LETTRES A SES AMIS

Avril 1913

Laissez-moi appeler votre attention sur la pratique, l'effort matériel. Ne laissez pas une bonne pensée, un enthousiasme sans une sanction positive. Ce travail, ingrat au début, est le plus profitable ; ses fruits mûrissent très vite ; on voit des miracles jaillir ; la prière devient ardente ; l'abattement et la déception se changent en joie. Dans le secret de vos coeurs vous avez la certitude que le Christ est à côté de vous, qu'Il vous voit, vous entend et vous aide ; cultivez le sentiment vif de cette présence ineffable ; tenez-vous comme un néant devant cette plénitude éblouissante ; demandez-vous toujours : Que ferait mon Maître dans la circonstance où je me trouve ?

On arrive alors à tout aimer, la vie, l'amour, la douleur. Le mal ne paraît plus être que de la faiblesse qui demande notre secours et les hommes que des victimes de l'Adversaire. Il vous faudra, pour bénéficier de ces communions, devenir attentifs et obéissants aux leçons que nous recevons de Notre Maître et des choses, car le Ciel attend de nous autre chose que notre joie personnelle.

Avril 1913

Je vous donne à tous l'assurance d'une union croissante. Les rêves de plusieurs d'entre vous corroborent cette assertion ; l'atmosphère de luxe de certains de ces rêves, opposée à la simplicité relative des repas, montre que nous nous inquiétons encore trop des dieux quoi qu'il nous en semble. Je vous en prie, simplifions-nous; ne pensons à rien qu'au Christ. Les autres rêves où le repas est exquis, souvenez-vous que c'est votre esprit qui se restaure ; donc attendez-vous à des épreuves matérielles.

Mai 1913

Je vous demande de considérer votre travail comme une chose très sérieuse.

Quelques-uns d'entre vous concluent au seul effort individuel et silencieux. Pour moi, l'Association existe ; c'est une créature vivante. Le Père n'a créé aucun être inutile ; donc on a raison de faire vivre le génie des associations vraies, c'est-à-dire celles dont le principe est dans le Ciel. A la condition que cette unité soit dans le Christ, condition unique, indispensable.

Juin 1913

La discipline matérielle aide la discipline morale. Pour l'oeuvre il vaut mieux trop de scrupules que de la négligence. Il faut que chacun adapte l'obéissance la plus entière avec la nécessité des circonstances. Il faut que chacun de vous pense à ces problèmes et s'habitue à les résoudre, par lui-même, dans la dignité de ses rapports avec le Ciel. La discipline est surtout pour soi, pour la vie intérieure et personnelle. Votre grand travail, ne l'oubliez pas, c'est l'action sur le milieu.

Nous, qui restons dans le monde, qui ne nous mettons pas à l'abri, comme les moines, nous devons avoir d'autant plus de vigilance et de souci de notre conscience, mais la voiler par la sympathie, par la grâce. Les anges du Ciel ont à peine entendu l'ordre qu'il est exécuté ; mais leur amour leur rend joyeuses les missions les plus ingrates. Faisons de même. N'oublions pas l'Amour.

Août 1913

Je désire, je souhaite du fond du coeur que notre oeuvre soit votre souci, qu'elle soit vôtre ; que chacun de vous la considère comme sienne, comme dépendante de lui.

Tout le monde, autour de nous, lutte et bataille. Non seulement il ne faut pas rester en arrière, mais il faut nous tenir au premier rang de toutes les mêlées.

Mes amis, souvenez-vous de moi de temps à autre quand vous parlerez au Père, et gardons-nous tous dans l'unité avec Celui qui nous a réunis.

Octobre 1913

Méfions-nous des actes d'humilité. L'humilité est la chose du monde la plus difficile ; souvent nos actes n'en sont que le mensonge. Avez-vous entendu des spiritualistes dire : « Moi, mon cher, je ne suis rien » ? Prenez garde à l'orgueil spirituel. Et produisez, non pas des actes systématiques et artificiels d'humilité : ce serait faux; mais des sentiments d'humilité que personne ne puisse voir.

Octobre 1913

Ce n'est point la somme quantitative de nos prières qui les font exaucer, mais leur somme qualitative. Vingt individus valant chacun quatre points, par exemple, en sainteté, ne déploient pas en priant ensemble une force de 80, mais une force de 4. Si le secours demandé exige une force de 100 ils n'obtiendront rien. Il faudra que la moyenne collective de leurs saintetés individuelles atteigne 100. Quand donc j'essaie de synchroniser vos travaux, ce n'est pas pour le meilleur résultat de ces travaux, c'est pour que vous soyez davantage unis ensemble. Et croyez que je vous aime tous, du plus lumineux de mon coeur.

Novembre 1913


Notre groupe n'est adversaire d'aucune religion, parce qu'il n'est pas une religion. Il est un mouvement de reprise du christianisme primitif, parallèle au christianisme actuel. Nous tentons, non pas de remplacer les cloîtres ou plutôt les moines, mais de remplir leurs fonctions plus réellement, par un contact avec la vie pratique dont nous ne nous évadons pas ; au contraire, nous cherchons à y plonger davantage.

Si l'on regarde la Nature, on voit que les êtres se développent non pas par une augmentation de volume sur place, mais par reproduction et rayonnement au loin. Plus une association est nombreuse, plus il lui est difficile de conserver l'intégrité de son esprit. Exemples : l'Église de Rome, le protestantisme, les Jésuites, la franc-maçonnerie. Voyez les sociétés secrètes extrême-orientales : ce sont des organisations temporaires, nées pour tel but et disparaissant dès que le but est atteint ; elle se rattachent toutes à leurs grands groupes, lesquels sont menés par les douze inconnus qui dirigent en secret toute l'Asie. Voyez le Christ; Il ne centralise pas les 12 ni les 70 ; Il les envoie « par toute la terre ».

Décembre 1913

Notre mission, c'est d'aider à l'établissement du culte en esprit et en vérité. Hors de cela nous n'avons pas de motif d'être. Réfléchissez à cela.

