BIENHEUREUX JEAN D'AVILA

SERMONS DE CARÊME


Dieu t'offre le pardon de tes péchés. *
Mercredi des cendres.

Le Christ est une lumière très claire, un guide, un maître. *
IVme mercredi de carême 1543. *
Voir dans les choses temporelles d'autres spirituelles. *

Description de l'Eglise.*
 



 

Dieu t'offre le pardon de tes péchés.

Mercredi des cendres.

 (O–a. Est. 8, plut. 4, n. 55 bis ff. 53 r. - 57 v.)

Revenez à moi de tout votre coeur, avec des jeûnes, avec des larmes et des lamentations. (Joël, 2, 12).

 

Exorde : La pénitence est l'oeuvre de Dieu et non celle de l'homme.

Bienheureux celui qui n'a jamais eu le coeur triste et n'a jamais ressenti d'affliction parce qu'il n'a pas péché contre Dieu.

Bienheureux celui qui n'a jamais eu à dire : Seigneur, j'ai péché, j'ai le plus profond regret parce que j'ai péché et t'ai offensé, etc.

" Voici, en effet, que désormais toutes les générations me diront bienheureuse " (1). Nous nommons tous bienheureuse, cette bienheureuse Vierge qui n'a jamais eu le coeur triste pour avoir offensé Dieu car elle ne l'a jamais offensé le moins du monde, n'ayant jamais péché. Que chacun interroge sa conscience et il saura quel bien Dieu lui a fait en lui évitant de succomber à des fautes qui le rempliraient de remords et d'angoisse, l'amenant à dire " J'ai péché et j'ai perdu la grâce de Dieu ". Eviter le péché est l'oeuvre de Dieu, vous relever après avoir péché est aussi son oeuvre.

Comme le dit plus haut Augustin, " la pénitence n'est pas le fait de l'homme, mais de Dieu " (2).

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(1) Lc. 1, 48.

(2) saint augustin, Enchirid., C2 (ML 49-271).
 
 

Voici la paraphrase de la sainte Ecriture, comme le dit le Seigneur : Ce n'est pas vous qui m'avez choisi (sic) mais c'est moi qui vous ai choisis (3). Lorsqu'on agit par la grâce de Dieu, on dit que c'est l'oeuvre de Dieu et non celle de l'homme. Car l'homme par lui-même n'a pas de force pour faire peu de cas des choses de ce monde si Dieu ne la lui donne pas. C'est pourquoi Dieu dit : Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis. C'est ainsi que la pénitence est oeuvre de Dieu et non de l'homme. Dieu veut dire que nous avons beau nous tourmenter, il est vain de penser faire une pénitence profitable, s'il n'étend pas sa main sur nous.

Celui qui pèche mortellement, se jette dans un puits profond, d'où il ne pourra sortir si Dieu, par sa miséricorde, ne lui donne la main et l'en retire.

Voyez comment il dit : " Convertissez-nous à vous, Seigneur, et nous serons convertis " (4). La pénitence que nous nous infligeons est d'autant plus mauvaise qu'elle est plus grande, telle la pénitence de Judas qui se repentit tant de son péché et en eut un si grand chagrin qu'il en vint à douter de la miséricorde de Dieu et à perdre l'espérance.

La pénitence que s'impose l'homme comporte un grand repentir du péché, mais aussi un manque de confiance en la miséricorde de Dieu. Celle qui vient de Dieu comporte un grand repentir du péché et en même temps une grande confiance en la miséricorde

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(3) Jo. 15, 16.

(4) Thren. 5, 21.
 
 

de Dieu, grande, plus grande, que toutes les offenses faites par l'homme à Dieu.

" C'est pourquoi je me condamne et me repens " (5). Lorsque Dieu de sa main guide notre coeur, combien l'on regrette les péchés d'une autre façon ! La pénitence que tu pratiques toi-même est sans chaleur, tu n'as pas en toi un poignard térébrant.

