LA FONCTION DE LA FOI


Par les mots Pistis ou Fides, l'antiquité classique dési-gnait la croyance; les très nombreux passages du Nouveau Testament où figurent ces termes signifient donc aussi bien l'adhésion intellectuelle que l'adhésion sentimentale au concept christique. L'usage séculaire de la chrétienté a enrichi le sens de ces beaux vocables.

Pour le catholique, la foi est un assentiment intellectuel commandé par la volonté (saint Thomas). Pour le protestant, la foi est un fait moral, un certain état d'âme, précédé de l'assentiment, suivi de l'obéissance (Hastings). Je me confie à la science et à la véracité de Dieu, j'admets Sa parole : tel est l'acte de foi catholique. Le protestant veut, pour qu'il y ait foi, qu'à la suite de cette croyance naisse en moi un sentiment d'abandon à Dieu, de certitude de Son appui, d'humilité, de confiance en Sa miséricorde.

Catholiques et protestants sont d'accord quant à la néces-sité de la confiance en Dieu et en les mérites de Jésus-Christ pour obtenir le pardon, et quant à l'impossibilité de réparer le mal qu'on a commis, sans ce pardon. Mais les protestants croient en outre que le pardon et le salut sont certains et assurés, pourvu qu'on ait cette foi-confiance; et ils pensent que, sans elle, nul ne peut être sauvé. Le Concile de Trente n'admet ni l'une ni l'autre de ces deux propositions.

L'apôtre des Gentils donne une définition de la foi (Hébreux XL I) de laquelle diverses traductions ont été pré-sentées; il me semble instructif de les reproduire ici.

En voici trois catholiques :

" La foi est la substance (ou la réalité, ou une ferme attente, d'après d'autres ecclésiastiques) des choses qu'on espère, une conviction (ou une démonstration) de celles qu'on ne voit pas ". (Abbé Crampon.)
" Est autem fides sperandum substantia rerum, argumentum non apparentium ". (Vulgate.)
" La foi est le soutien des choses que nous espérons, l'évidence de celles que nous ne voyons pas ". (Le P. Amelote.)

Voici des traductions protestantes :

" La foi est une certaine confiance de ce que l'on espère, et un non-doute de ce que l'on ne voit pas ". (Luther.)
" La foi est un soutènement des choses qu'on espère, et une certification des choses qu'on ne voit point ". (Bible de Gabriel
Brun, 1586.)
l" La foi est une assurance certaine des choses qu'on espère,
une ferme conviction des choses qu'on ne voit pas ". (Ménégoz.)
" La foi est une vive représentation des choses qu'on espère, et une démonstration de celles qu'on ne voit point ". (Oster-wald.)
" La foi est une ferme assurance des choses qu'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit pas ". (Version synodale.)
" La foi est une ferme attente des choses qu'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit pas ". (Segond.)
" La foi est une ferme persuasion des choses qu'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit point ". (Oltramare.)
" La foi est une conviction relative à ce qu'on espère, une certitude à l'égard de faits qu'on ne voit pas ". (Reuss.)
" La foi est la ferme conviction de choses qu'on espère, l'absolue certitude de faits qu'on ne voit pas ". (Stapfer.)

Pour bien saisir la pensée de saint Paul, notons ici qu'il ajoute à la foi, pour qu'elle vive, la charité avec des oeuvres (Galates V, 6; I Corinthiens XIIL 13). Si nous nous reportons en même temps aux paroles du Christ qui font dépendre le salut de la foi (Jean IIL 16), de l'obéissance à la loi de Dieu (Matthieu XIX, 16), du secours de la grâce (Jean VL 44; XV, 5), de la pénitence (Matthieu IV, 17; Marc L 15), du baptême (Jean III, 5; Marc XVI, 16), de la persévérance (Matthieu X, 22), nous aboutirons logiquement à ceci : que le salut exige les ressources combinées de la miséricorde divine, de nos puissances intuitives, de nos facultés intellec-tuelles, de notre force sentimentale et de notre énergie physique; au total, Dieu et l'homme tout entier.

