EXTRAITS DE SERMONS

 

 

I. L'incarnation révélée à saint Joseph

 

 

Nous débutons par un extrait du sermon In vigilia nativitatis Christi. Nous suivons le prédicateur pas à pas, mais retranchons tout ce qu'il dit d'une cosmogonie maintenant passée de mode, à laquelle d'ailleurs il n'attache lui-même pas grande importance, et qui n’intéresserait plus un lecteur moderne. Il suppose, ce qui n'est nullement prouvé, que saint Joseph était vieux et âgé, alors que Marie était jeune et belle. L'exposé est très clair et se lit facilement.

 

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Différence entre la conception et la naissance.

La Sainte Écriture met une différence considérable entre la conception de Notre-Seigneur et sa naissance. Celle-ci, non seulement ne fut pas mystérieuse et cachée, mais il paraît évident, au contraire, que Dieu a voulu l'annoncer et la notifier au monde tant par le ministère des anges que par des signes célestes, comme l'étoile parue en Orient, par les animaux de la crèche, par les rois venus des régions orientales. Quant à la conception, tout au contraire, Dieu a semblé la couvrir d'un voile mystérieux. Il ne l'a révélée à personne au monde, ni aux patriarches, ni aux prophètes, ni aux saints. Seuls l'Archange Gabriel et la Vierge Marie en ont possédé le secret. Malgré cette différence évidente entre sa conception et sa naissance, malgré le mystère dont sa conception fut couverte à l'origine, elle se manifesta peu à peu, comme toute maternité devient évidente en approchant de son terme. Il en fut ainsi de la Sainte Vierge, dont la maternité, en raison de ses signes extérieurs, ne pouvait plus se dissimuler. Montrons donc que Joseph s'en rendit compte de trois façons.

 

 

I. Par le témoignage de ses sens

 

1. De la vue surtout. - Toute connaissance part d'une sensation. Par la vue, nous connaissons les couleurs, par l'ouïe les sons, par l'odorat les odeurs, par le goût les saveurs et par le toucher nous distinguons ce qui est dur ou mou, ce qui est chaud ou froid. Si vous demandez : Comment savez-vous cela ? On vous répond : Parce que je l'ai vu ou entendu ou senti, etc. Toute votre connaissance vient donc évidemment, d'ordinaire, des sens, et le philosophe nous atteste que les sens, et surtout la vue, lorsqu'ils sont dans leur état normal, ne se trompent jamais sur leur objet propre. C'est pour cela que les seigneurs juges établissent une différence considérable entre les témoins oculaires et les témoins qui ne rapportent que ce qu'ils ont entendu dire ou ce qu'ils croient le témoin oculaire l'emporte sur tous les autres. C'est ainsi que Notre-Seigneur reprochait aux Juifs de refuser de croire, en leur disant : Nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu, mais vous ne recevez pas notre témoignage ! (Jean, III, 11)

 

2. Anxiété de Joseph. - Donc la future maternité de la Vierge Marie fut reconnue par Joseph, son époux. Vous savez comment après qu'elle eût conçu, Marie s'en alla toute joyeuse visiter sa cousine Elisabeth enceinte de Jean-Baptiste et dont l'ange lui avait annoncé la grossesse. Elle y demeura trois mois, dit saint Luc. Joseph vint la voir à son retour de Nazareth et constata sa future maternité déjà visible. Imaginez la stupéfaction de Joseph qui, non seulement ne s'était pas approché d'elle, mais que Marie, au dire des saints docteurs, avait elle-même engagé, après leurs épousailles, à faire le vœu de virginité comme elle l'avait fait elle-même. Constatant sa maternité prochaine, il n'en pouvait croire ses yeux.

 

3. Il constate la sainteté de sa femme. - Comme le dit saint Bernard, Joseph, qui connaissait la sainteté de Marie, ne pouvait croire qu'elle eût péché, et cependant, il ne pouvait se dissimuler sa maternité prochaine et l'impossibilité naturelle pour une femme de se trouver dans cet état, sans le concours des œuvres d'un homme. Son cœur était comme une olive entre deux meules. Prudent et sage comme il l'était, il savait qu'une femme légère se trahit toujours par l'absence d'une piété sincère, par sa loquacité, l'immodestie de ses manières, son amour de la bonne chère, sa paresse, sa vanité et son mépris pour son mari. Or, rien de tout cela en Marie, tout au contraire.

