CHAPITRE XXXVIII

 

La Mortification

 

 

1. II y a véritable mortification de la chair à châtier volontairement son corps par des jeûnes et des veilles, par la prière, par des cilices et des disciplines, par l'abstinence de nourriture et de boissons agréables ; et cela, afin que la chair soit, en tout, soumise à esprit.

 

2. Saint Paul le faisait : « Je traite durement mon corps et je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même, réprouvé » (Ire lettre aux Cor., ch. 9, v. 27). Et la veuve Judith, jeune, belle et riche, après avoir vécu avec son mari pendant trois ans et six mois (1), portait un cilice sur les reins, et elle jeûnait tous les jours, excepté les jours de fête.

 

3. Ce qui doit nous conduire à aimer la macération, c'est la grande utilité qu'on en retire. En effet grâce à la macération de la chair, l'esprit se fortifie dans les œuvres spirituelles. « Lorsque je suis faible (selon la chair), disait saint Paul, c'est alors que je suis fort » (selon l'esprit) (IIe lettre aux Cor., ch. 12, v. 10). À l'opposé, la sensualité émousse la vigueur de l'âme et la consume » (2).

 

4. Une preuve de véritable mortification, c'est de n'accorder à son corps aucun plaisir, mais seulement ce qui lui est nécessaire. « Nous ne sommes pas redevables à la chair », nous dit saint Paul (Rom., ch. 8, v. 12). Le plaisir exige beaucoup plus de délices que n'en requiert la nécessité : celle-ci se contente de peu. Et l'apôtre indique immédiatement les maux, conséquence de la volupté : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si, par l'esprit, vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez » (v. 13), « Et les œuvres de la chair sont manifestes, à savoir : l'impudicité, l'impureté, le libertinage, l'idolâtrie, les maléfices, les inimitiés, les contentions, les jalousies, les emportements, les disputes, les dissensions, les sectes, l'envie, l'homicide, les excès de table et autres choses semblables. Je vous préviens, comme je l'ai déjà fait, que ceux qui commettent de telles choses n'hériteront pas du royaume de Dieu » (Galates, ch. 5, v. 19-21).

Une autre preuve de mortification, c'est de « haïr sa vie en ce monde », d'après le conseil du Christ (Jean, ch. 12, v. 25). Le Seigneur lui-même ne dit-il pas : « Si quelqu'un vient à moi et ne hait son père et sa mère, sa femme et ses enfants, ses frères et ses sœurs, jusqu'à son âme elle-même, il ne peut être mon disciple » (Luc, ch. 14, v. 26) ; ce que saint Grégoire expose ainsi : « C'est alors que nous haïssons notre âme de la bonne manière, lors nous n'acquiesçons pas à ses désirs charnels, lorsque nous brisons ses instincts et que nous résistons à ses voluptés. La chair ainsi méprisée s'améliore comme si nous l'aimions par cette haine même » (3). Celui qui ne met pas un frein aux concupiscences de sa chair se précipite dans les filets du diable ; il est écrit : « Si tu accordes à ton âme la satisfaction de ses convoitises, elle fera de toi la risée de tes ennemis » (Eccli., ch. 18, v. 30). C'est ainsi que Dalila avait livré aux Philistins, pour être leur jouet, Samson dans toute sa force (Juges, ch. 14, v. 18).

 

5. Il n'a pas la marque de la véritable mortification celui qui s'abstient uniquement des plaisirs de la table sans refuser à sa langue les paroles mauvaises, à ses sens les délectations, et à son cœur les pensées et les affections coupables. Inutile de se restreindre dans la nourriture, si les cinq sens et le cœur se repaissent de délices. Saint Jean Chrysostome (4) dit à ce propos : « S'abstenir de manger tout en faisant le mal, c'est imiter les démons : ils ne prennent pas de nourriture, mais ils ont toujours avec eux leur méchanceté. »

 

 

(1) Cette période de trois ans et demi ne désigne pas, d'après le livre même de Judith, le temps pendant lequel Judith demeura avec son mari, mais le temps qu'avait duré son veuvage lorsque Holopherne assiégeait Béthulie. Voici le texte sacré : « Il y avait déjà trois ans et six mois que Judith était restée veuve... ; les reins couverts d'un cilice, elle jeûnait tous les jours à l'exception des jours de fête » (Judith, ch. 8, v. 4, 6, 7).

(2) L'auteur a déjà cité cette parole, qui n'est pas de saint Augustin ; voir p. 187. - P. L. t. 40, col. 1076.

(3) 37e homélie sur les Évangiles, P. L. t. 76, col. 1276.

(4) On trouve ce texte dans les Homélies de saint Éloi, hom. IIe P. L. t. 87, col. 633. – Au jugement de M. Vacandard, ces homélies sont apocryphes (Dict. de Th. Cath., fasc. 33, col. 2345), et d'un auteur du IXe siècle, qui a emprunté, sans le dire, les paroles de saint Isidore (2e livre des Sentences, ch. 44. P. L. t. 83, col. 652).