LETTRES

CATHOLICISME, PROTESTANTISME, EGLISE INTERIEURE

A un Pasteur.

Le Figaro parle longuement de votre conférence, à laquelle je n'ai pas pu assister, et de laquelle il m'a été impossible de me procurer un compte-rendu. Toutefois la lecture de l'article de M. de N., dont j'ai tout lieu de tenir les grandes lignes pour exactes, m'a suggéré quelques réflexions, que je prends la liberté de vous écrire, parce que je fonde plus d'espoir sur la tolérance accueillante d'un pasteur que sur la conviction théologique d'un prêtre.

Votre tentative, Monsieur, est digne du souffle d'apaisement qui traverse l'aurore du vingtième siècle. Mais comme vous le voyez fort bien, vous autres partisans du libre examen, vous êtes les incarnations d'un principe métaphysique que l'on pourrait appeler, si la croyance aux universaux ne vous fait pas sourire, la Volonté humaine, concue comme individualisation, progrès, liberté, spontanéité. Tandis que les catholiques sont traditionalistes par définition, se cantonnant dans l'héritage du passé, et ne peuvent faire autrement sous peine de voir tout leur édifice dogmatique crouler d'un coup.

Vouloir unifier ces deux principes, ce serait vouloir fondre l'inerte et le mobile, le centrifuge et le centripète, l'attraction et la répulsion, d'autant plus que tous deux, catholiques ou protestants, vous êtes tels pour des raisons bien plutôt politiques et sociales que religieuses.

Or, vous-même, Monsieur, en tant que pasteur, vous savez évidemment comme j'espère que les prêtres catholiques savent aussi, vous devez les uns et les autres savoir, de science intuitive, profonde, fidéique et certaine, comme ministres, c'est-à-dire serviteurs et témoins c'est à dire observateurs, -- vous devez savoir, dis je, que parmi les mouvements mystérieux qui relient le visible et l'invisible, le plus important et le plus central, c'est cette opération de l'Absolu qu'on appelle la Providence, par quoi Dieu s'occupe spécialement de répondre aux aspirations les plus hautes des hommes, - sans les contraindre en rien - et de leur présenter les moyens de sortir des fondrières où ils s'embourbent trop souvent, soit à cause de leur attachement aux chaînes fatidiques du passé, soit à cause d'un furieux entraînement par les tourbillons révolutionnaires de la volonté.

Dans le cas actuel, il me semble - pardonnez moi ma franchise - il me semble que pour les protestants, ces fondrières sont : la division indéfinie des sectes, puisque l'essence du mouvement volitif est de fragmenter, d'individualiser, et une emprise du rationalisme, qui, j'ai cru l'observer chez beaucoup de pasteurs, aboutit à l'oblitération du sens divin de l'Évangile. En ne reconnaissant plus dans son Sauveur qu'un homme et dans les miracles que des symboles ou des oeuvres scientifiques; et de là à l'anti-christisme des initiations orientales, il n'y a qu'un pas.

Chez le catholique, cette oblitération, cette hypnotisation sur le passé, conduit à une aggravation du formalisme, à un meurtre de l'Esprit par le rite, à l'intronisation d'un dieu trop à l'image du césarisme politique, enfin à une léthargie fatidique dont toutes les forces vives du présent subissent l'influence engourdissante.

Vous ne pourrez donc vous entendre ni sur les formes du culte, puisque l'Église romaine les juge indispensables, ni sur la théorie théologique, puisque vous êtes, -- chaque parti -- les représentants d'une force ethnique opposée. Les seuls terrains d'entente seraient en haut, quant à l'essence spirituelle du Christianisme, la divinité du Christ - et encore ! - ,et en bas, quant au domaine de l'action : l'oeuvre essentiel de la morale : la charité.

Ainsi, les conférences entre les théologiens de l'une ou l'autre Église, ne seront guère fructueuses. Voici vingt siècles que l'on discourt et que l'on raisonne; les parleurs ne sont pas réalisateurs; tâchez plutôt de trouver deux saints, un dans chaque église; c'est-à-dire deux hommes praticiens et non plus théoriciens, deux hommes à la volonté forte, au bon sens vigoureux, qui aient réalisé chacun l'idéal religieux de sa foi. Mettez les en présence; ils ont cultivé le sens de la vie réelle; ces deux-là s'entendront certainement, immanquablement; et puisque leur existence tout entière n'est qu'une évocation incessante de la Providence divine, -- sans quoi ils ne seraient pas saints -- à force d'avoir offert à l'Unité l'holocauste de leurs fatigues physiques et morales, ils réaliseront cette unité suprême, ils sauront lui construire un corps organique dans le collectif social; ils auront quelques chances d'émouvoir, de convaincre et le Consistoire et le Sacré Collège, de faire tomber les chaînes politiques, les chapes de pierre du préjugé, qui ligotent les gens de bon vouloir.

