Prières chrétiennes en vers
 

Le péché me surmonte et ma peine est si grande,
Lorsque, malgré moi-même, il triomphe de moi,
Que, pour me retirer du gouffre où je me vois,
Je ne sais quel hommage il faut que je te rende.

Je voudrais bien t'offrir ce que ta loi commande,
Des prières, des voeux et des fruits de ma foi,
Mais voyant que mon coeur n'est pas digne de toi,
Je fais de mon Sauveur mon éternelle offrande.

Reçois ton fils, ô Père, et regarde la croix 
Où, prêt de satisfaire à tout ce que je dois, 
Il te fait de lui-même un sanglant sacrifice;

Et, puisqu'il a pour moi cet excès d'amitié, 
Que d'être incessamment l'objet de ta justice, 
Je serai, s'il te plaît, l'objet de ta pitié.

Jean Ogier de Gombaud 
(1588-1666), Sonnet spirituel.


Puisque l'humilité se plaît en votre grâce, 
Puisqu'en l'humilité votre grâce se plaît, 
Je vous offre, Seigneur, un coeur qui se repaît 
De l'objet bienheureux de votre sainte face.

Faites qu'en mon esprit l'orgueil n'ait point de place.
Que la simplicité dont mon coeur se revêt
Soit le plus beau trésor et le plus riche acquêt
Que je puisse laisser à l'espoir de ma race!

Hé! quel plus grand trésor, en ce mortel séjour, 
Que celui qui nous mène au ciel de votre amour; 
Puisque vous avez dit, de votre propre bouche,

Que vous aurez pitié d'un coeur plein de péché, 
Pourvu qu'étant contrit, au regret qui le touche, 
Il se fâche, ô Seigneur! de vous avoir fâché!

Robert Angot de L'Esperonnière 
(1581-1637), Sonnet spirituel.



 

Grand Dieu, tes jugements sont remplis d'équité,
Toujours tu prends plaisir à nous être propice:
Mais j'ai fait tant de mal que jamais ta bonté
Ne peut me pardonner qu'en choquant ta justice.

Oui, mon Dieu, la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice:
Ton intérêt s'oppose à ma félicité
Et ta clémence même attend que je périsse.

Contente ton désir puisqu'il t'est glorieux:
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux;
Tonne, frappe, il est temps; rends-moi guerre pour guerre.

J'adore en périssant la raison qui t'aigrit:
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?

Jacques Vallée, sieur Des Barreaux
(1599-1673), Sonnet.



 

Mon âme, de douleurs profondément atteinte,
Après avoir tenté tous les autres secours,
Voit enfin qu'à Dieu seul il faut avoir recours
Et que nulle autre voix ne répond à sa plainte.

Je te la fais, Seigneur, avec beaucoup de crainte,
Honteux que sans amour par force à toi j'accours,
Cependant de mes maux tu sais assez le cours
Comme si je t'avais invoqué sans contrainte.

Tu reçois, ô mon Dieu, d'une extrême bonté
Ce coeur que les tourments ont à peine dompté
Et cette âme abattue et non pas pénitente.

Que n'obtiendrai-je pas lorsque, à ta charité, 
J'adresserai, Seigneur, une prière ardente 
Qui parle plus d'amour que de nécessité!

Pierre Chanut.
(Sonnet qu'il fit étant malade.)



 

Parle, parle, Seigneur, ton serviteur écoute:
Je dis ton serviteur, car enfin je le suis;
Je le suis, je veux l'être, et marcher dans ta route
Et les jours et les nuits.

Remplis-moi d'un esprit qui me fasse comprendre 
Ce qu'ordonnent de moi tes saintes volontés, 
Et réduis mes désirs au seul désir d'entendre
Tes hautes vérités.

Mais désarme d'éclairs ta divine éloquence, 
Fais-la couler sans bruit au milieu de mon coeur, 
Qu'elle ait de la rosée et la vive abondance
Et l'aimable douceur.

Parle donc, ô mon Dieu! ton serviteur fidèle 
Pour écouter ta voix réunit tous ses sens, 
Et trouve les douceurs de la vie éternelle
En ses divins accents.

Parle, pour consoler mon âme inquiétée;
Parle, pour la conduire à quelque amendement;
Parle, afin que ta gloire ainsi plus exaltée 
Croisse éternellement.

