La Résurrection

Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. (Jean XI, 25, 26)

Rien n'est impossible à Dieu. L'homme de foi n'a aucune difficulté à croire à la résurrection de Jésus, à celle de Lazare et à celles opérées par les apôtres. Le Seigneur tout-puissant, qui a créé les univers et donné la vie à des milliards d'êtres, serait-Il incapable de la redonner à un corps inanimé ? La réponse à une telle question ne peut faire l'objet d'un doute.

Le mystique ne s'embarrassera donc pas du soin de rechercher les preuves de la résurrection du Christ, pour étayer sa foi en Lui. Il n'examinera pas si les prophètes de l'Ancien Testament et Jésus Lui-même ont prédit cette résurrection, si elle a été constatée par Marie-Madeleine, puis par les apôtres à diverses reprises et par les cinq cents disciples réunis ; si elle a été toujours la base de la foi chrétienne, depuis la primitive Eglise. Il ne s'arrêtera pas à considérer l'authenticité indiscutable des Evangiles. Pour lui, il trouve ses certitudes ailleurs et quelles certitudes !

L'exégèse savante ne fait que nourrir l'orgueil mental et, par conséquent, éloigne de la pauvreté en esprit, indispensable pour la descente de la vraie foi en nous.

Laissons donc ces études compliquées et considérons le fait capital de la résurrection, au point de vue de sa réalisation dans nos âmes, point de vue que le Sauveur nous révèle Lui-même dans le verset cité en exergue :

Je suis la résurrection et la vie, dit-il à Marthe, au moment de ressusciter Lazare. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais.

Méditons ces paroles lumineuses et nous y trouverons la clef du mystère de la régénération.

Celui qui croit en moi vivra. Par cette affirmation le Maître semble faire consister le salut exclusivement dans le fait de la foi.

Auparavant, aux Juifs qui Lui demandaient : Que devons-nous faire pour réaliser les oeuvres de Dieu ?  n'a-t-Il pas répondu : L'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en Celui qu'Il a envoyé. (Jean VI, 29) ( En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle ? (Jean VI, 47)

Les tenants de la doctrine que la foi Seule justifie s'appuient sur ces versets et d'autres analogues, pour étayer leur opinion. C'est qu'il y a malentendu, dans leur esprit, sur la portée du mot foi , comme nous allons le voir. Après avoir dit Celui qui croit en moi vivra , le Seigneur ajoute Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Il faut donc non seulement croire, mais vivre dans le Christ. N'a-t-Il pas déclaré ensuite : Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort ? (Jean VIII, 51)

C'est que la foi qui n'est pas vivifiée par les oeuvres n'est pas sincère. C'est une tartuferie, qu'on nous pardonne l'expression. Comment peut-on prétendre croire, quand, par sa vie, on inflige un perpétuel démenti à la foi ? Serait-il vrai que je crois en Dieu, Créateur omniprésent, par Qui tout existe et par la permission de Qui tout arrive, Qui prend soin du moindre vermisseau, et Qui peut instantanément toutes choses, si je tremble devant le moindre danger, si je crains, tout le temps, de manquer du nécessaire, si je refuse d'aider mon frère actuellement dans le besoin, de peur d'y tomber moi-même, plus tard, cependant que j'ai, peut-être, de quoi me suffire pour des mois ?

Je ne me laisserais certainement pas aller à la colère contre mon prochain, pendant que nous sommes, tous deux, en présence d'un grand de ce monde. Et cependant je m'y laisse aller à tout instant, en prétendant croire que Dieu me voit et m'entend !

C'est donc que je n'ai pas la vraie foi; elle n'est, chez moi, qu'une adhésion du mental à un credo que j'accepte, tant qu'il ne dérange pas mes habitudes et mes faiblesses et que je rejette, en fait, dès qu'il comporte des sacrifices que je ne veux pas m'imposer.

Non, la foi dont parle Jésus, celle dont un grain de sénevé suffit pour transporter les montagnes , n'est évidemment pas ce qu'on entend ordinairement par ce mot et qui n'est qu'une opinion commode, adoptée sans trop de réflexion et sans qu'on se croie obligé d'aller jusqu'aux conséquences pratiques qu'elle comporte.

Le critérium de la foi vivante est le sacrifice, donc l'oeuvre bonne, l'abnégation de soi. Elle est, d'ailleurs, une vertu surnaturelle que les efforts de l'intelligence seule ne peuvent pas procurer. Notre raison, conditionnée dans l'espace et le temps, ne peut saisit que ce qui rentre dans les cadres de l'espace et du temps, c'est-à-dire dans la Nature; l'Absolu lui échappe, le Surnaturel la dépasse; elle ne peut pas L'étreindre, mais Lui peut Se révéler librement à qui Il veut, car Il est le Maître. Or Il Se révèle aux humbles et aux pauvres en esprit, à ceux qui ont reconnu le néant d'eux-mêmes et de leur savoir; à ceux qui ont fait taire les dernières voix d'orgueil de la volonté personnelle, par une obéissance totale à la volonté divine, qui ont mâté l'orgueil de la raison, par une foi nue qui se passe de preuves, qui n'est pas appuyée sur des arguments.

