L'ALIMENT DE LA VOLONTE



Jésus, ayant prié les trois premières heures de la nuit, en marchant sur les eaux rejoint la barque où voguent Ses disciples, et Pierre va Le rencontrer; mais, ayant peur, il s'enfonce.

La noble simplicité du récit évangélique nous fait tressaillir. Il se trouve parfois des paroles, des chants, et des lignes qui déchirent devant nous le voile du rêve et nous font apparaître la vivante splendeur du songe.

L'histoire de Jésus est le manuel de l'Impossible, le vade-mecum de l'Inouï, le guide dans l'Inconnu. Tous ses épisodes, si on les considère avec le soin qu'ils méritent, je veux dire avec l'attention la plus enthousiaste, avec la vénération la plus dévotieuse, avec une ingénue simplesse, tous les traits de ces récits doivent nous lancer hors de nous-mêmes, vers le pays merveilleux de l'Idéal; ou bien, nous n'avons goûté que l'enveloppe, nous n'avons pas mordu la pulpe savoureuse de ce fruit divin.

Très peu de laïcs ont parlé de l'Évangile; encore moins y ont vu autre chose que de la morale religieuse; un jour est proche cependant, qu'un souffle plus fort de l'Esprit d'intelligence suscitera un homme pour faire connaître les correspondances du Livre avec toutes les préoccupations de la science, de l'art, de la philosophie, de la sociologie, avec toutes les cases de la matière, avec toutes les nuances des feux du coeur, avec tous les arcanes de la pensée.

Que nos efforts et que nos voeux hâtent l'approche certaine de ce héraut !

La force musculaire vient de l'électricité animale; la force magnétique vient des courants vitaux telluriques; la force astrale nous arrive par la réfraction des courants planétaires; la force sentimentale vient de la région brûlante du Désir; la force intellectuelle vient du pays froid de la Conscience; la force intuitive est faite de nos douleurs; mais la force volontaire se nourrit d'aliments vénéneux, et sa corruption vicie tout l'organisme.

L'homme, vous le savez, est un être universel; il est le carrefour où se croisent les voies de toutes les créatures; il porte sur sa poitrine le blason du Père, le libre arbitre; mais, placé à égale distance des fruits de la Nature et de ceux du Ciel, il oublie trop que, puisque la racine de son âme est divine, c'est de divin qu'il se doit alimenter, et que toute autre nourriture lui est malsaine. Si la flamme de la lampe est brillante, toute la chambre sera éclairée; si la volonté est pure, toutes nos puissances seront pures.

Par définition, la volonté est libre; si quelque obstacle l'arrête, ce n'est plus une volonté, c'est une tendance. On ne possède donc de la volonté que dans la mesure où on l'affirme, où on la vit, où on la réalise. L'acte est indispensable à notre équilibre psychique.

On médite logiquement, on contemple ensuite animiquement; mais ce ne sont là que des écoles pour la culture du vouloir; la force de la volonté est la mesure de l'individu. Or, l'essence de cette flamme est la liberté; elle tire donc son origine d'un plan où il n'y a plus de conditions, d'espace, de temps, ni de matière. Ceci est l'absolu, le ciel, le séjour de la Divinité. Le vouloir, pour croître, doit donc se nourrir des seules substances divines.

Ces substances sont pressenties quant à leur nature; elles sont connues par leurs effets qui se nomment l'harmonie, la concorde et l'amour. Quand la volonté se purge de ses intoxications antérieures, c'est le repentir; quand elle s'affame assez fort pour faire passer de l'être à l'existence les objets de ses désirs, c'est la foi; quand, rassasiée, elle rayonne sainement, c'est l'amour.

L'un des buts des leçons de Jésus est de soigner la croissance intérieure de ces forces surnaturelles. Toute évolution n'a lieu qu'au moyen de l'involution synchronique d'une puissance supérieure. Le Christ apporta la lumière suprême, mais elle ne s'acclimate que si les hommes lui en fournissent les moyens.

La portion de notre volonté dont nous sommes conscients peut agir selon deux modes. L'un est rationnel, calme, systématique, froid; son dynamisme est mesurable et mathématique; il s'accroît par l'usage des rites, des entraînements, de tout ce que comprennent la magie et la religion formelle.

L'autre est animique, enthousiaste, sans mesure; sa flamme consume tout, son élan renverse tout; il ne s'aperçoit ni du danger ni de l'impossible; il se croit tout permis; c'est l'incendie de l'Amour où flambent toutes nos puissances; c'est la foi créatrice qui annule toutes les forces de ce monde, et les réduit en cendres. C'est cet éclair éclatant dont Jésus parle sans cesse, dont l'explosion volatilise les préjugés, les scories, toute la cendre du passé qui endeuille notre coeur.

Acquérir cette force demande un travail surhumain; se nourrir de l'essence divine exige que l'on jeûne de tout aliment créé. Quelques-uns savent cela; mais, pour l'accomplir, il faut vaincre toutes les terreurs; l'effroi de la chair qui tremble devant la mort n'est rien en face des épouvantes de l'intellect aux prises avec les ténèbres de l'ignorance primordiale, en face des agonies de l'âme qui se renonce à elle-même en regardant sa vie couler goutte à goutte. Telle est l'école de la foi, tels devraient être les repas quotidiens de la volonté.

Quant au procédé que Jésus employa pour Se tenir sur les eaux, ce ne fut ni celui des médiums ou de Simon le magicien que des agents invisibles soustraient à la pesanteur; ni celui des yogis dont une tension mentale particulière renverse le sens de révolution des courants électromagnétiques. Le corps du Christ, en effet, était formé de molécules pures, tant terrestres qu'extra-terrestres. Bien que Son apparence matérielle restât toujours sensiblement la même, la forme visible de Jésus était d'une mobilité extrême. Ce qui est pur est affranchi des conditions. Tout en paraissant attaché ici-bas, non seulement Il multipliait Sa présence simultanée sur divers plans, mais encore Il amenait en contact avec cette terre telle région où Il avait eu affaire. Le prodige en question, Il ne l'avait pas voulu expressément; ç'avait été la suite d'un des multiples voyages commandés par Sa mission, et, revenant d'une planète moins dense que la nôtre, le corps dont Il S'y était servi était demeuré quelques heures visible à la circonférence de Son individu, si je puis dire, avant que de s'abstraire de nouveau sous le voile de Sa chair terrestre.