LES METHODES PSYCHIQUES DE L'ISLAM



Vous savez que Mahomet a fondé l'Islam au VIIe siècle après Jésus-Christ. Cette religion présente cette particularité d'être d'abord un code de morale sociale très simpliste. Le Coran a continué sa tendance vers l'action pendant quelques siècles, pendant tout le temps qu'ont duré les conquêtes arabes. Puis, quand les Arabes se sont installés dans les pays qu'ils avaient conquis, il y a eu des théologiens qui ont détaillé le Coran par petites tranches et qui ont édifié sur sa base des systèmes de philosophie et science scolastique. Ensuite est venue une période d'anarchie où toutes les opinions possibles dans l'ordre religieux comme dans l'ordre philosophique se sont données libre carrière. Cette période s'est résolue vers le Xe siècle en deux courants très distincts: l'un exotérique qui a été accepté par l'ensemble des Musulmans et l'autre ésotérique qui a été l'apanage de ceux qui avaient le souci de l'au-delà.

Nous ne nous occuperons pas des Musulmans de la première catégorie puisque leur morale est celle que l'on trouve dans toutes les religions et cependant il y aurait beaucoup à dire sur l'importance de la réalisation de ces principes très connus.

Quant à la morale des ésotérismes musulmans, elle comprend un ensemble de règles et de méthodes que l'on ne peut pas dire particulières à l'Islam, mais qui sont teintes cependant de la lumière propre à cette religion. C'est le soufisme. Le mot soufi signifie " le vêtu de laine ". Dans ces temps-là en effet, les vêtements de laine étaient réservés aux plus pauvres. Dans les civilisations merveilleuses de la Perse, de la Syrie et de l'Egypte musulmane les arts et les sciences avaient un grand essor, la richesse était devenue immense et les pauvres étaient vêtus de laine.

La caractéristique du système musulman, c'est la pauvreté, la pauvreté matérielle exprimée par le vêtement de laine et la pauvreté spirituelle symbolisée par le même vêtement de laine.

Dans le soufisme nous trouvons des traces du néoplatonisme d'Alexandrie, des fragments de cabales juives et quelques idées empruntées au christianisme nestorien qui rayonnait en Perse et aussi dans l'Inde. Il a fallu pour synthétiser tous ces éléments toute la verdeur et toute la rigueur de l'esprit musulman. L'Islamisme est la religion par excellence du guerrier: son côté ésotérique est l'exercice du sentiment. Vous retrouverez cette opposition dans d'autres religions. Dans le bouddhisme par exemple, qui est une religion très douce, l'ésotérisme est un entraînement très sec et de volonté. Il semble donc qu'il doive se faire dans la culture humaine un balancement entre les tendances opposées.

L'un des premiers prêtres musulmans qui ait enseigné les grandes lignes du soufisme faisait remonter cette doctrine jusqu'à Ali, le gendre de Mahomet qui, paraît-il, a réalisé le plus haut idéal du Musulman qui ait été atteint depuis le Prophète.

Jamais cette doctrine n'a été plus florissante que de nos jours. L'axiome sur lequel il repose, c'est que le soufi doit mourir à soi-même et vivre en Dieu. Vous voyez l'analogie avec le mystique catholique. Les observances essentielles du soufisme sont: la résignation totale à la volonté de Dieu; la foi totale que Dieu S'occupe de lui et le dirige; et la pauvreté. En d'autres termes le premier effort du soufi est de se débarrasser en soi-même de tout esprit de libre arbitre, de tout ce qui constitue son caractère, son opinion, sa personnalité mentale et animique. Ce travail peut se résumer ainsi: ce que tu as dans la tête, vide le; ce que tu as dans les mains, laisse le tomber. Il s'agit donc de développer dans le soufi le Sentiment, l'Amour. Ce ne sera plus comme chez le Chinois le cerveau tendant vers des spéculations de plus en plus hautes ou comme chez le Yogi la volonté se dépouillant de toute opposition pour arriver à l'unité; ce sera un coeur ayant innée en lui la notion seule de l'unité de Dieu et qui flambera vers cette unité pour s'unir à elle. Le soufisme est donc la science du coeur, c'est-à-dire la science de ce que les scolastiques appelaient les substances internes.