Aujourd'hui tout est à la sauce " méthode expérimentale "; sauce excellente quand il s'agit de phénomènes sensibles, mais incompétente quant aux phénomènes du monde mystique; or le plus grand savant n'arrive déjà pas à cataloguer toutes les forces qui collaborent à la fabrication d'un microbe. Et le sociologue, le théologien croient pouvoir dénombrer les forces, des millions de fois plus complexes et plus subtiles qui concourent à modeler une âme collective nationale ou religieuse ? Non, pour maîtriser la matière, employez les forces et les lois de la matière; mais pour cultiver votre Esprit immortel, évoquez l'Esprit éternel. Et le rite tout puissant, ce n'est pas le discours, c'est l'acte.

Qu'est ce que la religion ? L'échelle par quoi nous espérons monter de ce monde corruptible et muable, matériel et meurtrier, au monde de l'harmonie et de l'immortalité ?

La religion, par en haut, est donc une; c'est par en bas qu'elle se divise; si nous voulons l'union, cherchons la donc en haut ou au centre de nous-mêmes et du monde; non pas en juxtaposant les fragments ici bas, mais en les mettant à la refonte sous le feu invisible de l'Esprit. En un mot, sachez que Dieu est un Dieu vivant.

Ces choses-là, vous les connaissez et expérimentez certainement, Monsieur; je n'ai pas l'outrecuidance de croire vous les apprendre. Mais au spectacle de vos efforts vers l'Entente des deux grandes églises occidentales, le souvenir de toutes les autres tentatives qu'ont déjà faites les plus généreux idéalistes -- ces mystiques vrais et sains qui étaient en même temps des hommes de sens et d'action, -- le souvenir de tous ces vieux efforts m'est revenu, irrésistiblement, et quoique, sans y être autorisé, j'ai tenu, en vous disant mon admiration et ma profonde sympathie; à marquer votre geste comme continuant la tradition de lumière et de paix de cette Église Intérieure, vers laquelle, depuis Notre Jésus, se sont portés avec tant de ferveur, les soupirs des âmes les plus pures.

La feuille ci-jointe n'est que pour vous montrer, car mon nom vous est certainement inconnu, combien la question religieuse et mystique me préoccupe.

10 Mai 191O.

 
LA VOIE ÉTROITE

A Madame E. S.

Le plus saint des hommes n'est jamais digne du moindre regard de Dieu; et ce n'est que lorsque l'on se juge indigne de la bonté du Ciel que les Anges peuvent atterrir auprès de nous. Ainsi donc je puis vous dire et vous pouvez vous croire avec certitude digne d'essayer d'entrer par la porte étroite. Aurez-vous assez d'énergie, vous demandez-vous ? C'est la question qu'il ne faut jamais se poser quand on juge une entreprise bonne au point de vue de Dieu. Le possible n'est pas intéressant; c'est l'impossible qu'il faut tenter. Agissez d'abord; ne vous demandez pas avant si vous pouvez faire l'effort; nous ne sommes pas dans le monde des affaires; nous sommes dans le plan où le désir de Dieu est souverain; que vous mouriez à la peine, cela n'a pas d'importance; au moins vous aurez fait quelque chose de valable; la vie ne vaut la peine d'être vécue que si on la dépasse.

En quoi consiste la voie étroite ? Elle est une et innombrable. " Si quelqu'un veut venir à moi, dit le Maître, qu'il renonce à soi et qu'il me suive ". Les commentaires de cette parole qui, à mon gré, correspondent le mieux à vos habitudes intellectuelles, sont Gichtel -- Théosophia Practica, et Vie et pensées, et, si vous voulez bien passer sur la faute de goût qu'il y a pour un auteur à nommer ses livres, mon Bréviaire.

23 Avril 1911.

 
" OUBLIEZ LA SCIENCE ÉSOTÉRIQUE. PRIEZ "

A Monsieur M. G.

Le fait que vous avez cru spontanément à mon affirmation que la pure doctrine évangélique n'était pas entre les mains des R. C. me prouve l'existence en vous d'une certaine Lumière. Les Brahmanes ne possèdent pas la vérité. Le système du Dr Steiner est un christianisme platonicien -- brahmanique. C'est encore de l'externe.

Simplifiez-vous, oubliez votre science ésotérique; priez. Jésus-Christ n'est pas R. C., ni Bodhisattva; c'est le Verbe, le fils de Dieu, l'Absolu dans une entité humaine. Si ce qu'Il a dit est vrai, il est toujours vivant, allant et venant dans le monde, en esprit et parfois en corps, comme il y a 20 siècles.