Consultons les commentateurs du Christ, les théologiens.
Saint Basile (Homelia de Fide) définit la foi une disposition par laquelle nous croyons aux vérités révélées de Dieu. Saint Jean Chrysostome énonce : " La foi consiste à croire ce qu'on ne voit pas, à se fier à l'autorité de celui qui nous fait la promesse ". (In Genesim, ch. VI, homélie 36.) La même conception d'une foi dogmatique domine le symbole dit de saint Athanase, composé en Gaule ou en Espagne au IVe ou au Ve siècle, et la doctrine de saint Augustin (de utilitate credendi; de fide rerum quae non videntur; de videndo Deo) et de son disciple saint Fulgence (de fide ad Petrum).
Saint Thomas (Somme, 2e partie, question I à XVI) consi-dère ainsi la foi :
Son objet formel ou motif de crédibilité est la vérité première, c'est-à-dire Dieu; son objet matériel, ce que croient les fidèles. Les vérités sur lesquelles porte la foi ont été divisées en plusieurs articles et disposées dans le Symbole. Croire, c'est donner une adhésion ferme à la parole révélatrice. L'acte de foi est méritoire. L'habitude de la foi, par rapport à la foi elle-même, a été définie dans l'Épître aux Hébreux (XI, I) : " La substance des choses qui sont à espérer, la démonstration (ou la conviction) de celles qui ne se voient pas " ; elle est la première des vertus, elle a l'intellect pour sujet et elle est la plus certaine des vertus intellectuelles. L'habitude de la foi a été dans les anges avant leur glorification; elle est dans les démons qui sont forcés de croire à la parole révélée et trans-mise par l'Église, mais elle n'est dans les hommes qu'à la condition qu'ils admettent tous les articles du Symbole. Un secours d'essence surnaturelle nous est offert pour nous permettre d'embrasser la vérité divine; c'est la grâce. La foi a pour effet de produire en nous la crainte d'être séparés de Dieu. Les dons correspondant à la foi sont : le don d'intellect et le don de la science lequel, plus spéculatif que pratique, aide à discerner ce qu'il faut croire ou ne pas croire. Les vices opposés à la foi sont : l'infidélité, le blasphème, l'ignorance et le défaut d'intelligence. L'ancienne loi ne renfermait aucun précepte qui regardât la foi : on a dû en établir dans la nou-velle.

Ainsi, la foi, au sens catholique, n'est pas un acte pure-ment intellectuel, mais un acte où la volonté influe sur l'intelligence; l'acte par lequel nous croyons un dogme présuppose un mouvement de l'âme vers Dieu; il peut donc avoir une valeur morale et religieuse et une vertu salutaire initiale. C'est pourquoi saint Thomas dit que " la première union de l'âme avec Dieu se fait par la foi " et que " le premier principe de la purification du coeur est la foi, qui enlève l'impureté de l'erreur; ensuite, si elle est perfectionnée par la charité, elle produit la purification parfaite ". La foi--croyance, quoique inférieure à la charité par exemple, a un droit de priorité; dans l'ordre du développement psycholo-gique, on va de l'imparfait au parfait; la foi-croyance est la porte qui nous introduit dans le christianisme; elle fonde et soutient les autres actes de vertu. Elle commence la justification, puis l'achève avec l'espérance et la charité.

Le concile de Trente définit : " La foi, c'est croire qu'une chose est vraie ". " La foi, si l'espérance et la charité ne viennent s'y joindre, n'unit point parfaitement au Christ et ne rend point membre vivant de son corps " (c. VIII, n. 800). Cependant " c'est une vraie foi, bien qu'elle ne soit pas la foi vive; et celui qui a la foi sans la charité est chrétien " (can. XXVIII, n. 8-38). " La foi est le commencement du salut de l'homme "... (c. VIII, n. 80I). Donc " anathème à qui prétend que l'impie est justifié par la foi seule, entendant par là que rien d'autre n'est requis et ne coopère pour obtenir la grâce de la justification ) (can. IX, n. 8I9).

Le Concile du Vatican définit : " Par cette foi qui est le commencement du salut de l'homme, l'Église catholique entend une vertu surnaturelle par laquelle... nous croyons
que le contenu de la révélation divine est vrai " (sess. III, canon III). Et encore : " La foi est une vertu surnaturelle par laquelle, prévenus et aidés de la grâce de Dieu, nous tenons pour vrai ce qu'il a révélé " (Concile Vatican : Const. Dei Filius, ch. 3).
En résumé, l'Écriture et les organes de la tradition supposent ou enseignent que la foi est une adhésion de l'esprit aux dogmes révélés.