Pour le soufisme le monde matériel est un signe des perfections d'Allah; tout pour lui est un signe: un arbre, une fleur, la moisson, la mer, la colline, tout cela, ce sont des formes grossières mais parlantes de telle ou telle puissance divine et le coeur du soufi se place en présence de tout ce qui constitue l'univers physique et il l'aime et le révère comme lui indiquant telle des facultés divines.

Par conséquent pour le soufisme Dieu est indépendant du monde tandis que pour les ésotéristes extrême-orientaux Dieu et le monde sont un. Pour le Musulman Allah a bien créé l'univers et les 70.000 autres mondes qui constituent l'invisible, mais il aurait pu ne pas les créer: c'est de sa part un acte de bonté. Le soufi doit donc avoir pour Dieu une effluence d'amour puisqu'il a créé tout cela pour être une échelle ascendante à l'usage de son fidèle. C'est-à-dire que le soufisme n'est pas une science qu'on enseigne ni un art dont on puisse développer artificiellement la sensibilité Le soufi doit être soufi par vocation sous peine d'être un scolastique ou un discoureur.

De ceci découle une seconde conclusion. Nul ne devrait s'engager dans la voie exceptionnelle du soufisme que s'il a au préalable accompli les préceptes obligatoires de la loi ordinaire. Cette observance de la loi commune aura ce bon effet qu'elle ne permettra l'entrée dans le collectif islamique qu'à des mystiques très équilibrés.

C'est alors que l'étude technique du soufisme peut commencer. Le disciple prend d'abord connaissance de ce que les maîtres ont écrit sur la matière et, après l'acquisition de cette science théorique, on lui présente différents systèmes entre lesquels il devra choisir et différentes étapes qu'il lui faudra parcourir. Mais comme le côté réel de cette étude est la science des choses intérieures, cette expérience ne peut être faite artificiellement. Le Gourou brahmanique dit à son élève: Tu vas méditer de telle façon sur tel sujet jusqu'à ce que tu aies obtenu tel résultat; le maître soufi laisse son élève faire une première percée dans le monde avec ce que ce disciple possède d'amour pour Dieu. Cela ressemble à ce que fait une carmélite dans ses longues oraisons. Cette sortie du coeur du disciple vers son Idéal provoque des réactions dans le monde invisible c'est-à-dire des tentations. Ici commence le véritable travail du soufi. Il faut qu'il résiste à ces tentations intérieures et il faut que cette résistance soit assez profonde, assez énergique, assez constante pour changer le plan de sa conscience. Pour le soufisme une tentation n'est pas vaincue quand la lutte contre elle n'a pas abouti à la création dans le coeur du disciple d'un état de voyance directement opposé à cette tentation. Pour le soufisme en effet il y a deux univers qui se correspondent exactement. La tentation est un rayon noir; il faut que le disciple arrive à lutter contre ce rayon avec une énergie telle que l'esprit le transporte dans le rayon blanc correspondant, à une connaissance du monde invisible. Et quand la suite de la tentation est épuisée, le disciple devient un maître, il reçoit cette science suprême qui est incommunicable et il entre en contact avec la lumière absolue.

Pour subvenir à la dépense de force que nécessite cette tension intérieure, le mystique musulman doit vivre un peu solitaire, ne pas s'occuper de ce que font les autres hommes ni pour louer ni pour blâmer, il doit surtout maintenir en lui un état mental tel qu'il sente son coeur entre les mains de Dieu  " comme le cadavre entre les mains du laveur de morts "  . Dans cette condition de renoncement total le soufi est mûr pour mettre le pied sur le vrai chemin.

Mais les maîtres du soufisme n'ont pas oublié qu'ils avaient à faire à des hommes en chair et en os; ils ont donc donné quelque chose de plus matériel pour maintenir cette tension intérieure, ce sont les formules de prières digr qui ressemblent à ce qui est appelé l'oraison jaculatoire dans les traités de mystique catholique. Ces formules ont pour but de rassembler périodiquement les forces du coeur qui ont tendance à s'éparpiller et de les ramener vers la divinité. Mais le Musulman les emploie d'une façon plus stricte que nous, car pendant son apprentissage le soufi a à répéter la même Invocation 10.000 et 50.000 fois par jour: il arrive donc à un monoïdéisme tel, à une telle cessation de la pensée que l'extase arrive forcément. C'est là d'ailleurs le mécanisme de toutes les extases.