 

Elle est pieuse. - Il ne pouvait trouver femme plus pieuse et plus sainte, plus constamment appliquée à l'oraison, aux saintes lectures et à la contemplation, ce triple fondement sur lequel doit s'établir toute femme qui ne veut pas tomber.

 

Elle est silencieuse. - Une femme silencieuse est bonne. Pour peindre cet amour du silence chez Marie, on la représente avec les yeux plus grands que la bouche, afin de nous apprendre combien son âme avait de grands yeux pour contempler et considérer les merveilles de Dieu et combien sa bouche s'ouvrait peu pour parler.

 

Elle est modeste. - Elle ne se mettait jamais curieusement aux fenêtres. Elle ne sortait de chez elle que pour aller au Temple, s'y rendant avec une parfaite modestie, les yeux baissés et recueillis. Elle ne cherchait pas à se faire remarquer et ne regardait pas autour d'elle.

 

Elle est mortifiée. - Marie mangeait fort peu, seulement ce qui lui était nécessaire pour ne pas défaillir ; elle était sans cesse dans le jeûne et l'abstinence.

 

Elle est laborieuse. - Jamais oisive, elle s'occupait toujours à des œuvres saintes. Saint Jérôme dit qu'elle se levait la nuit pour prier. Ensuite elle filait, tissait, etc.

 

Elle est sans vanité. - Marie ne se souciait pas de parure : elle lavait son visage à l'eau pure de ses larmes. Sainte Anne, sa mère, la parait elle-même, et par déférence pour sa mère, elle s'habillait ainsi à la maison, jamais au dehors : C'est tout le contraire de ce que font nos jeunes filles modernes.

 

Elle est respectueuse envers son mari. - Malgré sa jeunesse, sa noblesse et sa beauté, malgré l'âge et la pauvreté de son époux, elle l'honorait plus qu'aucune femme au monde.

 

4. Crainte et tremblement. - Ainsi donc Joseph, loin de trouver aucun signe de perversion en Marie, y constatait, au contraire, toutes les vertus, tous les sentiments qui font les saintes femmes. Mais il avait beau se demander si, par hasard, la nature pouvait amener la maternité chez une femme sans l'œuvre de l'homme, il était obligé de constater que cela ne s'était jamais vu. Aussi était-il dans la plus cruelle perplexité et son cœur était broyé comme entre deux meules. D'un côté, il ne voulait pas la dénoncer, car elle eût été lapidée sur-le-champ. D'autre part, comme il était juste, il ne voulait pas se faire complice d'une faute ; et c'est pourquoi il se résolut à la renvoyer secrètement.

Voici donc démontré par le témoignage des sens que Marie allait devenir mère. Tirez-en cette leçon, bonnes gens, qu'il faut veiller avec soin, comme Joseph, avant de contracter mariage, pour découvrir tout empêchement possible de parenté, d'affinité ou autre.

 

II. Par 1e témoignage de la Sagesse divine

 

1. Comment connaître les mystères divins ?

D'après saint Thomas, les mystères, c'est-à-dire les secrets divins dont le principe réside dans la seule volonté libre de Dieu, ne peuvent être connus qu'autant qu'il plaît à Dieu de nous les révéler. C'est évident : ce que j'ai dans le cœur, vous ne pouvez le savoir sans que je vous le dise ; à plus forte raison, en est-il de même des pensées de Dieu. Les phénomènes qui se produisent selon les lois de la nature peuvent être prévus ; il suffit d'en connaître la cause naturelle. Le médecin peut prévoir l'heure de la mort d'un malade, parce que, si l'événement est encore futur, la cause qui doit le produire est déjà présente. Il n'en est pas ainsi de la libre volonté de Dieu. Joseph voyait bien l'état de son épouse, mais il n'avait aucun moyen naturel de découvrir la vérité de ce qui se passait ; la conception de Jésus n'avait aucune cause proportionnée dont elle pût être l'effet naturel : elle n'était produite ni par l'influence des constellations célestes, ni par aucune autre opération, que ce fut celle des anges, des éléments ou des hommes. Elle ne pouvait donc être connue que par révélation divine. Sachant combien Joseph était un homme d'éminente sainteté, combien il était juste et parfait, nous pouvons imaginer avec quelle ardeur il recourut à Dieu par la prière, pour qu'il plût à sa Miséricorde de l'éclairer sur les desseins de sa volonté. C'est ce que fit Joseph en effet. Il se mit d'abord en oraison et dit à Dieu : Seigneur, vous m'avez fait une grande grâce en me donnant pour épouse cette jeune fille, mais je vois qu'elle va devenir mère. Comment une si sainte femme peut-elle être dans cette situation ? À ces prières il mêlait d'abondantes larmes. Je crois bien aussi que, de son côté, Marie priait avec ferveur pour obtenir à son époux bien-aimé les consolations dont il avait besoin. Dieu allait exaucer ces prières si parfaites.