Priez-le. Demandez-lui. Puisque vous lisez déjà mon petit Bréviaire, relisez le comme il est écrit, sans symbolisme, au sens matériel. Mes Conférences sur l'Évangile vous aideront peut-être, mes Tempéraments, la préface des Lettres à Salzmann et les Pensées de Gichtel. Surtout priez; et pratiquez la purification morale, du coeur.

La pipe d'Andréas ? Les régimes sont inutiles; être végétarien, s'abstenir d'alcools donne un corps plus innocent, plus végétatif, mais ne sert à rien dans la voie centrale. Lisez l'Évangile : purifiez votre coeur et tout vous sera pur. Tout est réglé : l'air que j'inspire, le rôti, le tabac, me viennent parce qu'ils me sont destinés; ils me seront peut-être l'occasion d'une lutte, d'une chute; ce n'est rien; j'aurai fait un effort. On n'entraîne pas l'athlète en le mettant dans du coton, mais en lui donnant des exercices gradués. Or, c'est se mettre dans du coton que se " purifier " extérieurement sous prétexte qu'on agira plus efficacement quand on sera un adepte.

Dès qu'un homme s'est dit du fond du coeur : Je veux servir le Christ, des serviteurs du Verbe accourent autour de lui et préparent tout : nourriture, vêtements, événements, idées, etc, dans l'invisible pour le développer; cet homme n'a qu'à s'inquiéter d'être bon. Le reste se fait sans lui. -- Et tout ce que le destin nous envoie, tout ce qui est licite, il faut le faire parce que on fait du bien à ces êtres, en les faisant passer par l'individualité humaine. Seulement n'agissez que pour servir Dieu. Priez avant d'agir.
 

*

Méthode de prière

1°) S'enfermer.
2°) Choisir l'attitude, debout, à genou ou prosterné, à laquelle on se sent incliné.
3°) Dire à Dieu que l'on se met en Sa présence.
4°) Oublier les préoccupations. Créer en soi l'humilité, puis la confiance, puis le calme.
5°) S'échauffer le coeur en récapitulant rapidement tous les bienfaits du Père envers le monde, -- envers le genre humain, -- envers soi même. Tout ce que Jésus-Christ a fait pour nous, -- pour le genre humain, -- pour la création.
6°) Exciter le désir de collaborer à l'oeuvre divine.
7°) S'humilier profondément.
8°) S'offrir à Dieu depuis la moelle des os jusqu'à la cime de l'esprit, de tout son coeur et si possible jusqu'aux larmes.
9°) Pardonner du fond du coeur, du fond de l'intelligence et même du fond de la vitalité corporelle à tout être et à toute chose.
10°) Réciter l'Oraison dominicale avec tout le feu et toute l'attention possibles, sans rechercher de sensations psychiques, dans la nudité obscure de la foi.
11°) Persister jusqu'à ce qu'on ait pu dire la prière sans distraction.
12°) Prendre des résolutions précises.

Pour les actes de la journée comme la toilette, les repas, etc. suivre les indications du Bréviaire Mystique.

Avant un travail particulier.

1°) Se mettre dans le calme, dans la confiance et dans l'humilité.
2°) Dieu me voit, Jésus est à côté de moi.
3°) S'accuser de ses fautes, en bloc.
4°) Se repentir avec douleur.
5°) S'offrir à Dieu.
6°) Lui demander de l'aide.
7°) Oublier un instant tout ce qu'on sait pour laisser venir l'inspiration.
8°) Se mettre au travail.
9°) Revoir, examiner et corriger ce travail de son mieux.
10°) Remercier le Christ.

Examen de conscience.

1°) Remercier Dieu pour tout ce qu'il a donné dans la journée, en plaisirs et en peines.
2°) Demander le souvenir des fautes et Le Repentir.
3°) Récapituler la journée heure par heure.
4°) Chercher ce qui m'a déplu chez autrui et me convaincre que cela existe chez moi.
5°) Regarder mon ingratitude, ma traîtrise, ma ressemblance avec Judas.
6°) Regrets jusqu'aux larmes.
7°) Résolutions précises et spéciales à formuler pour le lendemain.
8°) Se tenir comme un pur néant et demander le secours de Dieu.
 

Dans le cours de la vie.

Se tenir dans la plus grande simplicité et nudité intérieure, Pas de contraction ni de raideur de volonté. Se tenir tellement un avec le Ciel, garder la sensation vive de la Présence Divine, vivre avec liberté, paix, confiance aimante.

Avec mes meilleurs souvenirs et ma plus cordiale sympathie.

15 octobre 1911

 
LE MERVEILLEUX

A Monsieur G. M.

L'instinct du merveilleux, comme tous les germes que la Providence a déposés dans l'esprit de l'homme, peut nous mener vers la Lumière ou vers les Ténèbres. Sa culture réclame des soins attentifs, et d'abord du discernement.

