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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

XVI

Parmi les objets importants que les Traditions nous présentent, il n'en est point qui doivent nous intéresser davantage que l'élection de ces Justes, suscités par la Sagesse divine, qui ne pouvant abandonner les hommes, puisqu'ils doivent être les signes de sa gloire, leur en présente de temps en temps des modèles.

Aucun de ces types n'a été plus ressemblant que le juste Elie, dont le nom embrasse toutes les classes d'Etres supérieurs à la matière, et qui s'est fait connaître par les actes les plus extraordinaires. Mais c'est parce qu'il participait à la force du Principe de toutes choses que l'étonnement doit cesser à la vue de semblables faits. S'il tenait à l'Etre qui a tout produit, à la source d'où découlent tous les signes sensibles matériels ou immatériels qui sont en action dans l'univers, quelle difficulté y aurait-il que, sous le signe d'un Corbeau, il eût reçu sa nourriture d'une main supérieure ? Quelle difficulté qu'il ait dévoilé l'imposture des Prêtres de Baal, en manifestant les forces du vrai Dieu ? Quelle difficulté même qu'il ait rendu la vie à un cadavre, puisqu'il agissait par ce même Dieu qui l'avait donnée ?

Ne soyons donc plus surpris des droits qui lui furent accordés pour multiplier les aliments de la veuve de Sarepta, pour contenir ou faire tomber à son gré les pluies et les rosées ; pour consumer par le feu du ciel les Capitaines d'Ochosias : car si nous ne perdons point de vue les desseins de la Divinité sur nous, si nous lisons le livre de l'homme, nous y trouverons les éléments de toutes ces merveilles.

On voit même ici quel avantage c'est pour nous d'être toujours fortement unis par la pensée, par le désir, et par l'action, aux vertus de ces Etres privilégiés, puisque le fidèle Disciple et successeur d'Elie a répété presque tous les prodiges de son Maître.

Mais une des belles instructions qu'Elie nous ait laissées, c'est lorsqu'étant sur la montagne, il reconnut que le Dieu de l'homme ne se trouvait ni dans un vent violent, ni dans le tremblement de l'air, ni dans le feu grossier et dévastateur, mais dans un vent doux et léger qui annonce le calme et la paix dont la Sagesse remplit tous les lieux qu'elle approche ; et en effet c'est un signe des plus sûrs pour démêler la vérité d'avec le mensonge.

Les différents Justes qui ont suivi la même carrière étaient chargés d'annoncer aux Rois et aux Peuples, le sort qu'ils devaient attendre, s'ils venaient à s'écarter de leur Loi ; et comme il y a des voies sans nombre pour s'égarer, et que les maux qui répondent à ces écarts sont également innombrables, ces Elus ayant à offrir le tableau des uns et des autres, s'en acquittaient par les moyens et les signes les plus analogues à ce qu'ils devaient annoncer.

C'est pour cela que la Justice suprême ayant dessein de faire sentir au peuple Hébreu l'horreur de ses alliances idolâtres, lui présenta pour signe, l'union d'un de ses Envoyés avec une femme prostituée ; union qui répétait aussi celle que l'homme premier avait contractée avec des substances impures, si opposées à son Etre.

C'est pour cela que la Justice voulant annoncer à ce Peuple, la dispersion dont il était menacé, et l'état honteux où ses ennemis allaient le réduire, ordonna à un autre de ses Agents de se montrer, dépouillé de ses vêtements, sortant d'une brèche faite par lui-même à sa propre maison, et prenant secrètement la fuite.

Enfin, c'est pour cela que voulant représenter au peuple Hébreu les traitements indignes qu'il allait subir dans la servitude, elle ne craint pas de lui faire voir un Juste plongé dans la plus affreuse douleur, et prenant pour nourriture les objets les plus dégoûtants.

L'homme peut se reconnaître dans ces divers tableaux dès qu'il les comparera à sa déplorable situation.