Exiger des signes pour croire, c'est mettre son intelligence au-dessus de celle de Dieu ; c'est rendre impossible, par le fait même, la réception de la foi, en opposant une fin de non-recevoir à ce que, précisément, l'on désire obtenir. On prétend chercher l'Absolu et on veut Le circonscrire, à l'avance, aux bornes étroites de notre compréhension, au lieu d'attendre que Lui-même veuille bien Se révéler à nous. C'est un peu la quadrature du cercle que l'on tente de réaliser ; comment l'inférieur, le limité pourrait-il embrasser l'Infini ?

L'humilité est donc indispensable et nous n'y arrivons que par les oeuvres de l'amour fraternel qui détruit peu à peu l'orgueil dont nous sommes tout pétris, en nous dépouillant de la préférence instinctive et incoercible que nous avons pour nous-mêmes. C'est en nous essayant au soulagement du prochain que nous expérimentons combien nous sommes loin de cette humilité, Combien nous manquons d'amour pour les autres et jusqu'à quel point nos sentiments sont souvent ceux de la bête fauve. Nous éprouvons alors le repentir, commencement du chemin qui mène à Dieu ; l'enfant prodigue se décide à retourner vers la maison paternelle, c'est-à-dire vers le domaine de la foi.

D'où l'on peut conclure que la vraie foi est inséparable de l'humilité et de la charité et que, sans elles, elle ne justifie pas. De même, la justification par les oeuvres seules ne serait pas efficace, car il y manquerait l'élément surnaturel ; la bienfaisance ne suffit pas au salut. Des oeuvres apparemment bonnes peuvent, en effet, être inspirées par l'orgueil du moi, par la satisfaction personnelle de se savoir meilleur que d'autres et le secret espoir d'en être récompensé ; ou enfin, par une certaine attitude stoïcienne qui cache une déification de soi. Le disciple authentique ne suppute aucune récompense pour lui : il se sacrifie par amour. Il ne conçoit de ses travaux aucune fierté; il sait que c'est Dieu l'auteur de tout bien ; son moi est réduit à un simple instrument d'obéissance et il rapporte au Ciel tout ce qu'il arrive à faire d'utile aux autres.

Une telle humilité n'est pas une attitude artificielle ou hypocrite ; elle est sincère, profondément vraie, car le mystique, dont le regard intérieur est illuminé par la Grâce, voit que c'est Dieu qui vit au fond de chacun et qui fait tout le travail positif du grand oeuvre de la régénération ; ne s'attribue pas de mérite. Au contraire, il sait, par l'expérience de ses chutes et de ses fautes inévitables, que, laissé à lui-même, il ne pourrait que se perdre et perdre un grand nombre d'êtres autour de lui.

Sachant cela, il se réfugie dans le réduit de la pauvreté spirituelle. Et plus il s'abaisse, plus clairement lui apparaît l'action divine en lui et hors de lui, ses yeux béatifiés ne peuvent soutenir un tel éclat et, débordant de reconnaissance, il se prosterne dans la poussière et adore. Et aussi plus il se dépouille, plus il est comblé par son Seigneur. Tel est le processus de la régénération, par lequel, insensiblement mais inlassablement, le Verbe divin Se substitue au disciple dans tous ses organes, jusqu'au jour où ce dernier pourra dire : Ce n'est plus moi qui vie, c'est Jésus qui vit en moi. (Saint Paul)

Cette régénération est une résurrection car c'est une rénovation de tout l'être, par laquelle une nouvelle vie selon l'Esprit, selon la Lumière, remplace l'ancienne, celle de la matière, qui n'était que ténèbre, qu'un simulacre de vie.

C'est ainsi que i-on peut comprendre les paroles de Jésus qui sont d'une vérité objective, quand Il S'écrie : Je suis la résurrection et la vie ! (Jean XI, 25) et encore : Je suis le pain vivant, qui suis descendu du Ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que je donnerai, est ma chair pour la vie du monde. (id. VI, 51, 52) Car ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui. (id. VI, 56, 57)

Et le Maître a bien spécifié qu'il fallait comprendre ces paroles, non selon la lettre, mais d'après l'esprit, car, connaissant en Lui-même que Ses disciples murmuraient à leur sujet, Il a ajouté : C'est l'esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie. (id. VI, 64)

Il ne s'agit donc pas, là, de la transsubstantiation matérielle du pain et du vin au corps et au sang du Christ, mais bien de la régénération mystique dans laquelle tout l'être du disciple est renouvelé, y compris ses organes matériels.

La différence de cette régénération avec la résurrection de Jésus, c'est que celle-ci s'est faite immédiatement, parce qu'Il est parfait dès l'origine, tandis que celle du disciple se fait lentement, au fur et à mesure de sa purification. L'autre différence capitale, c'est que Jésus triomphe spontanément de la mort, étant Lui-même le Principe de la Vie et de toutes choses, tandis que la nouvelle naissance du mystique se fait par la grâce et par l'action du Fils unique en lui; c'est pourquoi il demeure dans la profonde conviction de son propre néant.

Telles sont les réflexions que peut nous suggérer ce glorieux anniversaire des fêtes pascales. Nous qui aspirons à devenir des disciples, convenons également de notre totale ignorance et de et travaillons de toutes notre radicale incapacité nos forces, par amour pour Celui qui est la Résurrection et la Vie .