On donne de notre temps une place trop prépondérante à l'intelligence; Aristote qui ne fut que rationaliste gouverne l'Église, puisque la Somme est construite sur sa méthode. Et, dans la laïcité, tout le monde répète le mot d'Emerson : La pensée mène le monde. Or, Emerson aussi n'est que rationaliste; il ignore le coeur et l'objectivité invisible; il est anti-évangélique. Et cette idolâtrie universelle du mental empêche nos coeurs d'apercevoir l'ineffable figure de notre Jésus. Le sauvage qui pressent derrière la montagne, sous la forêt, au fond de l'eau, les batailles de créatures invisibles, est bien plus proche du véritable merveilleux que le psycho-physiologiste qui manipule des enregistreurs ou aligne des équations. L'un et l'autre sont pourtant nécessaires à la conquête de la Connaissance, mais le savant fait un long détour, tandis que le sauvage monte droit à l'assaut.

Les miracles les plus inexplicables sont ceux qui fleurissent spontanément sous nos pas. Un mort peut il revenir ? L'esprit peut-il agir à distance ? Comme ces questions paraissent oiseuses à celui qui a ouvert tout grands les yeux sur la Vie ! La Vie matérielle, multiforme, inépuisable, envahissante. Quelle existence qui s'anéantisse ? Quelle est la créature qui n'influe pas sur son milieu ? Pourquoi donc la vie de l'homme s'anéantirait-elle ? Pourquoi l'esprit de l'homme ne posséderait-il pas de rayonnement propre ?

Vous tous, Spirites, magnétiseurs, psychistes, magistes, occultistes, vous cherchez au loin, dans l'ordre de la distance, des doctrines étranges; vous cherchez au loin, dans l'ordre de la rareté, des phénomènes extraordinaires. Vous n'avez donc jamais lu l'Évangile avec attention et simplicité ? L'Évangile contient toute science et dévoile tout mystère.

Ou bien est-ce que l'orgueil a tissé sur vos yeux un bandeau tout brodé d'erreurs magnifiques, et d'approximations séduisantes ? Et quand l'Invisible vous confère des privilèges, quand il choisit le médium, quand il donne des forces au magnétiseur, quand il semble obéir au mage, quand il explique quelque mystère à l'hermétiste, il est bien difficile, il est presque impossible, de ne pas se sentir supérieur aux autres hommes. Et cependant, dès que cette croyance est admise dans notre coeur, nous inclinons vers les ténèbres, ou plus exactement vers de fausses lumières.

Les savants de laboratoire, à part quelques fanatiques du matérialisme, ont au moins le mérite de savoir qu'ils ne savent rien. Mais les savants théoriciens, les psychistes, combien peu s'en trouve-t-il de modestes ? C'est pourquoi l'immense effort du spiritualisme laïque contemporain se trouve corrompu en son principe; il aboutira dans quelques années à la proclamation de l'Erreur anti-christique. Beaucoup de ces spiritualistes prétendent servir le Christ; ils n'ont jamais aperçu, même de loin, sa resplendissante stature, puisqu'ils ne reconnaissent pas quels adversaires se masquent de Son nom. Dans cette Revue, qui professe le souci d'être orthodoxe, je ne me permettrai pas de parler des catholiques; mais je dois dire cependant, que c'est parmi eux, parmi les plus humbles et les plus petits d'entre eux, qu'on trouverait encore les coeurs les plus proches du Ciel.

Si l'homme pouvait jeter bas l'énorme fardeau des préjugés et son aveugle confiance en soi-même, s'il pouvait se tenir l'intelligence libre, s'il pouvait se jeter, d'un élan total, dans les bras toujours ouverts de l'Ami, -- que de merveilles s'offriraient à ses regards, comme il comprendrait ! Et son existence monterait ainsi dans une joie grandissante, par les collines de l'admiration, jusqu'aux cimes de la prière. Nous sommes capables de cet effort; nous sommes ce que nous voulons être. Veuillons donc, mais veuillons dans le sens de la vie universelle et réelle, et non pas dans la pente de la vie individuelle et spéculative.

21 septembre 1912.

L'ABNÉGATION ET SA RÉCOMPENSE

A Monsieur C., infirmier.

Vous êtes pleinement dans le vrai : nous autres, nous devons nous montrer toujours satisfaits de notre sort, et l'être en effet. Nous l'avons, une fois pour toutes, remis entre les mains de Dieu. Dès que cette abnégation totale existe, nous sommes investis d'une dignité merveilleuse : chacun de nos travaux devient un canal à l'influx divin. Seulement, à cause de notre fragilité, à cause du va et vient perpétuel entre nous et le milieu, il faut renouveler cette abnégation au moins tous les jours.

Vous en avez sans doute déjà fait l'expérience : une fois cette attitude adoptée, il est incroyable comme tout devient facile et joyeux, et comme les réponses paternelles à nos pauvres demandes, viennent vite. Nous possédons la vraie poudre transformatoire; les soins les plus matériels, les actes les plus communs, nous pouvons les changer en or et en perles. Que notre Ami en soit remercié.