Je vous en prie, mettez-vous en marche. Dépensez-vous, brûlez d'une flamme ardente, mais d'une flamme calme. Il faut se donner corps et âme à cette bataille silencieuse ; il faut lutter chaque minute ; il le faut.

Je suis avec vous tous les jours et tout le jour. Et nous nous tenons en sécurité dans l'ombre lumineuse de l'Ami.

A l'occasion de la nouvelle année 1914


Je demande que vous repreniez intérieurement l'adhésion la plus étroite avec notre Maître éternel, pour absorber le plus possible de cette force vivante de réalisation incluse dans le christianisme et qui découle du feu de l'Amour et du Sacrifice.

Cette force est vivante, vous le savez, parce qu'elle s'applique à tous les projets, à toutes les situations, à tous les champs d'activité, théoriques et pratiques, internes et externes, et parce qu'elle ramène, de par sa nature, ces innombrables modes à l'unité éternelle du Verbe.

Je réclame de vous la perfection, le souci de la perfection dans vos rapports avec toutes les créatures. Ne dogmatisez pas si on ne vous le demande pas ; mais ne transigez pas non plus avec ce qui vous semble l'erreur. N'ayez avec elle aucune des complicités de la fausse tolérance ; montrez le chemin aux égarés, ne les forcez pas d'y entrer ; mais ne leur laissez pas croire qu'ils sont tout de même dans un bon chemin.

Prenez plus de flamme, plus de coeur ; vous éclairerez davantage et un plus grand nombre.

Toutefois n'ayez pas une patience trop complaisante à entendre des confessions sentimentales, ni des inquiétudes un peu troubles. N'écoutez que les souffrances saines et vraies de l'ordre familial, social et surtout religieux. A les adoucir employez toute votre ingéniosité.

Plus on s'élève par-dedans, plus on peut agir. Soyez graves, non pas gourmés, mais graves selon cette joie sereine et noble au sein de laquelle l'âme déploie ses ailes, s'enlève et plane.

Ceux qui viennent à vous ont deux fois confiance en vous ; une fois par leur inquiétude consciente, extérieure, avouée ; une fois par un certain attrait inconscient et tout spirituel. Satisfaites d'abord cette confiance intérieure ; vous satisferez mieux la première. Soyez aimables pour eux, charmez-les, mais par l'âme ; soyez sobres de gestes et de paroles.

Mais vous n'atteindrez pas la perfection de cette attitude si Jésus ne vous prend pas la main. Tendez-Lui la main ; tendez-Lui une main avec tous vos élans, toutes vos forces et tout votre être. Tendez l'autre à la mort mystique. Ainsi vous connaîtrez la vie, vous connaîtrez le repos dans le tourbillon des soucis et le calme sous les tenailles de l'adversité.

Ne faites pas comme les sages : sur la grève de l'Océan infini ils tâtent prudemment du pied. Jetez-vous à la mer : ce sera le cri d'aide le plus perçant. Les faibles selon l'esprit se raidissent pour évoquer leur force. Vous autres, vous êtes assez forts pour sonder votre faiblesse. Alternez l'action avec la prière. Quand vous agoniserez à force d'avoir agi, jetez-vous dans une autre agonie, celle de la prière.

Je vous demande à tous d'en faire davantage. Il n'importe pas de mourir dix ans plus tôt : il importe à cette heure là d'avoir bien vécu.

Février 1914

Nous ne devons pas avoir besoin, pour nous conduire, d'un grand nombre de préceptes, mais de quelques-uns seulement. A condition que nous les mettions perpétuellement en pratique. Celui-ci par exemple : Jésus nous voit et nous surveille peut suffire à nous faire choisir toujours la décision la plus belle et la plus juste.

L'humilité extérieure n'est pas à dédaigner. Mais attachez-vous surtout à l'humilité du coeur. Il se peut que vous ayez à faire des gestes de sévérité ou de commandement. Que ce ne soient que des gestes. Il faut faire les gestes de notre situation. Serrons-nous plus fort autour du Maître, regardons-Le d'un regard vigilant : ne craignons pas notre peine, supportons tout le mal qui ne blesse que nous, luttons contre tout le mal qui attaque autrui.

Recevez l'accolade fraternelle, en témoignage de cette affection joyeuse et libre qui est l'atmosphère même où respirent les serviteurs de Jésus.

Avril 1914

Nous devons être tolérants, non pas éclectiques : c'est à dire comprendre que tout homme entre dans l'école où il est destiné à entrer ; et que toute école marche vers le but fixé par les conducteurs supérieurs. Il n'y a donc jamais lieu de s'inquiéter des appréciations que nous entendons énoncer sur notre conduite. Et il n'y a jamais lieu de modifier celle-ci qu'après un examen de comparaison avec un idéal propre.

Ne vous inquiétez donc pas de tout ce qu'on peut dire de nous. Qu'on nous prenne pour des Jésuites en robe courte, pour des tertiaires franciscains, pour des sectaires, pour des hâbleurs, seraient-ce même nos meilleurs amis et les plus anciens, seraient-ce même des personnalités recommandables par leur science et par leur caractère, la conduite à tenir dans tous ces cas, c'est sinon le silence, du moins la non-défense.

De deux choses l'une : ou nous sommes tels que le Christ désire que nous soyons : et dans ce cas tout ce qui peut arriver de désagréable doit être indifférent. Ou nous ne sommes pas conformes au désir du Christ : en ce cas Il saura bien Lui-même nous rectifier.

Ce qu'il faut, c'est que nous ne fassions pas une nouvelle petite chapelle, que nous ne prétendions pas ressusciter l'église primitive, que nous ne prétendions pas servir de modèle aux diverses écoles spiritualistes. Notre seul souci doit être, en face de chaque circonstance que la vie nous présente, de réaliser ce que, en conscience, nous jugeons être la volonté de Dieu.

Cette simplicité de relations avec le public, cette attitude ouverte, ne doivent pas nous faire négliger la prudence. Il ne faut pas amener à nous de nouvelles recrues par la moindre pression : il ne faut détourner aucun de nos interlocuteurs d'une voie où il se trouve déjà, ou bien qu'il décide de suivre après avoir reçu nos explications.

