CHAPITRE VIII

 

LES VISITES DE MARIE À LA COURNEUVE

 

 

« La Très Sainte Vierge est venue le 18 mai 1912 avec saint Lucien (patron de l'église) et des saints que j'ai connus et quelques-uns d'entre eux avec lesquels j'avais habité, que j'avais connus de longues années. »

«  La Sainte Vierge, qui veille sur moi, est si bonne et si attentive ! Mais Elle ne laisse point passer la moindre chose. Comme mon sacristain n'était plus ni jeune, ni ingambe, je faisais moi-même des nettoyages dans mon église, un tablier bleu autour des reins, nettoyant tout, astiquant les chandeliers, plein de taches, non pas pauvrement mis, mais sale, avec une vieille barrette. »

« Il était à peu près 5 heures du soir. J'étais parti porter mes comptes du trimestre à l'archevêché. J'étais en retard. J'avais été avec M. Dupin, et j'avais encore bavardé un quart d'heure avec lui. L'église était très sale ; elle avait grandement besoin d'être balayée. Il y avait eu deux fêtes. Nous avions eu les premières communions le dimanche, messe d'actions de grâces et l'Ascension. J'allai m'appuyer contre un petit harmonium, que j'ai vendu, pour dire un Ave Maria. Le saint Archange me dit : « Faites attention ! Vous allez prier devant la Vierge Marie ». Je venais d'apercevoir de vieux journaux traînant par terre, et je m'étais mis à les ramasser. C'étaient des gamins qui les avaient laissés là, et je me disais : « Ils sont insupportables ! » J'étais à quatre pattes pour ramasser ces papiers. La Très Sainte Vierge était là, au milieu des saints, et moi dans cette belle position. Elle dit aux saints qui l'environnaient : « Tenez ! Regardez-le, le voilà, c'est lui ». J'ai piqué un fard. Je ne savais où me mettre ; j'aurais voulu rentrer sous terre. J'ai enlevé ma barrette ; mais, pour le tablier (gesticulant), je tirais sur les cordons, et plus je tirais, plus je serrais. Il y a une espèce d'attraction quand Elle est là. Je sentais bien que c'était pitoyable. « Tenez, le voilà tout rouge ! » a-t-Elle dit aux saints en voyant que je me démenais. Je me suis dit, mais plus tard : « Le ciel n'est pas le pays de la bile ! » Elle saisit toutes les nuances. Elle a voulu me montrer qu'Elle n'était pas blessée de me voir avec un chiffon épouvantable. »

« La Sainte Vierge est une personne très ménagère (souriant) : Elle n'est pas lésineuse, mais Elle aime bien que les choses soient bien faites. Je l'ai bien vu quand Elle est venue à La Courneuve. Les bonnes femmes, au lieu de mettre les vases comme elles devaient, elles ont bavardé. Je le craignais, les ayant vu bavarder, mais je ne m'étais pas approché d'elles pour éviter plus de bavardages. Elles bavardaient, et le travail ne se faisait pas. A la fin, on vide l'eau d'un vase dans l'autre ; les vases n'étaient pas propres et l'eau était sale, et broup, broup, broup ! (imitant les gestes de personnes qui videraient hâtivement l'eau d'un vase dans l'autre en bâclant l'ouvrage). Et il y avait de la cire et de la terre sur les gradins. Ce jour-là, je n'ai pas surveillé. »

« Quand Elle a été là, j'ai vu les vases, et j'ai vu clair dans le fond des vases comme si je les avais en mains. Et j'ai vu la terre sur les gradins. Ça m'a été montré par Son regard. Elle ne se plaint pas, mais Elle montre du regard ce qu'Elle regarde. Ce n'était pas digne d'Elle. Quand Elle a été partie, j'ai tout lavé ; mais il était bien temps ! Je pestais contre moi-même, et je me disais : « Imbécile ! Que n'as-tu surveillé ? » Elle est bonne, très bonne, mais Elle aime bien que ce qu'on fait soit fait. Elle reprend bien maternellement, mais Elle a montré. Si j'étais passé une heure auparavant, Elle n'aurait pas vu ça. Je m'en doutais bien, puisque j'avais mis ma vieille barrette et mon vieux tablier : je venais nettoyer. Ce qu'Elle devait faire sur la terre devait être bien fait ! »

« Son regard s'est arrêté sur les taches de cire, sur l'eau des vases et le fond des vases, et sur la terre qui avait coulé des pots de fleurs et se trouvait sur les gradins. Elle sait montrer, et tout devient clair là où s'arrête Son regard. On voit comme Elle voit, et la matière n'est pas un obstacle pour Elle. Elle voit tout, considère tout, mais Elle est très bonne : Elle ne fait aucune réflexion. »

