de l'innocence originelle et de la grâce ; le rétablir dans son ancienne dignité et lui assurer l'héritage céleste en lui faisant occuper les sièges laissés vacants par les anges rebelles, voilà quel fut le vrai motif de l'Incarnation. «Je suis venu, a dit Jésus-Christ lui-même[504], afin qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance. » Et encore[505] « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par Lui. »
Ce n'est pas que Dieu n'eût pu sauver la nature humaine d'une autre manière. Un seul acte de sa volonté eût suffi. Dieu est infini et pour lui, vouloir c'est pouvoir. Toutefois il décida de se servir de l'homme pour sauver l'homme, afin que ses divins attributs en retirassent une gloire plus grande : sa bonté, puisqu'il ne dédaigna pas d'être ému de pitié pour l'œuvre de ses mains ; sa justice, en ordonnant que le vaincu triomphât de l'ennemi qui l'avait abattu ;sa sagesse, car en acquittant, de cette façon, jusqu'à la dernière obole, une dette par elle-même infinie ; sa puissance, car pour devenir homme, il fallait une puissance rien moins que divine[506].
L'âme de Jésus-Christ, ou plutôt son humanité tout entière, devint donc, par rapport au Verbe, l'instrument de la divinité pour tout ce qui concerne l'œuvre de la rédemption. C'est pourquoi notre salut est dû tout entier à Jésus-Christ qui, comme Dieu, en fut la cause principale et, comme homme, la cause instrumentale. De même, les miracles accomplis par lui doivent être attribués à sa Divinité, comme à leur cause principale, et à son humanité comme à leur cause instrumentale. C'est pourquoi saint Augustin, parlant de la merveilleuse multiplication des pains faite par notre Divin Sauveur, dit justement [507]: « La puissance était dans les mains du Christ. »
Mais, pour mieux comprendre la part qui revient à l'humanité du Sauveur dans les œuvres miraculeuses accomplies par Lui, il nous faut expliquer avec soin en quoi consiste l'action de la cause instrumentale. Nous avons déjà étudié ce point en partie[508], mais il est nécessaire d'y revenir, pour qu'aucun doute ne reste sur cette importante question. C'est uniquement, en effet, par la claire compréhension de ce qu'est la cause instrumentale que l'on peut comprendre nettement et la puissance mise en jeu par l'humanité de Jésus-Christ dans l'accomplissement des œuvres de l'ordre surnaturel et la vertu que lui-même a conférée aux sacrements dans la production de la grâce.


Ce qu'est un instrument

L'action d'un instrument s'exerce de deux manières : la première appartient à l'instrument selon la forme qui lui est propre ; la seconde lui appartient en tant qu'il est mû par l'agent principal. Pour ce qui regarde son action propre, un instrument, une scie, par exemple, ne fait autre chose qu'entailler ; mais selon que cet instrument est mû par l'ouvrier, il produit un banc, une table, une armoire. De ces deux actions, la première est propre à la scie selon sa forme ; l'autre, par contre, ne se différencie pas de l'opération de celui qui la meut opérant en qualité d'agent principal. La première action n'appartient au moteur qu'en tant qu'il s'en sert pour son œuvre ; ainsi chauffer, qui est la propriété du feu, n'appartient au forgeron qu'en tant qu'il se sert du feu pour chauffer le fer ; la seconde action, au contraire, est à la fois l'action de l'agent et celle de l'instrument.
Il faut donc reconnaître, dans l'instrument, une double action : l'une qui lui est propre selon qu'il agit par sa forme ; l'autre qui convient à la fois à l'instrument et à l'agent principal. Cette action-ci n'appartient pas d'elle-même à l'instrument, mais seulement en tant que l'instrument est mû par l'agent principal. Mouvoir, en effet, n'est pas dans la nature de l'instrument, sinon en tant qu'il est mû lui-même : «Instrumentum movet motum.»
Il s'en suit de là que l'opération de l'instrument selon sa forme propre, et son opération selon qu'il est mû par le moteur, bien que constituant deux opérations distinctes, ne doivent pas se séparer l'une de l'autre n'étant pas distinctes à ce point qu'on les puisse diviser. Car le moteur se sert précisément de l'opération propre de l'instrument, et celui-ci participe à l'opération du moteur. Aussi, tant l'instrument qui est mû que le moteur principal, agissent d'un commun accord.
Un exemple nous aidera à comprendre cette profonde vérité. Une plume a pour opération propre de marquer, d'une façon ou d'une autre, des signes noirs ou rouges sur le papier ; mais qu'elle soit employée par un habile artiste, et son opération deviendra beaucoup plus noble. Cette opération consistera à créer un dessin conforme aux règles de l'art : c'est là, à proprement parler, l'opération même de l'artiste. Or, dans l'exécution d'un travail de ce genre, ce n'est plus la plume qui dessine, mais c'est l'artiste au moyen de la plume. Celle-ci participe donc à l'opération de l'artiste, et l'artiste se sert de l'opération de la plume, tous deux opérant ainsi de concert[509].


Perfection de l'âme de Jésus-Christ

Dans Jésus-Christ, avons-nous dit, sont réunies, sans aucune confusion ou division, les deux natures, la divine et l'humaine, chacune très parfaite dans son genre. Or, la nature est principe d'opération ; il est donc nécessaire que les deux natures dans Jésus-Christ aient leurs opérations propres. Mais, avons-nous ajouté, la nature humaine est, en outre, l'instrument de la divinité. Cette distinction d'opérations, la divine et l'humaine demeurant intacte, il faut considérer l'opération de Jésus-Christ non seulement en tant que l'humanité opère selon sa propre nature et sa propre vertu, mais aussi en tant qu'elle opère sous l'influence de la Divinité et comme son instrument.
Considérée selon sa nature propre et sa propre vertu, l'humanité de Jésus-Christ possède une opération souverainement parfaite, correspondant au degré des perfections, tant naturelles que gratuites, dont elle fut amplement dotée par Dieu. Elle peut donc produire ainsi tous les effets convenant à une aussi noble nature. Son âme avait la vertu de gouverner parfaitement son propre corps, sans que la partie inférieure s'insurgeât d'aucune façon contre la partie supérieure ou retardât l'exécution des ordres de celle-ci, comme cela se produit, hélas ! trop souvent en nous. Toutefois cette même âme, malgré sa perfection, ne pouvait pas changer son propre corps, ou lui donner à son gré quelque autre forme, ou bien encore régler, selon son bon plaisir, les fonctions de la vie végétative, la nutrition, l'assimilation, l'augmentation ou autres choses semblables. Elle ne pouvait non plus donner à ce même corps des attributions qui ne lui sont pas naturelles, comme de vivre sans respirer ou sans manger, de voler, et choses semblables[510]. Ceci, en effet, ne dépend pas de l'âme humaine considérée comme forme proportionnée du corps, mais ne lui convient que lorsque, par la gloire, elle est élevée, dans une mesure surpassant toute proportion, au-dessus de son corps. Mais pour tout ce qui se rapporte aux mouvements, aux passions, aux phantasmes, et en général à tous les phénomènes de la vie animale, l'âme de Jésus-Christ eut une maîtrise absolue et ne fut jamais au pouvoir des sens ou des mouvements déréglés qui parfois troublent si péniblement les justes eux-mêmes.
En outre, l'âme de Jésus-Christ, toujours considérée selon sa propre nature et la grâce dont elle était ornée, eut une vertu telle qu'elle put ordonner tous ses actes humains et les disposer convenablement selon les règles de la raison. Étant remplie de grâce et de science[511], elle put ainsi illuminer, comme un soleil étincelant, non seulement les hommes, mais aussi les hiérarchies célestes, jusqu'au premier des Séraphins, celui qui, plus que tout autre, ressemble à Dieu. Ce Séraphin peut bien illuminer les hiérarchies inférieures, mais il n'en est pas moins pour cela sujet à l'âme du Christ, qui le dépasse infiniment en beauté et en splendeur de grâce et de vérité, et dont il reçoit lui-même toute illumination surnaturelle.
Telle est, considérée en elle-même, la très sainte humanité de Jésus-Christ, en réalité un vrai prodige, un phénomène tout à fait merveilleux, l'objet des complaisances du Père, une somme de perfections telle, que notre esprit se perd en présence de tant de beauté, de tant de perfection, de tant de grandeur[512].


L'Humanité de Jésus-Christ, instrument de la divinité

Cependant, il plut à Dieu d'élever encore plus haut l'opération de la sainte humanité de Jésus-Christ, en s'en servant comme d'instrument et en la faisant ainsi participer à son action infinie. L'humanité du Sauveur, et son âme en particulier, fut l'instrument de la Divinité, instrument joint à celle-ci, comme la main l'est au corps. En cette qualité, les actions du Rédempteur, déjà si nobles et si parfaites en elles-mêmes, revêtirent un caractère inconcevable de perfection et de sublimité. Chez notre Divin Sauveur, en effet, la nature divine se servait de l'opération de la nature humaine, comme de l'opération de son instrument, et la nature humaine participait également à l'opération de l'agent principal, ce que le grand Pape saint Léon exprimait si noblement dans sa lettre à Flavien[513] «Chacune des deux natures dans le Christ opère de concert avec l'autre ce qui lui est propre : le Verbe, les choses qui sont propres au Verbe ; la chair, les choses qui sont propres à la chair.»
Il y eut donc en Jésus-Christ l'effet propre de l'opération divine et l'effet propre de l'opération humaine. Lorsque le Sauveur guérissait miraculeusement le lépreux en le touchant de sa main très sainte, l'effet propre de l'opération divine était la guérison du lépreux ; l'effet propre de l'opération humaine était le toucher de la main du Christ. Ces deux opérations coopéraient donc dans une œuvre unique, selon que l'une des deux natures agissait de concert avec l'autre, ce que l'auteur du livre de Divinis Nominibus exprime en disant[514] que l'opération du Christ est théandrique, c'est-à-dire divino-humaine. Ceci ne veut pas dire que les deux opérations doivent se confondre ou que l'on doive identifier la vertu des deux natures ; mais le sens est que l'opération divine se servait de l'opération humaine comme de son instrument et l'opération humaine participait à la vertu de l'opération divine.
En accomplissant les œuvres merveilleuses dont nous lisons le récit dans l'Évangile, Jésus-Christ faisait des actions humaines : il marchait, il parlait, il touchait de ses mains, tout comme nous le faisons nous-mêmes. Mais en lui ces actions étaient en même temps des actions de Dieu ; et par conséquent, il pouvait, en marchant, appuyer le pied sur l'élément liquide et y trouver la stabilité comme s'il eût été sur la terre ferme ; ou bien, en touchant de ses mains le corps décharné d'un malheureux lépreux, rendre à cette chair en décomposition la vigueur et la fraîcheur de la jeunesse[515].
Ce que nous disons prouve jusqu'à l'évidence que Jésus-Christ, comme homme, put accomplir des miracles, non par la vertu propre de son humanité, mais parce que celle-ci était l'instrument du Verbe ou de la Divinité. L'humanité du Sauveur, si parfaite qu'elle soit, est toujours une chose créée et créées sont aussi toutes ses perfections, tant au point de vue de la nature, qu'à celui de la grâce. Mais, si, comme nous avons dit plus haut, Dieu peut communiquer à ses serviteurs ce pouvoir divin, de telle façon qu'ils deviennent des instruments dans l'accomplissement des miracles, qui pourra s'étonner si l'humanité de Jésus-Christ devint, pour ainsi dire, l'instrument ordinaire de la Divinité, instrument tellement excellent qu'il put, en raison de son intimité avec le Verbe, communiquer à d'autres cette même vertu ?
Oui, l'humanité du Christ non seulement fut élevée par le Verbe à la dignité d'instrument de la Divinité, mais elle eut aussi la puissance d'établir à côté d'elle, d'autres instruments pour la production des miracles et, en général, de tous les effets de l'ordre surnaturel. Il est hors de doute qu'il en est ainsi pour les sacrements et pour les ministres de la Nouvelle Loi ; mais une même certitude s'étend aussi à d'autres choses et à d'autres personnes. Quelle difficulté y a-t-il à ce que la sainte humanité de Jésus-Christ, à qui le Père a soumis toutes choses[516], se serve non seulement des créatures insensibles, mais aussi de celles douées d'intelligence, pour produire, par leur moyen, comme par autant d'instruments particuliers, ces admirables effets qu'elle-même, comme instrument universel aux mains de la divinité, peut produire ?
Cette doctrine, tout en ennoblissant merveilleusement la créature en général, mais surtout la créature raisonnable, fait briller de la plus belle lumière la figure grandiose de Notre-Seigneur, en nous le montrant tel qu'il est en réalité, le Roi et Seigneur de toute la création. Ceci n'est pas simplement une hypothèse. Saint Mathieu, en effet, ne dit-il pas expressément que Jésus, ayant assemblé ses disciples, leur donna le pouvoir de chasser les esprits immondes et de guérir toute sorte de langueurs et d'infirmités[517] ?
Disons-le avec une parfaite assurance: non seulement l'humanité de Jésus-Christ fut l'instrument dont il plut à Dieu de se servir dans la production des effets merveilleux s'accomplissant journellement dans l'Église, mais encore en vertu de cette même humanité, il communique le pouvoir instrumental à des êtres sans nombre, en vue de la production d'effets analogues.
Parmi ces instruments secondaires, et en première ligne, il convient de placer la très Sainte Mère de Jésus-Christ, la glorieuse Vierge Marie, la thaumaturge par excellence, proclamée avec tant de vérité par la bouche du peuple chrétien, Notre Dame des Miracles, Notre Dame des Prodiges. N'est-ce pas elle qui, dans ses sanctuaires privilégiés de Lourdes, de Lorette, de Pompéi, de Vicence et dans beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer ici, sous la motion de son divin Fils, rend aux aveugles la vue, l'ouïe aux sourds, la vie aux moribonds ? Et tout en accomplissant tant de merveilles pour le bien du corps, Elle, la dispensatrice des grâces célestes, la Madone des Grâces, n'en est pas moins active à mouvoir efficacement les cœurs, à rappeler les égarés dans le droit chemin, à aider les agonisants dans le terrible passage de cette vie à l'autre. Certes, on peut soutenir avec vérité qu'aucune œuvre ne s'accomplit dans l'Église sinon par Marie, qu'aucune grâce n'est distribuée qui ne passe par ses mains. Saint Bernard[518], le docteur aux lèvres de miel, l'a dit magnifiquement : « Dieu a voulu que nous ne recevions rien qui n'ait passé par les mains de Marie. »


Instrument dans le vrai sens

Il nous faut conclure de ce qui précède, que l'humanité de Jésus-Christ, en opérant des miracles et en conférant la grâce, est vraiment un instrument physique de la Divinité. Le mot physique semblerait ici superflu, puisqu'une influence d'ordre purement moral, aussi grande qu'on puisse l'imaginer, ne peut donner aucun titre à la dénomination d'instrument dont le propre est de participer à l'action même de l'agent principal, comme nous l'avons dit. Nous avons voulu cependant ajouter cette épithète, pour qu'il ne reste aucun doute sur notre pensée, à savoir, que de même qu'il appartient à Dieu seul, comme à la cause principale, de produire, par sa vertu propre, les effets surnaturels, de même l'humanité de Jésus-Christ et, par lui, les Saints eux-mêmes possèdent, en qualité de cause instrumentale, une influence réelle sur la production de ces effets.
Nous n'ignorons pas que cette doctrine est combattue par plusieurs théologiens, surtout de l'école de Duns Scot. Cette même doctrine, toutefois, fait beaucoup plus honneur à l'humanité de Notre-Seigneur et à son œuvre rédemptrice et s'accorde davantage avec les enseignements de la Sainte Écriture et de la Tradition, que l'opinion qui n'accorde à l'humanité de Notre-Seigneur, sur les effets surnaturels dont sa Divinité était, de l'aveu de tous, la cause principale, qu'une certaine influence morale, influence qui consisterait à mouvoir la Divinité, pour qu'elle produise d'elle-même, par une réelle efficience, les effets en question.
En réalité, attribuer à l'humanité de Notre-Seigneur une influence physique dans la production de la grâce ou l'accomplissement des miracles, c'est le reconnaître comme instrument véritable de la Divinité, et par conséquent, participant dans l'opération, de la vertu même de Dieu. Il y a tout lieu de reconnaître cette dignité dans Jésus-Christ, puisque c'est un axiome solennel reçu en théologie, qu'on doit attribuer tout ce qu'il y a de plus parfait à l'humanité sacro-sainte du Sauveur, dès que cela n'implique aucune contradiction et ne répugne pas au but de sa mission, qui était de restaurer dans la grâce de Dieu, l'homme tombé dans l'abîme du péché.


Comment Jésus-Christ met en œuvre cette puissance

L'idée que nous venons de développer est celle précisément que nous fournissent les Saintes Écritures, dans leurs récits des oeuvres merveilleuses accomplies par notre divin Rédempteur. Elles nous disent qu'une vertu cachée sortait de Lui pour guérir toutes espèces de maladie[519]; qu'au seul contact de sa chair immaculée, les malades guérissaient[520], les aveugles recouvraient la vue[521], les muets retrouvaient la parole[522], les morts ressuscitaient[523]. Elles nous montrent en outre Jésus-Christ proclamant lui-même le fait que cette vertu émanait de son propre corps : ainsi, lorsque une femme, affligée d'un flux de sang, eut touché le bord de sa robe, le Sauveur s'écria [524] : «Qui m'a touché ?... Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti qu'une vertu sortait de moi. » En un mot, telle est la persuasion de l'Église que l'humanité de Jésus-Christ est réellement l'instrument physique de la Divinité, que le Concile d'Éphèse[525] n'hésite pas à appeler sa chair, une chair vivifiante ; et ceci justement à cause de son union avec le Verbe.
Quant à son extension, cette vertu instrumentale conférée à l'humanité de Jésus-Christ, embrasse tous les effets qui ont une relation avec le but de l'Incarnation. Elle comprend, par conséquent, tout ce qui, soit dans les cieux, soit sur la terre, est destiné à conduire l'homme régénéré à sa fin éternelle ; tout ce qui peut contribuer à «restaurer toutes les choses dans le Christ, tant celles qui sont dans les cieux que celles qui sont sur la terre »[526].
En vertu de ce pouvoir fondé sur l'union hypostatique, toutes les actions de Jésus-Christ, ordonnées au salut du monde, étaient des actions de Dieu même et, par conséquent, se trouvaient être douées d'une valeur infinie. Elles devenaient méritoires pour notre réconciliation avec le Père. De plus, par cette même vertu, Jésus-Christ remettait les péchés, donnait la grâce, conférait à ses Apôtres la grâce sacramentelle ; plus encore, il communiquait à ses ministres le pouvoir de remettre les péchés, de donner la grâce, et de faire des miracles en son nom. Il conférait en outre aux sacrements institués par Lui, la vertu de communiquer à ceux qui les recevraient avec les dispositions voulues, la grâce sacramentelle, non plus d'une manière morale, comme dans l'Ancienne Loi, mais d'une manière physique, tout comme s'ils étaient autant de canaux par lesquels la grâce divine devait descendre jusqu'à l'âme du pécheur, afin que la rédemption procurée par lui fût véritablement d'une ampleur et d'une abondance sans limites[527].
C'est ainsi que les ministres de la Nouvelle Loi en baptisant, ou en remettant les péchés au nom de Jésus-Christ, font ce que faisait Jésus-Christ lui-même ; ils le font non point par leur propre vertu, mais par celle du Sauveur qui leur est communiquée ; ils sont les véritables instruments de l'humanité du Christ et, par la médiation de celle-ci, les instruments de Dieu même, participant à son action, de telle sorte que cette même opération, faite par eux comme ministres de l'Évangile, est l'opération de Dieu lui-même. Ils sont donc vraiment les légats, c'est-à-dire les ambassadeurs du Christ[528] ; ils sont les ministres authentiques de la nouvelle dispensation[529] ; ils représentent en toute vérité le Christ Sauveur : Sacerdos alter Christus, avec cette seule différence que l'humanité du Christ est l'instrument conjoint de la Divinité, celle-ci étant unie au Verbe hypostatiquement ; tandis que les autres ministres sont des instruments séparés.
De même que de simples hommes et même de purs éléments peuvent conférer la grâce et justifier le pécheur, de même aussi de simples hommes peuvent recevoir de Jésus-Christ le pouvoir de faire des miracles, par le moyen de l'un ou de l'autre de ces dons, que l'on appelle gratiae gratis datae, dons longuement décrits par saint Paul dans sa première Épître aux fidèles de l'Église de Corinthe[530].
En vertu de ces charismes, un homme peut opérer des œuvres merveilleuses, tantôt en parlant des langues inconnues, comme le firent les Apôtres le jour de la Pentecôte, tantôt en manifestant les secrets des cœurs comme, en des temps proches de nous, nous voyons que le fit saint Philippe Neri et le saint curé d'Ars ; tantôt en rendant aux malades la santé, comme le fit le docteur Angélique dans Saint-Pierre à une femme hémorroïsse par le contact du bord de sa tunique ; tantôt en opérant des prodiges, comme fit saint Grégoire le Thaumaturge lorsqu'il déplaça le lit d'un fleuve et transporta une montagne, ou comme fit saint Benoît qui, par un seul regard tourné vers un malheureux dont les bras étaient prisonniers de liens très serrés, fit se dénouer ces liens avec une rapidité que n'aurait pu atteindre l'homme le plus habile[531]. Dans l'accomplissement de ces choses merveilleuses, l'Esprit de Dieu est là qui opère comme agent principal ; toutefois il opère par le moyen de l'instrumentalité des créatures, parmi lesquelles, avons-nous dit, la primauté appartient de droit à la très sainte humanité de Jésus-Christ.


