V

THÉOPHANE  À  STELLA



      Vous êtes accourue, Stella, où vous croyiez que j'étais, et, derrière la lourde porte, seule la voix d'un chien enfermé vous a répondu. Voyez comme les choses extérieures sont l'exact symbole des choses intérieures. N'êtes-vous pas aujourd'hui, au milieu de votre luxe, de vos fêtes et de vos courtisans, comme une pauvre créature abandonnée, qui cherche anxieusement son maître, qui croit le reconnaître sans cesse et qui retombe de désillusions en secrètes désespérances, perdant peu à peu jusqu'au courage même de se relever, tandis que les échos de votre douleur étaient les seules réponses que vous receviez de tout ce vaste univers qui semble ne vous avoir jamais connue.

N'en croyez rien, cependant; tout au contraire, une multitude sans nombre d'yeux attentifs et sympathiques regarde votre misère et y compatit. Le monde extérieur que vous avez seul aperçu jusqu'ici, par ses formes les plus hautes et ses plus splendides magnificences, n'est qu'un pale reflet, qu'une enveloppe grossière et rongée par la corruption d'autres mondes plus purs et plus beaux; ces sphères inconnues sont peuplées d'êtres prestigieux qui, comme les filles de Jérusalem la Sainte, sont les spectateurs apitoyés de vos erreurs, de votre lutte dans la ténèbre, et de vos souffrances. Ah ! si votre corps est beau, votre âme l'est aussi, mais seulement par l'attrait de ses larmes; vous ne fûtes rien jusqu'à ce jour qu'un instrument de luxure, qu'un prétexte de convoitises et de cupidités; cependant cette matière vile cache le germe du diamant que vous deviendrez peut-être un jour.

Cette obscurité secrète où vous errez, elle n'est pas hors de vous seulement, elle est aussi en vous; elle vous oppresse, vous torture, vous accable mystérieusement; les baisers n'ont plus de saveur, les doigts se lassent de la caresse des étoffes et les yeux des merveilles de l'art; en vous s'agenouille, se lamente et sanglote une pleureuse voilée que les larmes suffoquent. Regardez cette pleureuse, écoutez sa lamentation, Stella; c'est la forme qu'a prise, pour vous, Celui qui se tient au centre du monde comme le piquet d'une tente, le formidable Architecte qui sculpte les pierres avec la foudre; Celui qui prend la matière dans le creux de Sa main, qui l'y écrase et qui en fait jaillir de longs jets sanguinolents d'entre Ses doigts impitoyables. Il est immobile pendant que les sphères tournent autour de Lui; Il est muet, mais Ses yeux distribuent les éclairs vers les quatre bornes du monde; Il est invisible, mais les palais qu'Il construit sont splendides au dehors et sombres au dedans.

Ne haïssez pas cet ouvrier, Stella, bénissez sa main et désirez ressentir encore et longtemps la déchirure de ses ongles.