Telle fut la source de cette multitude d'allégories et de faits emblématiques que l'histoire des Prophètes nous offre avec des traits si extraordinaires, qu'on ne peut les concevoir, lorsqu'on les sépare des événements secrets qui en ont été l'objet et l'occasion.

De là les erreurs multipliées de ceux qui ont osé juger ces récits, sans en connaître le sens ni les rapports : ces Observateurs se sont créés des fantômes pour les combattre avec plus davantage ; aussi n'ont-ils pu remporter que des victoires imaginaires.

Lorsqu'au mépris des différents Elus, le Peuple et ses Maîtres se furent abandonnés aux crimes de la putréfaction, les Livres des Hébreux nous donnent l'histoire d'une nouvelle servitude plus humiliante et plus dure encore que la première ; puisque, dans celle d'Egypte, les Hébreux étaient descendus volontairement dans une terre étrangère ; au lieu que dans cette seconde servitude, l'ennemi vient les attaquer jusque dans l'enceinte de leur Ville, répandre leur sang, les arracher de leurs foyers, ravir et profaner les objets les plus chers de leur culte.

On peut même observer qu'il est dit que ces ennemis cruels firent arracher les yeux au Roi des Hébreux ; et ce Chef figurant la lumière du Peuple, c'était montrer que la manière dont la Justice sévit contre les Prévaricateurs, est d'éteindre pour eux le flambeau de l'intelligence.

Ce type fut répété pendant la servitude, par l'évasion de plusieurs Tribus, qui s'étant soustraites au joug de leurs Tyrans à Babylone, allèrent au loin, et par des chemins cachés, habiter un pays inconnu sur la Terre ; là elles exercent encore dans sa pureté, le Culte de l'Eternel, selon la Loi des Hébreux ; là elles expient dans le deuil et dans la tristesse, les Prévarications de leurs Ancêtres, et représentent cet organe vivant et pur de nos pensées, qui s'éloigne quand nous sommes lâches, et qui gémit de nous sur nos égarements volontaires, afin que toutes ces larmes puissent être offertes comme un tribut à la Justice de la Sagesse suprême, qui oublie les crimes des coupables pour ne faire attention qu'aux douleurs de l'innocent.

Il en est de même de l'Arche d'Alliance que les Macchabées nous apprennent avoir été déposée par Jérémie, pendant la captivité, en un lieu inconnu, où elle doit rester jusqu'à la consommation des choses.

Mais dans tous ces types, on voit sans cesse la clémence accompagner la justice, et laisser toujours l'espérance aux malheureux mortels condamnés à la privation. C'est pour cela qu'il est annoncé qu'à la fin des temps, les Tribus qui se sont exilées viendront se réunir à leur Peuple ; et que l'Arche sortira du lieu caché qui la recèle, avec le même éclat et la même majesté qui environnèrent la Montagne célèbre où la Loi de l'alliance fut donnée à l'homme.

Un Roi vainqueur de l'Assyrie, sage, et participant aux Sciences des Hébreux, connaît que le terme de leur esclavage est arrivé ; il charge un Juste, indiqué par la Sagesse divine, de les ramener dans la Terre le leurs Pères, pour y rebâtir le Temple abandonné pendant toute la durée de cette affreuse servitude, où ils avaient été privés de leur culte et de leurs vrais sacrifices ; où enfin, plongés dans la tristesse, ils avaient suspendu leurs instruments de Musique aux branches des saules plutôt que de mêler leurs chants aux concerts impurs de leurs Maîtres. Ces tableaux sont si naturels et si ressemblants, qu'il est inutile que nous en exposions les rapports.

Il en est ainsi de la différence qui se trouva entre ce second Temple et le premier. Elle était si frappante que ceux qui avaient connu l'ancien Temple, et qui virent bâtir le nouveau, ne purent s'empêcher de répandre des larmes amères, tant ils sentaient le prix de celui qu'ils avaient perdu. Cela nous rappelle que le temple corporel que l'homme habite aujourd'hui, n'est qu'un cloaque, un cachot ténébreux, comparé au Temple dans lequel il fit sa première demeure.

