CHAPITRE VII

L'APPARITION DE LA TRÈS SAINTE VIERGE

À GRAY, LE 9 SEPTEMBRE 1909

 

 

« En ces sortes de choses, il ne faut pas ajouter un mot, pas même se permettre de changer de place une virgule. Quand Mme C. m'a dit qu'elle écrivait sur les apparitions, je lui ai dit : « Je vous désavouerai », et je lui ai écrit. Je crois que vous avez vu la lettre. »

 

« J'allais à Gray chaque année, autant que je pouvais, depuis que la Sainte Vierge m'y avait guéri miraculeusement. C'était en 1883, et le 2 septembre je crois, mais je ne vous garantis pas absolument la date. J'ai été guéri d'un eczéma du tronc. J'étais dans la réserve de l'active, en manœuvres. J'ai tenu garnison à Langres et été obligé de coucher dans un lit sale, dans des draps où avaient déjà couché des malades ; et, quand je me suis levé, j'avais le corps tout couvert de boutons, la peau toute soulevée. J'ai fait la marche avec le sac, en portant le fusil, à la tête de ma section, étant sergent, et le sang s'est mis à couler de toute part : c'était très sale. J'étais déjà malade à Champlitte ; j'ai été voir le médecin civil à Champlitte. J'ai mis un liniment, de l'huile ; mais la chair collait à mes vêtements et s'arrachait partout. Nous venions, tout le régiment, de Champlitte à Gray. On était arrivé autour des 4 heures. J'avais été, dès le matin, exempt de sac et même de ceinturon. Nous campions chez l'habitant, quai Mavia. Nous étions dans un grand chai vide : on avait mis les tonneaux à un bout, ce qui était plus prudent. La visite s'est faite à l'arrivée au campement. Après la visite, j'ai demandé au major : « J'ai une course à faire ». Il m'a répondu : « Vous êtes très fatigué. Ne vous fatiguez pas trop ! » C'était un brave homme. Quand j'ai quitté, on établissait le feu pour la soupe. J'ai été à l'église. Je connaissais beaucoup le sacristain, un bien saint homme. J'y allais déjà tous les ans – j'avais déjà reçu une grâce de la Mère de Dieu – depuis 1874. J'ai dîné chez le sacristain, et, comme j'avais après cela du temps de libre, la soirée à moi, j'ai été la passer aux pieds de la Très Sainte Vierge. J'ai prié devant la chapelle. Je me suis un peu endormi à la chapelle. J'étais fatigué. Le sang coulait des plaies, et toute ma chemise faisait une plaque, qui s'était durcie. J'ai été guéri tout à coup. J'ai passé ma main entre la chemise et la peau en me réveillant. J'ai ramassé quantité de peaux : elles étaient toutes sèches. Au lieu de cette douleur lancinante, je sentais presque du bien-être. Je redescendis pour la soupe par le Pont Mavia, et j'ai été au campement, qui était la troisième ou quatrième maison à droite, et j'ai vu le docteur le soir même, et je lui ai dit : « Je vais un peu mieux ». Il m'a dit : « Entrez ». C'était sous une grande porte ; je la reconnaîtrais encore. Il m'a dit : « Comment avez-vous été guéri ? » Je lui ai dit que j'ai fait une petite prière. Je ne sais plus comment j'ai tourné ça : il y a longtemps ! La peau sèche se détachait par morceaux ; je n'avais plus qu'à râper avec le doigt pour la faire toute tomber. Le lendemain, je me présente à la visite, mais j'étais bien guéri. Il m'a maintenu exempt de sac jusqu'à la fin des manœuvres. Je suis rentré à Langres avec le sac dans la voiture. C'est là que j'ai renouvelé la promesse d'y aller ma vie durant, tant que je pourrais. »

 

