LA RÉALISATION DE LA CHARITÉ



Il y a trois espèces de compassion. La première est une sensiblerie maladive, qui nous réduit à devenir les jouets de nos nerfs, les dupes des faux malheureux, les victimes même de nos vices obscurs. La seconde espèce, c'est de se dire, installé dans un bon fauteuil, au coin du feu : « Combien de pauvres diables vont coucher cette nuit dans des mansardes glacées, sous les ponts, et le ventre creux ! Comme je les plains !». La troisième espèce de compassion, la seule vraie, vivante et féconde, c'est, après avoir été ému de cette pensée, de prendre son chapeau et de descendre dans les rues, à la recherche de quelque va-nu-pieds, pour lui offrir un repas et une chambre. Et, si l'on n'a pas d'argent, c'est de le ramener chez soi, avec sa crasse et sa vermine, de le servir et de lui donner son lit. La compassion, ce serait de perdre mon temps avec bonne humeur, au chevet d'un malade grognon. Ce serait de ne pas me fâcher quand un pauvre, endurci par le malheur, finasse avec moi ou m'injurie. Ce serait de trouver des paroles réconfortantes pour ceux-là mêmes qui semblent mériter leur malchance, ou qui geignent à tort et à travers.

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C'est un devoir, c'est une obligation stricte de se donner du mal, de peiner dans le travail manuel, de se remuer dans le travail commercial, de combiner, d'inventer, dans les professions libérales, encore davantage que ne font ces volontés positives et utilitaires qui ne comptent que sur elles-mêmes pour faire fortune ou pour monter aux honneurs. Le disciple ne doit pas restreindre les bénéfices de ses activités pratiques, parce que, ce faisant, il restreindrait les possibilités d'amélioration matérielle ou intellectuelle de sa famille, de ses serviteurs, de ses employés ; il restreindrait la petite circonscription de vie sociale sur laquelle il influe ; et, presque toujours, un tel détachement n'est que la peur paresseuse de l'effort. Il est bien moins dur, en effet, de soupirer que de se fatiguer les bras ou la tête à un labeur soutenu.

Votre devoir de disciples, c'est de ne vivre aux dépens de personne ; or, vit aux dépens de la société, outre celui qui mendie, ou dont la gène sollicite la bienfaisance, celui qui n'augmente pas le capital monétaire, industriel, commercial, intellectuel, artistique de sa patrie. Essayez donc de gagner un peu plus que l'indispensable. Quand votre femme et vos enfants auront ce qu'ils demandent raisonnablement, quand vous leur aurez donné le confort, l'éducation et l'instruction utiles, selon votre rang, le reste sera pour vos charités ; ne faites de l'ascétisme que sur vous-mêmes, sans que vos proches en souffrent.

Votre devoir de disciples, c'est que vos charités ne soient qu'aux dépens de vos aises personnelles, et de les faire vous-mêmes, de ne pas les faire faire à d'autres. J'ai vu des spiritualistes qui, par naïveté sans doute, faisaient donner de l'argent à des pauvres notoirement peu honnêtes, acheter des tableaux faux, placer des incapables, par des gens plus riches qu'eux, mais que cette manière d'agir dégoûta pour toujours de la charité. Ces spiritualistes étaient dépourvus de bon sens ; ils se figuraient avoir bien agi ; l'idée ne leur venait pas que, à défaut de billets de mille francs, ils auraient pu s'imposer toutes sortes de privations pour appuyer leurs prières en faveur de leurs protégés. Vous savez tous, cependant, que la prière peut provoquer le miracle le plus physique, lorsqu'elle est valide ; quelques-uns ont expérimenté cela.

Votre devoir de disciples enfin, dans cette même ligne économique, c'est de ne pas enfouir votre superflu, mais au contraire de le faire fructifier, soit matériellement en l'employant à des entreprises nouvelles, soit spirituellement par l'aumône. La volonté du Ciel est que nous augmentions la vie, en tout et partout.

En un mot, donnez-vous du mal, comme le plus ambitieux des arrivistes, tout en vous privant personnellement comme les avares, en vous détachant de la réussite comme les ascètes, en vous montrant généreux comme si ce que vous donnez ne vous avait coûté rien à acquérir.

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Souvenez-vous que ceux à qui vous parlerez du Ciel et à qui vous proposerez une vie plus pure, commenceront par vous regarder vivre.

L'exemple est la plus persuasive des éloquences. Et votre mandat vous oblige deux fois plus que vos pupilles à la perfection.

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Notre devoir est d'exercer de toutes manières toutes les charités. Pour pouvoir donner, il faut avoir ; pour avoir, il faut acquérir ; pour acquérir, il faut travailler. Travailler, c'est fournir quelque chose au milieu, à tous les milieux ; à la famille, à la société, à la patrie, à la religion, aux arts, aux sciences. Avant donc de songer à faire l'aumône, veillez à ce que les autres ne soient pas obligés de vous la faire. Ne craignez pas le travail matériel, ni l'humilité d'une petite profession.

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Le spiritualiste, en somme, se sent tenu de vivre pour la collectivité et non pour lui-même. Qu'il offre à son prochain une aumône, un conseil, un remède, une consolation, un abri, un emploi, c'est toujours un peu de son propre bonheur qu'il sacrifie. Or, le don matériel n'est qu'un secours momentané si une ferveur morale ne le dynamise point. Dès lors, si nous voulons offrir de la joie aux autres, il faut que nous la possédions d'abord en nous-mêmes.

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L'amour du prochain peut être négatif et d'abstention, ou positif et d'action : ne pas nuire, puis aider.