Le Prêtre chargé de la réédification de ce Temple retrouva un des exemplaires de la Loi. Ceux qui ont cru pouvoir rejeter les Prophéties des Livres Hébreux, en supposant qu'Esdras avait lui-même fabriqué ces livres, auraient pu faire valoir cette objection pour les Prophéties dont l'événement l'avait précédé, mais non pour celles dont l'accomplissement ne devait avoir lieu qu'après lui, et ils ne peuvent nier que celles-ci ne soient en plus grand nombre.

En rétablissant le culte, Esdras rétablit les offrandes de froment, de vin et d'huile, qui avaient été en usage dans les beaux jours du Peuple Hébreux : je ne cacherai point que ces trois substances combinées sont les fondements matériels sur lesquels repose l'édifice intellectuel du Grand œuvre du rétablissement des choses ; parce que l'une est le récipient, l'autre l'agent actif et générateur, et le troisième est le lien intermédiaire.

« Pour donner une idée des propriétés de l'huile, je ferai observer qu'elle est composée de quatre substances élémentaires qui lui donnent des rapports actifs avec les quatre points cardinaux de la circonférence universelle. Parmi les différentes huiles, celle de l'olivier tient le premier rang, parce que la chair de son fruit étant extérieure, reçoit par ce moyen les premières actions des influences ; sans oublier que par sa qualité naturelle : elle fixe et arrête en elle ces mêmes influences. Et c'est de là que pour peindre les prévarications des Chaldéens, Baruch nous représente des femmes brûlant devant leurs faux Dieux des noyaux d'olive. »

Peu de temps après la délivrance de cette seconde captivité, les Forts cessent de combattre, et deviennent semblables à des femmes ; on voit toutes leurs vertus se consumer et se corrompre, on voit cet Arbre choisi devenir si faible et si stérile, que selon l'expression allégorique des Prophètes, il ne produisait pas même un seul Rameau assez fort pour qu'on ne pût faire un Sceptre au Prince : on voit, dis-je, ce Peuple tomber dans un tel aveuglement, qu'il ne craint pas d'aller à prix d'argent, solliciter auprès des Idolâtres la grande Sacrificature de son propre Temple.

On voit ensuite un ennemi puissant environner ses murs, lui faire éprouver toutes les horreurs de la guerre et de la disette ; et l'on reconnaît par ces maux sans nombre, par ces fléaux terribles l'accomplissement des menaces, qui avaient été souvent réitérées au Peuple Hébreu, dans le cas où il ne garderait pas la Loi de son alliance ; jusque là que des malheureux époux nourris dans la délicatesse, se trouveraient tellement pressés par la faim qu'ils s'arracheraient leur propre fruit, et qu'après l'avoir dévoré, ils se disputeraient encore cette masse informe et dégoûtante à laquelle l'homme est attaché dans le sein de sa mère. Image horrible qui apprend à la fois à l'homme corporel et son abominable origine, et la dure nécessité où il est de dévorer journellement l'amertume et l'impureté avec lesquelles le premier crime l'a confondu.

Bientôt le Sacrifice perpétuel s'interrompt faute de victimes, les monceaux de morts sont accumulés autour de l'Autel, les Soldats armés et couverts du sang de leurs frères s'établissent dans ce lieu redoutable, où le grand Prêtre seul pouvait entrer une seule foi l'année. C'est alors que subjugué par le nombre et par la misère, il devient errant, sans Temple, sans Sacrificateur, sans Autel, comme l'homme depuis sa chute rampe honteusement dans la privation de ces premiers droits, et des fonctions sublimes qu'il devait remplir dans l'Univers.