« C'était le 9 septembre 1909, j'étais venu comme chaque année, et le curé de Violot avec moi. On m'a donné de beaux ornements sortis pour un prélat qui devait venir et qui n'est pas venu. J'ai commencé ma messe. L'abbé Lemoine était dans l'intérieur de la chapelle, à droite, sur le prie-Dieu qui est encore là. La Très Sainte Vierge s'est montrée à moi brusquement, et en même temps qu'Elle le démon. Cela m'a causé une émotion extrême. Je me doutais bien, mais je n'osais pas croire à cause de mon indignité, que je me trouvais en face de la Très Sainte Vierge. Cela me dépassait tellement ! La Très Sainte Vierge est descendue de la voûte, assise dans une grande gloire, tout doucement, tout doucement. Elle était comme dans un foyer. Sa gloire pénétrait tout peu à peu : les bougies, le calice, l'autel, les ornements sacerdotaux et moi-même, comme le soleil pénètre le verre, l'eau. Jusqu'où va la gloire ? Il faut savoir ce qu'est la gloire de Dieu en considérant celle qu'il donne à la plus chère de ses créatures. C'était tel qu'un soleil ; je n'ai pas vu ses extrémités. Elle descendait de la voûte comme cela, les mains jointes. Elle avait un petit sourire avant d'élever la voix. Quand Elle a décroisé ses mains, cela a fait comme un remous autour d'Elle. »

 

« Elle a échangé d'abord quelques mots avec le démon. Pendant la descente, Elle a dit à Lucifer, qui est apparu derrière Elle : « C'est vous ?

— J'ai la permission du Père

— Soit

Puis, comme si Elle l'interrogeait : « Vous savez comme on obéit au Père ? » Il n'a rien répondu, mais j'ai cru que j'étais broyé. Elle a éteint Sa gloire ; la gloire plus petite ne l'a pas quittée de toute la messe. Je restais toujours au Dominus vobiscum. Si j'avais osé, je me serais précipité dans la sacristie, si je n'avais été à l'autel. Quand je regarde le curé de Violot, il met ses deux mains sur sa figure, et sa figure dans son livre, et se penche tout sur son prie-Dieu. Je me dis : « Je serai bien défendu ! » Elle causait, Elle m'interpellait : je n'osais pas Lui répondre. Elle se lève. Elle était d'une taille médiocre. Au mouvement qu'Elle fait, il se produit tout un remous de paillettes lumineuses. Sa couronne n'est apparue que quand Elle s'est mise debout. Ses pieds étaient à peu près à la hauteur de ces chaises. Elle reste un peu au-dessus du sol. De la main droite, Elle m'a fait signe très maternellement : « Continuez », pour me rendre courage. Je me suis dit en moi-même : « Si vous êtes la Très Sainte Vierge, faites-le voir ». Elle me dit : « Je suis la Mère de Dieu ». Quand Elle m'a dit : « Je suis la Mère de Dieu », très doucement, j'ai eu en moi comme un effondrement. De La voir ainsi, sans préparation ! Je ne doutais pas de la parole de la Mère de Dieu. Je L'ai crue ; mais Elle venait en pauvre compagnie (en compagnie du démon) ! »

« Quand je rappelai le martyre de saint Gorgon, Elle sourit doucement. C'était l'oraison de la Nativité ; au ut quibus beatœ Virginis..., je me suis incliné vers Elle. Elle m'a rendu gentiment une petite inclinaison de tête. Elle se tenait à ma gauche : Quelle humilité, même au Ciel ! Pour un arlequin de dernière classe ! Je La voyais reflétée sur la glace devant moi, dans le canon d'autel. L'entretien a continué, et, pour ne pas causer une interruption trop longue, Elle m'a fait signe de faire la lecture de l'épître. »

 

« Le petit servant a dit : « C'est la Sainte Vierge, Monsieur l'Abbé ? » tout en prenant le livre du côté de l'épître pour le porter du côté de l'évangile. Je lui ai répondu à voix basse : « Ne dis rien ! Tu La ferais partir ! » Elle l'a regardé avec une tendresse maternelle. Elle s'est reculée, l'a laissé passer, et Elle a repris Sa place au milieu de l'autel. Quand j'ai dit le Munda cor meum, Elle a quitté le milieu de l'autel et s'est dirigée du côté de l'évangile. »

 

« Après l'évangile, le prêtre est revenu dire le Credo. Elle a repris Sa place à côté du prêtre, presque devant le livre. Elle l'a laissé commencer le Credo ; à l'Incarnatus est, Elle s'est inclinée, semblant dire : « C'est comme ça ». Au Sub Pontia Pilato, Elle a tendu ses mains fermées au-dessus de l'autel, en crispant ses poings dans un geste de grande douleur. Elle avait les bras tout à côté de moi (et le Père montre la distance d'une dizaine de centimètres). J'étais tellement ému que je me suis trompé. J'ai bafouillé. Quand Elle a vu que je n'en sortais plus, Elle a continué le Credo comme si Elle disait la messe. Ça m'avait donné une telle secousse ! Elle m'a remis où j'en étais resté, bien tranquillement (souriant) : Elle sait bien ses prières. »

