LES APPARITIONS 

 
  
   Jésus communiqua le Saint-Esprit à la première visite qu'Il fit aux apôtres, en corps de résurrection.  Il fallait, pour que cette effusion fût possible, qu'Il ait entièrement terminé Son travail terrestre, car l'Esprit ne Le précède pas, mais Le suit, puisqu'Il Le relie perpétuellement au Père.  Le Consolateur n'arrive donc jamais dans un lieu quelconque que lorsque le Verbe l'a quitté physiquement.  
   Jésus résume aux apôtres leur mission; parcourir le monde comme Lui-même l'a parcouru; ils n'iront d'ailleurs nulle part où Il ne soit Lui-même passé pour les semailles.  Il leur donne une première fois le Saint-Esprit afin qu'ils puissent remettre les péchés, c'est-à-dire opérer des guérisons; ils recevront une seconde fois le Consolateur qui leur donnera l'intelligence.  En effet, ce souffle divin désagrège en nous les écorces de la matière et du moi, par la faute desquels nous ne percevons les objets que sous leurs apparences et dans leurs rapports avec nous-mêmes.  La mémoire des apôtres fut vivifiée; ils se rappelèrent les enseignements de leur Maître, et en comprirent la majeure partie; ils connurent quelques-uns des arcanes de la Nature; ils commencèrent à sentir la vie universelle avec ses innombrables modifications dans les pierres, les plantes, les animaux, les hommes et les invisibles.  
  
   Nous ne savons pas, nulle créature ne peut savoir ce que c'est que l'Esprit; tout au plus pouvons-nous sentir ce qu'Il n'est pas.  Il est donc impossible d'expliquer le mécanisme de Son opération; contentons-nous d'en constater les effets.  Ici encore, ce sera l'image la plus simple qui nous renseignera le mieux.  L'Esprit est l'opposé de la matière; toutes leurs propriétés propres sont donc contraires.  Et, puisque la matière engendre l'ignorance et le mal, l'Esprit produira la connaissance et la purification.  
   Si donc on a reçu le Consolateur, on peut connaître la vérité sur toute chose; on peut, chez toute créature, transmuer le mal en bien.  Non pas chasser, ce qui est un simple changement de résidence, mais convertir, faire que les vices deviennent des vertus, et les maladies des forces.  
   Mais si un tel homme, à un moment donné, change de direction et recommence à vivre selon le moi, et non plus selon Dieu, l'Esprit S'envole de lui et les pouvoirs qu'il avait reçus de Lui se volatilisent.  On peut suivre dans l'histoire religieuse de l'Europe les preuves de cette remarque.  

   Pour l'Israélite, remettre les péchés, c'était suspendre la colère divine de façon que le délinquant n'ait plus que les conséquences de ses fautes à épuiser, par rapport à lui et aux êtres qui en avaient subi un préjudice.  
   Mais, pour le vrai chrétien, Dieu ne Se met pas en colère, à l'encontre de ce qu'affirment encore aujourd'hui trop de ministres religieux.  La rémission des péchés, c'est alors le nettoyage, l'enlèvement de la tache, et de ses suites.  Le repentant devient pur, et il peut recommencer un nouvelle vie; mais qu'il prenne garde alors de ne pas retomber; sa seconde chute serait pire que la première.  C'est une des raisons pour lesquelles il est préférable peut-être de souffrir ses maux avec patience, car, tout le long de l'épreuve, des forces se trempent en nous, qui nous permettront plus tard de résister avec succès.  C'est pour cela aussi que le Ciel n'intervient directement dans la marche du monde qu'à de rares intervalles.  
   Supportons la maladie, la misère, le chagrin, avec le sentiment que nous avons mérité ces épreuves; il faut toujours payer ses dettes.  Et soyons assurés que, si nous ne rencontrons pas l'ange qui nous libérerait d'une parole, c'est que nous ne sommes pas encore assez forts pour vaincre dans cette bataille contre soi-même qui est toujours le prix des  faveurs du Ciel.  
   L'épisode de l'incrédulité de Thomas nous montre une fois de plus combien les capacités ordinaires de notre mental sont restreintes, et avec quelle étroitesse nous limitons nous-mêmes nos points de vue.  Le domaine de la foi, c'est uniquement le surnaturel; il s'étend, par définition, en dehors de notre intelligence, de notre compréhension, de notre conscience; il est même au-dessus des concepts que peuvent découvrir les êtres exceptionnels, comme les adeptes de l'occultisme ou les voyants du somnambulisme.  Rien de ce qu'engendrent les univers n'appartient à l'ordre des vérités fidéiques, car tout  
 cela peut être perçu à un certain développement de la sensibilité, de l'intelligence ou de la volonté.  