Ne pas nuire ni par l'acte, ni par la parole, ni par la pensée ; que voilà déjà une entreprise qui semble au-dessus des forces humaines à quiconque s'y essaie, et quelle école pour la paresse, pour la cupidité, pour toutes les petites mesquineries qui pullulent dans chacune de nos oeuvres ! Que nos actes ne nuisent point, c'est endiguer l'avarice et l'ambition ; que nos paroles ne soient pas nuisibles, c'est supprimer l'envie, la jalousie, la vaine suffisance ; que nos pensées ne nuisent plus, c'est semer de la bénévolence, de l'ardeur et de l'allégresse.

Si Dieu est Amour, l'homme Son enfant ne devrait être que charité.

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La charité matérielle est l'école indispensable de toutes les autres sortes de charité. Le plan physique est l'humus, pas très propre peut-être, mais tonique, où toute semence de Lumière trouve l'aliment de son feu vital. Sans l'acte, aucun affinement intérieur n'est viable, ni sain, ni harmonieux. C'est le régulateur de nos énergies, l'assise de la maison spirituelle, le point d'appui du levier avec quoi le mystique soulève le monde. Le geste qui offre un morceau de pain n'est pas complet si c'est la main seule qui l'effectue. Quand je vous disais dernièrement que donner de sa force à celui que dessèche le feu de l'angoisse, soutenir de son amitié l'âme que dépayse cette terre, vêtir de concepts une intelligence nue, apprendre à une volonté impuissante les jeux gymnastiques qui l'affermiront, ramener sans craindre la fatigue ou la perte de temps l'esprit qui s'égare vers les confins du monde dans les sables où meurt toute verdure, quand je vous disais ces exemples de l'unique oeuvre pie que récompense le Verbe, vous avez dû comprendre que ce ne sont là que des formes diverses de l'unique offrande.

Tout acte est une lumière qui sort de soi ; plus je dépense d'énergie dans le premier, plus la seconde est brillante ; plus le centre d'où elle jaillit est profond, plus elle est limpide. Donner de la force morale est donc une étoile de belle couleur ; tendre un verre d'eau pour se débarrasser d'un quémandeur tenace est une lueur fumeuse ; mais offrir la même pauvre chose avec une homogène concordance de toutes nos forces, avec le plein dévouement de nos facultés intérieures, avec une unité volitive et une plénitude organique telle que l'irradiation occulte en éclate dans la beauté formelle du geste, cela, c'est une étoile étincelante. Car la vraie beauté est toujours le signe d'une perfection profonde ; le joli n'est que superficiel.

Mais, il faut le dire aussi, l'aumône parfaite ne sera en notre pouvoir que le jour où l'harmonie sera également parfaite en nous. En attendant, essayons tout de même de donner le mieux possible ; notre effort extrême attirera le regard du Pauvre de Dieu.

Apercevoir dans l'obligé le Verbe Lui-même n'est pas un artifice métaphysique ; tous les chefs religieux ont promulgué cet enseignement.

Partout en effet où il y a une souffrance, le Verbe S'y trouve. De plus, il a fait, Il fait actuellement et fera encore pour nous infiniment plus que ce que nous pourrons jamais rendre aux autres, puisque ce que nous donnons ne nous appartient pas. En L'imitant, nous L'évoquons ; Il Se tient d'ailleurs sans cesse à côté de nous, comme témoin et comme guide. Tout doit donc être ramené par nous à Lui.

Faisons donc notre offrande avec humilité, avec respect, avec joie, avec amour ; notre esprit se tient alors devant la face ineffable du Sauveur, et le mérite de notre geste demeure intégral parce que nous comprenons que c'est nous qui sommes l'obligé du malheureux, et que nous lui devons en somme des remerciements.

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Opposez-vous à votre instinct d'économie, s'il existe. Quand vous allez voir un malade ou un pauvre, apportez toujours quelque chose de ce superflu si souvent nécessaire : un journal illustré, une fleur, un petit objet d'agrément. Si vous allez dans un lieu public, que ce soit toujours vous qui payiez ; payez le tramway ; offrez vos cigarettes si vous fumez ; invitez à votre table ceux-là surtout qui ne pourront pas vous rendre votre courtoisie. Etant bien entendu que cette largesse d'allures ne dégénère pas chez ceux d'entre vous qui ont une propension à la vie facile et à la bohème.

Quand vous avez besoin d'argent pour un but utile, videz le fond de votre bourse pour une dernière charité ; c'est un sûr moyen que le Ciel vous envoie ce qui vous manque. "Car il n'est personne qui, ayant abandonné pour le Christ quoi que ce soit, n'en reçoive cent fois autant dans ce présent siècle et, dans le siècle à venir, la vie éternelle".

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Etre charitable, ce n'est pas laisser tomber deux sous dans la casquette du mendiant qui chante sous vos fenêtres ; ce n'est pas donner cent sous au Petites Soeurs des Pauvres quand elles viennent ; c'est prendre souci d'un affligé comme vous aimeriez qu'on s'occupe de vous si vous étiez à sa place. L'Evangile nous parle de notre prochain ; qu'on se dérange donc, qu'on se prive même, qu'on fasse tout pour quiconque est proche de nous, voisin ou passant ou parent, mais qu'on ne croie pas avoir satisfait au précepte en gémissant sur le malheur des temps ou en plaignant les infortunes éloignées.

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La lumière vient d'en haut, du centre ; les ténèbres arrivent d'en bas ; purifiant notre corps, notre âme reste souillée ; purifiant notre âme, notre corps finit par se guérir. Comment purifier notre âme ? En purifiant notre coeur, en luttant contre l'égoïsme, en donnant.

L'aumône ne se fait qu'avec de la monnaie ; tout ce qui nous appartient, tout ce qui nous constitue, tout ce que nous croyons être notre propriété, tout cela peut être le sujet de l'aumône. Notre argent, notre temps, nos muscles, nos affections, nos idées, nos découvertes, notre art, tout cela peut être donné, doit être offert à qui le demande, et surtout au pauvre honteux qui n'ose pas demander.

