DEV. DES PRÊTRES
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TRAITÉ DES DEVOIRS DES PRÊTRES ET DES OBLIGATIONS DES SOLITAIRES.

 

PARTIE I. A NEPOTIEN.

 

Dans toutes les lettres que je reçois si souvent de votre part vous me demandez que je vous apprenne en peu de paroles à bien vivre, et que j'enseigne celui qui a quitté le monde pour se faire solitaire ou ecclésiastique à marcher dans la voie de Jésus-Christ, afin de ne pas s'égarer dans les divers sentiers du vice. Pendant que j'étais jeune et presque encore enfant, et que je commençais à dompter par les austérités du désert un corps robuste et sensuel, j'écrivis sur ce sujet à votre oncle Héliodore une lettre pleine de plaintes, et où je lui marquais l'amitié de celui qu'il abandonnait; mais cet ouvrage était un jeu d'esprit proportionné à mon âge, et où d'un style fleuri je traitais quelque chose en jeune homme qui sort de rhétorique. Aujourd'hui que j'ai les cheveux blancs, le front ridé, et que mon sang est glacé dans mes veines, j'ai oublié toutes ces chansons, pour me servir des termes du pointe, et même ma voix est devenue faible. En effet les infirmités de la vieillesse affaiblissent les vertus dont la pratique dépend des exercices du corps; la seule sagesse s'y fortifie pendant que les autres choses y périssent : les jeûnes, les veilles, la défense des opprimés, les visites des malades, le travail des mains, qui fournit de quoi faire des aumônes, en un mot toutes les bonnes actions où le corps a part perdent de leur éclat à proportion que l'âge diminue ses forces. Ce n'est pas que les jeunes gens soient incapables d'avoir de la sagesse, et particulièrement ceux qui sont devenus habiles par un travail continuel joint à la sainteté d'une vie innocente et à des prières ferventes; mais comme ils ont à combattre contre un corps sensuel, leur sagesse est étouffée dans les attraits de la volupté ainsi que le feu qui s'éteint dans du bois vert. Au contraire ceux qui ont employé leurs (288) jeunes ans à l'étude de la vertu, méditant la loi du Sauveur le jour et la nuit, deviennent plus savants et plus sages en avançant en âge; et c'est alors qu'ils goûtent véritablement ce qu'ils ont appris autrefois. De là vient que Thémistocle, mourant âgé de cent sept ans, dit qu'il était fâché de quitter la vie quand il commençait à être sage. Platon, composant des ouvrages, mourut à la quatre-vingt-unième année de son âge, et Isocrate passa quatre-vingtdix-neuf ans à enseigner et à écrire. Je ne dis rien de Pythagore, de Démocrite et des autres philosophes qui, à la fin de leur vie, se rendirent fameux par leur sagesse. Les poètes même, Homère, Hésiode, Simonide et les autres ont mieux réussi dans leurs derniers ouvrages, à l’exemple des cygnes, qui ne chantent jamais avec plus de douceur que quand ils sont proches de la mort. Sophocle, ayant été accusé de folie par ses enfants à cause de son extrême vieillesse et du peu de soin qu'il avait des affaires de sa famille, récita devant ses juges Oedipe, qui était sa dernière pièce, et par là fit voir tant de sagesse dans un âge décrépit qu'il recul du tribunal les applaudissements qu'il pouvait attendre du théâtre; Caton le censeur, un des plus éloquents hommes de son temps, n'eut point de honte d'étudier la langue grecque en sa vieillesse, et il ne désespéra point de l'apprendre ; et, si nous en croyons Homère, rien n'approcha de l'éloquence de Nestor quand il fut extrêmement vieux.

Mais, me direz-vous, à quel dessein rechercher des choses si éloignées? C'est afin que vous n'attendiez pas ici les discours d'un jeune écolier, ou des périodes harmonieuses qui causent de l'admiration à ceux qui les entendent. Écoutez donc, non pas un discours éloquent, mais persuasif; comme dit saint Cyprien, écoutez-moi comme votre frère si vous considérez mon emploi, et comme votre père si vous avez égard à a vieillesse: je vous conduirai depuis le berceau jusqu'à un âge parfait, et donnerai des leçons aux autres en vous enseignant à bien vivre. Je sais que le grand évêque Héliodore, votre oncle, vous a appris et vous apprend tous les jours les lois de la sainteté, et que sa vie vous tient lieu d'un modèle de toutes les vertus : néanmoins recevez de bonne part cet ouvrage, de quelque manière qu'il soit, et l’ajoutez au livre que je lui ai envoyé, afin que, si l'un vous a appris à être bon solitaire, l'autre vous montre à être un bon prêtre.

