HOMÉLIE SUR LA PARFAITE CHARITÉ , SUR LA RÉCOMPENSE PROPORTIONNÉE AU MÉRITE, ET SUR LA COMPONCTION.

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

Cette homélie est avec raison attribuée par Saville à Chrysostome. — Rien d'ailleurs ne permet de distinguer si elle a été prononcée à Antioche ou à Constantinople.

 

1. Importance de la charité, attestée par les ordres de Dieu et les paroles des Apôtres.

2. Ses effets pour la félicité de l'homme , et contre les menées do démon. — La charité, comme toutes les vertus, peut être acquise par notre volonté.

3. Le libre arbitre prouvé par notre conduite de chaque jour, par nos efforts pour arriver au bien, par notre responsabilité.

4. Tableau du jugement dernier, nous devons y penser souvent,pour diriger notre vie : supplice effroyable des méchants, félicité inexprimable des bons.

5. Rien ne peut nous donner une idée de la béatitude céleste.

6. Comment donc nous exposer à la perdre pour les jouissances de la terre. — Ruses du démon qui cherche à trous persuader que Dieu ne tiendra pas ses menaces.

7. Exemple de leur accomplissement, le déluge, la ruine de Sodome et de Gomorrhe, Pharaon enseveli dans la mer Rouge , les Juifs souvent châtiés. — Qu'adviendra-t-il de nous, qui, avec plus de lumières pour nous conduire, sommes tombés dans les plus grands crimes.

8. Dieu nous épargne sur terre pour nous punir plus sévèrement dans l'enfer. — Les païens mêmes ont cru à l'enfer. — Nous devons y croire pour songer à nous en garantir.

 

1. Toute bonne oeuvre est le fruit de la charité : aussi est-il souvent parlé d'elle, le Christ ; ayant dit : « Tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres (Jean, XIII, 35); » et saint Paul proclamant : « Ne devez rien à personne, que de  vous aimer les uns les autres. » (Rom. XIII, 8.) II ne dit pas seulement aimez-vous; il en parle comme d'une dette mutuelle. Nous devons toujours à notre corps des aliments, et toujours nous les lui donnons (c'est un devoir qui s'étend en effet à toute notre vie) : ainsi doit-il être de la charité, nous apprend l'Apôtre, et bien plus encore, puisqu'elle conduit à la vie éternelle . et n'abandonne jamais ceux qui la possèdent. « Trois choses ne passent pas, » dit-il, « la foi, l'espérance et la charité ; mais la charité est la plus grande. » (I Cor. XIII, 13.)

Et ce n'est pas seulement par des paroles, mais par des actes qu'elle nous est enseignée, et en premier lieu par la manière dont nous (500) nous sommes multipliés. Si Dieu n'a créé qu'un homme et s'il a ordonné que tous les autres sortiraient de lui, c'est pour que tous nous nous regardions comme ne faisant qu'un, et que nous nous empressions de nous aimer les uns les autres. En second lieu le commerce, les échanges ont servi à sa sagesse pour amener cette réciprocité d'affection; écoutez comment. En remplissant la terre de biens, il a donné à chaque pays des espèces de fruits qui lui sont propres, pour que la nécessité nous mît en rapport les uns avec les autres, et que l'échange de notre superflu contre ce qui nous manque, établît des liens d'affection entre tout le genre humain. Ainsi a-t-il fait pour chaque homme. Il n'a pas donné à tous de tout savoir, celui-ci sait la médecine, celui-là un art mécanique, d'autres ont d'autres connaissances , afin qu'ayant besoin les uns des autres nous nous aimions tous. Dans les choses de l'esprit on retrouve le même principe appliqué ainsi. Paul nous dit : « A l'un est donné la parole de a sagesse, à un autre la parole de science, à celui-ci le don de prophétie, à celui-là la grâce de guérir, à tel le don des langues, à tel autre le don d'interprétation. » (I Cor. XII, 8, 10.) Mais rien n'est au-dessus de la charité: aussi lui-même la proclame-t-il supérieure à tout, en ces termes : « Si je parle les langues des hommes et celles des anges, sans avoir la charité, je suis comme un airain sonnant, ou une cymbale retentissante ; si j'avais le don de prophétie, la science de tous les mystères, si j'ai la foi, et une foi capable de transporter les montagnes, mais sans avoir la charité, je ne suis rien. » (I Cor. XIII, 12.) Et il ne s'en est pas tenu là : mourir même pour la foi ne sert de rien, dit-il, si vous n'avez la charité. Et ce n'est pas sans raison qu'il parlait ainsi de la charité : il savait, et il savait pleinement, lui qui semait la parole divine, que la charité bien enracinée devait donner comme fruits toutes les vertus. Ces préceptes, « tu ne forniqueras pas, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage (Exod. XX, 13, 16); » et tous les autres sont compris et comme résumés dans celui-ci : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Luc, XIX, 18; Gal. V, 14.) Mais pourquoi énumérer les petits avantages de la charité et se taire sur les plus grands? C'est la charité qui a fait descendre parmi nous le Fils bien-aimé de Dieu, c'est par elle qu'il a habité