La puissance instrumentale ne peut être une forme, ni un habitus

Mais, demandera-t-on, ceci veut-il dire que l'âme de Jésus-Christ possède, comme qualité permanente, bien qu'incomplète, cette vertu de faire des miracles ou de produire la grâce, vertu qui, nous l'avons dit plus haut[532], n'est autre chose, dans les hommes ordinaires qui en sont faits participants, qu'une motion transitoire et non une forme permanente ?
Quelques théologiens, comme le Ferrarais et Capreolus, l'ont cru, disant que, de même qu'il existe des formes permanentes de leur nature, qui cependant sont reçues d'une manière passagère, telle que fut la lumière de gloire chez saint Paul quand il fut élevé jusqu'à la vision de la divine Essence, de même aussi une forme passagère de sa nature peut, dans un sujet donné, devenir permanente. C'est, disent ces auteurs, précisément ce qui arriva dans l'âme de Jésus-Christ, à cause de sa noblesse et de la dignité de sa mission ; et cela, afin qu'elle pût conférer la grâce et faire des miracles toutes les fois qu'elle le voulait.
Mais il n'en est pas ainsi. L'âme de Jésus-Christ ne possède pas la vertu instrumentale d'une manière permanente, soit même dans une mesure incomplète. Cette vertu fut, chez lui, comme elle l'est en général dans un instrument, quel qu'il soit, de la divinité, en manière de motion passagère, cette vertu n'étant, comme nous l'avons démontré, ni une forme, ni une qualité, mais un mouvement imprimé par manière d'influence. En un mot cette vertu n'est pas un prédicament, mais un des postprédicaments, appelé motus, prédicament qui s'applique à l'action et à la passion tout ensemble.
Comme l'ouvrier n'induit aucune forme, soit en mode d'habitus, soit en mode de disposition dans la scie ou dans la plume dont il se sert, mais seulement une motion qui n'appartient pas uniquement à celui qui meut, ni à la chose qui est mue, mais à tous les deux, de même la vertu instrumentale conférée à l'âme de Jésus-Christ ne fut pas une qualité quelconque, mais bien une motion, par laquelle elle était rendue capable de produire ces merveilleux effets. Motion, disons-nous, qui se faisait sentir, non pas à longs intervalles, comme chez les autres Saints, mais très fréquemment, de sorte que Jésus-Christ, par son humanité, put conférer la grâce et faire des miracles toutes les fois qu'il le voulait. Non pas que son âme eût autorité sur cette vertu instrumentale ; mais l'âme bénie du Sauveur était à ce point conforme aux vouloirs du Verbe et aux dispositions de la divine Sagesse, qu'à peine savait-elle devoir s'accomplir une œuvre ordonnée au but de l'Incarnation, qu'elle obéissait promptement, sous la motion du Saint-Esprit, comme un instrument très délicat, prêt à vibrer sous ses doigts, dans une très parfaite harmonie avec ses vouloirs[533].

La vertu prophétique fut en Jésus-Christ un habitus permanent

Ceci n'empêche pas, cependant, que la vertu prophétique n'ait été, chez Notre-Seigneur, un habitus permanent, de telle façon qu'il pouvait, chaque fois qu'il le voulait, connaître et manifester les pensées d'autrui, annoncer des événements lointains, prédire l'avenir, etc.
La raison de la différence entre la vertu prophétique et le pouvoir de faire des miracles est que celle-là regarde la connaissance, celle-ci, au contraire la puissance. Or, comme l'observe saint Thomas[534], «il n'y a rien dont on ne puisse avoir une certaine connaissance, sans que, pour cela, une puissance infinie soit nécessaire, bien qu'il y ait un mode de connaissance qui n'appartient qu'à une puissance de cette nature (par exemple, comprendre, de compréhension stricte, et proprement dite, la divine essence) ; au contraire, il y a des choses qui ne peuvent pas s'accomplir sans une puissance infinie, telles que la création et autres œuvres du même genre».


Toutes les choses de ce monde sont ordonnées à la glorification de Jésus-Christ

Il était nécessaire que nous nous arrêtions assez longuement sur ce sujet de l'humanité de Jésus-Christ et de son très haut office d'instrument du Verbe, afin que le lecteur puisse bien comprendre en quelle manière et par quelle vertu le Sauveur accomplit les miracles rapportés comme opérés par Lui dans la Sainte Écriture. Ces miracles nous les reconnaissons comme authentiques, non seulement parce que l'Église nous les présente comme tels, mais encore par ce qu'il est hors de doute que les Livres Saints, tant du Nouveau que de l'Ancien Testament sont, humainement parlant, authentiques, et que, de plus, ces mêmes livres nous sont parvenus sans aucune altération substantielle.
Toute la perfection de l'homme consiste dans la connaissance, dans l'amour et dans l'imitation de Jésus-Christ. Dieu, d'autre part, a ordonné toutes les choses de ce monde à la glorification de son Fils fait homme. Ce sera donc rendre un juste tribut d'hommage à l'Homme-Dieu que de lui consacrer encore les dernières pages de cette étude, en examinant pour quels motifs il dut faire des miracles, quels furent les miracles qu'il a opérés, enfin quelle est la valeur de ces miracles en vue de confirmer sa mission divine.



CHAPITRE XIX - DES MIRACLES DE JÉSUS-CHRIST

Pourquoi Jésus-Christ a-t-il voulu faire des miracles ?

Tel était l'Homme-Dieu, telle sa mission, telle son humanité par rapport à la divinité, telle la puissance communiquée à son humanité sous l'impulsion de la divinité, puissance que Jésus-Christ déploya en accomplissant les œuvres merveilleuses qui l'ont mis au rang suprême parmi tous les hommes de n'importe quelle époque et lui ont assuré, parmi les plus grands héros de tous les temps, une place distincte, une place unique.
Sans aucun doute, il fallait que Jésus-Christ accomplît des miracles. Il était vraiment Dieu, avons-nous dit. Il était venu exprès pour proclamer sur la terre une doctrine toute céleste, la doctrine même de Dieu, la révélation divine. Or, les miracles sont précisément ordonnés à cette fin, c'est-à-dire de confirmer la vérité enseignée, ainsi que de manifester, au moins ordinairement, la présence de la divinité dans celui qui en est l'auteur.
En réalité, les vérités de notre foi surpassent de beaucoup les facultés créées de l'homme. Elles sont d'un ordre supérieur, et la raison humaine, laissée à ses seules forces, est absolument incapable de les comprendre. Il fallait donc qu'elles fussent révélées, soit directement par Dieu, soit, chose plus naturelle, par quelques hommes chargés par lui, comme ses porte-voix et ses hérauts, de la mission de manifester ses enseignements et de faire ses ordres. Mais, il fallait que ceux-ci montrassent leurs lettres de créance, afin de donner ainsi des preuves inéluctables de leur mission, preuves qui en confirmeraient la vérité et exclueraient toute possibilité d'erreur. Il était donc nécessaire que Jésus-Christ, venu pour annoncer au monde l'Évangile de paix et la, réconciliation des hommes avec son Père et qui, par conséquent, devait être le Prophète par excellence, confirmât sa mission par des preuves émanant de la puissance divine et par des œuvres que Dieu seul peut accomplir,
Mais Jésus-Christ n'était pas un homme ordinaire ; Il était en même temps vrai Dieu. C'est pourquoi il fallait aussi que sa Divinité fût manifestée aux hommes, car c'était précisément en vertu de cette divinité qu'il devait racheter le genre humain et lui apporter la bonne nouvelle. C'est pourquoi, sous ce rapport, il était nécessaire également qu'il opérât des miracles, les miracles étant l'œuvre de Dieu seul et comme tels rendant manifeste, au moins de règle ordinaire, le fait que Dieu est présent en celui qui les accomplit, et que, par sa grâce, il habite dans son âme, comme dans son propre temple. Dans le cas de Notre-Seigneur, il ne s'agissait pas seulement d'une certaine demeure de la divinité dans l'humanité par la seule participation de la grâce habituelle ; il s'agissait de l'union hypostatique de la divinité à l'humanité ou, comme dit saint Paul, de la plénitude de la divinité habitant en lui corporellement[535] ; c'est pourquoi Jésus-Christ devait se manifester comme Homme-Dieu, faisant par sa propre vertu ce qu'il n'appartient qu'à Dieu seul d'accomplir.
Si donc le Verbe incarné voulut faire des miracles, ceci ne fut ni par caprice, ni par aucune vaine ostentation, ni par esprit d'ambition, mais plutôt pour affirmer sa mission divine et la mettre à l'abri de toute attaque. C'est pourquoi Jésus-Christ fait appel à diverses reprises à ses œuvres pour affirmer sa mission et en même temps pour confirmer la divinité de sa doctrine. « Si vous ne voulez pas croire en moi, disait-il[536], croyez à mes œuvres » ; et encore :[537] «Les œuvres que mon Père m'a donné le pouvoir de faire, les œuvres que je fais rendent témoignage de moi, que c'est le Père qui m'a envoyé ». - « Interrogeons donc les miracles du Christ, conclut saint Augustin[538] et demandons-leur ce qu'ils nous disent de lui, car ils ont, pour qui le comprend, un langage qui leur est propre. »


Cela n'était pas absolument nécessaire

Avant de passer en revue les œuvres miraculeuses accomplies par Notre-Seigneur durant sa vie mortelle, il sera nécessaire de faire auparavant quelques observations.
Tout d'abord il faut observer que, absolument parlant, Jésus-Christ n'aurait pas eu besoin d'accomplir des miracles pour prouver la divinité de sa mission. Étant Dieu, il pouvait directement éclairer l'esprit et toucher le cœur des hommes, comme il le fit dans le cas de ces disciples dont nous lisons qu'ils le suivirent même avant d'avoir vu aucun de ses miracles[539]. La foi de ceux-ci ne s'appuyant pas sur ces manifestations extraordinaires, se montra par cela même plus vivace et plus méritoire. D'autre part, l'homme est toujours libre de renier même ses propres convictions ; il peut aller jusqu'à renoncer, au moins en paroles, à l'évidence des sens. Pendant la vie mortelle du Sauveur aussi bien que de nos jours, il n'est pas rare de rencontrer des hommes aveugles par élection et propos délibéré.
Toutefois, ni la prévision de la dureté obstinée de quelques-uns, ni la foi vive des cœurs ardents des autres, ne purent empêcher le Messie d'accomplir des œuvres merveilleuses destinées à manifester sa mission et, par conséquent, à promouvoir le salut du genre humain. Si ces œuvres ne furent sur les uns d'aucun effet, et pour les autres superflues, il y eut cependant et il y aura toujours des hommes en grand nombre, pour lesquels ces mêmes œuvres seront une preuve suffisante de la divinité de Jésus-Christ et de sa mission surnaturelle, choses auxquelles ils n'auraient pas cru autrement. Il s'ensuit que la nécessité dont nous avons parlé plus haut n'était pas une nécessité absolue, mais une nécessité de convenance, ordonnée à la fin que s'était proposée le Sauveur, à savoir, de convaincre le monde de la vérité de sa mission et de la divinité de ses enseignements.
Cependant si, d'un côté, Jésus-Christ voulut venir dans l'infirmité de la chair, afin qu'en portant nos infirmités il les guérît, de l'autre il convenait qu'il se présentât dans la puissance et la force de Dieu, afin d'affirmer ainsi sa mission en l'appuyant sur des bases immuables. Spectacle inouï : celui-là même qui pliait sous le fardeau de la croix, avait le pouvoir de jeter à terre, par une seule parole, une troupe de soldats ; et tandis qu'il expirait sur un bois ignominieux, lui-même, par sa propre puissance, faisait trembler la terre, ouvrait les sépulcres et empêchait le soleil de répandre ses rayons.[540]


Quand Jésus-Christ commença-t-il à faire des miracles ?

Est-ce à dire que Jésus-Christ devait, dès les premiers jours de sa vie mortelle, exercer d'une manière manifeste et évidente à tous, son pouvoir de faire des miracles ?
Nous avons montré comment la raison qui poussa le Sauveur à produire des œuvres surprenantes fut le désir de fournir des preuves efficaces tant de l'origine céleste de sa doctrine que de la plénitude de sa divinité à laquelle son humanité était hypostatiquement unie[541]. Tout d'abord, il ne convenait pas qu'il se mît à faire ouvertement des miracles avant d'avoir commencé sa prédication, car il est naturel que les preuves suivent les faits auxquels elles sont ordonnées ; en second lieu, pour ce qui concerne la manifestation de sa Divinité, il ne convenait pas que l'on vît un individu accomplir, dans son jeune âge, des œuvres merveilleuses ; autrement la foi en son humanité en aurait pu souffrir. Les hommes voyant un enfant opérer des choses supérieures aux actions habituelles de la jeunesse et si insolites à un tel âge, l'auraient facilement pris pour un pur esprit dans un corps humain, réduisant ainsi à un phantasme le mystère de l'Incarnation ; ou bien, poussés par l'envie, ils l'auraient mis à mort avant le temps fixé par Lui[542].
Il y eut bien, il est vrai, des manifestations de la puissance divine durant l'enfance du Sauveur, manifestations accomplies certainement par la vertu de Jésus-Christ lui-même ; tel fut l'enfantement virginal de Marie, telle l'apparition de l'étoile, le chant des chœurs célestes, et plus tard, la destruction des idoles en Égypte, ainsi que nous l'avons dit plus haut[543]. Mais remarquons bien, d'abord, que ces manifestations furent très rares par rapport aux miracles accomplis par Jésus-Christ durant sa vie publique ; ensuite il ne semblait pas que ces événements dussent s'attribuer à la puissance du divin enfant, la présomption étant plutôt, que Dieu lui-même voulut, par ces prodiges, préparer le monde à recevoir un jour les enseignements de son Fils fait homme.
Nous ne pouvons juger d'après les explications qui précèdent, du compte que l'on doit faire de ces narrations merveilleuses inventées sur l'enfance du Sauveur par l'imagination enfiévrée et débordante de quelques chrétiens des premiers siècles de l'Église. Ces esprits poétiques, désireux de suppléer au silence des Évangélistes et voulant ainsi remplir les lacunes laissées par eux, en particulier sur la vie privée de Jésus-Christ, imaginèrent pour chaque instant de cette vie, une intervention éclatante de la divinité. Ils ne s'apercevaient pas de l'absurdité à laquelle conduisent leurs récits merveilleux. Si Jésus, en effet, avant le miracle qu'il accomplit aux noces de Cana, avait opéré les choses merveilleuses qu'on raconte, les disciples de saint Jean-Baptiste n'auraient eu aucun motif de douter de la divinité du Nazaréen. La députation envoyée au Messie par le Précurseur[544], aurait plutôt paru avoir pour but de tendre des embûches au Christ, que de chercher à connaître la vérité. Quel besoin, en outre, aurait eu le peuple d'avoir, dans la personne de saint Jean lui-même, un précurseur, pour arriver à la connaissance du Messie promis ?
Il convenait donc que Jésus ne commençât à faire ouvertement des miracles qu'au début de sa vie publique, afin que les esprits des hommes, mis en éveil par ses œuvres merveilleuses, fussent par là disposés à recevoir ses divins enseignements. On comprend ainsi pourquoi le miracle de Cana opéré par Jésus au début de sa vie publique, est décrit par saint Jean comme le premier de ses miracles[545]. En présence de ses disciples, sans bénédiction, sans aucun signe extérieur, sans même proférer une seule parole, mais seulement par l'impulsion de sa volonté, Jésus changea en vin l'eau contenue dans six urnes de pierre. C'est grâce à ce miracle que les disciples sentirent s'éveiller en eux l'admiration pour le Messie. Si, jusqu'alors, ils l'avaient tenu pour un homme d'une éminente sainteté, ils commencèrent dès lors à le regarder comme Dieu. Et crediderunt in eum discipuli eius[546].


Quels miracles fit-il ?

Mais quels sont les miracles accomplis par Notre Seigneur Jésus-Christ pendant le cours de sa vie mortelle ?
L'importance de cette question veut que nous la traitions plus amplement ici, puisqu'elle intéresse au plus haut point la vérité de la mission du Sauveur et, par conséquent, la divinité de l'Église fondée par Lui. Ces miracles ne sont-ils pas, en effet, comme les degrés qui donnent accès à la maison de Dieu, ou comme l'étoile de Bethléem qui conduisit les mages à la crèche du Sauveur ?
Tout d'abord observons que tous les miracles faits par Jésus-Christ ne sont pas mentionnés dans les Saints Évangiles. « Jésus, dit saint Jean[547], a fait encore, en présence de ses disciples, beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas enregistrés dans ce livre » ; et ailleurs[548] : «Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses ; si on les rapportait en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu'il faudrait écrire ».
Dans l'impossibilité où se trouvèrent les Évangélistes de raconter tous les miracles opérés par le Rédempteur, mus par le Saint-Esprit, ils en ont choisi quelques-uns, probablement, mais non nécessairement, parmi les plus importants. En tout cas, ceux qu'ils ont rapportés furent jugés par eux suffisants pour démontrer à tout homme d'intelligence droite et de bonne volonté, la divinité du Sauveur et l'origine céleste de sa doctrine. «Ces choses sont écrites, dit encore l'Apôtre saint Jean, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayez la vie en son nom[549]»
Les miracles accomplis par Jésus-Christ peuvent se diviser en deux classes : ceux opérés par lui sur lui-même, et ceux opérés par lui sur des personnes ou des choses distinctes de sa personne.
Parmi les miracles, ceux de la première catégorie, les principaux sont, sans aucun doute, le miracle de l'enfantement virginal de Marie, celui de la pénétration du corps de Jésus-Christ dans le Cénacle, les portes étant fermées, et celui de sa sortie du sépulcre scellé, miracle dont nous parlerons plus tard.
Outre ces miracles insignes, nous en trouvons d'autres, faits également par le Sauveur sur sa propre personne, miracles que nous pouvons ramener à quatre chefs, correspondant. aux quatre qualités des corps glorieux. Chacune de ces qualités resplendit dans Jésus-Christ en quelque circonstance de sa vie par exemple, l'agilité, quand il marcha sur les eaux ; la clarté, dans sa transfiguration ; l'impassibilité, dans son jeûne de quarante jours et dans sa résurrection ; la subtilité, quand il se rendit invisible aux Juifs qui avaient déjà pris des pierres pour le lapider[550]. L'observation de saint Thomas, par rapport à ce dernier miracle, est digne d'être rappelée ici. « Le Christ; dit-il, ne se cacha pas sous une pierre ou dans un coin ; mais en vertu de la puissance de sa divinité, il se rendit invisible à leurs yeux, en sortant et en s'éloignant du temple[551]. » Les bienheureux peuvent de même se rendre invisibles à leur gré. «Quiconque a le corps glorifié, dit encore le Docteur Angélique[552], a le pouvoir d'être vu quand il le veut et de se rendre invisible, s'il lui plaît de n'être pas vu. »
Tels sont les miracles opérés par Jésus-Christ sur lui-même. Quant à ceux qu'il fit sur des personnes ou des choses distinctes de lui, saint Thomas les réduit à quatre catégories[553]. Il y a d'abord les faits merveilleux accomplis par le Sauveur sur des substances spirituelles ; puis viennent ceux accomplis sur des corps célestes ; en troisième lieu, ceux opérés sur les hommes et enfin ceux qu'il fit sur des créatures privées de raison. Nous parlerons succinctement de chacune de ces quatre catégories de miracles, en rappelant à l'esprit du lecteur ce grand principe, que toutes les opérations miraculeuses accomplies par Jésus-Christ furent faites par lui au profit des hommes pour les conduire à la foi en un Dieu toute sainteté et toute bonté, et leur faire reconnaître sa propre mission comme Verbe incarné.