Pierre Corneille,
L'Imitation. liv. III, ch. II.



 

Éternel, je me tais; en ta sainte présence
Je n'ose respirer, et mon âme en silence
Admire la hauteur de ton nom glorieux.
Que dirais-je? Abîmés de cette mer profonde
Pendant qu'à l'infini ta clarté nous inonde,
Pouvons-nous seulement ouvrir nos faibles yeux?

Si je veux commencer à chanter tes louanges
Et que, déjà mêlés parmi les pleurs des anges,
Je médite en moi-même un cantique charmant,
Dès que pour l'entonner, ma langue se dénoue,
Je cesse au premier son, et mon coeur désavoue
De ma tremblante voix l'indigne bégaiement.

Plus je pousse vers toi ma sublime pensée,
Plus de ta majesté je la sens surpassée,
Se confondre elle-même et tomber sans retour.
Je t'approche en tremblant, lumière inaccessible;
Et, sans voir dans son fond l'Être incompréhensible,
Par un vol étonné je m'agite à l'entour.

Cessez : qu'espérez-vous de vos incertitudes,
Vains pensers, vains efforts, inutiles études?
C'est assez qu'il ait dit : " Je suis Celui qui suis. "
Il est tout, il n'est rien de tout ce que je pense.
Avec ces mots profonds j'adore son essence,
Et, sans y raisonner, en croyant, je poursuis.

Dieu puissant trois fois saint, seul connu de toi-même,
A qui je dis sans fin, dans mon ardeur extrême
Je suis à toi, Seigneur, et mon coeur est rendu;
Répands dans mon esprit ton esprit ineffable
(Mais quoi! puis-je l'aimer autant qu'il est aimable?)
Et répands dans ta paix mon amour éperdu.

Descends, divin Esprit, pure et céleste flamme,
Puissant moteur des coeurs qu'en secret je réclame.
Et toi qui le produis dans l'éternel séjour,
Accorde ta présence à mon âme impuissante,
Fais-en, car tu le peux, une fidèle amante
Et pour te bien aimer donne-lui ton amour.

Bossuet, Le silence est votre louange.



 

Mon Dieu! quelle guerre cruelle!
Je trouve deux hommes en moi:
L'un veut que, plein d'amour pour toi,
Mon coeur te soit toujours fidèle;
L'autre, à tes volontés rebelle,
Me révolte contre ta loi.

L'un, tout esprit et tout céleste,
Veut qu'au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste;
Et l'autre, par son poids funeste,
Me tient vers la terre penché.

Hélas! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix?
Je veux, et n'accomplis jamais.
Je veux; mais, ô misère extrême!
Je ne fais pas le bien que j'aime,
Et je fais le mal que je hais.

Ô grâce, ô rayon salutaire!
Viens me mettre avec moi d'accord,
Et, domptant par un doux effort
Cet homme qui t'est si contraire,
Fais ton esclave volontaire
De cet esclave de la mort.

Jean Racine,
Plaintes d'un chrétien sur les contrariétés 
qu'il éprouve au-dedans de lui-même.



 

C'est du fond de mon coeur, grand Dieu, que je t'implore! 
Du fond d'un coeur frappé d'un salutaire effroi, 
Que le remords poursuit, que le regret dévore,
Et qui toujours espère en toi !

Exauce un moribond qui t'implore et t'appelle! 
Des humains n'es-tu pas le Père en les créant? 
Pour n'être qu'un objet de l'ire paternelle,
M'aurais-tu tiré du néant?

Remets-moi sous ton aile, et deviens mon refuge! 
J'ai suivi le torrent d'un siècle vicieux 
Eh! qui de nous, hélas! si tu n'es que son Juge,
Sera pardonnable à tes yeux?

Dieu pardonne, dit l'homme, il connaît ma faiblesse.
Puis-je tant en avoir, qu'il n'ait plus de bonté?
Sur ce principe, il s'ouvre et s'élargit sans cesse 
Les routes de l'iniquité.

Bientôt, devoirs, salut, tout sort de sa mémoire 
De ta Grâce il oublie et le prix et le don, 
Et la part qu'il avait à l'éternelle gloire,
Et la ressource du pardon.