et conversé avec les hommes, pour dissiper l'erreur du polythéisme, répandre la connaissance du vrai Dieu et apprendre aux hommes à s'aimer les uns les autres, comme en témoigne saint Jean dans ces mots : « Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son fils unique, afin que quiconque croirait en lui fût sauvé de la mort et possédât la vie éternelle. » (Jean, III, 16.) C'est dans le feu de cet ardent amour que Paul a prononcé cette parole divine : « Qui nous arrachera à l'amour du Christ? les tribulations, la misère,  la persécution, la faim, la nudité, le danger, le fer? » (Rom. VIII, 35.) Puis, méprisant ces épreuves qu'il regarde comme insignifiantes, il passe à de beaucoup plus grandes : « Car, » dit-il, « ni la mort, ni la vie, ni le présent, ni l'avenir, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune créature ne pourra nous arracher à l'amour de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur. » (Ibid. 33, 39.) Aussi rien ne pouvait détourner ce bienheureux de l'amour qui l'embrasait, ni ciel, ni terre, ni mer, ni le royaume des cieux, ni les supplices de l'enfer: il méprisait tout au prix du Christ. Jetons nos regards sur d'autres saints : nous verrons que tous ont plu à Dieu par la charité.

2. La charité vous apprend à considérer votre prochain comme vous-même, à vous réjouir de son bonheur, comme du vôtre, et à souffrir de ses maux comme des vôtres. La charité réunit tous les hommes en un seul corps, et fait de toutes leurs âmes la demeure de l'Esprit-Saint : l'Esprit de paix repose, en effet, non sur ceux qui sont divisés, mais sur ceux qui sont unis par le coeur. La charité rend commun à tous ce qui est à chacun comme il est dit au livre des Actes : « Tous ceux qui croyaient n'avaient qu'un seul coeur, une seule âme; aucun d'eux ne réclamait comme sien ce qui lui appartenait, mais tout était commun entre eux: chacun recevait sa part suivant ses besoins. » (Act. IV, 32, 35.) Est-il une muraille de pierres immenses ajustées et cimentées entre elles, aussi solide, pour résister aux assauts de l'ennemi, que des coeurs unis par la charité, et reliés par la communauté des pensées? Ils résistent. même aux assauts du démon, et il en doit être ainsi. Car ceux qui se rangent les uns avec les autres contre lui, au lieu de s'unir à lui les uns contre les autres, se rendent invincibles à toutes ses entreprises, et dressent ainsi à la charité (501) de magnifiques trophées. De même que les cordes de la lyre, toutes nombreuses qu'elles sont, en concourant à une harmonie unique, produisent une musique délicieuse : de même ceux qui sont associés en une seule pensée, font entendre la voix harmonieuse de la charité. Aussi Paul conseille-t-il de s'accorder en pensées, en paroles, et de croire toujours à la supériorité d'autrui, de manière que nulle rivalité d'ambition ne détruise la charité, mais que de mutuelles concessions établissent la concorde. (Philipp. III, 16, 2,3.) Il dit encore : « Que la charité vous fasse esclaves les uns des autres. Car toute la loi se résume en un mot : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Gal. V, 13, 14; Lév. XIX, 18.) Celui qui aime non-seulement ne veut pas commander, mais il veut obéir : il a plus de plaisir à recevoir des ordres qu'à en donner. Celui qui aime rend plus volontiers un service qu'il ne le reçoit obliger son ami lui paraît plus agréable que d'être l'obligé. Celui qui aime veut rendre service, mais sans le faire sentir : il veut l'emporter en bons offices, mais sans en avoir l'air. Peut-être quelques-uns ne me comprennent-ils pas : je vais m'expliquer à l'aide d'un exemple. Le Seigneur, dans sa bonté, voulait nous donner son Fils; pour ne pas paraître nous accorder une pure faveur, mais payer une dette, il ordonne à Abraham de lui donner son propre fils; de la sorte, au jour où il nous donnerait le sien, il semblerait non pas nous accorder une grâce, mais s'acquitter de ce qu'il devait, avec les trésors infinis de sa bonté. Sans doute mon langage doit paraître étrange à beaucoup. C'est que je parle d'une chose qui se passe dans le ciel. Si j'avais à vous parler d'une plante de l'Inde, que nul de vous n'eût vue, je ne saurais vous la mettre sous les yeux quand j'y reviendrais cent fois : de même aujourd'hui perdrai-je mes paroles . il en est qui ne me comprennent pas. Car c'est dans le ciel, vous disais-je, que pousse cette plante. Mais si nous voulons, nous pouvons la faire germer en nous. C'est pour cela que nous avons appris à dire à notre Père céleste: « Que votre volonté soit faite dans le ciel et sur la terre. » (Matth. VI, 10.)

