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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

XXI

La Loi sensible et la subdivision universelle auxquelles les hommes ont été assujettis, les ayant soumis à une forme de matière, la terre est trop étroite pour qu'ils puissent l'habiter tous ensemble ; et il a fallu qu'ils vinssent successivement y puiser les forces et les secours qui leur sont nécessaires pour traverser l'espace par lequel ils sont séparés de la source de toute lumière.

Si l'homme doutait encore de sa dégradation, il ne faudrait que cette seule preuve pour l'en convaincre, puisqu'il est impossible de concevoir rien de plus honteux et de plus triste pour des êtres pensants, que d'être dans un lieu où ils ne peuvent exister qu'avec un petit nombre de leurs Concitoyens : pendant que par leur nature, quelque nombreux qu'ils soient, ils sont faits pour habiter et agir tous ensemble.

Voilà pourquoi les hommes qui n'étaient pas nés, lors de la manifestation générale au milieu des temps, n'ont pu alors en recevoir les avantages effectifs, et directs, comme ceux qui avaient déjà parcouru cette surface, ou qui l'habitaient à cette époque. On peut dire même que l'Agent universel s'étant soumis à la loi temporelle, et apportant l'intelligence visiblement sur la terre, n'a pu la manifester à la fois par ses actes dans tous les lieux de notre habitation terrestre ; que s'il l'a fait en puissance dans toutes les parties de cette terre, il ne l'a fait en acte que dans les lieux qu'il a habités, ou peut-être dans quelques autres contrées, mais d'une manière étrangère à la matière, et en faveur de quelques Elus destinés à concourir à son œuvre. Car la vertu et les pouvoirs de ces signes visibles qui accompagnent partout ici-bas les pensées, devaient résider avec une entière supériorité dans celui qui produit toutes les pensées.

Aujourd'hui même, tous les hommes n'étant point encore nés, la postérité humaine ne voit point l'en-semble des faits de l'unité ; elle ne voit point en acte sur toute son espèce, l'œuvre universelle de la Sagesse : ce grand œuvre, dont l'objet est que tous les Etres aient à la fois devant les yeux les signes réels de l'in-fini, et que les bornes du temps étant disparues, ils aient tous, comme avant le crime, la preuve intuitive que c'est le même Dieu qui conduit tout.

Ajoutons que l'Univers entier étant la prison de l'homme, jamais l'espèce humaine ne pourra à la fois, sans que l'Univers matériel soit détruit, être témoin du grand spectacle de l'immensité dont elle est sortie.

Le cours de la vie de l'homme particulier vient à l'appui de cette vérité. A mesure que son Etre intellectuel s'élève vers la lumière, son corps s'affaisse et se replie sur lui-même, et l'on doit être convaincu que quand il a rassemblé en lui toutes les vertus que comporte sa région terrestre, sa forme corruptible ne peut plus exister avec lui ; comme certains fruits qui se séparent naturellement de leur enveloppe, quand ils ont acquis leur maturité ; en sorte que la vie de l'un est la mort de l'autre.

Par la même Loi, quand le nombre des hommes qui doivent exister matériellement sur la terre sera complet, la forme universelle repliant son action, disparaîtra pour eux, et la plénitude de ce nombre temporel rendra inutile pour l'homme l'existence de l'Univers.

Enfin si les facultés de l'homme particulier ne peuvent jouir de l'universalité de leur propre action tant qu'il est lié aux moindres vestiges de sa matière : s'il ne peut être vraiment libre tant qu'il est soumis aux influences des êtres contraires à sa nature ; s'il ne peut contempler l'ensemble de la Région sublime où il a pris naissance, tant que la moindre parcelle corruptible existe entre lui et ces sublimes tableaux, il en est de même pour l'espèce universelle de l'homme.

Or la terre, et toutes les grandes colonnes de l'Uni-vers, recèlent encore les rayons de ces substances pures qui ont été entraînées avec lui dans sa chute. Il faut donc, si l'homme est destiné à se rapprocher d'elles, que tous les décombres disparaissent, pour que d'un côté les substances supérieures, et de l'autre les vertus de tous les hommes, formant comme deux faisceaux de lumière, puissent s'animer réciproquement et manifester tout leur éclat.