 

« Aux Memento, Elle recommanda au prêtre de demander davantage : il y a abondance et surabondance pour donner. »

« La Très Sainte Vierge annonça la guerre, me parla maternellement de mon enfance, fonda le pèlerinage de Notre-Dame des Bois, me dit qu'Elle désirait une congrégation nouvelle, Elle condamna avec grande énergie le modernisme, traita différents sujets, me défendant contre Lucifer. »

 

« Elle était vêtue d'une robe bleu foncé, avec son voile blanc, les manches serrées aux poignets et pieds nus. Sa robe monte jusqu'au-dessous du menton. Elle a une robe ample et toute simple. Elle peut bien porter autre chose ! Les proportions sont parfaites, tout est parfait dans la Très Sainte Vierge. Ses yeux sont très doux. Elle peut prendre toutes les couleurs d'yeux ; il y a un fixe, pourtant. De son vivant, ils n'étaient ni bruns, ni tout à fait bleus, plutôt pervenche. Les oreilles de la Très Sainte Vierge sont visibles. De même la naissance des cheveux sur le devant du front. On voit également les bandeaux de cheveux sur les côtés. La seule statue qui Lui ressemble un peu c'est celle-ci (rue du Bac, au-dessus de la porte d'entrée des Filles de la Charité), où Elle donne audience à Catherine Labouré. Elle a le visage aussi long, mais Elle n'a pas son front. Elle a l'air trop jeune dans sa statue, et on ne peut pas La vieillir. Je ne Lui ai jamais pu donner son âge. La Vierge est très brune : Nigra sum sed formosa. Son extérieur est très simple. Elle penche rarement la tête et vous regarde bien en face, tout comme Son divin Fils. Mais on sent qu'au-delà de vous, leur regard plonge dans le monde entier. »

 

« Quand la Sainte Vierge parle maternellement, Elle porte une couronne formée d'un brin de rose, d'un de lis et d'une marguerite, avec un cercle d'argent très peu large placé au tiers de la hauteur. Ces brins fleuris sont disposés comme les doigts, une rose blanche à peine ouverte, une seule fleur de lis à peine ouverte et une marguerite. Naturellement, ces fleurs plusieurs fois répétées et formant un cercle. Quant aux branchages verts du bas de la couronne, ils sont très sobres. C'est une couronne évasée. On pourrait passer la main entre le voile qui couvre Sa tête et Sa couronne. Mais quand Elle a condamné le modernisme, Elle a porté une couronne d'une incomparable beauté. Si la couronne de fleurs peut s'imiter, pour l'autre, la grande, on ne peut y songer. Elle est composée de pierreries et de lumières, les pierreries très fines, petites pour la plupart et quelques-unes de grosses. Elles sont disposées harmonieusement, placées comme les grains dans un épi de blé, avec des lumières scintillantes encastrant les pierres et les faisant ressortir. Il y a des pierres bleues, quelques-unes rouges, quelques-unes violettes, mais en moins grand nombre que les bleues. Parmi les plus belles sont les pierres d'un bleu pâle. J'ai presque regretté de ne pas Lui en avoir demandé une. De ces pierres, les unes pendent et les autres forment côtés, et il y a tout un jeu de lumières, les unes extérieures et les autres intérieures à la couronne. Ce n'est pas à proprement parler une couronne : c'est comme un diadème gonflé dans le milieu. Tout ce que j'ai vu dans les musées ressemble à l'œuvre d'un savetier à côté d'un soulier fin. Il n'y a pas de couronne sur terre qui approche de celle-là. Elle la porte quand Elle parle comme une souveraine. Elle est majestueuse. Elle l'a portée sans la gloire ; sinon, Elle serait effrayante, et Elle ne vient pas pour effrayer. »

 