De l'infernal abîme, il voit enfin la flamme, 
Et la voit quand il touche à son dernier moment.
Contrit, moins qu'effrayé, pour lors il te réclame,
Et te réclame vainement.

Comme il l'a commencée, achevant sa carrière 
Sans amours, sans espoir, il n'a que des remords; 
Ta clémence longtemps attendit sa prière,
Et ta justice est sourde alors.

Tel est le jour affreux dont la nuit est suivie :
Sur moi-même, tel est le retour accablant :
Ainsi sur le tableau de ma coupable vie,
J'arrête mes yeux en tremblant.

Déjà mon âme est-elle une âme réprouvée?
Perdrai-je, en la rendant, l'espérance et la foi?
Non, Seigneur, ta parole est trop avant gravée
Et trop vivifiante en moi.

Tu l'as dit : Qu'Israël en repos vive et meure! 
Mes bras lui sont ouverts en tout temps, en tout lieu :
Que de son premier jour jusqu'à sa dernière heure,
Il ait confiance en son Dieu.

S'il a prévariqué, qu'il se repente, m'aime, 
Me remontre un coeur pur, tel que je lui donnai :
Qu'à tous ses ennemis il pardonne lui-même;
Et tout lui sera pardonné.

Mourant dans cet esprit, dans cette confiance, 
Quand donc au Tribunal, je serai présenté,
Que ta Miséricorde, y tenant la balance,
Désarme ta sévérité!

Alexis Piron (1689-1773),
Des profondeurs, je crie vers Toi, Seigneur.



 

Pardonnez-moi, Seigneur, mon visage attristé,
Vous qui l'aviez formé de sourire et de charmes,
Mais sous le front joyeux vous aviez mis les larmes
Et de vos dons, Seigneur, ce don seul m'est resté.

C'est le moins envié, c'est le meilleur peut-être.
Je n'ai plus à mourir à mes liens de fleurs;
Ils vous sont tous rendus, çher auteur de mon être,
Et je n'ai plus à moi que le sel de mes pleurs.

Les fleurs sont pour l'enfant; le sel est pour la femme :
Faites-en l'innocence et trempez-y mes jours,
Seigneur! quand tout ce sel aura lavé mon âme,
Vous me rendrez un coeur pour vous aimer toujours!

Tous mes étonnements sont finis sur la terre,
Tous mes adieux sont faits, l'âme est prête à jaillir
Pour atteindre à ses fruits protégés de mystère
Que la pudique mort a seule osé cueillir.

Ô Sauveur! soyez tendre au moins à d'autres mères,
Par amour pour la vôtre et par pitié pour nous!
Baptisez leurs enfants de nos larmes amères,
Et relevez les miens tombés à vos genoux!

Marceline Desbordes-Valmore 
(1786-1859), Renoncement.



 

Vous m'avez présenté la coupe d'amertume,
Et mes lèvres, Seigneur, ont bu sans murmurer.
Je viens à vos parvis, gémir et soupirer;
Mon Dieu! délivrez-moi du mal qui me consume!

Le lit où je repose est baigné de mes pleurs;
Comme l'herbe des champs, ma jeunesse est fanée;
Et si j'ai vu passer une belle journée,
C'était une eau rapide entraînant quelques fleurs.

Sur cette mer du monde où le nocher s'égare
Crédule, j'ai vogué sur la loi de l'orgueil;
Et quand les vents poussaient mon navire à l'écueil,
Nulle main sur le bord n'a fait briller le phare.

Me voilà séparé de tout ce qui m'est cher;
Que votre volonté, mon Dieu, soit accomplie!
Ma bouche se résigne, et du calice amer
Je saurai, s'il le faut, boire jusqu'à la lie.

Oui, votre enfant, Seigneur, a besoin de prier, 
Et du fond de l'abîme, il vient se faire entendre.
Au pied de vos autels j'ai des pleurs à répandre, 
Et je veux désormais vivre pour expier!

Mon coeur par ses désirs ne tient plus à la terre,
Des fragiles mortels que m'importe l'appui?
Je viens vous demander, dans mon profond ennui,
Le pain qui fortifie et l'eau qui désaltère.