 

2. Solution d'une difficulté

Mais pourquoi Marie ne lui dit-elle pas ce qui en était quand elle vit sa tristesse et sa perplexité : car certainement il l'eût crue sur parole, bien qu'aujourd'hui peut-être un époux n'en croirait pas son épouse. Je réponds qu'il ne suffit pas, en effet, pour avoir le droit de révéler un secret confié à notre religion et qui est, d'ailleurs, bon, juste et saint, qu'il doive un jour être connu d'une autre manière. Aussi Marie qui avait la conscience la plus délicate, n'osa pas révéler ce secret dans la crainte d'offenser le roi du ciel. Quelle leçon pour tant de personnes irréfléchies qui ne savent pas se taire et qui, lorsque Dieu leur fait quelque grâce ou leur donne quelque lumière se hâtent de le publier partout, souvent fort mal, surtout quand elles prennent des illusions diaboliques pour des révélations d'en haut. Elles ressemblent à la poule qui ne parvient pas à se taire, et qui trahit l'œuf qu'elle vient de pondre, et qu'on lui ravit aussitôt.

 

III Par le témoignage des vertus spéciales de Marie

 

Aux approches de la naissance les femmes sont généralement maigres, pâles, dégoûtées de tout, capricieuses dans leurs envies. Marie ne l'était pas. Dès ce moment son visage s'illumina de rayons de gloire, surtout aux approches de ses couches. Trois raisons le démontrent.

 

1. La raison philosophique, c'est que le philosophe nous enseigne que tout agent naturel en produisant la forme substantielle, produit en même temps et dans la même mesure, les formes accidentelles qu'elle exige de sa nature : l'agent qui produit le feu produit par là même la chaleur et la lumière. Or, c'est de sa forme substantielle que Dieu a donné à Marie son divin Fils. Rien d'étonnant donc s'il lui donna cette gloire qui se reflétait sur le visage de sa mère, qui, alors apparut rayonnante de grâce et de beauté.

 

2. L'argument théologique se tire du 34° chap. de l'Exode, qui nous raconte que Moïse en s'entretenant avec Dieu sur la montagne, emporta sur son visage deux rayons de gloire tellement éblouissants que le peuple d'Israël ne pouvait plus le regarder en face.

Raisonnons maintenant. Si le visage de Moïse s'était illuminé de la sorte dans un simple entretien avec Dieu, à combien plus forte raison la conception du Christ devait-elle faire resplendir le visage de Marie.

 

3. Je le prouve enfin par l'expérience : un vase de cristal, qui est lui-même transparent et beau, le deviendra plus si l'on met à l'intérieur une lampe allumée. De même pour Marie, dont le corps était plus pur et plus beau qu'aucun vase de cristal, quand il reçut en lui la lumière qui illumine le monde, le fils de Dieu.

Ne nous étonnons pas par conséquent qu'en ce moment Marie fût devenue plus rayonnante et plus belle, au point qu'à cause de ce rayonnement sans doute, Joseph ne la connut pas (Mt. I, 25). Pensez aussi avec quelle humilité après la révélation divine, Joseph demandait pardon à Marie de l'avoir soupçonnée et lui disait : Ô femme bénie, pourquoi ne m'avez-vous rien dit ? Je vous aurais crue certainement. Et sa sainte épouse le consolait, en le félicitant d'avoir été choisi comme l'époux et le compagnon de la Mère de Dieu et comme le père nourricier de son Fils. Ô famille bénie ! Comme tous les deux se confondaient en ardentes adorations devant le Dieu incarné dans le sein virginal.