On sait que les témoignages universels des Peuples s'accordent sur ce point. Tous regardent l'état violent de la Nature et de l'homme, comme la suite du désordre, et comme une préparation à un état plus calme et plus heureux. Tous attendent un terme aux souffrances générales de l'espèce, comme la mort en met chaque jour aux souffrances corporelles des individus qui ont su garantir leur Etre de tout amalgame étranger. Enfin, il n'est pas un Peuple, et l'on pourrait dire pas un homme, rendu à lui-même, pour qui l'Univers temporel ne soit une grande allégorie, ou une grande fable qui doit faire place à une grande moralité.

La dissolution générale suivra les mêmes lois que la dissolution des corps particuliers. Lorsque l'univers sera dans la septième Puissance de sa racine septénaire, tous les Principes de Vie répandus dans la création, se rassembleront dans son centre, comme la chaleur des animaux mourants abandonne insensiblement toute la forme pour se réunir au cœur. Car on ne peut se dispenser d'admettre dans la Nature un centre igné, actif et vivant, puisque les moindres corps particuliers ont chacun un principe ou un centre de vie quelconque qui les fait exister.

Ce centre actif et universel étant adhérent à la terre, il est naturel de penser que c'est à elle que tous les autres centres se réuniront ; et quand les Traditions des Chrétiens nous font l'étrange prédiction qu'à la fin des temps les étoiles tomberont sur la terre, elles ne parlent que de la réunion de ces différents centres avec le centre universel : ce qui ne doit plus être difficile à comprendre, puisque les étoiles ne pourront tomber sur la terre qu'en laissant évanouir leur forme ; comme les différentes parties de nos corps se dissolvent et disparaissent à mesure que leurs principes secondaires se réunissent à leur Principe générateur.

Une seule différence se fait remarquer entre la mort des corps particuliers et la mort de l'Univers : c'est que les individus corporels n'étant que des faits seconds, subissent des lois secondes après leur mort, qui sont la putréfaction, la dissolution, et la réintégration. Au lieu que l'Univers étant un fait premier dans l'ordre corporel, n'a besoin que d'une seule loi pour compléter le cours de son existence. Sa naissance et sa formation ont été l'effet de la même opération, il en sera ainsi de sa mort et de sa disparition totale. Enfin, si pour que l'Univers fût, il suffit que l'Éternel ait parlé ; il suffira que l'Eternel parle, pour que l'Univers ne soit plus.

Qu'on se rappelle ici qu'à l'image du grand Etre, l'homme emploie les mêmes moyens et les mêmes facultés pour donner l'existence à ses ouvrages matériels que pour les détruire.

Avant cette disparition finale, il y aura des maladies dans la Nature universelle, comme la diminution de la chaleur en occasionne dans les corps particuliers, avant qu'ils cessent totalement leur action. Les vertus ternaires des éléments qui servent de colonnes à l'Univers, se suspendront, comme la force et l'activité nous abandonnent, lorsque nous approchons naturellement de notre fin. Et tel est le sens des Traditions des Chrétiens, lorsqu'elles nous présentent tous les fléaux ternaires se manifestant à la voix des sept Agents supérieurs ; c'est-à-dire, quand ces sept Agents remettront au grand Etre, les droits et les vertus dont il les avait remplis pour l'accomplissement de ses desseins dans l'Univers.

Tel est, dis-je, le sens de ces Traditions, lorsqu'elles nous offrent aux différents termes de cette époque septénaire, l'altération, l'incendie, la destruction de la troisième partie de la terre, des arbres, de l'herbe verte ; de la troisième partie de la mer, des poissons, des vaisseaux, des fleuves et des fontaines ; de la troisième partie du Soleil, de la Lune et des Etoiles ; de la troisième partie des hommes ; lorsqu'elles nous parlent de la naissance de nouveaux animaux, s'élevant du sein de la terre sur sa surface pour en tourmenter les Habitants, comme des vers et des insectes dégoûtants sortent quelquefois de la chair de l'homme et le dévorent avant son terme ; lorsqu'elles nous parlent du changement de couleur dans les astres, de la transposition des îles et des montagnes ; enfin, lorsqu'elles nous peignent la combustion de tous les éléments, pour nous retracer à la fin des temps les désordres qui les ont fait commencer.

