LE PHARISAISME 

 
   Caïphe, le souverain sacrificateur, après la résurrection de Lazare,  dit aux pharisiens : « Il est à propos qu'un homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas ».  Jean fait remarquer qu'il prophétise sans le savoir, que les paroles que l'esprit de sa charge lui fait prononcer ont un sens différent de celui qu'il leur attribue.  Le prophète est ainsi parfois inconscient,  et souvent indigne; l'abstrait de la fonction mène le fonctionnaire; ce dernier devient alors passible s'il est indigne ou incapable. 
 
   Les moralistes et les écrivains ascétiques ont décrit l'obstination par laquelle l'homme se détourne délibérément du bien et l'hypocrisie par laquelle il échafaude toutes sortes de raisonnements pour se justifier contre la voix de sa conscience.  Les colloques de Jésus avec les pharisiens offrent de nouveaux exemples de cet aveuglement.  Tout en se prenant dans leurs propres pièges dialectiques, ils entretiennent la division en eux-mêmes et la suscitent autour d'eux : leur vie est une lutte continuelle entre ces appétits adverses qu'ils fomentent. 
 
   La perversité corporelle est moins grave que la perversité intellectuelle; car, selon la parabole, celui qui dit oui et n'agit pas est coupable; celui qui dit non et qui, se ravisant, obéit tout de même, devance le premier.  Ainsi le remords est une médecine salutaire; c'est ce médicament divin dont parle le Philosophe Inconnu, amer à la bouche et si bienfaisant au corps.  Soyons attentifs à ne pas le refuser lorsque le Médecin nous le présente.  En effet, les phénomènes de la 
 vie intérieure, pas plus que ceux de la vie extérieure, ne sont jamais isolés.  Ce que perçoit notre conscience n'est qu'une des nombreuses ramifications d'un mouvement inconnaissable qui touche toute une série d'autres créatures.  Et il faut, pour que le même phénomène se reproduise sur un point quelconque du monde, un ensemble de combinaisons biologiques dont la répétition est aléatoire et hors de l'atteinte de notre volonté. 

   C'est pour cela que l'acte qui se présente à l'homme d'intention pure est exactement pour lui le meilleur devoir et le meilleur travail; c'est pour cela qu'il ne faut jamais négliger l'occasion; c'est pour cela que, dans le cas qui nous occupe, il ne faut pas laisser partir le cliché du remord, avant-coureur de la Lumière, puis producteur du repentir et de la pénitence. 

   Si l'amour dont le Père brûle envers Ses enfants Lui donne pour eux une indulgence sans cesse renaissante, il n'empêche que leurs désobéissances, provoquant de profondes perturbations dans l'équilibre de l'univers, les précipitent dans des complications inextricables et retardent pour des siècles leur développement, leur progrès et leur bonheur. 

   Quand les mauvais vignerons bâtonnent les serviteurs du propriétaire de la vigne, et qu'ils tuent son propre fils, c'est là l'histoire du peuple d'Israël et de l'humanité tout entière.  La vigne est le monde; et le Père envoie de temps à autre des prophètes qui essaient de nous apprendre à offrir à Dieu, par l'obéissance et par l'amour, les fruits de la force vitale qu'Il nous a donnée.  Sa miséricorde ne se lasse pas, et Il finit par nous envoyer Son propre Fils.  Que notre obstination perverse L'oblige à nous donner Sa vie, et il ne se passera pas sept générations avant que le suicide ou le dernier supplice ne viennent sur nous, comme choc en retour de notre méconnaissance de la Lumière; tandis que celle-ci s'en ira vers d'autres de meilleure volonté. 

   Si le monde est un champ où foisonnent toutes sortes de plantes, sa végétation est aussi une bataille, sa moisson est une symphonie et l'aboutissement final de ses travaux est la possibilité que chacun de ses habitants devienne le tabernacle de la Divinité par l'édification du Temple universel.  Les prêtres d'Egypte connaissaient ce plan providentiel; et ils en avaient transmis la tradition aux kabbalistes.  En effet, Rabbi Salomon (ad Micheam, V, I) et Rabbi Abarbanel (ad Zachariam, IV, 10) enseignent que la pierre de l'angle n'est autre que le Messie. 

    Le roi qui invite aux noces de son fils, c'est le Père; son Fils, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ; ses noces sont la réintégration finale de l'univers, ou chacune des réintégrations partielles qui introduisent les créatures dans un paradis temporaire.  Les serviteurs, ce sont les anges de Dieu, les Amis, les Laboureurs, les Pêcheurs, les Soldats mystiques.  Les invités (les Juifs), c'est la portion du genre humain prédestinée à chacune de ces réintégrations.  Leur refus, c'est notre aveuglement, notre ingratitude, nos égoïsmes, et nos assassinats des missionnés de Lumière.  Les carrefours et les vagabonds par qui on fait remplir la salle du festin, ce sont les groupes humains qui n'avaient pas été destinés, dans le décret providentiel, à cette réintégration-là.  Par exemple, les Gentils. 

   L'homme sans robe est le paresseux, le tiède, l'immobile, qui, tout en souffrant, n'a pas utilisé sa souffrance, qui ne s'est acquis aucun mérite, aucun vêtement de Lumière.  Il ne trouve aucune excuse.  Les ténèbres extérieures, ce sont les purgatoires, et les cavernes de la seconde mort.  Sur une race d'hommes terrestres, devant quitter la terre à telle date, très peu ne sont là qu'accidentellement, pour une cause particulière; la très grande majorité se trouve bien à l'école qui lui convient.  Seulement elle n'en profite pas; un tout petit nombre se montre digne de l'élection. 

   Tout ce récit envisage aussi bien le point de vue individuel que le cosmologique, et le matériel que l'immatériel.  Car tous les êtres possèdent de l'intelligence, même les pierres, même les créations de l'art et de l'industrie.  Sur la terre, cette intelligence n'est pas perceptible parce que la Lumière spirituelle y est obscure,  en nous et hors de nous.  Mais il existe un lieu où cette Lumière brille de tout son éclat; les voiles y sont supprimés, tous communiquent avec tous, et la force enténébrante du néant ne peut s'y manifester.  Dans ce lieu, tout parle, tout sent, tout connaît, tout est béatifié; chaque énergie pure que génèrent les êtres dans l'accomplissement du bien, est transportée par des anges dans ce lieu.  C'est ainsi que la Jérusalem céleste se construit lentement au cours des humanités et des cataclysmes.  C'est là que le Temple éternel de Dieu se bâtit; c'est là que la pierre du Verbe, rejetée par l'orgueil aveugle des hommes, reprend sa place, redevient la clef de voûte de l'édifice, contre laquelle se brisent toutes les volontés discordantes.