CHAPITRE XXV

 

La Reconnaissance

 

 

1. La véritable et parfaite reconnaissance consiste à exalter l'excellence des dons de Dieu dans l'âme, avec tout le respect intérieur qui lui est dû et en se méprisant soi-même. C'est de cette manière que David vantait le don des commandements de Dieu : « Vos commandements, je les aime plus que l'or, plus que les pierres précieuses » (Ps. 118, v. 127). Et Salomon faisait l'éloge du don de la Sagesse : « Elle vaut mieux que tout ce qu'il y a de plus précieux, et rien de ce que l'on peut souhaiter ne lui est comparable » (Prov., ch., 8, v. 11).

 

2. Il a la reconnaissance véritable, celui qui se sent indigne de tous les dons de Dieu ; et plus on se croit indigne des bienfaits de Dieu, plus on ressent cette indignité, plus aussi se développe la gratitude de l'âme. « Pour tout ce que vous nous avez donné, ô Christ, vous ne nous demandez qu'une chose : notre salut ; ce salut lui-même, c'est vous qui nous l'accordez, et vous remerciez ceux qui le reçoivent » (S. Jean Chrysostome) (1).

Ce qui doit nous conduire à la véritable gratitude, c'est la considération attentive de Celui qui donne : il est tout-puissant, très noble et très aimant, le plus fidèle aussi, il est excessivement bon, en tout heureux et parfait. C'est, de même, la grandeur des dons. Aucun don venant de Dieu, qu'il soit fait au corps ou à l'âme, aucun don n'est si petit qu'il ne renferme, pour ainsi dire, ce Dieu, infini avec la toute-puissance divine. On doit apprécier aussi les sentiments de celui qui donne : Dieu ne se donne pas à demi, ou de mauvaise grâce, pour être débarrassé de nous ; mais il se donne, parce qu'il le désire ardemment, de toute sa bonté et de tout son amour. L'utilité des dons, voilà ce qu'il faut encore évaluer. Chacun de ses dons, Dieu nous les accorde pour que nous le connaissions, pour que nous l'aimions et que nous jouissions de lui, et pour qu'il nous rende heureux. Examinons aussi ce qui le pousse à nous faire ses dons : ce n'est pas la crainte d'un mal ni l'espérance d'un bien ; ce n'est pas quelque vertu qui soit nôtre, c'est sa bonté immense et éternelle. Il faut également penser à notre indignité : nous ne sommes pas même dignes de vivre, nous n'avons pas mérité d'être des vers parmi les autres créatures ; et à l'utilité de la reconnaissance : c'est la gratitude, en effet, qui ouvre les sources de la miséricorde et pousse Dieu à se répandre ; « l’ingratitude, au contraire, dessèche les sources de la divine bonté, la rosée de la miséricorde et les flots de la grâce (2) ». Vraiment oui, une âme devient d'autant plus capable de recevoir la grâce que sa reconnaissance est plus grande ; et Dieu aussi, qui est souverainement prodigue, se sent poussé davantage à donner libéralement.

 

4. Recevoir, avec respect, chacun de ces grands bienfaits de Dieu, l'en remercier de tout cœur, et s'efforcer de garder intactes les grâces provenant de son immense amour, voilà la preuve d'une véritable gratitude. Comment prétendre, en effet, que le don d'un ami vous est agréable, si vous le recevez avec indifférence et si, volontairement et tout de suite, vous le laissez se gâter et se perdre ?

Nous avons besoin d'être reconnaissants, non seulement de ce qui nous console, mais encore de ce qui nous afflige, car l'un et l'autre, Dieu nous le donne du même amour et par égale bonté. Voilà pourquoi Tobie s'écriait : « Je vous bénis, Seigneur, Dieu d'Israël, parce que c'est vous qui m'avez châtié et c'est vous qui m'avez guéri » (ch. 11, v. 17). En effet, il y a égalité de grâce et de gloire, quand Dieu nous donne des consolations, ou lorsqu'il permet que des tribulations nous arrivent. Il y a même plus de grâce dans le second cas, et plus d'utilité ; ainsi en fut-il pour Job. « Nous recevons de Dieu le bien, confessait-il, pourquoi n'en recevrions-nous pas le mal aussi ? » (ch. 2, v. 10). C'est comme s'il disait : Nous devons accepter l'un et l'autre avec reconnaissance.

 

5. C'est une preuve d'ingratitude que de fermer son cœur par mauvais vouloir, par colère, par légèreté, par les plaisirs, ou par amitié sensuelle : toutes choses qui empêchent de recevoir les dons spirituels ; ou encore de ne pas se soucier de conserver les grâces reçues ni d'accroître les grâces données ; de ne pas s'appliquer à s'en servir, selon la volonté de Dieu, pour l'utilité commune ; ou enfin (et cela arrive fréquemment, hélas !), de ne pas cesser d'attaquer ce Dieu avec les bienfaits qu'on en a reçus, et dans son corps et dans son , âme, et dans les puissances de cette âme. Alors vraiment on mérite de tout perdre, puisque l'on use de ces dons contre celui qui les accorde libéralement.

 

 

(1) Le P. Berthier (p. 147) donne la référence suivante : Homélie sur le psaume 113. Saint Jean Chrysostome, à cet endroit (P. G. t. 55, col. 309), dit simplement ; que Dieu est plus soucieux du salut des hommes, que de sa propre gloire (Voir Préface, p. 4).

(2) S. Bernard, Sermon 51 sur les Cantiques. P. L. t. 183, col. 1027.