LE DEVOIR CIVIQUE


Si nous devons quelque chose à la société, c'est qu'elle nous fournit sans cesse de nombreux avantages; mais nous lui sommes redevables encore d'une quantité de forces, de sentiments, d'idées par quoi s'expriment l'effort héréditaire des ancêtres et l'esthétique de la patrie; par quoi notre personne tout entière, depuis le vêtement jusqu'à l'idéation, se colore d'une teinte bien nette qu'on appelle la nationalité.

Le patriotisme est un sentiment sain et vrai; les devoirs qu'il implique sont bien réels et inéluctables; les gouverneurs des incarnations réservent des pénalités à ceux qui essaient de les éviter. En somme, si le génie de notre peuple n'avait pas voulu de nous, nous n'aurions pas pu nous incarner. C'est le sol natal qui nous a fourni notre corps; avec l'air que nous respirons entrent en nous les concepts et les manières de sentir; et les âmes de nos ancêtres nous hantent, sans que nous le sachions, et nous entraînent vers la ligne d'existence qui caractérise le collectif ethnique dont nous sommes une cellule.

On ne doit donc refuser ni le service militaire, ni l'impôt, ni une fonction publique gratuite, ni aucune charge sociale.


Ne pas satisfaire à l'un de ces devoirs, surtout au premier, nous ramène irrésistiblement sur terre, une fois de plus, pour réparer le dommage que causa notre désertion.

Toutefois, celui dont la personne entière ne contient aucune substance venue de la planète où il se trouve n'a pas de dettes envers sa patrie apparente. Tel fut le cas du Christ, tel est celui de Ses amis, les hommes libres, qui surgissent, ici ou là, de temps à autre, pour une mission. Cependant, par humilité, comme exemple, ils assument tout de même les charges sociales. C'est pour cela que Jésus fait trouver à Pierre une pièce de monnaie dans la bouche d'un poisson.

Puisque ceux-là, en qui cependant rien n'est lié à ce monde se soumettent au joug qu'ils ne méritent pas de porter, à plus forte raison nous autres devons-nous obéir. Au point de vue absolu, rien n'est injuste. Au point de vue relatif, il peut y avoir des lois tyranniques ou injustes. Mais elles ne nous commandent que par la permission de Dieu; subissez-les donc dans cet esprit.

Car il arrive que la latitude nous est longtemps laissée par exemple, de travailler toute la semaine; alors on se repose le dimanche et on fait le lundi; mais vienne un décret qui institue un jour férié obligatoire, alors on crie à l'arbitraire et on emploie toutes les ruses imaginables pour travailler tout de même ce jour-là.

Le plus sage est donc de faire ce qu'on nous commande. Le législateur est persuadé que ses règlements sont le produit de sa seule intelligence, bien qu'il n'ait été que le très modeste collaborateur de telle puissance invisible, bonne ou mauvaise. Si la loi nous gêne, nous aurons une forte propension à la déclarer antisociale et à nous insurger. Or, on ne guérit pas le mal par le mal; en nous soumettant à un décret inique, nous empêchons la tyrannie d'aller ailleurs accabler d'autres de nos frères, et la souffrance qu'elle nous impose allume peut-être chez l'invisible auteur de cette loi la première étincelle d'une amélioration future.