Il faut éviter aussi l'égoïsme collectif, aussi terrible que l'égoïsme individuel et qui est le grand vice des associations religieuses. C'est grâce à lui que l'on a pu voir l'oeuvre de tel coeur admirable, d'abord tout angélique, se pervertir en quelques années après la mort du fondateur, jusqu'à professer des principes et accomplir des actes diamétralement opposés à ceux en vue desquels cet ordre avait été édifié. Si le Ciel veut que nous ne durions que quelques années, ou que nous durions quelques siècles, cela ne nous regarde en aucune façon ; nous devons agir comme si nous devions durer une éternité.

Mai 1914

Les occasions les plus fréquentes de tomber dans l'intolérance nous sont fournies par la vie journalière, la famille, le bureau, l'atelier. Tous, nous avons des motifs de nous croire plus perspicaces et plus avertis que les autres : nos subordonnés, nos égaux ou nos supérieurs : époux, frères, enfants, employés, patrons, tous nous voulons faire prévaloir notre avis dans les choses les plus ridiculement insignifiantes : la façon de tirer un trait, ou la place que doit occuper un verre dans un buffet.

Il n'y a à cette tyrannie instinctive qu'un remède, et il faut ce remède héroïque et radical, parce que nous sommes radicalement convaincus de notre justesse de vues. C'est de ne pas raisonner, de se taire, et de se conformer à l'avis des autres, même si nous croyons bonne notre opinion. Dans la multitude des actes indifférents nous trouvons tant d'occasions de rendre l'existence insupportable à notre famille ou à nos camarades. Coupons le mal par la racine.

Ne cherchons plus qui a tort : laissons-nous tyranniser un peu, au lieu d'être tyrans. Si réellement notre compagnon fait erreur, une prière que nous aurons adressée à Dieu, au moment de notre petite humiliation volontaire, fera voir sa maladresse à notre interlocuteur : s'en apercevant lui-même, sa mauvaise humeur ne se lèvera pas, puisqu'il n'y aura pas eu dispute, ni discussion.

Bien entendu, cette acceptation silencieuse, ce renoncement à nos vues, ne les pratiquez que dans les rapports avec vos supérieurs, et quand, dans vos rapports avec vos égaux ou vos inférieurs, il ne s'agit que de petites choses sans importance. Car nous avons aussi à envisager les responsabilités de notre situation familiale ou sociale. Mais, un homme est rarement autoritaire partout : s'il tyrannise son foyer, il est soumis, au-dehors, à ses chefs : s'il est inflexible au-dehors, il se pliera aux volontés de sa femme. Prenons une juste mesure et concilions les extrêmes. Regardons où, et dans quel cas, nous sommes intraitables : à quelles personnes nous imposons coûte que coûte notre volonté : et essayons de nous réformer.

Souvenons,nous que la douceur est la force morale la plus forte : les grands conducteurs spirituels furent toujours infiniment patients envers leurs ouailles rebelles, même envers les traîtres. Vous verrez des exemples de ceci dans les vies des saints qui exercèrent autour d'eux l'influence personnelle la plus profonde, comme Benoît de Nurcie, François d'Assise, Ignace de Loyola, Vincent de Paul. Jamais on ne les entendit défendre leur opinion, même dans les conseils qu'ils présidaient : ils se contentaient de l'exposer : cela suffisait pour qu'on s'y rangeât.

Essayons donc d'acquérir cette autorité morale qui s'impose d'elle-même, mieux que par les discours pathétiques, les grands gestes et les éclats de voix. Il semble enfantin de recommander à des hommes de se faire entendre. Toutefois, que la tranquillité de notre élocution ne soit pas artificielle : qu'au contraire, elle exprime tout uniment la tranquillité de notre coeur. Et de la sorte, ayant donné autour de nous des preuves que nous ne parlons qu'à bon escient, nous nous ferons écouter quand nous prendrons, devant tout un groupe, la défense d'un absent.

Je vous recommande entre vous la pratique de la tolérance vraie. Chacun suit la vraie méthode pour laquelle il est qualifié, à condition qu'il soit profondément sincère. L'un marche par le chemin de la douleur, l'autre par celui de l'Amour, le troisième par celui de la prière, etc. Tous sont dans le vrai : Il est donc inutile que l'un ou l'autre cherche à faire prévaloir sa voie personnelle.

Nous sommes des moines dans un couvent, mais des moines intérieurs dans un couvent invisible. Les moines ont bien des tentations subjectives équivalentes à nos tentations objectives ; mais eux, ils ont toutes sortes de soutiens extérieurs ; nous, nous n'avons qu'un seul soutien et très caché : nous ne resterons debout qu'à condition de nous construire un appui ferme par des renoncements matériels incessants.

Mai 1914

L'action de l'écrivain, du conférencier, du prédicateur, même lorsqu'il s'agit d'un Bossuet ou d'un Jean Chrysostome, s'exerce surtout sur le mental des auditeurs. Mais du mental au coeur spirituel il y a une bonne distance. Je ne veux pas dire que la culture et l'illumination de l'intelligence soient à dédaigner. Nous devons saisir tous les moyens d'action possibles. Il faut seulement les mettre à leur place.

23 août 1914

Il m'est pénible de ne voir aucun de vous pendant cette période tragique. C'est qu'il faut que nous fassions chacun notre oeuvre indépendante par nos propres moyens.

Acceptons l'épreuve avec sang-froid ; soyons résolus à payer. Quelle que soit votre fonction, remplissez-la de tout votre coeur, et au-delà. Ne craignez pas d'excéder vos forces. Que ceux qui n'ont pas de fonction se rendent utiles de leur propre mouvement.

Souvenez-vous que votre esprit bataille avant le corps, et après. Cherchez cette bataille durant vos nuits, après les batailles diurnes du corps.

Il faut que vous soyez des héros !

