LES BÉNÉDICTIONS DE LA MORT 

  (16 Mars 1912)

 « LAZARE, NOTRE AMI, DORT;  MAIS JE M'EN VAIS L'ÉVEILLER.  » 

 (JEAN XI, 11.) 
   
    Si nous sommes, en fait, des spiritualistes, si nous conformons nos actes à nos croyances, la Reine des épouvantements se trouve perdre à nos yeux son prestige d'effroi et son halo de mystère.  Elle devient la délivrance, le pas en avant, l'entrée dans un monde nouveau.  Nous regardons venir alors la faucheuse en toute sérénité; nous accueillons avec un sourire sa visite inévitable; car c'est de Dieu qu'elle tient son pouvoir et sa force est une des formes de la force du Verbe.  La peur que les hommes ressentent à son approche, si aucune ivresse ne les enlève à eux-mêmes, est toute physique et prend son origine dans l'inertie de la matière.  Les vieillards en souffrent plus que les jeunes gens, parce que les esprits corporels, habitués à ce monde, à cette lumière, à cette atmosphère, aux objets familiers, craignent de perdre tous ces voisinages habituels, appréhendent l'inconnu qu'ils pressentent, et se cramponnent désespérément à cette coque obscure qui est leur maison.  Mais le moi conserve en général plus de calme, et les contractions dernières, qui frappent douloureusement les spectateurs de l'agonie, ne sont, en majeure partie, que des automatismes tout à fait physiques.   

 Les phénomènes de la mort sont pour ainsi dire inconnus.  Une telle affirmation paraîtra sans doute excessive à des chercheurs comme vous, Messieurs, qui êtes familiers avec les enseignements des religions et les mystères  des initiations.  Voici ce que je veux dire.  Le lieu où s'effectue le départ des âmes est caché; l'air du pays des morts est malsain aux vivants.  Tels expérimentateurs tenaces ont bien pu s'en approcher, et apercevoir quelque chose à travers une fente du mur, pendant que les gardiens avaient le dos tourné; mais ce qu'ils ont vu est incomplet; ils n'ont pu saisir que des détails isolés, qu'une silhouette parmi la foule, qu'une syllabe entre mille paroles.  Malgré cela, le petit renseignement partiel, incomplet, leur a suffi pour construire l'un de ces systèmes admirables, où tant de peuples ont puisé le courage de mourir, l'héroïsme plus difficile de vivre, et que nous étudions encore aujourd'hui avec un étonnement respectueux.   

 Je ne veux pas vous inciter à du dédain envers ces vieux rishis, ces patriarches, ces hiérophantes dont le grand labeur impose de la déférence; entendez seulement que la description exacte et complète de la mort n'est écrite nulle part.  On a dit que les épreuves des mystères antiques consistaient dans le passage conscient du néophyte à travers les Portes sombres; oui, l'initié connaît la mort comme on connaît une ville sur la vue d'une photographie.  Celui-là seul peut parler de ce qui se passe au royaume des ombres qui y est entré par la porte; et celui-là seul entre légitimement qui a reçu la clef de la vie; c'est l'homme libre.    Vous n'entendrez donc ce soir que des notions tout à fait élémentaires, bien que je les croie exactes.  Je ne vous demande pas d'ailleurs de les accepter sans contrôle, bien au contraire; et cela est possible, puisque tout est vérifiable à quiconque demande au Christ de l'instruire directement.   

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 Il y a différentes espèces de morts, puisqu'il y a d'innombrables formes de la vie et qu'elles se succèdent, se remplacent et se transforment toutes mutuellement.  Quant aux hommes, on peut distinguer les morts intérieures, spirituelles, psychiques, et les morts extérieures,  physiologiques.  Les « nuits » du mysticisme catholique sont des morts; une initiation, un baptême comportent une mort préalable, puisque ce sont des renaissances.  Mais quant à la mort corporelle, elle consiste uniquement dans le départ de l'esprit.   

 Ainsi, certains individus vont et viennent, exercent leur profession, semblent vivre en un mot, dont l'esprit a déjà depuis longtemps quitté le corps; c'est la vie intelligente de la matière qui continue à faire marcher la machine.  Et quand le décès physique surviendra, quand l'esprit corporel s'en ira à son tour, seuls leurs parents et leurs amis en seront affectés; leur moi s'en apercevra à peine.   