D'abord il faut qu'un clerc qui s'est consacré au service de l'Église sache l'étymologie de son nom, afin qu'en connaissant sa dignité il tâche d'y répondre par sa vie. Le mot grec pleros signifie: sort ou partage; le nom de clerc en dérive, parce que les clercs sont le partage de Dieu ou parce que Dieu est leur partage. Or celui qui est partage doit se rendre digne de posséder ou d'être possédé : de là vient que quand un homme possède le Seigneur et qu'il dit avec David : «Le Seigneur est mon partage, » il ne peut posséder que lui, et s'il retient quelque autre chose en sa possession le Seigneur ne peut être son partage. Si j'ai de l'or, de l'argent, des biens et des meubles précieux, je ne puis être le partage du Sauveur; mais si je veux l'être véritablement je ne serai point du nombre des autres tribus, je vivrai des dîmes en prêtre et en lévite; servant à l'autel, je recevrai les offrandes qui y seront présentées ; je me contenterai d'avoir de quoi me vêtir et de quoi me nourrir, et je me dépouillerai de tout pour suivre Jésus-Christ attaché nu à la croix. Croyez donc qu'il n'en est pas de la condition d'un clerc comme de celle des anciens soldats , c'est-à-dire qu'on ne doit pas chercher son intérêt sous l'étendard du Fils de Dieu, et qu'on ne doit pas devenir plus riche qu'on était quand on a commencé à le suivre. On voit des solitaires plus opulents dans le désert qu'ils n'étaient dans le monde; on voit des clercs qui ont embrassé la pauvreté de Jésus-Christ, et qui cependant ont plus de richesses que quand ils vivaient dans le siècle sous les lois du démon ; de sorte que l'Église, en soupirant, voit dans l'abondance des gens que le monde avait vus dans la mendicité. Que votre table soit frugale et que les pauvres et les pèlerins y trouvent place en la compagnie de Jésus-Christ. Fuyez comme un pestiféré un ecclésiastique qui se mêle d'affaires, qui de pauvre est devenu riche, et qui fait le vain quoiqu'il soit sans naissance : les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. Si vous méprisez l'or et les richesses, un autre les aimera; si le silence et la retraite vous plaisent, le bruit, l'embarras, les assemblées publiques plairont à un autre : quelle union peut-on attendre de cette grande diversité d'humeurs? Que (289) les femmes viennent peu chez vous, ou, s'il se peut faire, point du tout ; ne connaissez aucune fille, ou, si vous en connaissez quelques-unes, aimez-les toutes également ; ne demeurez point avec elles dans la même maison, vous fiant à une vertu qui a déjà été mise à l'épreuve ; car vous n'êtes pas plus saint que David, plus fort que Samson ni plus sage que Salomon. Souvenez-vous qu'une femme l'ut cause qu'Adam fut chassé du paradis terrestre. Si vous tombez malade faites-vous assister par quelqu'un de vos frères, par votre sœur, votre mère, ou quelque autre femme dont la vertu et la probité soient connues; si vous êtes éloigné de votre famille, ou que vous n'y trouviez pas une personne telle que je la dépeins, servez-vous de quelque une de ces vieilles femmes que les églises nourrissent : elle sera bien aise de gagner quelque chose en vous servant, et votre maladie vous fera naître l'occasion de faire l'aumône. J'en connais plusieurs qui, se guérissant des infirmités corporelles, sont tombés dans une maladie d'esprit ; en un mot, celle que l'on considère avec trop d'attachement vous expose au danger en vous servant. Si votre devoir vous oblige à rendre visite à une veuve, à une fille, n'entrez point chez elle seul, et que la compagnie de celui qui vous y suivra ne vous donne point de confusion : s'il est acolyte, lecteur ou chantre, qu'il soit plus paré de ses vertus que de ses habits, que ses cheveux ne soient point frisés, enfin que l'extérieur fasse connaître la pureté du dedans. Ne parlez jamais seul à une femme seule . si vous avez quelque chose de particulier à lui dire, il y aura chez elle une fille, une veuve ou une femme mariée; car il ne serait pas possible qu'il n'y eût que vous au monde en qui elle pût avoir de la confiance. Evitez ce qui peut faire naître le soupçon, et prenez garde que l'on n'interprète à votre désavantage ce que l'on peut imaginer avec fondement : une amitié honnête ne sait ce que c'est que recevoir des mouchoirs, des rubans et des lettres d'amour, et manger des viandes qu'une femme aura touchées. Si l'on rougit d'entendre dans une comédie des termes d'amour et s'ils sont insupportables en la bouche d'une personne du monde, comment les souffrirait-on dans la bouche d'un solitaire ou d'un ecclésiastique, dont la condition est relevée par le sacerdoce comme le sacerdoce semble être relevé par la sainteté de sa vie? Ce n'est pas que je craigne que des personnes vertueuses telles que vous tombent dans ces désordres; mais dans toutes les conditions de la vie il se trouve des bons et des méchants, et la condamnation de ceux-ci sert d'éloge aux autres. C'est une chose qu'on ne peut voir sans confusion, que les prêtres païens, les comédiens et d'autres gens semblables puissent, être institués héritiers , et qu'il v ait des lois qui défendent que les ecclésiastiques et les religieux ne le soient, surtout quand ces lois n'ont pas été faites par des tyrans, mais par des princes chrétiens; et l'on ne doit point se plaindre de leur sévérité, mais regretter plutôt les circonstances qui les ont obligés à en user. Ces lois sont assez rigides et ont été établies sagement; cependant elles ne remédient point à l'avarice: on y contrevient par le moyen des fidéi-commis, car on redoute moins l'Evangile que les ordonnances de l'empereur, comme si elles étaient au-dessus. Si la gloire d'un évêque consiste à pourvoir à la nécessité des pauvres, un prêtre se rend infâme en travaillant à devenir riche. Il y a des prêtres qui, nés et élevés dans l'indigence, sont aujourd'hui dégoûtés des mets les plus délicieux. Ils savent les noms et les différentes espèces des poissons, en quelle mer se pêchent les bonnes huîtres ; au goût du gibier ils connaissent d'où il vient, ne l'aiment que pour sa rareté, et savent s'en priver quelquefois pour le trouver ensuite plus agréable. Il court aussi un bruit qu'il y en a quelques-uns qui s'attachent à des vieillards sans enfants, auprès de qui ils font des bassesses inouïes : ils assiègent leur lit, ils leur préparent le linge, ils tremblent à l'arrivée du médecin, et, s'informant si le malade est mieux, s'ils apprennent qu'il y a quelque amélioration ils feignent d'en être bien aises, quoique l'avarice les dévore en secret et qu'ils disent que le vieillard est un autre Mathusalem. Certes ils auraient plus de récompense de tant de services en l'autre monde s'ils n'en attendaient point en celui-ci. Avec quels soins achètent-ils une petite succession ? la pierre précieuse du Sauveur se peut acquérir avec beaucoup moins de peine. Lisez souvent l'Ecriture sainte, ou,pour mieux dire, ayez la toujours entre les mains. Apprenez-la pour instruire : puisez-y un discours fidèle et conforme a ses maximes, afin d'enseigner une (290) doctrine orthodoxe et de confondre ceux qui seront d'un sentiment contraire. Soyez attaché à ce que vous avez appris et à ce qui vous a été confié. vous souvenant du maître qui vous a instruit, et étant prêt à répondre à celui qui vous interrogera de l'espérance et de la foi qui est en vous. Que vos actions soient conformes à vos paroles, et quand vous parlerez dans l'église, que l'on lie dise point eu soi-même : « que ne pratique-t-il ce qu'il enseigne? » On écouterait peu celui qui, après avoir bien dîné, enseignerait il jeûner, car un larron même blâme l'avarice. La bouche, les mains et l'esprit d'un prêtre doivent agir ensemble de concert.