Il y a donc dans les écoles du soufisme plusieurs degrés: celui que je viens de vous indiquer  le degré d'aspirant consiste dans un examen intérieur constant pour arriver au dépouillement total de la volonté propre et à la vertu de continence, c'est-à-dire un exercice de la volonté par lequel le disciple contrarie systématiquement tous les désirs possibles qui peuvent se présenter à lui. Pendant cette période de dressage le digr approprié est celui-ci: Il n'y a de Dieu que Dieu.

Le second degré, c'est quand par suite de cette première concentration, le disciple aperçoit quelques-uns des premiers voiles du monde invisible. Son oraison, c'est alors la répétition du nom d'Allah.

Le troisième degré, c'est quand le disciple est parvenu à ne plus pouvoir générer en lui-même une volonté personnelle, quand celle-ci est devenue toujours conforme à la volonté de Dieu, quand elle est tout à fait détachée de tout. Il invoqué alors Dieu sous le vocable pronominal et il l'appelle Lui. C'est l'invocation qu'on peut entendre dans les cercles des derviches.

Le quatrième degré qui s'appelle le degré de l'amant, c'est quand le coeur du disciple est complètement perdu dans les contemplations et dans l'union avec la divinité.

Au cours de ces quatre degrés l'esprit du disciple apprend la topographie du monde invisible et le coté invisible du collectif musulman. Il le partage en diverses régions: la première est celle des génies. Dans les mille et une nuits se trouve tout ce que la tradition populaire musulmane sait du règne des génies. La seconde c'est le paradis, ce qu'on appelle communément le paradis de Mahomet. La troisième, c'est le séjour des anges; puis, au-dessus, le séjour des saints, le séjour des prophètes et enfin le séjour du Prophète, de Mahomet. Ce sont là les six régions que peuvent expérimenter les créatures incarnées. Au-dessus il y a le séjour de la Lumière des Lumières qui est Allah.

Voilà les idées communes à toutes les sectes ésotériques du soufisme. Chacune de ces sectes est elle-même hiérarchisée.

Toutes les religions peuvent se concevoir comme des êtres organisés en eux-mêmes. Nous de même nous avons un corps visible et une personnalité dont les manifestations sont perçues par les autres êtres. Au-dessus il y a un autre être humain qui passe la limite des sens. Dans tout collectif religieux il y a donc un ensemble de fidèles vivant sur la terre; puis une personne morale qui est l'ensemble de tout ce que cette religion a crée sur la terre de bonté, de sagesse de beauté; au-delà il y a tout ce qui est invisible, tout le côté ésotérique de la religion. Ce coté supraconscient de l'Islamisme est composé de divers organes, c'est-à-dire de plusieurs sectes ésotériques qui se manifestent au dehors par des confréries musulmanes dans le sein desquelles il y a une hiérarchie spirituelle et une hiérarchie matérielle et, comme cela se produit dans toutes les religions, les supérieurs visibles ne sont pas les vrais supérieurs. La hiérarchique réelle islamique comprend les degrés suivants qu'on retrouve dans toutes les sectes du soufisme: le commun des soufis; de ce commun sont peu à peu sélectionnés 300 individus qui ont des besognes spéciales; parmi ces 300 sont mis à part une quarantaine d'individus et de ces quarante sont choisis 7 ou 8 autres qui ont une fonction de surveillance et de coordination. A leur tête est un chef, inconnu le plus souvent, qu'on appelle le pôle.

Dans l'ensemble de l'Islamisme ésotérique tous ces initiés et l'ensemble de ces individus d'élite que sont les pôles sont soumis à un personnage mystérieux qui existe dans d'autres religions mais dont l'existence est dévoilée seulement par l'Islamisme et qui, dans cette dernière religion, se nomme El Kadir.

Une tradition chrétienne affirme qu'autrefois il y a eu divers personnages qui sont remontés directement au Ciel: le premier est Hénoch et le dernier avant le Christ est Elie. D'après la tradition chrétienne ces deux personnages doivent revenir à la fin des temps comme témoins effectifs du retour du Christ.