Donnez-moi chaque jour ce pain d'un pur froment,
Et faites-moi puiser aux sources que j'implore,
Comme pour étancher la soif qui le dévore,
Le passant dans sa main puise l'eau du torrent.

Aimé de Loy,
La résignation.



 

Mon père, ayez pitié : ­ la vague s'enfle et gronde,
La vague est toute prête à déborder sur eux,
Et leurs tremblantes mains n'osent jeter la sonde,
Tant le flot se hérisse et tant le gouffre est creux.

Et comme un vil feuillage à travers la tourmente,
Ils flottent sans espoir d'un meilleur horizon :
Ils n'ont plus, pour percer la brume environnante,
Que ce frêle regard qu'ils appellent raison.

Mon père, ayez pitié : ­ cette ombre les écrase,
Et puis rien ici-bas ne console les yeux;
Car la sonde imprudente a soulevé la vase,
Et la mer a cessé de réfléchir les cieux.

Et comme tout frémit, comme la nue est pleine
De ces fortes rumeurs qu'aucun pouvoir n'abat,
Assourdis par l'orage, ils entendent à peine
Cette voix de la mort qui vient de Josaphat.

Mon père, ayez pitié : ­ que vos anges dociles
Étendent sur leur tête un rideau moins profond;
Ayez pitié d'eux tous défaillants et fragiles,
Ces hommes, ô mon Dieu, ne savent ce qu'ils font.

Flétris dès le berceau par un siècle farouche,
Ils lancent au hasard des paroles d'erreur;
Et, si l'impur blasphème est encor sur leur bouche,
Ô mon père, il n'est pas dans le fond de leur coeur.

Oh! quand leur voix vous nomme et vous insulte en face,
S'ils savaient qu'à côté du Dieu qu'ils ont proscrit,
Toute grandeur humaine est poussière et s'efface,
Et que l'immensité tressaille au nom du Christ;

S'ils avaient vu là-haut briller vos diadèmes,
Et vos cieux, océan de splendeur et d'éclat,
Ils frapperaient le marbre avec des fronts plus blêmes
Que celui de Saül, quand la tombe parla.

Et puis, lorsque le doigt de l'ange solitaire
Leur montrerait de loin la géhenne de feu,
Insensés de terreur jusqu'à mordre la terre,
Ils n'auraient plus de voix que pour crier : " Mon Dieu! "

Édouard Turquety (1807-1867),
" Prière ", Amour et Foi.



 

Et moi, Seigneur, aussi, je fus rebelle à croire!
Le doute, en ses déserts, m'a longtemps égaré;
Loin du puits de Jacob, où les âmes vont boire,
Indocile au pasteur, j'ai vécu séparé.

Je tentai l'inconnu dans mon orgueil avide.
Je voulais une source à l'écart du troupeau,
J'ai marché dans la nuit, j'ai sondé dans le vide,
Et l'orgueil m'a partout creusé des puits sans eau.

Un mirage m'appelle à des sources lointaines,
Mais l'onde, au loin, recule ou tarit devant moi;
De tout humain savoir j'ai goûté les fontaines,
Et j'en ai rapporté la soif de votre foi.

Mon esprit altéré me devient un supplice;
Faites pleuvoir en lui quelques larmes du ciel.
Rendez à mes désirs, rendez votre calice,
J'y veux boire, ô mon Dieu, même avec tout son fiel!

J'ai dans ma fièvre encor, j'ai des rêves funèbres;
Cette langue qui prie est prête à blasphémer.
Éclairez ma raison, je connais mes ténèbres,
Faites-moi croire, ô Dieu, je me charge d'aimer!

Seigneur, vous écoutez la plus humble prière,
Et le cri de l'insecte et celui de l'oiseau,
Et cet agneau perdu qui demande sa mère,
Et cette herbe séchée à qui manque un peu d'eau.

Votre nom prononcé rafraîchit la pensée;
Il rayonne dans l'ombre où je m'enveloppais.
Toute larme pieuse, à vos genoux versée,
Est, pour un coeur souffrant, le baume de la paix.

Vous m'entendrez, Seigneur, car je pleure et j'espère! 
J'élève à vous mon coeur par le monde abattu. 
J'espère! et votre loi, tendre comme une mère, 
De la douce espérance a fait une vertu.