Les Fastes des Hébreux, considérés dans cet ensemble et sous ce point de vue, nous présentent un miroir fidèle, où nous pouvons contempler l'histoire de l'homme. On ne peut s'empêcher d'y reconnaître aussi des traces d'une lumière et d'une force supérieure, dont l'homme livré à lui-même est absolument incapable : je parle de ces vertus qui ont dû apporter des secours visibles ,jusque dans sa ténébreuse demeure ou de ces Agents, dont plusieurs sont annoncés dans les Ecritures comme ayant été sans Généalogie et sans Ancêtres.

Enfin, le nombre de ces Agents, les différentes époques où ils se sont manifestés, désignent cette subdivision des puissances divines, qui fait ici-bas le tourment de l'homme, mais qu'il doit subir avant de recouvrer son domaine, et dont les tableaux ne peuvent se peindre à lui sous les couleurs trop sévères, attendu que pour celui dont le dernier sentiment a été le mépris de la vérité, le premier doit être la terreur de cette même vérité.

Nous avons maintenant à fixer nos idées sur les apparences de cruauté et d'injustice que nous offrent les Traditions des Hébreux, et sur le choix que la Sagesse a fait d'un Peuple qui a si mal répondu à ses bienfaits.

Arrêtons-nous d'abord à ces exécutions cruelles, ces énormes effusions de sang opérés par la main des Hébreux, malgré la Loi formelle qui leur défendait de le répandre : parlons de ces fléaux lancés sur des Peuples innocents pour l'expiation des fautes de leurs Chefs ; parlons, dis-je, de toutes ces souffrances dont plusieurs ont été les victimes non seulement pour les prévarications de leurs Ancêtres, mais encore pour celles d'autres coupables, avec qui ils semblaient n'avoir pas les mêmes rapports.

La première de ces difficultés se résout par la contradiction même. Plus la défense faite au Peuple Hébreu de répandre le sang était précise, plus la Sagesse faisait connaître que le droit de Justice lui était réservé à elle seule, et qu'ayant pu seule donner la vie aux hommes, il n'y avait qu'elle qui eût le pouvoir légitime d'en disposer.

Mais en se réservant le droit exclusif d'agir sur l'homme, cette Sagesse ne perd pas le droit d'agir par lui ; ainsi, de quelque manière qu'elle montre son action, elle ne change rien aux Lois qui la constituent : puisque c'est toujours elle qui opère, et puisqu'en employant la main de l'homme, elle ne fait qu'exercer d'une manière plus rapprochée de l'état grossier des coupables l'empire qu'elle exerce continuellement sur toute la postérité de l'homme, comme sur tous les Etres.

L'homme n'étant alors que l'agent ou l'organe de la Justice, il n'y a pour lui ni prévarication ni crime, et tant qu'il ne répand pas le sang par sa propre autorité, et pour sa propre cause, il n'est point comptable aux yeux de la justice. Vérité que les hommes ont souvent appliquée mal à propos à leur Justice conventionnelle, et à tous les ressorts de l'ordre social, tandis qu'elle ne convient qu'à l'homme dans sa véritable Loi : vérité néanmoins dont cette Justice humaine conserve encore les traces et l'empreinte, puisqu'elle regarde comme innocents, tous ceux qui jugent et qui tuent au nom du Prince, et qu'elle ne sévit que contre ceux qui jugent et qui tuent en leur propre nom.

L'Ecrivain Hébreu nous montre en effet combien la main de l'homme était passive dans ces grands événements, et combien elle était dirigée par une force supérieure, puisque en un instant et par le moyen d'une quantité d'hommes insuffisante, il nous en présente souvent des nombres prodigieux immolés à la Justice.

Quant à ces exécutions sanguinaires et cruelles, pour des crimes auxquels le Peuple n'avait point participé ; sans rappeler ici ce qui a été dit sur le crime de l'homme, on doit distinguer les crimes particuliers d'avec ceux qui sont communs à toute une Nation. Car la constitution des corps est telle, que le mal comme le bien sont réversibles sur tous les membres. Nous en voyons même des exemples dans l'ordre simple des choses humaines.