Mais l'homme avancé en âge non seulement éprouve du dépérissement dans son corps, il en éprouve encore dans son intelligence, s'il n'a pas eu soin de mettre à profit les secours qui lui ont été offerts dans les différentes époques de sa vie, et de coopérer au développement de ses facultés, qui sont destinées à une croissance continuelle : son esprit se trouve alors dans une double privation, ne ,jouissant ni des trésors de la Sagesse, qu'il n'a pas su acquérir, ni de l'activité de sa jeunesse, dont l'époque est passée pour lui.

Tel est aussi le sort de l'homme général : les secours envoyés aux hommes, ont été en croissant depuis l'origine des choses jusqu'au milieu des temps, quoique l'usage qu'ils en ont fait, n'ait pas été dans la même proportion.

Ces secours croissent également depuis le milieu des temps, parce qu'ils ont ouvert alors le sentier de l'infini ; mais comme ils se simplifient de plus en plus, et deviennent plus intellectuels, ils seraient imperceptibles et inutiles pour la postérité humaine, si elle ne suivait pas la même progression, en sorte qu'elle pourrait en venir à perdre de vue, même les fruits inférieurs que ces secours avaient commencé de lui procurer.

Peignons-nous donc les postérités futures accablées par les désordres des causes physiques, et par ceux qu'elles auront laissé dominer dans leur Etre intellectuel. Peignons-nous les hommes des temps à venir, perdant l'espérance de se voir renaître et condamnés à la stérilité dès qu'ils toucheront au complément du nombre temporel des hommes. Peignons-nous les d'autant plus effrayés de cette stérilité qui leur présentera l'image importune du néant, qu'ils seront plus tourmentés par les actions corrosives, lesquelles ils verront alors s'accumuler sur eux, parce qu'il y aura moins d'individus sur qui elles puissent se partager.

Peignons-nous ces hommes exposés aux effroyables convulsions de la Nature, et n'ayant acquis dans leur intelligence, ni les lumières, ni les forces suffisantes pour se soumettre à celles qui seront inévitables.

Voyons-les tellement éloignés de leurs appuis, qu'ils n'en pourront plus entendre la voix ; et néanmoins cherchant encore ces appuis par le besoin irrésistible de leur nature. Ce sera là cette faim et cette soif qui, selon les Prophètes, doivent être envoyées sur la terre, non la faim du pain, ni la soif de l'eau : mais la faim et la soif de la parole : désir d'autant plus douloureux, que selon les mêmes Prophètes, les hommes circuleront partout pour chercher cette parole, et ne la trouveront point.

Représentons-nous enfin ces hommes maudissant peut-être le Dieu suprême, tandis qu'il ne cessera de leur tendre la main pour les aider à passer sans accident sur le puits de l'abîme. Car cette main bienfaisante qui n'a jamais retenu ses dons pour les enfants de l'homme, les retiendra bien moins encore dans un temps où leurs besoins seront extrêmes.

Pour comble d'afflictions, les hommes de ces temps futurs apercevront à découvert le tableau des siècles, comme l'homme particulier approchant de sa fin, voit ordinairement se tracer devant lui, par des traits rapides et vifs, tout le cercle de sa vie passée. Ces malheureux hommes seront déchirés de douleur, en comparant dans ce tableau des biens dont la terre n'a cessé d'être comblée, avec l'horrible prostitution que la postérité de l'homme en a faite dans tous les temps ils y verront rassemblés, d'un côté, les nombreux trésors de vertus qui ont été depuis l'origine des choses envoyées au secours de l'homme, et qui sont toujours à sa portée ; de l'autre, il aura devant les yeux les fruits impurs de l'iniquité, qui se sont également accumulés dans le creuset du monde, et qui en ont retardé l'épurement pour un si grand nombre de ceux (lui l'ont habité.