3. Ne croyons donc pas impossible d'acquérir un si grand bien. Nous le pouvons, oui, nous le pouvons, si nous voulons nous tenir toujours en éveil; que dis-je? nous pouvons embrasser la vertu tout entière. Car nous sommes gouvernés par notre libre arbitre, et non soumis, comme le prétendent quelques-uns, à la fatalité, au destin : vouloir et ne vouloir pas, voilà pour nous la définition du vice et de la vertu ! C'est pour cela que Dieu nous a promis le royaume des cieux, et nous a menacés de sa vengeance. Il n'aurait pas agi de même avec des esclaves du destin: c'est seulement en face des actes de la libre volonté que peut se poser une telle alternative. Il ne nous aurait pas imposé de lois, il ne nous aurait pas adressé d'avertissements, si nous étions liés par la fatalité. Mais comme nous sommes libres, et maîtres de notre volonté, que la mollesse nous pousse au mal, et le zèle au bien, il a imaginé ces secours; et, par la crainte du châtiment unie à l'attente de la récompense, il nous rappelle au devoir et nous apprend à être sages.

Ce n'est pas la seule preuve de la liberté humaine; notre propre conduite montre bien que ni le destin, ni le hasard, ni la naissance, ni la marche des astres n'ont d'influence sur notre vie. Si c'était là la source de nos actions, et non pas notre libre arbitre, à quel titre battriez-vous de verges le serviteur qui vous a volé? à quel titre citeriez-vous en justice votre femme adultère ? Pourquoi rougissez-vous d'une action déraisonnable? Pourquoi ne supportez-vous pas une parole outrageante, et, quand on vous appelle adultère, débauché, ivrogne, ou de tout autre nom de ce genre, pourquoi vous déclarez-vous insulté ? S'il ne dépend pas de vous de faillir, il n'y a ni faute dans ce que vous avez fait, ni outrage dans ce qui vous est dit. Donc puisque vous ne pardonnez pas à qui fait mal, puisque vous rougissez vous-même d'une action mauvaise, et cherchez à la cacher, puisque vous regardez comme un outrage de pareilles accusations, vous reconnaissez par là même que notre conduite n'est pas asservie à la fatalité, mais que nous jouissons du libre arbitre.

A ceux qui ne sont pas libres, nous pardonnons tout. Qu'un homme possédé du démon déchire notre tunique, qu'il nous frappe, non-seulement nous ne le châtions pas, mais nous avons pour lui de la commisération, de la pitié. Pourquoi? C'est qu'il n'a pas son libre arbitre, mais qu'il a agi sous l'influence du démon. Si toutes les fautes étaient ainsi produites par la puissance irrésistible de la fatalité, nous les pardonnerions toutes, mais comme nous savons que cette puissance n'existe (502) pas, nous ne pardonnons pas, maîtres à nos serviteurs, maris à nos femmes, femmes à nos maris, pères à nos enfants, docteurs à nos disciples, princes à nos sujets; mais nous demandons un compte sévère, une réparation de toute faute, nous amenons le coupable devant les tribunaux, nous le battons de verges, nous lui adressons des réprimandes, nous ne négligeons rien pour l'arracher au mal. Nous donnons à nos fils des gouverneurs , nous les envoyons chez des maîtres, nous les menaçons, nous leur infligeons des corrections, nous employons tout pour faire d'eux des gens de bien. Qu'est-il donc besoin de tant de peines et de sueurs pour arriver à la vertu? Si la fatalité a réglé que tel serait honnête homme qu'il dorme et dorme encore; il n'en sera pas moins honnête homme: mais non ! on ne peut pas même appeler ainsi qui serait honnête sans le vouloir ! Qu'est-il besoin de tant de peines et de sueurs pour fuir le mal? S'il a été écrit que tel sera mauvais; se donnât-il mille peines, il sera mauvais : mais non ! on ne peut pas même appeler ainsi qui serait contraint au mal malgré soi. Le possédé, même s'il injurie, même s'il frappe (je reviens à mon exemple), ne passe pas à nos yeux pour faire mal; car ce n'est pas à lui que nous rapportons l'outrage, mais au démon qui le force. De même le méchant, s'il est poussé au mal par la fatalité, ne recevra pas de nous le nom de méchant, pas plus que le bon celui de bon. Les appeler ainsi, ce serait tout bouleverser dans notre vie; ce serait supprimer et la vertu, et le vice, et l'étude des arts, et les lois, et toutes les autres choses de ce genre. Pourquoi donc tant de soins quand noua sommes malades, et tant de dépenses, et des médecins, et des remèdes, et la diète, et la continence ? Si la santé et la maladie dépendent de la fatalité, inutiles sont les dépenses, inutiles les médecins, inutile la diète si rigoureusement observée par les malades. Mais nous voyons assez, par ce nouveau raisonnement, que rien de tout cela n'est inutile. Laissons donc de côté cette fable de la fatalité; non, il n'est pas de nécessité qui règle nos actions : elles sont toutes, comme je l'ai dit, l'oeuvre de notre libre arbitre.