Redonnez-moi, Seigneur, la vie et le courage;
Que j'aille en vous servant jusqu'à la fin du jour;
Dissipez des erreurs le stérile nuage
Au rayon de la foi rallumé par l'amour.

L'orgueil ferme le coeur aux innocentes joies
Et tient la porte ouverte à l'ennui triomphant.
Donnez-moi, pour marcher humblement dans vos voies,
La raison du vieillard et la foi de l'enfant.

Alors, Seigneur, alors, mon âme calme et forte
Souffrira sans colère et sans fougueux transports, 
Le mal que chaque jour et chaque nuit apporte
À cette argile de mon corps.

Victor de Laprade (1812-1883),
Les oeuvres de la foi.



 

Vierge Marie! après ce bon rimeur
François Villon, qui sut prier et croire,
Et qui jadis, malgré sa folle humeur,
Fit sa ballade immortelle à ta gloire,
Je chanterai ton règne et ta victoire.
Ton diadème éclate avec fierté
Et sur ton front il rayonne, enchanté.
Mille astres d'or frissonnent sur tes voiles.
Tu resplendis, ô Lis de pureté,
Dame des Cieux, dans l'azur plein d'étoiles.

Mère sans tache, entends notre clameur
Et sauve-nous du mirage illusoire!
Vierge, à travers le monde et sa rumeur
Guide nos pas tremblants dans la nuit noire!
Luis, Porte d'Or! Apparais, Tour d'Ivoire!
Toujours le Mal, avec peine évité,
Poursuit notre ombre, et dans l'obscurité,
Pour nous meurtrir, ce chasseur tend ses toiles.
Aide-nous, toi dont le Fils a lutté,
Dame des Cieux, dans l'azur plein d'étoiles!

Conduis le faible! Éveille le dormeur! 
Parfois le sombre Océan sans mémoire
Rit à nos yeux troublés, comme un charmeur,
Et montre un flot calme et rayé de moire
Comme une source où la biche vient boire;
Puis il devient un gouffre épouvanté!
Quand le marin sent l'orage irrité
Briser ses mâts et déchirer ses voiles,
Tu fais, pour lui, briller une clarté,
Dame des Cieux, dans l'azur plein d'étoiles!

Reine de grâce et reine de bonté,
Aide et soutiens notre fragilité.
Fuyant l'abîme affreux que tu nous voiles,
Fais que notre âme arrive en liberté,
Dame des Cieux, dans l'azur plein d'étoiles!

Théodore de Banville (1823-1891),
Ballade à la sainte Vierge.



 

O mon Seigneur Jésus, enfance vénérable, 
Je vous aime et vous crains petit et misérable, 
Car vous êtes le fils de l'amour adorable.

O mon Seigneur Jésus, adolescent fêté, 
Mon âme vous contemple avec humilité, 
Car vous êtes la Grâce en étant la Beauté.

O mon Seigneur Jésus, chaste et doux travailleur, 
Enseignez-moi la paix du travail le meilleur, 
Celui du charpentier ou celui du tailleur.

O mon Seigneur Jésus, semeur de paraboles
Qui contiennent l'or clair et vivant des symboles,
Prenez mes vers de cuivre ainsi que des oboles.

O mon Seigneur Jésus, ô convive divin,
Qui versez votre sang comme on verse le vin,
Que ma faim et ma soif n'appellent pas en vain.

O mon Seigneur Jésus, vous qu'en brûlant on nomme,
Mort d'amour, dont la mort sans cesse se consomme, 
Que votre vérité s'allume au coeur de l'homme!

Germain Nouveau (1851-1920),
Invocation.



 

Pour tant de jours ingrats où je n'ai pas prié,
Recevez, ô mon Dieu, les larmes que je verse.
Accablé que je suis par la fortune adverse,
Ma détresse du fond de l'abîme a crié.

Mais tandis que, meurtri d'un coup multiplié,
A suivre vos desseins ma volonté s'exerce,
J'espère, en maîtrisant ce coeur qui se disperse,
Retrouver votre amour trop longtemps oublié.

