DIRECTIVE 1

   Communication faite au
Congrès du Progrès Religieux en juillet 1913

 
 Tous ici, nous avons dévoué nos forces  au service de l'humanité. Mais la besogne  particulière à laquelle chacun de nous s'est consacré dans les domaines de l'intelligence, de la sociologie ou de la religion risque d'oblitérer en nous l'unique nécessaire: le  sens qui caractérise l'homme, le sens du  divin. 

 La génération qui monte va être  ardente  d'action; il faut lui dire comment ses actions,  naturellement belles, seront encore plus belles; il faut lui donner l'inquiétude de  l'Ineffable; il faut lui instiller le désir de la vraie puissance intérieure; il faut greffer sur ces  âmes généreuses une faculté surnaturelle: le pouvoir de sentir Dieu. 


 Je n'ai rien à vous apprendre; je ne veux que témoigner d'une chose: de tous les  êtres, c'est Dieu qui demeure le plus près de nous. Et je vous prie avec insistance de vous  souvenir souvent de cette chose. 


 La religion, ce n'est pas l'ensemble des liens qui nous rattachent aux autres hommes, ni même à ces créatures surnaturelles que l'on appelait autrefois des dieux, que nous   nommons aujour-d'hui les Idées: ces lumières ne sont que les reflets assombris de l'éternelle  Lumière. La religion c'est l'ensemble des canaux secrets par lesquels Dieu, notre Père, Se verse dans les coeurs qui le désirent. La vraie religion, la religion éternelle, la religion  de l'Esprit, celle dont tous les cultes ne sontque les voiles symboliques, réside dans cette  certitude que quelques hommes possèdent  d'entendre au fond d'eux-mêmes, la voix de Dieu, de voir la beauté de Dieu, de toucher la  puissance de Dieu. 


 Cette communication de l'Etre suprême  avec les êtres créés, cette exaltation de nous-mêmes jusqu'aux royaumes éternels, par quoi seulement l'homme réalise sa mission d'homme, demande un collaborateur.

Or, Dieu seul peut nous monter jusqu'à lui; et son bras c'est le Christ Jésus, Fils unique du Père, incarnation seule de sa sorte dans l'histoire spirituelle du monde, arche unique jetée entre l'éternel et le temporel, entre l'absolu et tous   les relatifs. 


 Souvenons-nous souvent de cette  figure insondable dans laquelle tout le créé  coexiste avec tout l'incréé par un double miracle d'incompréhensible perfection. Et elle  seule nous donne le mot de toutes les énigmes, la médecine de toutes les faiblesses, la force de tous les travaux. 


 L'immensité de Jésus dépasse nos plus vastes imaginations. Il réconforte nos désarrois; Il nous précède et nous suit tour à tour, partout où nos désirs portent notre  esprit. Seul parmi les anges et les dieux, Il reste notre Ami, l'ami particulier de chacun de  nous; car seul entre tous les êtres, Il possède le pouvoir divin de pouvoir se donner totalement à plusieurs. Sa sollicitude est inlassable, Sa tendresse infinie et Sa bonté   délicate tellement que, pour les apercevoir, nous avons besoin d'une complète éducation   intérieure. 


 La plupart d'entre vous, Messieurs, c'est le Christ que vous chérissez par-dessus tout; pardonnez l'inquiétude où je suis que vous ne l'aimiez pas encore assez. Il faut L'aimer par-dessus tout, en dehors de nous et aussi par-dessus tout en nous. Vous êtes des éducateurs d'hommes; donc, prenez garde à vos intelligences, si vastes, si subtiles, si pénétrantes qu'elles soient. Du point de vue de Dieu, c'est par l'intellect que rentre en nous l'ange de la mort spirituelle; c'est par le coeur qu'entre l'ange de la Vie, notre Jésus. 


 Gardons présente à la mémoire l'antithèse révélatrice que formule saint Paul:  la sagesse de ce monde, folie aux yeux du ciel; la sagesse du Ciel, folie aux yeux de ce monde. Gardons-nous des mirages du savoir, si beaux certes, mais des mirages. Pour concevoir le divin, il faut percer le miroir brillant de la connaissance. Pour étreindre le divin, il faut terrasser le plus vigoureux athlète, notre propre coeur. 


 Nous qui essayons d'agir pour Dieu, souvenons--nous sans cesse que seule une maîtrise de nous-mêmes, infatigablement renouvelée, lancera nos actes vers l'Éternel.  Nous avons d'abord à devenir des saints,   surtout si nous ne nous en croyons pas capables; nous avons ensuite à ne plus vouloir être des saints, à cause de la joie que nous  aurions à en être. 


 La vie intérieure vers laquelle il faut tendre, c'est une perpétuité de morts profondes et de renaissances vigoureuses;  son unique discipline, c'est le jeûne du moi;  son unique rayonnement, c'est la charité vraie, la charité du coeur. Et nous n'entraînerons jamais les autres vers le Père si nous-mêmes nous ne vivons de la vie du Père, si nous ne devenons pas uns avec Son Fils. 

   SÉDIR