4. Donc, mes frères bien-aimés, par ces considérations et beaucoup d'autres que l'on pourrait faire, mais que je ne ferai point parce que celles-ci suffisent pour un auditoire intelligent, fuyons le vice, chérissons la vertu, pour montrer à l'épreuve que nous dirigeons notre libre arbitre à notre gré, et ne pas être confondu au jour de la révélation suprême. « Il faut en effet, » dit saint Paul, « que tous nous comparaissions devant le tribunal du Christ, pour rapporter chacun nos actions ou bonnes, ou mauvaises. » (II Cor. V, 10.) Je vous en prie, supposons-nous devant ce tribunal, le juge sur son siège, toutes nos actions révélées, et mises au jour. Car il ne suffira pas que nous nous présentions, il faudra que nous nous fassions connaître. Ne rougissez-vous pas ? Ne tremblez-vous pas? Nous souhaitons souvent de mourir, plutôt que de voir une seule faute connue des amis que nous respectons. Quels seront donc nos sentiments, quand tous nos péchés apparaîtront aux yeux de tous les anges et de tous les hommes, et que nous serons nous-mêmes sous leurs regards? « Je te convaincrai, » est-il dit, « et je ferai dresser tes péchés en face de toi. » (Ps. XLIX, 21.) Si, loin de cette scène, en la supposant seulement et l'évoquant par la parole, nous succombons sous le faix de notre conscience, que sera-ce au jour du jugement, quand toute la terre sera là, et les anges et les archanges, et les princes et les puissances, quand les trompettes sonneront de toutes parts et se répondront, quand les justes seront enlevés dans les nuages , et que les pécheurs fondront en larmes? Quelle ne sera pas alors la terreur de ceux qui resteront en terre? Car, est-il dit: « L'une est enlevée, et l'autre est laissée; l'un est emporté , et l'autre demeure. » (Matt. XXIV, 40.) Quelle sera la souffrance de leur âtre, quand ils verront les uns enlevés avec honneur, et eux-mêmes laissés couverts de honte? Non, croyez-m'en, il n'est pas possible à la parole de rendre une telle douleur. Avez-vous vu parfois des condamnés emmenés à la mort? En quel état est leur âme, selon vous, tandis qu'ils cheminent vers la porte de la ville? Que ne voudraient-ils pas faire et souffrir, pour être délivrés de cette poignante douleur? J'ai entendu dire à beaucoup d'infortunés, qui, après avoir été conduits au supplice, avaient été graciés par la clémence de l'empereur, qu'ils avaient l'âme si troublée, si bouleversée, qu'ils ne reconnaissaient plus même les hommes. Mais pourquoi parler de ces malheureux? A l'entour d'eux se tenaient un grand nombre d'hommes, dont la plupart ne les (503) connaissaient pas. Si l'on eût alors sondé l'âme de chacun, on n'en eût pas trouvé un seul assez cruel, assez ferme, assez énergique pour n'avoir pas l'âme abattue et brisée par la terreur et l'angoisse. Si, à la mort d'autrui, sans nul intérêt personnel , les Hommes éprouvent de telles émotions, quand nous-mêmes nous courrons de bien autres dangers, que ressentirons-nous, alors que nous serons bannis du bonheur éternel, et condamnés à un éternel supplice? N'y eût-il pas d'enfer , être chassés d'une si brillante fortune, s'en aller privés d'honneur, quel supplice ne serait-ce pas? Si aujourd'hui nombre d'hommes, voyant l'empereur faire son entrée, et songeant à leur propre misère, ressentent moins de plaisir à contempler un tel spectacle, que de chagrin de n'avoir aucune part à tous ces biens et de ne pas approcher le souverain , que sera-ce alors? Croyez-vous que ce ne sera pas un terrible châtiment de ne pas trouver place dans ce choeur céleste ? de ne pas être jugé digne de cet honneur inexprimable ? d'être rejeté loin de cette assemblée et de ces biens ineffables? Et quand à cela s'ajouteront les ténèbres, les grincements de dents, les chaînes indissolubles, le ver qui ne meurt pas ; le feu inextinguible, le désespoir, la misère, la langue desséchée, comme celle du riche; quand nous pleurerons et qu'il n'y aura personne pour nous entendre ; quand nous gémirons, quand nous tressaillerons de douleur; et que nul n'y fera attention ; quand nous chercherons de toutes parts, et qu'il n'y aura personne pour nous consoler ! à quel rang placer parmi les malheureux ceux qui souffriront ainsi ? Que peut-il y avoir de plus misérable que leurs âmes, de plus digne de compassion ?