Soyez soumis à votre évêque et le regardez comme le pire de votre âme. C'est, le propre des enfants d'aimer et des esclaves de craindre. « Si je suis votre père, » dit Dieu, « où est le respect qui m'est dû ? si je suis votre seigneur, pourquoi ne me craignez-vous point? », D'ailleurs, outre la dignité d'évêque, vous devez encore considérer dans le vôtre un solitaire et un oncle qui vous a montré à pratiquer tout ce qui est saint. J’avertis aussi les évêques de ne pas oublier qu'ils sont prêtres, et qu'ils doivent honorer les ecclésiastiques comme des ecclésiastiques afin que ceux-ci les respectent comme des évêques. On sait quelle fut la réponse du sénateur Domitius : «Pourquoi, » dit-il, « vous traiterais-je comme un empereur, puisque vous ne me traitez pas comme un sénateur ? » En un mot, un évêque et les prêtres sont aujourd'hui ce qu'étaient autrefois Aaron et ses enfants. Comme ils n'adorent que le même Dieu, et dans In même église, ils exercent aussi le même ministère. Souvenez,-vous toujours de ce que saint Pierre commande aux prêtres : « Gouvernez, » dit-il, «le troupeau de Dieu qui vous a été commis, veillant sur sa conduite non par une nécessité forcée, mais par une affectation toute volontaire; non par un honteux désir du gain, mais par une charité désintéressée; non en dominant sur l’héritage du Seigneur, mais en vous rendant les modèles du troupeau du fond du cœur ; et lorsque le prince des pasteurs paraîtra, vous remporterez une couronne de gloire qui ne flétrira jamais. » Il s'est établi une très mauvaise comme en de certaines Eglises, où les prêtres ne parlent point devant les évêques, comme si ceux-ci étaient jaloux de leur vertu ou qu'ils ne voulussent pas les entendre. «S'il a été révélé quelque chose à un de ceux qui sont assis aux dernières places, » dit saint Paul, « que celui qui est assis au-dessus de lui se taise; car chacun peut prophétiser, afin que tout le monde soit instruit et reçoive de la consolation. L'esprit des prophètes est soumis aux prophètes mêmes, et le Seigneur est un Dieu de pair et non de division.» Au reste, comme un sage fils est la gloire de son père, un évêque peut se réjouir d'avoir choisi des prêtres dignes de leur condition. Quand vous prêcherez, que l'église retentisse plutôt de gémissements que d'applaudissements; car les larmes des auditeurs sont le véritable éloge du prédicateur. Le discours d'un prêtre doit être rempli de passages de l’Ecriture sainte, et vous ne devez point parler en déclamateur qui n'a que des paroles, mais en homme consommé dans les mystères de la religion. C'est le propre d'un ignorant de discourir beaucoup et de se faire admirer d'une populace grossière par un torrent de paroles. Un effronté se mêle souvent d'enseigner ce qu'il ignore, et quand il a persuadé aux autres qu'il est savant il se le persuade à lui-même. Je demandais un jour à Grégoire de Nazianze, qui était mon maître, ce que voulait dire saint Luc par ces paroles : « Une fête seconde première. » — «Je vous l'apprendrai à l'église, » me répliqua-t-il en se raillant; «car parmi les acclamations de tout le monde si vous demeurez seul dans le silence, au moins vous passerez seul pour un ignorant. » Il est en effet très aisé de surprendre par une facilité de langage un peuple simple qui admire ce qu'il n'entend point. Voyez, dans le plaidoyer de la cause de Quintus Callus, quel est le sentiment de Cicéron touchant le peuple et les orateurs ignorants; et, pour vous dire ce que j'ai vu moi-même depuis peu, un certain poète qui avait fait parler dans un dialogue Euripide et Ménandre, Socrate et Epicure, quoiqu'il y ait plus de cent ans de distance d'Euripide à Ménandre et de Socrate à Epicure, fut néanmoins applaudi par toute l'assemblée, car il y avait sur le théâtre des artisans aussi ignorants que lui. N'affectez point dans vos habits une couleur plutôt qu'une autre, ni une extrême propreté plutôt qu'une négligence étudiée: l'une approche du luxe et l'autre de la vanité. Il n'est point louable de ne se servir point de linge, mais on mérite beaucoup en ne gardant point (291) dans un coffre de quoi en avoir. En effet, il serait honteux et même ridicule de se faire gloire de n'avoir point de mouchoir et d'avoir une bourse pleine d'argent. Il y en a qui assistent un peu les pauvres afin de se faire rendre au double ce qu'ils donnent, et de devenir riches sous prétexte qu'ils font quelques aumônes: cela s'appelle plutôt une tromperie qu'une charité. C'est ainsi que les chasseurs prennent les oiseaux et les pêcheurs les poissons. L'évêque doit donc connaître celui qu'il charge du soin des pauvres et de l'administration de leur revenu. Pour moi, j'aimerais mieux n'avoir point de quoi donner que demander effrontément ce que j'ai envie de garder. fout le monde n'est pas capable de tout à la lois : celui-ci dans l'Eglise fait la fonction de l'oeil, celui-là de la langue, cet autre de la main; et vous pouvez voir dans l'épître que saint Paul a écrite aux Corinthiens de quelle manière toutes ces parties différentes ne composent qu'un corps. Un chrétien qui sera ignorant ne doit pas s'estimer saint parce qu'il ne sait rien, ni un autre qui sera habile faire consister la sainteté dans l'éloquence; seulement je préfèrerais une ignorance innocente à une éloquence criminelle. Plusieurs bâtissent de marbre des églises dont les lambris sont dorés et les autels enrichis de diamants, sans se mettre en peine de choisir les prêtres qui y doivent servir. Qu'on ne m'objecte pas ce temple fameux de Judée dont la table, les lanternes, les encensoirs et les vases étaient d'or : ces richesses plaisaient à Dieu dans un temps où l'on immolait des victimes, et où le sang des bêtes était le prix de la rédemption des péchés ; et d'ailleurs ces choses étaient des figures, et elles ont été écrites pour nous qui sommes à la fin des temps ; mais, aujourd'hui que le Sauveur a sanctifié la pauvreté de sa maison par la pauvreté de sa vie, ayons toujours les yeux sur la croix, et regardons les richesses comme de la boue. Pourquoi rechercher ce que Jésus-Christ appelle trésor d'iniquité, et aimer ce que saint Pierre fait gloire de ne point posséder? D'ailleurs, si nous jugeons de l'arbre par l'écorce et que, prenant seulement le sens littéral de l'histoire, nous nous arrêtions aux richesses, pourquoi ne point s'arrêter aussi aux autres cérémonies? alors, qu'un évêque épouse une vierge; qu'on rejette du sacerdoce un homme de bon sens qu'une cicatrice rendra difforme; que l'on ait moins d'égards aux vertus de l'âme qu'à la beauté du corps; et ayons une nombreuse famille pour peupler la terre; cessons d'immoler l'agneau ou de célébrer la Pâque parce que la loi défend de la faire hors du temple de Jérusalem ; en un mot faisons publier au son des trompettes le jeûne universel du septième mois et la fête des Tabernacles. Cependant si nous donnons à ces choses le sens qui leur est dû et que nous disions comme David : « Seigneur, ouvrez-moi les yeux afin que je contemple les merveilles de votre loi, » nous en jugerons comme le Seigneur en a lui-même jugé. Rejetons donc l'or des Juifs comme leurs autres cérémonies, ou, si nous le recevons, soyons de leur parti; car nous ne pouvons approuver leurs richesses et les condamner. Evitez de donner à manger aux séculiers, et particulièrement aux fonctionnaires : il serait honteux qu'un gouverneur de province fût traité plus somptueusement chez vous que chez lui, et que l'on vit les gardes et les officiers d'un consul à la porte d'un serviteur de Jésus crucifié. Vous direz peut-être que vous faites cette dépense afin d'acquérir du crédit et de solliciter pour les opprimés; mais un juge écoutera plutôt un prêtre qui chérira la pauvreté que celui qui vivra dans l'opulence; il aura plus de respect pour votre sainteté que d'estime pour vos richesses, ou, s'il est d'humeur à n'entendre un ecclésiastique qu'à table et dans la bonne chère, ne vous adressez point à lui : priez Jésus-Christ en sa place, vous en serez plutôt secouru. Il vaut mieux se confier au Sauveur que mettre son espérance en l'homme, et il vaut mieux attendre du secours de Dieu qu'en espérer des grands de la terre.