19 Octobre 1914.

 
LES AMITIÉS SPIRITUELLES ET LE CATHOLICISME

A Monsieur N.

Les mêmes objections que vous nous faites nous sont souvent présentées, mais par des gens indécis, au lieu que vous êtes fixé dans vos opinions. D'accord avec vous sur la nécessité primordiale d'une vie consacrée au Christ, je ne veux pas entamer avec vous une discussion théorique, car pour vous comme pour nous, la vie est l'essentiel et la théorie ne vient qu'au second plan. Je veux simplement préciser notre attitude.

Nous ne sommes pas des convertisseurs, mais des secoureurs. Par-dessus tout, nous respectons le libre arbitre de notre prochain et nous ne voulons détourner aucun être de sa voie. A ceux qui sont satisfaits de ce qu'ils ont nous ne nous permettons pas de proposer autre chose; tout ce que nous nous croyons autorisés à faire, c'est de les encourager à traduire en actes, dans leur vie quotidienne, leurs principes ou leurs doctrines. En d'autres termes, nous sommes là pour ceux qui cherchent et non pour ceux qui ont trouvé.

Ceci bien posé, puisque vous êtes entièrement satisfait du catholicisme, ce que je vais vous dire n'est pas pour opposer argument à argument; mais seulement pour répondre aux différents points de votre lettre et pour préciser notre point de vue parallèlement au vôtre.

Ce que vous appelez des notions d'occultisme dans mes livres n'appartient pas à l'occultisme considéré comme tel, mais à une tradition qui a été partagée par bien des Pères del'Église et par un certain nombre de mystiques chrétiens. J'ai souvent condamné l'occultisme et je me suis interdit d'en faire.

Nous croyons que de toutes les religions établies le catholicisme est la meilleure; mais nous croyons que la religion en esprit et en vérité, c'est-à-dire celle qui consiste à vivre l'Évangile sans rites et sans intermédiaires est au-dessus du catholicisme.

Quant à la Messe et l'Eucharistie, nous n'avons jamais détourné de leur fréquentation ceux qui en éprouvaient le besoin, mais nous croyons que la communion avec le Christ, si elle peut se réaliser par le sacrement, se réalise mieux encore par la vie et par l'obéissance. Vous reconnaissez d'ailleurs vous-même que sans cette condition intérieure le sacrement ne sert de rien. Pour nous, la communion avec Jésus, c'est de pardonner à son ennemi -- ceux-là seuls qui ont essayé de le faire soupçonnent ce que c'est -- comme Jésus a pardonné au traître et l'a reçu à sa table le soir de la dernière Cène, -- et de faire cet acte en mémoire de Celui qui a dit qu'avant de présenter à Dieu notre prière et notre offrande nous devrions nous réconcilier avec notre prochain.

Nous admirons la philosophie catholique :

la Somme de saint Thomas d'Aquin nous apparaît comme une magnifique construction de l'intelligence humaine. Mais nous ne croyons pas que c'est par l'intelligence que l'on saisit Dieu et que jamais des arguments rationnels n'ouvriront le coeur à la Vérité. D'ailleurs le Christ a remercié Son Père d'avoir caché les mystères du Royaume de Dieu aux savants et aux intelligents et de les avoir révélés aux petits enfants; et, à un autre endroit, il a déclaré que le Royaume des Cieux est pour ceux dont le coeur est redevenu semblable à celui des petits enfants..... Non, ma mission n'est pas d'amener à l'Évangile spécialement les occultistes. La plupart des prêtres qui ont lu mes écrits les ont condamnés parce qu'ils n'enseignent pas l'infaillibilité de l'Église et le salut par elle seule. Il est compréhensible dès lors que ceux qui sont venus à nous soient ou bien des transfuges de l'occultisme, ou bien ceux que les Églises officielles ne satisfont pas. Nous comptons cependant de précieuses affections parmi les catholiques pratiquants, car ceux-ci savent bien que notre coeur est attaché au Christ, Fils unique de Dieu, et que notre désir suprême est de l'aimer et de le servir. Dans cette foi absolue qui veut s'exprimer par une obéissance absolue est le lien le plus étroit entre tous ceux qui se réclament de Lui. Soyez assuré en particulier, cher Monsieur, que votre bonne sympathie et vos sentiments fraternels nous sont profondément bienfaisants.

... Je demeure avec vous, Monsieur, au travers de nos divergences extérieures, dans une
communion spirituelle en Celui qui veut être de plus en plus notre Vie.

LE DILETTANTISME SPIRITUEL,
LA MÉTAPSYCHIQUE ET LA MYSTIQUE

A Monsieur A. A.