Miracles opérés par Jésus-Christ sur les substances spirituelles

En premier lieu, Jésus-Christ, avons-nous dit, fit des miracles sur les Anges.
La mission du Verbe incarné était de ramener l'homme à Dieu en l'éloignant du mal où l'avait précipité la faute d'Adam. C'est pourquoi il convenait que les bons Anges rendissent témoignage au Messie, afin d'exciter l'homme à désirer leur société dans le paradis ; le témoignage des mauvais Anges était également requis, afin de préserver l'homme de la perfide influence de ces ennemis spirituels.
Pour exciter l'homme à désirer la société des bons Anges, il était opportun que ceux-ci apparussent sous des formes visibles. C'est ainsi qu'à la naissance du Christ, une nombreuse phalange de la milice céleste apparut dans le ciel, louant Dieu et annonçant sur terre la paix aux hommes de bonne volonté[554].
Plusieurs fois, au cours de la vie mortelle du Sauveur, les anges apparurent pour le servir, soit d'une manière, soit d'une autre. Nous les voyons paraître, dans l'enfance du Sauveur, afin qu'on pût le soustraire par une fuite précipitée, à l'épée d'Hérode ; ils sont là au début de la mission publique de jésus, pour le servir après le jeûne de quarante jours qu'il venait d'accomplir ; nous les voyons durant l'agonie du Sauveur, pour le réconforter comme le peut faire un ministre de Dieu par rapport à un être aussi grand et aussi parfait qu'était le Verbe incarné[555].
Pareillement, dans la résurrection de Jésus-Christ, les anges se montrent sous des figures humaines, dans le but de proclamer la vérité du triomphe du Divin Rédempteur sur la mort[556]. A son Ascension, les esprits bienheureux se font voir encore une autre fois, afin de déclarer que l'absence du Messie ne serait que de brève durée, puisqu'il devait revenir un jour pour juger le monde et donner à chacun la récompense de ses œuvres[557].
D'un autre côté, Jésus-Christ ne pouvait mieux éloigner les hommes de la société des esprits mauvais, qu'en chassant ceux-ci des corps des possédés, détruisant ainsi l'empire qu'ils avaient usurpé sur le genre humain. Ce n'est pas que le Sauveur ait entièrement chassé du monde le prince des ténèbres et son armée le reléguant à jamais dans les déserts de l'Égypte supérieure ou l'emprisonnant au plus profond des abîmes. La dispensation de la Loi Nouvelle, en même temps qu'elle affaiblit les forces de Satan, lui laissa le champ libre pour assaillir l'homme par de fortes tentations, afin qu'en s'exerçant dans la lutte, il pût acquérir une somme abondante de mérites.
Tandis que Jésus-Christ chassait les démons des corps des possédés, il ne leur ôtait donc pas entièrement le pouvoir de tenter les hommes. Parfois, au contraire, il permettait à ces esprits mauvais, même après les avoir expulsés, de nuire aux hommes, soit dans leurs corps, soit dans leur substance, et ceci précisément en vue du bien de leur âme, c'est-à-dire dans le but de les amener à craindre un ennemi aussi cruel et à ne faire aucun pacte amical avec lui, mais, au contraire, à le haïr et le fuir comme le meurtrier de leur âme. C'est ainsi que dans la région des Géraséniens le Sauveur accorda aux démons d'envahir un troupeau tout entier de pourceaux leur permettant au surplus, de pousser ces animaux à se précipiter dans la mer[558]. Il permit également à un esprit mauvais, au moment même où cet esprit quittait le corps d'un possédé, de le maltraiter au point de le laisser comme mort[559].
Observons ici que l'apparition des bons anges, dont nous avons parlé plus haut, non moins que l'expulsion des démons du corps des possédés, fut un miracle proprement dit. En vérité, il est au pouvoir de l'ange de former, par la condensation de l'air[560] ou par d'autres moyens à sa disposition, des corps en tout semblables aux corps humains, et de se les unir, non pas comme notre âme est unie à notre corps, mais comme le moteur s'unit au mobile[561]. Ce pouvoir que les âmes des défunts ne possèdent pas, parce que destinées à être unies à leurs propres corps, est commun aux bons et aux mauvais anges. Mais, dans le premier cas, c'est-à-dire celui des bons anges, de telles opérations sont des miracles, parce qu'elles sont ordonnées par Dieu à la manifestation de ses attributs. Dans le cas des mauvais anges, c'est le contraire qui a lieu ; car ceux-ci opèrent de leur propre initiative, avec la seule permission de Dieu et non d'après son commandement. C'est pourquoi les apparitions des mauvais anges sous des formes humaines, telles que celles qui ont lieu journellement dans les réunions spirites ne sont pas, à proprement parler, des miracles.
Mais les apparitions des bons anges aux instants les plus solennels de la vie du Sauveur furent de vrais miracles, ordonnés à fournir un témoignage en faveur du plus grand de tous les miracles, c'est-à-dire de celui de l'Incarnation du Verbe[562].


Sur les astres

A côté des miracles opérés par Jésus-Christ sur les anges, viennent ceux qui furent accomplis par lui, soit sur les corps célestes, soit sur les cieux eux-mêmes.
Les changements opérés sur les astres et, en général, sur la voûte céleste, tiennent, dans l'estime des peuples, beaucoup plus du merveilleux que les changements opérés sur les choses terrestres. Ceci n'est pas sans raison. Les corps célestes étant en dehors de la sphère d'activité humaine, un changement dans leur cours ordinaire révèle avec une plus grande évidence l'intervention de la divinité. On comprend ainsi pourquoi de tels miracles ne furent opérés par Jésus-Christ, que lorsque l'état d'abaissement où l'avait réduit son amour pour les hommes semblait requérir une manifestation encore plus extraordinaire, si l'on peut dire ainsi, de la puissance divine dans le monde. Et cette splendide manifestation eut lieu précisément dans les trois circonstances de sa vie où son anéantissement apparut plus manifeste, c'est-à-dire à sa naissance, à son baptême, et à sa mort.
Jésus-Christ était venu au monde chargé de toutes les infirmités naturelles qui accompagnent habituellement la naissance des enfants des hommes. Il fallait donc un signe éclatant pour qu'on pût reconnaître la divinité personnelle unie à l'humanité dans ce nouveau-né fragile et impuissant. C'est pourquoi on vit apparaître dans le ciel une étoile d'une grandeur insolite et d'un éclat extraordinaire qui, venant de l'Orient, s'arrêta au-dessus du lieu où se trouvait alors l'Enfant divin, comme pour protester contre l'humilité de la crèche et l'abaissement qui accompagnait toutes les circonstances de la venue de l'Homme-Dieu dans le monde.
Plus tard, Jésus-Christ voulut commencer sa vie publique par un acte d'humiliation inouï, en se faisant baptiser par Jean dans le Jourdain, tel un pécheur souillé par la faute d'Adam. Comme protestation à ce que semblait indiquer un tel abaissement, voilà que les cieux s'ouvrent au-dessus de la tête du Messie ; l'Esprit-Saint descend sous une forme corporelle en la forme d'une colombe, et l'on entend une voix qui dit[563]: «Tu es mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu. »
Mais l'heure devait sonner d'un abaissement plus profond encore, l'heure de l'anéantissement suprême, où le Verbe incarné devrait goûter l'amer calice de la mort, embrassée volontairement sans doute, mais non moins ignominieuse. Ce fut alors que le plus bel astre de la création s'obscurcit. Le soleil, en retirant sa lumière et, pour ainsi dire, en se voilant la face, rendit un éloquent témoignage à la divinité de Celui qui allait mourir, au point de faire jaillir de la bouche du centurion et de tous ceux qui, avec lui, étaient préposés à la garde de jésus, cette confession splendide : « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu[564] ».
Ces dérogations au cours habituel des astres, n'eurent lieu que très rarement. Il ne convenait pas, en effet, que le Verbe incarné fît intervenir une si éclatante manifestation de la divinité, sauf en des cas d'extrême nécessité, tels que ceux que nous venons de citer. En d'autres circonstances, des manifestations moins extraordinaires et plus communes devaient suffire. C'est pourquoi aux Juifs qui, pour tenter jésus, lui demandaient de faire apparaître un signe dans le ciel, le Sauveur répondit par un refus[565]. Il refusa, comme pour leur faire comprendre qu'après tant de prodiges, dont ils avaient été les témoins, un miracle plus grand n'était pas nécessaire. Il ajouta toutefois que, à une génération aussi perverse qu'était celle des juifs, il donnerait un autre prodige éclatant et solennel, celui de sa résurrection[566]. Il y avait là une promesse et un reproche. Car si jésus devait ressusciter par sa propre vertu, ce ne devait être qu'après que les juifs l'auraient cruellement mis à mort.


Sur les hommes

Mais si les prodiges ayant le ciel pour théâtre furent rares et réservés uniquement pour des occasions d'une importance extrême, on peut dire que ceux accomplis par le Verbe incarné sur les hommes furent d'une libéralité vraiment inépuisable.
Jésus-Christ était venu pour sauver les hommes, pour les guérir de la lèpre du péché. Or, comment pouvait-il mieux montrer qu'il est le Rédempteur de tous, qu'en les guérissant de leurs infirmités corporelles ? Partout où il passait, dans les campagnes comme dans les villes, sur les chemins et sur les places, dans l'intérieur des maisons et à ciel ouvert, on lui présentait des malades de tout genre et tous il les guérissait.
Bien plus, ses œuvres miraculeuses étaient parfaites. S'il rendait la santé, c'était une santé complète; s'il restituait un membre ou un organe, celui-ci n'était pas moins vigoureux, moins robuste que ceux fabriqués par la nature[567]; s'il rendait la vie à un mort, l'individu ressuscité ne conservait aucune trace de sa décomposition passée. En présence du Christ tout mal disparaissait, et la mort elle-même perdait son empire.
Pour avoir été progressive, une guérison opérée par Jésus-Christ peut n'en avoir pas été moins miraculeuse. Tel fut le cas de cet aveugle qui ne recouvra la vue que petit à petit, les hommes lui apparaissant d'abord comme des arbres qui marchaient et sa cécité ne disparaissant qu'après une seconde imposition des mains du Sauveur[568]. Dieu le voulait ainsi, peut-être pour punir cet aveugle de son incrédulité, chose à laquelle semble faire allusion saint Jean Chrysostome[569], ou bien, comme le croit le vénérable Bède[570], pour nous faire connaître combien grand peut être l'aveuglement d'un homme. Un tel exemple, en tout cas, sert à mettre en relief la puissance déployée par le Sauveur dans toutes les autres guérisons instantanées.
On pourrait encore parler du pouvoir qu'exerça Jésus-Christ sur le cœur des hommes, comme lorsqu'il convertit celui de la Samaritaine au puits de Jacob, ou celui du larron sur le Calvaire. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur ce pouvoir par lequel il illumina l'esprit de ses disciples, remplissant ces hommes simples et frustes, d'une sagesse surhumaine, telle qu'elle suscitait l'admiration de tous[571] : «Voyant l'assurance de Pierre et de Jean, sachant que c'étaient des hommes du peuple sans instruction, les juifs furent étonnés». Toutefois, ces choses merveilleuses, bien qu'elles servent à mettre en évidence la doctrine et la puissance de Jésus-Christ, ne peuvent cependant pas être comptées parmi les miracles proprement dits, sinon en ce qui concerne l'acte extérieur et la manifestation visible de ces œuvres qui, de par leur nature, sont invisibles.
Il convient plutôt de tenir pour un fait miraculeux cet invincible attrait que l'éclat du visage majestueux de Jésus-Christ, pur reflet de la divinité, exerçait sur les hommes qui, en le contemplant pour la première fois, abandonnaient tout pour le suivre[572] ; la terreur subite que sa sainte colère inspirait à la foule des profanateurs du temple, lorsque ceux-ci, muets d'épouvante, s'échappèrent du saint lieu[573], ou encore cette stupeur qui s'empara soudainement de ses ennemis qui le cherchaient pour le mettre à mort, mais au milieu desquels il passa tranquillement, sans qu'ils eussent le courage de le toucher[574].


Jésus-Christ, en guérissant les corps, guérissait-il également les âmes ?

On peut ici se demander si, chaque fois que Notre Seigneur guérissait un malade, celui qui était l'objet de cette grâce recevait en même temps la guérison de l'âme, au cas où il se serait trouvé en état de péché mortel.
La réponse est que toutes les guérisons miraculeuses opérées par le Sauveur ont eu pour but final le salut spirituel soit de ceux qui en étaient l'objet, soit de ceux qui en étaient les témoins, puisque les œuvres de Dieu sont parfaites[575] et que l'ordre de la nature est tout entier ordonné à promouvoir l'ordre surnaturel de la grâce. C'est pourquoi Notre-Seigneur dit au paralytique avant de le guérir[576] : « Tes péchés te sont remis »; et, plus tard, parlant de cet autre paralytique guéri par lui le jour du sabbat, il dit expressément[577] : « Le jour du sabbat j'ai guéri tout l'homme », c'est-à-dire, je l'ai guéri dans son corps et dans son âme.
Cependant, de même que les guérisons miraculeuses ne s'accomplissent pas toujours instantanément, de même la conversion des pécheurs liée à ces guérisons, a pu suivre, elle aussi, dans certains cas, une marche graduelle. Tel fut le cas, semble-t-il, de l'aveugle-né à qui Jésus, le rencontrant dans le temple quelque temps après l'avoir guéri, fit cette recommandation[578] : « Te voilà guéri, ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire ». C'est pourquoi ces mots de saint Jérôme[579] : «La santé rendue par le Seigneur restitue tout en même temps» doivent s'entendre d'une restitution intégrale plutôt que simultanée.
D'autre part, il pourra se faire qu'une personne, recevant le bienfait d'une santé renouvelée, ferme les yeux et le cœur à l'influence de la grâce, comme il semble que ce fut le cas des neuf lépreux purifiés par Jésus ; car nous lisons que le Sauveur leur reprocha de n'être pas revenus vers lui pour rendre gloire à Dieu[580]. On peut dire la même chose, d'abord, de ce serviteur du grand'prêtre, Malchus, dont Jésus guérit l'oreille droite que saint Pierre avait coupée[581] ; de même, des gens qui accompagnèrent Judas lors de l'arrestation de Jésus et qui, à ces mots, «c'est moi », prononcés par le Sauveur, étant tombés à terre, furent relevés par sa puissance[582]; on ne lit pas, en effet, que ni Malchus, ni ces hommes fussent guéris spirituellement. Si la chose s'était produite, elle eût très probablement été enregistrée par les Évangélistes comme capable de mettre en relief la puissance du Sauveur.
Concluons que les guérisons miraculeuses opérées par Jésus-Christ ou par les Saints, ont bien pour objet le salut spirituel soit de la personne guérie, soit des témoins de la guérison. Mais la perversité de la volonté humaine empêche quelquefois l'effet de répondre aux desseins de l'amoureuse Providence qui ne manque jamais de secourir l'homme en temps opportun, voulant laisser intacte sa liberté pour le bien comme pour le mal.


Miracles opérés par Jésus-Christ sur les choses inférieures

Après avoir montré comment Jésus-Christ déploya sa puissance sur les hommes dont il avait revêtu la nature, il convient que nous parlions en dernier lieu des miracles qu'il opéra sur les choses inférieures à l'homme. Ici, la puissance du Sauveur n'est pas limitée à un ordre d'êtres créés, mais il voulut, pour ainsi dire, répandre ses miracles dans chacun des règnes de la nature.
Il opéra donc des prodiges sur les animaux aquatiques, en commandant qu'une grande quantité de poissons fût prise dans les filets des Apôtres[583], en ordonnant qu'un poisson pêché par Pierre fournît à celui-ci un statère pour payer le tribut qu'on lui réclamait pour tous deux[584].
Il fit également des miracles sur les plantes quand il maudit le figuier stérile[585], non pour le punir d'une faute que l'arbre était incapable de commettre, mais pour nous rappeler le châtiment qui nous attend, si nous sommes trouvés, au dernier jour, dépourvus d'œuvres de pénitence.
Il en opéra sur les fruits de la terre, en multipliant le pain d'une manière merveilleuse, et cela non pas une fois seulement, mais en deux circonstances solennelles : la première, quand il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons [586] ; la seconde, quand il en rassasia quatre mille avec sept pains et quelques poissons[587]. Il montra de même sa puissance sur les fruits de la terre en changeant l'eau en vin aux noces de Cana[588]. Il fit aussi des miracles sur les éléments en marchant sur les eaux[589], en calmant les vents et la mer[590], en faisant trembler la terre, en faisant se briser les pierres et en ouvrant les sépulcres[591].
On s'étonnera peut-être que Jésus-Christ n'opérât aucun miracle sur les animaux terrestres, car ce que nous lisons des pourceaux qui se précipitèrent dans la mer n'arriva pas par son opération directe, mais par celle des démons qui avaient envahi ce troupeau. La raison pour laquelle le Sauveur s'abstint de faire aucun miracle sur les animaux terrestres semble être parce que ces animaux sont de la même nature sensible et corporelle que l'homme lui-même. Il suffisait donc que le Sauveur déployât son pouvoir miraculeux sur les corps humains pour rendre visible son pouvoir sur le règne animal. Il voulait cependant faire des miracles sur les poissons en particulier, parce que cette sorte d'animaux vivant dans l'eau, est considérée par cela même comme différant davantage de l'homme. Les animaux terrestres, en effet, furent créés le même jour que l'homme, mais les poissons le furent un autre jour.
Quant à la multiplication du pain, il est juste d'observer que cet événement n'eut pas lieu par création, mais par l'adjonction d'une matière étrangère que Jésus-Christ convertit ensuite en pain. C'est à Dieu seul, en effet, qu'il appartient de créer, à l'exclusion formelle de la créature. D'autre part, l'opinion de saint Thomas et de la plus grande partie des théologiens est que les nouvelles formations qui ont lieu dans le monde, ont déjà préexisté matériellement dans l'œuvre des six jours, et saint Augustin écrit, à propos de ce miracle de la multiplication des pains[592] : «De même qu'avec une petite quantité de grains, Jésus-Christ multiplie les moissons, de même a-t-il multiplié les cinq pains dans ses mains».


La Transfiguration de Jésus-Christ

Entre les miracles accomplis par Jésus-Christ, de même qu'entre ceux opérés par l'instrumentalité de l'homme, une distinction est à faire. Les uns sont plus frappants que d'autres et font ressortir davantage la grandeur de la puissance divine. Sous cet aspect, la transfiguration du Sauveur et sa glorieuse Résurrection sont dignes, entre tous les miracles du Sauveur, d'une considération spéciale. Dans ces deux faits, la divinité de Jésus-Christ resplendit tout particulièrement, puisque c'est par sa propre vertu qu'il revêtit son corps d'une lumière de gloire resplendissante et qu'il lui rendit la plénitude de la vie. Ces faits Notre-Seigneur les réalisa non pas grâce à un pouvoir emprunté, mais par la puissance que possédait en lui la divinité, comme auteur principal, de laquelle puissance participait son humanité, en qualité d'instrument du Verbe.
Pour commencer par la Transfiguration, nous observons en premier lieu, que cet événement était destiné à devenir comme le gage des biens promis par Jésus-Christ à ses disciples, en récompense de leur générosité à le suivre. Il les avait appelés à un but sublime, à un état d'infinie béatitude ; mais il fallait qu'ils s'imposassent de grands sacrifices ; âpre était la voie, étroite la porte qui devait les conduire à l'éternelle félicité. Le Sauveur voulut donc que se reflétât sur son corps, pour un instant, cette surabondance de gloire dont était remplie son âme bénie. Jésus conduisit donc à l'écart, sur une haute montagne, Pierre, Jacques et jean, et se transfigura en leur présence. Son visage devint brillant comme le soleil, «ses vêtements étincelèrent d'une blancheur aussi éclatante que la neige et telle qu'aucun foulon sur la terre ne saurait aussi bien blanchir »[593].
Cette clarté du corps de Jésus-Christ ne fut que l'effet d'une transformation passagère et non d'une forme ou d'un habitus permanent. Comme, en d'autres temps il avait, pour un instant, joui du privilège de l'agilité lorsqu'il marcha sur les eaux ou bien de la subtilité quand il se rendit invisible à ses ennemis, de même, en cette circonstance, son âme répandit sur son corps les ineffables délices de sa béatitude, lui communiquant momentanément la plénitude de clarté qui surpasse la blancheur de la neige et la splendeur du soleil. Car, bien que l'âme du Christ possédât la béatitude dans la contemplation de Dieu et fût par conséquent naturellement capable de produire ces merveilleux effets sur son propre corps, toutefois, par une dispensation divine, cette vertu était restée toute renfermée dans son âme, de sorte que son corps demeura soumis au travail et à la souffrance propres à sa nature, et c'est pourquoi la Transfiguration ne laisse pas d'être un vrai miracle.
Observons encore que les témoins de la Transfiguration furent merveilleusement choisis. Ils appartenaient, les uns à l'ancienne Loi, les autres au Nouveau Testament. Moise, le législateur, et Élie, ce zélateur de la gloire du Seigneur, apparurent opportunément pour repousser l'indigne et sotte calomnie que Jésus était un transgresseur de la Loi et un blasphémateur. D'autre part, Pierre, jean et Jacques, tous les trois recommandables par leur excellente charité, étaient bien dignes de rendre témoignage au nouveau Roi d'amour, revêtu pour un instant des attributs de sa gloire[594].