D'ailleurs ce qui devrait étouffer tout murmure, c'est cette incertitude où nous sommes si la Sagesse suprême ne paie pas les services qu'elle exige de nous ; si, après qu'elle a exercé ses pouvoirs sur les objets de sa justice pour effrayer l'œil du coupable, elle ne les dédommage pas des travaux qu'ils ont supportés ; si, enfin, plus noble et plus féconde que tous les Souverains de la Terre, elle ne peut pas verser dans l'âme des hommes quelques rayons de sa gloire, qui mettent à leurs yeux les récompenses au-dessus de tout rapport avec les peines et les services. En considérant sous ce point de vue la marche de cette Sagesse, qu'avons-nous à dire, lorsqu'elle nous emploie ? L'injustice n'est pas de faire travailler l'ouvrier, mais de le faire travailler et de lui retenir son salaire.

Si l'on veut ensuite rassembler dans la pensée les maux qui sur toute la terre affligent la postérité de l'homme, et les comparer avec les fléaux de toute espèce, dont, suivant les Traditions Hébraïques, le Peuple Juif a tant de fois éprouvé la rigueur, on y verra seulement que ces peines ont été plus rapprochées et plus multipliées sur le Peuple destiné à manifester tous les effets des vertus divines.

Car, malgré la difficulté d'admettre des fléaux si généraux, et des maux si nombreux, infligés à la fois sur une seule Contrée et sur un seul Peuple, je l'ai déjà dit, les prévarications générales ont dû attirer des molestations générales. Et d'après ce que nous avons laissé entrevoir sur les droits de la volonté de l'homme, soit pour, soit contre lui-même, il n'y a plus de moyens ni de faits qui doivent le surprendre, ni lui paraître surnaturels à sa véritable essence.

Il est vrai qu'en général les maux naturels qui affligent les Nations, s'opérant sans le concours de la main de l'homme, sont hors de la comparaison avec les faits rapportés dans les Livres des Hébreux, où la justice divine contre les coupables s'exerce presque toujours par des hommes. Mais si la Sagesse suprême a pu faire choix d'un Peuple parmi tous les autres Peuples, pour l'accomplissement de ses desseins ; si elle a vraiment fait ce choix pour retracer à l'homme le rang privilégié qu'elle lui avait donné autrefois entre toutes les autres puissances ; quel que soit ce Peuple choisi, il faut que nous voyions réunies en lui toutes les actions diverses qui constitueraient un ordre d'Etres, s'ils étaient dans leur état de perfection.

Mais la postérité de l'homme étant dans la dégradation, ne peut représenter cet ordre d'Etres qu'avec une très grandes irrégularité ; et cette irrégularité consiste à montrer dans une même espèce toutes les actions des espèces opposées. Elle consiste à tellement rétrécir le tableau, que dans le même ordre d'Etre, on voit des vertus actives et des vertus passives ; elle consiste en ce que dans une même Race, dans un même Peuple, il se trouve à la fois le Juge, le Vengeur et le Coupable, pendant que ces noms devraient appartenir à des Etres différents.

Quant à la défense de répandre le sang, cherchons pourquoi il est dit dans les Livres hébreux, que Dieu redemandera l'âme de l'homme à la main de l'homme, et même à celle des animaux. »

Et au sujet du mot main, relevons d'abord une erreur des Traducteurs. Iad, main, vient de iadah, il a lancé : parce qu'en effet la. main est l'instrument qui lance. Mais le mot iad signifie aussi force, puissance. Or si l'intelligence avait conduit les Traducteurs, ils auraient dit dans les Proverbes que la mort et la vie étaient dans la force de la langue, ce qui eût été très expressif : au lieu de nous dire, comme ils l'ont fait, qu'elles étaient dans la main de la langue, ce qui n'offre qu'une idée inintelligible et extravagante.