Je vous laisse cette pensée d'un homme courageux, à transposer dans le monde moral et à vous graver dans le coeur : Kléber a dit : « Etre soldat, c'est, quand on a faim, ne pas manger ; quand on a soif, ne pas boire ; quand on est épuisé de fatigue, marcher ; quand on ne peut plus se porter soi-même, porter ses compagnons blessés ».

Je vous envie, vous tous qui allez donner votre vie, en une ou plusieurs fois ; je vous salue.

Je vous envoie à chacun le meilleur de mon coeur ; vos noms me demeurent sans cesse présents.

30 août 1914

Le temps n'est pas aux analyses critiques ; vous avez certainement fait votre examen de conscience, les uns avant de partir au-devant de la mort, les autres pendant les heures douloureuses d'attente et d'inaction.

Il s'agit maintenant de pratiquer, de se hausser constamment au-dessus de soi-même. Une heure de prière est plus fructueuse que trois heures de discussion, mais une minute d'oeuvre est encore plus féconde.

Tous nous avons été, nous sommes et nous serons dans une voie ; tous connaissent, ont connu, connaîtront une vérité ; tous ont reçu, reçoivent ou recevront une vie. Entre tous, les gens de bien ; entre les gens de bien, les chrétiens : entre les chrétiens, les vrais disciples ont suivi des voies de plus en plus directes, connu des vérités de plus en plus réelles, reçu une vie de plus en plus riche. Profitez de la période actuelle de sacrifices pour approfondir votre expérience.

Je supplie le Maître qui S'est fait notre serviteur de garder vos corps et vos esprits et de les emmener à Sa suite, en renouvelant pour vous le « lavement des pieds » qui donne la force des marches difficiles.

Octobre 1914

Nous connaissons très suffisamment notre théorie ; appliquons-nous à la pratiquer.

Aucun de nous n'occupe un poste en vue ; nous avons reçu des lumières que bien des favorisés n'ont pas reçues : enfin nous nous sommes embauchés aux gages du grand Fermier. Je vous en supplie, souvenez-vous de ces trois choses : contemplez-en la grandeur, la hauteur et la profondeur. Qu'elles passent dans tous vos actes : qu'elles les magnifient. Au front, à l'ambulance, aux corvées, dans votre travail civil donnez votre maximum, partout, tout le temps, de toutes vos forces.

Après la guerre vous serez appelés à d'autres travaux. Mais, pendant la guerre, que votre coeur sonne constamment la charge.

Forcez-vous à la foi : que rien ne vous semble impossible.

Je suis avec vous : je prie avec vous et pour vous : mais je ne demande pas au Ciel qu'Il vous protège : je Lui demande qu'Il vous donne Sa force avec surabondance.

Je vous embrasse tous, avec l'ardent désir que le feu de l'Esprit descende sur vous, qu'il vous transfigure, qu'il vous confère la force, la sagesse, l'amour.

Décembre 1915

Pour la fin de cette douloureuse année, jetons sur notre travail un coup d'oeil récapitulatif.

Plusieurs d'entre vous sont réellement bien partis pour le travail de la prière et de la charité. Mais je note par contre une certaine fatigue, un certain effort dans vos attitudes. Le frais enthousiasme ailé des premiers temps s'est un peu abattu. Cela n'est pas directement de votre faute, parce que vous n'êtes pas encore de vieux routiers : cela est un peu de votre faute, parce que vous n'avez pas tout à fait gardé la simplicité intérieure.

Un jour par semaine prenez quelques heures pour oublier vos soucis. Prenez un bain spirituel : allez regarder de l'art ou de la nature : relisez quelque belle et pure page : et d'abord, oubliant tout, regardez par les yeux du coeur. Regardez notre Jésus, beau, doux et bon, dans les campagnes, parlant aux pauvres et souriant. Apprenez à sourire : que votre joie intérieure s'exprime ainsi, car le sourire peut être grave : le sourire est de la force : le Ciel n'est pas triste : c'est Lucifer qui est mélancolique. Ne vous considérez même pas comme des exilés. Le disciple de Jésus n'est nulle part un exilé, puisque partout la Présence adorable l'accompagne. Ne possédons-nous pas la clef de la Béatitude ?

Luttez donc avec l'aisance que donne la certitude de la victoire définitive. Pour quelque temps chercher le Beau : cela vous reposera d'avoir tant cherché le Bien et le Vrai.

Septembre 1916

Vous avez dû remarquer, mes Amis, que, malgré les catastrophes soudaines, les élévations imprévues, les chutes innombrables, dont se compose la trame de l'époque actuelle, nous restons tous dans des situations obscures ; or, si le Ciel avait voulu nous mettre à des postes importants, Il nous aurait fourni les facultés nécessaires. Des exemples existent de telles élections.

Par suite, cette obscurité, que nos principes nous ordonnent de chérir, doit nous apparaître non seulement comme la conséquence juste de notre personnelle médiocrité, mais aussi comme le décret de Dieu à notre égard. C'est de cette obscurité-là, précisément, que germeront les semences surnaturelles reçues du Jardinier divin.

Ces ténèbres sont doubles ; vos coeurs, mes Amis, sont le point de tangence où votre nuit à vous touche la nuit du prochain. Creusez des galeries de mines en vous-mêmes; creusez-en aussi dans les coeurs de vos frères. Le devoir professionnel, tout en restant votre premier souci et votre meilleur moyen de propagande, peut vous laisser libres d'agir sur autrui d'une façon plus directe.

Je le répète, la meilleure propagande, c'est l'exemple ; un service rendu opère davantage qu'un discours : un bon sourire rassérène un front soucieux plus vite qu'un sermon. Mais, en outre, ne craignez pas de dire votre avis, même si on ne vous le demande pas. Il faut oser parler, même à ceux qu'on devine d'avance sourds à notre voix. Ils hausseront les épaules, peut-être : mais ils auront entendu.