5. Si, pénétrant dans une prison, à la vue de ces malheureux décharnés, ou serrés dans les fers, ou enfermés dans les ténèbres, nous tremblons, nous frissonnons, nous n'épargnons rien pour ne pas tomber nous-mêmes dans une telle misère, dans une telle torture; quand nous serons emmenés sous les chaînes aux supplices de l'enfer, que deviendrons-nous ? que ferons-nous? 1-es chaînes n'y sont pas des chaînes de fer, mais d'un feu qui ne s'éteint jamais; nos gardiens n'y sont pas des hommes comme nous, qu'on petit souvent adoucir, mais des anges terribles et implacables, dont nous ne pourrions même supporter le regard, et qui tirent vengeance de nos insultes envers Dieu. Là ni argent, ni nourriture, ni paroles de consolation qui puissent soulager, ni encouragement, mais une inflexible colère. Quand Noé, et Job, et Daniel, verraient leurs proches dans ces tourments, ils n'oseraient les secourir, ni leur tendre la main. Les affections de la nature elles-mêmes disparaissent alors. Comme il se rencontre en effet des justes, pères, d'enfants coupables, et des bons, fils de parents mauvais (car le vice vient non de la nature, mais de la volonté), pour que leur félicité soit sans mélange et qu'au sein de la béatitude ils ne souffrent pas par commisération , toute pitié s'anéantit alors et ils s'indignent avec le Seigneur contre leur propre sang. Si maintenant même des pères, voyant leurs fils livrés au mal, les déshéritent et les retranchent de leur famille, combien plus en sera-t-il ainsi, au jour du jugement ?

Ainsi que nul, s'il n'a fait le bien, n'espère le moindre bien, eût-il mille justes parmi ses ancêtres: «Chacun rapportera, » est-il dit, « ses actions personnelles, ou bonnes, ou mauvaises. » (II Cor. V, 10.) Tâchons donc, je vous en prie, d'entendre et de revenir à la sagesse. Si vous êtes brûlé des feux impurs de la concupiscence, songez aux flammes du supplice et ces feux s'éteindront. Si vous voulez prononcer une parole déshonnête, songez à ces grincements de dents et la peur vous servira de frein. Si vous méditez de prendre le bien d'autrui, entendez le Juge dire : « Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures (Matth. XXII , 13), » et vous repousserez la tentation. Si vous êtes dur et impitoyable, rappelez-vous ces vierges, qui, ayant laissé éteindre leurs lampes faute d'huile, furent exclues de la couche du fiancé, et vous deviendrez bien vite humain. Si vous êtes porté à l'ivresse et aux orgies, écoutez le riche disant : « Envoyez-moi Lazare, » dans l'espérance que du bout du doigt il rafraîchirait sa langue desséchée par le feu, et ne l'obtenant pas ; et vous renoncerez bien vite à votre passion. Et tous vos vices, vous les redresserez de la sorte, car Dieu n'a rien commandé de pénible. D'où vient donc que ses commandements nous paraissent pénibles? C'est par suite de notre mollesse. Avec du zèle, ce qui paraît difficile nous deviendra léger, aisé; avec la mollesse, les choses les plus faciles nous sembleront lourdes.

Faisons ces réflexions et ne jugeons pas (504) heureux ceux qui vivent dans les délices, mais songeons à leur fin; ici-bas ordure et graisse, ailleurs vers de pourriture et feu ; ni ceux qui volent, mais songeons à leur fin; ici-bas inquiétudes et tourments, ailleurs liens éternels et ténèbres extérieures ; ni ceux qui aiment la gloire, car quelle est leur fin ? ici-bas esclavage et apparence , ailleurs damnation et flammes éternelles. Si nous nous entretenions ainsi avec nous-mêmes et si nous ne cessions d'endormir de la sorte nos mauvaises passions, nous ne serions pas longs à fuir le vice et à embrasser la vertu, à éteindre l'amour des biens présents et à nous enflammer pour les biens futurs. Qu'a donc le présent de solide, ou de si remarquable, de si merveilleux, pour y dépenser toute notre ardeur ? Ne voyons-nous pas toujours tout rouler dans un même cercle, le jour et la nuit, la nuit et le jour, l'hiver et l'été, l'été et l'hiver, et rien de plus? Enflammons-nous donc de l'amour des biens futurs. Quelle gloire est réservée aux justes, elle est telle que les paroles ne la peuvent dire ! Ils revêtiront, à la résurrection, des corps incorruptibles, pour partager la gloire et le trône du Christ.