Transformons donc ici le mot main dans le mot puissance, et rappelons-nous quels dangers menacent l'homme impur qui sort de son corps avant son temps.

«La Loi des Etres étant irrévocable, ils sont forcés de la remplir ; or si l'homme intellectuel doit séjourner pendant un temps dans le sang, et qu'on le prive du sien, il s'attache à un autre sang ; et communément à celui de son meurtrier, soit homme, soit bête, parce qu'alors ce sang est plus prochain et plus développé. »

«Dans ces deux cas, il ne peut résulter que de très grands désordres pour lui, puisqu'un Etre ne peut habiter que le corps qui lui est propre et naturel. En s'attachant au sang d'un autre homme, il le gêne sans trouver à s'y reposer, parce qu'un autre Etre siège dessus ; en s'unissant au sang de la bête, il se lie à des entraves encore plus grossières et plus étrangères à lui-même, et tous ces maux sont autant d'obstacles qui le retardent et le molestent pendant sa marche ; on peut donc voir pourquoi Dieu redemandera l'âme de l'homme à la main ou à la puissance de tout ce qui est sang, puisque l'homme est sa dîme par les rapports originels de son quaternaire avec dix ; on peut voir sur quoi est fondée l'horreur que les hommes ont généralement des meurtriers ; enfin, pourquoi toutes les Nations de la Terre ont regardé comme couverts de la dernière marque de réprobation, ceux dont les cadavres sont exposés à être la pâture des oiseaux et des autres animaux.»

Venons à la seconde question, concernant l'ingratitude du Peuple choisi.

La plupart des Observateurs sont choqués de ce que les Livres hébreux, présentant un Peuple élu par la Sagesse suprême, pour être comme le miroir de ses vertus et de ses lois, ce Peuple soit devenu le plus grossier, le plus barbare et le plus ignorant de la Terre ; de ce que loin de combattre pour la main qui l'avait choisi, il s'arme à tout moment contre elle de ce que n'observant que la lettre des Préceptes de cette Sagesse, il a été comme inutile à ses desseins.

Si les Observateurs avaient ouvert les yeux sur la véritable destination de l'homme, sur l'amour inextinguible de son Principe, qui brûle de zèle et d'ardeur pour lui, sur la persuasion de tous les Peuples que ce Principe s'occupe sans cesse à les délivrer de leurs ténèbres et de leurs privations, ils auraient reconnu que les Livres des Hébreux, ainsi que toutes les autres Traditions, n'étaient que l'histoire de l'homme.

Ils auraient reconnu que ce Principe premier, dont l'homme était chargé de manifester l'image sur la Terre, lui fournissait encore ici-bas les moyens d'accomplir sa destination : que celui de tous, le plus sensible était de lui montrer, dans sa propre postérité, le type de ce qu'il aurait été, s'il eût conservé les droits de son origine ; qu'ainsi ce Principe premier avait pu et du choisir parmi cette postérité criminelle, quelque Etre moins coupable et plus rapproché de lui, le rendre dépositaire des vertus que sa Justice permettait d'accorder à la Terre, pour la ramener à son centre ; donner à cet être, par une suite de la convention primitive, la promesse que s'il en faisait un usage légitime, non seulement il les conserverait pour lui et pour sa postérité, mais encore qu'il les augmenterait sans fin et jusqu'à l'immensité des nombres ; que si, au contraire, lui et ses descendants venaient à les mépriser, tous ces dons leur seraient retirés, et qu'alors au lieu d'éclairer les Nations, et de les ramener à leur centre, ils deviendraient l'objet de sa Justice et l'opprobre de la Terre.

Les Observateurs auraient vu enfin que c'était répéter dans un tableau sensible et temporel cette convention première sur laquelle l'émanation de l'homme était fondée, et par laquelle il devait jouir de tous les avantages inhérents à la splendeur de sa source, s'il y demeurait attaché, comme il devait attendre tous les maux et tous les avilissements, s'il s'en séparait.