Sa glorieuse Résurrection

A côté de la Transfiguration, la Résurrection du Sauveur est considérée avec raison comme un des plus grands parmi les mystères de notre foi. Bien plus, la résurrection de Jésus-Christ mérite d'être mise à part, comme un événement qui n'a pas d'égal dans la vie du Sauveur et dont l'importance, par rapport à la religion chrétienne, est incomparable.
C'est, en effet, en vertu de la résurrection de Notre-Seigneur que le fidèle acquiert la certitude de devenir un jour, lui aussi, vainqueur de la mort ; c'est la pensée qui l'anime à porter avec patience, et mieux encore avec amour, le fardeau de cette vie mortelle. C'est pourquoi nous voyons les premières prédications des Apôtres Pierre et Paul traiter presque exclusivement ce fait retentissant.
En outre la résurrection de Jésus-Christ est cause de notre résurrection : cause efficiente, cause exemplaire, cause finale. Elle est d'abord, disons-nous, la cause efficiente de notre résurrection, en tant que la puissance divine, à laquelle seule il appartient, comme à l'agent principal, de rendre la vie aux morts, se sert de la sainte humanité de Jésus ressuscité, comme d'un instrument, pour rappeler à une vie nouvelle la poussière des corps humains gisant dans le sépulcre. Elle est, en outre, la cause exemplaire de notre résurrection, en tant que la résurrection de Jésus-Christ étant la résurrection d'un Homme-Dieu et, partant, la plus parfaite qu'on puisse imaginer, est le type de notre résurrection selon cette loi générale, que le plus parfait en chaque ordre est le type et l'exemplaire de toutes les choses contenues dans cet ordre.
Il y a lieu cependant d'observer que, tandis que la résurrection de Jésus-Christ est cause efficiente de la résurrection de tous les hommes, bons et mauvais, puisqu'elle concourt à la résurrection de tous, elle n'est pourtant cause exemplaire que par rapport à la résurrection des bons, car la résurrection des mauvais, plutôt qu'un retour à la vie, est une nouvelle mort, une mort éternelle[595].
La résurrection de Jésus-Christ est encore, avons-nous dit, la cause de notre résurrection ; car à la gloire de l'Homme-Dieu ressuscité doivent rejaillir, pendant toute l'éternité, aussi bien la gloire des justes que les tourments des réprouvés, le « Christ étant la fin de la loi [596]».
Donc, le troisième jour après la mort du Sauveur, son âme, par sa propre puissance et considérée comme l'instrument du Verbe qui ne cessa jamais de lui être hypostatiquement uni, se réunit au corps qu'elle avait quitté et qui, par conséquent, reprit l'âme qui l'avait abandonné. Ainsi donc l'Homme-Dieu ressuscita, triomphateur de la mort, confirmant par cette sanction solennelle, la vérité de sa mission céleste et consacrant ainsi la divinité de son Église.
Jésus ressuscita, «les prémices de ceux qui dorment »,ainsi que l'appelle saint Paul[597]. Il fut en effet, le premier qui revint à la vie de manière à acquérir une domination parfaite sur la mort, et à se rendre exempt de toute attaque de corruption, même la plus légère. Il ressuscita, non pas immédiatement après sa mort, autrement on aurait pu douter de la réalité de cette résurrection, ni longtemps après, parce que ses disciples auraient pu se sentir irrésolus et vacillants dans leur foi, mais après trois jours, temps assez long pour établir la certitude de sa mort et néanmoins relativement bref pour que ses disciples n'eussent pas à douter de sa Divinité. Il ressuscita avec les dons que donne la gloire aux corps des bienheureux, quoiqu'il tînt cachée pour lors, aux yeux des hommes, incapables de la soutenir, la lumière qui rayonnait de son propre corps. Il ressuscita, conversant avec ses Apôtres, non pas trop souvent, afin qu'ils s'aperçussent de la différence que comportait son nouvel état, ni trop rarement, afin qu'ils ne pussent avoir de doute sur le fait de sa résurrection. Il s'entretint donc avec eux autant qu'il était nécessaire pour confirmer l'Église et accomplir l'œuvre de la Rédemption.
Le soin qu'eut Jésus-Christ d'entourer ce grand événement de toutes les précautions qui pouvaient en assurer l'authenticité et en éloigner toute ombre de doute, est singulièrement merveilleux. Tout d'abord il ordonna les choses de telle sorte qu'aucun doute ne fût possible sur le fait de sa mort ; en outre, il entoura toutes les circonstances de sa résurrection d'une telle évidence, qu'il est impossible d'en ébranler la vérité.
En réalité le monde n'a jamais vu aucun fait qui ait été l'objet d'attaques aussi violentes et aussi persistantes que la résurrection de Jésus-Christ. D'autre part, il n'y en a jamais eu qui ait triomphé avec plus d'éclat des oppositions les plus acharnées. En commençant par les Pharisiens qui subornèrent les soldats gardiens du sépulcre, en leur recommandant de dire que les disciples l'avaient emporté en secret pendant leur sommeil, jusqu'aux monstres d'impiété que l'infidélité de notre siècle a vus surgir, tous les ennemis de la Croix et par conséquent de la divinité de Jésus-Christ, après s'être épuisés en vains efforts contre la réalité de ce fait irréfutable, ont dû ensuite confesser leur honteuse défaite et reconnaître que tous leurs travaux n'ont abouti à rien d'autre qu'à mettre dans une lumière plus vive la vérité de ce que les Évangélistes nous ont transmis sur la Résurrection de Jésus-Christ.
Pour démontrer la vérité de ce fait, le Sauveur n'a pas voulu se servir de raisonnements. Ce qu'il fallait c'était des preuves palpables et non de longs discours. Ces discours, en effet, auraient pu procéder en vertu de principes connus ou de principes inconnus. Dans le premier cas, ils auraient enlevé à la foi tout son mérite. Dans le second cas, ils n'auraient pu suffire comme preuves, puisque rien ne peut être démontré par le moyen de principes inconnus. Jésus-Christ a donc rendu manifeste la vérité de sa résurrection, tant pour les juifs que pour les païens, en ordonnant une telle abondance de signes, qu'il faut être absolument obstiné et aveugle, pour ne pas en reconnaître l'inéluctable réalité, bien que les juifs aient eu en outre le témoignage évident des Saintes Écritures[598].
Jésus-Christ ressuscité est apparu à ses Apôtres sous un aspect humain véritable, tantôt aux uns, tantôt aux autres et jusqu'à cinq cents disciples assemblés. Il invita l'un de ses Apôtres, Thomas, à s'assurer de la vérité de sa chair et de l'identité de son corps, en le touchant de ses mains et en mettant ses doigts dans les plaies de ses mains et de son côté, plaies faites par les clous et la lance, et que le Sauveur a voulu conserver sur son corps ressuscité[599]. Il s'assit à table avec ses disciples, mangea et but avec eux[600] ; il répondit à leurs demandes et les salua, comme font ceux qui ont le plein usage de leurs sens extérieurs[601] ; il conversa avec eux sur les Saintes Écritures et sur la fondation de l'Église[602] ; et afin qu'aucun doute ne restât sur sa divinité, il fit en leur présence des œuvres propres à Dieu seul, multipliant les poissons[603], passant à travers les portes fermées[604], ou bien disparaissant tout à coup à leurs yeux[605].
Pris isolément, ces signes n'auraient peut-être pas été suffisants pour mettre hors de tout doute la résurrection du Sauveur : mais pris dans leur ensemble, ils placent ce fait dans la lumière sereine d'une complète évidence. Ceci est vrai surtout si l'on tient compte de l'exacte conformité des témoignages évangéliques avec les faits relatés, avec les paroles des anges qui apparurent pour manifester la vérité, de même qu'avec les assertions de Jésus-Christ lui-même, assertions confirmées par d'éclatants miracles. Ajoutons que la résurrection de Jésus-Christ avait été prédite dans les Saintes Écritures, précisément au temps où elle est lieu et de la manière dont elle s'accomplit. Il faut donc que l'aveuglement des adversaires soit à son comble, pour qu'ils s'obstinent à ne pas reconnaître comme un fait historique et le plus grand de tous, la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ.
On pourra peut-être objecter que le fait de se montrer sous une apparence humaine ne surpasse pas le pouvoir de l'ange et que, par suite, les apparitions de Jésus-Christ, après sa mort, ne peuvent pas être considérées comme une preuve de sa résurrection. A ceci on répond qu'étant donné le fait que l'ange peut se faire voir sous des traits humains et qu'il peut converser avec les hommes, il est impossible dans le cas présent, de lui attribuer les apparitions de Notre-Seigneur dont nous parlons. Les bons anges, en effet, n'auraient pu simuler une résurrection qui n'aurait pas eu lieu, ceci étant un véritable mensonge dont ils sont incapables. Quant aux mauvais anges, ceux-ci avaient trop d'intérêt à tenir caché le fait plutôt qu'à le divulguer, à supposer que le fait ne se soit pas réellement produit, puisque Jésus-Christ avait précisément fait appel, comme à la preuve principale de sa prédication, au fait de sa résurrection future.
Les choses étant ainsi, il faut rejeter, non seulement comme contraire à l'enseignement traditionnel, mais aussi comme diamétralement opposée au texte même des Saintes Écritures la distinction imaginée par Harnack[606] et acceptée par Loisy[607], entre la foi dans la résurrection et le message et les témoignages évangéliques ayant trait à ce mystère ; comme si la foi en question étant enracinée profondément dans le cœur des disciples, les témoignages, au contraire, ne pourraient que suggérer une probabilité limitée. Des écrivains très estimés ont clairement démontré comment des paroles du texte évangélique résulte avec pleine évidence la certitude de la résurrection de Notre-Seigneur. Saint Thomas en particulier a su, dans sa Somme Théologique[608], jeter sur le fait une telle lumière qu'elle dissipe l'ombre même d'un doutes[609]


Son Ascension

Après avoir parlé de la glorieuse résurrection de Notre-Seigneur, nous nous reprocherions de ne pas dire un mot de son Ascension dans le ciel. Bien que cet événement ne soit pas, à proprement parler, un miracle, étant une conséquence de la gloire céleste qui confère aux bienheureux le pouvoir de se transporter partout où ils le veulent, l'ascension de Jésus-Christ ne laisse pas cependant d'être une preuve éclatante de sa Divinité, ce fait s'étant accompli, au premier chef, par la puissance de cette même divinité. «Jésus-Christ monta au ciel par sa propre vertu, dit saint Thomas[610], d'abord, par la vertu divine, ensuite par la vertu de l'âme glorifiée, qui transporte le corps là où elle veut ».
Cet événement admirable récapitule tous les faits précédents de la vie du Sauveur et nous montre clairement quel fut l'objet de sa venue en ce monde, à quel but toutes ses actions, toutes ses souffrances étaient dirigées, quelle était la raison d'être de toutes ses œuvres merveilleuses. En descendant du ciel, la divinité s'était abaissée jusqu'à s'anéantir sous le voile de notre humanité ; maintenant l'humanité l'élève jusqu'à siéger à la droite paternelle de Dieu.
Donc, après que Notre Seigneur. Jésus-Christ eut conversé avec ses Apôtres pendant quarante jours, il les conduisit à Béthanie et, les ayant bénis, il les quitta, s'élevant au ciel où il est assis à la droite de Dieu[611]. Il monta triomphant dans les espaces éthérés, pénétrant jusqu'au plus profond des cieux, transcendant non seulement tous les corps célestes, mais aussi tous les ordres des esprits bienheureux, car l'union hypostatique l'avait placé à un degré incomparablement supérieur à celui de toute autre créature. Il monta pour confirmer la foi des siens et recevoir en même temps la pleine récompense qui lui était due pour tant de souffrances endurées avec une patience infinie. C'est ainsi que notre humanité fut placée à la droite du Père, dans la personne du Christ, qui ne cesse d'intercéder pour nous[612] et de répandre sur nous ses faveurs célestes.
Dans l'Incarnation, le Verbe avait revêtu notre humanité ; maintenant, après l'avoir fait passer par le creuset de la souffrance afin de nous purifier de la tache du péché et nous rendre dignes de la fin sublime à laquelle nous avions été destinés, il lui restitue son ancienne dignité ; mieux encore, il l'élève à une hauteur inouïe, véritable apothéose, qui surpasse toute compréhension. Certes, l'homme peut bien être fier de sa dignité, puisque son Chef, élevé à une place aussi sublime, veut que nous nous réunissions bientôt à lui, car là où est la tête, il convient que les membres se rassemblent[613].


Prophéties faites par Jésus-Christ

Aux miracles de Jésus-Christ exposés jusqu'ici, miracles que nous appellerons d'ordre ontologique, il faut ajouter les prophéties qu'il fit soit en annonçant l'avenir, soit en manifestant les secrets des cœurs. Ces prophéties sont aussi des miracles, mais d'ordre logique.
Il est vrai que le Sauveur, dès le premier instant de sa conception, contemplait sans aucune ombre la divine Essence et voyait également en elle toutes les choses qui sont, qui furent ou qui seront jamais[614]. Il est vrai, au surplus, qu'il eut, comme par émanation de la vision béatifique, une science semblable à cette science naturelle des anges, appelée innée ou infuse, par laquelle il connut les choses directement par les espèces intelligibles venues d'en haut[615]; pourtant il convient de rappeler, avec saint Thomas[616], que la connaissance prophétique exige formellement que les choses annoncées par le prophète soient éloignées de la connaissance de ceux dont le prophète lui-même partage l'état. C'est pourquoi Jésus-Christ ne prophétisa qu'autant que ce qu'il annonçait était éloigné de la connaissance des hommes voyageurs dont il partageait l'état, étant, lui également, durant sa vie mortelle, voyageur comme nous.
C'est pourquoi ce n'est pas par la science bienheureuse ou infuse que Jésus-Christ prophétisa, autrement il n'aurait pas été vraiment prophète, et une telle manifestation des choses futures ou cachées n'aurait pas été miraculeuse. Mais les révélations qu'il fit, furent faites par lui en vertu de cette motion ou impulsion de l'Esprit-Saint qui le poussait à annoncer les choses à venir ou à manifester les secrets des cœurs[617].
Le Sauveur fit donc une véritable prophétie miraculeuse quand, aux scribes qui murmuraient parce qu'il avait remis au paralytique ses péchés, il dit[618] : « Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs? » Ce fut de même en vertu de l'esprit prophétique qu'il raconta avec la plus grande exactitude l'histoire de sa vie criminelle à la Samaritaine qu'il rencontra au puits de Jacob[619].
Au cycle des prophéties miraculeuses de Jésus-Christ appartiennent encore les prédictions qu'il fit soit sur des choses, comme quand il annonça la ruine de Jérusalem[620], soit sur des hommes comme lorsqu'il prophétisa que les juifs, qui lui tendaient de continuelles embûches, arriveraient à le faire mourir[621], qu'un de ses Apôtres le trahirait[622] et que Pierre lui-même, malgré ses protestations réitérées de fidélité, le renierait en public à trois reprises[623].
Tout cela Jésus-Christ ne pouvait le connaître par une science acquise, non plus que par la science infuse, étant donné que la science de l'ange ne peut atteindre jusqu'aux contingents futurs et jusqu'aux secrètes pensées des cœurs[624]. Il était donc nécessaire que ces choses fussent manifestées par Dieu à sa sainte humanité au moment même où jésus les annonçait. Ces prophéties sont donc également une preuve éclatante de sa Divinité. Le Sauveur connaissait ces choses, il est vrai, par la science bienheureuse, mais il ne prophétisait pas, avons-nous dit, selon cette science, puisqu'elle lui appartenait en tant que possédant la vision béatifique et non comme voyageur sur cette terre. On doit dire la même chose de la science innée ou infuse, qui était chez lui une dérivation de la science bienheureuse. Il était donc nécessaire que ces choses fussent manifestées à l'humanité de Jésus-Christ par le Verbe divin lui-même. C'est pourquoi ces prophéties sont, elles aussi, une preuve éclatante de la divinité du Sauveur.
«Et c'est cela précisément, c'est-à-dire la prophétie, s'écrie saint Jean Chrysostome[625], qui est un autre signe, et non des moindres, de la divinité de Jésus-Christ et de son égalité avec le Père. Car ceux qui murmuraient contre lui disaient entre eux qu'il appartient à Dieu seul de remettre les péchés ; lui, pourtant, non seulement a remis les péchés, mais a manifesté également les secrets des cœurs, chose qu'il appartient à Dieu seul de connaître... Qu'à Dieu seul, en effet, il appartienne de connaître les secrets des cœurs, le prophète en fait foi, quand il dit[626] « Toi seul connais les cœurs n. Aussi un des noms propres de la divinité est καρδιγνωστης, connaisseur du cœur.



CHAPITRE XX - VALEUR APOLOGÉTIQUE DU MIRACLE

Le miracle ne peut être fait qu'en faveur de la vérité révélée

De ce qui a été dit jusqu'ici il ressort avec évidence que des miracles véritables existent, des faits absolument insolites et merveilleux pour tous, parce que produits en dehors de l'ordre de la nature créée ou contre cet ordre même. Ces faits ont cependant leur raison d'être. Ils ont un but élevé qui leur est propre dans l'ordre de la Providence pour laquelle il n'existe aucune dérogation aux lois physiques, puisque Dieu est lui-même l'auteur de ces lois. C'est pourquoi ces faits miraculeux doivent se relier à des causes plus élevées que ne sont les seules forces de la nature. Ils dépendent de l'efficience de celui-là même à qui la nature tout entière est soumise, c'est-à-dire à Dieu. C'est ainsi qu'à Dieu seul appartient le pouvoir d'accomplir le miracle, bien qu'il daigne se servir de l'instrumentalité des causes secondes.
Ces faits merveilleux ne sont pas non plus accomplis sans but et au hasard. Celui-là même qui a voulu que la nature fût un livre toujours ouvert où l'homme pût étudier les œuvres du Créateur et arriver à la connaissance de la cause première, écrit aussi, quand il le juge conforme à ses fins, un autre livre, celui des événements exceptionnels, livre écrit en lettres d'or pour enseigner à l'homme à connaître la volonté divine et à s'y conformer pleinement.


Comment est possible le miracle hors de l'Église catholique

Une grave question se pose ici : le miracle peut-il exister en dehors de l'Église catholique ?
Notre réponse est qu'on peut, en réalité, soutenir la possibilité et même l'existence de véritables miracles hors de la religion catholique. Ceci ne peut avoir lieu par une loi ordinaire, mais seulement par exception et en des cas isolés, et jamais hors du but qui distingue la vraie religion de Jésus-Christ. Aussi disons-nous que le miracle peut avoir lieu en dehors du corps de cette religion, mais non en dehors de son âme. Comme fait systématique, constituant, pour ainsi dire, un système, un tout harmonieux gouverné par d'invariables principes et par une loi fixe, le miracle existe seulement dans la religion qui s'intitule universelle ou catholique, parce que fondée par la Cause première qui réunit tout, et en faveur de laquelle les miracles mêmes de l'ancienne loi furent opérés.
En réalité, on peut admettre que, d'une manière exceptionnelle, et en des cas isolés, le miracle ait lieu hors du corps de la religion catholique, l'Esprit-Saint étant libre de choisir ses instruments partout où il veut. Ceci ne doit faire aucune difficulté, surtout lorsque le thaumaturge est un homme de sainte vie et ne cherche pas autre chose dans ses œuvres, que l'honneur de Dieu.
Il sera bon, à ce propos, de rappeler ici ce que nous lisons dans saint Marc. L'Apôtre jean ayant dit à Jésus[627]: «Maître, nous avons vu un homme, qui ne va pas avec nous, chasser les démons en votre nom, et nous l'en avons empêché », Notre-Seigneur le reprit en ces termes[628] : «Ne l'empêchez pas, car personne ne peut faire de miracle en mon nom et aussitôt après parler mal de moi. Qui n'est pas contre vous est pour vous». Ce qui équivaut à dire que si jamais quelque miracle est accompli par un homme hors du corps de l'Église de Jésus-Christ, un tel fait est nécessairement ordonné à la manifestation de la vérité prêchée par le Sauveur, et nullement en faveur de l'erreur.
C'est en ce sens qu'on doit expliquer les miracles attribués, en des temps assez proches des nôtres, à un prêtre orthodoxe grec de grande piété, nommé Ivan ou Jean Serguief, proto-iereï de la principale église de Cronstadt. Le renom de sainteté de ce prêtre était tel que, au mois d'octobre de 1894, l'empereur Alexandre III mourant l'appela à son chevet, dans l'espoir d'obtenir par son intercession un soulagement à ses souffrances[629].
Ces miracles, en les supposant authentiques, seraient des faits isolés, accomplis apparemment en dehors de l'Église catholique, mais lui appartenant de droit, puisqu'ils n'avaient pas pour objet la confirmation d'une fausse doctrine, mais bien la récompense d'une sainteté en harmonie avec les principes proclamés précisément par l'Église catholique. De tels miracles auraient donc eu pour but de fournir de nouvelles preuves de l'existence de l'ordre surnaturel.
Saint Augustin expose lumineusement cette vérité quand, commentant précisément le fait raconté par saint Marc dans le passage qui vient d'être cité, il explique comment les paroles prononcées alors par Notre-Seigneur[630] : « Qui n'est pas contre vous, est pour vous », ne contredisent pas celles rapportées dans saint Matthieu [631] : « Qui n'est pas avec moi, est contre moi ». « Dans ce cas, dit le saint docteur d'Hippone[632], (celui qui avait chassé le démon) n'était pas contre les disciples, mais au contraire, il était pour eux, en tant qu'il opérait des guérisons par le nom du Christ... Il devait être confirmé dans la vénération d'un tel nom et, partant, il n'était pas contre l'Église, mais pour l'Église. » Rappelons encore ici l'épisode si intéressant raconté au livre des Nombres[633]. Deux individus, Eldad et Medad, bien qu'ils ne fussent pas allés avec les autres au tabernacle, prophétisèrent néanmoins dans le camp en l'absence et à l'insu de Moïse. Le chef du peuple de Dieu, l'ayant su, voulut qu'ils fussent laissés libres de prophétiser.