Les Musulmans ont laissé Hénoch de coté; ils ont gardé Elie, mais ils l'ont scindé en deux personnages, l'un qui réside au fond de la mer, ce qui veut dire dans l'invisible inférieur de la terre et un autre qui va-et-vient sur la terre s'incarnant indéfiniment et qui, pour le Musulman, est le canal par où remontent vers Allah toutes les lumières engendrées par les Musulmans. Cette notion très intéressante est particulière à l'Islamisme.

Toutes les confréries sont donc réunies autour d'El Kadir. Ces pôles incarnés de chaque confrérie remplissent pour chacune d'elles le rôle qu'Elie a rempli pour toutes. Ils doivent parcourir en corps physique la terre et dans les activités de l'extase toutes les substances invisibles pour y déposer les volontés qu'Allah leur fait connaître. Ils tiennent la balance des révélations et président à l'accomplissement des quatre fonctions spirituelles qui font vivre le collectif musulman: la réception des forces d'Allah, leur assimilation par les fidèles, leur répartition et le don du surcroît au reste du genre humain qui n'a pas encore reçu la grâce d'être appelé à l'Islamisme.

C'est une forme de cette croyance que tout le monde vit ainsi par la réception de la nourriture donnée par le milieu, par une mise en oeuvre de cette nourriture et par sa répartition dans le milieu environnant. Vous trouverez ces idées exprimées dans les livres d'un paysan provençal illettré, Louis Michel de Figanières. Ce sont les conceptions que les anciens brahmanes avaient cachées dans les versets de leurs Upanishads et que les soufis musulmans se murmurent en grand mystère sous leurs burnous.

Ceci nous montre que Dieu donne partout les Lumières, mais que ce sont les hommes qui seuls font les éteignoirs.

En résumé, pour le Musulman il y a d'abord à accomplir la loi ordinaire; ensuite à pratiquer le culte spirituel, c'est-à-dire à réaliser sur son propre moi les jeûnes, les prières que le Coran prescrit de faire avec le corps physique; à appliquer ces abstinences physiques et ces forces vocales en dedans de lui-même; et à transformer en efforts moraux les observances de la masse.

Cela aboutit au dépouillement du moi. Alors commence le travail de l'expérience spirituelle. Le soufi va dans l'invisible vérifier ce qui lui a été enseigné et ce qu'il a découvert lui-même.

Ensuite il y a l'union, non pas avec l'identification avec le Dieu suprême, mais par un embrassement.

Par là l'Islam malgré sa rudesse et sa simplicité, voit plus juste que les anciennes cultures ésotériques avec tous leurs raffinements et toutes leurs subtilités.

Nous avons vu, quel que soit le mystère extrême-oriental que l'on examine, que l'on aboutit à une fusion du moi individuel avec le moi universel ou avec le moi divin ce qui n'est pas exact, car ce que les Musulmans paraissent avoir compris, c'est que Dieu a créé les hommes semblables à Lui-même et que l'essence de l'Absolu, ce n'est pas d'être puissant, mais d'avoir la liberté. C'est la condition de tous les autres attributs de l'Absolu. Ce qui nous empêche de tout savoir, c'est que nous ne pouvons tout expérimenter; ce qui nous empêche d'être heureux, c'est que nous ne pouvons pas posséder tous les objets de nos désirs; ce qui nous empêche d'être tout-puissants, c'est qu'il y a des choses que nous ne pouvons pas accomplir et que nous sommes chargés de chaînes. Donc le caractère central de l'être existant en Lui-même, c'est la liberté. C'est ce qu'ont oublié à force de subtilités les sages de l'Orient et Mahomet avec son sens rude a vu cette chose essentielle.

Il y a eu des écoles de soufis qui sont tombées dans le quiétisme et le libertinisme; mais la vraie doctrine soufi c'est que l'extatique ne se fond pas avec le divin.

Seulement la pratique de ces notions que je vous ai exposées est malaisée.

Il reste aussi au Musulman ce fatalisme propre aux Orientaux et qui fait qu'ils aiment laisser les gens se tirer d'affaire tout seuls.