Mais, quoique la suprême Sagesse ait pu et dû faire temporellement le choix dont nous parlons ; quoi qu'elle ait élu un Etre juste pour lui confier le trésor de ses bienfaits, puisque nul impie ne peut y participer ; si dans la suite la postérité de ce Juste vient à s'écarter de sa loi, qu'elle devienne par conséquent un réceptacle d'ignominie, et l'objet du mépris de tous les Peuples, dira-t-on pour cela que le choix de cette Sagesse ait été indigne d'elle ? Et le premier choix qu'elle aurait fait, en aurait-il été moins pur, quoiqu'il fût devenu l'impureté même ? Il faudrait donc dire que l'homme, émané de la Sagesse suprême, fut sans gloire et corrompu dans son origine, parce qu'aujourd'hui nous le voyons ramper dans le crime et l'opprobre.

Avouons donc que ce Peuple, malgré qu'il ait si peu secondé la main qui l'avait choisi, n'était pas moins, lors de son élection, le flambeau vivant qui devait briller dans nos ténèbres, et nous retracer des tableaux temporels dont l'homme invisible est le modèle. Enfin, reconnaissons qu'il devait être la preuve parlante du principe qui a été exposé sur la nécessité de la communication des vertus subdivisées de la Sagesse suprême parmi les hommes.

On ne peut nier même que dans la dispersion absolue à laquelle il est livré, il ne présente encore des indices de cette vérité. Ce Peuple choisi par la Sagesse pour être son signe sur la Terre, représentait l'état glorieux de l'homme dans la pureté de son origine, et les sublimes fonctions qui l'appelleraient à manifester cette Sagesse dans l'Univers : ce Peuple représentait même l'ordre et l'harmonie de cette Unité suprême que tous les Etres devraient contempler sans cesse, afin de se conformer à la régularité de leur modèle; en un mot, il était comme le fanal des Nations et le flambeau qui devait successivement les éclairer.

Lorsque le Peuple hébreu est tombé dans de coupables divisions, lorsque ces crimes l'ont entraîné dans l'oubli de ses titres, dans un culte faux et impie, et dans la rigoureuse dispersion qui en devait être la suite, sa nature première n'a point changé : quoique l'exercice de ses droits et de ses facultés lui soit retiré, son unité d'élection n'a point été anéantie : quoique les membres de ce corps se soient entièrement dispersés et subdivisés, ils conservent toujours leurs rapports fondamentaux.

Ainsi ce Peuple offre toujours l'empreinte primitive qui le constitue : il a toujours sur lui le sceau du Ministère auquel il fut appelé ; et il porte partout son essence indélébile, comme l'homme a conservé la sienne, malgré son crime et sa dégradation. Ainsi, lorsque la Justice laisse ce Peuple errer parmi toutes les Nations, elle leur montre toujours en lui des traits, quoique altérés, d'une origine respectable, qui attestent l'existence des vertus et perfections divines ; enfin elle leur représente encore les colonnes du Temple, quoiqu'elle ne les offre que renversées.

Par là elle donne donc encore aux Nations, dans des images défigurées, les indices secrets de ces Vertus que l'amour et la sagesse ont fait pénétrer dans les demeures des hommes, pour leur montrer toujours des tableaux vivants de l'Etre vrai sur lequel fut modelée leur existence ; et ce Peuple étant dispersé parmi toutes les Nations de la Terre, elles ont à la fois devant les yeux, et les Agents qui devraient être les organes de la vérité, et les fléaux qui les poursuivent pour avoir osé la mépriser.

Nous ne pouvons mieux terminer ce qui concerne les Traditions des Hébreux, qu'en montrant sur quoi reposent les sublimes privilèges dont ce Peuple est dépositaire. C'est qu'il est celui qui a eu dans sa Langue le premier Nom positif et collectif de toutes les facultés et tous les attributs du grand Etre, Nom qui renferme distinctement le principe, la vie et l'action primordiale et radicale de tout ce qui peut exister ; Nom par lequel les astres brillent, la terre fructifie, les hommes pensent ; Nom par lequel j'ai pu, Lecteur, écrire pour vous ces vérités, et par lequel vous pouvez les entendre.

