INTRODUCTION

 

 

M. Jacques Maritain, séjournant chez le Père Lamy en même temps que l'auteur de ce petit recueil, lui disait le 13 septembre 1924 : « Vous avez bien raison de prendre des notes. Ce sont encore les Fioretti. Mais il faut, autant que possible, noter les mots eux-mêmes ».

— C'est, répondis-je, ce que j'essaie de faire. Je ne me gêne pas pour écrire, et je note tout avec fidélité. »

Attiré par la haute réputation de l'excellent et aimable vieux prêtre, je l'avais été aussi par un mot du Cardinal Amette à telle de mes amies, supérieure générale d'une congrégation charitable : « J'ai dans mon diocèse un second curé d'Ars : c'est le curé de La Courneuve ». D'une louange si belle le R. P. Lhande donnait un écho, dès1927, à la page 187 de son ouvrage, Le Christ dans la Banlieue. Il écrivait : « Ce triste presbytère (de La Courneuve) évoque un souvenir d'Ars, et d'autant plus impérieusement qu'il a longtemps abrité un saint prêtre, dont l'austérité de vie ainsi que le masque et même l'originalité, rappelaient, dit-on, l'abbé Vianney. Si le vénérable vieillard n'a pas pu changer sa paroisse en une petite cité de saints, on lui doit, sans doute, au moins, l'esprit de déférence envers l'idée religieuse qui anime la population ». L’originalité du Père Lamy ? Oui, elle existait dans la mesure où ses vertus admirables tranchaient sur celles de tant de chrétiens affadis ; mais, volontairement effacé, ennemi des singularités et hostile à la réclame, il s'arrangeait pour atténuer cette originalité autant qu'il était possible.

Comme souvenir de celui qui fut le directeur du patronage de leur enfance, leur confesseur, leur curé, ou leur supérieur, ses amis ont demandé un petit florilège de ses paroles, un bref mémento des faits marquants de son existence. Le voici, et, en voyant un format si modeste, personne n'imaginera le temps qu'il a fallu pour obtenir de vive voix les quelques renseignements biographiques que contient ce petit recueil. Tous les textes entre guillemets, autant dire toutes les pages de cette plaquette, sont les paroles mêmes du Père Lamy. Nous les garantissons comme telles et transcrites sans correction aucune. Il en a la responsabilité, et cette responsabilité il ne la prenait pas à la légère. Je l'entends encore me disant : « Il ne faut pas de miracles à moitié, pas de miracles faux ! Il faut mieux une parole en moins qu'une virgule en trop », et encore : « Je me permets de remettre souvent ces excellentes dames à leur place. La vérité est la vérité ; si elle est heurtante, tant pis ! »

 

Les éléments de cette mosaïque ont donc été réunis – j'allais dire dérobés – au cours de mille conversations, d'un grand nombre de journées passées chez le bon vieillard et de fréquents voyages faits en sa compagnie. Mosaïque aux lignes très pures, figurant une longue, existence consacrée au service de Dieu depuis les pas chancelants de la première enfance jusqu'à ceux de l'extrême vieillesse, avec des scènes épisodiques d'un aspect naïf, qui seraient même souvent triviales sans la teinte si fraîche de leurs couleurs, empruntées à une âme toujours surnaturelle. Mosaïque, dont les tableaux se détachent sur un fond aussi doré que la Légende fameuse du bienheureux Jacques de Voragine. Se figure-t-on le nombre des interrogations qui ont été nécessaires, la complexité des ressorts qu'on a dû mettre en jeu et des petites embûches qu'il a fallu tendre pour arracher au plus humble des chrétiens le récit d'épisodes tous marqués au sceau de la vertu et dont beaucoup touchent au sublime dans leur grande simplicité ? Quand il était enfant, sa mère, dans le patois du pays, l'avait surnommé « le baril bouché », à cause de sa réserve extrême dans les conversations. Ceux qui l'ont beaucoup fréquenté savent combien peu volontiers il parlait de choses intimes, sauf dans le cas où il en attendait quelque profit pour une âme. Alors même, combien de réticences ! Que de fois nous l'avons vu cabré et refusant de livrer ce qu'il considérait non comme son propre secret, mais comme celui de Dieu !

Si cette plaquette tombe entre les mains de personnes qui n'ont pas connu le Père Lamy, il est vraisemblable qu'elles seront heurtées dans certaines habitudes de concevoir les choses. Tel épisode paraîtrait fort bien à sa place s'il était survenu dans quelque saint monastère allemand ou italien du XIIIe siècle, ou, au XIVe, dans quelque cellule pieuse des Pays-Bas ; transposé dans notre France du Second Empire et de la Troisième République, il détonne. Le ciel aurait-il donc changé depuis le Moyen Âge ? S'intéresse-t-il moins aux vertus éclatantes d'un vivant parce qu'on a perfectionné les moyens de communication, d'éclairage, d'anéantissement des armées et des peuples sans armes ? Cet état d'âme, le nôtre, n'était pas celui du Père Lamy : il distinguait la main de Dieu partout où elle se rendait présente, et surtout, il faisait la volonté de Dieu. Sa conformité perpétuelle et amoureuse au bon vouloir divin forme l'unité de cette belle histoire vécue, malgré la diversité très grande des situations où nous apparaîtra son héros.