Le miracle, sceau de la vérité révélée

Cependant, bien que l'on puisse admettre, comme nous l'avons dit, d'une manière tout à fait exceptionnelle, la possibilité du miracle hors de l'Église catholique, ceci n'empêche pas que le miracle, en tant que dérogation à l'ordre physique et comme servant à mettre en relief l'ordre surnaturel, soit toujours en lui-même une sanction donnée par Dieu à quelque vérité proposée par lui à notre croyance, ou à quelque commandement émané de lui. Ainsi Dieu voulut confirmer la mission de Jésus-Christ dans le monde, son enseignement, la religion fondée par lui, par un grand nombre de miracles insignes et surtout par le fait éclatant de sa résurrection. C'est pourquoi nous devons répéter ce que Nicodème disait à Notre-Seigneur[634] : « Maître, nous savons que vous êtes envoyé de Dieu pour être notre Maître : car personne ne peut faire les prodiges que vous faites si Dieu n'est pas avec lui ». C'est ce que chante magnifiquement Dante Alighieri[635]

... « Des miracles saints la confirme toujours,
Œuvres qu'en vain nature à faire se consume
En échauffant son fer et frappant son enclume ».

Si maintenant un homme, fermant les yeux à l'évidence et endurci dans son obstination, préfère nier la vérité des miracles faits au bénéfice de la religion chrétienne, que du moins il ne reste pas insensible devant ce colossal édifice qu'est l'Église catholique ; qu'il reconnaisse que si cette Église eût été fondée et propagée sans aucun miracle, ce seul fait serait en soi le miracle le plus grand et le plus éclatant qu'on ait jamais vu, ainsi que Dante l'affirme encore[636] :

... « Si l'univers à cette foi si dure
Sans miracle est venu, c'en est un ; et je vois
Que les autres par lui sont surpassant cent fois ».

Saint Augustin avait déjà, parlant des miracles accomplis par les Apôtres, formulé cette pensée de la façon suivante[637] : « Si l'on ne veut pas croire que les Apôtres aient opéré ces miracles pour établir la croyance à la résurrection et à l'ascension de Jésus-Christ, ce seul grand miracle nous suffira, que l'univers ait cru ces choses sans miracles ». Les paroles de saint Thomas[638] font écho à celles de l'évêque d'Hippone : « Ce serait le plus merveilleux de tous les signes (ou miracles), si le monde avait été amené par des hommes simples et sans instruction, à croire des choses aussi ardues, à accomplir des entreprises aussi difficiles, à espérer des biens d'une telle sublimité, sans aucun signe merveilleux ».
Si, de la considération du miracle en général nous passons à celle des prodiges opérés par Jésus-Christ, prodiges dont nous avons parlé dans les chapitres précédents, nous trouverons que ceux-ci sont amplement suffisants pour prouver sa Divinité. D'autres personnages d'une sainteté insigne, firent, eux aussi, des miracles, tant dans l'ancien Testament que sous la Nouvelle Loi ; mais c'étaient là des choses presque insignifiantes, si on les compare aux prodiges accomplis par le Messie. Ceux-ci brillent comme des étoiles sans nombre dans le ciel très limpide de sa vie immaculée.


Les miracles accomplis par Jésus-Christ prouvent sa divinité

Un doute se présente à notre esprit. Toutes ces œuvres merveilleuses faites par Jésus-Christ avant et après sa résurrection, furent-elles suffisantes pour prouver qu'il était plus qu'un homme ordinaire et vraiment Dieu? C'est la question qui s'impose en dernier lieu à notre examen et ceci précisément à cause de la grandeur du problème qui nous occupe : si l'on a coutume de demander des signes extraordinaires pour croire à la mission divine d'un homme, que ne faudra-t-il pas exiger quand cet homme se proclame fils de Dieu, vrai Dieu?
Nous l'affirmons en toute confiance et sans crainte de nous tromper : les miracles que fit Jésus-Christ furent amplement suffisants pour prouver, hors de doute, le fait de sa Divinité. Ces miracles, en effet, étaient des œuvres transcendant la puissance de toute la nature créée : œuvres qui ne pouvaient s'accomplir que par la puissance de Dieu et par conséquent, œuvres vraiment divines, puisque, comme nous l'avons démontré, c'est à Dieu seul qu'il appartient de faire des miracles. C'est ce que comprit très bien l'aveugle que Jésus avait guéri quand, avec grande sagesse, il répondit aux Juifs qui voulaient prendre occasion de ce fait pour calomnier le Messie[639] : «Jamais on a ouï dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire».
Mais ce n'était pas assez que ces œuvres fussent des œuvres propres à Dieu seul : il était en outre nécessaire que le Christ les fît par sa propre puissance, non pas en priant Dieu comme font les autres saints, mais de son autorité propre, afin qu'on en vînt à conclure que celui qui, par lui-même, par sa propre vertu, et sans le concours de nul autre, pouvait produire de telles œuvres, était égal à Dieu, vrai Dieu lui-même. Or ceci le Christ le fit, car on lit dans l'Évangile[640], « qu'une vertu sortait de lui qui guérissait tous les malades » ; ce qui montre, dit saint Cyrille[641], «qu'il ne recevait pas la vertu d'un autre, mais, comme vrai Dieu, il déployait sur les malades sa propre puissance et pour cela faisait des miracles infinis ». C'est dans ce sens que Jésus-Christ lui-même osait dire ouvertement[642] : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père, rendent elles-mêmes témoignage de moi ».
Tous ces miracles le Sauveur les faisait par sa propre vertu, précisément pour confirmer l'authenticité de sa mission et la vérité de sa doctrine, portant en tout premier lieu, qu'il était vraiment Dieu selon cette parole[643] : « Mon Père et moi nous sommes un ». Il était donc nécessaire qu'il le fût en réalité ; sinon la Vérité divine se serait reniée elle-même donnant à la fausseté un témoignage solennel, et se portant garant soit de l'ignorance et de l'erreur, soit de la fraude et de la duperie.


Efficacité de ses miracles

A dire vrai, il eût suffi d'un seul miracle fait par Jésus-Christ en des conditions semblables, pour établir la vérité de sa Divinité. Il est vrai qu'un effet particulier quelconque ne suffit généralement pas à prouver la nature de la cause dont il provient ; mais quand cet effet particulier est propre à cette cause, toute la vertu de l'agent se démontre alors par cette œuvre particulière. C'est ainsi que, raisonner étant le propre de l'homme par le seul fait qu'un homme raisonne sur un point particulier, on prouve suffisamment qu'il est vraiment homme. De même pouvoir faire des miracles par son autorité propre et par son propre pouvoir, étant une chose qui appartient à Dieu seul, du fait que le Christ accomplit un miracle de cette manière, on peut déduire suffisamment qu'il est vraiment Dieu.
Mais ce n'est pas d'un seul miracle qu'il s'agit ici, mais d'innombrables miracles opérés par Jésus-Christ, au point que les Évangélistes, ne pouvant les décrire tous un à un, se sont vus contraints de désigner par une simple phrase les œuvres merveilleuses faites en nombre infini par le Seigneur[644] « Par sa parole il chassait les démons et guérissait tous les malades ».
Et c'est justement pour cela que les multitudes qui se laissent facilement convaincre par l'évidence des faits et ne connaissent pas l'art de feindre, à la vue des innombrables miracles que faisait Jésus, se convertissaient et croyaient en lui[645] : bien que jésus lui-même, dont la science incomparable sondait les cœurs et les reins, connût que beaucoup de ces convertis se retourneraient un jour contre lui. C'est pourquoi dit l'Évangéliste[646] : «Jésus ne se fiait point à eux, parce qu'il les connaissait tous et qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage d'aucun homme ; car il savait, lui, ce qu'il y avait dans l'homme».


On résout une difficulté

Mais, dira-t-on, d'autres hommes aussi ont fait des miracles ; cependant ils n'étaient pas Dieu, et ces miracles ne les firent pas considérer comme des dieux ; quelle preuve les miracles faits par Jésus-Christ nous donnent-ils donc en faveur de sa Divinité?
Il est vrai que Jésus-Christ ne fut pas le seul à faire des miracles. Les prophètes en ont accompli et les apôtres également ; mais aucun d'eux ne s'annonçait comme étant le vrai Dieu. Ces thaumaturges se présentaient, au contraire, comme les témoins du Verbe incarné ; ils faisaient des miracles précisément pour rendre témoignage non d'une divinité qu'ils ne possédaient pas, mais de la divinité de Jésus-Christ qu'ils annonçaient et qu'ils prêchaient.
D'ailleurs les miracles des prophètes ou des Apôtres n'atteignirent pas la grandeur des miracles du Messie. Qui peut se vanter, comme le Verbe incarné, d'être né d'une Vierge, d'être ressuscité par sa propre puissance, et par sa propre puissance également d'être monté au ciel? Que désire-t-on de plus?
Peut-être que Jésus-Christ eût créé un autre univers? Mais cet univers, s'il eût été plus grand que celui que nous connaissons ou d'une grandeur égale, n'aurait pu être contenu dans l'univers actuel et ainsi n'aurait pu servir à prouver la divinité du Messie. Si, au contraire, ce nouvel univers avait été plus petit que le nôtre, il est certain qu'il n'aurait pu paraître un prodige suffisant aux yeux de ceux que ne contentaient pas les miracles déjà accomplis. «Quiconque, dit saint Augustin, exige encore aujourd'hui des prodiges pour croire, est lui-même un grand prodige, puisqu'il ne croit pas quand le monde croit[647]
Non, les miracles opérés par Jésus-Christ sont sans comparaison, soit pour la grandeur, soit pour le nombre, avec ceux accomplis par les prophètes ou par les Apôtres. S'est-il jamais rencontré un homme qui ait guéri tant d'infirmités, soulagé tant de misères, un homme au passage duquel accouraient de partout toutes sortes de malades, dans les rues, et qui les guérissait tous dans les villages, dans les bourgades, dans les villes, sur les places? Même en admettant qu'un tel homme se fût rencontré, on ne pourrait cependant pas le comparer à Jésus-Christ, car Jésus-Christ faisait ces miracles par sa propre vertu, tandis que les autres hommes ne peuvent rien faire, si ce n'est par la vertu de Jésus-Christ lui-même.
Et c'est précisément pour cela que le peuple qui, dans certains cas, est bien meilleur juge que ne le sont les savants, surtout si ces derniers sont prévenus par la passion ou l'intérêt, était poussé par une impulsion irrésistible à le suivre à cause des miracles qu'il lui voyait faire[648] : «Une grande foule le suivait parce qu'elle voyait les miracles faits par lui en faveur des malades».
Si l'on veut encore insister sur ces paroles de Notre-Seigneur[649] : « Celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes », et cela pour conclure à la supériorité des miracles accomplis par les disciples du Christ sur ceux du Christ lui-même, nous répondrons avec saint Augustin que l'on peut bien admettre que telle ou telle œuvre accomplie par les fidèles en vertu du pouvoir à eux concédé par le Sauveur ait été plus grande que telle autre faite par Notre-Seigneur lui-même, celle par exemple accomplie au moment même où il prononçait ces paroles ; toutefois il ne s'est jamais, rencontré aucun homme qui, parmi les œuvres merveilleuses qu'il pût accomplir, en ait fait une qui surpassât l'œuvre la plus grande accomplie par Jésus-Christ.
En vérité le sens des paroles que nous venons de citer est plutôt que les œuvres spirituelles que, dans le cours des temps, les disciples du Rédempteur accompliraient, sont destinées à surpasser les merveilles opérées par Lui sur les corps et sur la nature sensible. En effet, les disciples avaient mission de justifier l'homme et de le sauver. Or la justification de l'impie est, dans un certain sens, une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre. C'est ce qu'exprime très bien saint Augustin dans les paroles suivantes[650] : «Je dirai même que c'est là une chose plus grande (transformer en homme juste un impie) que n'est le ciel et la terre et tout ce que l'on voit dans le ciel et sur la terre : car le ciel et la terre passeront, mais le salut et la justification des prédestinés ne passeront pas». Quoi qu'il en soit de cette interprétation, l'œuvre même de la justification de l'impie, les disciples de Jésus-Christ ne la devaient accomplir que par la vertu de Jésus-Christ et par le pouvoir qu'il leur avait communiqué comme à des instruments de sa sainte humanité. C'est pourquoi l'œuvre du Christ n'est pas inférieure sous ce rapport à celle de l'homme, laquelle n'a d'efficacité que par la vertu de Jésus-Christ lui-même[651].


Pourquoi certains ne veulent pas croire aux miracles

Cependant, bien que les miracles de Notre Seigneur Jésus-Christ aient suffi amplement à prouver sa Divinité, les hommes ne se sont pas tous rendus à leur évidence en reconnaissant le Messie pour être le vrai Dieu : «Tous n'obéissent pas à l'Évangile,» dit saint Paul[652]. Si les œuvres de Jésus attiraient à sa suite des foules si nombreuses que, saisis de frayeur, les Pharisiens s'écriaient :«Voici que tout le monde court après lui»[653] ; si, en conséquence des miracles par lesquels les Apôtres confirmèrent leur prédication, des milliers de juifs et d'infidèles se convertirent ; si, aux miracles qui, aujourd'hui plus que jamais, se renouvellent, les disciples du Nazaréen voient chaque jour s'augmenter leur nombre, cela n'empêche pas que de même que Jésus-Christ compta durant sa vie mortelle de nombreux ennemis parmi ceux-là même qui avaient bénéficié des prodiges de sa bonté et de sa puissance, de même que les Apôtres furent en but à des persécutions cruelles de la part des témoins de leurs miracles, de même encore aujourd'hui une guerre à mort est déclarée contre le Sauveur et contre son Église, malgré la confirmation dix-neuf fois séculaire de ses œuvres merveilleuses. S'il en est ainsi demandera-t-on, comment peut-on dire que les miracles de Jésus-Christ furent une preuve suffisante de sa Divinité?
Pour répondre d'une manière satisfaisante à cette difficulté, et pour expliquer également des négations aussi inconcevables qu'obstinées, en un mot, pour résoudre le problème de la guerre contre le Christ et son Église, il faut recourir à un principe plus élevé que ne l'est la force matérielle des faits. L'opposition faite par les hommes à Jésus-Christ et à son Église ne provient pas du défaut d'évidence dans les œuvres qu'il accomplit. Elle provient du cœur mal prévenu, de la volonté perverse qui ne permet pas à l'intelligence de s'humilier pour connaître et embrasser la vérité. Car la force de la volonté est telle qu'elle peut soumettre à sa domination les puissances de l'homme et l'intelligence elle-même, les attachant à son char comme des esclaves à son char de révolte et les entraînant à l'abîme.
En effet, une volonté mauvaise et déréglée peut faire que l'intelligence s'obstine à nier la vérité.L'homme ne peut-il pas fermer les yeux à la lumière du jour, et devenir ainsi volontairement aveugle? Et Jésus-Christ n'a-t-il pas dit[654] : « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière»? L'obstination de la volonté embrassant librement ce qui est opposé à la vérité, constitue la raison fondamentale de la résistance des hommes à l'évidence des miracles de Jésus-Christ. Ces miracles ne leur suffisent pas, non par manque d'évidence intrinsèque, mais par insuffisance, ou, pour mieux dire, par absence totale de bonne disposition dans le sujet qui en est le témoin.


Cause de la guerre que le monde fait à Jésus-Christ

C'est ici précisément que réside la raison suprême de cette guerre implacable et satanique dirigée contre le Christ et son Église, guerre qui dure depuis déjà dix-neuf siècles, guerre satanique, avons-nous dit, car c'est précisément Satan qui est le chef de ceux qui font la guerre à la divinité de Jésus-Christ[655]. N'est-ce pas lui qui, le premier, ne voulut pas reconnaître l'évidence des miracles opérés par notre Divin Sauveur ?
Certes, ces miracles étaient plus que suffisants pour l'intellect subtil de ces purs esprits, déchus sans doute, mais appartenant toujours à un ordre supérieur. Plus que suffisantes étaient les preuves fournies par les œuvres merveilleuses de Jésus-Christ, pour les convaincre de sa divinité ; mais, Dieu le permettant ainsi, leur perversité les empêcha de voir clairement ce que les simples et les petits de ce monde reconnaissent avec tant de facilité et de joie. N'était cette malice des esprits infernaux, «ils n'auraient jamais, dit saint Paul[656], crucifié le Seigneur de la gloire».
Les œuvres que le démon vit s'accomplir par Jésus-Christ lui firent bien soupçonner que le Nazaréen devait être plus qu'un homme, sur lequel il sentait n'avoir aucune puissance. Parfois aussi l'évidence le poussa, malgré lui, à le reconnaître comme le fils de Dieu. « Les démons sortaient du corps d'un grand nombre, criant et disant : TU ES LE FILS DE DIEU »[657]. Mais sa méchanceté l'empêcha de reconnaître Jésus-Christ pour Dieu, et le porta, au contraire, à s'acharner contre lui, en excitant les juifs à le mettre à mort.
Dans le cas de ceux qui crucifièrent Jésus, l'histoire de l'aveuglement et de l'endurcissement satanique des juifs qui le condamnèrent, eut un écho d'une réalité lamentable. Ces hommes virent tous les signes qui se produisirent à la mort du Sauveur, et cependant ils ne voulurent pas se rendre à l'évidence et le reconnaître pour le Messie promis par Dieu dans les Saintes Écritures.
On peut dire que, d'une certaine façon, tous les éléments reconnurent Jésus-Christ pour leur Seigneur et leur Maître : les cieux en envoyant à sa rencontre une étoile merveilleuse ; les mers en soutenant ses pieds comme si elles avaient été la terre ferme ; la terre en tremblant ; le soleil en cachant ses rayons ; les pierres en se brisant ; l'enfer en rendant ses morts à l'instant où Jésus expirait sur la croix, et malgré cela, les cœurs des juifs perfides, ainsi que l'Église les appelle[658], fermés à tout sentiment de pénitence, restèrent plus durs que l'acier à la vue de tant de prodiges.
« Dans tous les miracles qui s'accomplirent à la naissance ou à la mort du Sauveur, s'écrie saint Grégoire le Grand[659], nous devons considérer combien fut grande la dureté de coeur de certains juifs qui ne voulurent reconnaître le Messie, ni par les prophéties qui resplendirent en lui, ni par les miracles faits par lui. En réalité, tous les éléments rendirent témoignage à la venue de leur auteur. Car, pour parler d'eux à la manière des hommes, je dis : les cieux le reconnurent pour Dieu, car aussitôt ils envoyèrent l'étoile ; la mer le reconnut, car elle se fit solide sous ses pieds ; la terre le reconnut, car à sa mort, elle trembla tout entière ; le soleil le reconnut, car il cacha ses rayons ; les pierres et les murailles le reconnurent, car au temps de sa mort elles se rompirent ; l'enfer enfin le reconnut en restituant ses morts. Malgré cela, les cœurs des Juifs infidèles ne le veulent pas reconnaître comme leur Dieu, tandis que les éléments insensibles l'ont reconnu pour leur Maître ; plus durs que les pierres, ils ne veulent pas se convertir et faire pénitence ».
Plaise à Dieu que ce mystère d'aveuglement et d'endurcissement ne se renouvelle pas journellement, même chez des hommes nés et élevés dans le sein de l'Église catholique et nourris de son lait maternel. Ceux-ci, outre les signes enregistrés dans les Saintes Écritures, ont encore un autre prodige, avec lequel ils sont en continuel contact : le prodige de cette merveilleuse continuation de l'Église catholique à laquelle ils appartiennent, prodige de cette indescriptible activité qui lui fait traverser les mers à la recherche de terres nouvelles où elle puisse étendre le règne du Christ ; le prodige enfin de cette merveilleuse vitalité qui la rend invulnérable aux attaques les plus violentes.
Ces prodiges mêmes les contraignent parfois, il est vrai, à proférer, malgré eux, les paroles des soldats gardiens du Calvaire[660]: «En vérité, Jésus-Christ est Fils de Dieu ». Toutefois ils se refusent à rendre au Verbe incarné l'honneur qui lui est dû ; ingrats en présence des bienfaits reçus, ils persistent à exciter contre lui une guerre implacable. Leur haine les aveugle au point de désirer et d'espérer qu'un jour viendra où son pouvoir sera radicalement détruit, et lui-même anéanti.
De tels aveux arrachés à la bouche des impies sont la preuve la plus éclatante de l'efficacité des œuvres faites par Jésus-Christ en confirmation de sa mission. Elles montrent avec évidence la nécessité de les admirer d'un œil juste et impartial, d'une volonté droite, si l'on veut que cette conviction prenne possession de toute la vie de l'homme et le porte à se soumettre au Messie, l'Envoyé de Dieu, comme au Maître de la vérité, de façon à lui dire avec Nicodème[661] : « Nous savons que tu es venu de la part de Dieu comme docteur, car personne ne saurait faire les miracles que tu fais, si Dieu n'était avec lui ».