 D'autres cas moins extraordinaires se rencontrent où l'esprit d'un homme vivant est en partie extériorisé dans l'Invisible à la recherche d'un être qu'il veut joindre.  Ce déplacement, qui peut se produire des années avant la mort, n'a d'autres effets qu'une faiblesse physique et mentale plus apparente que dans le cas précédent, parce que le système nerveux végétatif n'a pu reprendre son autonomie tant que l'esprit ne s'éloigne que partiellement.  En effet, c'est surtout l'esprit qui fatigue les enveloppes, physiques et autres, dont il se sert pour agir; on voit souvent une grande vigueur corporelle chez les êtres faibles d'intelligence ou privés de raison.   

 Quand l'heure du départ approche, l'ange de la mort - Azraël, le nommaient les Kabbalistes, Yama, disent les brahmanes - descend dans la chambre funèbre.  A dire vrai, il ne vient pas lui-même; le taciturne messager n'apparaît qu'aux rares hommes assez intrépides pour affronter l'éclat de diamant de ses yeux jamais clos, aux êtres dont les déplacements révolutionnent le monde, aux inconnus mystérieux dont le regard s'est posé sur les magnificences entr'aperçues de l'éternelle Lumière.  En général, c'est un génie subalterne qui se porte au chevet du moribond.  Puis deux autres esprits se présentent, qui notent le bien et le mal qu'il fit en pensées, en paroles et en actes; enfin arrivent toutes les créatures envers lesquelles cet homme a été bon ou mauvais; toutes sont là, depuis le caillou jusqu'au dieu, les brins d'herbe, les animaux, les humains vivants et morts, les invisibles, tous prêts à témoigner ou à réclamer justice.   

 C'est pour cela que l'agonie des méchants est si pénible.  L'esprit s'effare, surtout dans ses régions corporelles; il court affolé dans tous les coins du corps, cherchant de l'aide; et, malheureusement, l'amour de ceux qui restent est trop personnel, trop utilitaire, dans bien des cas, pour lui offrir le réconfort dont il a besoin.  Le moribond ne peut être aidé que par une force plus calme et plus haute; il la trouve, en général, dans les secours de la religion.   

 L'un des effets remarquables des cérémonies religieuses est justement de jeter un pont entre tel coin du visible et tel cercle de l'invisible.  Toutes les religions prescrivent des rites funéraires; et, si nous avions le temps d'analyser ces nombreux codes, nous amasserions assez vite un monceau de documents fort curieux.  Mais comment y séparer le vrai d'avec le faux ?   

 Au lieu d'étudier les usages de peuples différents de nous par l'époque, par la distance, par leur mentalité et la nature de leur évolution, habitués à des efforts que la dissemblance des milieux invisibles nous rendrait impossibles, regardons ce qui est à notre portée, ce qui a été combiné pour nous, pour nos pays, pour nos siècles et par des hommes de notre race.  Je voudrais vous rappeler les rites du sacrement catholique de l'Extrême-onction, essayer d'en extraire le sens et d'en apercevoir les effets sur le pauvre esprit désorienté que rejette la prison de ce corps à laquelle il avait fini par s'habituer si commodément.   

 *  

 En entrant, le prêtre appelle d'abord la paix sur la maison et sur ses habitants; puis il donne le crucifix à baiser au malade et récite sur lui la formule connue de mundification : « Asperges me, Domine, etc». S'il est possible, il le confesse, et lui adresse quelques mots d'exhortation.  Le verset initiatique : « Le Seigneur soit avec vous, et avec votre esprit » ouvre une longue supplication à Jésus-Christ pour la félicité, la joie, la santé, l'aide des anges, l'éloignement des démons et la sanctification.  Puis une autre formule demande au Père l'envoi d'anges protecteurs.  On récite alors les sept psaumes de la pénitence, dont le nom indique suffisamment l'usage, et les litanies correspondantes.  Ici le prêtre, au moyen de trois signes de croix, et en imposant les mains, chasse les forces diaboliques du malade, au nom de la Trinité et avec l'aide des saints.  Il trempe le pouce dans l'huile sainte et oint en croix les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, les mains, les pieds, les reins, en appelant sur la fonction de chacune de ces parties du corps la miséricorde du Seigneur.  Suivent le Pater, six répons pour le secours divin, et trois Oremus, qui demandent la santé intérieure et extérieure.   