Pour un bienfait si tendre, ô Bonté que j'adore, 
Vous pouvez me frapper et me frapper encore;
Je sais bien qu'au pécheur la douleur est un don,

Et, quand vous effacez les fautes qu'elle expie, 
Vous lui faites sentir que la main qui châtie 
Au prix de la souffrance apporte le pardon.
 

Pierre de Nolhac (1859-1936), Prière.
(Poèmes de France et d'Italie, Garnier.)



 

Ah! j'ai senti dans mon âme
La pointe des noirs chagrins,
Étoile des pèlerins,
Notre-Dame, Notre-Dame!
Et des glaives comme vous,
Notre-Dame au coeur si doux.

La limpidité splendide,
Le frais éclat argentin
De l'étoile du matin
Brille en votre âme candide,
Mais mon coeur est desséché,
Mon âme est boue et péché.

Votre douceur infinie
Désaltère le méchant.
Moi, mon coeur est comme un champ
Rempli de cris d'agonie,
Piétiné d'un dur vainqueur.
Quel cimetière est mon coeur!

Et pourtant, ô Notre-Dame!
J'ai faim, et j'ai soif d'aimer...
J'avais pris soin d'allumer
Une lampe dans mon âme.
Voici que la lampe meurt
Et je frissonne en mon coeur...

Ame faite de lumière,
Étoile de pureté,
Versez au déshérité
Votre bonté coutumière ;
Apparaissez dans sa nuit,
Bonne Dame! et donnez-lui

La manne avec la rosée
De vos regards précieux;
Penchez sur lui vos doux yeux.
Tremblant comme l'épousée,
De pleurs d'amour se gonflant,
Mon coeur sera ruisselant.

Rouvrez en moi la fontaine
De l'amour et de la foi,
Reine du ciel, rendez-moi
Mon âme, hélas! si lointaine,
Reine du ciel triomphant,
Rendez-moi mon coeur d'enfant!

Et qu'en mon coeur et mon âme
Puisse brûler à jamais,
Tel qu'un feu sur les sommets,
Fidèle et haute, une flamme,
Flamme de joie et d'espoir,
D'amour et de bon vouloir.

Paul Guigou, Cantique.
(Interrupta, Plon.)



 

Voici l'heure, ô mon Dieu! de rentrer à la grange
La récolte invisible et que vous connaissez.
Sera-t-elle pour Vous ou pour le Mauvais Ange?
Le soir tombe, mes bras et mon coeur sont lassés.

Je viens vous demander l'eau sainte de la Grâce
Pour me purifier de la fièvre du jour.
Les bruits se sont éteints de la foule qui passe,
Parlez ! ô voix sereine et forte de l'Amour!

Dites-moi que mes mains, mes pauvres mains avides,
Ont glané pour le Ciel quelques frêles épis,
Hélas! le temps s'envole et mes greniers sont vides ;
Ô maître, accordez-moi quelques jours de répit.

Tant de soirs tout pareils auront vu cette honte
De dormir lâchement sans rien Vous apporter!
Restez encore un peu, Seigneur, car la nuit monte,
La lamentable nuit qui viendra m'arrêter.

La route de ma vie est déjà toute sombre. 
Quand il faudra partir, qu'aurai-je été, Seigneur?
Un peu de bruit, un peu de poussière, un peu d'ombre, 
Une paille sans grain dans les doigts du Glaneur.

Je Vous ai rencontré, mais sans Vous reconnaître,
Ainsi que Vos amis au chemin d'Emmaüs.
Sous la touche divine au moment de renaître,
Mon âme, aveugle hélas! Vous ignorait, Jésus!

Car elle avait flétri sa fragile couronne,
Les feuilles et les fleurs de son morbide été,
Et de ces fruits amers que me laissait l'automne,
L'Ange de la Douleur avait tout emporté.

Mais Vous n'éteignez pas la mèche encor fumante,
O Bon Samaritain qui voulez me guérir!
Et je sens s'apaiser, sous votre main clémente,
Ce pauvre coeur tremblant qui ne sait pas mourir.

Qu'il me mène joyeux à l'âpre pénitence!
Et Vous mettrez enfin, ô Dieu terrible et bon!
Pour prix des saints travaux qui lavent de l'offense,
Sur mon front rajeuni le baiser du pardon.

Charles Grolleau, Prière du soir.
(L'encens et la myrrhe, Lethielleux.)