Travaillez-vous : cherchez des expressions de votre pensée concises et frappantes : apprenez à prévoir les objections : faites toucher à votre interlocuteur le néant de ce qu'il croit être une réalité : car, si toute chose contient, en son centre, un point de vide, c'est à vous d'y faire descendre la Plénitude éternelle. Ne veuillez pas mener tout le monde vers le même sommet :

Dieu est assez vaste pour offrir à toutes les aspirations l'idéal qui les satisfait infiniment.

Vous avez tout à comprendre : vos esprits doivent être infatigablement hospitaliers ; que rien ne vous rebute, que rien ne vous paraisse négligeable. Mais ne vous imposez à personne ; je sais bien que, dès qu'un camarade vous a demandé un renseignement, dès que vous avez fait naître une curiosité, ou un intérêt, vous êtes responsables des modifications que votre lumière peut apporter à la vie de cet individu. Mais respectez le libre arbitre d'autrui ; gardez-vous de diriger les consciences ; soyez des vedettes, de loin en loin, postées dans les ténèbres ; ne soyez pas des gardiens.

N'imposez pas votre voix. Si votre auditeur d'hier ne vous écoute plus et se moque : laissez-le, mais priez pour lui ; implorez pour lui la Lumière du vrai ; n'abandonnez pas cette intercession secrète, jusqu'à ce qu'elle ait donné un fruit. Car Dieu, en vous autorisant à Le prier, vous donne le droit d'être importuns avec Lui, et vous assure un inviolable secret sur ce que vous Lui confiez. Le frère pour lequel vous priez, son esprit même ignorera, si vous le désirez, qu'il vous est redevable de quelque chose.

Ainsi, alternant l'effort manuel et l'effort spirituel, équilibrant la propagande verbale par la prédication silencieuse de la prière, vous satisferez aux devoirs doubles que le Ciel vous a fait l'honneur de vous confier.

La fatigue peut venir ; elle est inévitable : je dirai même qu'il est bon qu'elle vienne : car elle est l'aurore d'un renouvellement. Mais, pour en ressentir le poids le moins possible il faut l'accepter.

Rien ici-bas n'a d'importance définitive, puisque Dieu est là.

La seule catastrophe réelle, c'est la perte du désir de Dieu.

Juillet 1917

Nous sommes presque tous fatigués : je propose à ceux qui ne le sont pas de vouloir bien faire semblant de l'être et de nous asseoir un peu à l'ombre des pommiers, sur le bord de la route. Pensons aux minutes déjà anciennes où tant de vous partirent défendre le sol natal : pensons aux minutes antérieures où une voix plus haute murmura sur notre esprit l'appel de la servitude divine. Que le cours languissant de nos énergies remonte vers sa source, au creux du Roc éternel où nichent les colombes du Cantique.

Souvenons-nous du jour où nous étant, de notre propre chef, voués au service du Christ, nous sommes entrés dans la mêlée de l'existence et dans celle de la guerre. Cela se fit sans phrases et ce fut bien. La solitude, la nudité du décor terrestre, le manque d'apparat dans les actes intimes de notre existence appellent autour de nous, au ciel intérieur, la compagnie des Anges, les magnificences de la Cité divine et les gloires véritables que sonneront les trompettes du dernier Jugement.

Ainsi, la pauvre minute si simplette où nous nous donnâmes à Jésus est, en réalité, le tout petit point lumineux qui, à travers la lentille, résume la splendeur immense du soleil au méridien. A ce moment, Jésus avait enfin rencontré mon esprit, depuis des siècles, peut-être, à la recherche du Pasteur. A ce moment, Jésus m'a regardé ; préparé par les mains patientes des Anges, j'ai pu L'apercevoir ; j'ai vu mon Maître, mon Seigneur, mon Ami. J'ai vu face à face mon Idéal ; et cette Réalité dépassait infiniment mes plus vastes imaginations. A cette audience assistaient les esprits des ancêtres et ceux des descendants, et les esprits des créatures à qui j'avais eu à parler ; et les anges gardiens, et les génies mixtes, et aussi mes tentateurs, agents impitoyables de ma purification, et mes tentateurs futurs que j'allais avoir à convertir. Comment ne me serais-je pas donné d'un élan définitif ?

De tout ce drame bref, ma conscience n'a perçu qu'une image réduite. Mon intelligence a cru décider mon vouloir. Mais l'une et l'autre ont obéi à l'exaltation surconsciente du Moi inconnu dont ma personnalité terrestre n'est qu'un organe à peine construit.

Cette vocation qui nous fait esclaves de Jésus, cet esclavage accepté qui nous rend libres parce qu'il nous unit progressivement au suprême Esclave de l'Amour, forment le noeud d'un drame si pathétique que les accents doivent en retentir au moins sur tout le reste de notre existence. Voilà pourquoi il est bon que, dans nos heures méditatives, nous nous souvenions de cette minute, que nous nous la remémorions, que nous en célébrions souvent une très intime commémoration.

L'engagement mystique, perpétuel, dans le monde où se meut notre esprit, implique une perpétuité parallèle dans le monde terrestre. De même que, devant le Christ, il est une transplantation une fois pour toutes de nos racines spirituelles, la vertu de ce pacte doit pénétrer tout notre être, pourvoir toutes nos substances d'une force nouvelle, orienter vers le but divin jusqu'aux mouvements les plus instinctifs et nous rendre impassibles aux meurtrissures, aux supplices même.

Il faut pour cela une incessante tension, une intense aspiration continue de nos puissances affectives. Méditer ne suffit pas ; vouloir systématiquement ne suffit pas ; il faut un amour incendiaire.

Que la lassitude vienne à ceux qui n'ont pas encore reçu le regard du Berger, cela se conçoit. Mais nous ne devons pas connaître ces défaillances.

Puisque nous nous sommes donnés au Christ, nous sommes sortis des domaines de la Justice et par conséquent aussi des domaines de l'Injustice. Nous sommes entrés dans les domaines de l'Amour où s'opère la fusion des justices et des injustices. Qu'est-ce que cela peut nous faire désormais de souffrir, victimes obscures de tracasseries mesquines, ou héros empourprés dans la gloire, puisque de toute façon nous ne devons plus, nous ne pouvons plus souffrir que par amour ? Ou bien, plutôt, nous ne devons plus, nous ne pouvons plus qu'être également heureux de souffrir avec justice ou avec injustice; davantage encore, nous devons être suprêmement heureux de souffrir par d'apparentes injustices. N'importe quel travail doit nous passionner, puisque tous nos travaux, voués à Jésus, Jésus les transmue en gemmes d'éternité.