Jésus-Christ, Prince de la paix

Le divin Maître fut promis dans l'ancienne Loi comme Prince de la Paix[662], et à sa naissance un ange révéla la manière de trouver par lui la véritable paix du cœur. La condition de cette paix est que l'homme soit de bonne volonté[663].
Sous l'influence de la grâce divine, la rectitude de la volonté, la droiture du cœur suffisent pour que l'esprit éveillé par les œuvres splendides que Notre-Seigneur a accomplies dans le monde durant sa vie mortelle, s'incline soumis et docile pour en recevoir les divins enseignements et par eux trouver la véritable paix du cœur. Comme, d'ailleurs, ces interventions spéciales de la Divinité dans l'Église du Christ n'ont jamais cessé et ne cesseront jamais de se produire, ce sera le privilège des hommes de droite intention et de cœur pur d'arriver à une parfaite connaissance de la volonté divine, en entrant dans l'arche de salut que le Sauveur a fondée afin de perpétuer sa mission, c'est-à-dire dans son Église, et d'obtenir par elle la béatitude éternelle dans la vision de Dieu face à face.
Qu'il vienne, qu'il vienne vite le moment où tous les hommes, vaincus par la suave évidence des oeuvres merveilleuses accomplies par le Sauveur, entreront tous dans l'unique bercail dont il est lui-même le suprême Pasteur, et chanteront à l'unisson l'hymne de la reconnaissance à la gloire de Celui qui est la fin dernière de toutes choses et à qui soient à tout jamais, honneur et gloire. Amen.