 A l'agonie, si le moribond ne peut parler, le prêtre se substitue à lui, et prie à haute voix en son nom.  Ces prières comprennent, entre autres formules, des litanies spéciales qui invoquent le secours du Christ par les circonstances analogues de Sa vie : Sa passion, Sa mort, Sa sépulture, Sa résurrection, Son ascension.  Puis une sorte de commandement fait à l'âme du patient au nom des personnes divines, des anges et des saints, de partir de ce monde vers le lieu de la Paix; une demande à la clémence du Père, quatre autres oraisons réitérant cette demande, et appuyées sur les faits analogues de l'histoire sainte et de l'histoire de l'Église; puis on récite les chapitres XVII et XVIII de Jean; enfin des psaumes et trois autres objurgations au Christ par les mérites de Son agonie.   

 Lorsque la mort approche, le prêtre invoque, à voix haute, près de l'oreille du mourant, Jésus et Marie, les priant de recevoir cet esprit, de lui donner le repos, de lui être miséricordieux.   

 Vous le voyez, l'administration du dernier sacrement comporte trois phases.  Une préparatoire, où on purifie le lieu et le sujet; une seconde évocatoire, si j'ose dire, où le prêtre appelle Jésus, les anges et les saints; le pont est jeté de là-haut jusqu'ici-bas.  En troisième lieu vient le sacrement proprement dit qui consiste en une magnétisation supérieure.  Enfin, le prêtre se retourne vers  Dieu, récapitule ses demandes et en forme comme un faisceau, puis il élève ses remerciements, sa reconnaissance et sa confiance.   

Un homme a besoin d'une certaine force : c'est le malade; un autre homme possède la clef de ce trésor: c'est le prêtre.  Le premier demeure passif; il ne fait que se mettre par la confession et le repentir dans l'attitude morale de la réceptivité.  Le second l'aide à prendre cette attitude et lance un fil de transmis- sion de la force demandée : c'est la prière; il l'attache à l'endroit même où elle naît, c'est-à-dire à Jésus; il se fait aider pour le tendre par des intermédiaires bénévoles, les anges et les saints; il le fixe au pôle négatif, le malade; la force passe et l'opérateur la fait absorber au patient.  Puis il remercie les aides, les renvoie et remet tout en ordre, c'est-à-dire entre les mains de Dieu.   

 Le procédé par lequel l'Église assiste les agonisants se résume en ceci : un homme entraîné à vivre en esprit, par la contemplation, dans le sillage invisible de Jésus - c'est le prêtre - , essaie au moyen de la prière de soulever le malade qui se débat, et de soutenir son esprit désemparé dans ce même sillage.  Pour cela il utilise l'image lumineuse et vivante que chacun des actes de Jésus a laissée dans l'atmosphère seconde; il applique la souffrance corporelle du Sauveur à la souffrance corporelle du malade, l'inquiétude de Jésus à l'inquiétude du malade, le pouvoir psychurgique de tel ancien prophète au désarroi du malade; il évoque les triomphes de Jésus : résurrection, ascension, pour essayer que le mourant ressente quelque réconfort de leur présence invisible.   

 Ainsi l'Église reconnaît la théorie très ancienne d'un milieu plastique et vibrant où se conserveraient les images de tous les événements passés.  En effet, dans la mesure où le protagoniste d'un acte quelconque incarne la Vérité dans cet acte, la Vie descend l'animer, rend son existence physique fructueuse et perpétue son reflet dans cette « imagination » de la terre où les voyants peuvent le retrouver, des siècles plus tard.  Quand le facteur de cet acte est parfait et puissant comme Jésus, les  
 reflets se multiplient et possèdent une énergie particulière.  De sorte que les hommes qui tendent vers ce modèle retrouvent plus rapidement ces images et en bénéficient plus profondément.   