Habituons-nous donc tous, quelle que soit notre oeuvre, à ne plus voir le mal. D'abord à ne plus croire que l'injustice nous vise personnellement, ensuite à ne plus voir les injustices que comme des formes de restitution, plus directes que les autres, des rapines antérieures que nous avons exercées sur des créatures plus faibles. Et, par-dessus tout, à entretenir notre commerce intérieur avec Jésus.

L'acte spirituel de notre vocation, dans les profondeurs inconnues du Moi, constitue un pacte qui nous engage à toujours. Ne pas en vivifier la mémoire, ne pas tenter d'agrandir et d'approfondir la conscience qui nous en est parvenue, n'affaiblit cet engagement en aucune façon ; cette négligence le fait seulement moins affectif, et plus difficile à tenir : de plus en plus difficile. Il faut donc, au contraire, contempler souvent le souvenir de cet hommage lige. Car les phénomènes qui se produisent dans l'ordre de la Nature, se dissolvent le long de la durée et se diluent dans l'espace. Mais ceux, dans la génération desquels intervient un facteur d'éternité, demeurent inattaquables et conservent leur vigueur primitive ; ils jouissent du privilège de la présence immanente ; hors du temps, au centre de l'espace ils demeurent, et ils continuent d'être accessibles aux visites que notre ferveur veut leur rendre.

Si donc je parviens par un contrôle de ma versatilité native à maintenir mon coeur dans le calme immuable, la présence divine ne trouvera plus d'obstacles à répandre sur tout mon être ses indicibles clartés ; et si, en même temps, je plonge ce coeur, avide par naissance de gloire et de superbe, dans les humiliations constantes des fatigues obscures, la Lumière ne l'éclairera plus seulement, elle se déversera en lui par flots débordants et revêtira pour mes regards ce monde misérable de sa splendeur et de sa sérénité.

Je voudrais donc, mes Amis, vous voir vous réfugier plus fréquemment dans ces creux du Roc éternel où les souffles de la tempête n'atteignent pas. Il est possible, au sein de l'existence la plus tourmentée et la plus occupée, de se maintenir dans la paix intérieure la plus solide. D'autres hommes y sont parvenus. Pourquoi n'y parviendriez-vous pas ? Il s'agit seulement de changer le séjour de votre coeur ; ou plutôt, selon la parole de l'Évangile, de choisir dans l'Immuable l'objet de votre amour. Ne croyez-vous pas que, si le Père le voulait, Son règne ne s'établirait pas à l'instant ? et n'avez-vous pas fait mille fois l'expérience que vos fatigues les moindres, comme les moins compréhensibles, n'ont jamais abouti, en définitive, qu'à vous pourvoir d'un supplément de forces et d'une plus grande capacité de bonheur ?

Septembre 1917

Si nous possédions la sagesse, si nous savions nous conduire en ne gênant l'harmonie évolutive d'aucun être, les lois, ni la Loi, n'auraient pas lieu d'exister. Elles sont, parce que nous ne nous soumettons pas.

La Loi, c'est : « Aimez-vous les uns les autres ». Les lois, ce sont les innombrables commentaires, pour toutes les situations, civiles et religieuses, où les hommes réunis en groupes sociaux peuvent se trouver. Commentaires souvent étroits, souvent opposés en apparence à leur principe, souvent vexatoires, souvent formulés par des égoïsmes ou des tyrannies, et par suite provocateurs de révoltes : mais le disciple sait qu'il doit s'abstenir de juger. La recommandation du Maître devrait suffire, telle quelle, si l'on voulait prendre le plus court et mettre en oeuvre la force de certitude que possède l'ignorance de la loi. Mais bien peu sont capables de cette cécité surnaturelle. Je rechercherai donc avec vous les motifs à l'obéissance.

On est toujours le subordonné de quelqu'un ou le captif de quelque chose. Lucifer lui-même, le plus libre des êtres, puisque le Révolté perpétuel, reste l'esclave de son orgueil. Il s'agit donc de subir notre sort en extrayant de cette fatalité le meilleur parti possible. Céder à l'inévitable, se soumettre à un état de choses qui nous ligote, voilà le régime que le Destin nous inflige pour nous réduire à la soumission; par cette dure gymnastique, nous apprenons l'obéissance ; chaque obéissance est une petite graine terne qui plus tard donnera les pousses vigoureuses et les fleurs paradisiaques du dévouement.

L'obéissance est l'école primaire du renoncement ; c'est l'abnégation par ordre ; ensuite vient le renoncement spontané.

Il est évident que, par le seul fait que l'obéissance nous gêne, elle procure des résultats spirituels. Un ordre crée toujours du travail et par conséquent développe toujours nos organes ou nos facultés : l'ordre reçu serait-il vexatoire ou sans raison, il n'y a pas de travail inutile. Même les occupations artificielles que s'inventent les oisifs ont leur utilité. Mais, en dehors de ces résultats naturels, l'obéissance, parce qu'elle plie le moi de son orgueil, parce qu'elle fouette notre paresse, atteint en nous le principe même de la volonté propre, et par conséquent nous hausse vers l'abandon à Dieu.

Il est évident qu'obéir par crainte de la punition ne procure que le fruit ordinaire de toute activité. Le disciple doit obéir pour des motifs mystiques.

Parce qu'il n'y a pas de puissance terrestre qui ne vienne de Dieu, en dernière analyse, toute autorité, civile, politique ou religieuse n'est qu'une forme de l'autorité divine, forme lointaine sans doute, et souvent méconnaissable tellement elle diverge de son principe. Mais justement, la foi du disciple lui fait apercevoir Dieu derrière le sous-officier, derrière le sergent de ville, derrière le contrôleur de tramway. Et, à cause de cette foi, les anges de Celui qui, étant Seigneur omnipotent, a voulu devenir comme le dernier des esclaves, réorganisent et remontent sur un plan nouveau tous les rouages fatidiques qui aboutissent aux petites tyrannies contre lesquelles nous regimbons.