« J'ai voulu enlever mon tablier, mais j'ai tâché en vain de délier les cordons : ça a été ma grande préoccupation devant la Très Sainte Vierge. Je n'ai pas entré dans la chapelle, je suis resté à genoux contre la grille, avec les mains toujours occupées. Je tâchais d'enlever. Je ne me suis pas attardé. Cependant, j'ai causé avec la Très Sainte Vierge. Ce qu'Elle disait m'intéressait. Ce que je lui ai dit L'intéressait peut-être, ou Elle a eu la bonté de faire tout comme. Quand on cause à une personne, on s'intéresse plus à ce qu'on dit qu'à ce qu'on fait. »

« Elle était d'abord entre le tabernacle et Son effigie. Son cortège faisait autour de la Très Sainte Vierge un demi-cercle. Saint Lucien (patron de La Courneuve) était immédiatement à sa gauche, devant le carton figurant le Cœur Immaculé de Marie. Saint Lucien a le vêtement rouge des martyrs et du blanc ici (sur le haut du buste). Il porte une robe rouge et un surplis excessivement fin, ou plutôt ce n'est que la même étoffe. C'est l'extrémité de la laine qui, dans le haut, paraît blanche : la nuance est dégradée. Il paraît déjà âgé, les joues creuses. Il a la mine d'un vieillard très austère. »

« Il y avait bien au moins une soixantaine d'anges dans le reste de la chapelle. »

« La Très Sainte Vierge a dit aux saints : « Lorsque vous avez été jugés, je vous ai fait donner tout ce qu'il – un personnage – pouvait avoir ou acquérir de mérites ». Et les autres de répondre : « Nous en sommes bien reconnaissants ». L'entretien roula sur des points tout à fait intimes, et, avant de se retirer, la Très Sainte Vierge dit : « Oui, je lui donnerai beaucoup ». Quant à la réponse des saints, je ne vous la dis pas. »

« La Très Sainte Vierge était en arrière du tabernacle, Sa figure allant jusqu'au front de la statue, à peu près. Il y a de la place en arrière du tabernacle. Quand Elle a voulu rentrer dans le chœur, Elle est passée devant (le tabernacle), a marché sur l'autel et est passée par le mur, et là, a disparu immédiatement. Elle a retourné encore la tête pour me reparler en partant, au dernier moment. Elle marchait en l'air, à mi-hauteur du tabernacle. Elle marche toujours en l'air : je ne lui ai jamais vu toucher terre.

— Cette statue, dont vous parlez, mon Père, est-elle du XVIIIe siècle ? On le croirait.

— Non, cette statue était une maquette faite par un sculpteur nommé Edy pour la comtesse de Schramm, la femme du ministre de la Guerre de Napoléon III. C'était pour un petit pavillon de son jardin, devenu maintenant le poulailler du maire de La Courneuve. Cette statue avait dû être exécutée en marbre, mais elle ne l'avait pas été, la comtesse étant morte sur les entrefaites. Elle avait été donnée à l'église aux environs de 1870. »

 

« Sans regarder les objets, mais comme se parlant à Elle-même, devant le démon qui était dans le coin et qui L'observait, la Très Sainte Vierge a énuméré ce que la mère D. avait donné, avant de réclamer son âme. Elle a parlé des candélabres du chœur où elle (la vieille paroissienne) avait mis encore quelque chose, ayant payé complètement la couronne de la statue et deux vases contenant des lis en bronze : « Elle m'a donné ça, puis encore ça », puis, gardant un petit instant le silence, et continuant à regarder devant Elle, Elle dit à Lucifer : « Vous me la donnerez celle-là (cette âme).

— Il le faut bien », dit Lucifer avec rage.

Elle avait regardé ces présents : c'était par bonté ! Elle a montré que ce qu'on Lui offrait était prêté à gros intérêt. Avoir le ciel pour si peu, vraiment ! Combien Sa bonté est grande ! »

 