Monsieur et cher confrère,

Les questions que vous voulez bien me poser se trouvent traitées en divers endroits de mes livres, mais je vous éviterai l'ennui de les feuilleter en y répondant de suite avec le plus de concision qu'il me sera possible.

Je vous demanderai d'abord de m'excuser si je ne vous envoie pas le portrait que vous désirez : ce n'est pas le visage, mais seulement la pensée d'un écrivain qui doit intéresser le public; et je passe de suite aux divers paragraphes de votre lettre.

Mes idées n'ont en rien changé depuis 1920; je crois toujours que l'homme trouvera son équilibre intégral dans l'action comme le Christ nous le commande, bien plutôt que dans la recherche du savoir; je vous avouerai que je ne saisis pas les rapports qu'il peut y avoir entre ce que je m'efforce d'accomplir et des exposés comme celui que vous citez, de M. Maeterlinck, ou des recherches comme celles de l'Institut métapsychique.

M. Maeterlinck m'a toujours paru être un artiste qu'intéresserait seulement l'arabesque de la pensée mystique, à peu près comme Botticelli aimait à peindre des Vierges : mais ni l'un ni l'autre ne semblent avoir jamais cru aux réalités expérimentales des choses religieuses; M. Maeterlinck s'est promené dans les jardins de Marc-Aurèle, de Ruysbroeck, de Novalis, d'Emerson; il nous a donné d'admirables récits de ses promenades; mais je ne vois nulle part, dans ces belles descriptions, le sens de la vie mystique, cet accent vécu, cette volonté d'agir, qui donnent tant de force aux phrases maladroites de certains serviteurs du Christ. C'est sans doute ce dilettantisme de spiritualité pour gens du monde qui l'a empêché de voir en face le Grand Secret, dont il nous parle cependant avec éloquence; c'est cet arrêt sur la tour d'ivoire de la théorie qui l'a empêché de nous fournir des conclusions précises.

Quant à la métapsychique, ses recherches sont vouées à l'échec tant qu'il y aura, d'une part, des âmes candides qui feront du spiritisme une religion, et de l'autre des savants qui voudront traiter les médiums comme des appareils de laboratoire; j'ai déjà dit cela autrefois au Colonel de Rochas, au Docteur Baraduc, au Docteur Ochorowicz; je me permettrai d'ajouter que les travaux de ce genre demeurent tout à fait en dehors du problème religieux, et que de vouloir les y introduire, comme je vois beaucoup de chercheurs le tenter, dénote un manque surprenant de bon sens.

Je n'ai pas qualité, cher Monsieur, pour vous répondre au nom des " grands hermétistes, ni des grands kabbalistes, ni des grands mystiques "; mais ce que je crois infiniment utile de dire au public, c'est qu'il cultive avant tout le bon sens, le gros bon sens.

Il y a, n'est-ce pas, l'homme physique et le monde physique; il y a l'homme mental et le monde mental; il y a l'homme animique et le monde esthétique. Ces trois couples d'entités, la science, la philosophie, l'art s'en occupent admirablement. Mais, en outre, il y a l'homme hyperphysique et le monde hyperphysique : hermétisme, kabbale, occultisme, métapsychisme, théosophie, christian science, anthroposophie, étudient ces deux mondes, par des méthodes alternativement expérimentales, rationnelles ou intuitives : tout ceci ne m'intéresse pas, parce que tout ceci n'est que du provisoire et de l'approximatif, parce que aucune de ces écoles qui ne soit, essentiellement, contre le Christ.

Enfin il y a l'homme éternel et le monde éternel : ici il n'y a plus étude, mais action; ce n'est plus la théorie qui mène à la pratique, c'est la pratique qui procure la connaissance; ce n'est plus l'avance par tâtonnements, avec des chutes et des illusions; c'est la marche dans la lumière. Voilà ce que je nomme la mystique vraie; c'est la seule doctrine qui soit entièrement avec le Christ et qui conduise à l'Absolu par le chemin le plus court. C'est celle que je m'efforce d'exposer.

Voilà les notions primordiales, les notions de bon sens qu'il faudrait que conservent tous les chercheurs, lecteurs et expérimentateurs : Toujours distinguer la matière pondérable, la matière impondérable, avec ses innombrables degrés de radiance et de subtilité, que l'ésotérisme essaie de cataloguer; et puis l'Esprit, domaine du seul Christ de l'Évangile, où lui seul peut nous introduire. Avec ce classement rudimentaire des phénomènes universels, on ne devrait pas pouvoir errer.

Mais je deviens prolixe : excusez-moi, Monsieur et cher Confrère; je vous remercie de m'avoir fourni l'occasion d'exposer mon point de vue et je vous prie de vouloir bien trouver ici l'assurance de ma considération la plus sincère et la plus sympathique.

3 novembre 1922.