A celui qui s'est donné solennellement et définitivement au Christ, les événements, les choses, les êtres avec qui son Destin le met en rapport, subissent une mystérieuse transformation d'essence, sinon de forme ; de sorte qu'ils deviennent pour ce disciple les ordres exacts de la volonté divine à son égard. Et, dans la mesure où sa vocation a été haute et son renoncement profond, il peut, sans figure de rhétorique, apercevoir Dieu sous la forme de ses chefs temporels.

Un homme au contraire encore dans l'Externe reste sous le régime des puissances mixtes, elles-mêmes en proie aux discussions continuelles du devoir et de l'égoïsme.

Mars 1919

Il m'est pénible de ne vous convier qu'à des efforts nouveaux, de toujours vous parler de fatigues et jamais de délassements. Je voudrais bien vous inviter à quelques plaisirs exquis. Mais nous sommes au travail, au dur travail ; et si dans un jour vous tombez quarante fois, il faut vous relever quarante fois.

Prenez courage ; la vie est courte en somme ; et puis, vous savez par expérience que le Ciel nous réconforte quand c'est utile.

Décembre 1919

Vous possédez le privilège insigne, quelquefois sensible, de la présence divine. Il faut que vous parliez à beaucoup d'hommes. Entraînez-vous à émouvoir, pas par de l'éloquence, mais par l'intensité silencieuse de votre propre émotion. Si, enfermés dans votre chambre, vous ne pleurez pas souvent sur vos tares, vous ne ferez jamais pleurer les autres sur leurs péchés. Ce ne sont pas les belles périodes et les gros livres qui bouleversent les coeurs, ce sont quelques paroles tombées de lèvres ardentes et pures. Voyez les conducteurs d'âmes ; ils parlent peu et simplement, mais chacune de leurs syllabes est chargée, surchargée et sursaturée de larmes, d'élans, de flammes et de douleurs. Répandez donc sur tous le feu clair qui brille en vous, même dans les paroles d'usuelle banalité.

Vous avez lu combien la vie des serviteurs de Dieu est pavée de souffrances. Mais nous, aucun ne souffre davantage que la moyenne des autres hommes. Pourquoi ? Est-ce parce que nous ne demandons pas au Père ce pain quotidien de notre âme ? Est-ce par un privilège inexplicable et nouveau ? Nous n'avons pas à le savoir ; mais combien notre état singulier ne devrait-il pas fouetter notre énergie ?

Que vos petits chagrins, que vos épreuves banales soient pour vous comme si elles n'étaient pas. Vous êtes dans la direction de Dieu : vous le voyez par vous-mêmes. Marchez donc ; la victoire finale est certaine, quelles que soient les péripéties de la bataille. Vous ne sentez pas assez que c'est le Christ qui vous mène ; c'est que vous restez trop chez vous, au propre et au figuré. Sortez donc de vos habitudes, sortez au-dehors ; Jésus est bien sorti de la Maison de Son Père, pour vous, pour nous.

Septembre 1920

N'oubliez jamais de remercier le Ciel ; n'oubliez jamais que le meilleur remerciement, c'est la promesse d'un meilleur service au Maître.

Approfondissons notre humilité. Jésus choisit l'âne pour Sa monture de parade ; l'âne porte une croix sur son dos ; il se contente de chardons pour ses maigres festins. Soyons les ânes du Bon Dieu ; et si, par aventure, notre Maître nous met des reliques sur les épaules, ne nous croyons jamais rien que de pauvres bêtes de somme ; restons à notre place qui est la dernière.

Je vous envoie, chers frères bien-aimés, l'accolade, signe de l'union, ou mieux de l'unité qui nous agrège autour de notre Chef le Christ.

Janvier 1921

Il s'agit de tenir coûte que coûte, d'obliger chacun des traits de notre visage à ne jamais exprimer autre chose que le calme, la cordialité affectueuse et le bon vouloir. Comme ce résultat est impossible à obtenir si notre coeur ne se trouve pas dans cet état, le moyen est excellent pour rendre imperturbable notre équilibre intérieur.

Je comprends bien que l'étendue de la tâche à accomplir vous fasse perdre votre sang-froid. Il ne le faut pas, Dans la vie intérieure n'importe quel effort local produit un effet général. Si le disciple avait assez de persévérance et de profondeur, la réalisation absolue d'un seul conseil évangélique portant sur le point le plus particulier suffirait à le mener à la perfection. Mais nous devons avoir égard à la faiblesse de notre caractère qui a besoin de diversité.

Je vous embrasse, mes Amis, en vous serrant tous étroitement avec moi dans l'ombre lumineuse de Notre Maître.

Février 1921

Le commencement de l'année civile est aussi un commencement de cycle spirituel. Malgré les duretés du Destin que plusieurs d'entre vous avez subies, je désirerais que chaque nouveau coup vous apparaisse comme un encouragement, plutôt comme une marque de la confiance du Ciel qui donne le plus de travail au meilleur ouvrier.

Il faudrait que nous admettions définitivement comme une vérité acquise, comme un axiome, que notre unique raison d'être réside dans l'acceptation de tout ce que les autres hommes moins éclairés que nous repoussent et même dans la recherche de tout ce qu'ils craignent. Il faudrait que nous nous disions délibérément en face de la vie : « Si je procède de telle façon, j'évite la difficulté ; par conséquent il me faut procéder de telle autre façon, puisque mon rôle le rôle que j'ai voulu est de redresser le tortueux, d'aplanir le raboteux, d'introduire la Lumière dans les coins sombres où les hommes ne vont pas ».

