DEUXIÈME MOTIF

Les bontés incomparables de ces esprits d'amour

 

 

Rien ne blesse tant un bon cœur que de se voir aimé, dit le saint évêque de Genève en son livre De l’amour divin. Mais lorsque l'on est aimé par une personne très considérable, cela relève beaucoup les motifs de l'amour. Si cela est, ou il faut aimer les anges, ou il faut renoncer à l'amour. Nous venons de dire que leur puissance, leurs lumières, leurs beautés sont incomparables ; ajoutez à cela qu'ils sont de grands princes, et des rois même, qui règnent dans un empire qui n'a point de fin, avec le souverain Roi de l'éternité ; considérez encore que ces aimables princes du beau paradis ne nous aiment pas seulement, mais qu'ils nous aiment de toutes sortes d'amours, et jusqu'à un tel point, qu'il semble qu'ils aient résolu d'emporter le prix de l'amour.

 

En vérité, vous diriez qu'ils sont les amants passionnés des hommes. Ils nous aiment donc, ces grands de l'empyrée, d'un amour de père ; étant toujours en souci de notre avancement, dans la recherche de nos intérêts, dans le désir de nous procurer du bien ; ne cessant de nous en faire, regardant tout ce qui nous touche comme leurs propres intérêts ; prenant des soins inénarrables pour nous rendre considérables dans les grands honneurs de la glorieuse éternité, et n'oubliant rien pour nous assurer l'héritage de la gloire, qui nous a été acquis par les miséricordes de l'adorable Jésus. Ils nous aiment d'un amour de mère ; car il est écrit qu'ils nous porteront en leurs mains. Comme une bonne mère qui tient son enfant en son sein, ils nous portent entre leurs bras ; ils ont soin de nos corps, de nos âmes ; ils ont toujours les yeux collés sur nous, et nous caressent avec toutes les tendresses qu'un saint amour peut inspirer. Ils nous aiment d'un amour de frère, car ils nous considèrent comme leurs cadets ; mais ce qui est bien merveilleux et bien rare, et plus digne du ciel que de la terre, non-seulement ils ne sont pas fâchés de nous voir égaux en gloire, mais nos gardiens sont ravis, et font ce qu'ils peuvent pour nous voir plus glorieux dans le paradis qu'ils ne le sont eux-mêmes.

Ils nous aiment de l'amour d'un amant passionné, pensant sans cesse à nous, étant toujours dans la recherche de notre amitié ; ne nous quittant de vue ni les jours ni les nuits ; quittant même le beau séjour du ciel, pour demeurer continuellement avec nous sur la terre, et nous voulant et procurant plus de bien qu'à eux-mêmes. Ils nous aiment de l'amour d'un vigilant pasteur ; car n'est-ce pas de ces bienheureux esprits que l'on peut dire que ceux qui gardent Israël ne dorment et ne sommeillent jamais ?

Ils nous aiment de l'amour d'un charitable médecin, puisqu'ils pansent nos plaies, guérissent nos maladies, et nous donnent la santé avec une douceur nonpareille. Ils nous aiment de l'amour d'un avocat et d'un procureur, s'appliquant à toutes nos affaires et du ciel et de la terre, et particulièrement à la grande affaire de l'éternité, avec des bontés inexplicables. Ils nous aiment de l'amour d'un fidèle guide, nous conduisant avec des amours prodigieux dans les fâcheuses routes de cette vie, nous délivrant des précipices qui nous environnent de tous côtés. Ils nous aiment de l'amour d'un bon maître, nous tenant sous leur protection, et nous faisant obtenir des récompenses excessives pour le peu de services que nous leur rendons. Ils nous aiment de l'amour d'un savant et soigneux docteur, nous apprenant la science des saints et la haute doctrine de Jésus-Christ. Ils nous aiment de l'amour d'un bon roi, nous défendant de nos ennemis, nous faisant vivre dans la paix et nous tenant dans toute la sûreté possible ; et, pour le dire en un mot, ils nous aiment autant qu'ils peuvent nous aimer.

 

Ô mon Dieu ! Que voilà donc nos cœurs pressés de se voir aimés de tous ces amours par des créatures si nobles, si belles, si puissantes, si parfaites, par ces grands rois du paradis. Mais quand ont-ils commencé à nous aimer ? Au même temps que nous avons commencé d'être. Combien leur amitié a-t-elle duré ? Toujours, sans en excepter un seul instant de notre vie. Durera-t-elle encore longtemps ? Jusqu'au dernier soupir de la vie ; et si nous voulons, après la mort à jamais, à jamais, autant que Dieu sera Dieu, pour toute la longue et interminable éternité. Nous aiment-ils en toutes choses ? En toutes choses généralement qui regardent notre véritable bien. N'y a-t-il point quelque exception ? Il n'y en a point du tout. Que font-ils pour cela ? Ils font tout ce qu'ils peuvent faire ; il n'y a point d'emplois vils et abjects qu'ils ne prennent quand il s'agit de nous servir. En quels lieux procurent-ils notre bien ? En toutes sortes de lieux, de pays et de terres, partout où nous allons, dans le ciel même et sous la terre, au milieu des feux et des flammes du purgatoire. Ne se rebutent-ils point de nos ingratitudes ? Ils demeurent immuablement dans notre service sans s'en rebuter, sans s'en lasser jamais, quelques sujets que nous puissions leur donner du contraire.

 

Il est donc vrai que les saints anges sont nos plus anciens amis, que leur amour est le plus constant, le plus fidèle qui se puisse voir, le plus doux, le plus patient, le plus universel. Tout y est grand, tout y est charmant, tout y est admirable ; disons encore tout y est désintéressé. Car que reçoivent-ils des hommes ? Des ingratitudes inconcevables, des mépris offensants, des injures intolérables. Les infidèles ne les connaissent pas ; les hérétiques les connaissent, sans leur rendre les respects qui leur sont dus ; la plupart des gens de la campagne les ignorent, aussi bien que les infidèles. Souvent ceux qui en sont les mieux instruits, sont plus méconnaissants. Ceux qui passent pour les aimer, pensent quelquefois à eux, les honorent en de certaines rencontres ; et voilà où l'amour des hommes va, pour des esprits qui pensent sans cesse à eux, et qui sont toujours auprès d'eux. Ces vérités méditées sérieusement de temps en temps, jetteront l'âme dans un étonnement d'où elle aura de la peine à revenir, et pour l'excès de l'amour des anges envers les hommes, et pour l'excès des ingratitudes, des froideurs des hommes envers les anges. Enfin, disons encore : Mais d'où vient, célestes esprits, que vous aimez ces hommes, et pourquoi voulez-vous qu'ils vous aiment ? C'est ici qu'il faut que tout esprit s'arrête : le comprenne qui pourra ; mais j'avoue que l'amour des anges est incompréhensible. Ici il me prendrait envie d'aller criant par toute sa terre, à l'ingratitude, à l'insensibilité du cœur humain. Non, il faut le dire, c'est en ce sujet que l'ingratitude paraît dans toute la noirceur, et la dureté du cœur de l'homme dans son dernier excès. Ô hommes, ô hommes, revenez donc de ce malheureux état ; rendez-vous une bonne fois sensibles à tous ces attraits de l'amour. Aimez les anges, aimez le Dieu des anges ; car c'est en lui seul que tout ce qui est aimable doit être aimé.