- XIV -

L'hypnotisme diabolique

 

 

Le diable existe. Comme Dieu, il est le grand article de foi du genre humain. Sa puissance est incontestable ; reste à savoir s'il l'exerce dans l'hypnotisme.

A elle seule, la stigmatisation hypnotique prouve déjà que le diable est dans la place. Y est-il toujours ? Non. Sa présence est contingente ; visible seulement aux yeux de l'esprit, elle se démontre par un ensemble d'effets hypnotiques.

Il est permis d'employer l'hypnotisme dans le traitement des maladies : le Père Lehmkuhl en a donné les raisons théologiques (1). Toutefois l'application en est fort restreinte ; elle a peu ou point pénétré dans la pratique médicale. L'École salpêtrienne ne croit ni à sa valeur ni à son avenir. Les résultats ont été surfaits.

Si l'hypnotisme est licite en quelque cas, il ne s'ensuit pas qu'il le soit toujours. L'Église et les médecins en ont posé les conditions chacun à leur manière : l'Église au point de vue du diabolisme ; la science médicale au point de vue des dangers.

II est interdit de conclure des guérisons obtenues par hypnose à l'absence de tout diabolisme dans l'hypnotisme. L'hypnotisme bienfaisant est un trompe-l'oeil qui égare beaucoup de bons esprits dans cette question.

Hors le cas de maladie, l'hypnotisme est illicite et habituellement diabolique. Pratiqué en passant par amusement, l'hypnotisme de salon, sauf les dangers possibles, ne paraît pas être sous l'action diabolique : il n'en est pas de même de celui pratiqué assidûment dans le but de provoquer les phénomènes supérieurs, à l'aide de médiums spéciaux et perfectionnés ; ici, on est en plein diabolisme.

A côté de l'hypnotisme thérapeutique qui n'est qu'un très petit côté de la question, il existe donc un hypnotisme diabolique. Les deux n'en font qu'un, mais ils diffèrent par les effets. L'hypnotisme appliqué aux maladies n'est pas un terrain favorable à l'action diabolique pour deux raisons : le malade qui veut guérir n'abandonne sa liberté que dans un but moral ; puis il n'est pas à l'état de médium perfectionné, espèce éminemment diabolisable. L'application thérapeutique n'est pas un appel au diable.

L'hypnose peut même être considérée comme un moyen naturel, mais tout moyen naturel peut devenir diabolique, et c'est le cas de l'hypnotisme appliqué à d'autres recherches que celles de la guérison. Le R. P. Franco qui déclare l'hypnotisme préternaturel et diabolique, n'a jamais prétendu que le diable y fut toujours présent ; mais il a affirmé son immixtion, surtout dans les phénomènes supérieurs.

Au reste, i1 faut juger cette question à l'aide des deux grands critères de la mystique : Probate spiritus an ex Deo sint - a fructibus eorum cognoscetis eos. Il en ressortira un esprit qui ne vient pas de Dieu, et des fruits ou effets qui ont une origine diabolique ; ce qui peut s'établir par de fortes présomptions, autant que par des preuves directes.

 

D'abord, il est étonnant qu'après quelques simagrées de passes, de regard ou une simple invitation à dormir, on puisse obtenir un sommeil en réalité extraordinaire. Il y a là toute disproportion entre l'effet et la cause apparente ; il va de soi que ce sommeil n'a pas pu naître d'une simagrée.

Puis, ce prétendu sommeil n'a été obtenu que par l'aliénation complète de la liberté humaine ; ce qui est immoral et coupable. De sorte que, dès ses débuts, l'hypnotisme entre en scène à l'aide d'un moyen à disproportion suspecte et se constitue d'emblée dans l'état mauvais, c’est-à-dire qu'il naît dans le péché et se trouve sous l’empire du démon.

Et de cet état extraordinaire, on va retirer les effets les plus surprenants, rien que par la parole ; parole qui suggérera une idée, un acte ; fera croire et faire au sujet tout ce que voudra l'hypnotiseur qui n'a qu'à parler pour être obéi.

L'action diabolique se présume encore de l'étrangeté des phénomènes ou de leur extranaturalité, déjà longuement exposée.

Considérez, en outre, que l’homme hypnotisé perd non seulement son intelligence, son libre-arbitre, sa mémoire, mais encore toute dignité. Devenu chose de l'hypnotiseur, il subit un esclavage que n'a pas connu l'esclave antique, une dégradation analogue ou supérieure à la démence, au crétinisme, à l'idiotie. N'est-il pas permis de soupçonner dans cette dégradation extraordinaire une influence, une action diabolique.

Le Dante semble avoir entrevu les humiliations de l'hypnotisme, quand il représente dans les enfers le serpent s'enlaçant au corps du pécheur, l'étreignant dans ses spires, paraissant ne faire plus qu'un avec lui, tant il l'a compénétré, et finissant par lui dire : « Je veux que tu rampes comme moi. » Tel est le génie diabolique.

 

Que dire des dangers de l'hypnotisme ?