Juillet 1921

Rien n'a d'importance, sinon d'être distrait de Dieu. Or Dieu désire que nous subissions tout avec allégresse. Essayez donc de vous taire et de sourire quand le métier ne va pas, quand les familiers sont exigeants ou ingrats, quand vos employés vous servent mal, quand n'importe qui vous tyrannise.

Alors, mais alors seulement, votre esprit entrera dans le Royaume, et vous verrez vos demandes exaucées.

Décembre 1922

Je voudrais que la souffrance vous trouve toujours impavides, qu'aucun de ses aciers ne puisse rayer le diamant de votre foi. Il faut bander cette foi; il ne faut à aucun prix se laisser entamer. Il faut faire cela dans le mode le plus humble, en vous réduisant vous-mêmes à la plus petite dimension spirituelle. La seule vraie foi statique, c'est l'humilité. Ainsi toute occasion de souffrir deviendra pour vous un motif de joie.

Souvenez-vous du conseil de Jésus : « Quand tu jeûnes, oins ta chevelure et prends un vêtement de fête ». Voilà la vraie maxime. Cachez-vous pour pleurer si vous avez la faiblesse de pleurer. Quelles que soient ses fatigues ou ses angoisses, le soldat du Christ demeure dans la joie.

Consolidez votre foi ; elle ne sera jamais déçue, en aucun monde.

Janvier 1923

Je désire que vous deveniez conscients de la compagnie perpétuelle de Jésus. Cette présence est de toutes les secondes et de tous les points de l'espace. Cette présence se nomme le Fils, et le Fils, notre Christ Jésus, est là perpétuellement ; Il ne quitte jamais aucun d'entre nous ; Il Se tient à côté du prince et du vagabond, à côté du sauvage et du génie, à coté du criminel et du saint. Il voit tout, Il entend tout, Il discerne tout; et, puisque nous avons aimé cet être formidable, soyons logiques avec notre coeur et que cet amour devienne notre mobile unique et toute notre force. Sachons que Notre Seigneur nous regarde et nous sourit, et que cette certitude devienne pour nous toute la Loi, toutes les Écritures et toute la Béatitude.

Mai 1923

Souvent dans nos entretiens j'ai parlé de la prière, j'ai insisté sur l'immense importance de la prière. Laissez-moi vous rappeler qu'il faudrait, avant de s'endormir, un rappel de deux ou trois minutes, fait du fond du coeur, dans cet état ténu de liaison avec Dieu que les mystiques appellent la pointe de l'esprit. Ces prières-là sont souvent exaucées. On préfère prier avec ferveur, avec enthousiasme, avec joie ; c'est compréhensible. Mais la pauvre petite demande, toute nue toute courte, toute faible, l'Ami la recueille peut-être avec plus de joie. D'ailleurs, c'est la qualité de la conduite pendant le jour qui fait surtout la qualité de la prière du soir.

Je vous embrasse, Amis très chers, à qui je dois mes seules joies, de tout mon coeur, en Notre Maître Bien-Aimé.

Novembre 1923


Vous constatez, par votre propre expérience, que le meilleur moyen d'obtenir des résultats normaux et durables, c'est encore la lutte contre soi-même ou plutôt la maîtrise de soi même. Je me rends parfaitement compte de quelle façon, excédés par les petits ennuis de l'existence, vous vous laissez aller parfois à l'agacement et même à de la colère. Il faut absolument vous guérir de cela. Je voudrais que vous ayez assez de force pour reproduire ce que j'ai vu faire par un soldat du Christ qui, voulant vaincre un défaut, s'est engagé envers lui-même à ne pas succomber pendant quarante jours et qui, en effet, n'y a pas succombé.

Contrôlez vos gestes, contrôlez l'expression de votre visage, contrôlez votre langage ; et, si vous ne pouvez pas vous empêcher dans votre coeur d'être mécontents, qu'à aucun prix cela ne se voie sur votre visage.

Décembre 1923

La sécheresse, ou ce qu'on appelle de la sécheresse, peut être de l'épuisement survenu à la suite d'efforts maladroits. Souvenez-vous qu'au spirituel comme au physique l'effort le plus utile est un effort souple ; souriez même quand c'est l'un de vos défauts que vous matez. Dans le déploiement de la force parfaite l'effort ne s'aperçoit pas.

Quand une souffrance vous émeut, privez-vous de quelque chose, et priez. Mais encore ne vous privez pas exagérément. Privez-vous d'un mets, d'un plaisir, d'un confort; mais ne ruinez pas en pénitences votre propre santé. Vous n'en avez pas le droit ; ne privez de rien ceux qui sont à votre charge ; vous n'en avez pas le droit non plus. Le seul organe que vous puissiez faire jeûner en vous, c'est l'égoïsme, l'orgueil, l'amour-propre, l'avarice, la colère, la paresse : ces six-là sont un.

Octobre 1925

Si nous étions de vrais serviteurs, notre flamme serait assez ardente pour vaincre nos paresses, nos timidités, nos négligences ; nous n'aurions pas besoin qu'on nous rappelle ce qu'il faut faire.

Vous savez qu'un acte ne vaut, devant Dieu, que selon sa spontanéité ; ce que nous avons à faire, il nous faut le faire de notre plein gré. Brochures, entretiens, visites, réunions, causeries ne sont que des moyens, des expressions de notre foi. Mais, si nous voulons que cette foi vive, il nous faut la nourrir par des actes.

24 décembre 1925

Je vous demande encore une fois et avec la plus vive instance de confronter tout ce que je vous dis avec la parole du Christ, de ne suivre que le Christ, de ne me suivre que dans la mesure où vous êtes certains que je suis dans le Christ. Au surplus, ce sont nos intentions que le Ciel juge d'abord avant de peser nos actes.

Tenons-nous donc chacun à notre poste, attentifs à agir, paisibles et calmes, dans la certitude que doivent nous donner notre confiance et notre amour surnaturels.

Que Celui qui a bien voulu venir comme le plus pauvre et le plus abandonné des enfants des hommes veuille recevoir notre indigne adoration et prendre pitié de la pauvreté de notre coeur et de la solitude de nos égoïsmes.

Sédir