LOUÉS SOIENT JÉSUS ET MARIE AUJOURD'HUI ET TOUJOURS



Notes

  1. . Juges, VI, 13.
  2. . Racine, Athalie, acte I, scène I.
  3. , Autour d'un pet livre, p. 169-173.
  4. Dante, Paradis, ch. XXIV, vers 97 et suiv. Trad. de Margerie.
  5. . 2. 2-2, Quaest. CLXXVIII, art. I.
  6. . L. III, C. 102
  7. . Illorum quoque miraculorum multitudo silvescit, quae monstraostenta, portenta, prodigia nuncupantur: quae recolere et comme, morare si velim, huius operis quis erit finis? De Civ. Dei, l. XXI, chap. VIII, 5.
  8. . Erat lux vera, quae illuminat omnem haminem venientem in hune mundum. Jean, I, 9.
  9. . Libr. IV, De Consol. philos. Prose 6. La phrase latine du philosophe est plus concise. Ipsa divina ratio in Summo omnium Principe, quae cuncta disponit
  10. . Parad., chant VIII, vers 100-102. Trad. de Margerie.
  11. . Sedet interea Conditor altus,
    Rerumque regens flectit habenas,
    Rex et Dominus, fons et origo,
    Lex et Sapiens arbiter aequi. Boèce, ibid., L. IV, Met. 6
  12. . Traité de l'Amour de Dieu, 1. I, chap. III. Œuvres, t. IV, Annecy, 1894.
  13. . I, Quaest. XXII, art. 2.
  14. . I, Quaest. XXII, art. 2.
  15. . Enchirid. chap. II. Le saint docteur écrit dans le même livre (c. XXVII) : Dieu a jugé meilleur de tirer le bien du mal, que d'empêcher qu'il n'y ait aucun mal.
  16. . C'est-à-dire que nous lui faisons payer en tout sa quote-part.
  17. . Fables, L. V, XI. La Fortune et le jeune enfant.
  18. . Lib. LXXXIII, Q. 24.
  19. . De Pot., Quaest. VI, art. I, ad 6m.
  20. . La Religion chrétienne prouvée par les faits, 1. I, c. VI, cité par le P. Alberto Lepidi, O. P., dans la Revue « L'Accademia romana di. S. Tommaso », vol. VIII, fasc. II, pag. 23. - Claude François Houteville, ou de Houtteville, d'abord oratorien ensuite secrétaire du cardinal Dubois, élu aussi secrétaire perpétuel de l'Académie française, mourut en 1742 à l'âge de cinquante-quatre ans. On lui doit un ouvrage La religion chrétienne prouvée par les laits, précédé d'un discours historique et critique sur la méthode des principaux auteurs qui ont écrit pour et contre le christianisme depuis son origine. Paris,, t. 3, in 4°, 1724. Ce travail, qui porte l'empreinte d'une vive imagination, manque toutefois d'un jugement sûr ; aussi, en conséquence de critiques sévères, l'auteur en a-t-il donné plus tard une nouvelle édition revue et corrigée. Paris, 1741, t. 3, in-4°; 1749, t. 4. Voir Hurter, Nomenclator titterarius theologiae catholicae. T. IV, Oeniponte, 1910, col: 1388-1390..
  21. . L. II, C. G., chap. XXIII.
  22. . r, Quaest. CV, art. 6. Cf. C, Gent., 1. III, chap. XCVIII
  23. . I, Quaest. CIII, art. 7. Cf. Card, Satolli, r. De operationibus .Divins, Diss. de Providentia, etc.
  24. . De Pot., q. VI, art. I, ad 8m.
  25. . I, Quaest. XIX, art. 8.
  26. . C. G., L. III, chap. LXXII.
  27. . Nullus enim respiciens ad malum.operatur. Chap. IV.
  28. . I, Quaest. CIII, art. 8.
  29. . Ibid;, LXXXIII, art. I, ad 3m.
  30. . Ibid;, LXXXIII, art. I, ad 3m.
  31. . Paradis, Chant I, vers 103 et suiv. Traduct. de Margerie.
  32. . 1, Quaest. XIV, art. 6-
  33. . 1, Quaest. XXII, art.1.
  34. . Eius est interpretari leges et dispensare in eis, cuius est eas
    condere. C. G., L. III, chap. LXXVI.
  35. . C. G., L. III, chap. LXXVI.
  36. . C. G., L. III, chap. LXXVL.
  37. . Melius est quaedam nescire quam scire, ut vilia. Enchiridion de Fide, Spe et Caritate, chap. XVII, t. VI, p. 2o1.
  38. . I, Quaest. XXII, art. 3, ad 3m.
  39. . Resurget frater tuus. Jean, XI, 23.
  40. . i, Quaest, XIX art. 7, ad 2m.
  41. . Dispone domu tuas, quia morieris tu et non vives. Is., XXXVIII, I.
  42. . Ecce ego adiiciam super dies tuos quindecim annos. Ibid., v.5.
  43. . Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur. Jon., III, 4
  44. . Misertus est Deus super malitia quam locutus fuerat ut faceret
    eis et non fecit. Jon., III, Io.
  45. . Quid enim novit Deus ? Et quasi per caliginem iudicat. Nubes latibulum eius, nec nostra considerat, et circa cardines cæli perambulat. Job, XXII, 13.
  46. . Voir saint Grégoire de Nysse, L. VIII de Prov., chap. III, et saint Thomas, 1, cit., L. III, C. G., chap. LVI.
  47. . Cette providence, Aristote l'attribuait au cercle oblique, c'est-à-dire à ce cercle qui nous semble être tracé par le soleil autour de la terre, et que nous appelons écliptique. Voir saint Thomas, r, Quaest. XLIV, art. 2.
  48. . Tu fecisti priera, et illa post illa cogitasti, et hoc factum est, quod ipso voluisti. Judith, IX, 4.
  49. . Quem constituit alium super terram, ont quem posuit super orbem, quem fabricatus est? Job, XXXIV, 13.
  50. . Mundum per seipsum regit quem per seipsum condidit. L. XXIV, Moral., chap. XXVI.
  51. . Superba vanitatis loquentes. 2 Ep., II, 18.
  52. . Effudit illam (sapientiam) super omnia opera sua. Eccli., I,1o
  53. . Omnia in mensura, et numero et pondere disposuit. Sap., XI, 21.
  54. . I, Quaest. CV, art. 5.
  55. . L. III C. G., chap. LXIX. Cette observation s'applique également à Averroës dans son IXme livre de Métaphysique, comment. VII. Voir aussi Suarez, Disp. Métaph. XVIII, sect. x, §1.
  56. . Œuvres. Paris, 1871. Tome III. De la Recherche de la vérité, L. VI, p. 11, chap. III, p. 328.
  57. . Ibid., p. 332.
  58. . Is., XLIII, 24.
  59. . Dans le livre Fontis vitae. Voir saint Thomas, i, Quaest. CXV, art. I.
  60. . Voir sur cette question ce que nous avons écrit dans le traité De pertinentibus ad div. operationem, Quaest. XXII, art. 3, un. 8, 9, p. 328, 2ne édition.
  61. . I, Quaest. CV, art, 5.
  62. . x, Quaest. CV, art, 5.
  63. . Evolntion and Dogma, Chicago, 1896, p, 56.
  64. . Pensées, p. 410, éd. Lagier.
  65. . Cf. 1, Quaest. CX, art. 2.
  66. . voir début §III chap III
  67. . L'expression latine est plus concise :Formæ compositorum non sunt res subsistentes, sed sunt res per quas et in quibus aliquid subsistit.
  68. . L. I Physic., t. 48.
  69. . I, Quaest. CXV, art. I, ad 2m.
  70. . Ibid., ad 4m.
  71. , L. e., ad im.
  72. . L. c., ad fin. corp.
  73. . I. de Gen., t. LVII, seg.
  74. . Saint Thomas, 1. c. Sur tous ces points, voir le livre III de la Somme contre les Gentils, chap. LXIX.
  75. . L. IX de Trin., chap. IV.
  76. . L, c., ad 5m.
  77. . L. c., art. I.
  78. . Ibid.
  79. . Invisibilia enim (Dei)... Per ea, quae Jacta surit, intellecta conspiciuntur. Rom., I, 20.
  80. Dante, Paradis, XIX, 86 et suiv. Trad. de Margerie.
  81. . L. III C. G., chap. LXXII.
  82. . Qui stultus est, serviat sapienti. Prov., XI, 29.
  83. . Dabo pueros principes eorum, et effleminati dominabuntur eis. Is., III, 4.
  84. . De Consol. philos. L. 4.
  85. . De Trin. L. III, chap. IV. Voir saint Thomas, C. G., L, III, chap. LXXXIII.
  86. . L. 111 C. G., chap. LXX.
  87. . François Silvestre de Ferrare (1474 ?-1525), dans son com­mentaire sur le livre C. G., 1. c.
  88. . Nous disons de quasi suppôt, eu égard au mystère de la Sainte Trinité, parce que la divine essence, bien que très complète en elle-même et parfaitement subsistante, est toutefois communicable à plusieurs personnes et, pour cette raison, on ne peut l'appeler personne, hypostase ou suppôt, sinon dans un sens large, c'est-à-dire en tant que l'agir appartient au suppôt, agere est suppositi. Par action nous entendons ici les actions de Dieu, ad extra, et non celles ad intra, qui sont les divines processions.
  89. . De Pot., Quaest. III, art. 7.
  90. . Prop. I.
  91. . I, Quaest. XXXVI, art. 3, ad 4m.
  92. . I, Quaest. CV, art. 6.
  93. . I, Quaest. CV, art. 6, ad rm. Cf. C. G., L. III, chap. C: Non est contra rationem artificii, si artifex aliquid operetur en suo artificio, etiam postquam ei primam formam dedit.
  94. . Deus creator et conditor omnium naturarum nihil contra naturam facit, quia id est naturale cuique rei, quod facit, a quo est omnis modus, numerus et ordo naturae. L. XXVI Contra Faustum, chap. III.
  95. . Omnia quippe portenta contra naturam dicimus esse: sed non sunt. Quomodo est enim contra naturam, quod Dei fit voluntate, cum voluntas tanti utique Conditoris conditae rei cujusque naturae sit? Portentum ergo fit, non contra naturam, sed contra quam est nota natura. De Civ. Dei, L. XXI, chap. VIII, n. 2. C'est donc pour s'accommoder à notre manière de parler que saint Paul disait : Contra naturam insertus es in bonam olivam. Rom., XI, 24.
  96. . I, Quaest. CXV, art. 2, ad 4m.
  97. . Saint Augustin, L. III de Trin., chap. IX.
  98. . Deus, qui totius rei auctor est, non solum formas et virtutes naturales rebus contulit, sed etiam potentiam recipiendi illud quod ipse in materia facere vult. 2, Dist. XVIII, Quaest. I, art. 2.
  99. . Quaedam fuerunt in operibus sex dierum ut in potentia obedientiae tantum, sicut ea quae per miraculum fiunt. 2, Dist. XV, Quaest. III, art. i, ad 8m.
  100. . Dictionnaire philosophique on la Raison par Alphabet. Ce dictionnaire est attribué à Voltaire et semble avoir été composé par lui durant son séjour à Ferney, c'est-à-dire durant la dernière période de sa vie. Il fut mis à l'Index en 1765.
  101. . C'est-à-dire Voltaire et ses disciples. Ils ont la hardiesse, est dit par ironie.
  102. . Dans l'opuscule de Occultis operibus naturae ad quemdam militem.
  103. . 3ème Lettre de la Montagne, t. VIII, p. 104. 1793.
  104. . C. VI, § III, p. III.
  105. . Alb. Lepidi, Dissertation publiée dans la Revue Accademia Romana di S. Tommaso, vol. VIII, fasc. II, p. 15.
  106. . r, Quaest. CV, art. 6.
  107. . Ibid., Quaest. XIII, art. 5, ad 1m,
  108. . In L. III C. G., chap. XC.
  109. . In L. III, C. G., chap. IC.
  110. . Traité théologico-politique, C. VI.
  111. . Prop. l a inter quadraginta, condemn. decreto S. Officii, 14 Dec., 1887.
  112. . Prop. 2.
  113. . Prop. 3. Teosofia, Vol. IV, nn. 2, 15, 1423.
  114. . Allusion au livre I de Consolatione Philosophiae, pros. I. - Flavius Severinus Manlius Boetius fut d'abord maître du palais du roi des Goths, Theodoric ; puis, calomnié par des envieux, il fut jeté en prison au château de Pavie où il écrivit le livre admirable de Consolations Philosophiae. Il mourut en 524. Le culte qui pendant des siècles lui avait été rendu dans le diocèse de Pavie, fut reconnu par Léon XIII, en 1879.
  115. . L. c.
  116. . est la première lettre du mot "-----": œuvre, composition, créature ; la première de : "----", Dieu.
  117. . Voir L. III C. G., I, c.
  118. . De Civ. Dei, L. XXI, chap. VI, 2.
  119. . Haec se carminibus promittit solvere mentes
    Quas velit, ast aliis duras immittere curas ;
    Sistere aguant fluviis, et vertere sidera retro;
    Nocturnosque ciet Manes : mugire videbis
    Sub pedibus terram, et descendere montibus ornes. (Virgile, Énéide, L. IV, v. 487, suiv.).
  120. . Voir L. III C. G., chap. XCIX.
  121. . Si quis dixerit, miracula nulla fieri posse proindeque onmes de iis narrationes, etiam in Sacra Scriptura contentas, inter fabulas et mythos ablegandas esse, anathenus sit. De Fide cath., C. III, can. 4.
  122. . Preuves judiciaires, L. VIII.
  123. . Essay on Miracles.
  124. . Sur le bureau des vérifications et la clinique de Lourdes, voir La Civiltà Cattolica, Sur. XV, Vol. I, pp. 281-282.
  125. . De nullo oportet reddere rationem, nisi quia Deus vult. Voir C. G., L. I, chap. LXXXVI.
  126. . I, Quaest. XIX, art. 5.
  127. . C. G., L. III, chap. IC
  128. . Invisibilia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque eius virtus et divinitas. Rom., I, 20.
  129. .Virtus Dei, ab sis quae creata sunt regendis si cessaret aliquando, simul et illorun, cessaret species, eorumque natura concideret. De Gen. ad litt., L. IV, chap. XII.
  130. . Exode, VIII, 19.
  131. . Tract. XXIV in johan.
  132. . Tract. XXIV in johan.
  133. . Revue du Clergé français, 15 mars 19oo, Les preuves et l'économie de la révélation.
  134. . Two Essays on bibliçal and on ecclesiastical Miracles, London, I89o, P. II.
  135. . Discours sur l'Histoire universelle, p. II.
  136. . Card. Newman, 1. c., p. II et 12.
  137. . Ibid., p. 253.
  138. . Praetermissio ordinis, qui debetur spiritualibus substantiis in nullo pertinet ad ordinationem hominum in Deum, cum operationes angelorum non sint nobis manifestae, sicut operationes sensibilium corporum. I, Quaest. CVI, art. 3. Voir aussi dans la même partie, l'art. 2 de la Quaest. CXIII. Ceci pourtant n'empêche pas que l'âme de Jésus-Christ n'ait été illuminée immédiatement par Dieu, comme le réclamait son incomparable noblesse. Voir notre Traité De Incarnat., Quaest. XII, art. 4, n. 2 ; et notre ouvrage « De l'état et de l'opération de l'âme séparée du corps », 3me éd., chap. IV, n. 8. Il convient aussi de rappeler ici ce qu'on expliquera plus loin (chap. VII, VI), c'est-à-dire la distinction entre les miracles qui sont ordonnés à la confirmation de la foi et ceux qui sont objet de la foi, comme, par exemple la transsubstantiation; mais cette seconde classe de miracles nous est aussi manifestée, comme on le dira plus loin.
  139. . Cf. Ammian. Marcell., L. XXIII, n. I; saint Ambroise, lettr. XL; saint jean Chrysostome, In Jud., Orat. II; saint Grégoire de Nazianze, Orat. IV ; Ruff. L. I, chap. XXXVII ; Sozomen., L. V, chap. XXI.
  140. . Alii tentantes, signum de caelo quaerebant ab eo.Vel in moyens Eliae ignem de sublimi venire cupiebant ; vel in similitudinem Samuelis tempore aestivo mugire tonitrua, coruscare fulgura imbres ruere: quasi non possent et illa calumniari, et dicere, ex occultis et varus aëris passionibus accidisse. At tu, qui calumniaris ae, quae oculis vides, manu telles, utilitate sentis, quid feceris de iis, quae de caelo venerunt? Utique respondebis, et magos in Aegypto multa signa fecisse de caello. Lib. IV, chap. XLVIII, in chap. XI sur Luc.
  141. . La dernière phase dans la démonstration du miracle,« Civiltà Cattolica », Ser. XV, vol. I, p. 274.
  142. . Loquere, Domine, quia audit servus tuus. 1 Reg., III, 9, 1o.
  143. . Opera enim, quae dedit mihi Pater, ut perficiam, ea ipsa
    opera, quae ego facio, testimonium perhibent de me. Jean, V, 36.
  144. . Rabbi, scimus quia a Deo venisti magister: nemo enim potest
    haec signa facere, quae tu facis, nisi fuerit Deus eum eo.Ibid.,III, 2.
  145. . Sess. III, chap. 3, de Fide.
  146. . Marc., XVI, 20.
  147. . 2 Petr., I, 19.
  148. . Le cardinal Newman n'est pas sur ce sujet d'une précision suffisante, quand il écrit que le fait d'avoir pour but la confirmation d'un principe immoral quelconque ne fait que rendre le miracle extrêmement improbable, niais non absolument faux. Two Essays, etc. ; p. 45. - Il dit cependant plus loin que le miracle, étant divin, ne pourrait sanctionner une doctrine évidemment immorale. Ibid., p. 51.
  149. . In hoc nolite gaudere, quia spiritus vobis subiiciuntur: gaudete autem, quod nomina vestra scripta sunt in caelis, Luc, X, 20.
  150. . Cf. Num, XXII, x8, suiv.; Matthieu, VII, 22.
  151. . Cf. VI de Pot., art. VI, ad 5m.
  152. . Voir ce que nous avons écrit dans notre traité De Incarnatione Verbi, Quaest. I, Dissert. spec., chap. II, § I, de Sibyllarum libris. Vol. I, p. 94, suiv. 2me édition.
  153. . I, Quaest. XLIII, art. 3, ad 4m.
  154. 1 Cor., XII, 7.
  155. . L. X de Civ. Dei, chap. XVI, n. 2. Cf. Tertull., Apolog., chap. XXII.
  156. . 2-2, Quaest. CLXXVIII, art. 2.
  157. VII, 22.
  158. . XIX, II.
  159. . Ibid., 12.
  160. . Lenain de Tille.nont, Mémoires pour servir ie l'Histoire ecclés., T. VII, p. x33. S. Joseph Comte, Bruxelles, 1872.
  161. . Ne perniciosissimo errore decipiantur infirmi, aestimantes in talibus factis esse maiora dona, quant in operibus iustitiae quibus vita aeterna comparatur. L. LXXXIII, Quaest., q. 79.
  162. . Controverses, Dise. 55.
  163. . Code du Droit Canon, n. 2038, suiv.
  164. . De Beatificat. et Canoniz., P. I, chap. III, n. 2.
  165. . Jaffé, n. 9260.
  166. . Matthieu, VII, 22.
  167. . 1 Cor., XIII, 2.
  168. . (A miracle) professes to be the signature of God to a message delivered by human instruments. Op. cit., p. 1o.
  169. . Duos aliquis facit quae sollus Deus faseye potest, (creduntur) ea quae dicuntur, esse a Deo: sicut çum aliquis defert literas annulo regis signatas, creditur ex voluntate regis processisse quod in illis continetur. 3, Quaest.-XLII, art. I.
  170. , I, Quaest. CV, art. 7,
  171. . L. XXI, de Civ. Dei, chap. V, n. i.
  172. . Triod., p. 156. Apud Mai, Spicileg. Rom., t. VI.
  173. . Exod., XIV. Cf. Ibid., XV; XVII; Dan., VI.
  174. . Miraculum dicitur, quasi admiratione plenum, quod scilicet habet causam simpliciter et omnibus occultam: haec autem est Deus. i, Quaest. CV, art. 7.
  175. . L. XXI de Civit. Dei, chap. VIII, n. 3.
  176. , Quaest. VI, De Pot., art. 2,
  177. . Arduum, insolitum, supra facultatem naturae, et contra spem admirantis proveniens. Tract. VIII in Io., et L. III de Trin., chap. 5.
  178. . Quaest. VI, de Pot., art. 2.
  179. . I, Quaest. CV, art. 7, ad 2m.
  180. . Voir IIa IIae, Quaest. CLXXVIII, art. I, ad 3m.
  181. . Cf. Exod., IV, 21.
  182. . Monstra sane dicta perhibent, a rnonstrando, quod aliquid significando demonstrent ; et ostenta ab ostendendo : et portenta a portendendo, id est, praeostendendo ; et prodigia, quod porto dicant
    id est, futura praedicant. De Civ. Dei, I.. XXI, chap. VIII, n. 5.
  183. . Revue du Clergé Français, 19oo.
  184. . Si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis. Jean, XVI, 23.
  185. . Entendez ici : sans l'intervention directe de Dieu.
  186. . Dr Boissarie, Lourdes, histoire médicale, p. 9, 15me éd. Paris, 1891,
  187. . I, Quaest. CV, art. 8. Voir aussi C. G., L. III, chap. 1o1.
  188. . Ecce gentes quasi stilla situlae, et quasi momentum staterae reputatae sunt, ecce insulae quasi pulvis exiguus. Isaïe, XL, 15
  189. Non surrexit ultra propheta in Israel sicut Moyses quem nosset Dominus facie ad facaem, in omnibus signis atque portentis quae misit per eum ut faceret in terra Aegypti. Deuter., XXXIV, lo, II,
  190. . IIa II-c, Quaest. CLXXIV, art. 4, ad 2m.
  191. . Quaest. Disp. de Ver., Quaest. V de Pot., art. I.
  192. . III, 50.
  193. . Jos., III, 16.
  194. . Quaest. Disp. de Ver., ibid., art, 2, ad 3m.
  195. . C. G., L, III, chap. IoI
  196. . 4, Rois, XX, II
  197. . Josué, X, 13. Il est bien évident que quand nous disons, arrêter le soleil, ou le faire rétrograder, nous le faisons pour nous conformer à la façon de parler ordinaire.
  198. . Exode, XIV, 17. Voir plus haut, chap. II, § 2,
  199. . Jean, XX, 26.
  200. . Mathieu, XVII, 2.
  201. . 4, Rois, XLII, 21.
  202. . jean, IX, 6.
  203. . Luc., IV, 39.
  204. . r Rois, XII, 18.
  205. . 3 Rois, XVIII, 45.
  206. . Lettres écrites de la Montagne, P. I, I. 3me.
  207. . Chap. XII et XIII.
  208. . Quaest. IV, inter Dq. disput., art. 2.
  209. . Daniel, III. A.
  210. Ibid., VI.
  211. . Matthieu, XV, 38.
  212. . Jean, II.
  213. . Sur la question de savoir si l'Incarnation est un miracle, voir ce que nous avons écrit dans notre traité De Bma Virgine Maria, Matre Dei, P. I, chap. II, art. 2, n. 7 ; art. 3, n. 1o, 5me édit. Sur la Transsubstantiation voir aussi notre traité De sanctissimo Eucharistiae sacramento, Vol. I, Quaest. LXXV, art. 4, n. 16, P. 152, 2me édition.
  214. . C'est aussi l'opinion explicite du Cardinal Cajetan dans la le partie, Quaest. CV, art. 8 ; de Silvius, ibid., art. 7, et de beaucoup d'autres philosophes et théologiens contre quelques-uns.
  215. . Quaest. VI de Pot., art. 2, ad 2m. Cf. Card. Cajetan, in 3, Quaest. XIII, art. 2.
  216. . Ibid., ad 9m.
  217. . Oratio de Laudibus de Sancta Maria Deipara.
  218. . Dispensative sic beatitudo in anima (Christi) continebatur, quod non derivabatur ad corpus, ne eius passibilitas et mortalitas tolleretur. 3, Quaest. XV, art. 5, ad 3m.
  219. . § 2.
  220. . I, Quaest. CV, art. 7, ad 3m.
  221. . Matthieu, VIII, 27.
  222. . 3 Rois, MVIII.
  223. . 3, Quaest. XXXI, art. x, ad 2m.
  224. . Ibid., Quaest. XXIX, art. I, ad 2m.
  225. . § 2.
  226. . Homil. XXVI in Evangel.
  227. . Ep. Encycl. Mirae caritatis, 28 Maii, I902.
  228. . Memoriam fecit rnirabi1ium suorum, misericors et miserator Dominus, escam dedit timentibus se. Ps., CX, 4.
  229. . Pulvis es, et in pulverem reverteris. Gen., III, 19.
  230. . Il est hors de doute que Dieu peut changer un esprit en une chose matérielle, ou vice-versa, comme nous l'avons montré dans le traité de SSmo Eucharistiae sacramento, Quaest. LXXV, art. 6, in fine.
  231. . 4, Dist. XI, Quaest. I, art. 3, Sol. III.
  232. . 3, Quaest. LXXV, art. 6, ad 2m.
  233. . Jean, XX, 26.
  234. La compénétration des corps étant un miracle de première classe, dépasse le pouvoir naturel des anges. Quant aux faits spirites d'introduction d'objets matériels dans des boites closes
    ou, vice-versa, d'extraction de semblables objets de boîtes pareillement closes, il les faut attribuer au pouvoir que possèdent ces esprits sur la matière et à la facilité qu'ils ont de réduire ces mêmes objets en parties très subtiles afin de pouvoir les intro­duire dans les dites boîtes, et les recomposer ensuite dans leur forme primitive. Voir ci-dessus, chap. VI, § VI, p. 165.
  235. . Supplément, Quaest. LXXXIII, art. 5.
  236. . Supplément, Quaest. LXXXIII, art. 3, ad 4m.
  237. . Sur le Corps glorieux de Notre Seigneur Jésus-Christ dans le ciel, voir ce que nous avons écrit dans notre traité de Incarnations Verbi, vol. II, App., chap. IV, par. II, p. 318, 20e édition.
  238. . 3, Quaest. LXXXIV, art. 5.
  239. . 3, Quaest. LXXVII, art. 1.
  240. . 3, Quaest. LXXVII, art. 1, ad 2m.
  241. . Ibid., art., 2.
  242. . §III, p. 201.
  243. . 3, Quaest. LXXVII, art. 5.
  244. . Comment, in 3, Quaest. LXXVII, art. 1,
  245. . C. VII, § II, seq.
  246. . Voir plus haut, chap. VII, § VI.
  247. . Quaest. VI de Pot., art. 2 ; 2, Dist. XVIII, Quaest. I, art. 3.
  248. . Chap. II, v. 7.
  249. . I, Quaest. XCI, art. 2. Nous avons traité cet important sujet, en réponse aux idées imprécises du Rév. Messenger, dans la récente nouvelle édition de notre ouvrage «L'Opera dei sei giorni». P. II, C. IX.
  250. . Sur la nature de ce miracle, voir ce que nous avons écrit dans le traité de Gracia, Quaest. XCIII, art. 1o, n. 3 seq., p. 337, 2me édit.
  251. . 1-2, Quaest. XCIII, art. l0.
  252. . L'Église la célèbre par une fête spéciale le 25 janvier.
  253. . Quaest. VI de Pot., 1. c., ad 5m.
  254. . I-2, Qoaest. CIX, art. I.
  255. . I, Quaest. XII, art. II, ad 2m.
  256. §I.
  257. . 4, Dist. XI, Quaest. I, art. 3, sol. III.
  258. . 4 Rois, VI, 6.
  259. . 2, Machabée III, 25, seq.
  260. . Tract. XXVI in Joh.
  261. . Proverbes, VIII, 31.
  262. . Chap. 4.
  263. . Cf. i, Quaest. XX, art.:, ad 3m.
  264. . In lumine tuo videbimus lumen. Ps. XXXV, Io.
  265. . Vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus. Gal., II, 20.
  266. . Futurae gtoriae nobis pignus datur. Antienne de l'Office du Saint Sacrement.
  267. . Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet, et ego in illo. Io., VI, 57.
  268. . Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet, et ego in illo. Io., VI, 57.
  269. . Qui manducat hunc panem, vivet in aeternum. Ibid., 59.
  270. . Misericordias Domini in æternum cantabo.Ps.LXXXVIII,2.
  271. . Alleviabit eum Dominus. V, 15.
  272. . (Infirmus) sanitatem corporis interdum, ubi saluti animæ e expedierit, consequitur. Sess. XIV, chap. II.
  273. . Medicinae corpori humano exhibitae operantur ad sanitatem quasi instrumenta, natura autem est sicut agens principale. Quaest. VI de Pot., art. 5.
  274. . Cat. Rom., P. II, chap. VI, de Extr. Unct., n. 9.
  275. . Sess. XIV, Doctr. de Sacr. Extr. Unct.
  276. . Suppl., Quaest. XXX, art. I,
  277. . Suppl., Quaest. XXXII, art, 1.
  278. . Ibid., Quaest. XXX, art. 1.
  279. . SuppL, Quaest. XXX, art. I.
  280. . Suppl., Quaest. XXIX, art. 5.
  281. . Sur la nécessité de la bénédiction de l'huile dans ce sacrement, voir ce que nous avons écrit dans le traité de Sacramento Extremae Unctionis, Quaest. II, art. r, n. 13, p. 35. 36.
  282. . C. G., l. c.
  283. . Commentateur de saint Thomas,
  284. . C. G., ch. CII n. 3.
  285. . Fr. Albert Lepidi, O. P., dans sa Dissert. Utrum Deus possit etc., insérée dans les actes de l'Académie Romaine de Saint-Thomas, Vol. VIII, fasc. II, p. VII.
  286. . Sap., II, r8.
  287. . L. C.
  288. . Ibid.
  289. . I, Quaest. CV, art. I.
  290. . Ibid., art. 2.
  291. . Qq. Disp. de Pot., q. VI, art. I.
  292. . Marc, X, 52.
  293. . Daniel, III, 50.
  294. . Josué, III, 16.
  295. . Matthieu, III, 9.
  296. . Ibid., XIV, XV.