 Tel est, à grands traits, l'arcane de la vertu des sacrements.  Ils agissent à proportion de la profondeur avec laquelle le fidèle et le prêtre entrent dans l'occulte de l'acte christique qui en est la racine.  La forme sacramentelle contient toujours deux forces : une centrale, provenant de Jésus, toute spirituelle, mais assimilable selon la foi pratique du sacerdote et du récipiendaire; une extérieure, fluidique, qui n'est que la somme des vibrations accumulées par tous ceux qui ont fait les mêmes gestes et prononcé les mêmes paroles.  Pour que la première de ces vertus pénètre la substance de l'âme et guérisse jusques et y compris le corps, il faut la sainteté du pontife, l'humble désir ardent du dévot.   
 Mais revenons à notre sujet.   

 *  

 Pour comprendre ce qui se passe à la mort, souvenons-nous qu'en l'homme certaines forces viennent de la terre, d'autres viennent du cosmos, d'autres enfin viennent de Dieu immédiatement.  La mort n'est qu'une reprise par l'âme de la terre de ce qu'elle nous avait prêté à la naissance.  Si l'on restitue de bon coeur, on ne souffre pas.  Si l'on refuse, il y a des déchirements inévitables, des blessures et des regrets jusqu'à ce que le défunt comprenne la sagesse d'une résignation confiante.  Les gens de bien souffrent fort peu; ceux qui, au contraire, se sont fait des idoles d'eux-mêmes et de leurs qualités, expérimentent le vide de leurs gloires.  Le corps, le double, les sentiments, les fonctions mentales, la mémoire, l'habileté professionnelle, les goûts particuliers, tout cela est repris par les dieux terrestres, pour une purification, une réfection et une mise en réserve, dans un lieu spécial, en vue de servir plus tard, soit à celui qui en avait déjà reçu le dépôt, soit à quelqu'un de la même famille spiri-tuelle.   
 En ce qui concerne le corps physique, l'inhumation est  préférable à la crémation.  Voici pourquoi : Chaque individualité humaine, puisqu'elle doit régir un jour une partie de la Nature, reçoit, entre autres travaux, une portion déterminée de matière terrestre à évoluer, en lui faisant connaître par l'expérience le mode humain de la vie.  Un atome de carbone, par exemple, travaille comme minéral, puis comme végétal, puis comme animal, selon les qualités différentes de la vie terrestre dans chacun de ces trois règnes.  Il achèvera son cycle en entrant dans une individualité humaine, soit par l'alimentation, la respiration ou toute autre porte fonctionnelle, soit par d'autres voies hyperphysiques. 

 Tout un système de canaux et de fils est établi pour apporter à chacun de nous, de tous les coins du monde, les particules matérielles qui nous sont destinées.  Ainsi, quand j'entre chez le boulanger, ce commerçant me donne, parmi tous ses pains, celui-là même dont la matière première fut choisie pour moi, parmi tous les champs de blé et entre tous les épis.  Il en est de même pour tout ce qui s'incorpore à mon individu.   

 A la naissance, chaque homme reçoit une partie de la masse totale de substance terrestre qui lui est attribuée dès l'origine et qui doit retourner à la terre, affinée par le travail propre de la vitalité humaine.  Le carré du sol qui recevra le cadavre est fixé, lui aussi, avant qu'on naisse.  Les motifs qui déterminent le lieu de la mort, le cimetière et l'emplacement de la tombe ne sont que des apparences.  C'est ainsi qu'on voit des émigrés, qui ont passé toute leur existence au loin, revenir au pays natal, juste pour que leur corps repose là où le demandent les répartitions occultes de la matière.   

 De plus, chaque homme est relié magnétiquement à des minéraux, à des plantes et à des bêtes.  Ils naissent ensemble et ils meurent ensemble; on ne doit pas disperser ce que Dieu a réuni.  Si donc on brûle le cadavre, outre que la libération des éléments psychiques est brutale, fait souffrir et affole le double, une énorme quantité de particules spirituelles reçoit une mort violente et celles du sol, où devait avoir lieu l'inhumation, attendent en vain le travail qu'elles espéraient et se voient frustrer    
 d'une évolution légitime et d'une récompense : la lumière propre de la vitalité humaine, que les cellules du cadavre devaient leur communiquer.  Il y a dol, entrave à l'activité naturelle et malaise dans un petit coin du plan physique.   

