IV
 
COMMENT SE FAIRE ENTENDRE DE DIEU
 
 
     On emplirait des bibliothèques à rassembler tout ce qui a été écrit sur la prière. Tous ces conseils sont utiles, et chaque suppliant présente sa requête comme il le peut. Je me bornerai ici aux indications indispensables.

     Prier n'exige, en somme, qu'une seule condition, mais essentielle : c'est que notre voix monte jusqu'à Dieu. Je ne parle pas par métaphore ; vous entendez bien qu'il s'agit de tout autre chose que de méditation, ou d'auto-suggestion, ou de concentration volontaire. La prière est un cri d'appel et rien d'autre. Le tout, c'est de se faire entendre.

     Or, de tous les êtres, c'est Dieu qui nous est le plus proche, parce qu'Il est au centre de nous-mêmes. Mais nous pouvons être, et nous sommes trop souvent loin de Lui.

     Pour nous faire entendre, notre cœur doit parler la langue du Ciel, et ce langage, c'est la charité ; notre personne doit prendre conscience de son néant, et dans ce vide intérieur l'infini se précipite à flots. Ainsi, croire ne suffit pas ; croire en Dieu et ne pas Lui obéir, voilà comment font trop de chrétiens. Je préfère ceux qui prétendent ne pas croire et qui obéissent à la loi divine. La prière sans la charité préalable ne peut rien ; tandis que la charité sans la foi émeut tout de même le Ciel. Souvenez-vous des admirables histoires de l'Enfant prodigue et du bon Samaritain. Ce n'est pas la foi qui engendre la charité, c'est la charité qui engendre la foi ; la foi n'est pas une opinion du cerveau, c'est une conviction du cœur. Avoir foi en quelqu'un, ce n'est pas croire que cette personne existe ; c'est avoir confiance en elle, et lui vouer toute fidélité.

     La foi signifie amour de Dieu, comme la charité, amour des créatures. Ces deux flammes grandissent l'une par l'autre, et s'alimentent mutuellement. Vivre, c'est sortir de soi. Par la charité vous sortez hors de vous-mêmes, vers le monde en détresse ; par la prière vous sortez en dedans de vous-mêmes, vers le Père très bon qui aime vos efforts.
 


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     Ensuite il faut être humble. Dieu n'écoute pas les orgueilleux, ceux qui se croient forts ou savants ou adroits. Personne ne peut se croire tel, s'il n'a jamais jeté un seul coup d'œil sur l'énormité des puissances qui nous écrasent et sur l'immensité des inconnus qui nous entourent. Cela, c'est le niveau raisonnable de l'humilité, c'est le plus simple. Il faut encore ne pas se croire meilleur ou plus intelligent que ses camarades ; c'est déjà plus difficile et nécessite une certaine connaissance de soi-même, avec pas mal d'expériences désagréables, car ceux-là seuls sont indulgents qui ont souffert.

     Rares sont les disciples qui descendent à cette espèce d'humilité, par laquelle on s'estime le dernier des hommes, le moins bon, le moins intelligent, le moins digne d'intérêt, par laquelle on entraperçoit que « nous n'avons rien que nous ne l'ayons reçu », comme le dit l'Apôtre. Par laquelle aussi on trouve justes les calomnies, les injures, les attaques les plus injustes ; on les reçoit avec joie et, loin de les fuir, on va au-devant d'elles. Ceci dépasse l'opinion commune ; cet abaissement est difficile d'une difficulté surhumaine ; on ne peut pas descendre tout seul le long de ces pentes à pic ; il y faut le bras d'un ange ou le pourchas d'un démon ; au reste, ange et démon n'arrivent jamais l'un sans l'autre. Soyez donc sans crainte. Quand on a goûté la liqueur douce-amère de l'humiliation, un tel changement s'opère dans les principes de notre être que nous en venons à aimer le persécuteur, à le remercier, à demander aux bénédictions du Ciel de descendre sur sa tête ; nous savons avec certitude qu'il nous est bienfaisant.

     Bien que tout ceci puisse paraître manquer de mesure, souvenons-nous combien nous sommes incapables et infirmes. Notre orgueil, en vérité, est illogique ; cette force selon le moi, est de la faiblesse selon l'Esprit. Le dernier mot de notre superbe libre arbitre, c'est le mot de la Vierge : « Qu'il me soit fait selon Votre volonté ». Et, dès que cet abandon est consenti, quelque chose d'inconnu, d'obscur et de très fort se lève en nous. Cette énergie mystérieuse, c'est la foi.

