FRANCIS SCHLATTER

Écrit par Gérard Encausse (Papus) dans la revue "L'Initiation" - Références inconnues (vers 1895)



Ce qui est écrit en bleu se trouve déjà dans l'autre article de Mr Jean Finot, tandis que les notes rajoutées par Papus (haut et bas de l'article) sont en noir.


Notre époque est prédestinée à la révélation de l'occulte. Nos lecteurs sont au courant des guérisons véritablement miraculeuses obtenues psychiquement par le psychurge Philippe à Lyon. L'apparition en Amérique d'un français opérant des cures extraordinaires par la seule puissance de la foi et des courants magnétiques d'élémentals a ému toute la presse européenne. La Revue des Revues du 1er Mars consacre à ce sujet, sous la signature de M. Jean Finot, un intéressant article dont l'auteur a bien voulu nous prêter les gravures. Voici, au sujet de Schlatter quelques extraits de cet article :


Depuis deux mois, la ville de Denver, la délicieuse perle du Colorado, était en fête. Des centaines de milliers de pèlerins y accouraient de tous les coins de l'Amérique. Aussitôt arrivé tout le monde se rendait à la petite maison appartenant à l'honorable Master E.-L. Fox, l'échevin de la ville, qui abritait sous son toit François Schlatter, le plus grand thaumaturge de notre siècle. Pendant ces deux mois, la ville de Denver a pu admirer un choix de malades et de maladies les plus rares et les moins connues. Tous, ou presque tous, quittaient Schlatter, rassurés sur l'issue de leur sort, sinon complètement guéris. Les trains étaient bondés ; les hôtels regorgeaient de visiteurs et à travers tous les pays on n'entendait que des hymnes élogieux et attendrissants en l'honneur de Schlatter, le saint de Denver ! 


Schlatter était un bon Français avant de devenir thaumaturge officiel du Colorado.

Né en Alsace en 1855, Schlatter arriva un jour en Amérique, y fit tous les métiers et se réveilla un beau matin saint homme. Tête découverte, pieds nus, il parcourait les vastes Etats américains et se disait envoyé du ciel. Il préchait l'amour de Dieu et la paix des âmes. On le met en prison, où il continue à prêcher. Les prisonniers le raillent d'abord et finissent par être troublés. 


  Francis Schlatter n'a qu'à mettre sa main sur la tête des malades pour les guérir. Sorti de la prison, il s'en va au Texas. Son costume extravagant, ses pieds nus, ses cheveux longs qui encadraient d'une façon étrange son visage rayonnant de véritable illuminé, attirent des foules autour de lui. Les exaltés le tiennent pour un Elie ressuscité. Schlatter, sans se soucier de ses contemporains, ne faisait cependant que prêcher :

 

  " Prêtez l'oreille et venez à moi. Je ne suis qu'un simple envoyé de mon Père céleste. " 


  Et tous venaient à lui et il guérit les inguérissables et console les inconsolables. A Throckmorton, on l'enferme dans une maison de fous, mais il en sort plus imposant que jamais. I1 s'en va alors vers la Californie. Objet de culte et d'admiration, il traverse les villages mexicains et répand la croyance en son " Père " parmi les falsificateurs de denrées et les impies américains. I1 fait en même temps pleuvoir des miracles sur la tête des malades, bénit les enfants et arrive ainsi à San Francisco, en décembre 1894. De là, toujours à pied, tête nue, il parcourt les déserts de Mohave et arrive au mois de Mars 1895 à Flagstaft. Après y avoir passé quelques semaines, comme simple pâtre, il continue sa course pénible à travers les tribus indiennes. Et il y " faisait connaître le nom de sa sainteté, comme disait Ezéchiel, et les habitants du pays allaient à sa rencontre et admiraient la puissance du Seigneur". Cinq jours de suite il passa en compagnie du chef de la tribu des Navajos, en semant des miracles et rem plissant d'enthousiasme les âmes simples qui accouraient pour toucher ses  mains. 


  Le 15 août, Schlatter arrive à Albuquerque et, un mois après, nous le voyons à Denver, devenu sa résidence favorite. C'est dans ce paradis du nouveau monde que Schlatter accomplit ses miracles les plus éclatants. Denver devint sa "ville", et de toutes parts les incrédules et les croyants, les bons et les méchants, accouraient vers l'envoyé du ciel. Des femmes, touchées par les grâces du " Fils du Père ", lui faisaient cortège, les hommes l'admiraient, les reporters américains eux-mêmes, tout en interviewant le saint homme, s'inclinaient respectueusement devant la simplicité de sa personne et racontaient, en termes enflammés, les miracles accomplis par le " prophète de Denver ". 