6. L'immensité de ce bonheur, voici comment nous la pouvons comprendre, ou plutôt rien ne nous la fera comprendre; mais à l'aide d'un exemple emprunté aux biens présents, je veux vous en donner une idée, et, autant qu'il sera en moi, je m'efforcerai de mettre sous vos yeux ce qui en a été dit. Dites-moi, si, vieux et plongé dans la misère, on vous promettait de vous rajeunir en un instant et de vous ramener à la fleur même de l'âge, et de vous revêtir, au-dessus de tous les hommes, de force et de beauté; et de vous investir, pour des milliers d'années, de la royauté de toute la terre , et d'une royauté paisible, assurée, que ne consentiriez-vous pas, en vue d'une telle promesse, à faire et à souffrir? Eh bien ! voilà que le Christ vous offre, non ce bonheur, mais un bonheur beaucoup plus grand : car il n'y a pas entre la vieillesse et la jeunesse autant de différence qu'entre ce qui passe et ce qui ne passe pas; entre la royauté et la misère , qu'entre la gloire présente et la gloire future. C'est la distance du songe à la réalité, ou plutôt ce que j'ai dit n'est rien encore : car il n'est pas de parole capable de vous retracer combien ce qui est s'éloigne de ce qui sera. Eu égard à la durée, il n'est pas même possible de se figurer la différence. Comment comparer au présent une vie qui n'a pas de fin ? C'est encore une paix aussi différente de la nôtre, que celle-ci diffère de la guerre ; et ce qui ne passe pas l'emporte sur ce qui passe, comme la perle la plus pure sur une motte de terre. Mais non, tout ce que l'on peut dire ne saurait donner la moindre image de ce bonheur. Comparer la beauté de ces corps éternels aux rayons du soleil , à l'éclair le plus étincelant, ce n'est rien dire qui en rende l'éclat. Pour mériter de tels biens : argent, corps, est-il rien que nous ne devions sacrifier? Que dis-je, nos âmes mêmes? Aujourd'hui, si l'on vous introduisait dans le palais, et qu'on vous obtînt une audience du souverain devant toute sa cour, s'il vous faisait asseoir à sa table, s'il vous associait à sa vie, vous vous proclameriez le plus heureux des hommes; et, quand vous devez monter au ciel , vous présenter devant le Souverain du monde, briller de l'éclat des anges, jouir de cette gloire inaccessible , vous doutez si vous devez sacrifier vos richesses, quand vous devriez, fallût-il perdre la vie même, être transporté d'allégresse, bondir de joie, vous envoler sur les ailes du bonheur? S'agit-il d'obtenir un gouvernement, une occasion de vol (car ce n'est pas pour moi un gain légitime), vous prodiguez vos biens, vous empruntez, quand vous n'hésiteriez pas, s'il le fallait, à donner en gage femme et enfants! Vient-on à vous offrir le royaume des cieux, une puissance qui ne passe pas à un successeur, vous hésitez, vous reculez, vous regardez à l'argent? Et vous ne songez pas, quand la partie du ciel que nous voyons est si belle, si séduisante, à ce que doivent être les régions supérieures, et les cieux des cieux?

Mais puisque les yeux du corps ne les peuvent voir, élevez-vous par la pensée, et vous plaçant au-dessus de notre ciel, tournez vos regards vers ce ciel supérieur, vers ces profondeurs infinies, vers cette lumière inaccessible, vers les nations des anges, vers les rangs des archanges, vers les autres puissances incorporelles; puis, redescendant ici-bas, revenez aux figures de la terre et représentez-vous tout l'entourage de notre souverain terrestre, des hommes chamarrés d'or , un attelage de mules blanches avec des harnais d'or et un char enrichi de pierreries, et les lames d'or qui s'agitent à l'entour, et les dragons brodés sur des vêtements de soie, et les boucliers (505) avec des peux d'or, et les chevaux chargés d'or, et les freins d'or; mais une fois que nos yeux rencontrent l'empereur, nous ne voyons plus rien autre chose: lui seul attire nos regards, par ses habits de pourpre, son diadème, son siège, l'agrafe , les chaussures , la majesté de son visage. Rassemblez donc toutes ces images , puis reportant votre pensée là-haut, figurez-vous le jour terrible de la venue du Christ. Ce ne sera plus un attelage de mules, ni des chars d'or, ni des dragons et des boucliers d'or, que vous verrez , mais un spectacle qui fera trembler et qui produira une stupeur qui gagnera jusqu'aux vertus célestes elles-mêmes; car il est dit : « Les vertus célestes seront ébranlées. » (Matth. XXIV, 29.) Alors le ciel entier s'ouvrira , le Fils unique de Dieu descendra, non pas entouré de vingt, de cent gardes, mais de milliers et de myriades d'anges et d'archanges , et tout sera rempli de crainte et de terreur; la terre se fendra, et tous les hommes qui auront jamais vécu, depuis Adam jusqu'au dernier jour, sortiront de terre et seront enlevés , tandis que le Christ apparaîtra entouré d'une telle gloire, qu'il obscurcira la lumière du soleil et de la lune , offusqués par son éclat. Ah ! quel étrange aveuglement ! Après la promesse d'une telle félicité , s'attacher encore au présent, et ne pas penser à la méchanceté du démon qui, pour si peu de chose, nous ravit de si grands biens , qui nous donne de la boue pour nous dérober le ciel, qui nous montre une ombre pour nous déposséder de la réalité; qui nous abuse par des songes (car les richesses de la terre ne sont autre chose), pour nous laisser, au grand jour, dans une affreuse misère. Ainsi , avertis de ses ruses, mes chers frères, sachons les déjouer , ne nous laissons pas damner avec lui , et que le Juge ne nous dise pas : « Eloignez-vous de moi , maudits; allez aux flammes  éternelles préparées pour le diable et pour ses anges. » (Matth. XXV, 41.)