     Tout au moins sa chrysalide ; la confiance en Dieu est nécessaire quand on prie.
 
 

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     La foi emporte la prière jusqu'à Dieu. Si vous saviez ce que c'est que la foi, plus rien ne vous paraîtrait difficile. Quand Jésus affirme que la foi peut déplacer les montagnes, Il ne parle pas par métaphore, Il énonce un fait physique. Quand Philippe de Néri, je crois, ordonne à un maçon qui tombe d'une tour de s'arrêter et que cet homme reste suspendu à mi-chemin ; quand le curé d'Ars envoie la directrice de son orphelinat visiter le grenier vide, et qu'elle le trouve rempli de sacs de blé, ces saints possédaient de la foi « gros comme un grain de chènevis ». Ils n'avaient pas appelé d'esprits, ni prononcé de mantrams ; ils avaient demandé au Père et le Père avait envoyé des anges.

     Ainsi la foi est bien en nous une force divine, surnaturelle, qui crée là où il n'y a rien et qui trouve là où il n'y a rien de créé. Cette magnifique et complète définition est de Jacob Bœhme, le savetier. Comment celui qui n'est pas sûr que Dieu lui accordera veut-il recevoir ? Est-ce que l'irrésolution, la timidité, la crainte, le scepticisme n'empêchent pas tous les jours des milliers d'hommes de réussir dans ces entreprises temporelles si faciles au regard des efforts du combat spirituel ?

     Le doute est une des grandes armes du diable. Si la foi représente la réalisation actuelle d'une des vertus de l'éternité, le doute est l'illusion mentale d'une des apparences du temps. Quand on se trouble devant un obstacle, on se prépare une chute certaine ; mais si on l'envisage avec résolution, il s'évanouit. Un sceptique n'arrive jamais à rien, à moins qu'il n'ait foi dans son scepticisme. Que ne ferait pas l'homme qui croirait en Dieu de toutes ses forces, puisque, pour avoir cru en un autre homme, en une femme, en une idée, certains ont accompli des gestes héroïques ?

     Il est difficile d'avoir la foi, dites-vous ? Non, cela ne vous paraît impossible que parce que vous avez lié vous-mêmes les mains de votre esprit ; vous vous êtes vous-mêmes enfermés dans un cachot où vous gémissez. Veuillez avoir la foi, et vous l'aurez à l'instant ; chassez l'hésitation, et vous agirez comme si vous aviez la foi ; chassez l'orgueil et vous verrez que le doute n'est pas autre chose qu'un mirage qui intercepte les communications divines. Alors votre foi ne sera pas, comme celle des surhumains, le poison le plus mortel à votre âme, elle sera au contraire son tonique tout-puissant.

     Et puis, nous ne sommes pas seuls. Notre ami est là. Il prie avec nous ; Il est le désir de la demande, le messager et la réponse. Sa personne tout entière n'est qu'une vaste symphonie de demandes. Quand autrefois Il bénit cette terre de Sa très douce présence, Ses paroles, Ses pensées, Ses actions furent toutes des prières irrésistibles.

     Chaque cellule de Son corps, chaque étincelle de Son être interne fut une Prière vivante. Ce qui prie en nous, comprenez-le donc, c'est Son esprit ; et nos soupirs n'ont de vertus qui si nous nous sommes au préalable incorporés en Lui, par l'habitude de nos sentiments, de nos pensées et de nos actes, tous offerts à Son service.

     Cette confiance que je vous demande de créer en vous - car on peut tout sur soi-même - et qui est indispensable à l'exercice du sacerdoce mystique, ce n'est pas la foi intellectuelle, c'est la foi vivante, celle qui affronte chaque jour l'impossible dans la vie pratique ; celle qui demeure sereine dans les pires catastrophes ; celle qui fixe la mort sans ciller et dont l'aspect des plus noirs démons ne ralentit pas la marche. Cette foi-là, les plus grands d'entre les hommes ont tout juste fait quelques pas sur la route qui y conduit et cependant je vous invite avec instance à la créer en vous ; elle est plus proche de nous actuellement qu'au moyen âge ; elle couve ; un effort et elle S'allume. Faites cet effort à la première occasion.
 