Faisant cela, croyez bien que vous ne ferez rien d'extraordinaire ; l'aumône, c'est le cours général de la Nature ; aucun être ne continue à vivre que par ce que d'autres êtres lui donnent. C'est pour cela que l'égoïsme appelle la mort et l'altruisme la vie ; c'est pour cela que tout être, homme, ville ou nation, qui se fait vampire dans son milieu, meurt d'une mort horrible.

Ce n'est pas tout de donner ; il y a la manière. Qu'un philanthrope riche à vingt millions, par exemple, en donne un, il se prive moins qu'un ouvrier qui donne vingt sous ; ensuite le philanthrope reçoit sa récompense par la presse mondiale qui le célèbre par les inscriptions sur le marbre, qui rappelleront son bienfait aux générations futures. Si donc vous voulez que ce soit Dieu Lui-même qui vous récompense, arrangez-vous pour que personne que Lui ne sache votre aumône et tâchez ensuite de donner, non seulement votre superflu, mais un peu de ce qui vous semble votre nécessaire.

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Permettez-moi d'insister sur la différence qui se trouve entre la philanthropie humanitaire et la charité divine. De nos jours on a enfin compris qu'il faut d'abord pourvoir aux besoins matériels des pauvres et ne s'occuper qu'ensuite de leurs besoins moraux et intellectuels. Ce n'est pas encore suffisant pour que luise sur cette terre de meurtre l'aurore de la fraternité universelle. Regardez autour de vous, regardez-vous vousmêmes. Combien de personnes plus évoluées, plus fortes, plus intelligentes que vous vous ont déjà donné leurs soins ; vos parents, vos instituteurs, les inventeurs, les héros de la patrie, de la pensée, de l'art, du divin, tous ont travaillé et souffert pour vous ; et combien d'entre eux sont morts à la tâche ! La culture dont vous êtes fiers, les commodités matérielles dont il vous semble si naturel de jouir sont tissées avec la vie même d'innombrables ancêtres, de contemporains anonymes et de cohortes d'êtres invisibles plus nombreux que les grains de sable des plages.

La rumeur de tous ces êtres en travail forme une grande voix à l'accent impérieux de laquelle je veux vous rendre attentifs. Vous devez descendre vers les plus petits que vous comme vos aînés sont descendus jusqu'à vous. Vous y êtes strictement obligés pour peu que le sentiment de la justice palpite en vous. Et l'obligation s'accentue encore si, non contents de ce que vous possédez déjà, vous désirez accroître ce trésor vivant de forces, de sensations, de sentiments, d'idées, de pouvoirs, d'intuitions que le Père a confié à votre gérance. Si vous n'allez pas vers vos inférieurs, les anges ne s'approcheront point de vous. Vous donc, chef de bureau, patron, notable, acceptez l'invitation de votre commis, de votre ouvrier, de votre artisan ; provoquez-le au besoin ; allez avec bonhommie dans le logement modeste. Donnez avec tact ; mais, quant aux conseils, attendez qu'on vous les demande. Si vous vous montrez homme de sens, judicieux, inaccessible à la flatterie, vos subalternes s'en apercevront vite et s'empresseront de vous consulter.

En matière de philanthropie, la première précaution à prendre est d'établir la confiance ; la seconde est de ne pas laisser voir qu'on attend de la reconnaissance, de ne pas prendre une attitude de bienfaiteur. Cela paraît simple, mais c'est difficile. Pour cela, le mieux, c'est de s'assimiler au préalable cet axiome mystique qui exprime avec la plus grande précision le mécanisme invisible de la charité : à savoir que celui qui fait l'aumône est l'obligé de celui qui la reçoit.

Celui qui essaie d'aimer son prochain comme soimême peut aller plus loin et toucher à la perfection par trois efforts pénibles. Le premier, c'est de faire soi-même le travail qui répugne au camarade ; le second, c'est d'aider de ses conseils et de ses mains le maladroit, sans le dire aux chefs ; le troisième effort, enfin, c'est, lorsqu'un collègue malhabile ou malintentionné cause des dommages à l'usine, à l'administration, de réparer ces pertes, de donner pour cela, toujours sans que personne ne le sache, de son temps et même de son argent.

Voilà une des mille occasions que la vie commune nous offre de devenir de vrais chrétiens ; et cet héroïsme sans gloire a souvent plus de prix au regard du Père que celui dont la renommée magnifie le mérite.

L'homme, en face de Dieu, l'homme s'accrochant à Dieu, l'homme s'anéantissant en Dieu, expérimente que toujours il faut tenter l'impossible. Je veux vous emmener plus loin que les paysages connus du salut personnel ; ouvrez vos yeux à un jour nouveau, respirez une atmosphère plus pure : je veux vous inviter à l'inquiétude du salut d'autrui ; le salut non seulement pour ceux que vous aimez, pour tous ceux avec lesquels vous sympathiseriez, mais encore pour tous ceux que vous trouverez sourds à vos exhortations et insensibles à vos exemples, toute cette multitude enfin d'enfants prodigues pas encore rassasiés d'illusions ni d'amers plaisirs. Voilà pour qui j'aimerais que vous peiniez, parce que c'est se tenir au plus près de Notre Maître que de se fatiguer pour des indifférents, de se dévouer pour des ingrats, de prier pour des êtres qui ne sauront pas qu'on s'occupe d'eux et qui, même si on le leur disait, se refuseraient à le croire.