Voyons ce que dit la Réforme.
Calvin garde le concept d'une foi intellectuelle; mais, dans certains passages (notamment Institution chrétienne, I, IV, ch. I), il introduit un élément mystique : " Nous obte-nons salut... en tant que nous connaissons Dieu nous être Père bienveillant pour la réconciliation qui a été faite en Christ et parce que nous recevons Christ comme à nous donné en justice, sanctification et vie ". Entre la tendance intellectualiste et la tendance mystique oscillera la théologie protestante au XVIIe et au XVIIIe siècle. Au commencement du XIXe siècle, des théologiens anglais accordèrent la préémi-nence à l'idée sur le sentiment, ramenant le mouvement vers l'orthodoxie. Schleiermacher (+ 1834) enseigne que la religion consiste essentiellement dans la vie du coeur ou dans le sentiment. Samuel Vincent, pasteur de Nîmes, déclare : " Les données de la foi sont simples et non discursives; elles ne viennent point du jeu de nos facultés intellectuelles ". (Du protestantisme en France, 1829, p. 335.) Pour lui, le christianisme est beaucoup moins une doctrine qu'une vie, et il sépare l'Évangile des symboles scolastiques.
Ensuite Alexandre Vinet (+ 1847) affirme que la foi est " proprement une vue intérieure des vérités du salut, une communion du coeur avec la vérité, une vie plus encore qu'une vue ". (Étude sr Blaise Pascal, p. 199.) De même, pour Schérer et pour Colani, la foi est un acte moral qui consiste dans l'union avec Jésus-Christ (Schérer : Revue théologique, 1850, t. I, p. 65 et suiv.; 1851, t. III, p. 98 et suiv.; Colani : 1851, t. III, p. 1 et suiv.). Pour Auguste Bouvier, la foi est " le don de la pensée et du coeur au Dieu de l'Évangile et l'union de l'âme avec Jésus-Christ ", et la théologie est " la
manière de traduire ce sentiment engendré par l'Évangile en idées, en conceptions systématiques ". (J.-E. Roberty : Auguste Bouvier, théologien protestant, Paris, Alcan, p. 89.)

C'est ainsi que le protestantisme libéral en est venu à distinguer la foi des croyances. Eugène Ménégoz (Publica-tions diverses sur le fidéisne et son application à l'enseigne-ment chrétien traditionnel, 3 vol., Paris, Fischbacher, 1909; Réflexions sur L'Évangile du Salut, Paris, Fischbacher, 1879) va jusqu'à admettre le salut d'un homme qui nierait l'exis-tence du Christ pourvu que son " coeur fût assez chaud pour se donner entièrement à Dieu " (t. I, p. 274). Mais il reconnaît que la foi comprend un élément intellectuel : la croyance, qui joue un rôle d'élément actif dans la formation de la foi mystique. En tout cas, l'homme est sauvé par la foi, par la repentance et le don du coeur à Dieu, quelles que soient ses croyances, ses erreurs, ses hérésies; le croyant est sauvé uniquement par la foi, par la consécration de l'âme à Dieu, indépendamment de ses théories, de ses opinions.

Dans ce système, la foi chrétienne ne diffère plus substantiellement de celle du mahométan ou du bouddhiste; l'un et l'autre, en effet, devant les spéculations de la pensée, se sentent soulevés au-dessus du monde sensible et s'attachent à Dieu par une véritable étreinte. Ici, la foi est le don du coeur, la communion avec Dieu; la croyance, le dogme n'en est que l'enveloppe; la foi est immuable, le dogme varie. On considère les doctrines scriptuaires comme l'expression momentanée d'une expérience; on les exprime autrement ou on les nie, tout en se déclarant spirituellement d'accord avec les écrivains sacrés !

Auguste Sabatier, fondateur du " Symbolisme ", se place au même point de vue que le créateur du " Fidéisme ". La foi est le sentiment religieux et, comme elle tend à s'exprimer dans des formules, elle cherche le secours d'anthropomorphismes ou de symboles, sans leur imprimer d'ailleurs aucun caractère de fixité. De là, dans la foi, un élément permanent et un élément transitoire. Le fidéisme s'attache surtout à l'élément permanent; le symbolisme insiste sur l'élément transitoire. (Voir notamment : Esquisse d'une philosophie de la religion d'après la psychologie et l'histoire, Paris, Fischbacher, 1897; La doctrine de l'expiation et son évolution historique, Paris, Fischbacher, 1903; Les religions d'autorité et la religion de l'esprit, Paris, Fischbacher, 1905.)