(Trad. de Scorbiac)

 

 

II. La fuite en Égypte

 

 

Il y a, dans la prédication de maître Vincent, tout un art de présenter et de commenter la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est un thème qui revient, souvent dans ses sermons, à tel point qu'un auteur anglais, signalé dans notre introduction, a réuni les différents aspects de la personnalité du Christ en une magnifique anthologie. « À ce propos, écrit le P. Gorce (Saint Vincent Ferrier, Pion, Paris 1924, p. 134), la variété d'accents de Vincent Ferrier est inépuisable. Il sait atteindre, pour dépeindre l'enfant Jésus, à une douceur limpide, à une grâce fondante ». On retrouve dans le développement de ces thèmes toute l'inspiration, la subtilité, l'art personnel de maître Vincent. Telle page, reproduite ici, et puisée dans la légende ou dans les apocryphes de la Vierge, pourrait figurer parmi les Fioretti. Il faut la lire avec une âme d enfant, pour en savourer la naïveté et la fraîcheur.

 

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THÈME : De l'Égypte j'ai rappelé mon fils. (Mt., Il, 15).

Présentement je dois vous entretenir de la fuite du Christ, quand, à cause d'Hérode il se réfugia en Égypte. C'est un sujet très pieux et, s'il plaît à Dieu, utile aux âmes. Mais avant tout, recourons à la protection de la bienheureuse Vierge Marie. Ave Maria.

 

De cette humble fuite du Christ nous dirons trois choses :

1° Comment elle fut révélée divinement.

2° Comment elle fut exécutée humainement.

3° Comment le retour eut lieu finalement.

 

 

I. Révélée divinement

 

1. Nécessité de cette révélation

Comment a-t-il pu se faire que le Christ qui était établi dans la terre promise où était adoré le seul Dieu, se soit réfugié dans l'Égypte, terre des infidèles où étaient adorées les idoles ?

C'est pour cela que la fuite du Christ ne devait avoir lieu que par révélation divine. Car si quelqu'un d'entre vous voulait passer du royaume catholique de Castille au royaume mauresque de Grenade, il devrait savoir que ce serait une affaire sérieuse. Et c'est pour cela qu'elle fut révélée... Et voici comment : Hérode savait que le Christ était né à Bethléem, et sentait que les Juifs, par crainte de lui, n'osaient pas parler ouvertement de la naissance du Christ vrai Messie, naissance accompagnée de tant de prodiges qu'ils avaient vus, mais qu'ils devaient dire en secret : Hérode ne tardera pas de tomber ; c'est pour cela qu'il cherchait à mettre à mort l'enfant. Et c'est la raison pour laquelle l'ange apparut, comme il est dit dans l'Evangile d'aujourd'hui : Voilà que l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu'à ce que je t'avertisse. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le taire périr ». (Mt., II, 13).

C'est donc ainsi que la fuite du Christ fut divinement ordonnée par l'ange.

 

2. Pourquoi pendant le sommeil de Joseph ?

Mais pourquoi une chose aussi grande et aussi solennelle que la fuite du Christ d'une terre fidèle à une terre infidèle a-t-elle été faite en songe et non dans la veille, surtout que nous ne devons pas ajouter foi aux songes, selon la parole de l'Écriture : Vous n'observerez pas les songes (Lev., XIX, 26). Et ailleurs : Prends garde que se trouve au milieu de vous quelqu'un qui observe les songes (Deut., XVIII, 10). Si donc nous ne devons pas observer les songes, comment une chose aussi grave qu'une révélation divine a-t-elle été faite en songe ? Pour réponse, sachez que pour les révélations divines, il faut un cœur préparé, un cœur tranquille et non troublé par les affaires du monde. C'est ce que nous lisons dans les vies des Pères à propos des trois compagnons ...Les Juifs ont un cœur dissipé dans les affaires de ce monde, et c'est pour cela qu'ils ne peuvent pas recevoir la révélation divine qui les éclairerait, et qu'ils ne voient pas la vérité du salut.

Or, saint Joseph avait le cœur dissipé à cause de l'anxiété que lui causait le Fils de la Vierge, sachant que l'enfant était Fils de Dieu et qu'Hérode cherchait à le faire mourir. De plus, il était occupé à son travail d'artisan. La révélation fut donc faite à Joseph en songe, parce qu'alors il avait le cœur tranquille. Mais, dira-t-on, comment savoir que telle révélation faite en songe est divine ? C'est par la clarté du soleil qu'on sait qu'il fait jour. Et quand une révélation éclaire et donne des forces, on sait qu'elle est de Dieu. S'il y a doute, ce n'est pas Dieu qui en est l'auteur. Le saint homme Job nous apprend que la révélation se fait en songe : Dans l'horreur d'une vision nocturne (Job., IV, 13).