  Les reporters et les journaux américains se mettant au service du "prophète" jettent du reste une lumière étrange sur ce saint fin de siècle. Car Schlatter, le " saint taciturne " comme l'appelaient les foules, ne devenait éloquent que dans l'intimité des envoyés des journaux. Le thaumaturge " prenait garde à ses voies", comme chante le psalmiste afin de ne pas pêcher par sa langue, et il " gardait sa bouche avec un frein" tant que les méchants étaient devant lui; mais aussitôt en présence des reporters, le feu de sa méditation se répandait dans des confessions touchantes et ingénieuses. Ce n'est, en somme, que grâce à eux que son " évangile " si simple parvint jusqu'à nous. 


  " Je ne suis rien, leur disait-il, mais c'est mon Père qui est tout. Ayez foi en lui et tout ira bien. " 

Ou :

   " Mon Père remplace aussi aisément une paire de poumons malades, qu'il nous guérit des rhumatismes ou de l'enrouement. Il n'a qu'à vouloir et le malade devient bien portant et l'homme sain devient malade ".

 

  " Vous me demandez en quoi consiste ma force. Elle n'est rien, c'est sa volonté qui est tout. "

 

  Un jour qu'une foule de quelques milliers de personnes se presse sur ses pas, Schlatter s'adresse à un homme qui se trouve à sa proximité : 


  " Sortez ! lui dit-il avec un ton de violence qui frappe l'assistance. Sortez et quittez Denver, car vous êtes un assassin !" 

Et l'inconnu s'en alla et la foule émerveillée salua le saint homme disant qu'il n'est pas en son pouvoir de guérir les gens  méchants. 

  La foi descendait jusqu'aux chemins de fer du Nouveau-Mexique. Un jour, la direction de l'Union Pacific Railway fit placarder dans le pays un avis disant que tous ceux parmi ses employés de même que leurs familles, qui désireraient consulter Schlatter, recevraient leurs permis et leur congé régulier. 

  Le Omaha World Herald raconte à cette occasion le spectacle grandiose des milliers d'hommmes, de femmes et d'enfants appartenant à tous les degrés de l'administration du chemin de fer, qui allaient demnander le pardon de leurs péchés et la guérison de leurs maladies au saint homme de Denver... Et c'est ainsi que les chemins de fer, joints au reportage moderne, faisaient cortège aux exploits miraculeux du prophète ... 

  Et le saint homme continuait à faire des miracles. Les aveugles voyaient, les sourds entendaient et les culs-de-jatte marchaient. La foi s'allumait dans le Nouveau-Mexique et jetait ses rayons célestes sur toute l'Amérique. Le charme infini qui se dégageait de la personne de François Schlatter descendait comme une suggestion grandiose sur les consciences les plus incrédules. 

  L'écho de ses exploits arriva même en Europe et certains Journaux anglais racontaient des cures de Schlatter tellement invraisemblables que le Nouveau-Mexique a failli devenir le refuge de tous les incurables de l'univers. 

 

  Le général E. F. Test a publié, dans l'Omaha World Hérald, un long article où il est dit entre autres : 

" Tous ceux qui l'approchent sont soulagés dans leurs souffrances. Le Dr Keithhey a été guéri de la surdité... Je me suis servi de lunettes pendant nombre d'années... Un geste de sa main a suffi pour que je n'en eusse plus besoin..." 

  Un des hauts fonctionnaires de l'Union Pacific, M. Sutherland, fortement éprouvé par un accident de chemin de fer, ne pouvait plus ni marcher ni mouvoir ses membres. On l'a transporté à Denver et il en est revenu complètement guéri. Non seulement il a recouvré la faculté de marcher, mais, sourd depuis une quinzaine d'années, il s'est débarrassé par la même occasion de sa maladie et a regagné la faculté de l'ouïe. 