Votre haleine ne sentira jamais le vin, de peur qu'on ne vous dise comme à ce philosophe : « Ce n'est pas là baiser, mais donner à boire.» Saint Paul condamne les prêtres qui aiment le vin, et l'ancienne loi les rejetait. « Que ceux qui servent à l'autel,» dit-elle,« ne boivent point de vin ni d'autres liqueurs qui puissent enivrer. » Le texte hébreu se sert de sicera, qui signifie liqueur qui enivre, soit qu'elle soit faite de blé, de pommes, de miel ou de dattes; car ce qui peut altérer ta raison est autant à appréhender que le vin. Ce n'est pas que je défende absolument l'usage de ce que Dieu a créé : Jésus-Christ (292) a bu du vin, et on permet à Timothée d'en boire lorsqu'il est malade; mais je voudrais qu'on en usât avec modération et que l'on considérât son âge, sa santé, son tempérament. En effet, si mon sang est échauffé et si je me porte bien sans boire de vin, pourquoi m'empoisonner de ce breuvage? Que vos abstinences soient proportionnées à vos forces, qu'elles soient simples, modérées et sans superstition : pourquoi ne manger point d'huile et chercher avec beaucoup de difficulté d'autres ragoûts? pourquoi mettre les jardins à la gêne pour ne point manger du pain ordinaire? On dit même qu'il y en a quelques-uns qui ne boivent point d'eau, qui ne mangent point de pain, et qui se servent de breuvages délicieux et artificiels qu'ils prennent, non pas dans une tasse ou dans un verre ordinaire, mais dans une coquille : ne sont-ils point honteux de ces sottises et de ces superstitions, et veulent-ils encore passer pour des gens sobres au milieu de ces délices ? Le véritable jeûne consiste dans le pain et dans l'eau ; mais, parce qu'il n'y a point, de gloire à acquérir dans une manière de jeûner pratique, on la rejette. Ne cherchez point à faire parler de vous avantageusement. «Si je plaisais encore aux hommes,» dit saint Paul, «je ne serais pas serviteur de Jésus-Christ. » Vous voyez que ce grand apôtre cessa de plaire aux hommes pour être serviteur de Jésus-Christ. Le soldat qui marche sous ses étendards parmi la bonne et la mauvaise réputation combat à droite et à gauche sans souci des louanges et des richesses, du mépris et de la pauvreté, des bonnes et des mauvaises nouvelles; le soleil ne le brûle point pendant le jour et il n'est point incommodé de la lune pendant la nuit.