Pourquoi ai-je péché ? Quand Dieu t'ouvre l'esprit et te fait comprendre qui il est, le mal que tu fais en péchant, c'est, comme pour Pierre, le coq qui chante pour provoquer le repentir. Il n'en est pas ainsi lorsque tu choisis toi-même ton repentir. La grâce de Dieu nous est nécessaire pour faire pénitence dignement. C'est elle qui nous aidera à sortir de cet abîme où nous sommes tombés, et de cette vase dans laquelle nous nous sommes embourbés car Dieu purifie et secoure ceux qui se sont souillés dans les vices.

Que celle qui n'a jamais péché nous assiste, nous qui sommes tombés par notre faute et notre libre vouloir, nous qui sommes incapables de nous relever, même si nous nous y efforçons. Pour que la Vierge nous aide à faire pénitence durant ce Carême (qui débute aujourd'hui) supplions-la pour que la grâce nous soit octroyée.

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(5) Job, 42 6.
 
 

Le Christ est une lumière très claire, un guide, un maître.

IVme mercredi de carême 1543.

Voir dans les choses temporelles d'autres spirituelles.

 

Tandis que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (Jo. 9, 5).

Très Révérend, etc.

Ces paroles de début, c'est Notre-Seigneur qui les a dites. Elles se trouvent dans l'Evangile de saint Jean. En langage courant elles signifient : Tandis que je suis dans ce monde, je suis la lumière du monde. Dieu dit qu'il est la lumière du monde. Il est le seul qui puisse le dire. Tandis que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.

Si Dieu ne parlait pas de lui, il n'y aurait personne dans le monde qui le pourrait connaître. Choisissez une de ces deux alternatives : ou vouloir le connaître et Dieu parle; ou bien ne pas vouloir qu'il vous parle et vous restez sans le connaître et sans Dieu.

La parole de Dieu c'est la vie, et Dieu ne peut pas parler sans dire du bien de lui, sans se glorifier pour déclarer sa grandeur. Il ne peut en être autrement. Ce n'est pas de l'imagination mais la vérité : Dieu parle de lui et proclame les bienfaits, les magnanimités et les miséricordes qui sont en lui et le besoin que nous avons tous de lui. Jésus-Christ dit : Tandis que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.

Soyez béni, Seigneur, à jamais, vous qui nous avez fait de si grandes grâces en venant en ce monde, et en restant dans le monde alors que vous en êtes la lumière !

Je ne sais si vous avez réfléchi à ceci : Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? Pour quelle raison le pain que nous mangeons et le vin que nous buvons et pourquoi ces habits qui nous vêtent ? Assurément si, dans ce don, il n'y avait que manger et boire il y aurait peu de différence entre nous et une bête des champs, laquelle mange, boit et jouit aussi de ce que Dieu a créé pour sa subsistance comme pour la nôtre. Mais Dieu a créé tout ceci et l'a donné pour que nous, hommes, nous en fassions usage, que nous ne nous en contentions pas comme des animaux, mais que nous rendions pour ces dons d'infinies grâces à Notre-Seigneur, comprenant qu'il y a pour l'âme une autre nourriture et une autre boisson, d'autres vêtements, une autre lumière, une autre clarté de l'esprit, que laisse comprendre et que représente la matière. En se servant de ces dons, un homme doué de raison doit éprouver de la honte s'il ne voit ni ne sent en elles plus que ne sent et ne voit une bête privée de raison.

Les Juifs étaient charnels, cupides; ils restèrent dans le domaine extérieur, se contentant des cérémonies et de la vie extérieure, ils oublièrent ce qui importe le plus, la vie intérieure. Nous, chrétiens, nous avons fait de même : nous demeurons dans le domaine temporel, nous l'estimons plus que le spirituel; nous nous occupons davantage des biens temporels et périssables que des biens éternels; tout ce qui se rapporte à ce corps nous préoccupe plus que ce qui concerne l'âme et notre salut.