  297. . Jean, II, I, suiv. - Il faut se garder de la fausse interprétation de ce miracle donnée par quelques auteurs. Il consisterait d'après eux, uniquement dans ce fait que Dieu aurait simplement ajouté à l'eau, demeurée de l'eau pure, la couleur et le goût du vin, si bien que les commensaux l'auraient prise pour du vin véritable. Cette explication que l'on trouve dans le Bede Papers (par le Rev. Charles E. Ryder, Londres) et qui est fondée sur la prétendue impossibilité pour une substance d'être changée en une autre, est tout à fait contraire au texte sacré (Ibid., 9) Dès que le maître du festin eut goûté l'eau changée en vin, etc.
  298. . Matth., XXVI, 26.
  299. . Quia non erit impossibile apud Deum omne verbum. Luc., I. 37
  300. . I, Quaest. LXXIII, art. I, ad 3m.
  301. . Exod., IX, 24; Sag., XVI, 22.
  302. . In se enim elementa dum convertuntur, sicut in organo qualitatis sonus immutatur, et omnia suum sonum custodiunt: unde aestimari ex ipso visu certo potest. Sag., XIX, 17.
  303. . 3, Quaest. XXVIII, art. I, ad 4m.
  304. . Cuncta, quae rama provehit aetas
    Stupetque subitis mobile vulgus,
    Cedat inscitiae nubiles error,
    Cessent profecto mira videri. De Consolat. Philosoph. 1. 4, metr. 5.
  305. . Matthieu, XIV, 29.
  306. . Jean, XX, 26.
  307. . Actes des Apôtres, I, 9.
  308. . Walking on the sea, for instance, or giving sight to ene born
    blind, would to us perhaps be a Miracle even more astonishing
    than it was to the Jews; the laws of nature being at the present day
    better understood than formerly, and the fables concerning magical
    power being no longer credited. Card. Newman. Op. cit., p. S et 9.
  309. . White discoveries in Optics and Chemistry have accounted for a host of apparent miracles, they hardly touch upon those of the Jewish and Christian systems. Here is no phantasmagoria to be detected, no analysis or synthesis of substances, ignitions, explosions, and other customary resources of the juggler's art. Ibid., p. 55.
  310. . Lettres écrites de la Montagne, 1 P., lettre 3me.
  311. , Dist. XXXIV, Quaest. I, art. 3, sol.
  312. . Voir notre traité De Angelis, Vol. I, Quaest. L, art. I, n. 4.
  313. . L. LXXXIII, Qq. c. 79, au commencement.
  314. . Voir I, Quaest. CX, art. I.
  315. . Marc, XXII, 22.
  316. . I, Quaest. LVII, art. 4.
  317. . Ibid., Quaest. CXI, art. I.
  318. . Ibid., Quaest. LVII, art. 4, ad 3m. Cf. Ibid., Quaest. CVII, art. I.
  319. . I Cor., II, II.
  320. . Saint Thomas, 1. c.
  321. . Saint Thomas, 1. c., ad Im.
  322. . L. II Mor., chap. IV.
  323. . Sur ces phénomènes, voir ce que nous avons écrit dans notre ouvrage Le Monde invisible, 3me et 4me Partie.
  324. . De (en Grec "----" : âme, (en grec "---") : lointain et (en grec "---") : je ressens.
  325. . I, Quaest. CVII, art. 4.
  326. I, Quaest., CVII, art. 2.
  327. .I, Quaest. LXX, art. 3, ad 3m.
  328. . Si Filius Dei es, dic ut lapides isti panes fiant. Matthieu, IV,3.
  329. . Chap. VII.
  330. . I, Quaest. CX, art. 3, ad 3m.
  331. .I, Quaest. CXIII, art. 4.
  332. . Ibid., Quaest. LXXX, art. 2, ad 3m.
  333. . Ibid., Quaest. LXXXI, art. 3.
  334. . On voit ici la fausseté de l'observation suivante de Herbert Spencer (Principes de Sociologie, t. I, p. 254, tradut. de Cazelles, Paris, 188o) : « Pour ouvrir des portes, secouer des chaînes et faire d'autres bruits, il faut posséder une substance assez dense: on était bien forcé de l'admettre, mais on ne l'avouait pas. »
  335. . Fides autem sententia est, quod non salum corpora caelestia sua imperio moveant localiter (Angeli), sed etiam alla corpora Deo ordinante et permittente. Quaest. VI de Pot., art. 3.
  336. . L. c.
  337. . Ibid.
  338. . Exode, VIII, 78.
  339. . L. III C. G., chap. CII.
  340. . I, Quaest. CX, art. 4.
  341. , Sur le L. III C. G., chap. CII.
  342. . L. III C. G., chap. CII.
  343. . Qui facit rnirabilia magna solus, quoniam in eternum misericordia eius. Ps. CXXXV, q.
  344. . Marc, XIII, 22.
  345. . I, Quaest. cXIv, art. 4.
  346. . Exode, VII, seq.
  347. . Cf. L. III C. G., chap. CIII.
  348. . 3 Rois, xVIII, 38.
  349. . Genèse, X, 24.
  350. . Job, I, I6,
  351. . L. LXXXIII, Qq., Quaest. 79, n. 4.
  352. . I, Quaest. CX, art. 4, ad 2m.
  353. . Au chapitre XI, § Il et III.
  354. . De Pot., Quaest. VI, art. 3.
  355. . Non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates, advesus mundi rectores tenebrarum harum, contra spiritualia nequitiae in caelestibus. Eph., VI, 12.
  356. . Voir saint Thomas, L. III C. G., chap. CLIV.
  357. . I-2, Quaest. LXXX, art. 2.
  358. . Saint Thomas dit des effets de ce genre : Licet non sint vera miracula, sunt tamen verae res. 1, Quaest. CXIV, art. 4.
  359. . Laedunt enim primo (daemones), hinc remedia praecipiunt ad miraculum, nova sive contraria, post quae desinunt laedere, et curasse creduntur. Apolog., chap. XXII.
  360. . De Anima VI, chap. II et VIII, chap. dernier
  361. . L. III C. G., chap. CIII.
  362. . C. Gent. l. III, chap. CIII.
  363. . Ps. XXII, 9.
  364. . Matth., VIII, 9.
  365. . Cf. L. III C. G. chap. CV.
  366. . Voir la Constitution de Sixte-Quint : Caeli et terrae Creator, du 5 janvier 1585.
  367. . Voir la Constitution d'Urbain VIII, du 8 avril 1631.
  368. . Sur les diverses espèces de divinations le lecteur pourra consulter avec fruit saint Thomas dans la 2. 21e, Qnaest. XCIV, art. 3.
  369. . Cf. les Constitutions citées, ainsi que le L. III C. G., c. CIV.
  370. . Voir le Card. Lorenzelli, Philosophiae Theoreticae Institutiones. Metaph. Spec. P. II, 1. de Mirac. VII. Romae, 1896. Vol. II, p. 520 et suiv.
  371. . Saint Thomas x, Quaest. LXXXIX, art. 8, ad 2m. Sur les phénomènes dits télépathiques, c'est-à-dire les manifestations à distance de personnes vivantes à d'autres personnes vivantes, voir notre ouvrage: le Monde invisible, 4me partie.
  372. . Saint Matthieu, XXIV, 24, 26.
  373. . Nulla virtus limitata potest facere miraculum: hoc enim solius Dei est. In Ep. I ad Cor., XV, I, 6.
  374. . Voir ce que nous avons dit plus haut, chap. XII, § VIII.
  375. . La Cité de Dieu, L. XXII, chap. IX.
  376. . Dialogues, L. II, chap. XXX.
  377. . 3, Quaest. XIX, art. I.
  378. . Voir sur cet argument le cardinal Cajetan, in 3, Quaest. XIII, art. 2.
  379. . 1-2, Quaest. CLXXVIII, art. I, ad Im.
  380. . Chap. XIV. Cf. Galates, chap. III.
  381. . L. VI, de Pot., art. IV.
  382. . 3 Rois, XVII, 21.
  383. .4 Rois, XIII, 21.
  384. . Actes, chap. V, 5, Io.
  385. . Ibid., 15.
  386. . Ibid., IX, 12.
  387. . Virtutes vocantur illi spiritus, per quos signa et miracula frequentius fiunt. Homélie 34, in Evang.
  388. . 4 Rois, V, 14.
  389. . L. III C. G., chap. CIII.
  390. . VI, de Pot., art. IV.
  391. . 2-2, Quaest. CLXXI, art. 2.
  392. . 2-2, Quaest. CLXXVIII, 1, 2. Voir ce que nous avons dit plus haut au § 7 du chap. V.
  393. . La doctrine de Saint Thomas sur l'Eucharistie. Civiltà Cattolica, Série XV, vol. I, p. 288.
  394. . Chap. VII, § II.
  395. . Cf. Franc. Silvius, dans I, Quaest. CV, art. VII.
  396. . Cette doctrine sera expliquée plus complètement quand on parlera de la vertu instrumentale de Jésus-Christ. Chap. XVIII.
  397. . Sufficientia nostra ex Deo est, qui et idoneos nos fecit ministros novi testamenti. 2 Cor., III, 5, 6.
  398. . Lire avec attention la question de Pot., art. 7, et surtout la réponse ad 7m.
  399. . Voir François Silvius, in I-2, Quaest. CXI, art. I.
  400. . 2-2, Quaest. CLXXVIII, art. I, ad Im,
  401. . Act., IX.
  402. . Ibid., V.
  403. . L. II Dialog. chap. XXX.
  404. . Sol contra Gabaon ne movearis... Non fuit antea nec postea tans longa dies, obediente Domino voci hominis. Josué, X, 12, 14.
  405. . Op. cit., p. 211, n. 97.
  406. . Dans l'édition précédente de Del Miracolo.
  407. . In I-2, Quaest. CIX, art. 9, quaer. I, ad 2m.
  408. . Par exemple au livre deux des Rois, chap. VII, de Nathan; au livre trois des Rois, chap. XIII, du prophète trompé par le faux prophète ; au livre premier des Rois, chap. IV, d'Élisée qui ignorait la mort de la Sunamite.
  409. . Dans l'Hom. I sur Ézéchiel.
  410. . Two Essays, etc. P. 36, note K.
  411. . 2-2, Quaest. CLXXVI, art. 2, ad 3m.
  412. . Matthieu, XV, 28.
  413. . Marc, V, 34.
  414. . Actes, IX, 40,
  415. . Qui facit mirabilia magna solos. Ps. CXXXV, 4.
  416. . Qui vos audit, me audit; qui vos spernit, me spernit. Luc, X,16.
  417. . Luc, I, 17.
  418. . Quid facimus, quia hic homo multa signa facit? Jean, XI, 47,
  419. . Dante, Convito. Tract. III, chap. VII.
  420. . Ps. CXXXV, 4.
  421. . Cf. Saint Thomas, 2a 2ae, Quaest. CLXXVIII, art. 2.
  422. . 3, Quaest. XLIII, art. I, ad. 4m
  423. . Liv. IV, p. I, chap. IV, n. 2. Ceci est le moins que l'on puisse dire. En réalité, même de puissance absolue, Dieu ne pourrait faire un miracle pour confirmer l'erreur.
  424. . 2a 2ae, Quaest. XCVII, art. 2.
  425. . Chap. IV.
  426. . Ces dépositions se trouvent dans notre votum original: Aurelian. Can. B. Joannae de Arc, p. 9 suiv.
  427. . Lieu cité, n. 3.
  428. . 3, Quaest. XIII, art. 2
  429. . Ibid, ad 3m
  430. . Matthieu, X, I.
  431. . Opusc. de Spasme B. M. V., tr. XIII, t. II.
  432. . Sermo de Aqueductu, t. II, p. 127.
  433. . Saint Thomas, 3, Quaest. XXVI, art. I.
  434. . Traité de l'Amour de Dieu, L. VII, chap. XII. Annecy, 1894. 2 v.. P. 45 Cf. Saint Augustin, la Cité de Dieu, I. XXII, chap. VIII, § I.
  435. . La Vierge Marie et le plan divin, T. IV, 1. III, chap. VIII. Études sur la crédibilité des miracles. Paris, 1876, p. 223.
  436. . De Fide cath., chap. IV.
  437. . Op. cit., P. 225.
  438. . Two essays, p. 36, 37. Cette observation peut s'appliquer d'une façon spéciale à l'Évangile de Saint Marc que l'on appelle, par antonomase, l'Évangile des miracles.
  439. . Luc, VII, 22.
  440. . Jean, XIV, 12.
  441. . Marc, XVI, 20.
  442. . Voir Saint Cyrille, 1. III contre Julien.
  443. . Vie de jésus, p. 14.
  444. . LII, LIII.
  445. . La dernière phase dans la démonstration du miracle. «Civiltà Cattolica », série XV, vol. I, p. 273.
  446. . Ibid., p. 220.
  447. . Leibnitz, Epist. ad Tentzelium, t. V, p. 141.
  448. . Two Essays, etc., p. 46.
  449. . L. XXI, de Civ. Dei, chap. VII, n. 4
  450. . Allusion du saint Docteur à Tacite, 1. V.
  451. . Two Essays, p. 38.
  452. . Two Essays, p. 6o.
  453. . Chap. VIII, 22, et suiv.
  454. . Op. cit., Ibid.
  455. . Tacite, Hist., 1. IV, -chap. LXXXI.
  456. . Antiquit, VIII, 2, sect. 5.
  457. . L. I adv. Gentes.
  458. . Au chap. VI, § IV.
  459. . Chap. XII, § IX.
  460. . Matthieu, XXIV, 24.
  461. . Tract. de distinct. ver. mir. a falsis.
  462. . Tit. X, chap. I, 3.
  463. . Exode, XVI.
  464. 2 Mach., V, 2, 3.
  465. . Tacite, Hist., 1. V, chap. XV.
  466. . Eusèbe, in Vita Constantini, 1. II, chap. XXIX.
  467. . Voir notre ouvrage «Les Indulgences» , P. II, chap. IX, n. 7, 2me édit. italienne.
  468. . Voir plus haut, chap. XIII, § II.
  469. . 2 Thess., II, 8, 9.
  470. . Comment. in Ep. S. Pauli, in h. I., chap. II, lect. 2.
  471. . Le Christianisme dévoilé, p. 68.
  472. . Cité par le Card. Newman, Two Essays, etc., p. 14.
  473. . Card. Newman, Two Essays, p. 20, 21.
  474. . Ibid.
  475. . Page 41 de l'Introduction à la Vie de Jésus.
  476. . Two Essays, etc., p. 82.
  477. . Chap. V.
  478. . Lettres écrites de la Montagne, première partie, lettre 3me.
  479. . Luc, XXIV, 39.
  480. . Actes, I, 3.
  481. . I Cor., XV, 6.
  482. . I Tim., IV, 4. Cf. Ibid. 7, et i Petr., I, 16.
  483. . Actes, IV, I9, 20.
  484. . Hist. Hadriani, 1. IV, chap. LXXXII.
  485. . Hist. Hadr,. 1. IV, chap. LXXXII.
  486. . L. XXI de Civ. Dei, chap. VI, n. I.
  487. . Ibid., L. XVIII, chap. XVIII.
  488. . Calmet sur la métamorphose de Nabuchodonosor, dans la Sainte Bible de Vence, Diss. Vol. V. Milan, 1833, P. 461.
  489. . Contr. Hieroel.
  490. . L. I, chap. 1 et II.
  491. . Chap. XVI, § V.
  492. . Actes, IV, 2o.
  493. . Cf. Saint August., Epist. V ad Marcellum; Origen., 1. contra Celsum ; Eusèbe, Op. contra Hieroclem.
  494. . L. V, Hist. Eccles., chap. XX,
  495. . Lire sur le même sujet : Nicéphore, 1. X, chap. LI. Evagrius, Vitae Patrum, I. II, chap. 7; et Eusèbe, I. VI, Démonstration évangélique, chap. II, dans son commentaire du passage d'Isaïe, XIX, I : Les idoles de l'Égypte trembleront en sa présence.
  496. . L. XXII, chap. VIII, nu. io, II. Ce chapitre mérite d'être lu tout entier.
  497. . Chronicon siculum incerti auctoris ab a. 1340 ad a. 1396.
  498. Il est utile de signaler les noms de quelques savants illustres qui ont voulu se rendre compte du miracle et en ont constaté la réalité : J. B. Vico, Sir Humphrey Davy, Lalande, Lavoisier, le naturaliste Watterton, le chimiste Dumas, Kotzebue, le P. Secchi, Fergola, le Card. De Luca, Hurter, alors qu'il appartenait encore au protestantisme, le P. Denza, Stoppani et d'autres. - Le P. Herbert Thurston, S. J., a écrit sur ce sujet du miracle de Saint janvier dans Tablet, 29 mai 1909, p. 843. Il rejette l'idée de toute intervention due à un agent physique et naturel quelconque parmi ceux connus jusqu'à ce jour, écartant en même temps tout soupçon de fraude ; et cependant, contradiction singulière, il refuse d'admettre le miracle, soit parce que le fait de la liquéfaction du sang a, dit-il, un caractère grotesque et capricieux, soit parce que, ajoute-t-il, nous ne connaissons pas toutes les forces de la nature. Ibid. 12 juin, p. 935. Voir à ce propos la lettre de H. Graham, ibid., 5 juin, p. 896. Voir aussi la Civiltà Cattolica, fasc. 1325, 2 sept. 1905.
  499. . Voir la Civiltà Cattolica, a. 1853, Série II, fase. 2, p. 326. Voir aussi l'Union Cattolica, 25 mars 192I; l'Italia Reale, 29 mars I935 ; l'Osservatore Romano, 5 et 3o janvier, 27 mars 1932, etc.
  500. . Voir The Month, 1881.
  501. . On trouvera d'autres détails sur cette famille dans l'ouvrage de Mons. Michele Faloci Pulignani, Le memorie dei Santi Pietro e Paolo nel villaggio di Cancelli, Foligno, 1894.
  502. . Qui veut connaître la nature et le degré de la grâce et de la science dans l'âme de Jésus-Christ, doit lire et méditer les très belles questions VII - XII de la troisième partie de la Somme Théologique de Saint Thomas.
  503. . Actes, X, 38.
  504. . Veni ut vitam habeant, et abundantius habeant. Jean, X, Io.
  505. . Non... misit Deus Filium suum in mundum, ut judicet mundum, sed ut salvetur mundus per ipsum. Ibid., III, 77. Voir Saint Thomas, 3, Quest. I, art. 4.
  506. . Saint jean Damascène, I. III, Ort. Fid., ch. I.
  507. . Potestas erat in manibus Christi. Tract. XXIV in Jo,
  508. . Chap. XVII, § I, et suiv.
  509. . Cf. 3, Quaest. XIX, art. I.
  510. . Voir Saint Thomas, 3, Quest. XIII, art. 3.
  511. . Jean, I, 14.
  512. . Lire et méditer sur ce sujet la belle doctrine de Saint Thomas, 1. c., art. 2.
  513. . Chap. IV.
  514. . Chap. II, lect. 3.
  515. . Voir 3, Quaest. XIX, art. I.
  516. . 1 Cor., XV, 27.
  517. . X, x.
  518. . Nihil nos Deus habere voluit, quod per Mariae manus non transiret. Serm. III in Vig. Nat. Dom.
  519. . Virtus de illo exibat, et sanabat omnes. Luc, VI, I9.
  520. . Tetigit, eum, dicens, veto, mundare. Math., VIII, 3.
  521. . Tetigit oculos eorum, et confestim viderunt. Ibid., XX, 34.
  522. . Exspuens, tetigit linguam eius. Marc, VII, 33.
  523. . Accessit et tetigit loculum... et resedit qui erat mortuus. Luc, VII, 14.
  524. . Quis est, qui me tetigit ? ... Tetigit me aliquis, nam ego novi virtutem de me exiisse. Ibid., VIII, 45, 46.
  525. . Cau. XI.
  526. . Instaurare omnia in Christo, quae in cadis, et quae in terra sunt, in ipso. Eph., I, Io.
  527. . Copiosa apud eum redemptio. Ps. CXXIX, 7.
  528. . Pro Christo legatione fungirnur. 2 Cor., V, 20.
  529. . Sic nos existimet homo ut ministros Christi, et dispensatores mysteriorum Dei, I Cor., IV, I.
  530. . Chap. XII, 8, Io.
  531. . L. Il Dialog. Sancti Gregorii, chap. 31.
  532. . Char. XIV, § IV.
  533. . Voir ce que nous avons dit plus haut, chap. XIV, § IV.
  534. . 3, quaest. XIII, art. I, ad 2m,
  535. . In ipso inhabitat omnis plenitudo divinitatis corporaliter. Col., II, 9.
  536. . Si mihi non vultis credere, operibus credite. Jean, X, 38.
  537. . Ibid., V, 35.
  538. . Interrogemus ipsa miracula, quid nobis loquantur de Christo : habent enim, si intelligantur, linguam suam. Tract. XXIV, in Io.
  539. Jean, I, 35-51.
  540. . Voir la Somme Théologique, 3, Quaest. XLIII, art. I.
  541. . Col., II, 9.
  542. . Voir Saint jean Chrysostome, Homil. XX in Jo.
  543. . Chap. XVII, § VI.
  544. . Matthieu, XI. Cf. Comment. Saint Thomas in h. I.
  545. . Chap. II.
  546. . Ibid., II. Cf. Saint Thomas, 1. c., art. 3.
  547. . Multa quidem et alia signa fecit Jesus in conspectu discipulorum suorum, quae non sunt scripla in libre hoc. XX, 30.
  548. . Sunt autem et alia multa quae fecit Jesus, quae si scribantur per singula, nec ipsum arbitrer mundum capere posse eos qui scribendi sunt libros. Ibid., XXI, 25.
  549. . Haec autem scripta sunt, ut credatis quia Jesus Christus est Filius Dei, et ut credentes citam habeatis in nomine eius. Ibid., XX, 31.
  550. . Tulerunt ergo lapides (Iudaei) ut iacerent in eum; Iesu; autem abscondit se, et exivit de templo. Io., VIII, 59.
  551. . Non autem abscondit se sub lapide vel angulo, sed potestate suas divinitatis, invisibilem se eis exhibens, exivit et recessit de templo. Comment. in h. 1.
  552. . Quicumque habet corpus glorificatum, in potestate sua habet videri quando vult, et quando non vult, non videri. 3, Quaest. LIV, .art. I, ad 2m.
  553. . 3, Quaest. XLIV.
  554. . Luc, II, 14.
  555. . Luc, XXII, 43. Il faut bien se garder de prendre ce réconfort dans le sens d'une consolation ou d'un raffermissement quelconque. Les paroles de Saint Thomas sont à noter : Illa confortatio angeli non fuit per modum instructionis, etc. 3, Quaest. XII, art. 4.
  556. . Luc, XXIV, 4.
  557. . Act., I, Io.
  558. . Matthieu, VIII.
  559. . Marc, IX. Cf. Saint Thomas, I. c., Quaest. XLIV, art. I.
  560. . Quest. VI de Pot., art. 7, ad 7m.
  561. . I, Quaest. LI, art. 2, ad 2m et 3m
  562. . Cf. 3, Quaest. XLIV, art. I, ad Im.
  563. . Tu es Filius meus dilectus : in te complacui mihi. Luc, III, 22.
  564. . Vere Filius Dei erat iste. Matthieu, XXVII, 54.
  565. . Luc, XI, 16.
  566. . Ibid., 29.
  567. . Tels sont les miracles de Jésus-Christ, dit Saint jean Chrysostome, qu'ils se montrent supérieurs à ceux que la nature opère, et plus utiles que ceux-ci. Hom. XXI in Joan.
  568. . Marc, VIII, 22-25.
  569. . Hom. IX in Matth.
  570. . Chap. 34 in Marc.
  571. . Videntes autem Petri constantiam, et Joannis, comperto quod homines essent sine litteris et idiotae, admirabantur. Act., IV, 13.
  572. . Matthieu, IV, 20.
  573. . Ibid., XXI, 12.
  574. . Luc, IV, 30.
  575. . Dei perfecta sunt opera. Deuter., XXXII, 4.
  576. . Remittuntur tibi peccata tua. Matthieu, IX, 2.
  577. . Totum hominem sanum feci in sabbato. Jean, VII, 23.
  578. . Ecce sanus factus es: iam noli peccare, ne deterius tibi aliquid contingat. Ibid., V, 14.
  579. . In cap. VIII Matth.
  580. . Luc, XVII, 18.
  581. . Ibid., XXII, 51.
  582. . Jean, XVIII, 6.
  583. . Luc, V, 6; Jean, XXI, 6.
  584. . Matthieu, XVII, 26.
  585. . Lue, XIII.
  586. . Matthieu, XIV, 18-21.
  587. . Matthieu, XV, 32-38.
  588. . Jean, II, 1-10.
  589. . On peut entendre de deux façons le fait que Jésus-Christ marcha sur les eaux : soit qu'il ait accordé aux eaux la solidité, soit qu'il ait mis en acte le don d'agilité, comme il a été parlé au § IV.
  590. . Matthieu, VIII, 26.
  591. . Ibid., XXVII, 51-52.
  592. . Unde multiplicat de paucis granis segetes, inde in manibus suis multiplicavit quinque panes. Tract. XXIX sup. Io.
  593. . Qualia fullo non potest super terram candida facere. Marc, IX, 2.
  594. Matthieu, XVII
  595. . Saint Thomas, 3, Quaest. LVI, art. I.
  596. . Finis legis Christus, Rom., X, 4.
  597. . Primitiae dormientium, I Cor., XV, 20.
  598. . Cf. 3, Quaest. LV, art. 5.
  599. . Jean, XX, 27.
  600. . Luc, XXIV, 43.
  601. . Ibid., 36.
  602. . Ibid., 45.
  603. . Jean, XX, II.
  604. . Ibid., I9.
  605. . Luc, XXIV, 5I.
  606. . Das Wesen des Christentums. Berlin, I900.
  607. . L'Évangile et l'Église. Paris, 1902, p. 73, suiv.
  608. . 3, Quaest. LIII, sq.
  609. . Voici comment Loisy, après sa condamnation, insistait sur son erreur à propos de la résurrection de Jésus-Christ: Je crois avoir montré que la résurrection du Sauveur n'est pas proprement un fait d'ordre historique, comme a été la vie terrestre du Christ, mais un fait d'ordre purement surnaturel, supra-historique, et qu'elle n'est pas démontrable ni démontrée par le seul témoignage de l'histoire, indépendamment du témoignage de foi, dont la force n'est appréciable que pour la foi même. Autour d'un petit livre, p. 169.
  610. . 3, Quaest. LVII, art. 3.
  611. . Marc, XVI, 19.
  612. . Hébreux, VII, 26.
  613. . Cf. Saint Thomas, 3, Quaest. LVII, per tot.
  614. . Saint Thomas, 3, Quaest. IX, art. 2.
  615. . Ibid., art. 3.
  616. . Ibid., Quaest. VII, art. 8.
  617. . Voir ce que nous avons écrit dans notre Tractatus de Incarnatione Verbi, Quaest. XIII, art. 2, n. I, 2me édition.
  618. . Ut quid cogitatis mala in cordibus vestris? Matthieu, I X, 4. Voir aussi Ibid., XII, 25 ; Luc, VI, 8 ; IX, 47 ; XI, 17, etc.
  619. . Jean, IV.
  620. . Luc, XIX, 44.
  621. . Matthieu, XX, 18.
  622. . Matthieu, XXVI, 23.
  623. . Luc, XXII, 61.
  624. . Cf. I, Quaest. LVII, art. 3. 4.
  625. . Homélie XXX sur Saint Matthieu.
  626. . 2 Paralip., VI, 30.
  627. . Magister, vidimus quemdam in nomine tuo eiicientem daemonia, qui non sequitur nos; et prohibusmus eum. Mar, IX, 37.
  628. . Nolite prohibere eum: nemo est enim qui faciat virtutem in nomine meo, et possit cito male loqui de me. Qui enim non est adversum vos, pro vobis est. Ibid., 38. 39.
  629. . Journal de Saint Pétersbourg, 18 août 1899.
  630. . Vers. 39.
  631. . XII, 30.
  632. . De Baptismo contra Donatistas, 1. I, chap. VII, n. 9, t. IX, col. 85.
  633. . Num., XI, 27.
  634. . Rabbi, scimus quia a Deo venisti magister: nemo enim potest haec signa facere, quae tu facis, nisi fuerit Deus cum eo. Jean, III, 2.
  635. . Paradis, XXIV, I00, suiv.
  636. . Paradis, XXIV, vers. 107, suiv.
  637. . L. XXII de Civ. Dei, chap. 5.
  638. . C. G., 1. Chap. VI.
  639. . A saeculo non est auditum, quia quis aperuit oculos caeci nati. Nisi esset hic a Deo, non poterat facere quidquam. Jean, IX, 32. 33.
  640. . Virtus de tilla exibat, et sanabat omnes. Luc, VI, 19.
  641. . Non accipiebat alienam virtutem, sed cum esset naturaliter Deus, propriam virtutem super infirmas ostendebat, et propter hoc innumevabilia miracula faciebat. L. XII Thesaur., chap. XIV.
  642. . Opera quae ego facio in nomine Patris mei, haec testimonium perhibent de me. Jean, X, 25.
  643. . Ego et Pater unum sumus. Jean, X, 30.
  644. . Eiiciebat spiritus verbo; omnes male habentes curavit. Matthieu, VIII, I6.
  645. . Multi crediderunt in nomine eius, videntes signa eius quae laciebat. Jean, II, 23.
  646. . Iesus non credebat semetipsum eis, eo quod ipse nosset omnes; et quia opus ei non erat, ut quis testimonium perhiberet de homine: ipse enim sciebat quid esset in homine. Ibid., 24. 25.
  647. ↑ . Quisquis adhuc prodigia, ut credat, inquirit, magnum ipse prodigium est, quia mundo credente non credit. L. XXII de Civ. Dei, chap. VII.
  648. . Sequebatur eum multitudo magna, quia videbant signa quae faciebat super his qui infirmabantur. Jean, V, 2.
  649. . Qui credit in me, opera quae ego facio, et ipse faciet, et maiora homes faciet. Ibid., XIV, 12.
  650. . Prorsus maius hoc esset dixerim (ex impio iustum fieri), quam est caelum et terra et quaecumque cernuntur in caelo et in terra : et caelum enim et terra transibunt, praedestinatorum auteur... salus et iustificatio permanebit. Tract. LXXII in Io., n. 3.
  651. . Cf. Saint Thomas, 3, Quaest. XLIII, art. 4, per tot.
  652. . Non omnes obediunt Evangelio. Rom., X, 16.
  653. . Ecce mundus tolus post eum abiit. Jean, XII, 19.
  654. . Lux venit in mundum et dilexerunt hommes magis tenebras quam lucem. Jean, III, 19.
  655. . 3, Quaest. VII, art. 7.
  656. . Numquam dominum gloriae crucifixissent. I Cor., II, 8.
  657. . Exibant autem daemonia a multis clamantia et dicentia: quia tu es Filius Dei. Luc, IV, 4I.
  658. . Dans la liturgie des Présanctifiés au Vendredi Saint.
  659. . Homélie X sur l'Évangile.
  660. . Vere Filius Dei erat iste. Matthieu, XXVII, 54.
  661. . Rabbi, scimus quia a Deo venisti magister, nemo enim potest haec signa facere quae tu facis, nisi fuerit Deus cum eo. Jean, IX, 6.
  662. . Princeps pacis. Is., IX, 6.
  663. . Pax hominibus bonae voluntatis. Luc, II, 14.
FIN Merci à « www.christ-roi.net » pour son travail de numérisation.