« Cette pauvre femme était bien particulière. La mère Catherine venait à la cure ; elle passait à la cuisine (imitant une voix criarde) : « C'est de la soupe à chiens aujourd'hui ! » Elle disait ça à la cantonade, devant ma bonne ; ça ne la gênait pas ! Quand j'entendais la dispute, je montais dans ma chambre. Elle me disait : « Vous savez, vous savez ! Vous avez une pauvre bonne. C'est du bouillon à chiens, ce matin ». Mais quand ça lui disait, elle en acceptait un bol. Elle venait aussi de temps en temps à la messe. Elle m'apportait un chou et quelquefois un poireau, mais un chou tapé, qu'elle ne pouvait pas vendre aux halles, et elle disait : « Le curé, il peut bien rester dans sa paroisse. Je lui en donne des choux, des naviaux, des poireaux ! » Elle prisait. Quatre ou cinq ans après l'apparition de la Sainte Vierge, elle est tombée malade. On vient me dire : « La mère D. est bien malade ! » Il y avait peu de chances pour moi de parvenir jusqu'à elle, car sa porte était jalousement gardée. Elle avait une fille qui ne voulait pas me laisser approcher, de peur qu'elle ne donne de l'argent au curé. Providentiellement, la clef se trouvait sur la porte : celle qui devait la tenir fermée était allée chercher un seau d'eau, et était restée dehors à bavarder. Je vois la malade, j'entends sa confession, je l'extrémise, je lui donne l'indulgence plénière et promets de revenir lui porter le saint viatique. Je reviens le soir même, mais je trouve la porte close. Je frappe, je frappe encore, et j'entends parler, mais on ne m'ouvre pas. Le lendemain, pareille chose. Je tâche de me faire introduire par une nièce de la malade, mais elle n'y réussit pas. La femme meurt enfin, mais la Très Sainte Vierge avait pris possession de cette âme, qu'une attention généreuse lui avait permis de marquer de son sceau. »

 

« La couronne de la Vierge à Aubervilliers est en argent, donnée par cette femme. Elle avait acheté 75 francs les candélabres chez un bric-à-brac. Les vases étaient très propres, et les lis vraiment très bien. 75 francs ! C'était déjà une somme avant la guerre ; et, cette fois, c'était vraiment une occasion. Nous allons les chercher en tram. Nous descendons près de la Gare de l'Est. Elle ne voulait pas dépenser en circulation quelques sous de plus. Elle me dit : « Vous me suivrez ». Nous passons la Seine. Nous avons traversé tout Paris. De temps en temps, elle regardait si je suivais. Nous allons dans un taudis. Je me dis : « C'est un coupe-gorge ». Elle me dit : « Les voici ». Je trouvai qu'ils étaient beaux. Elle dit : « Vous pouvez les prendre », mais je n'en pouvais porter qu'un seul à la fois, et ce n'était déjà pas commode. Elle en porte un, et moi un. Elle ne veut pas prendre de tram pour rentrer. Ces malheureuses branches faisaient ça (de la main, il figure un objet qui vacille), et ce n'était pas emballé, tout était dévissé. Pour moi, j'ai démonté les fleurs de mon candélabre, que j'ai mises dans ma poche. Elle, non. A moitié chemin, je m'assois sur un banc. Les candélabres étaient sans rien, sans papier. Le mien, je le tenais comme un bébé. J'entendais des gens qui disaient : « Il déménage à la cloche de bois ». Près de Saint-Laurent, là où ça tourne, malgré ses protestations, je dis que je prends le tramway. Je suais à grosses gouttes de toutes les avanies qu'on avait avalées tout le long du chemin. Là, on a pu prendre le tram jusqu'à la Villette. À Aubervilliers, où j'étais connu, les gamins me faisaient cortège. Nous avons pris le tram : je l'avais voulu. »

 

« Arrivés à l'église, je pose mon candélabre sur l'autel de la Vierge, et elle le sien ; mais elle me dit : « Vous n'allez pas garder les fleurs, je pense ? » Je ne me rappelais plus que j'avais les fleurs dans la poche ; et, pourtant, elles pesaient quelque chose ! Je lui dis : « Vous allez prendre un verre de vin ?

— Ce n'est pas de refus. Je croyais que vous me l'auriez offert en route !

Ah ! Pensez-vous (riant) que je l'aurais mise à la terrasse d'un cabaret ? Les gamins l'appelaient la femme à barbe, la mère Ripaton. Elle n'était pas mauvaise, mais il fallait savoir la prendre. La Très Sainte Vierge l'a prise ! »

 

« Quelle comptabilité il fallait tenir avec les maraîchers de la paroisse, en marquant sur un registre, pour leur plaire, leurs offrandes avec le nom de chacun d'eux et sou par sou ! A la fin du mois, ils venaient voir ce qu'ils avaient donné. Je recevais un tantième sur les plus-values inespérées obtenues au marché. Quelquefois, ils me le donnaient d'avance pour attirer la chance. Cela faisait, les bons mois, jusqu'à 60 francs, tout en sous. J'étais obligé de les marquer. »

 

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« J'ai tenu à ramener cette statue (1) au Pailly à cause d'une faveur de la Très Sainte Vierge dont elle a été l'occasion en 1912. C'est la statue de Marie Immaculée, représentée presque grandeur nature. La Sainte Vierge n'est pas très grande ; Notre-Seigneur non plus. – Elle a été fondue au Val d'Osne. »

 