 

3. Pourquoi cette révélation a été faite non à Marie, mais à Joseph

La Vierge Marie avait le cœur tranquille, c'est pour cela que la révélation de la conception et de l'incarnation du Christ lui fut faite par l'ange, non en songe, mais dans la veille, et qu'elle dut être faite à elle plutôt qu'à Joseph. Ce.fut aussi parce qu'elle était plus sainte que Joseph et plus élevée en dignité et en perfection, étant la Mère du Fils de Dieu. Mais bien que Marie fût plus élevée en dignité et en toute perfection, cependant Dieu a voulu par cet exemple, apprendre que ce n'est pas à elles, mais aux maris à gouverner la maison, fussent-elles de noble race et leur mari de basse extraction : Que toutes les épouses des grands et des petits rendent honneur à leurs maris (Esth., I, 20). L'homme est le chef : et de même que le chef est au-dessus de tous les membres, ainsi le mari doit être au-dessus de l'épouse. Et comme changer de domicile pour passer d'un État dans un autre appartient à l'administration du mari, voilà pourquoi la révélation fut faite à Joseph plutôt qu'à Marie.

 

 

II Exécutée humainement

 

1. Le départ de nuit

La révélation reçue de l'ange, Joseph se lève en toute hâte, pouvant à peine respirer. La Vierge Marie avait coutume de se lever au milieu de la nuit, au dire de saint Jérôme, pour se livrer à la contemplation et à la prière : Au milieu de la nuit je me levais pour te louer (Ps. CXVIII, 62). Elle se rendit à l'oratoire de son Fils, qui goûtait un sommeil humain pendant que la divinité veillait. Joseph frappe doucement à sa porte. Elle ouvre et lui dit : Père, que désirez-vous ? Joseph hors d'haleine, pouvant à peine parler, lui dit de prendre l'enfant, car Hérode va chercher l'enfant pour le perdre (Mt., II. 13). Joseph s'occupa de sangler l'âne, et la Vierge prenant l'enfant qui dormait l'invoquait pour qu'il les dirigeât dans leur voyage. Et Joseph prit l'enfant et sa mère de nuit (Ibid., 14). Ils confièrent la clef de la maison à quelque voisin, et partirent tremblants à travers la ville, sans frapper à aucune porte.

 

2. Ils partent pour l'Égypte, et quelle Égypte !

A) CRUAUTE DES ÉGYPTIENS. - Quand ils furent hors de la ville, Marie demanda à Joseph si Dieu lui avait révélé où ils devaient aller, et il dit que c'était en Égypte. Marie en fut très affligée, à cause des trois vices qui régnaient en Egypte : la cruauté, l'immoralité et l'infidélité. Mais Dieu, dit la légende, lui envoya une consolation en route. Il était midi, et ils se reposaient sous un arbre où Dieu fit deux miracles. L'arbre qui avait des fruits pencha ses branches sur le sein de la Vierge, et Dieu fit sourdre une source d'eau. Marie en fut fortifiée, non seulement pour le service rendu, mais aussi pour sa signification. L'abaissement de l'arbre lui fit comprendre que leur cruauté baisserait, et le jaillissement de la source qu'ils les traiteraient bien pour leur consolation. Ceci est dirigé contre les Juifs qui n'ont pas voulu recevoir le Christ. Car alors fut accomplie la prophétie : Je t'aimerai, Seigneur, toi ma force, et mon refuge et mon libérateur (Ps., XVII, 2-3). - Le peuple que je n'ai pas connu m'a servi... Des fils étrangers m'ont menti (Ibid., 45-46).

 

B) PERVERSION DES ÉGYPTIENS. - Les Égyptiens étaient également pervertis. Mais alors. Dieu donna tant de grâces pudiques à la Vierge que tous les Egyptiens qui la voyaient devenaient chastes, à tel point qu'ils furent pleins de respect pour elle et ne se sentirent pour elle aucune inclination coupable, disent les commentateurs. La Vierge dès lors pouvait dire : Moi comme une vigne j'ai produit des fruits d'une odeur suave, et mes fleurs sont des fruits d'honneur et d'abondance (Eccli., XXIV, 23). Il est dit : Comme une vigne, car d'après les sciences naturelles la vigne répand une telle bonne odeur que nulle bête puante ne peut alors rester dans la vigne, mais s'en éloigne promptement. C'est ainsi que ces hommes à l'aspect de la Vierge chassèrent loin d'eux toute pensée impure. Ses fleurs sont des fruits d'honneur, car ils la traitèrent avec grand respect, et d'abondance, car ils ne la laissèrent manquer de rien.