« Après le Credo, Elle a parlé de la guerre sur un ton très douloureux : « Elle sera lente à s'allumer, elle embrasera toute l'Europe, elle embrasera l'univers. Il y aura environ cinq millions de tués, mais – se tournant vers Lucifer – j'en sauverai beaucoup malgré vous. » Le démon Lui disait : « Ils pisseront par la trouée des Vosges ». La Sainte Vierge : « Non, ils passeront par la Belgique ». Satan a dit : « Ils sont aussi coupables d'un côté que de l'autre ». Satan connaît très bien les culpabilités. La Très Sainte Vierge s'est tournée à moitié vers moi, et le fond de l'église a été rempli par un nuage blanc, qui s'est ouvert. Le mur a disparu, et c'est là que j'ai vu une ville avec un immense fleuve. Je crois que c'est Belgrade. J'ai vu les tableaux de la guerre. J'ai eu une sensation curieuse : je me sentais bien dans l'église, mais j'étais aussi transporté loin de l'église ; je ne peux pas me rendre compte exactement de la chose. Je me suis parfaitement rendu compte de la grâce que me faisait la Sainte Vierge, de me montrer ces pays. Elle m'a fait parcourir un pays immense. Je vous donne là des explications très incomplètes : je ne trouve pas de termes appropriés à ces choses. J'ai vu des navires de guerre avec des cheminées énormes. J'ai vu les paysages ; mais, plus tard, je me suis donné un mal énorme pour les situer et cela n'a pas été possible pour tout. On voit des fleuves, des monts, la mer : comment les situer sur des cartes ? Tout n'est pas fini. Il y a des scènes que je n'ai pas vu se dérouler. Le meilleur, maintenant, est de se taire pour moi. »

 

« Le prêtre a recommandé sa paroisse à la Très Sainte Vierge. La Très Sainte Vierge l'a protégée d'une façon très particulière pendant la guerre, surtout le jour de l'explosion. »

« Elle m'a regardé bien fixement : « Lui vivant, les Allemands ne passeront pas ici », – au Pailly –. Après un petit silence, Elle ajouta : « Même après sa mort. C'est son berceau, c'est le village où il est né. Je deviendrai la Protectrice de ces contrées ». Là ont cessé les tableaux de la guerre, et le bois est apparu. « Ils n'ont rien dans ces contrées ; ils n'ont rien » – pas de pèlerinage. Lucifer lui a dit : « Vous vous appelez déjà Notre-Dame de Lourdes... vous vous appellerez Notre-Dame des Bois ». Elle a tourné légèrement la tête. J'ai suivi la direction et Elle m'a montré la baraque. J'ai vu la baraque, j'ai vu la statuette. Elle l'aura peut-être choisie à cause de ses gestes. La Vierge – c'est gauche et c'est mal fait ! – étend son manteau pour nous protéger et l'Enfant bénit la terre, sur laquelle il n'y a plus de croix. Tout à ce moment, Elle s'est reculée un peu de l'autel : c'était pour laisser passer l'enfant avec le livre. »

« Il y a bien des années que je n'étais allé au Bois-Guyotte, mais je l'ai reconnu tout de suite. Je le voyais à 40 kilomètres comme si j'y étais. Le bois, on le coupait à blanc. J'ai vu à Gray la forêt en désordre, et j'ai vu du monde dans le bois, beaucoup de bûcherons, des scieurs de long, des équarrisseurs d'arbres, peut-être plus de cent personnes. Il y avait des chevaux, des attaches. J'entendais les charretiers qui juraient sous le regard de la Très Sainte Vierge. Et ils ne s'en privaient pas. Le bois était dans un état lamentable, les arbres ébranchés, taillés, il y avait par terre des branches qui pendaient de tout côté. C'était éreinté. Et de grandes plaques nues. C'était en septembre et le bois était déjà roussi. La maison m'est apparue telle qu'elle est, mais dans un état lamentable. Cependant, il y avait quelques carreaux encore, qui avaient disparu quand je l'ai achetée. Il y avait des plaques de plâtre tombées à terre. Il n'y avait pas de chœur, naturellement. Je l'ai vue de près. A ce moment-là, la chapelle était devenue, de rendez-vous de chasse, logement de bûcherons. De l'autre baraque, que j'avais connue près de la source, il restait un piquet. »

 

« De ce qui m'a été dit sur les monastères, je ne répéterai pas grand'chose. Elle m'a parlé longtemps des communautés à Gray. Elle fait la visite des communautés. Elle me l'a dit : Elle les visite. Elle-même a enseigné les Saintes Femmes. Elle avait groupé les Saintes Femmes, des veuves. Elle a eu avec Elle des Saintes Femmes. Lui était avec ses apôtres. La dispersion des congrégations était un châtiment plus pour le peuple que pour les individus. Elle m'a montré tous les monastères de France dans les temps passés et dans les temps futurs, avec leurs habitants. J'ai vu Clairvaux. » Et le P. Lamy brosse un tableau complet de ce monastère idéal, au temps héroïque de saint Bernard, avec son bienheureux abbé et ses moines, dont il décrit beaucoup un à un. Il parle aussi des religieux futurs de G. repeuplé. « Comme je connaissais bien l'endroit, mon attention a été retenue sur le prieuré. J'ai remarqué comment étaient faits les bâtiments anciens et j'ai vu les moines qui y ont vécu dans les siècles passés. Ils m'ont été montrés en procession sur la route, deux par deux et quatre par quatre, leurs capuchons baissés. Ils étaient dans les trois cents. La solitude se repeuplera, et j'ai vu les bâtiments futurs. »