 

L'ACCEPTATION

A M. A.C.

Il ne faut pas entretenir cet état de désillusion où vous languissez. Pourquoi avez-vous des désillusions ? Le Ciel n'a-t-il pas toujours répondu à vos efforts ? Le fait seul que vous restez n'est-il pas la preuve que, dans le centre de vous-même vous êtes attaché pour toujours au Christ ? Vous vous trouvez tout simplement dans un de ces lieux spirituels où s'opèrent les plus grands dénudements de nous-mêmes, les plus grandes simplifications, les meilleures purifications.

Prier et se donner quand on se sent rempli d'enthousiasme, ce n'est pas difficile; c'est le lot des débutants. Mais lorsque tout est devenu insipide, lorsqu'on se croit inutile et fini, continuer à prier, continuer à s'occuper de plus malheureux que soi, voilà où commence le vrai travail. Malgré tout le mal que vous pensez de vous-même, je suis certain que vous pouvez faire du bel et bon ouvrage.

Vous et P..., vous êtes des esclaves du pain quotidien, dites-vous. Sans doute; mais qu'est-ce que cela fait ? Croyez-vous que si le Ciel voulait que vous fussiez libres de vos gestes, vous ne le seriez pas ? La position où il nous place, c'est toujours la meilleure, c'est toujours celle où notre travail mystique peut être le plus fructueux pour les autres et pour nous-mêmes. Veuillez donc, mon cher Ami; ne jetez pas le manche après la cognée; ne regardez pas en arrière.

Je vous embrasse fraternellement...

Nice, le 17 octobre 1924.



S'OCCUPER DES AUTRES

[ Au même, ]

Mon bien cher Ami,

Vous me dites des choses bien vraies et bien touchantes; mais quoi, nous sommes dans une situation donnée, au matériel comme au spirituel; il faut la regarder en face. Bien sûr, nous tenons à nos vices; aussi le Christ nous demande-t-il d'abord, non pas de nous en séparer mais de nous occuper des autres. En nous oubliant ainsi, nous ouvrons une porte à l'action divine, et elle nous change peu à peu.

Voyez-vous, il ne faut pas trop s'occuper de soi; c'est malsain. Cherchons autour de nous quelques malheureux; leurs souffrances nous donneront une meilleure appréciation des nôtres. Voyez-vous, il faut toujours ramener nos aspirations au concret, à l'acte.

Mon cher Ami, je voudrais que cette année vous apporte la paix intérieure et la force et la joie. C'est mon souhait depuis que je vous connais. Pensez à nous tous, priez avec nous tous, soyons ensemble de tout coeur.

Votre vieux camarade. Nice, 3 janvier 1925.

 
CEUX QUI SOUFFRENT TRAVAILLENT POUR LE CIEL

[A un prêtre polonais]

Monsieur le Curé,

Je suis un laïc; par conséquent vous devez savoir bien mieux que moi, il me semble, à quoi vous en tenir sur votre situation du point de vue ecclésiastique, et, au surplus, le cardinal Vaugham, en vous imposant la prêtrise, a pris tout sur lui et a tout régularisé. Vous pouvez être en paix sur ce point.

Quant à votre situation intérieure, spirituelle -- et je me permets de vous en parler très simplement -- je ne la vois pas du tout désespérée. Je sais que le ministère du prêtre est d'une effrayante gravité; et il me semble que saint François de Sales disait que " sur 10 000 prêtres, il en est peut-être un ou deux qui se rendent compte de leurs responsabilités ". Monsieur le Curé, vous, vous êtes de ces rares prêtres que l'idée de la grandeur de leurs fonctions tourmente tous les jours; croyez que Notre Maître vous comptera vos angoisses.

De plus, vous savez sans doute que le prêtre, en tant que prêtre et parce que prêtre, est tenté bien davantage que les simples fidèles. Soyez donc rassuré.

D'autre part, vous êtes certainement apte à suivre les voies contemplatives -- tout en vaquant scrupuleusement aux soins de votre ministère pastoral. Vous connaissez l'infini de la miséricorde divine. Vous avez reçu la grande faveur de voir votre ange gardien. Vous êtes aidé par une âme qui offre pour vous quelques unes de ses macérations, du fond de son cloître.

Soyez en paix. Quand vous aurez franchi les portes de la mort, les anges vous feront voir le dessein divin de votre vie, et vous reconnaîtrez avec une joie profonde que tout a été bien, jusqu'aux erreurs.