 

Dans le matin, naïf comme ces doux enfants 
Qui ne font jamais rien de ce qu'on leur défend,
Dans le matin, tout jeune et pur sous sa rosée, 
Je vous adore avec une âme reposée.
J'aime bien vous jeter mon appel matinal :
Je n'ai pas encore eu le temps de faire mal,
J'ai moins honte de moi, misérable et sincère,
Et je pense toujours que je saurai mieux faire.
Cette fraîcheur inexprimable du matin,
Comme d'un clair manteau de fragile satin,
Mon père, couvrez-m'en pour toute ma journée!
Maintenant, sitôt ma prière terminée,
Je vais rentrer parmi les hommes et le bruit.
Faites qu'au milieu d'eux, et jusqu'à cette nuit,
Je sente, pure et fraîche en moi comme l'aurore,
Mon âme se lever et se lever encore!

Louis Lefebvre, Prière du matin.
(La prière d'un homme, Perrin.)



 

Mon père, me voilà. Ma journée est finie.
Si j'ai fait quelque bien, je vous en remercie;
Et si j'ai fait le mal, que votre charité
Pardonne encore à ma constante indignité.
Dans ce calme nocturne où je crois vous entendre,
Je songe à l'autre nuit que je verrai descendre
Lorsque le dernier jour à mes yeux aura lui.
Car la mort tombera comme tombe la nuit,
Comme elle irrésistible et profonde comme elle.

Que de toutes mes nuits elle soit la plus belle.

Louis Lefebvre, Prière du soir.
(La prière d'un homme, Perrin.)



 

Ah! Soyez bien présent, ne vous refusez pas!
Car nous n'en pouvons plus d'être seuls, ô mon maître!
Paraissez seulement; laissez-vous reconnaître,
Et nous nous jetterons en larmes sous vos pas.

C'est votre enfant perdu qui crie et vous appelle,
Seigneur! Seigneur! je vous appelle à mon secours!
Contre leur dureté, vous qui êtes amour!
Contre la mienne aussi qui m'est la plus cruelle!

Seigneur! j'ai bien cherché et je ne trouve rien :
Si vous n'êtes pas là, ma joie est un mensonge;
Et je la sens en moi qui s'agite et me ronge
Comme ronge la terre au printemps le bon grain.

Apparaissez, et que la terre se soulève!
Que l'amour en travail soit par vous délivré,
Lumière en qui tout est vivant et tout est vrai,
Et par qui tout commence et par qui tout s'achève.

Louis Lefebvre, Élévation.
(La Peine quotidienne, Garnier.)



 
 

Béni soit Celui-ci qui vient dans la rosée, 
Apporter le printemps aux âmes épuisées.

Voici qu'Il est venu comme un petit Enfant. 
Voici que nous l'avons adoré en pleurant.

Sa bouche a prononcé des paroles pareilles 
Aux lis pleins de soleil, de parfums et d'abeilles.

Oh! nous n'aurions jamais soupçonné de tels mots
Et voici que nos coeurs se brisent de sanglots.

Que soit béni l'Enfant plein de miséricorde, 
Béni ce frêle corps que cingleront les cordes,

Que soient bénies ces Mains que perceront les clous, 
Bénis ces pieds divins qui saigneront pour nous.

Béni ce front très pur que la branche d'épines 
Ceindra d'un diadème aux gemmes purpurines.

Béni ce Flanc, plus immaculé que le lis, 
Qui sera constellé d'adorables rubis...

Oh! puisque Vous avez voulu faire largesse 
À nos coeurs affamés d'immortelle tendresse,

O Jésus! agréez nos pleurs et nos frissons... 
Nous Vous louons, Seigneur, et nous Vous bénissons.

Qu'importent à présent la mort et la souffrance? 
Vous nous avez rendu la robe d'innocence.

Vous nous avez rendu la paix et le bonheur, 
Et des magnificat éclatent dans nos coeurs.

Victor Kinon, Benedictus.
(L'me des saisons,, Larcier.



 

Agneau de Dieu, ô frêle Enfant couché
Contre le boeuf et l'âne dans la crèche,
Que votre main toute mignonne et fraîche
Efface en nous la trace du péché!