 

« Plus tard, lorsque Mme Caillier m'a demandé de prier pour Remiremont, je me suis reconnu dans le paysage en me voyant de chez elle, devant le Saint-Mont. J'ai fixé Remiremont dans l'ensemble des pays que j'ai vus. J'ai vu beaucoup de ces abbayes. Elles s'éteignaient lentement sous les abbés commendataires. Ils allaient croquer les revenus au loin. Les moines n'étaient pas assez nombreux pour cultiver, et le rendement était très faible. J'ai vu des moines blancs, des bruns, des noirs. Je ne veux pas dire que ça m'a touché, mais d'une façon bien, bien... Ce qui m'a intéressé, c'est de voir naître et grandir l’Oeuvre. Je serai une pierre de la fondation. Les monastères refleuriront, les couvents se repeupleront. Après ces dures calamités, les âmes seront nombreuses qui viendront s'y établir. »

 

« Elle causait avec moi, et me faisait un rendement de comptes de ma vie journalière jusques et y compris le Sub tuum terminant la prière du soir, qui n'était pas souvent bien récité. Elle m'a rappelé le privilège sabbatin. Il faut faire ce qui est prescrit. Elle est très stricte pour le respect des ordres du pape. Elle a repassé mon existence. La Très Sainte Vierge m'a expliqué toute mon enfance. Elle m'a dit que, sans Elle, je me serais tué cent fois quand je faisais des cabrioles dans le poirier. Le poirier se trouvait dans le jardin fruitier de mes parents, de l'autre côté de la route par rapport à leur maison, là où est la grange. Puis, qu'Elle m'avait sauvé la vie quand j'avais la fièvre typhoïde. Ni le médecin, ni ma mère n'ont connu la maladie ; elle a été guérie en un jour par l'eau panée. Puis, Elle m'a parlé de l'incendie de notre maison. Elle m'a dit qui l'a allumé. Cela a réduit ma famille à la plus grande misère. Mon trousseau était déjà en préparation pour que j'aille au Petit Séminaire – j'avais dix-neuf ans – et cela a fait que j'ai dû différer. Je n'ai pu qu'y aller après mon service. Elle a dit : « Je le voulais prêtre. Vous le voyez : il est prêtre ».

 

« Elle m'a parlé aussi de la Médaille Miraculeuse. Elle m'a entretenu d'une statue en plâtre selon la Médaille » qu'une personne m'avait donnée très anciennement. Dans ma foi d'enfant, j'ai cru faire quelque chose de merveilleux en peignant cette statue, un vrai barbouillage. J'avais peint la Vierge en blanc, son manteau en bleu, son voile en blanc. Par une idée bizarre, j'avais peint la ceinture en jaune. « II a voulu me faire une ceinture jaune. C'était laid ! C'était bien laid ! » a dit la Très Sainte Vierge en riant de tout son cœur, mais j'ai accepté l'intention ». J'avais huit ans, ou un peu moins. Cette statue a brûlé dans l'incendie. La sainte Mère a dit : « Un moment, j'ai eu l'intention de sauver la statue, mais il n'en avait pas besoin ». J'ai recherché la statue dans les débris de l'incendie, et j'en ai ramassé les morceaux dans mon chapeau. J'ai porté ces débris où est la maison neuve, et je les ai enterrés au pied d'un groseillier noir. La Sainte Vierge a ajouté : « Il les a placés dans son chapeau. A ce moment, vous avez voulu le tuer » – Elle parlait à Satan – « en faisant tomber le reste de la cheminée, mais j'ai détourné le coup ». En effet, la statue avait été posée sur le manteau de la cheminée, qui était assez grand, comme dans les vieilles maisons. Vous voyez combien la Sainte Vierge est autour de nous ! Elle veille sur nous, Elle nous protège, Elle nous défend ! Enfin, au service, j'étais si fatigué que je serais tombé malade si la Très Sainte Vierge n'avait veillé sur moi. Elle m'a encore parlé de Troyes, de Saint-Ouen. Elle a encore dit sur Le Pailly, mais je ne dirai rien sur Le Pailly. »