Sachez-le bien, c'est ceux qui souffrent qui seuls travaillent pour le Ciel; or, voilà quarante quatre ans que vous souffrez. Votre vie, qui vous paraît si désolée, si misérable, si noire -- et vous avez raison de la considérer ainsi -- moi je la vois toute brillante et plus utile aux hommes que la vie noble en apparence et calme que de tels dignitaires dont les noms sont célèbres. Je ne vous dis pas ces choses pour que vous vous enorgueillissiez, mais pour que vous vous consoliez. Personne n'a de mérite, ni le grand prédicateur ni le pauvre prêtre obscur; nous cheminons chacun sur notre route où Dieu nous a mis. Notre seul mérite, c'est de dire : Merci, mon Dieu, je vous aime et je suis heureux -- aussi bien quand le froid et le vent font rage, que lorsque le soleil brille et les fleurs enbaument.

Tout est adorable; et nous autres, Monsieur le Curé, qui avons une vie triste, qui nous torturons le coeur, qui subissons mille ennuis -- à ce que le monde croit -- nous sommes en réalité les plus heureux des hommes, parce que Notre Maître nous donne la force de faire quelque chose pour Lui.

Vous trouverez sous ce pli la photographie que vous m'avez fait l'honneur de me communiquer. Si mes ouvrages vous semblent de quelque utilité, ils ont été traduits dans votre belle langue natale et publiés chez le même éditeur. Enfin, s'il vous est difficile de lire mon français, vous pouvez demander au professeur Jean Bielecki, à Varsovie, Polna, 2, de vous traduire ma lettre; il est mon ami, et vous pouvez compter sur son absolue discrétion.

Veuillez accepter mes voeux très sincères et très fervents, Monsieur le Curé, avec l'expression de mon respect et de mon dévouement.

Nice, 20 février 1925.

A Madame J. S.

sur LA MORT DE SA MERE

Madame,
Au nom de nos groupes mystiques, nous nous permettons de vous présenter l'expression sincère de nos sentiments d'espérance et de certitude pour l'avenir spirituel de Madame..., de votre admirable mère.

Son âme vit maintenant les éternelles réalités dont sa foi invincible lui a toujours affirmé l'existence, et ce triomphe secret réservé aux servantes du Seigneur doit nous donner à nous pour qui le jour du repos n'est pas encore venu, une joie surhumaine et un accroissement de courage.

Nous vous prions, Madame, également en notre nom personnel, de vouloir bien trouver ici l'assurance de nos sentiments de profonde et respectueuse sympathie.

A Madame X...

... Vos angoisses sont bien légitimes. Vous les dominez d'ailleurs admirablement. Mais il est naturel que votre sérénité subisse des fluctuations. Regardez-les comme la mer contemplée d'une falaise. Tout ce qui s'affole en nous n'est pas nous. Le vrai Moi, l'Ame reste attachée à Jésus, impavide et invincible, et marche en avant dans une confiance innommable...

Priez aussi, tous les soirs.

FRAGMENTS DE LETTRES

Vous savez bien que Je ne suis pas un maître; il faut laisser aux mots leur valeur...

La foule passe devant de vieilles murailles et n'y voit que les salissures des intempéries; mais quand le Vinci regarde ces tâches, il y découvre des formes admirables. Ainsi, ce que l'on trouve dans mes livres, ce sont les lecteurs qui l'y mettent; et si je continue à écrire, c'est uniquement pour déférer à leurs réclamations.

28 Février 1909.

Pour comprendre quelque chose à la conduite du Père avec nous, il faut se dire qu'Il nous aime. Il a pour nous tous les illogismes de l'amour...

La sécheresse venant, comme la consolation, du divin Jardinier, aimez celle-là autant que celle-ci, et dites-vous que tout est bien. Se sentir de plus en plus petit est d'ailleurs le signe qu'on suit le bon chemin : le chemin qui descend selon les apparences extérieures, mais qui monte selon les réalités intérieures.

16 Juin 1914.

Tous les efforts que nous faisons pour le bien, en nous et hors de nous, toutes nos peines, toutes nos résignations ne valent que comme des marques de notre bonne volonté. Ce n'est pas leur valeur intrinsèque qui nous vaut l'aide du Ciel, car aucune valeur finie ne peut se mesurer avec les valeurs infinies de la Grâce. Mais Dieu se dit : En voilà un brave petit, là-bas, qui se donne bien du mal, on va lui envoyer un peu d'aide.

Donc, être content de soi-même ne signifie que notre ignorance.

Noël 1923.

Je veux préciser tout de suite un point essentiel : je n'ai jamais cru que l'ésotérisme complète l'Évangile et je ne l'ai jamais écrit.

C'est l'Évangile la seule réalité; il contient tout; les ésotérismes ne sont que des reflets déformés et fallacieux de quelques-unes des innombrables lumières contenues dans l'Évangile.

L'Évangile contient tout ce qui est utile à la masse, il contient en outre infiniment plus que le plus grand génie puisse concevoir. C'est ce que nos contemporains n'acceptent pas, d'ailleurs; la plupart des gens cultivés, des jeunes surtout, jugent l'Évangile trop simple pour eux.

14 Novembre 1924.