Ils ont été affirmés par la science et même par les gouvernements qui ont interdit les hypnotisations publiques comme péril social. C'est que l'hypnotisme produit parfois les maladies les plus terribles, comme l'épilepsie, les convulsions, la folie, l'idiotisme et même la mort subite en pleine hypnose. – Or, il est extraordinaire qu'après avoir plongé un sujet dans le sommeil hypnotique à l'aide de quelques passes ou autres moyens inoffensifs, il puisse s'ensuivre les maladies les plus graves et même la mort. Evidemment, il y a disproportion de cause à effet; et puis, rien d'analogue dans toute la pathologie humaine. Donner pour explication le détraquement du système nerveux, la dépression du coeur, etc., ce sont là des mots qui n'expliquent rien et non des leçons de choses.

Peut-on invoquer ici une action démoniaque ? Incontestablement, si l'on s'en réfère à l'histoire de la mystique divine et diabolique, terrain fort expérimental. Elle nous apprend que le diable est le méchant absolu, qu'il tâche non seulement de séduire l'homme par les superstitions, de fausses visions, de faux miracles, des pratiques occultes, mais encore de lui nuire en sa personne et jusque dans ses biens.

Il est donc rationnel de présumer l'action diabolique, en se basant sur la disproportion entre la cause et l'effet, sur l'étrangeté des phénomènes, sui les humiliations et les dangers de l'hypnotisme. Cette présomption va devenir certitude par des preuves plus directes. – Je me borne à trois.

 

Ce sont d'abord les phénomènes transcendants de l'hypnotisme qui ont été niés si légèrement par le Père Coconnier. – Dans son ardeur à pourfendre le Père Franco, il a oublié qu'il existait une mystique divine et une mystique diabolique ; que ces mêmes phénomènes transcendants se rencontraient dans les deux mystiques. Il a oublié surtout que le diable était le grand singe des oeuvres de Dieu ; qu'il les contrefaisait incessamment, et que ces contrefaçons constituent la mystique diabolique, comme les faits divins constituent la mystique divine.

Et, maintenant, il va de soi que les phénomènes de lévitation, de clairvoyance, de télépathie... et même d'exsudations sanguines, que l’on rencontre dans l'hypnotisme, ne proviennent pas de Dieu, mais seulement de l'esprit contrefacteur. Donc l'hypnotisme, où se produisent ces phénomènes, est nécessairement diabolique. – Cette conclusion s'impose, ou bien il faut nier les deux mystiques.

 

Et maintenant qui ne connaît les expériences de Crookes, l'illustre physicien anglais ? – Grâce à ses médiums, il a pu entendre des coups frappés, des sons  de toute espèce, provenant d’êtres invisibles ; il a vu des accordéons jouer tout seuls sur place, s’élever même tout seuls en l’air, continuant leur musique ; des meubles marcher à son commandement, s’élever aussi contre les lois de la pesanteur. Bien plus, ont apparu devant ses yeux des mains lumineuses, il a pu les tenir et les serrer dans sa main propre.

Je passe bien d’autres faits. Tous se sont produits en présence de nombreux témoins, en toute rigueur scientifique, à l’abri de toute fraude et supercherie. Ils ont été contrôlés et reproduits part nombre d’observateurs de toutes nationalités. L’authenticité de ces faits est chose jugée.

Fort de ses belles expériences, Crookes a conclu que tous ces phénomènes étranges étaient nécessairement gouvernés par une intelligence. Pour nous catholiques, quelle est cette intelligence, sinon l’esprit mauvais et contrefacteur ?

La démonstration scientifique du diable, faite par Crookes, est confirmée par les aveux des spirites qui reconnaissent et proclament la même intervention des esprits dans les phénomènes obtenus par les médiums. Donc, l'hypnotisme est diabolique (2).

 

 

(1). Il est évident que l'hypnotisme est illicite non seulement lorsqu'il est opposé à la vertu de religion, mais encore lorsqu'il n'a pour but qui la satisfaction d'une vaine curiosité. Mais s'il faut l'employer comme remède, faut il aussi le repousser. Le R. P. Lehmkuhl hésite fortement à croire à  l'efficacité de ce remède; mais, cette efficacité une fois admise, il ne voit point sur quelle base on s'appuierait pour infirmer la licité du procédé. Serait-ce en disant que l'illicité consiste dans la manière de procurer l'état hypnotique ? Mais il n'y a point d'injure, le consentement étant mutuel, soit de la part de l'hypnotisant, soit de la part de l'hypnotisé ; il n'y a pas non plus de superstition, les effets auxquels on vise étant purement naturels. Ou bien sera-ce en disant que l'illicité consiste dans les effets de cet état hypnotique ? Mais on agit pour un motif grave, on s'entoure de toutes les précautions voulues. Donc, l'hypnotisme, au point de vue médical, ne saurait être absolument condamné.

Le Père Ignatius Serra S. J., qui a publié à Barcelone les Disquisitiones scholastico-dogmaticae du Père Val Carajoana, n'accepte pas l'opinion de son confrère allemand. Pour lui, l'usage de l'hypnotisme est illicite, non seulement quand ses effets sont certainement diaboliques, mais aussi lorsque ses effets sont probablement naturels, et qu'on l'emploie à la cure de certaines maladies : si intime, dit-il, est en effet la connexion entre les phénomènes simples et les phénomènes de l'hypnotisme, et sa pratique est l'occasion de tant de dangers qu'on ne saurait avoir le moindre doute sur son origine diabolique. (Extrait de L'Univers du 8 janvier 1897.)

(2) Sur cette question des phénomènes transcendants, il faut lire Crookes et le R. P. Lescœur : La science et les faits surnaturels contemporains. Paris. 1897. Roger-Chernovitz.