« J'avais fait alors acheter par la Société Immobilière 3.000 mètres carrés environ de terrain à La Courneuve pour établir une nouvelle église, qui fût plus centrale que l'autre, laquelle se trouve tout à fait au bout du pays. Je voulais l'appeler la Regina Cœli, mais il a surgi tant et tant de difficultés que je n'ai pu venir à bout de mes desseins. Ce terrain était planté de beaux arbres, et ces arbres donnaient des fruits en quantité. J'en rapportais souvent une pleine brouettée, quelquefois deux. Je les donnais aux enfants du Patronage Saint-Joseph : j'avais là autant d'enfants que j'en voulais. Je les faisais passer devant moi un à un. Quelques-uns me trichaient en échangeant leur chapeau ou leur casquette. J'avais établi un joli bosquet, où je voulais dresser une statue de la Sainte Vierge. Je l'avais commandée au Val d'Osne, et le charretier l'avait apportée durant mon absence. Elle était entourée de bandelettes comme ça. J'avais reçu le fût de colonne en pierre comme cadeau : il provient du château Necker à Saint-Ouen. Je logeais dans ses dépendances quand j'étais vicaire. Il y avait là plusieurs statues de divinités, qui ont été vendues : Je crois me rappeler que, sur celui-ci, se dressait une Pallas. Mes jeunes gens avaient été chercher le socle. J'ai pris cette statue, qui est en fonte de fer, et je l'ai dressée contre le piédestal, dans le jardin. Je voulais voir la figure. Il faisait encore assez clair. J'ai déroulé le papier, dégagé la figure et les épaules ; je me suis reculé d'un pas, pour juger de l'effet. Justement, le soleil couchant éclairait un peu. Je vois la Sainte Vierge devant la statue, entre la statue et moi, qui me regardait très maternellement, en souriant. C'est pourquoi, j'ai appelé cette statue la Vierge au Doux Sourire. J'ai composé à cette occasion une prière que j'ai souvent récitée. Elle n'a rien dit ce jour-là. Je L'ai regardée : j'étais saisi. Elle s'est mise entre l'image, et moi. Cette statue m'avait plu, quoique grossière de visage, parce qu'elle donne une certaine idée, mais pas plus, de la Sainte Vierge, telle qu'Elle est comme ensemble : Elle n'est pas grosse, elle n'est pas en chair. Et puis, Elle a une allure toute simple, toute dégagée, pas du tout maniérée, comme on La représente souvent, comme cette Immaculée-Conception de Gray, qui La figure les bras croisés sur la poitrine et la tête penchée. »

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« Un pauvre prêtre avait coutume d'offrir des fleurs à la Très Sainte Vierge, mais avant de les Lui donner, il ne se permettait pas de les sentir. Un jour qu'il lui apportait une belle rose, il en avait respiré le parfum inconsciemment. S'en étant rendu compte, il a jeté la rose. La Sainte Vierge m'a dit : « Vous avez bien fait de faire cela. Cela m'a été agréable. » La Très Sainte Vierge est tellement bonne ! Elle s'occupe des plus petits détails. Elle m'a appris à fondre les bougies. Je ramassais les débris dans mon église, et ne pouvais arriver à en faire des bougies sortables. La Sainte Vierge m'a dit : « Il faut que ce soit seulement coulant ». Je les faisais trop liquides auparavant ; je faisais bouillir. Dès lors, j'ai fait des bougies aussi belles que les fabricants. C'est une vraie Mère ! »

 

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« C'était dans l'église de La Courneuve en 1913 ou 1914, pendant l'été, un dimanche avant les vêpres. Je La sentais présente pendant la récitation du chapelet, et j'avais l'impression qu'Elle se tenait à la place du prêtre (dans le chœur). Les enfants, ce jour-là, avaient récité le rosaire avec un peu plus d'attention. Mais, par humilité, je n'ai pas osé La chercher du regard.

— Comment La sentez-vous, mon Père ?

— Sa Présence se sent bien. Elle est pour l'âme comme le parfum est pour le corps : on ne s'y trompe pas. Dans une autre apparition, la Sainte Vierge, me parlant de cette visite à La Courneuve, Lucifer Lui a dit : « S'il avait regardé, qu'auriez-Vous fait ? » Elle a répondu : « S'il avait levé les yeux, il m'aurait vue ». Elle a ajouté en riant : « Mes anges ont chanté au ciel un cantique sur l'air de celui que je venais d'entendre ». C'était pourtant un pauvre cantique, avec de piètres paroles ! .Au ciel, les anges ont répété l'air, mais point les mots. Du jour où Elle m'a eu dit cela, nous avons chanté ce cantique tous les dimanches à La Courneuve :

 

Mère de la Sainte Espérance,

Ô Vous, dont le nom est si doux,

Sensible à notre confiance,

Reine des Cieux, priez pour nous.

 

J'ai appris ce cantique dans mon enfance, mais ils ne le chantent plus au Pailly. »

 

 

(1) L'image de la couverture reproduit cette statue.