" Pas n'est besoin, pour être religieux, de croire en Dieu au sens traditionnel du mot. Tout homme qui se consacre intérieurement et se donne à sa loi, à la loi idéale de l'huma-nité, qu'il le veuille ou non, fait acte de foi religieuse dans la mesure exacte de l'énergie et de la sincérité de cette consé-cration " (Religions d'autorité, p. 493).
Ainsi le fidéisme a frayé le chemin à l'agnosticisme religieux. Théodore Flournoy écrit : " Foi et auto-suggestion sont nécessairement synonymes " (" Observations de Psy-chologie religieuse ", dans Archives de Psychologie, t. II, p. 133, Genève, octobre 1903). Tous les objets de croyance sont rangés dans le mystérieux domaine de l'inconnaissable et la raison doit abdiquer ses prétentions à les saisir.

En résumé, la doctrine catholique proclame que la foi est un assentiment de l'esprit aux vérités révélées et immuables; l'esprit les embrasse non parce qu'il les voit, mais parce que Dieu les lui enseigne. La foi est essentiellement volontaire ". Elle implique, certes, un élément intellectuel; mais, si celui-ci devient individuel et rejette la tradition, il introduit dans la foi la variété de ses vicissitudes. D'où l'agnosticisme chez qui l'acte de foi se présente dépourvu du caractère de l'obligation. Qu'est-ce, en effet, qu'un acte qui résulte d'un " élément infiniment variable ", comme l'appelle Flournoy, mensonge autant que vérité, puisque ce qui est actuellement vrai deviendra faux tout à l'heure ! D'où ce rationalisme en matière religieuse qui aujourd'hui augmente le nombre des spiritualistes non catholiques, incrédules à la divinité absolue de Jésus-Christ. D'où ce modernisme qui donne la foi comme un simple sentiment du coeur, sans discipline intellectuelle, et bientôt sans discipline morale. En condamnant le modernisme, le Saint-Siège a mis en sûreté la très précieuse, l'irremplaçable notion de Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, venu en chair et ressuscité.

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Quelle est la fonction de la foi dans le travail de notre salut ?
La controverse entre catholiques et protestants se déploie entre ces deux textes :
" L'homme n'est pas justifié par les oeuvres de la loi, mais par la foi. (Saint Paul : Galates II, 16.)
" L'homme est justifié par ses oeuvres et non par la foi seulement ". (Saint Jacques, II, 24.)
Or saint Paul dit aussi : " Quand j'aurais toute la foi, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien ". (I Corinthiens XIII, 3.) Et encore : Mainte-nant demeurent trois choses : la foi, l'espérance et la charité; mais la plus grande parmi elles est la charité ". (Id., 13.) Et enfin : " Dans le Christ Jésus, ni circoncision, ni incirconcision n'ont de valeur, mais la foi agissante par la charité ". (Galates V, 6.)

D'autre part, le même apôtre écrit : " La foi est imputée à justice ". (Romains IV, 5.) La foi n'est pas en elle-même la totalité des conditions nécessaires au salut; mais Dieu nous fait la grâce, par le Christ, de la tenir comme suffisant au salut. Si je crois que le Christ est Dieu et que Lui seul peut m'emmener dans le Royaume de Dieu, cette conviction, que ma volonté impose à ma raison, impose comme frein à mes égoïsmes, impose comme excitant à mes paresses, cette volonté ouvrira en moi les fenêtres aux rayons de
la Grâce, et rendra possible ma régénération.
Selon saint Paul, l'intelligence du chrétien dit : " Je ne comprends pas, mais j'accepte ". Le coeur du croyant étreint la personne divine du Sauveur et L'aime; le corps du croyant se plie aux oeuvres que lui commandent ensemble l'intelligence transportée au delà de l'espace et du temps, et le coeur, transporté dans l'amour parfait.

Les oeuvres que saint Paul nomme oeuvres de la Loi sont celles accomplies par crainte, par intérêt; les oeuvres de la foi sont celles dont le motif est surnaturel, les oeuvres de la charité, de l'amour, Jacques et Paul sont, en réalité, parfaitement
d'accord. Car le premier ne manque pas d'écrire que la patience, la faculté de souffrir longtemps et sans plaintes est la preuve de la foi, son épreuve et sa preuve, mais qu'elle doit être accompagnée d'oeuvres parfaites (I, 3, 4). Il ne laisse d'ailleurs pas de reconnaître un élément de croyance intellectuelle dans la foi; mais, lorsque la foi se réduit à cet élément, comme chez les démons (II, 14), elle est incomplète et stérile.