 

« Sur Sa poitrine m'est apparu un chapelet avec les Pater et les Ave, dont les grains ressemblaient à des perles blanches. Il était disposé en forme de cœur, mais se terminait par rien. En dessous, comme s'il y avait une petite plaie ouverte à l'endroit du cœur, sortaient, à chaque instant, une flamme rouge et une flamme verte qui montaient et qui marquaient Sa respiration, et ce détail m'a profondément touché, m'a rendu bien reconnaissant. Le chapelet est le symbole de la Foi ; une flamme rouge c'était la Charité ; une flamme verte, c'était l'Espérance. La flamme montait et s'éteignait, montait et s'éteignait. Je compris que la prière en union avec la Très Sainte Vierge avait un grand pouvoir sur le cœur de Dieu. « Je n'ai qu'à demander, dit-Elle. J'entends la prière humble et confiante des petits ». En me montrant ce chapelet sur Son cœur, la Très Sainte Vierge a voulu montrer combien Elle est attachée à la prière du chapelet. Nous nous unissons aux anges pour le réciter. Nous le disons avec toute l'Église, avec les Saints. « Quand on médite sur la Passion, dit la Sainte Vierge, je donne presque autant qu'aux Saints qui sont dans le ciel ! »

 

« Elle laisse voir quand une chose a Son agrément. Elle a souri devant sa toute petite statue (la Vierge miraculeuse de Gray). Elle a regardé un tableau qui représente des Sœurs transportant un malade, mais il n'a pas eu l'air de retenir son attention. Elle est tellement habituée à voir dans la réalité les misères humaines ! N'est-ce pas vers Elle que toutes convergent ? »

 

« La Très Sainte Vierge a dit : « Il voudrait bien que je le guérisse, mais je ne le guérirai pas. Ça le maintiendra dans l'humilité ». Elle disait cela en voyant mes lunettes, que j'avais posées sur l'autel. J'avais déjà une bien mauvaise vue. »

 

« La Très Sainte Vierge a dit aussi : « Pendant que je suis sur la terre, demandez-moi tout ce que vous voudrez, je vous l'accorderai. » – Lucifer à la Très Sainte Vierge : « S'il vous demandait la science infuse ? » - La Très Sainte Vierge : « Je peux la lui accorder, mais il ne la demande pas ». – Lucifer : « S'il vous demandait les richesses, les honneurs ?

— Il ne les demande pas.

— Le don des miracles.

— Il ne le demande pas.

Ils ont dit d'autres choses que je ne dis pas. Je me suis dit en moi-même : « Oh, peuh ! » en dédaignant les dons de ce monde ; puis : « Sainte Mère de Dieu, priez pour moi maintenant et à l'heure de la mort ». - « Pourquoi mon Père n'avez-vous pas demandé les grâces utiles à la conversion de beaucoup d'âmes ? » – C'est une grâce qu'Elle m'accordait personnellement. La science infuse aurait été celle de vaincre et de convaincre : je ne l'ai pas demandée. Sur les honneurs, les richesses, je pense pareillement. Je ne les ai pas demandés, non plus que la science infuse. C'était une sorte d'épreuve devant la Très Sainte Vierge. Pourquoi Lui demander les richesses ? J'ai pesé autant que j'ai pu mes paroles : je savais bien qu'Elle ne me laisserait jamais manquer de pain. Un enfant ne va pas dire à sa mère : « Maman, est-ce que j'aurai du pain ? Tu en mettras de côté pour moi pour dans huit jours ? » Non, il sait qu'elle en a et qu'elle lui en donnera. »

 

« Une conversation très vive s'engagea entre Elle et Lucifer. Elle me parla de ma mort, me promit son assistance, et dit au démon : « Maintenant que nous n'avons plus rien à faire ici, partons ». Lucifer disparut le premier, et comme je La regardais avec beaucoup de respect et d'attention, j'ai dû cligner des yeux. Le clignotement fini, il n'y avait plus personne. La chapelle était devenue d'un sombre ! Ils étaient l'un et l'autre du côté de l'évangile. »

 

« L'interruption apportée à la messe a été longue. Je ne saurais préciser combien elle a duré.