Ce grand Nom a passé, il est vrai, dans toutes les autres Langues de la Terre ; mais il n'a porté dans aucune l'image complète qu'il présente dans la Langue des Hébreux. Les unes n'en ont fait qu'une dé nomination indicative de l'existence d'un Etre supérieur, sans rien exprimer de ses vertus. D'autres on conservé quelques-uns de ses traits principaux ; mais ayant fait abstraction de tous les autres, elles n'ont pas peint à notre intelligence un juste tableau de notre Dieu. D'autres, enfin, telles que les Langues voisines de l'hébreu par leur antiquité, ont conservé en grande partie les lettres qui composent ce Nom du Dieu universel ; mais en ayant altéré la forme et la prononciation, elles ont bientôt cessé d'y attacher les vastes et profondes idées dont il est le germe. L'Hébreu seul possède intact ce Nom suprême, tige sur laquelle sont et seront entés tous les autres Noms destinés au soutien de la postérité humaine. Ne soyons donc point étonné que ce Peuple nous soit présenté comme étant le fanal des Nations, et le foyer visible sur qui, depuis la chute de l'homme ont réfléchi les premiers rayons du grand Etre.

Nous croyons avoir présenté jusqu'ici un ensemble de principes assez liés, assez conséquents, assez vrais, pour renverser toutes les doctrines de l'erreur et du néant, et nous ne doutons pas de leur en avoir substitué une plus solide, plus lumineuse et plus consolante. Si l'homme a négligé jusqu'à présent de chercher à manifester les propriétés de la source dont il descend, au moins ne peut-il plus l'accuser, ni se plaindre qu'elle ne lui en ait pas fourni les moyens.

Car, quoique l'homme, par une suite naturelle de ses écarts, ait été réduit à ne pouvoir contempler les images des facultés divines, que dans une subdivision douloureuse et pénible, elles se sont tellement multipliées pour lui, qu'elles ne laissent plus de motifs à ses plaintes.

Non seulement toutes les substances et toutes les actions de la Nature expriment chacune un trait des facultés créatrices qui les ont produites ; non seulement tous les faits de l'homme annoncent qu'il est émané d'une source pensante, qu'il en a été séparé par un crime, et que par un besoin indestructible et par la loi qui constitue, la Sagesse et lui doivent sans cesse tendre à se réunir ; mais encore toutes les Traditions de la terre démontrent que cette source n'a cessé de se rapprocher de l'homme, malgré sa souillure : qu'elle circule autour de lui par des canaux innombrables dans toutes les parties de son habitation corrompue, et qu'elle se montre visiblement sur tous ses pas.

Ainsi, tout ce que l'homme peut apercevoir par les yeux corporels, tous les actes qu'il peut exercer et produire selon les lois de la Région sensible, tout ce qu'il peut recevoir par la pensée, tout ce qu'il peut même apprendre par les Traditions, par les différentes doctrines de ses semblables, par le spectacle d'un culte sublime donné à la Terre, par l'état honteux et méprisable de ceux qui l'ont perdu pour l'avoir profané ; enfin, par le tableau passé et présent de tout l'Univers ce sont là autant de témoins irrévocables qui lui parlent le langage de son Principe et de sa Loi.

Si la sagesse forme l'homme sous la condition expresse qu'il la manifesterait dans l'Univers, ne la croyons donc plus injuste, ni impuissante, en contemplant les voies qu'elle ne cesse d'employer pour rétablir l'union qui aurait dû toujours régner entre elle et nous ; reconnaissons, en un mot, que tandis que nous manquons sans cesse à notre convention, la Sagesse ne s'occupe qu'à remplir la sienne.

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Chapitre XVII