En lisant les Épîtres, il faut se souvenir que saint Paul s'adresse aux Gentils, à des incroyants, qui pensent se sauver par des observances de forme; il leur enseigne donc la vertu de la foi, la purification, la spiritualisation des mobiles. Saint Jacques s'adresse à des Juifs formalistes et ritualistes; il leur montre la nécessité de réaliser leurs préceptes morts, de les faire revivre. L'un et l'autre veulent faire entrer dans l'âme de leurs auditeurs la possibilité, la certitude du salut éternel. Mais le premier assure ce salut par un acte parfait et total de l'homme intérieur, dont cette perfection même emporte l'acti-vité des oeuvres matérielles bonnes; pour lui, les oeuvres parfaites sont le fruit normal et spontané de cette union mystique dans la foi et dans l'amour. Tandis que le second assure ce même salut par la perfection des oeuvres, laquelle implique la perfection de la foi. Il conseillerait d'agir pour Dieu, et la foi viendrait ensuite.

Saint-Paul, il ne faut pas non plus l'oublier, était un intellectuel, un philosophe, initié à l'ésotérisme juif. Saint Jacques, beaucoup plus réaliste, préférait l'ascétisme et l'effort pratique. Il s'occupe davantage de l'homme. Paul se soucie d'abord de Dieu.

En somme, le converti qui regarde Dieu, il est possible que le Père ne le juge capable que de voir le Bouddha, ou Mahomet, ou le Bab, ou un Christ rapetissé aux imaginations humaines. Mais, si le Père le juge capable d'entrevoir le vrai Christ, l'illumination qui se produit alors pourra éclairer ou son intellect, ou sa volonté, ou son coeur. Et ce converti comprendra dès lors ou saint Paul, ou saint Jacques, ou Jésus Lui-même. Il n'y a pas de désaccord possible dans les textes sacrés; il n'y a que des incompréhensions du lecteur dues soit à son inintelligence, soit à son orgueil.

Et puis, qui nous prouve que les Apôtres ignoraient la différence entre les paradis temporaires et le bonheur éternel ?

Parmi tant de mystères que Jésus leur communiqua, et dont aucun récit ne nous est parvenu, ne leur fit-Il jamais comprendre que l'oeuvre du salut est une entreprise presque toujours séculaire ? Que l'on se voue à Dieu maintenant, ici-bas, pourra-t-on réaliser ce voeu dans toute l'étendue de sa personnalité, dans tous ses concepts, tous ses sentiments, tous ses actes ? Que l'on admette le Purgatoire, l'incertitude où l'on est du mode de la durée qui régit ce lieu ne fait-elle pas voisiner l'imagination avec les systèmes de la pluralité des existences ? Et, dès lors, que le converti commence l'entre-prise de son salut par les oeuvres dont le rayonnement ouvrira de proche en proche ses appartements intérieurs à la Lumière; qu'il la commence par la construction d'un système de pensée, tel par exemple que le thomisme, en suite duquel il se verra logiquement incliné à l'amour de Dieu et aux travaux chari-tables; qu'il la commence enfin par l'embrasement de son coeur, qui exaltera son intelligence jusqu'au seuil de l'Irrévélé et qui infusera à son corps le courage de toutes les fatigues, pour le service du prochain; ne voyons-nous pas que cette entreprise du salut, comme tous les voyages, a son commen-cement, son milieu et sa fin ? Le premier pas peut être tenté par l'espérance, ou plutôt par le désir de l'espérance, par le besoin de la foi, par la pitié charnelle, commencement de la charité; mais les pas intermédiaires, et le dernier pas, c'est la foi, l'espérance et la charité, toutes trois unies en s'entraî-nant, qui donnent au pèlerin la force de les faire. Du reste, les plus grands serviteurs de Dieu n'en sont jamais qu'à une étape plus ou moins éloignée du départ.

Ainsi, les méditations des plus sages et des plus pieux des hommes aboutissent toujours aux conclusions du simple bon sens, quand ce bon sens fonctionne sur la base de l'humi-lité, sur l'habitude de l'accomplissement des préceptes chris-tiques. Que l'on commence par comprendre, ou par aimer, ou par agir, l'exercice de l'une de ces trois fonctions entraîne et améliore les deux autres. Et l'homme sincère devrait ne concevoir jamais la moindre crainte au sujet de son avenir spirituel. Vues à l'ombre de Jésus-Christ, toutes choses sont simples et certaines.