Le premier souci du disciple est la recherche d'un maître: mais il n'importe pas que ce maître soit vivant ou mort. Le Prophète en effet a fondé sa religion très stricte et très simple: puis sont venus les théoriciens, toute une civilisation qui a fait entrer la cupidité dans le négoce et les subtilités dans la métaphysique. Les âmes éprises d'Absolu ont dû chercher autre chose: les plus élevées sont devenues des cheiks, ce qui signifie des maîtres, des saints, et ils ont appelé à eux les autres Musulmans qui leur ressemblaient. Mais chacun d'eux est arrivé à un certain point de l'invisible de l'Islamisme, c'est-à-dire qu'ils ont acquis une certaine lumière par certaines voies, de même que dans le catholicisme il y a François d'Assise, François de Sales et Thomas d'Aquin qui représentent chacun une méthode différente. Après sa mort le cheik est le gardien de la lumière qu'il a conquise et le dispensateur de cette lumière sur les Musulmans des siècles futurs qui seront qualifiés pour l'acquérir. Les disciples font donc des pèlerinages, ils ont l'air de faire des dévotions, des superstitions à des tombeaux: en réalité, ils cherchent avec toutes les forces de leur passion un maître, c'est-à-dire un saint qui les prenne spirituellement sous sa protection. Cette prise de possession du coeur du disciple a toujours lieu par un phénomène interne parce que la grande maxime du soufi, c'est que le disciple. quand il a trouvé son maître, le Cheik est pour lui un nid dans lequel il est, lui, l'oiselet. Si donc il s'agit d'un maître mort, ce maître commence par révéler à son disciple par l'extase ou par la vision la formule d'initiation de sa confrérie. C'est-à-dire une parole que ce saint a choisie, à laquelle, à force de la répéter il a donné une vie propre et que, au cours des siècles, ses disciples ont vitalisée. Le maître donc révèle à son disciple le secret de son invocation. A ce signe les autres membres de la confrérie de ce saint reçoivent le nouveau.

Si le maître est vivant, il y a d'abord des entretiens au cours desquels il donne à son futur disciple des invocations à faire, à répéter par exemple 100.000 fois un verset du Coran. Cet exercice met le disciple dans un état de tension nerveuse extraordinaire. Le premier signe que le processus de l'initiation commence à s'accomplir c'est quand le disciple, les yeux bandés, voit devant lui l'image de son maître: son esprit se joint donc à l'esprit de son maître qui l'emmène dans l'invisible. Au bout de quelques mois l'esprit du disciple arrive dans le monde où séjournent les autre saints de l'Islam, puis dans le monde du Prophète lui-même et il a droit alors aux sommets les plus hauts de la Contemplation.

Vous vous rendez compte que ce travail du Musulman est très ardu. L'Arabe au point de vue animique est un être tout d'une pièce; il peut donc plus que nous, concentrer toutes ses forces sur un même foyer.

Vous verrez la ressemblance de ce type avec le mysticisme catholique: oraison jaculatoire, litanies, jeunes, pauvreté, abstinence morales et surtout cette idée qu'il n'y a jamais fusion mais union, juxtaposition du moi humain avec le moi divin.

Ce qu'il y a de remarquable dans le degré supérieur du soufisme, c'est qu'il admet comme le catholicisme la vertu de l'intercession des saints et la vertu de la substitution. Les grands saints de l'Islam sont censés souffrir pur le reste des Musulmans: c'est la doctrine de la substitution enseignée et mise en pratique dans les ordres contemplatifs du catholicisme et qui est une adaptation de la grande leçon donnée par le Christ qui est venu pour supporter les péchés du monde.

Il y a certes chez eux les erreurs et surtout leur intolérance. Si l'un des attraits de la fréquentation des extrêmes orientaux est le spectacle de leur tolérance, laquelle vient d'ailleurs du scepticisme et non de la largeur d'esprit, (ils ont tant fait de subtilités que pour eux une théorie en vaut une autre), il faut reconnaître que la vraie tolérance n'exclut pas l'intérêt qu'on doit porter à celui qu'on soupçonne être dans l'erreur. Cette intolérance du vrai Musulman dissipe beaucoup les activités de l'Islam. Le souci de la multitude n'est pas essentiel chez eux. Pour le mystique musulman la force de réalisation, c'est bien l'amour, mais pas la charité, et c'est cette différence entre le théorique et le pratique qui constitue la supériorité de la mystique chrétienne.

SÉDIR, 28 Janvier 1917