 

C) IDOLÂTRIE DES EGYPTIENS. - Les Egyptiens vivaient dans l'infidélité. Et bien qu'il soit dur d'aller d'un pays religieux dans une terre infidèle, Dieu ne laissa pas de consoler Marie contre cette infidélité. Un historien raconte que lorsqu'ils se livraient à l'idolâtrie, Jésus vint en Egypte et leur prêcha qu'il fallait croire et adorer le seul vrai Dieu. Ils lui répondirent qu'ils n'adoreraient que s'ils voyaient de leurs yeux ce qu'il fallait adorer. Il leur dit : Puisque vous ne voulez adorer que ce que vous voyez, je vous annonce que Dieu prendra chair d'une jeune vierge ; dès lors vous pourrez le voir et l'adorer. Et voici à quel signe vous reconnaîtrez que Dieu se fait homme et naît d'une jeune vierge : c'est lorsque seront brisées toutes les idoles. Et aussitôt ils firent une statue de la Vierge tenant son enfant sur ses bras. Et quand le Christ naquit à Bethléem, subitement dans la terre d'Egypte tombèrent à terre et se brisèrent toutes les idoles. Ils connurent donc alors que devait être né le Fils de la jeune Vierge. Et dès lors la statue de la Vierge qui se tenait en bas fut placée en haut là où étaient les idoles. Et ils demandaient à la Vierge et à Joseph s'ils avaient entendu dire qu'une Vierge eût mis au monde un Fils. Ils lui demandèrent même si elle était cette heureuse Vierge et ils leur parlèrent de la fameuse statue, que la bienheureuse Vierge, nous pouvons raisonnablement le croire, leur exprima le désir de voir. Oracle contre l'Egypte. Voici que Yahvé, monté sur un léger nuage, vient en Egypte. Les idoles de l'Egypte tremblent devant lui et les Egyptiens sentent leur cœur défaillir (Is., XIX, I). Le nuage, c'est notre humanité ; car de même que le nuage se forme des vapeurs de la terre, et dès que le soleil parait se dissipe, ainsi notre humanité doit disparaître. Ce nuage est léger ; car si notre humanité est gravement appesantie par le péché, l'humanité du Christ est tout à fait légère, dégagée de tout poids du péché : Il n'a jamais fait de tort (Is., LIII, 9). Ce nuage était aussi léger, parce que le Christ était encore enfant.

Voilà donc comment la fuite du Christ s'est accomplie humainement.

 

3. Leçon morale

On peut se demander ici si les Égyptiens en gardant et en adorant l'image de la Vierge avec son Fils méritaient le salut après leur mort ? Disons d'abord que c'est une hérésie de prétendre que chacun peut être sauvé en suivant sa religion. Mais il faut tenir compte aussi de la parole inspirée : Mes paroles ne sont-elles pas bienveillantes pour le juste qui marche droit ? (Mic., II, 7). Elles sont bienveillantes : elles ont de la saveur pour ceux qui sont bien disposés, mais non pour les autres. Celui qui a la fièvre n'apprécie pas la saveur d'un mets délicieux, mais bien celui qui est en bonne santé, qui l'apprécie et en mange. De même ceux qui à raison du péché sont mal disposés ne goûtent pas la vérité, mais bien ceux qui sont disposés par la vertu et pour qui les paroles de Dieu sont pleines de saveur.

 

III. Retour sagement ordonné

 

1. La vie en exil.

Le maître des Scolastiques dit que la Vierge avec son Fils resta exilée sept ans, et qu'après ces sept ans accomplis, voilà que l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Egypte, et lui dit : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et reviens au pays d'Israël : car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant » (Mt., II, 20). Il y a là matière à contemplation...

 

2. Pourquoi la fuite devant Hérode ?

Les Juifs et les Mahométans nous disent : Si le Christ était Dieu, comme vous chrétiens l'affirmez, pourquoi a-t-il fui devant Hérode ? N'était-il pas de force à se défendre ? Oui, il le pouvait, mais il ne l'a pas voulu, parce qu'il est venu sur la terre humble et non orgueilleux. Prenons un exemple dans ce qui se passe dans le monde. Un homme se tient sur sa porte et voit venir son ennemi : il entre dans sa maison à l'exemple du Christ qui prend la fuite, il ne va pas à sa rencontre, ne veut pas même le voir ; n'a-t-il pas pris la fuite devant un lion ou un insensé ? A plus forte raison doit-on prendre la fuite devant celui qui est plus qu'insensé.