   M.Stewart (Highlands, Jasper street), sourd depuis vingt ans, a été complètement guéri par le saint de Denver (Rocky Mountain Daily News, 12 Novembre). Rien ne peut résister à la grâce et à la puissance miraculeuse de Schlatter. La cécité, la dipthérie, la phtisie s'évanouissent devant sa main et surtout devant ses gants, comme de simples migraines sous l'intluence de l'antipyrine. 

  Mme V. V. Snook (North Denver) était atteinte d'un cancer depuis de longs mois. Epuisée de souffrances, elle envoie ehez le saint homme demander un de ses gants. Le " Fils du Père " lui en envoya deux en disant qu'elle sera guérie, et elle était guérie... Il en fut de même de John Davidson (1217, 17th Street Denver), du colonel Powers de Georgetown et d'une douzaine d'autres, tous atteints depuis de longues années de maladies plus ou moins incurables. 

  L'ingénieur Norris (Albuquerque), souffrant de la cataracte, fut guéri en un clin d'úil... Un bûcheron complètement aveugle distingue les couleurs après avoir été touché par la grâce de Schlatter. 

  Mme M.- C. Holmes de Havelock, Nébraska, souffrait de tumeurs au-dessous des yeux. Elle y a posé le gant que lui a donné Schlatter et les tumeurs disparurent. (Denver News, 12 novembre 1895.) 

  Des montagnes de gants qui arrivaient de toutes parts, gisaient sur le sol de la maison où habitait Schlatter. Le thaumaturge les touchait de sa main et les distribuait à la foule. La foi étant la seule raison des guérisons, "  il est inutile, disait Schlatter, de toucher les malades de sa main ". Et s'il le faisait, ce n'était que pour impressionner les âmes ayant besoin de cet effet palpable pour jouir des bienfaits que " son Père " faisait descendre par son intermédiaire sur la terre. 



  C'est ce qui nous explique aussi comment Schlatter a pu soigner de 3 à 5.000 personnes par jour. Adossé contre un pupitre, il étendait ses mains sur la foule qui s'en allait, la paix dans l'âme. 

  Et la perle du Colorado jubilait en constatant comment les muets parlaient, les culs-de jatte marchaient, les aveugles voyaient, et tous glorifiaient le " Fils de son Père. " 

* * * 

  Son désintéressement était au-dessus de tout soupçon, et le mépris qu'il professait pour le "roi dollar" remplissait d'étonnement et d'admiration ses fidèles. 

" L'argent, que voulez-vous que j'en fasse ? " disait Schlatter. Mon Père ne me donne-t-il pas tout ce dont j'ai besoin ?... Il n'y a pas de plus grande richesse que la foi; or, je crois à mon Père de toute ma foi ardente. " 

  Les dons affluaient de toutes parts et Schlatter les renvoyait avec sa douceur habituelle. On finit par ne plus lui envoyer que des gants que le saint homme, après les avoir touchés de ses mains, donnait aux malades et infortunés. 

Or le 13 novembre, Schlatter disparut tout à coup en laissant ce simple mot :

"M. Fox. Ma mission est finie et le Père me rappelle. Je vous salue."  Francis Schlatter. 13 Novembre.


Si nous rendons grâce à M. Jean Finot de tout ce qu'l fait dans son excellente revue pour l'occultisme, nous ne pouvons cependant pas laisser passer sans protestation les remarques qui terminent son article sur Schlatter.

- M. Jean Finot est trop indépendant et trop instruit pour se laisser aller à croire que Schlatter est un fou atteint " d'automatisme ambulatoire ", selon l'expression du professeur Pitres de bordeaux. Qu'un professeur de médecine, matérialiste comme il convient et impuissant à soulager une rage de dents, injurie " scientifiquement " un théurge doué des pouvoirs des frères illuminés de la Rose Croix, cela s'explique. Dieu choisit rarement les " guérisseurs " parmi les docteurs, sans doute par certitude de leur pédantisme ; mais il ne faut pas qu'un chercheur comme M. Finot partage les airs des ignorants sur le mouvement mystique contemporain.

- Guérir la cataracte, faire entendre les sourds et refaire des poumons troués par les tubercules sont des faits qui ne s'expliquent pas du tout par une action sur l'imagination des malades.

- Francis Schlatter était un illuminé, et nous dirons SEULEMENT POUR CEUX QUI SAVENT, que cet homme, obscur par sa naissance et sa position sociale, était cependant un des onze qui ont passé par le soleil en 1855.