Au milieu de ces désordres, peignons-nous des hommes ignorants, impurs, imposteurs, cherchant à éteindre dans leurs semblables, les derniers rayons de la lumière naturelle qui nous éclaire tous, et tâchant de se substituer dans leur esprit, au véritable et unique appui dont les hommes puissent attendre des secours. Peignons-nous enfin ces temps futurs infectés des poisons d'une doctrine de mort qui éloignera les hommes de leur but au lieu de les en approcher. Car ce qui rendra ces aveugles Maîtres si dangereux, c'est que l'homme criminel étant alors plus développé qu'il ne l'est encore, il attaquera les hommes avec des faits, au lieu que jusqu'à présent, on ne les a presque attaqué que par des discours.

Si la postérité humaine a si peu profité des secours qui l'ont environnée, s'il elle n'a fait que substituer les ténèbres à la lumière, comment résistera-t-elle à de semblables Adversaires ? On ne voit plus là qu'un affreux abîme dont l'obscurité et l'horreur ne peuvent aller qu'en augmentant, jusqu'à ce que n'y ayant plus aucun lien visible ni invisible entre l'Univers corrompu et le Créateur, la dissolution générale du Monde vienne terminer à la fois et les erreurs et les iniquités des hommes.

La Loi même donnée au milieu des temps n'a point anéanti le germe de ces désordres que les hommes sont toujours maîtres de produire et de multiplier. L'Elu universel n'a été chargé pendant sa manifestation temporelle, que d'apporter cette Loi aux hommes et de la leur expliquer, mais non pas de l'exécuter sans le concours de leur volonté.

II lui suffisait donc de leur donner une idée juste de la science Divine, et de leur apprendre que cette science n'est autre chose que celle des lois employées par la Sagesse suprême, pour procurer aux Etres libres, les moyens de rentrer dans sa lumière et dans son unité. Cette connaissance une fois donnée aux hommes, les temps leur ont été accordés, non pour l'oublier et la profaner, mais pour la méditer et la mettre à profit.

Quand ces temps seront écoulés ; quand, selon l'expression des Prophètes, les siècles seront rentrés dans leur antique silence, et que les Astres ayant rassemblé leurs sept actions en une seule, leur lumière sera devenue sept fois plus éclatante : alors à la faveur de leur clarté, l'intelligence de l'homme découvrira les productions qu'elle aura laissé germer en elle même ; alors elle se nourrira des propres fruits qu'elle aura semés. Malheur à elle si ces fruits sont sauvages, corrompus ou malfaisants ; car n'ayant point alors d'autre nourriture elle sera forcée de s'en alimenter encore et d'en éprouver la continuelle amertume ; car les substances fausses et impures, engendrées en elle par ses désordres, ne pouvant entrer dans la réintégration, il n'y aura que la violente opération d'un feu actif, qui ait assez de force pour les dissoudre.

Malheur à l'intelligence, si elle a versé le sang des Prophètes ; non pas seulement qu'elle ait contribué à la destruction corporelle de ceux qui ont porté ce nom sur la terre, mais bien plus encore, si elle a repoussé ces notions intimes, ces Actions vivantes que la Sagesse lui communiquait à chaque instant ; lesquelles n'ayant pour but que de présenter la vérité à l'homme, afin qu'il puisse la voir comme elles la voient elles-mêmes, deviennent pour lui de véritables Prophètes dont le sang lui sera redemandé avec une rigueur inflexible, s'il a été assez négligent pour le laisser couler sans profit, assez dépravé pour en arrêter l'influence sur ses semblables !

Malheur à l'intelligence, si ne devant agir que de concert avec son Principe, elle a cependant voulu agir sans lui ; parce qu'après la dissolution de ses liens corporels, elle sera réduite encore à agir sans ce Principe, ainsi qu'elle aura fait dans le cours de sa vie terrestre !