Vous tous qui savez que Jésus est le Fils du Père, vous ne le savez que parce qu'Il S'est montré à vous, autrefois, sur cette terre ; gardez soigneusement contre les voleurs cette perle inestimable ; quand notre Christ reviendra, vous Le reconnaîtrez au premier regard et vous vous sentirez prêts à quitter par l'Esprit ce monde pour toujours; Il vous emmènera vers d'autres champs, vers d'autres cieux, vers un soleil nouveau qui déjà depuis plusieurs années vous conforte à votre insu. Votre avenir est affermi ; vous pouvez ne rien craindre. Employez donc toutes vos forces au bénéfice de vos frères moins clairvoyants ; donnezleur tout ce que vous avez reçu ; vous ouvrirez ainsi leurs coeurs à l'Amour et l'Amour vous enrichira de trésors inconnus, vous régénérera de forces inépuisables, vous rendra libres enfin pour l'accomplissement éternel de la béatitude promise à tous.

Nous sommeillons dans la nuit : au moins que l'étoile unique de la foi y luise ; que les grands souffles de l'Amour l'embaument ; l'allégresse n'est pas dans les choses ; elle sera dans notre coeur, si nous en avons versé les impuissances et les scories dans le coeur incandescent de Notre Maître, qui, seul, nous aime perpétuellement.
 

Nous ne sommes faibles que dans la mesure où nous nous appuyons sur nous-mêmes ; nous ne sommes tièdes que si nous n'alimentons pas notre feu ; nous ne sommes craintifs que si nous restons seuls. Appuyons-nous sur le Très Fort ; brûlons nos égoïsmes ; attachons-nous au manteau du Grand Berger ; Il n'est jamais plus heureux que lorsque nous L'importunons.

Que d'événements d'une portée incalculable dont les germes sont arrosés par le sang le plus pur des martyrs ! Une coupe qui n'est pas bue jusqu'à la lie, appelle d'autres coupes encore plus amères. Or aucune torture ne compte si elle peut enlever une épine de la tête de Notre Jésus, martyr perpétuel.

Haussons-nous à l'altitude des circonstances, oublions-nous ; absorbons-nous dans l'unique soin d'alléger les souffrances environnantes. Quel d'entre vous n'a pas vérifié que Jésus entend les prières et les exauce !

Mais, pour que Jésus vous entende, Le chercher intérieurement par le désir et l'imploration ne suffit pas ; cherchez-Le encore extérieurement, dans les endroits désolés dont Il déclare faire Son séjour ; partout où l'on souffre, où l'on pleure, où l'on désespère. Allons toujours davantage vers les pauvres du corps, du coeur ou de l'esprit, même si nous nous sentons aussi pauvres qu'eux. En un mot, tentons toujours l'impossible ; l'impossible est le domaine propre de Dieu.

Il arrive qu'une relation nouvelle est près de s'établir ; on vous a donné les meilleurs renseignements et, malgré cela, une crainte indéfinissable vous fait hésiter, au moment de recevoir la personne. Tous les spiritualistes vous conseilleront d'écouter votre pressentiment obscur que quelque chose de fâcheux vous arrivera par cet individu. Si vous voulez rester dans le chemin du Ciel, allez au contraire contre cette répulsion, ne l'écoutez pas. Ne la chassez pas en pensant que vous êtes plus habile ou plus fort, mais en vous disant : Si de la douleur doit se produire par le moyen de cet homme, il vaut mieux que ce soit moi qui la supporte, plutôt que l'inconnu mon frère, avec lequel s'établiront sûrement les relations que je suis tenté de refuser.

L'éloignement que l'on éprouve pour quelqu'un ou quelque chose vient toujours de la paresse, soit du corps, soit de l'esprit. Or le Royaume de Dieu, c'est la vie éternelle, le mouvement absolu ; celui qui aime l'immobilité ne peut donc entrer dans ce Royaume.

Pour ces motifs et pour bien d'autres encore, les préférences et les attentions du disciple iront vers ceux qui lui paraissent en retard, au point de vue social, intellectuel et moral. La philanthropie, cette charité scientifique, rationnelle et laïque, est en progrès de nos jours ; elle constitue les étais qui empêchent notre civilisation de s'effondrer. Il reste mieux à faire. Allez vers les misérables en ami ; ne quittez pas leur mansarde ou leur bouge dès que le pansement est fait ou le conseil donné ; causez avec eux. Vous récolterez des railleries, des insultes, vous serez dupés pendant des mois ; ne vous en formalisez pas ; c'est tout naturel ; continuez sans impatience ; peu à peu vous les gagnerez ; ils retourneront bien des fois au cabaret, sûrement. Persistez. Il vaut mieux n'améliorer qu'un seul homme que d'en laisser cinquante à michemin. Le statuaire qui termine une figure la vend ; celui qui en a une douzaine inachevées meurt de faim.

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Beaucoup de personnes bien intentionnées ne s'aperçoivent pas qu'elles vont vers les pauvres avec des manières protectrices et condescendantes. Leur coeur est bon, certes, mais elles s'imaginent que leur naissance, leur éducation, leur fortune constituent un privilège. Elles se trompent; elles ne tiennent de leur mérite aucun de ces avantages et, en toute justice, celui que le destin favorise est le débiteur du deshérité ; mystiquement, celui qui souffre plus est supérieur à celui qui souffre moins. Allons aux misérables humblement, simplement, avec bonhommie.

D'autres personnes compatissantes tombent dans l'excès inverse ; elles usent d'une grosse familiarité vulgaire, qu'elles croient être cordiale et bon enfant. Or le pauvre a sa dignité ; sa misère ne le rend pas forcément stupide ; le bon sens est presque toujours vif chez lui et le tact délicat. Témoin muet de beaucoup d'injustices apparentes, privé de s'instruire, tout son temps pris par le dur gagne-pain, il demande d'être traité en homme et non pas en serf.

D'autres philanthropes se croient tenus à discourir ; ils ne peuvent s'empêcher de faire des remontrances et des sermons, et ils ne s'aperçoivent pas qu'on les écoute mal ; ventre affamé n'a pas d'oreilles. Ce que la misère réclame d'abord, c'est du pain, un abri, des vêtements ; après, les théories qu'on fera pourront être entendues. Rien n'aiguise le sens critique comme le malheur ou la rudesse de l'existence ; d'un regard le pauvre découvre les travers, les ridicules ou la valeur morale de la dame patronnesse qui entre chez lui.