7. Mais Dieu aime les hommes, dites-vous, il ne nous perdra pas. — Et ces paroles ont-elles donc été écrites en vain? — Non , répliquez-vous, mais seulement pour nous menacer et nous ramener au bien. — Mais si nous ne venons pas à résipiscence, et que nous demeurions dans le mal, dites-moi, ne nous condamnera-t-il pas ? Il ne récompensera donc pas non plus les bons? —Si vraiment, direz-vous, car il est digne de lui de récompenser même  au delà du mérite. — Ainsi les promesses de récompenses seront vraies et se réa lise ront; mais non pas les autres. O démon, que tes artifices sont infinis ! que de haine sous ce faux amour des hommes ! C'est lui qui raisonne ainsi pour rendre la grâce inutile, et attiédir votre zèle. Comme il a vu que la crainte de la damnation est un frein qui contient notre âme, et l'éloigne du mal, il n'est rien qu'il ne tente et ne fasse pour bannir nos terreurs, dans l'espérance que nous courrons ensuite sans rien craindre à l'abîme !

Comment donc triompher de lui ? Tout ce que nous pourrons citer des Ecritures, nos contradicteurs prétendront que c'est pure menace : qu'ils le disent des choses à venir , j'y consens, quoique ce soit une grande impiété ; mais le diront-ils de ce qui est passé , de ce qui est accompli ? Interrogeons-les donc Avez-vous ouï parler du déluge et de cette complète destruction ? N'était-ce encore qu'une menace? n'a-t-il pas eu lieu? ne s'est-il pas réalisé ? n'en avons - nous pas le témoignage dans ces monts d'Arménie , où l'arche s'est arrêtée ? Les débris de l'arche ne sont-ils pas conservés encore pour notre instruction ? Beaucoup d'hommes tenaient en ce temps-là même langage; et pendant les cent ans que l'on mit à construire l'arche, à ajuster les bois, malgré les avertissements du juste , il n'était personne qui le crût : mais pour n'avoir pas cru aux paroles de menace, les pécheurs subirent tous ensemble un châtiment trop réel !  Or celui qui les frappa d'un tel supplice , n'en fera-t-il pas tomber sur nous un plus cruel encore? Nos fautes ne sont certes pas moindres. Alors ils s'adonnaient à des relations défendues : « Les fils de Dieu, » est-il dit, « se sont approchés des filles des hommes (Gen. VI, 2) ; » aujourd'hui il n'est sorte de crime qui n'ait été commis.

Mais, si vous le voulez bien, passons à d'autres exemples de châtiment, pour affermir parle souvenir des faits passés la croyance aux faits à venir. Est-il quelqu'un de vous qui ait été en Palestine ? Je n'en doute pas. Vous serez donc vous-mêmes les témoins de ma véracité. Au-dessus d'Ascalon et de Gaza, à l'embouchure même du Jourdain, s'étendait une contrée vaste et fertile, qui rivalisait avec le paradis du Seigneur: «Loth, » est-il dit, «vit tout autour du Jourdain une contrée arrosée par les eaux comme le paradis du Seigneur. »  (506) (Gen. XIII, 10.) Et maintenant, entre toutes les régions désertes, elle est la plus désolée. Si des arbres s'y élèvent et y portent des fruits, ces fruits sont comme un monument de la colère divine. Ce sont des grenades d'une apparence magnifique, de l'aspect le plus séduisant pour qui ne les connaît pas ; mais une fois cueillies et ouvertes, au lieu de chair, elles ne laissent dans la main que cendre et poussière. Ainsi en est-il de la terre, et des pierres, et de l'air même. Tout y est brûlé, tout y est réduit en cendres, comme pour rappeler à la fois la colère passée, et avertir du supplice futur. Sont-ce encore des menaces en paroles ? N'est-ce qu'un vain bruit de mots? Si l'un de vous ne croit pas à l'enfer, qu'il réfléchisse à Sodome, qu'il se rappelle Gomorrhe, et ce châtiment si reculé dans le passé qui dure encore. En le racontant, l'Ecriture sainte dit de la sagesse : « C'est elle qui, au milieu des impies frappés de mort, sauva le juste et le déroba au feu  qui descendait sur les cinq villes. » (Sag. X, 6-7.) Elle dit encore : « En témoignage du crime la terre déserte fume, et porte irrégulièrement ses fruits. » Or il nous faut voir ce qui leur a valu ce châtiment. Ils avaient commis un crime, grave sans doute et exécrable, mais un seul. Ils se livraient à l'amour des jeunes gens, et voilà pourquoi ils ont été consumés par une pluie de feu ; maintenant des milliers de crimes non moindres, que dis-je ? plus épouvantables, se commettent, et l'embrasement ne se renouvelle pas? Pourquoi? C'est qu'un autre feu s'apprête, un feu qui ne s'éteindra jamais. Comment en effet Celui qu'une seule faute mit dans un tel courroux, et qui n'accueillit pas les supplications d'Abraham, qui ne se laissa pas désarmer par la présence de Loth, après tant de crimes, nous épargnera-t-il? Non, il ne le saurait, il ne le saurait.