Car telle sera la différence extrême entre notre état actuel de la vie corporelle, et celui qui le doit suivre, lequel n'est encore sensible qu'à notre pensée. Nous ne connaissons pour ainsi dire ici-bas que par nos désirs l'action vivante et intellectuelle qui nous est propre ; parce que pendant notre séjour dans la matière, les moyens les plus efficaces de cette action nous sont refusés : mais au sortir de cette matière, lorsque pendant notre vie corporelle nous avons conservé la pureté de nos affections, ces moyens efficaces nous environnent et nous sont prodigués sans mesure ; et des jouissances inconnues à l'homme terrestre le dédommagent amplement des privations qu'il a supportées.

Or l'homme perd à la mort tous les objets, tous les moyens, tous les organes qui servaient d'aliment et de canal au crime : et si pendant sa vie corporelle ; il a nourri dans lui des penchants faux et des habitudes d'erreur, il ne lui reste, lorsqu'il est séparé de son enveloppe que le désordre de ses goûts et de ses désirs corrompus, avec l'horreur de ne pouvoir plus les accomplir.

Ainsi donc la situation future de l'Impie sera d'au-tant plus affreuse que l'enveloppe matérielle qui nous cache aujourd'hui la lumière étant dissoute, il verra le flambeau vivant de la vérité sans pouvoir s'en approcher ; et ceci a été prédit d'avance dans l'Univers temporel, par les satellites de Saturne, qui, circulant autour de l'anneau dont cet astre occupe le centre, ne peuvent pénétrer dans son enceinte.

Nous en avons encore un tableau sensible dans plusieurs substances élémentaires. Lorsqu'elles ont subi les différentes opérations du feu, elles se vitrifient et acquièrent une transparence qui nous laisse apercevoir la lumière dont elles nous tenaient auparavant séparés. De même après les différentes actions des Etres destinés à accomplir les desseins du Créateur dans l'Univers, ils se dégageront, par les vertus d'un Feu supérieur, de toutes les substances de leur Loi temporelle, lesquelles ne sont qu'impureté relativement au premier état dans lequel ils ne devaient jamais cesser d'être. Alors ils prendront une clarté vive ; ils formeront autour de l'Impie, une barrière lumineuse au travers de laquelle sa vue intellectuelle pourra pénétrer mais que lui-même ne pourra jamais franchir tant que sa volonté demeurera impure, et qu'il n'aura pas vomi ,jusqu'à la dernière goutte le breuvage d'iniquité dont il aura été forcé d'éprouver toute l'amertume et l'horreur pendant la durée des siècles.

C'est là que se trouvera le complément d'un temps, des temps, et de la moitié d'un temps. Car après l'enfantement universel, il y aura un délivré comme dans les enfantements particuliers ; et c'est le demi-temps de Daniel.

Or d'après l'idée que nous avons donnée de la volonté il est impossible de fixer d'autre terme à cette privation ou à ce demi-temps, que celui que l'Impie se sera fixé lui-même ; car comment nombrer alors la durée de ses actes ? Il faudrait qu'ils pussent se comparer avec le temps, et la mesure du temps sera brisée.

Mais parce que l'Impie sera près de la lumière, et qu'il ne pourra pas en jouir, ces pâtiments seront inconcevables. Il connaîtra ces pleurs et ces grincements de dents auxquels il a été fait allusion dans l'ouvrage déjà cité, par le nombre cinquante-six : attendu que cette expression représente à la fois, le Principe de l'idolâtrie, et la borne qui le sépara du séjour de la perfection.

Etant donc exclus de l'ordre et de la pureté, l'horreur et le désespoir seront sa vie ; la fureur et la rage ses seules affections, jusqu'à ce qu'étant réduit à déchirer ses flancs pour se nourrir et à étancher sa soif dans son propre sang, il dévore lui-même la corruption dont il s'est infecté, et qu'il en fasse passer la source toute entière par les ardeurs de son propre feu.

