CHAPITRE XV

 

La Concorde

 

 

1 et 2. La véritable concorde avec Dieu consiste à s'unir à la volonté divine dans le bonheur comme dans l'adversité, et à se conformer, autant que possible, aux mœurs divines et aux exemples du Christ Jésus. « Que l'homme imite son Créateur, dit saint Jean Chrysostome, et qu'il fasse, lui aussi, œuvre divine, à la mesure de ses forces, rien de plus convenable (1). » Cette union des volontés, Notre-Seigneur la demandait pour nous, à sa dernière heure : « Père, comme vous êtes en moi, et moi en vous, qu'ils soient en nous, eux aussi » (Jean, ch. 17, v, 21).

La véritable concorde avec le prochain consiste à avoir, en toutes choses, les mêmes goûts que les autres, et les mêmes sentiments, en ce qui regarde Dieu. Il en était ainsi dans l'Église primitive : « La multitude des fidèles n'avait qu'un cœur et qu'une âme » (Actes, ch. 4, v. 32) pour le service de Dieu. C'est encore, – pour que nous en gagnions beaucoup –, nous conformer aux autres, dans la nourriture et la boisson, dans le sommeil, dans la manière de faire et dans les œuvres qui ne sont pas contraires à notre profession, ni à la loi de Dieu ou à la perfection. L'apôtre saint Paul dit de lui-même : « Je me suis rendu faible avec les faibles, pour gagner les faibles ; je me suis fait tout à tous, afin de les sauver tous » (Ire aux Cor., ch. 9, v. 22).

 

3. Ceci doit nous faire aimer la concorde : elle est une grande louange à Dieu, et elle lui plaît beaucoup. Il l'a dit lui-même par Salomon : « Trois choses me plaisent, et elles sont agréables au Seigneur et aux hommes : la concorde entre frères, l'amitié entre les proches, et la bonne entente du mari et de la femme » (Eccli., ch. 25, v. 1). Alors, hommes faibles et misérables, nous gardons ici-bas ce que les anges n'ont point voulu conserver au ciel !

Le souci qu'avait le Christ Jésus de mettre de la concorde entre Dieu et les hommes doit aussi nous la faire aimer ; de même, il établissait la concorde entre ses disciples, lorsqu'ils avaient discuté entre eux qui était le plus grand (Marc, ch. 9, v. 33) et lorsqu'ils s'indignaient contre les deux frères Jacques et Jean, parce qu'ils voulaient s'asseoir, l'un à la droite du Christ, et l'autre à sa gauche (Matt., ch. 20, v. 24). En tout cela, Jésus les mettait d'accord.

 

4. Un signe de la concorde véritable avec Dieu, c'est le témoignage de la conscience qu'on n'est pas engagé dans des péchés graves. « Je ne me sens coupable de rien », disait saint Paul (Ire aux Cor., ch. 4, v. 4). Et Job : « Ma conscience ne me reproche rien en ma vie » (ch. 27, v. 6). Un autre signe, c'est le désir ardent de progresser pendant toute sa vie, en tous biens, d'après les dispositions de Dieu.

Vous avez la preuve d'une vraie concorde avec le prochain, si vous vous conduisez, à l'égard de tout le monde, tellement bien que personne ne se plaigne de vous ni ne puisse dire du mal à votre sujet. Ainsi les parents de Jean-Baptiste « étaient, tous les deux, justes devant Dieu, ils marchaient dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur (voilà pour la concorde avec Dieu), et (c'est la concorde avec le prochain) ils vivaient d'une manière irréprochable » (Luc, ch. 1, v. 6). De même l'Écriture rend à Judith le témoignage de cette double concorde : « Elle était en grande estime auprès de tous, parce qu'elle craignait beaucoup le Seigneur, et personne ne disait d'elle une parole de blâme » (Judith, ch. 8, v. 8).

 

5. L'homme qui n'examine pas attentivement sa conscience montre bien que l'accord entre Dieu et lui-même n'est pas véritable. À agir de la sorte, il croit, dans sa conscience erronée, qu'il plaît à Dieu, alors qu'il lui déplaît en réalité. Lorsque les dispositions de Dieu à l'égard des créatures, ou les mœurs divines, les exemples et les œuvres saintes du Christ Jésus déplaisent à l'homme, c'est une autre preuve de discorde entre l'homme et Dieu. Il est écrit : « Vous déplaisez à Dieu, lorsque Dieu ne vous plaît pas. »

La concorde avec votre prochain n'est pas réelle, si sa conduite et ses bonnes œuvres vous déplaisent intérieurement, alors que vous lui adressez parfois, des paroles de louange. Et c'est une preuve de discorde que vous préfériez toujours votre manière de voir ; que vous vous efforciez de ramener toujours les autres à votre sentiment, sans vous proposer jamais d'unir votre volonté à celle des autres.

 

 

(1) 38e homélie sur S. Matthieu. P.G. t 56, col. 842. Ces homélies, au nombre de 54, appelées : « Ouvrage incomplet », pour les distinguer de 91 homélies authentiques de S. Jean Chrysostome, sont d'un auteur arien du 5e ou du 6e siècle.