 L'embaumement devrait être aussi évité pour des motifs contraires.  Il retarde l'évolution, il immobilise le double; il empêche le jeu normal du retour des âmes.  Si le temps ne m'était mesuré, j'aurais des anecdotes bien curieuses à vous raconter à propos des momies égyptiennes.   

 Certaines mesures pourraient être prises quant à l'inhumation proprement dite, à la fabrication du cercueil, à la construction du sépulcre.  Mais tout ceci est prévu par des règlements administratifs; et, comme il n'y a de lois injustes qu'en apparence, notre premier devoir est de nous soumettre, quitte à en souffrir quelque peu.   

 Il est bon de fermer les yeux du défunt : cela le sépare de ce monde; peut-être, au moment de rendre le dernier soupir, a-t-il entrevu quelque spectacle qu'aucun indiscret ne doit surprendre au fond des prunelles désormais immobiles.   

 Les génies dont nous avons parlé accompagnent le convoi; d'autres êtres aussi, des rôdeurs invisibles et des défenseurs; souvent ces derniers sont des chiens; c'est ce qu'avaient entrevu les barbares, qui égorgeaient sur la tombe du chef ses animaux familiers; c'est ce qu'avaient parfaitement vu les prêtres de l'Egypte et de l'Inde.  Plus qu'on ne le pense, le chien est l'ami de l'homme.   

 Le double flotte autour du cercueil et recherche avidement les émanations fluidiques des encensements, des aspersions, des gestes sacerdotaux et des paroles rituelles.  Il est toujours utile de faire célébrer un service religieux, tout au moins de dire sur le corps quelque prière.  Le rituel catholique des funérailles est extrêmement instructif à étudier.   

 L'inhumation accomplie, le double reste auprès de la tombe et la garde, à moins qu'un intérêt puissant ne  l'appelle ailleurs.  C'est ainsi que les fantômes des victimes hantent les lieux où elles ont perdu la vie, que l'avare garde son trésor, et l'inventeur parfois ses formules.  Mais de telles manifestations, surtout quand elles prennent un caractère d'effroi ou de désordre, proviennent surtout d'êtres qui n'ont pas fait le bien, qui n'ont cru qu'à la matière, ou qui n'ont pas appris la résignation.  Et leurs inquiétudes dans l'Au-Delà commencent leur purification.  Pour peu que vous ayez parcouru des recueils de faits psychiques, vous savez que ces phénomènes sont fréquents.  Je pourrais vous en raconter un grand nombre dont j'ai été témoin; je ne vous en citerai qu'un seul, qui vous montrera comment le double demeure quelquefois des siècles attaché à la matière.   

 Il s'agit d'un chercheur de trésors que j'ai connu autrefois et qui habitait La Plata.  Il opérait au moyen de la magie et avec l'aide d'une somnambule.  Il apprit l'existence de souterrains au-dessous d'un établissement religieux abandonné et il envoya sa somnambule à la découverte.  Elle lui dessina un plan de ces caves et lui affirma que dans l'une d'elles se trouvait un trésor déposé là depuis la fin du XVIIe siècle.  Notre homme fait ses préparatifs et, une belle nuit, se rend avec sa voyante dans ces ruines.  Il trouve l'entrée des souterrains, allume une lanterne, s'engage dans les couloirs, guidé par la somnambule endormie.  A un moment donné, celle-ci s'exclame avec frayeur; devant elle un prêtre, dit-elle, appartenant à un certain ordre reconnaissable à la forme particulière de sa coiffure, lui fait des gestes de menace.  Le magnétiseur lui ordonne d'avancer quand même; la malheureuse fait quelques pas en tremblant et, tout à coup, elle s'écroule avec un grand cri : « Il m'a tuée ».  Et elle était morte sur le coup.  Ce que fut le retour de notre magicien, dans les ténèbres, à deux lieues de la ville, avec un cadavre sur les bras, vous l'imaginez.  Il n'entreprit plus d'ailleurs de découvrir un trésor.   