Mo?se errait, gardant son troupeau. Il le guida vers le centre du désert et là il ne vit pas Dieu, jusqu'à ce qu'il eût pénétré au plus profond du désert, dans la partie la plus cachée, il n'eut pas la vision de Dieu et Dieu ne fut pas dans son esprit.

Maintenant puisque vous avez connu Dieu, ou pour mieux dire, puisqu'il vous connaît, comment voulez-vous être les serviteurs des choses viles, pleines de défauts, misérables, et de valeur minime que vous avez? (Saint Paul), (1) Cette sainteté que les prédicateurs vous enseignent, sainteté qui réside en de petits actes simples comme manger tel ou tel mets, vous habiller de telle et telle manière, c'est dans quel but ? Voulez-vous revenir à l'état primitif, comme avant le baptême ? Au baptême on a promis pour vous le renoncement à tous les biens temporels et une vie spirituelle, pourquoi maintenant faites-vous cas de ces riens et de ces apparences ?

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(1) Gai. 4, 9. Saint Paul dit : " Comment retournez-vous à ces pauvres et faibles rudiments auxquels de nouveau vous voulez vous asservir encore ?"  (Crampon).

Quand on vous a baptisés ne vous a-t-on pas versé l'eau sur la tête ? Dans certains pays même l'usage est de plonger l'enfant tout entier dans l'eau. Cela ne veut-il pas dire simplement que toutes ces choses ont été étouffées en vous, que vous êtes morts à l'amour de tous les biens visibles et à toutes les oeuvres de chair pour lesquelles vous viviez et à tout ce qui appartient au monde, votre volonté, vos mauvais désirs, et appétits ? Pourquoi donc vivre maintenant pour ce que nous avons tué par le baptême ? Nous devons être dans le monde comme si nous n'y étions pas, posséder la fortune comme si elle ne nous appartenait pas, être riches et ne pas vivre comme si nous l'étions et, de tous nos biens terrestres que nous avons et qu'on nous offre, retirer de très grandes grâces et louanges à Dieu Notre-Seigneur et du profit pour nos âmes et consciences.

Voici comment nous devons vivre selon le Christ. Tu prends du pain, tu t'en rassasies, tu prends de l'eau, tu te laves, et appropries ton corps.

Une bête ne ferait pas cela sans en rendre grâce à Dieu.

Dieu a créé le visible pour nous faire comprendre l'invisible. Ce pain dont tu te nourris signifie une autre nourriture de ton âme, te nettoyer avec cette eau laisse entendre la pureté que doit avoir ton âme; et tous ces biens visibles que Dieu donne pour ton corps révèlent des biens et des miséricordes plus grands et invisibles qu'il accorde à ton âme. Tu dois beaucoup l'en remercier et dire : Seigneur, pour l'amour de Dieu, vous nourrissez mon corps avec ce pain, nourrissez aussi mon âme de vos mets spirituels, la grâce et la miséricorde; purifiez aussi mon âme et ma conscience. Seigneur, combien sont grands votre savoir, votre pouvoir et votre amour !

" Tu me réjouis, Yahweh, par tes oeuvres; je pousse des cris de joie devant les ouvrages de tes mains. Que tes oeuvres sont grandes, Yahweh, combien tes pensées sont profondes ! L'homme stupide n'y connaît rien et l'insensé n'y peut rien comprendre. " (2)

J'ai vu vos oeuvres et je me suis réjoui, disait David; car tu peux parfois tirer plus de profit de l'argent qui est dans le coffre, des vignobles et des oliveraies que le maître. (3)

Combien d'arrobes de vin tires-tu de tes vignobles ? Cent ?