8. Mais ne nous arrêtons pas encore ; citons d'autres supplices, pour établir plus solidement ce que nous avançons par plusieurs preuves. Vous connaissez,tous le roi d'Egypte Pharaon; vous savez donc quelle peine il a subie, comment avec ses chars et ses chevaux, avec son armée tout entière, il fut enseveli dans la mer Rouge. Mais entendez aussi les châtiments des Juifs; c'est Paul qui parle : « Ne forniquons pas, comme certains d'entre eux, qui périrent en un jour au nombre de vingt-trois mille ; ne murmurons pas comme certains d'entre eux, qui tombèrent sous la main de l'exterminateur; ne tentons pas le Seigneur, comme certains d'entre eux, qui furent dévorés par les serpents. » (I Cor. X, 8, 9, 10.) S'ils ont ainsi payé leurs fautes, que sera-ce de nous ? Ah ! si nous ne sommes pas punis maintenant c'est pour cela surtout qu'il nous faut trembler, ce n'est pas pour échapper à l'expiation, mais pour en subir une plus terrible, si nous ne changeons pas, que nous sommes réservés. Ils ne connaissaient pas l'enfer, et voilà pourquoi ils ont été châtiés ici-bas; mais nous, pour toutes nos fautes, si nous ne sommes pas punis dans la vie présente, nous payerons dans la vie future. Serait-il raisonnable que des hommes, encore dans l'enfance de l'humanité, aient été si durement punis, tandis que nous, qui avons joui d'un enseignement plus complet et qui avons commis des fautes beaucoup plus graves, nous échapperions au châtiment? Voulez-vous entendre encore le reste de leurs infortunes, ce que les Israélites, habitant la Palestine, ont souffert des Babyloniens, des Assyriens, des Macédoniens ? Les famines, les pestes, les guerres, les captivités qu'ils ont supportées sous Titus et sous Vespasien? Lisez le livre de Josèphe sur la prise de Jérusalem, et vous apprendrez cette tragique infortune. Car sans parler de leurs autres misères, ils tombèrent dans une famine si terrible qu'ils mangeaient leurs ceintures, leurs chaussures, et puis encore la nécessité leur faisait mettre tout sous la dent, comme dit le même historien. Et ils ne s'en tinrent pas là, ils allèrent jusqu'à manger leurs propres enfants. Comment donc, quand ils ont payé si cher leurs fautes, nous qui sommes plus coupables, échapperions-nous à la peine? S'ils ont été châtiés alors, pourquoi ne le serions-nous pas aujourd'hui ? N'est-il pas visible même pour un aveugle que c'est parce que le châtiment nous est réservé dans l'avenir, comme il a été dit souvent ?

Réfléchissons encore à ce qui se passe en cette vie, et nous ne refuserons pas de croire à l'enfer. Car si Dieu est juste et ne fait pas acception des personnes, et il en est ainsi, pourquoi donc parmi les assassins, les uns payent-ils leur crime ici-bas, et les autres non? Pourquoi les uns expient-ils leurs adultères, tandis que les autres meurent impunis? Pourquoi tant de violateurs de tombeaux échappent-ils à la peine? tant de voleurs ? (507) tant d'avares? tant d'artisans de rapine? S'il n'y avait pas d'enfer, où subiraient-ils leur peine ?

Nos contradicteurs sont-ils convaincus que la menace de l'enfer n'est pas une fable? C'est si bien la vérité que poètes et philosophes et conteurs ont écrit sur la rémunération future, et ont dit que les méchants sont punis dans l'enfer. Car s'ils ne pouvaient en parler en toute vérité n'ayant, sur ces matières, d'autres données que les principes de la raison et quelques ouï-dire, échos affaiblis et altérés de nos doctrines, du moins ont-ils conçu une certaine image du jugement. Ils parlent du Cocyte, du fleuve Pyriphlégéthon, de l'eau du Styx, du Tartare situé aussi loin de la terre que. celle-ci l'est du ciel, et de mille autres sortes de supplices ; puis des Champs-Elysées, des îles bienheureuses, de prairies émaillées de fleurs, de parfums pénétrants, d'un air subtil, de chœurs formés en ces lieux , revêtus de vêtements blancs, chantant des hymnes, en un mot, d'un sort heureux ou malheureux, réservé aux hommes après cette vie. Gardons-nous donc de ne pas croire à l'enfer de peur d'y être jetés car celui qui n'y croit pas, se relâche ; et celui qui se relâche y sera inévitablement condamné. Croyons-y sans hésitation, et parlons-en sans cesse et nous ne serons pas prompts à faillir. Les souvenirs réveilles par de tels discours, semblables à un remède amer, seront capables de chasser le vice, s'ils sont toujours présents à notre âme. Recourons à ce remède pour nous purifier, pour être jugés dignes de voir Dieu, comme il est donné aux hommes de le voir, pour jouir des biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Gloire à lui dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. MOSSOT.

 

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