 Dans l'immense majorité des décès, l'esprit s'éloigne au bout de quelques jours.  Aussitôt après le dernier soupir, en effet, le jugement a lieu.  Ainsi que je vous le  disais tout à l'heure, une assistance invisible nombreuse se presse autour de la couche funèbre.  Deux de ces génies conduisent pendant trois jours l'esprit du défunt dans tous les endroits où il a vécu et le mettent en face de toutes les créatures avec lesquelles il a été en rapport et de toutes celles qu'il aurait connues s'il avait toujours fait complètement son devoir.  Ce voyage se termine devant le tribunal où siège le Juge, notre Jésus.  Sou-vent Il y est seul; parfois sont à Ses côtés le Seigneur de la terre et la Vierge Marie.  Devant ces présences très pures, mais qui voilent leur éclat selon la faiblesse des yeux qui les contemplent, l'esprit désincarné aperçoit ses fautes comme dans un miroir; il se confesse spontanément; tous les mensonges viennent au jour et les crimes cachés sont découverts.  Souvent le remords et le repentir sont tels que l'esprit réclame de lui-même l'expiation.   

 En outre, il y a un accusateur, le mauvais ange et un défenseur, l'ange gardien et, avec lui, la Vierge, qui jette dans la balance sa puissante intercession.  En tout cas, la sentence est toujours adoucie; la Miséricorde empiète sur la Justice.   

 C'est l'esprit tout entier qui subit ce jugement : l'inconscient et le conscient, fluides, mental et psychisme; parce que chacune de ces entités composantes possède du libre arbitre.  La sentence rendue, elles retournent respectivement à la région terrestre d'où elles ont été tirées.   

 La mémoire et l'intelligence ne suivent pas le moi; elles restent ici; on ne peut donc se souvenir d'incarnations antérieures, et les paramnésies ne viennent ni du cerveau, ni ne l'intellect, mais de l'esprit.   

 Ce dernier se rend dans le lieu où réside l'idéal qu'il a adoré par ses actes, ses inquiétudes et ses désirs.  L'esprit du peintre va dans une planète de lumière; l'esprit du musicien dans une planète d'harmonie; celui du menteur dans un lieu où tout est déception.  Chaque paradis, chaque enfer, que décrivent les diverses religions, existe objectivement.  L'esprit du vieux guerrier scandinave montait dans un réel Walhalla; l'esprit du  catholique fervent se repose dans une atmosphère de douceur, d'enthousiasme et de reconnaissance; l'esprit du faux adepte est enchaîné dans un espace immobile et vide.  En un mot, chacun expérimente la réalisation de ses plus chers espoirs.   

 Il est donc exact que, si nous nous sommes montrés bons fils, bons époux, bons parents, bons amis, nous retrouvons de l'autre côté nos ancêtres, nos aimés, nos amis, ceux même qu'on a perdus de vue depuis bien longtemps.  Mais, si l'on veut éviter des désillusions ou des surprises de l'autre côté, il ne faut pas oublier que, dans nos sympathies et nos antipathies terrestres, les forces de la chair et du sang entrent pour beaucoup et que, leur influence cessant par la mort, il se peut qu'un être adoré devienne assez vite indifférent ou un ennemi, sympathique.  Parfois aussi, je dois le reconnaître, lorsque nos sentiments sont purs, la séparation les exalte, les sublimise et les conduit jusqu'aux immortelles clartés de l'Amour vrai, de celui dont chaque sacrifice augmente la splendeur.   

 Tout se balance dans le cosmos.  Les morts et les naissances s'équilibrent; celui qui disparaît de la terre, son esprit se trouve pour ainsi dire tout de suite animer un autre corps sur une autre planète.  Là tout se tient prêt à le recevoir; des parents l'attendent, et des amis, et des guides, comme lorsqu'il naquit ici-bas.   
 En attendant la résurrection définitive dans le Royaume de Dieu, la mort nous procure une résurrection immédiate.  Nous n'avons à nous inquiéter de rien, ni à craindre quoi que ce soit : tous les détails de ces déplacements sont prévus et réglés avec la plus minutieuse sollicitude.  L'unique souci du Père, c'est de nous fournir tous les moyens pour vivre, pour apprendre et pour oeuvrer.   