Or nous savons combien la force du caractère et la hauteur de l'esprit peuvent rendre supportables les peines du corps.

En soulageant les souffrances matérielles, la charité parfaite du Christ purifiait l'âme et illuminait l'intelligence. Voilà où nous devons tendre ; ne touchons aux blessures du corps, à celles du coeur qu'avec des mains respectueuses, des sentiments modestes et de délicates précautions.

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Ce que l'on entreprend, il faut, pour réussir, s'y employer à fond. Soyons charitables de toutes nos forces, avec toute la gravité de notre âme, avec toute la grâce de nos manières, avec soin, avec élégance, avec précaution. Pansez les plaies du coeur avec des paroles aussi douces que vos mains se font légères pour panser les plaies du corps. N'allez pas vers les pauvres en vous croyant supérieurs à eux ; si nous ne sommes pas nés dans les bas-fonds de l'enfer social, est-ce à nous de nous en faire un mérite ? Et puis, ne vous imaginez pas avoir des droits à la reconnaissance de vos obligés. Du point de vue de Dieu, entre le riche et le pauvre, le véritable bienfaiteur, c'est le pauvre ; non pas que le pauvre rende toujours en bénédictions l'aumône qu'il reçoit, mais parce que le Christ, qui Se cache derrière lui, nous rend une aumône spirituelle dix fois plus précieuse que nos soins et notre argent.

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Nous ne savons pas faire la charité ; bien donner deux sous à un pauvre, ce n'est pas si facile que cela paraît. Il n'y faut pas trop de zèle, mais une disposition intérieure affectueuse et calme, une espèce de joie discrète et compatissante, peu de paroles, un regard sympathique et sincère, sans suspicion. Le pauvre est un homme comme les autres, pourvu des mêmes défauts et des mêmes qualités ; on n'a pas le droit d'attendre de lui un stoïcisme que nous, favorisés du sort, ne possédons pas. Qui ne se permet pas de petites combinaisons plus ou moins licites pour améliorer son confortable ?

Non, il ne faut pas venir vers les humbles avec des discours moralisateurs ; en face d'eux il est bon de savoir se taire ; même les moins bons approchent le Christ de plus près que nous, puisqu'ils souffrent davantage ; même les mécréants d'entre eux et les aigris. Si, lorsque nous les avons quittés, ils ne se disent pas : « Il y a tout de même de braves gens, c'est que notre charité est mal faite. Il faut venir à eux le coeur ouvert, vous dis-je, et avec une confiance double : confiance en l'Ami commun qui nous regarde avec la même tendresse, eux et nous ; confiance en eux, confiance aux qualités profondes que la misère ensevelit, mais qu'un peu de vraie bonté sortira de la gangue ; si nous ne leur donnons pas notre confiance, comment oseront-ils nous offrir la leur ? Nous serons peut-être exploités ; quelle importance cela a-t-il en face de cette probabilité précieuse, qu'un jour le souvenir du Ciel se réveille en eux ?

On répand involontairement autour de soi l'auréole de son idéal. Notre Christ est le Seigneur de la bienfaisance, de la tendresse innocente et de la joie pacifique ; si nous vivons dans cette atmosphère, nous la rayonnerons ; nous serrant contre Lui avec une confiance très spontanée, des malheureux à leur tour viendront à nous avec le même abandon.

Si le champ d'activité où les désillusions abondent le plus est celui de l'apostolat, c'est souvent à cause de notre maladresse. L'homme charitable détient avec l'inventeur et l'artiste pur le record des échecs. Aussi, dans ces carrières arides, est-il nécessaire qu'un optimisme invincible, une conviction inaltérable, deviennent l'arbre de couche de toute la machine.

On ne peut entrer dans la phalange des vrais mystiques si la confiance en Dieu n'est devenue l'habitude de notre caractère et le tissu même de nos énergies.

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Si je n'ai pas l'idée de l'avarice, je ne m'apercevrai pas que mon voisin est avare. Les propriétés des êtres, les qualités, les défauts sont des choses vivantes, qui s'attirent ou se repoussent. Le proverbe : " Qui se ressemble s'assemble" exprime une loi universelle. Quand l'ingénieur, aux colonies, aligne ses équations, le sauvage n'y comprend rien, malgré qu'on les lui explique, parce que l'organe du calcul dort dans son cerveau. Soyons bien convaincus que, si tel visiteur nous paraît un sot, et tel autre un vaniteux, c'est que notre propre sottise ou notre vanité reconnaissent leurs sueurs.

Les importuns, les bavards les plus redoutables, nos ennemis mêmes deviennent par ainsi, de très précieux auxiliaires ; les derniers surtout, car la malice et la haine voient bien plus juste que la sympathie ou l'amour. On devrait non seulement leur pardonner, mais encore les remercier.

Toutefois ne soyons pas trop exigeants. Pardonner tout de suite et du fond du coeur, c'est déjà bien difficile pour la majorité des humains. Si l'on était humble, on pardonnerait facilement, puisqu'on serait convaincu de mériter toute attaque. Mais les formes de l'orgueil se sont installées en nous depuis si longtemps qu'elles finissent par faire corps avec notre esprit, comme le lierre parasite arrive à se confondre avec le tronc du chêne qu'il étouffe. Le simple oubli d'une offense est cependant une grande chose, puisque le sort de centaines de créatures est lié à nos décisions. Chacune de celles-ci est un assassinat intérieur ou une reviviscence, puisque chacun attire à nous ou l'enfer ou le Ciel.