Cent mille si tu veux. Allez à ces vignes, regardez avec quelle force les sarments sont unis au cep, considérez comme ils restent verts lorsqu'ils sont unis à leur cep, et à quel point ils sont sèches et flétris lorsqu'on les coupe. Dites : " Mon âme est aussi sèche et aussi fanée; si on me coupe et si on m'éloigne de la vigne qui est mon Seigneur Jésus-Christ, serai-je ainsi ? Que deviendrai-je ? Je serai flétri et sec, je rie serai bon qu'à brûler." Si le sarment sec savait parler, il se plaindrait et demanderait à retourner à son cep. Séparé de la vigne, il conterait ses malheurs, ses biens perdus. Songez-y dans la vigne des autres et vous en retirerez plus de profit que son maître en retire avec cent mille arrobes de rente. Vois l'olivier vert, vois comme on en retire un si bon fruit, l'olive, dont on fait l'huile, avec laquelle nous nous alimentons, nous nous éclairons et guérissons nos plaies.

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(2) ps. ça, 5-7.

(3) L'apôtre de l'Andalousie se révèle, comme nous l'avons indiqué dans l'introduction.
 
 

Considère quel arbre Dieu est pour toi, comme il est ta fraîcheur, ta lumière, le feu et la clarté avec laquelle tu t'éclaires, comme il te nourrit, comme il panse et guérit tes plaies et calme ta colère. Et sache bien extraire la moelle de l'arbre car une bête sait faire le reste.

Dans quel but ? Pour bien remercier Dieu de ce qu'il donne pour votre nourriture, votre habillement et bien lui rendre grâce pour tous les biens visibles que vous offre toujours ce monde.

Ainsi ne vous arrêtant pas à ces choses mais comprenant par elles et en elles d'autres choses et d'autres biens spirituels invisibles, vous comprendrez à ce propos le monde que Dieu a créé et comment Notre-Seigneur veut que vous l'entendiez; que tout notre effort doit s'appliquer à connaître Dieu et que cela doit être notre seule occupation. Et comme il sembla à Dieu que la parole de tous les hommes était peu de chose et ne suffisait pas à nous faire comprendre ce qu'il était, il voulut nous faire lire dans la matière.

Jésus-Christ a dit : Une âme sans moi est comme un monde privé de la lumière et de la clarté du soleil.

De même que les yeux du corps ne peuvent voir sans cette lumière du soleil, de même les yeux de nos âmes ne peuvent voir sans la grâce spirituelle de Jésus-Christ. Lorsque vous verrez une lumière, souvenez-vous pour votre vie, de Jésus-Christ qui est la lumière du monde.

Tandis que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.
 
 

Description de l'Eglise.




Mes Révérends Pères,

C'est couvert d'un sentiment de honte que je monte en chaire et je dis avec un sentiment de confusion : si les représentants de Dieu, ceux qui en sont le coeur, ne ressentent pas les maux de l'Eglise, qui les ressentira ? Savez-vous ce que représentent les religieux dans le corps mystique de l'Eglise ? Le Pape est la tête, les chevaliers sont les bras, les religieux sont le coeur. Premier à vivre, dernier à mourir, source de la chaleur, le mieux gardé. Conserve avec vigilance ton coeur, parce que c'est de lui que vient la vie. C'est pour cela, Pères, que vous êtes enfermés dans ce monastère, sous cet habit, les yeux baissés, dans l'humilité, afin de vous tenir sur vos gardes et de vous conserver mieux, comme le feu sous la cendre. Les religieux doivent être tels que si un membre (1) est froid, il doit en s'approchant d'un religieux, s'en retourner réchauffé, et si la foi venait à manquer, on la devrait trouver en eux. Si dans le coeur il n'y a pas de chaleur, où y en aura-t-il ? Si le coeur ne ressent pas la mort de l'Eglise, qui la ressentira ? Pères, dans la religion vous êtes invités à pleurer, non à rire comme Josué, afin de pleurer sur les erreurs du monde. (2)

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(1) Un membre du Christ, allusion à la doctrine du Corps mystique chère à Avila.

(2) On remarquera ici une de ces négligences de style dont Avila, improvisateur la plupart du temps, était coutumier.