   Le Christ entre, toutes portes fermées, et confère la Paix aux assistants; la scène de la persuasion du douteur se déroule; le Christ dit; Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru; et le narrateur raconte cet épisode « afin que vous croyiez ».  
  Cette cinquième apparition éclaire bien comme celle destinée à l'intellect, et à cet apôtre de l'Orient où tout est enseigné par clefs de cinq.  Thomas, comme son nom l'exprime, contient en lui le double mystère jumeau de l'intelligence et de la foi; prédécesseur de l'ange de l'École, il apporte la Lumière aux contrées qui furent les initiatrices du monde païen; il fut, lui d'abord, l'ange de ces écoles antiques aux échos desquelles Aristote puisa sa science.  
  Dans cet épisode, tout parle du problème de la certitude; la fera-t-on sensible ou fidéique ?  Raisonnablement, Jésus, étant de Thomas très connu, aurait dû le laisser dans son incrédulité.  Non, Il a pitié de lui, Il l'aime, Il lui veut donner une preuve, puisque la foi n'est pas née en lui.  Ainsi sont excusés à l'avance tous les douteurs et tous les rationalistes intransigeants.  Ainsi la tendresse de Jésus nous autorise à nous servir de nos sens physiques, psychiques ou mentaux.  C'est le Jumeau qui est l'acteur de cette scène, parce que en notre âme deux jumeaux naissent en même temps qu'elle à l'existence terrestre; la conscience ou sens du monde tant visible qu'invisible, abstrait et concret, et le sens du divin, de l'Incréé.  

   Ainsi la foi comporte une intransigeance absolue.  Mais, d'une part, cette intransigeance ne s'applique qu'au fait unique de la divinité réelle de Jésus-Christ et, de l'autre, elle ne doit être maintenue qu'en nous-mêmes, ne s'exprimer que par une déclaration concise, puis surtout par des actes, ne pas forcer les autres à l'accepter ni essayer de les convaincre.  
  Vous qui ne possédez pas cette foi inébranlable, vous qui avez encore besoin de comprendre, vous qui craignez de perdre des preuves, exercez-vous dans ce sens.  
  

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   Les choses de la foi ne sont acceptables que dans la disparition du sens commun, du rationnel, du probable; c'est ainsi qu'il faut comprendre le Credo quia absurdum.  Et le leitmotiv, qui commence à devenir banal aujourd'hui, de l'union de la science et de la foi, est une de ces courtes vues où se complaît la suffisance de l'intellectualisme moderne.  Car, ce que l'Église donne comme mystères est généralement compris tout à côté par les demi-intuitifs qui abondent à notre époque.  Les plus avancés de nos penseurs interprètent ces dogmes comme des symboles ontologiques, sociologiques ou psychologiques; mais les phénomènes où on retrouve la loi trinitaire ne sont que des prolongements du dogme de la Trinité.  Quand tel romancier qui, dans sa jeunesse, reçut quelque teinture d'ésotérisme, aligne des dithyrambes sur le symbolisme de la Vierge-Mère ou de l'incarnation du Verbe, il prend des ombres pour des réalités.  Il ne se doute nullement de ce que sont la Vierge, et le Verbe; ces entités appartiennent à l'ordre de la foi; il ne pourrait en avoir l'intuition que s'il renonçait in toto à toute sa science péniblement acquise, à toute sa culture intellectuelle, à toutes ses catégories mentales personnelles.  
   C'est pour cela que, si l'on veut renaître dans le divin, il faut avoir subi la mort dans le naturel et dans l'humain.  Les anciennes initiations savaient cela, dans leur sphère, et le mettaient en pratique.  C'est ce dont nos modernes devraient se souvenir.  

   Ainsi remettre les péchés, chasser les démons, comprendre la langue de la Nature, chasser les serpents, résister aux poisons, guérir les malades, enseigner la parole de Dieu, tels furent les sept privilèges des apôtres dans leur fonction de soldats du Ciel.  Je dis privilèges, car ce sont là des facultés extraordinaires et, au point de vue de la seule justice, imméritées.  La moindre étincelle de l'Absolu vaut, en effet, plus que toutes les merveilles du monde, puisqu'elle suffirait à les faire naître, et que le plus parfait des hommes, par ses seuls efforts, n'arriverait jamais à les conquérir.  En outre, ces faveurs ne sont point la voie commune; les plus grands saints furent des inconnus, qui ont mené une vie obscure et que rien n'a désignés à l'attention des foules.  Le but de la vie n'est pas d'accomplir des miracles, mais de suivre pas à pas les exemples du Maître; celui-ci guide d'ailleurs l'homme de bonne volonté avec une sollicitude très précise.  Le vrai disciple ne recherchera pas l'extase; il ne la considérera que comme un encouragement accidentel; et si des miracles répondent à sa prière, il ne s'en enfoncera que davantage dans l'humilité et dans l'anonymat.  En bref, tout guide, si élevé soit-il, peut nous induire en erreur; le Christ seul est infaillible; c'est à nous à disposer notre coeur pour que nous puissions comprendre Ses ordres et Ses conseils.  
  
   De l'Ascension nous n'avons pas grand-chose à dire.  Techniquement, il faut l'expliquer comme la conséquence toute naturelle de la qualité du corps de résurrection.  Il y a des substances sur lesquelles le centre de gravité terrestre n'a pas d'effet; leur attract est ailleurs, car tout, dans la Nature, est attiré quelque part.  
   Saint Bonaventure et Denys le Chartreux prétendent que ce dernier prodige eut lieu sur le Thabor, qui aurait été aussi le théâtre de la Transfiguration.  Les anciens chroniqueurs ecclésiastiques racontent, à ce propos, que, lorsque sainte Hélène, la mère de Constantin, voulut élever une basilique sur cette montagne, les ouvriers ne purent ni daller la place où on prétendait que les pieds du Sauveur s'étaient posés, ni clore le dôme de l'édifice.  
   Quant aux développements moraux que peut suggérer l'Ascension, vous en trouverez un grand nombre dans les livres de mystique catholique.