 La période de trouble cesse aussitôt que l'âme se détache de ses idoles terrestres et qu'elle se résigne; elle entre alors dans la jouissance paisible de son Idéal.  Cependant deux catégories d'êtres ne connaissent pas le repos de l'autre côté.  Ce sont d'abord les méchants et ceux qui n'ont pas voulu travailler sur la terre.  Ce sont  ensuite les soldats du Ciel.  Ceux-ci, en effet, ne travaillent pas pour se perfectionner, ni pour gagner le Ciel.  Ils sont certains de voir Dieu un jour.  Il leur est indifférent de devenir riches, célèbres, puissants, au physique ou au moral; c'est la volonté du Père qui les intéresse.  Ils ne peinent que pour les autres, jamais pour eux-mêmes; ce qu'ils cherchent, c'est à offrir aux autres de la joie véritable.  Ils s'oublient; ils ne pensent pas à leurs fatigues et, s'ils gagnent une récompense, ils ne la gardent pas, donnant leurs mérites à leurs frères moins avancés.   
 Mais les hommes ordinaires, eux, se reposent, quoique pas très longtemps. Il est très rare que l'interval entre deux incarnations terrestres atteigne mille ans; plus la race à laquelle on appartient approche de son terme et plus l'individu lui-même est évolué, plus fréquemment reviennent les incarnations.  Il existe même ici-bas un homme qui ne fait que passer sans interruption d'un corps usé à un corps neuf; son esprit n'a jamais le temps d'aller jusqu'au pays des morts.  La légende juive d'Elie, la légende chrétienne de Jean l'Évangéliste, la légende musulmane de El Khadir, proviennent d'une intuition de ce fait.  Cet homme, véritable Ahasvérus de l'Invisible, est la petite graine imperceptible qui prépare l'avenir lointain où notre planète entrera dans la joie du Seigneur.   

 C'est sur terre qu'on travaille avec le plus de fruit; parvenir à un age avancé est donc une faveur.  En aucun cas on n'a le droit de se donner la mort; le suicide est un très mauvais calcul.  L'esprit subit de l'autre côté toutes les souffrances auxquelles il voulait échapper et il lui faut accomplir, en outre, des travaux supplémentaires pour réparer tous les désordres que son acte intempestif détermine autour de lui.  Cependant, ne blâmez pas les suicidés; personne ne connaît les véritables motifs d'un acte; et, quelquefois, le suicide est pour ainsi dire fatal.   

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 Quelle doit être notre conduite avec les âmes des morts ?  D'une façon générale, nous n'avons pas à nous  en occuper; nous n'avons pas de devoirs envers eux.  Il ne nous est pas défendu de penser à eux, de continuer à les chérir, de les regretter; mais il ne faut pas les faire revenir, ni par la magie, ni par les moyens plus simples du spiritisme.  Si nous sommes bons, si eux ont été bons, ils reviennent tout seuls; ou plutôt ils ne nous quittent pas.   

 Dans toutes les familles patriarcales, les ancêtres sont présents autour du foyer; ils assistent leurs descendants et prient pour eux, s'ils ont su prier sur la terre.  D'ailleurs, ancêtres, parents et enfants sont un seul groupe compact; s'ils se séparent selon le corps, ils restent ensemble selon l'esprit, à condition qu'ils pratiquent tous la vertu.  Le bien réunit, ressemble, harmonise toujours.  Le mal, même lorsque c'est le même genre de mal que plusieurs êtres commettent, désunit toujours et disperse.  Les manifestations psychiques provoquées, quand elles ne sont produites ni par des larves, ni par des esprits d'animaux, sont le fait du double, de l'astral du défunt; presque jamais le moi immortel n'y participe.   
 Ainsi, nous sommes dans la main de Dieu; Il dispose de nous à Son gré, mais toujours pour notre amélioration.  Il ne permet à personne de quitter un travail avant l'heure; Il ne permet à aucun dieu de spolier qui que ce soit.  Le Père veille sur tous; quand un être bien-aimé nous quitte, des sympathies nouvelles l'entourent; il a des guides, il a des aides; et, où que son juste destin le porte, c'est pour son perfectionnement.  Luttez donc contre la révolte et contre le désespoir.  Nos gémissements attachent nos morts à la terre.  Laissons-les partir; ils reviendront; ils reviennent même souvent d'une façon très matérielle; car, si l'aïeule sourit avec une tendresse si profonde à son arrière-petit-fils, c'est que leurs esprits se rencontrent et se ressouviennent des années disparues, où peut-être ils peinèrent ensemble et furent ensemble heureux.  Mais respectons le voile que la Bonté divine a heureusement jeté sur le mystère des existences.   

