- VIII -

Dédoublement de la personnalité

Suggestions à échéance

 

 

Arrivé aux trois phénomènes étranges, le Père Coconnier conclut d'avance à leur naturalité, parce que, dit-il, « ils ont leurs analogues ou tout au moins leurs éléments dans les faits notoirement naturels ». – Hélas, le Révérend Père a compté sans les différences qui s'opposent à toute assimilation.

Écoutons-le, d'abord, dans le dédoublement de la personnalité, là où l'hallucination hypnotique brille dans tout son éclat : « On nous parle d'hallucinations, et on s'exclame sur l'étrangeté de pareils événements. Mais rien n'est plus commun chez les hommes distraits, préoccupés, et chez les somnambules. Si un homme est sous le coup d'une vive émotion, ou s'il a simplement une absence, il passera près de vous, vous regardera en face et ne vous verra pas. Il se heurtera à un mur, se déchirera la figure ou la main, recevra un coup, une blessure et ne s'en apercevra pas. Faut-il rappeler l'histoire d'Archimède, les stupéfiantes aventures de M. Ampère, et du docteur Robert d'Hamilton, d'Aberdeen ? Hallucinations positives, hallucinations négatives, amnésies, mais c'est de tout cela qu'est faite l'histoire quotidienne du somnambulisme naturel. Pourquoi se croire obligé d'en appeler au diable, quand on rencontre ces faits dans l'hypnose qui n'est qu'un somnambulisme artificiel ? »

Le Père Coconnier a tort de dire que l'hypnose n'est qu'un somnambulisme artificiel : il y a tout un monde de différences entre le somnambulisme naturel et l'hypnose. - Puis, il n'est pas besoin du diable pour démontrer que les hallucinations hypnotiques ne sont pas des hallucinations ordinaires : c'est qu'à côté des hallucinations spontanées qui peuvent exister dans l'hypnose, toute espèce d'hallucination est invinciblement provocable de par l'hypnotiseur, c'est-à-dire qu'à côté de l'halluciné se trouve un hallucinateur.

Il est facile de provoquer une hallucination sur le terrain hypnotique : il est impossible de le faire sur le terrain physiologique et même pathologique. Pouvez-vous, par exemple, présenter un verre d'eau pure à un passant de la rue, et lui faire croire qu'il boit du Champagne ?- Serait-il possible de reproduire chez un autre individu les stupéfiantes aventures d'Ampère ?- Il vous est interdit de provoquer la moindre hallucination dans le somnambulisme naturel et chez les fous. En physiologie, comme en pathologie, les hallucinations sont exclusivement spontanées, tandis que dans l'hypnotisme on les fabrique à volonté et de toute pièce.

Puis, les hallucinations de l'hypnose sont invincibles comme la suggestion, si invincibles que les sujets, sachant qu'il y a hallucination, sont obligés de la subir. Il n'en est pas de même des hallucinations physiologiques, soit pendant la veille, soit en plein rêve. Il n'est pas impossible aux distraits, aux préoccupés, aux rêveurs, de corriger eux-mêmes leurs illusions, ce qui est d'expérience quotidienne.

Mais, chose incroyable, il y a dans l'hypnose un fabricant d'hallucinations, l'hypnotiseur. Seul omnipotent, maître absolu de l'intelligence et de la volonté de son sujet, il peut lui faire croire tout ce qu'il veut, le faire agir à son gré, même le déterminer à l'acte immoral ou criminel, tant sont faibles les résistances. Maître des cinq sens, il peut les lier, les délier à volonté, et leur faire subir toute espèce d'illusions. Quelle puissance extraordinaire ! Et de l'autre côté, l'esclavage absolu, avilissant. Le sujet est devenu automate, mannequin, une véritable amusette. La plaque photographique conserve l'impression des objets qu'on lui présente : le serf de l'hypnose, une fois réveillé, n'a même pas le souvenir de ses hallucinations, tandis que nous tous qui rêvons chaque nuit, nous gardons au moins souvenance de nos rêves.

Conclusion : rien de plus extranaturel que l'hallucination hypnotique provoquée : elle est sans analogue en dehors de l'hypnose.

 

Quoi de plus étrange que les suggestions à échéance ! – Commander à un sujet hypnotisé d'accomplir tel acte dans dix jours, soixante-trois jours, cent jours, dans cent soixante-douze jours et trois cent soixante-cinq jours (chiffres donnés par les expériences) ; et pendant tous ces laps de temps, aussitôt après son réveil, le sujet aura oublié la commission prescrite, il ne s'en souviendra qu'au jour indiqué, à l'heure précisée; et alors il l'accomplira fatalement. Il saute aux yeux de tous, à ce simple exposé, que les phénomènes à échéance sont tout à fait contre nature, à moins de renier le sens commun.

Cependant le Père Coconnier ne voit aucune raison de tenir ce genre de suggestion pour extranaturel. Pour le démontrer, il passe encore la parole à un autre abbé.

« Ce phénomène, dit Mgr Méric, implique trois éléments : une suggestion, la conservation et la permanence de cette suggestion dans le cerveau inconscient de l'hypnotisé et enfin son accomplissement au jour indiqué.

L'hypnotisé reçoit la suggestion ; il la reçoit comme s'il recevait le même ordre, tout éveillé.

Il garde la suggestion pendant un temps : il la garderait également en état de veille.

Il exécute la suggestion ; il aurait agi de même, s'il avait reçu l'ordre, étant éveillé. » (Hœc, Mgr Méric.)

 

Oserai-je dire il ce vénéré seigneur que son explication n'en est pas une, se bornant à expliquer le fait par le fait ; qu'elle n'est qu'une comparaison et que cette comparaison cloche sur toute la ligne : ici, tout logicien dira : Nego paritatem.

Vous oubliez trois éléments essentiels qui font la disparité et rendent ces suggestions extranaturelles :

1° La suspension invincible de la mémoire pendant un longtemps donné ;

La résurrection invincible de cette mémoire à un moment prophétisé ;

3° L'accomplissement fatal de l'acte, qu'il soit ridicule, immoral ou criminel.

 

Comprenez-vous maintenant, mon Révérend Père, que ces suggestions ne sont pas comparables, qu'elles sont sans analogues ?