Si au contraire l'homme n'a reçu et n'a cultivé en lui que des germes salutaires et analogues à sa vraie nature ; s'il a été assez heureux pour arroser quelquefois de ses larmes cette plante fertile que nous renfermons tous en nous-mêmes ; s'il a compris qu'il devait porter comme tous les Etres, les signes caractéristiques de son Principe, et que nul autre que le premier de tous les Principes, ne pouvait lui avoir donné l'existence ; s'il a désiré de ressembler à ce Principe, en se conformant à ses images envoyées dans le temps ; s'il a essayé de le faire connaître à ses semblables, en les aimant comme il les aime, en tolérant leurs égarements comme il les tolère, en se transportant par la pensée jusque dans ces temps de calme et d'unité où les désordres ne l'affecteront plus ; enfin, s'il a tâché de traverser cette ténébreuse demeure, sans faire alliance avec les illusions qui la composent ; n'ayant pris dans ce passage laborieux, que ce qui pouvait étendre sa propre nature et non la défigurer ; alors il cueillera des fruits dont le goût, la couleur et le parfum flatteront les sens intellectuels de son Etre, en même temps qu'ils en vivifieront continuellement toutes les facultés. Rien ne le séparera (le ces sphères supérieures dont les sphères visibles ne sont que d'imparfaites images, et dont le mouvement dirigé selon des rapports inaltérables enfante la plus sublime harmonie et transmet les accords Divins à l'universalité des Etres.

« Là, comme les Anges dans le Ciel, il ne sera pas marqué du nombre de réprobation exprimé aujourd'hui par la différence des sexes : parce que le Principe animal, celui dont l'action génératrice et constitutive porte spécialement sur la production des sexes, sera retourné vers sa source, et n'agira plus matériellement. Il y aura cependant des corps, mais comme ces corps seront animés par une action plus vivante que celle de la matière, ils n'auront de caractérisées que les parties de notre forme qui servent de siège à l'esprit, et qui le manifestent, ou celles qui peuvent être employées à l'exercice pur de ses fonctions. »

Toutes les sciences, toutes les vertus des Agents que la Sagesse divine a proposés pour le soutien et l'instruction de l'homme, depuis l'origine du désordre, deviendront son partage : il aura leur force, leur zèle pour le règne de la vérité, leur intelligence pour la comprendre et leur pureté pour en jouir.

Ayant laissé loin de lui les allégories et les emblèmes, il reconnaîtra intuitivement ces mêmes vertus que la charité a détachées de leur Principe pour venir guider et soutenir l'homme jusque dans le lieu de sa laborieuse expiation. Elles jouiront en lui du fruit de leurs travaux : il jouira en elles de ce plaisir inexprimable de pouvoir toucher et bénir des mains bienfaisantes. Comme ils seront dégagés les uns et les autres de ces sollicitudes et de ces actes douloureux auxquels la Loi du temps les assujettit encore, ils porteront avec sécurité leurs yeux pleins de joie et d'attendrissement vers la source dont ils auront reçu toutes leurs jouissances ; et se revêtant de la simplicité de leur premier caractère, ils auront droit de porter la main à l'encensoir, et d'offrir chacun selon leur mesure et leur nombre, des parfums purs et volontaires à celui qui leur aura fait goûter la paix sacrée et les virtuelles délices de la vérité.

On sait que les témoignages universels des Peuples s'accordent sur cette Doctrine consolante. Si tous les Peuples ont leur Minos, si tous ont l'idée de son redoutable Tribunal, et celle du Tartare où les hommes coupables passeront des jours d'horreur et de ténèbres ; ils ont aussi celle de ces champs fortunés où les Etres vertueux et paisibles, jouiront sans trouble et sans alarmes, du fruit des heureux dons qu'ils auront répandus sur la terre.

L'homme pur pourra donc alors recouvrer l'accès de ce Temple impérissable dont il devait publier les merveilles, et dont le crime l'a fait bannir. Il approchera de l'Arche sainte, sans craindre d'en être renversé, parce que plus puissante que celle dont les Traditions des Hébreux nous ont parlé, elle ne laissera entrer dans son enceinte que ceux qu'elle aura purifiés.