Je vous défends aussi de prier Dieu au coin des rues, de peur que le peuple en vous applaudissant n’empêche vos prières d'aller droit au ciel. Je ne veux point non plus que, par une affectation de pharisien, vous fassiez voir vos habits : il vaut mieux avoir du zèle dans le coeur qu'en porter les marques au dehors, et Dieu en doit plutôt être le témoin que les hommes. Cela dépend de la pratique de ce qui est commandé dans l'Évangile et dans l'ancienne loi; où il est dit : « qu'il vaut mieux avoir toutes ces choses dans le coeur que sur le corps. » Au reste, en lisant cette loi vous découvrirez aisément ce que je passe sous silence, et ce silence vous apprendra assez ce que je veux que vous sachiez. Faites-vous à vous-même autant de lois qu'il y a d'occasions où vous pouvez être attaqué de la vaine gloire. Voulez-vous savoir ce que Dieu vous demande? ayez de la prudence, de la justice, de la tempérance, de la force : c'est par là que vous arriverez au ciel. Il n'est rien de plus précieux que ce collier ni rien de plus beau que ces perles: outre qu'elles vous pareront de toutes parts, elles se changeront en un bouclier qui vous mettra à couvert. Contenez aussi vos oreilles et votre langue, c'est-à-dire ne médisez point des autres et n'écoutez point les autres médire. « Vous avez parlé étant assis contre votre frère, et vous avez déshonoré le fils de votre mère, » dit David ; « vous avez fait toutes ces choses, et je nie suis tenu dans le silence; vous avez cru que je vous ressemblerais, mais je vous accuserai et vous ferai paraître devant vos yeux tel que vous êtes. » Ne soyez donc point médisant; prenez garde à ce que vous direz. et sachez que votre conscience vous accuse de ce que vous reprenez dans les autres, et que l'on vous trouvera coupable des crimes que vous leur imputez. Ne prétendez point vous excuser en disant que vous ne parlez qu'après un autre, car rarement on raconte ce qu'on n'a pas été bien aise de savoir; on ne lance point une flèche contre une pierre, ou elle rejaillit contre celui qui l'a lancée. Qu'un médisant apprenne à se taire en voyant que vous ne l'écoutez pas volontiers. « Ne vous mettez point parmi les médisants,» dit Salomon, « car leur perte arrivent tout d'un coup. » Et qui sait si les uns et autres n'y seront point enveloppés, c'est-à-dire, ceux qui médisent et ceux qui les écoutent? Enfin, comme votre ministère vous oblige à visiter les malades, à savoir où demeurent les femmes vertueuses, à connaître leurs enfants et à garder fidèlement les secrets qui vous seront confiés par des personnes honorables, il est de votre devoir non-seulement de veiller sur vos regards, mais encore sur vos paroles. Ne parlez donc jamais de la beauté d'une femme, et que par votre moyen on ne sache point en une maison ce qui se fait dans une autre. Hippocrate, avant que de recevoir ses disciples, les engageait par un serment à garder le silence, et leur prescrivait une manière de marcher, de s'habiller et de vivre.

 

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