Agneau de Dieu, ô frêle Enfant chargé
Du faix pesant des crimes de la Terre,
Que de vos yeux l'innocente lumière
Dissipe en nous les ombres du péché.

Agneau de Dieu, ô frêle Enfant, laissez,
De votre bouche aux fraîcheurs aurorales,
Laissez tomber en suaves pétales,
Laissez tomber les syllabes de paix.

Victor Kinon, Agnus Dei.
(L'me des saisons,, Larcier.



 

Afin que Votre amour me guide et me pénètre,
Seigneur, je Vous choisis pour mon Souverain Maître;
Je ne répondrai plus qu'à Votre seul appel,
Qui m'entraîne par les chemins menant au ciel.

Si la côte est rapide et profonde est l'ornière,
J'irai puisant de la vigueur dans la prière.
Si la route se fait égale sous mes pas,
Seigneur, Seigneur, je Vous remercierai tout bas.

Si je vois Votre main qui m'attire d'un geste,
Je viendrai pas à pas vers Votre main céleste.
Tout près de Vous, Seigneur, plus près de Vous encor,
Dans le sillon que fait Votre lumière d'or.

Dans la douceur qu'étend Votre ombre tutélaire,
Je resterai pour Vous aimer et pour Vous plaire.
Je n'aurai d'autre but, je n'aurai d'autre effort
Que vivre en Vous aimant ainsi, jusqu'à la mort.

Et quand viendra le jour, et quand sonnera l'heure
Où chaque ami que nous laissons frissonne et pleure,
Je Vous dirai, songeant aux heureux lendemains:
" O mon Dieu, je remets mon âme entre Vos mains! "

Claire Virenque, Prière.
(Les heures d'amour, poèmes chrétiens. Bloud et Gay.)



 

Un grand eucalyptus aux énormes rameaux
Tend sur le ciel l'ampleur de sa masse fleurie;
Il fait doux; un toit fume au milieu des hameaux:

En ployant les genoux, je vous salue, Marie.

La courbe des monts bleus fait un fond de féerie;
La Candeur et la Paix passent par le chemin;
Elles m'ont vue et me font signe de la main :

En abaissant mon front, je vous salue, Marie.
 

Avec le vent, avec l'oiseau, l'herbe qui prie, 
Avec tout ce qui reste et fleurit ici-bas, 
Avec tout ce qui passe et qui ne fleurit pas,

Avec tout mon amour, je vous salue, Marie...

Claire Virenque, Prière à la sainte Vierge.
(La poésie religieuse, Garnier.)



 

Accordez-moi, Seigneur, au seuil de la vieillesse,
Si mes membres sont las, si mon front est pesant,
De garder des yeux clairs où l'âme transparaisse
Éb1ouie et limpide ainsi qu'aux premiers temps.

Que dans le vent qui brise une cime trop frêle
Je ne m'écroule pas, morne, sur l'horizon,
Au bord de l'océan comme un moulin sans ailes
Qui ne peut plus broyer les nouvelles moissons.

Que je n'apporte pas un jour à la nature,
Même s'il faut traîner sans force un corps perclus,
Devant l'aube qui naît et s'emplit de murmures,
Un esprit sans échos où rien ne vibre plus !

Cécile Périn, Prière devant l'océan.
(Océan, Le Divan.)



 

Notre-Dame du Saint-Rosaire,
Dans les bras de qui je suis né,
Le colchique fleurit la terre
Et le parc est illuminé

De feuillages rouges et jaunes;
Le ciel n'est jamais aussi doux
Qu'en ce mois, Reine des automnes,
Où je me sens si près de vous.

Par le cèpe et par la châtaigne,
Par les cèdres sur le coteau,
Par la vigne vierge qui saigne
Sur une blancheur de château,

Par le vallon mélancolique
Où s'effeuille un blond chapelet,
Dans un tintement bucolique
Et des sifflements d'oiselet,

Par l'âne aux vieux genoux qui broute,
Par l'octobre des néfliers
De part et d'autre de la route,
Par les lignes de peupliers

Se levant de chaque prairie,
Je vous célèbre dans mon coeur,
Souriante Vierge Marie,
Oublieux de toute rancoeur.

Jean Lebrau, Prière.
(Témoignages, Éditions du Pigeonnier.)