Elle a disparu, et son divin Fils est apparu ensuite à la consécration. Il m'a dit simplement : « Dans un an d'ici ». Il m'est réapparu, en effet, ainsi, un an après, jour pour jour. »

 

« Que de sentiments m'assiègent quand je me retrouve devant cette chapelle ! Quand je redis la messe en cet endroit où j'ai été tellement favorisé ! A l'autel, tout me revient à la mémoire, comme si j'y étais encore. Cela a été surprenant, effrayant, attirant et réconfortant tout à la fois. Oui, chacun de ces quatre qualificatifs me paraît approprié. Je me retournais pour lire l'oraison : je reste stupéfait... Oh ! Quels sentiments ! Surtout quand ils ont parlé... »

 

« En allant, avec le curé de Violot, nous avions causé tranquillement de choses et d'autres. Je me préparais de mon mieux à la sainte messe. Après, nous avons pris le petit déjeuner chez une de ses paroissiennes, à Gray, Adeline Gérard, la fille de la Guston, d'Augustine Thirion. Nous avons déjeuné de bonne heure, et je ne sais plus ce que le curé avait encore à faire. Oh ! je connaissais Adeline : elle était de Violot. Je me suis arrêté à Violot, et j'ai voulu être seul. J'ai pris le prétexte d'aller chercher des mousserons. J'ai été à travers la plaine et je suis rentré très tard au Pailly. J'étais très ému, mais me possédais parfaitement bien. Je me représentais la scène très nette. J'étais seul, bien tranquille, et je suis reparti le lendemain dans ma paroisse. A Gray, je ne puis pas dire que j'aie saisi la portée de tout immédiatement. J'écoutais avec la plus grande attention ce que disait la Sainte Vierge, et après, j'ai essayé de classer ces choses dans mon esprit. J'étais aussi tout abasourdi par la révélation qu'Elle me faisait d'une guerre imminente. J'ai pris part à la peine qu'Elle exprimait. Si on L'avait écoutée, la guerre ne serait pas arrivée. Elle demandait des pénitences, le retour à Dieu. » - « Mais personne n'a fait la commission ! »

- « Je crois l'avoir dit à La Courneuve, l'avoir dit assez. Je le répétais tout le temps, tous les dimanches. Les gens disaient : « C'est un brave homme, mais il est toujours avec la guerre, et il faut faire ceci et faire cela ! C'est sa marotte ». Ils disaient simplement que j'étais toqué. Ils se disaient : « Il l'a dit, il l'a dit encore, et tu verras, il le dira dimanche ». Après, on m'a dit :

— Ah ! Si nous avions su !

— Mais je vous l'avais assez dit !

— Nous ne vous avons pas cru.

Elle demande la sainteté de la vie de famille. Elle demande qu'on cesse le désordre et qu'on rentre dans l'ordre, et puis tout est dit : Dieu n'en demande pas plus pour pardonner. »

« Je ne vous ai pas dit le dixième de ce que j'ai vu. Il y a bien des choses que je ne mettrai pas. Il y a des choses qu'il ne serait pas bon de dire, même dans quarante ans d'ici. Et puis, l'époque est peut-être la moins propice qui ait existé pour des révélations. Je ne parle pas d'une fraction du peuple, des catholiques fervents : ceux-là justement n'ont pas besoin de révélations. »

 

« J'ai bien mes notes (accidentellement détruites par Mlle Delarue) ; mais, sur ces notes mêmes, vous verrez des suites de points à certains passages. J'ai pris ces notes sur des billets de mort. Ils sont dans des caisses où j'ai mis mes papiers, au Pailly. Ce n'est qu'un an après que j'en ai parlé. Maintenant, je me fais vieux, je mourrai d'ici peu de temps, et je me sens plus libre. J'ai lu des passages de ces notes sur l'apparition de Gray à un prêtre de mes amis. Celui-ci m'a dit à la fin de la lecture : « Mais, c'est de vous qu'il s'agit : je le devine ! Il faut que ce soit bien fondé ». Je lui ai répondu que c'était très bien fondé. »

— Ce qui a surtout étonné feu l'évêque de L., c'est, je crois, mon Père, ce dialogue entre Marie et Lucifer, et aussi, le côté un peu naïf des conversations.

— Elle parle comme Elle veut. Ce n'est pas transcendant. Elle a dit : « Je viens dans la familiarité ».