Il est peut-être plus difficile de ne pas médire que de pardonner. Une grande force est nécessaire pour s'abstenir d'une parole méchante ou spirituelle. La médisance souille l'intellect, le coeur et le corps ; elle attire le mal et rend la prière débile et lourde. Comme tout le monde à peu près se rend coupable de ce défaut, il est presque impossible d'en réparer les dégâts. De même que le ressentiment, la médisance nous isole de la Lumière en empêchant nos anges de communiquer avec nous.

Pour éviter ce défaut, je ne connais qu'un moyen : c'est de ne pas dire des absents autre chose que ce que l'on se permettrait en leur présence.

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Que votre demeure se fasse connaître comme un lieu de détente, de repos ; que vos amis puissent cesser, chez vous, de se tenir sur la défensive. Pour cela, défendez vous-mêmes les absents ; interdisez les racontars ; mais, alors, que cette proscription soit générale. Ne demandez pas qu'on épouse vos sympathies ou vos antipathies. Trouvez des excuses à ceux qu'on attaque. C'est un excellent exercice pour affiner l'intelligence et agrandir la sensibilité. Ne jugez personne, puisqu'il vous est impossible de connaître sûrement le mobile qui détermine autrui ou l'intention dans laquelle il agit. Un jugement, c'est une mainmise sur le voisin et une ligature dont on s'attache soi-même. Ne critiquez pas. Chacun suit le chemin qu'il lui faut suivre. Et personne ne connaît son propre chemin, à plus forte raison ignorons-nous la route d'autrui. Ce sont nos propres paroles et nos actions qui nous jugent. Le Père Lui-même ne S'occupe pas de cela. Souvenez-vous qu'une parole n'est pas seulement une vibration, une force fluidique, une pierre sur le lac du mental ; c'est un être vivant.

Celui qui, après des efforts, des chutes, des regrets et des recommencements sans nombre, est parvenu à devenir le maître de sa langue, a fait de son coeur une place forte. L'homme discret est un refuge assuré pour toutes sortes de créatures inquiètes ; son calme les réconforte ; la rectitude de sa conduite les éduque ; peu à peu il leur donne du courage. Les coupables viennent à lui ; les malfaisants s'arrêtent de nuire ; les irrésolus l'écoutent ; et tous lui deviennent des auxiliaires dans son oeuvre illuminatrice. Si ces nobles résultats s'aperçoivent facilement autour de nous ils sont encore bien plus nombreux dans les mondes intérieurs où jaillissent les sources de la Vie.

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Si votre coeur s'efforce vers la Lumière, la Lumière sera en lui, et en toutes vos actions. La politesse, qui n'est, en général, qu'une suite de mensonges agréables, deviendra dès lors une force vivante et bénéfique. Chaque mensonge commis empoisonne des cellules en nous. Soyez sincères ; et, pour pouvoir l'être sans blesser personne, cultivez l'indulgence. Ainsi vos visiteurs emporteront, quand vous les reconduirez, un peu de la paix qui plane sur votre maison ; et vous apporterez avec vous, chez les autres, un peu de cette même paix.

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Exercez la juste compassion soyez pitoyables avec une raison calme ; gardez-vous des entraînements d'une sensiblerie fumeuse ; les vapeurs de la chair ont une inquiétante subtilité ; elles pénètrent les chambres intérieures les mieux closes ; redoutez par-dessus tout comme une bassesse, comme une avarice odieuse, de faire quelque profit sur le pauvre à qui vous êtes secourable. Que votre charité soit charitable : qu'elle soit un don. Vous avez le droit de demander un travail à celui que vous aidez ; mais si vous sollicitez de lui une complaisance, vous souillez votre altruisme et vous légitimez son ingratitude.

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Lorsque sur le trottoir je vois quelque pauvre homme tomber dans une crise quelconque, si je pense en moi-même : "Tant pis pour lui, il n'avait qu'à ne pas boire", à l'instant même je change la direction de ma destinée, et mon être se trouve acheminé vers un concours de circonstances tel que, dans un avenir plus ou moins proche, il se trouvera aux prises avec les mêmes faiblesses ou les mêmes chagrins qui ont fait de cet homme un alcoolique. Résisterai-je mieux que lui ? Il est probable que non, parce que j'aurai eu trop confiance en ma force.

Si, devant le même spectacle, je m'abstiens d'acquiescer au mépris qui monte de mon coeur mauvais, par crainte de subir plus tard une tentation semblable, je ne suis pas charitable, mais égoïste avec habileté ; et le destin me mettra sans doute, en quelque jour de désarroi, aux prises avec d'autres égoïsmes calculateurs.

Mais si, n'apercevant dans cette forme roulant à terre parmi les ordures qu'un corps déchiré par la souffrance, qu'un esprit accablé par le chagrin, je m'efforce de les calmer, de les réconforter tous deux, peut-être, parce que je n'aurai pas voulu voir les ténèbres où gémit ce frère malheureux Dieu réveillera-t-il la Lumière endormie au fond de son coeur, et ce malade sera guéri. Pour obtenir de tels miracles, il ne faut que l'amour fraternel et agissant, dépouillé de calculs, d'hésitations, de regrets.

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Si les circonstances me mettent en position de juger quelqu'un de mes frères, ou quelqu'une de ses oeuvres, je sais que l'Amour me présentera d'autres méthodes. Je sais, par exemple, que l'Amour ne détruit pas ; il construit à côté ; que ni la parole, ni l'écriture ne possèdent la force entraînante de l'exemple ; que l'humilité vraie, la conviction secrète de mon ignorance et de ma maladresse, si elles m'empêchent de voir le défectueux dans l'oeuvre d'autrui, me permettront d'y découvrir l'esquisse d'une beauté nouvelle, le germe d'une force qui s'ignore. Et ces découvertes positives sont bien plus importantes que les grattages et les coups de pioche du critique démolisseur.

