CHAPITRE XXXVII

 

Le Mépris du monde

 

 

1. Le véritable mépris du monde consiste à renoncer aux biens et au faste du siècle, aux dignités et prélatures spirituelles, à se détacher aussi de toute amitié et des mœurs mondaines, à cause de l'espérance de l'éternelle béatitude. Saint Jean nous y exhorte par ces paroles : « N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde » (IIe lettre, ch. 2, v. 15)

 

2. Saint Augustin avait ce mépris : il ne prenait aucune joie à tout ce qui se faisait dans le monde ; et tandis qu'il parlait à sa mère avec grande douceur, le monde lui déplaisait et s'avilissait avec tous ses plaisirs (1). Sainte Agnès aussi, sainte Catherine, sainte Cécile et d'autres vierges ont méprisé les royaumes de ce monde et tout l'éclat du siècle à cause de l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

 

3. Le monde, à la fin, est tellement infidèle à ceux qui l'aiment que cela doit nous exciter à le mépriser et à le haïr lui-même ! Les hommes du monde ont-ils été fidèles à leur Créateur ? Au jour des Rameaux, c'est glorieusement qu'ils le reçoivent ; ils sortent au-devant de lui, et chantent : « Hosanna au fils de David, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » (Matt., ch. 21, v. 9). Peu de temps après, le vendredi, ils paraissent devant Pilate en criant : Qu'il soit crucifié, qu'il soit crucifié ! « si ce n’était pas un malfaiteur, nous ne vous l'aurions pas livré » (Jean, ch. 18, v. 30). Et tandis qu'il était attaché à la croix, ils se moquent de lui : « Sauve-toi toi-même ; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix » (Matt., ch. 27, v. 40). Ils l'avaient reçu avec des palmes, des fleurs et du feuillage, puis ils l’ont couronné d'épines verdoyantes, et frappé avec des verges. Ils avaient étendu leurs vêtements sur sa route, ils le dépouillèrent de ses vêtements devant la croix ; les honneurs qu'ils lui avaient rendus, ils les changèrent en outrages.

Les dangers qui proviennent de l'amour du monde doivent aussi nous pousser à haïr le monde et à le mépriser. « Ne savez-vous pas, au témoignage de saint Jacques, que l'amitié du monde c'est l'inimitié contre Dieu ? Quiconque veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu » (ch. 4, v. 4). De plus, le monde a haï le Seigneur Jésus et tous ses amis. Lui-même l'avait annoncé aux apôtres pour leur consolation : « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous » (Jean, ch. 15, v. 17).

 

4. Il prouve qu'il méprise vraiment le monde, celui qui ne prête pas attention à la noblesse de la naissance, qui ne cherche pas les plaisirs, et qui ne souhaite ni les richesses ni les honneurs. Tel fut Moïse, dont il est dit dans l'épître aux Hébreux, ch. 11, v. 24-26 : « C'est par la foi que Moïse, devenu grand, renonça au titre de fils de la fille de Pharaon (voilà le mépris de la noblesse), aimant mieux d'être maltraité avec le peuple de Dieu que de jouir des délices passagères du péché (c'est contre le plaisir), il considéra l'opprobre du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l'Égypte (mépris des richesses), car il avait les yeux fixés sur la récompense. »

Une autre preuve que l'on méprise le monde, c'est de n’être point charmé par ses flatteries ni effrayé par ses menaces, ni ému par les louanges des hommes ou leurs reproches. Saint Paul pratiquait ce mépris du monde quand il s'écriait : « J'ai voulu tout perdre et j'ai considéré toutes choses comme de l'ordure, afin de gagner le Christ » (lettre aux Philipp., ch. 3 ; v. 8).

 

5. Une preuve que l'on ne méprise pas vraiment le monde, c'est de ne commencer à s'abstenir de son amour et de ses séductions que lorsqu'on ne peut plus s'y adonner, à cause de la vieillesse ou de la pauvreté ; dans ce cas, on n'abandonne pas le monde, mais c'est par lui qu'on est abandonné. Combien, hélas ! qui ne cessent de pécher alors seulement qu'ils ne peuvent plus le faire !

 

 

(1) Confessions, livre 9, ch. 10. P. L. t. 32, col. 774-775.