 Le spiritisme, pour celui qui a confiance en Dieu, est donc au moins inutile.  D'ailleurs les esprits ne savent rien de plus que nous des secrets de l'univers; ils peuvent très bien se faire entendre de nous spontanément en cas d'urgence.  Obéissons à la parole du Christ : « Laissez les morts ensevelir les morts ».  Ils ont des anges pour s'occuper d'eux, là où ils demeurent, comme ils en avaient quand ils habitaient la terre.  Quant à l'enfer, aucun être n'y reste à jamais; son prince lui-même viendra un jour à résipiscence.  Et, si nous sommes soucieux d'améliorer le sort de nos défunts, le seul procédé efficace et normal, c'est de s'adonner avec plus d'ardeur à la pratique de la vertu.  Du coeur du disciple la Lumière rayonne sur tous les êtres auxquels il s'apparente.  Nous formons des familles, et les membres de chaque famille demeurent ensemble, en esprit, à la condition qu'ils s'unissent par l'amour du même Maître.  Et cet amour-là, croyez-le bien, est le seul que rien ne salisse et sur lequel nous pouvons fonder les espoirs les plus certains.  Bien peu d'hommes le connaissent; mais, à en croire ces privilégiés, aucun enchantement n'approche de ses délices surnaturels.   

 *  

 Ainsi la mort est douce à celui qui aime Dieu par-dessus tout.  Bien loin qu'il cherche, dans les cryptes de l'ésotérisme, des élixirs et des formules pour prolonger son existence, il ne désire pas davantage hâter la visite de celle que seul le Christ sut vaincre.  Sa joie n'est point d'habiter ici ou ailleurs, c'est d'accomplir la volonté de son Maître.  Si vous saviez quelle béatitude nous verse la moindre parole, la simple présence de l'Ami, tous les déserts perdraient leur horreur et tous les enfers leur désolation.  Or Jésus habite notre coeur, de préférence à tout autre lieu, à moins que nous ne nous opposions à Sa visite.   

 Quelles splendides récompenses seront nôtres plus tard !  Et de quelles suavités le Ciel ne coupe-t-Il pas les travaux de Ses soldats !  Pour eux la mort se dépouille de ses terreurs; des anges viennent à leur chevet, ils les gardent, ils éloignent les hostiles de leur corps, ils les enveloppent dans des voiles, ils les couvrent de leurs ailes, ils les portent dans leurs bras, au-dessus des  abîmes, au travers des tourbillons, et ils les déposent, endormis d'un sommeil léger, sur les marches du trône où siège Celui qu'ils aiment. Non, en vérité, le soldat peut ne rien craindre de tout ce qui s'agite entre les bornes de la création.  Mais je ne voudrais pas que vous vous mettiez au travail dans l'espoir d'une récompense; c'est vers la seule joie ineffable de l'Esprit que je vous souhaite de marcher.   

 Celui qui dompte ses passions et qui maintient ces coursiers fougueux dans la carrière du bien reçoit comme récompense d'en devenir réellement le maître.  Qui a vaincu des démons, le Ciel les lui donne ensuite comme serviteurs, quand ils sont améliorés par ses soins.  Mais, si on travaille pour n'importe quel avantage, on est dans l'égoïsme, et non pas dans l'Amour.   

 Il faut devenir parfait par simple obéissance, pour donner de la joie à l'Ami.  C'est alors que le Ciel nous abandonne le butin; mais, surtout, Il Se rend sensible en nous.  Il nous verse la pure liqueur de la vie éternelle.  Il nous enflamme d'une ardeur toujours grandissante.  Ces notions mystiques ne sont pas des concepts philosophiques; ce sont des réalités, des substances actives, des baumes pénétrants.  Si le Verbe est la Vie, et que nous Le possédions en nous, notre unique travail est de faire croître ce germe précieux, de cultiver alentour les innombrables étincelles de tout ordre qui jaillissent continuellement du coeur de l'Univers.  La mort nous apparaîtra telle qu'elle est : un fantôme; et seule l'éventualité d'une diminution de la Lumière en nous nous donnera ces craintes salutaires grâce auxquelles on ne s'arrête pas de monter vers les cimes de l'Immuable.