Là, aucun Etre ne sera exposé à la punition d'Oza, parce que cette Arche sainte est le dépôt de la clémence et de la vie ; et comme elle est à la fois le centre, le germe et la source de toutes les Puissances, il sera à jamais de toute impossibilité que l'homme se voit admis à son culte, sans qu'elle-même lui ouvre son Sanctuaire.

Le Grand Prêtre de la Loi antérieure au temps, le même qui a présidé invisiblement aux cultes de tous les Peuples de la terre, puisqu'il n'en est aucun qui n'annonce des traces de la vérité, le même qui a dit présenter aux hommes, au milieu des temps, le tableau de leur Etre et la réunion de toutes les vertus Divines que le crime avait fait subdiviser pour nous sera aussi celui qui présidera à ce culte futur et postérieur au temps puisqu'étant le seul Agent universel de la Sagesse suprême, il peut seul distribuer l'universalité des grâces qu'elle destine à tous ses enfants.

Il habitera donc au milieu des Lévites choisis, qui comme lui ayant vaincu la corruption, seront jugée dignes de remplir dans le Temple les fonctions sain tes. Là, il les verra apporter sans relâche autour de lui, les offrandes de leurs louanges et de leur amour ; et versant lui-même sur ces offrandes son onction vivifiante, il en fera exhaler des parfums odorants et nombreux, qui répandront la sainteté dans toute l'étendue de cet auguste enceinte.

Ces parfums se succédant avec une abondance intarissable, s'élèveront jusqu'à la source première de toute vie et de toute intelligence ; et cette source inépuisable, toujours pénétrée par leur activité, s'entr'ouvrira toujours pour laisser avec la même abondance et la même continuité, découler jusque dans l'âme des hommes, les douceurs de sa propre existence. Ainsi l'homme pourra se nourrir à jamais de la vie de son modèle ; ainsi le grand Etre pourra se contempler éternellement dans son image, parce qu'en la régénérant sans cesse lui-même, il lui donnera par là, le droit sublime d'être le signe ineffaçable de son Principe.

Enfin chacun des hommes jouira, non seulement du don qui lui sera propre, mais il pourra encore participer à ceux de tous les Elus qui composeront l'assemblée des Sages ; comme ici-bas les différents hommes en se rapprochant, pourraient multiplier réciproquement leurs vertus, se nourrir chacun de celles qui brillent dans leurs semblables, répandre dans tous le talent d'un seul, faire germer dans un seul les talents de tous : et tel sera l'éclat futur de cette communication mutuelle, par laquelle tous les hommes unissant leurs jouissances à celles du grand Etre et de toutes ses productions, feront que tous les individus vivront dans le même être, et le même Etre dans tous les individus.

Ce culte futur ne rassemblera donc point à ces sacrifices rigoureux et sanguinaires, qui sont rapportés dans les Livres Hébreux pour faire connaître sensiblement à l'homme la sévérité de la justice, et pour lui rappeler la séparation pénible qu'il est continuellement obligé de faire ici-bas de toutes les substances étrangères à sa vraie Nature, s'il ne veut pas rester dans l'illusion et la mort.

Ce culte sera même supérieur au culte temporel, à cette Loi de grâce établie par le Régénérateur universel, où il doit y avoir encore des temps, des intervalles, des objets mixtes et passagers ; car alors il n'y aura plus de différentes saisons, plus de levant, plus de couchant pour les Astres qui nous éclaireront ; plus de passages de la lumière aux ténèbres ; plus de moments marqués pour la prière de l'homme, ni de moments auxquels ses besoins ou ses souillures l'obligent de la suspendre.

Ceux qui seront admis aux sacrifices, ne seront pas même gênés par la diversité de leur langage, l'ordre universel étant lié à l'uniformité de toutes les langues, et le Principe suprême étant si majestueux qu'il ne faut rien moins que la réunion des voix de tous les Etres pour le célébrer.

Ainsi donc tous les sages ensemble, au même instant, près du même Autel et sans jamais cesser, pourront lire sans trouble et sans défiance sans le Livre éternel toujours ouvert devant leurs yeux, LES NOMS SACRES QUI FONT COULER LA VIE DANS TOUS LES ETRES... !
 

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Chapitre XXII