 

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     La quatrième condition nécessaire pour que la demande soit entendue, C'est d'être sur le chemin de la Paix. Le Ciel est le monde de la paix. Il faut pardonner à ceux qui nous ont fait du mal, non seulement aux hommes, mais à toute créature, aux événements, aux invisibles, aux idées, aux sentiments, aux choses. Nous ne pouvons jouir de cette mansuétude que si nous avons confiance que le Père ne donne pas d'épreuve injuste. Quand nous voulons Lui parler, oublions un instant nos ennuis ; nous pourrons ensuite les soutenir avec plus de calme et mieux les combattre. Et le pardon est le meilleur anesthésique pour apaiser nos souffrances d'amour-propre.

     En cinquième lieu, il faut s'adresser au Ciel dans un sentiment de reconnaissance et pour les bonheurs et pour les malheurs. Si les uns sont des moments de repos, les autres sont les uniques moyens de notre avancement, puisque nous craignons encore l'épreuve.
 


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     Sixièmement, il faut être attentif à ce que l'on dit ; il faut l'être parfaitement ; non seulement d'intelligence, mais de cœur et de corps. Cette condition est difficile à réaliser, car nous sommes essentiellement distraits. Le manque d'attention est un manque de ferveur. Être attentif, c'est vouloir ; et impossible de vouloir sans aimer. En vérité l'Amour est la clef de toutes les portes.

     Pour lutter contre la distraction, priez à haute voix ; si votre cœur est sec, priez en méditant, c'est-à-dire en réfléchissant avec votre raison logique sur chaque parole prononcée, la pesant et l'examinant.

     On peut prendre, au cours de la journée, quelques précautions efficaces pour développer le pouvoir d'attention. S'abstenir de paroles inutiles, éviter les pertes de temps, repousser la rêvasserie et, par-dessus tout, se corriger de ses défauts. Devenir saint. Ces deux mots contiennent le secret de tous les développements moraux, spirituels et même intellectuels ; mais, hélas ! Je crains que la recette ne soit trop simple ; le mystérieux a tant d'attrait pour nous !

     Il suffit d'écarter les distractions avec le plus grand calme, sans se lasser. Si trois heures s'écoulent avant d'avoir pu dire convenablement le Pater, ç'auront été trois heures excellemment employées ; aucun effort ne se perd.
 
 

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     En septième lieu, la persévérance. Que la parabole du juge inique nous instruise. Ce qu'on n'a pas obtenu en une semaine, on l'obtiendra peut-être au bout d'une année ; si notre voix n'a pas été entendue au bout d'un an, elle le sera peut-être au bout de trente. Les vieux rishis indous, pour prendre la place d'un simple dieu, faisaient pénitence durant des dizaines de siècles ; nous, qui sommes certains que le Maître des dieux Lui-même S'incline à notre voix, nous pouvons bien, après une distraction ou une tiédeur, recommencer notre demande, dussions-nous nous priver de sommeil cette nuit-là.
 


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     En résumé, dans la prière, ce n'est pas tant son intensité qui importe que sa préparation. Si je consacre un quart d'heure par jour à dire des noms de malades, il faut d'abord que je consacre les vingt-trois heures trois quarts qui restent à vivre dans le Ciel, à vivre en disciple parfait. Alors mon esprit sera plus près de Jésus, et il me suffira de Lui exposer mes désirs tout simplement, tout bonnement, sans me mettre dans des états extraordinaires.

Cet ensemble de conditions doit finir par vous paraître passablement difficile, compliqué. Ce n'est qu'une apparence. Dans le spirituel, bien plus encore que dans le matériel, tout est un, partout. Soyons assurés que la prière la plus imparfaite reste toujours utile, aucune prière n'est jamais perdue.
 


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     Ceux qui croient que, parce qu'ils se sont voués au Christ, leur vie doit être tranquille et monotone se trompent. Ceux qui croient que, parce qu'ils se sont voués au Christ, leur vie doit être un long martyre se trompent encore. Les uns et les autres n'ont raison que sur ce point : de s'être voués au Christ. Mais, puisqu'ils se sont donnés au Christ, de la toute-puissance et de la toute-bonté de qui ils sont certains, de quoi s'inquiètent-ils donc ? Puisqu'ils sont dans la main du Père, qu'ils fassent à fond leur devoir, qu'ils demandent pour tout, cela suffit. S'Il exauce, c'est bien ; s'Il refuse, c'est bien ; s'Il envoie l'épreuve, c'est bien ; s'Il envoie quelque bonheur, C'est bien.

  
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