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Pourquoi la mission du Christ s'affirme-t-elle, en outre de la parole, par la guérison des maladies ? C'est que l'homme est englué dans la matière physique ; son corps absorbe une grande partie de son attention ; et si, comme dit le proverbe « ventre affamé n'a pas d'oreilles », celui que la douleur accable ne peut écouter des discours de prédicant.

Pour qu'une parole physique pénètre jusqu'à notre coeur, celui-ci doit être ouvert ; s'il est concentré sur un objet, et surtout s'il est accablé par une souffrance, ce monoïdéisme temporaire le ferme, et il n'entend pas.

C'est pourquoi celui qui s'adresse aux malades doit être un rayonnant s'il veut que la drogue ou le fluide opèrent tout leur effet, s'il veut que la force divine restaure le membre disparu, s'il veut que le Consolateur transforme un coin d'enfer en paradis.

Il faut aussi que, comme son Maître, il sache compatir ; il faut qu'il comprenne les angoissés, qu'il puisse en lui-même gémir avec eux, tout en leur montrant un visage de gaîté. Que son coeur soit une vaste hôtellerie, où tout passant trouve le réconfort et le repos ; il y a bien dans la maison une chambre à part que l'on réserve pour l'Ami ; mais tout le reste est à la disposition des voyageurs. Un tel homme ne doit pas craindre de dépenser son temps, ses forces, son intelligence, sa bonté ; mais qu'il n'espère rien en échange de son travail ; il doit peiner par obéissance, il doit aimer tous les êtres et toutes les choses parce que ce sont les enfants de son Maître ; aujourd'hui, il a tels d'entre eux à soigner, demain lui en confiera d'autres. C'est dans la mesure où il restera impersonnel, anonyme et serein, que son travail sera parfait.

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L'ouvrier honnête n'accepte de salaire que du maître qui l'a embauché. De même, quand le Ciel met dans notre main, dans nos yeux ou sur nos lèvres un pouvoir, nous sommes dans l'obligation de le développer, non par des entraînements plus ou moins ésotériques, mais par l'exercice.

Si nous sommes très courageux, recherchons les malades, les désespérés, les ignorants, les incrédules, et tâchons de les guérir par notre force, notre espoir, notre science ou notre foi, et ensuite par la prière.

Si nous sommes moins courageux, si nous craignons les contrecoups inévitables que provoquera la descente de la Lumière dans les ténèbres, attendons que les souffrants nous demandent du secours.

Mais, quoi que nous fassions, il se peut que la maladie nous contamine, que le désespoir et le doute nous atteignent. Cela ne fait rien ; prions alors en secret, et toutes les forces avec tous les courages nous reviendront.

Celui qui agit par la vertu du Ciel n'a pas le droit d'exiger un salaire pour ses cures ou ses leçons ; il n'a acquis par ses propres efforts ni ses pouvoirs, ni sa science ; il doit donc en faire part gratuitement.

Le jeûne, c'est restreindre avec modération la nourriture du corps ; mais, surtout, c'est restreindre avec rigueur la nourriture du moi. Apprenez à vous priver au bénéfice de quelque souffrant ; mais prenez garde, en même temps de ne pas vouloir forcer le miracle ; surveillez toujours scrupuleusement le moi ; refoulé sur un point, il surgit sur un autre ; veillez en esprit.

Disons maintenant qu'on n'a pas le droit de charger son corps du mal d'autrui ; car notre corps n'est qu'un prêt. Si Dieu veut écouter notre demande, Il est assez riche pour guérir par Ses propres moyens toutes les maladies de l'univers. En Lui donnant, par le jeûne moral, la preuve de notre bon vouloir, Il entendra certainement nos supplications.

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Nous croyons que tout est vivant; que non seulement l'animal, mais la plante, le caillou, cette table même ont une intelligence, une sensibilité, une volonté ; tous ces petits esprits regardent vers l'esprit de l'homme qui est leur soleil, et se guident d'après lui. Ce sont des témoins de nos actes. Essayez donc de leur être utiles et bienfaisants ; ne brutalisez rien, pas même un pavé, pas même votre canne ; soignez le chien ou le cheval si vous les voyez souffrir ; redressez la branche qui tombe ; ramassez le morceau de pain qu'une négligence laisse perdre : il pourra servir à un malheureux ; poussez dans le ruisseau la pelure d'orange sur laquelle on glisserait ; ne jetez pas même une épingle : ce serait mépriser la peine de bien des travailleurs ; dites-vous toujours que nous ne possédons rien en propre ; nous ne sommes que des administrateurs responsables. Ainsi se forme peu à peu autour de nous une atmosphère de sympathies secrètes, mais vivantes et d'autant plus efficaces que nous aurons révéré dans ces formes de la Vie la bénévolence sans bornes du Père universel.

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L'homme exerce, sur les objets au milieu desquels il vit, une influence réelle. Une chaise brandie avec fureur emmagasine de la colère ; les ustensiles d'une ménagère avare propageront l'avarice chez leurs propriétaires ultérieurs. Il en sera de même pour les actes de l'homme bon, au point de vue des fluides et surtout au point de vue des esprits. Voyez-vous maintenant qu'il est inutile de s'embarrasser des mille précautions inscrites aux lois de Moïse ou de Manou ? Manger dans un plat qui a déjà servi, s'habiller de vêtements déjà portés, se nourrir de viandes dites impures, toucher des cadavres, cela souille peutêtre, comme le prétendent les Orientaux, le corps ou l'aura ; mais cela ne tache ni le coeur, ni l'esprit. Les hiérophantes antiques purifiaient par le de hors ; Jésus purifie par le dedans. Une table toute neuve peut quand même avoir été souillée, par la paresse de l'ouvrier, par la cupidité du marchand, par la méchanceté de l'arbre qui en a fourni les planches. En tout cas, le rite ne purifie par luimême que le plan des vibrations. Au contraire, un objet aurait-il servi à perpétrer le crime le plus noir, si on l'emploie à faire un acte de vraie charité, ce sera, pour son esprit, une purification parfaite.

La charité, unique devoir de l'individu envers tout le reste du monde, est innombrable dans ses applications. Ne vous moquez d'aucune chose : ce serait offrir un logis à l'esprit de dénigrement. Ne cassez pas des branches dans la forêt, ne tuez pas des insectes, ne détruisez rien sans motif pressant. Ce sont des sages à leur manière, ceux qui, dans les vastes greniers des demeures provinciales, entassent toutes les vieilleries hors d'usage ; ces antiques serviteurs se reposent ensemble, comme ils ont travaillé ensemble ; ils ne souffrent pas de l'ingratitude humaine ; ils rendent encore des services à leurs maîtres, mais spirituels au lieu de matériels. Ils rattachent à la maison qui les abrite les images du passé, les chaînes traditionnelles, les lignes d'ancêtres et de descendants.

Ne brûlez pas ces vieux témoins ; ne les dispersez pas, sauf pour secourir quelque malheureux ; laissez-les retourner tout doucement à la poussière originelle. C'est par charité qu'il faut garder les cadeaux encombrants ou ridicules ; on hospitalise ainsi ce dont un autre ne voudrait pas. C'est par charité qu'il ne faut détruire les vieux portraits ni par la flamme, ni par les ciseaux ; ils gardent toujours un peu de la vie de celui qu'ils représentent, même s'il est mort. Enterrez ces photographies déteintes ; la terre est maternelle. Par charité ne soufflez pas la lampe ou la bougie ; évitez la mort subite aux petits êtres qui fabriquent la flamme ; puisque votre souffle répand en vous la vie, ne l'obligez pas à donner la mort, au dehors. Par charité ne racommodez pas indéfiniment le vieux linge et les vieux habits, si vous Pouvez en acheter de neufs ; la Loi, c'est que tout circule et que tout se renouvelle.

N'épargnez aucun de ces humbles efforts, de ces obscurs sacrifices. Un temps viendra où vous retrouverez, dans quelqu'une des blanches demeures du Père, tous ces humbles génies du foyer, tous ces modestes serviteurs ; et devant votre regard ému repassera, du fond des siècles et des espaces, la scène familière où vous aurez eu un geste de douceur sur les témoins muets, quoique vivants, de votre petite existence terrestre.

Toutes les prières que vous aurez prononcées dans le silence nocturne et la solitude de votre chambre close, les objets autour de vous les auront entendues, s'en seront nourris et en auront gardé le souvenir. Les choses ont une mémoire ; la psychométrie le prouve. Sachez bien que vos livres, vos bibelots, les arbres, dans votre jardin ou dans la campagne, sentent votre présence, comprennent un peu de ce qui se passe en vous et attendent de vous une lumière et une direction.

Donnez-leur cette lumière, non pas en cherchant à les éclairer par vous-mêmes ; votre lumière propre est bien trop peu de chose. Mais efforcezvous de retenir dans votre coeur la lumière même du Verbe et vous serez à tous ces êtres un guide certain.

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Mais attention à l'imprudence, attention à la présomption ! Plusieurs parmi les hommes de bonne volonté sont imprudents qui, voulant imiter Jésus, fréquentent les bas-fonds de l'enfer social dans le dessein de faire luire une espérance aux yeux éteints des désespérés, ou de raviver la notion morale dans la conscience engourdie des criminels ou des pervers. Certes, l'élan de ces convertisseurs est digne de louange ; mais combien échouent dans ces généreuses tentatives, soit qu'ils aient présumé de leurs forces, soit que, croyant faire un geste fraternel, ils aient en réalité obéi à une convoitise obscure dont ils n'ont pas su démêler au profond d'eux-mêmes l'insidieuse sollicitation. Dans l'un comme dans l'autre cas, ils se trompent lourdement et sur eux-mêmes et sur le misérable qu'ils voulaient aider, car on ne sauve personne de force. Et le destin n'a pas de pitié pour nos erreurs ; le Ciel seul accorde Son indulgence.

Le philanthrope au zèle imprudent, qui se laisse entraîner par le milieu corrompu qu'il voulait assainir, la rigoureuse loi de causalité l'oblige à endosser plus tard les conséquences personnelles de son échec et, de plus, elle le tient pour responsable des chutes plus profondes, dont sa faiblesse aura été la cause, chez les malheureux qu'il n'a relevés du ruisseau que pour les y laisser retomber.

Mais ne penchons pas non plus vers un excès de prudence. Si le disciple avancé, le "soldat du Christ", doit courir au-devant des luttes et des risques spirituels, tout chrétien a le devoir de ne se détourner d'aucune des épaves sociales qu'il rencontre sur sa route. Si le bon bourgeois se détourne du chemineau, il fait mal et il attire sur sa tête le destin de ce vagabond et les vices mêmes qui peut être ont réduit ce frère à la mendicité. D'autres exemples viennent tout naturellement à l'esprit ; inutile, n'est-ce pas ? de les énoncer.

Le «soldat du Christ», lui, est un chrétien vieilli sous le harnais mystique ; il a pas mal travaillé déjà, il possède une expérience, et Jésus, en le prenant à Son service, lui donne des armes. La bataille, c'est son affaire ; il doit montrer du courage ; et, pour lui, l'imprudence n'existe pas. Un tel homme ira donc au-devant des complications ; il recherchera partout les désespérés, les négateurs, les vicieux, les ignorants, les révoltés, les inertes, pour les sortir de leurs marécages ; et, s'il succombe dans les tentatives téméraires où l'entraîne son zèle, les anges le secourent, et Jésus reviendrait pour luiseul sur la terre plutôt que de le laisser se perdre.