 

3. Pourquoi sept ans d'exil ?

Et non pas cinq ou six ? On répond que le monde a à passer par sept âges avant d'arriver à la terre promise éternelle. Le premier âge va d'Adam à Noé, le second de Noé à Abraham, etc., et quand sera accompli le septième âge dans lequel nous sommes maintenant, nous prendrons possession de la terre promise éternelle, de la gloire pour nos âmes et pour nos corps.

C'est pour cela qu'il a voulu être hors de sa terre sept ans. C'est aussi ce que dit le prophète : Comme passe le matin a passé le roi d'Israël. Quand Israël était enfant, je l'aimai, et de l'Egypte j'appelai mon fils (Osée, XI, 1-2). Ce roi c'était le Christ : il a passé comme le matin, parce que de même que le matin est chassé par l'ardeur du soleil, ainsi le Christ a été au matin, quand la Vierge l'a enfanté sans douleur dans une joie céleste, que rappellent la joie qu'apportent au monde l'aube du jour et le matin. Mais il a passé comme le matin, quand est venu le feu brûlant du jour, la persécution d'Hérode, qui l'a obligé à passer de Bethléem en Égypte.

 

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Conclusion.

Vous comprenez maintenant comment cette fuite a été révélée divinement, exécutée humainement, se terminant par le retour finalement. La prophétie s'est donc accomplie : De l'Egypte j'ai rappelé mon fils. Ce qui était à établir dans ce sermon. Deo grotias. (Trad. Cl. Bouvier).

 

 

III. L'apparition de Jésus à sa mère au matin de la Résurrection

 

Saint Vincent Ferrier pense que Notre-Seigneur ressuscité a réservé sa première apparition à sa très sainte Mère, et les motifs qu'il donne sont certes de nature à impressionner toute âme chrétienne. Il note toutefois que les évangélistes ne soufflent mot à ce sujet. Ce qui n'est pas exact. Saint Marc déclare que Jésus apparut en premier lieu à Marie de Magdala et lui confia un consolant message pour les apôtres. N'empêche que la touchante et délicieuse fresque que saint Vincent Ferrier trace de l'entrevue de la Vierge-Mère et du Christ rédempteur respire un sentiment profond et doux qui devait plaire à nos dévots aïeux et retiendra encore l'attention de l'âme religieuse moderne. L'interprétation psychologique de la scène est de toute beauté. Nous en relevons les points essentiels : La Vierge est seule à croire encore en son Fils... Elle a passé la nuit en prières... elle surveille l'aube par la fenêtre... elle attend... Et voilà que la modeste chambre est envahie... Le Christ rédempteur, irradié de goire, lui apparaït, accompagné de tous les justes de l'Ancienne Loi qui attendaient dans les larmes de l'exil la venue du Sauveur. Et tous ces justes, depuis les premiers humains jusqu'aux derniers prophètes, s'inclinent devant Marie, cette créature choisie dont les pieds ont écrasé la tête infernale du serpent. Tableau digne d'un pinceau de génie et que l'on aurait voulu voir retracé par Fra Angelico.

 

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Pourquoi le Christ ressuscité apparut à Marie.

Je dis que la Résurrection fut, par faveur spéciale, annoncée d'abord à la Vierge Marie. Plusieurs théologiens l'affirment, et saint Ambroise dit expressément, au livre des Vierges : Marie vit son Fils ressuscité et le vit la première.

Les évangélistes ne signalent pas le fait, parce qu'ils ne pensaient qu'à produire des témoins irrécusables. On aurait pu attaquer le témoignage de la Mère en faveur du Fils. Mais que le Christ ait apparu à sa Mère d'abord, trois raisons nous le prouvent.

 

D'abord, le précepte divin : Dans la Passion de son Fils, elle avait été torturée plus que tous. Le Christ l'avait dispensée des douleurs de l'enfantement, et plus tard lui épargna les douleurs de la mort qui surpassent toutes les autres douleurs, comme le dit saint Albert le Grand : La plus terrible douleur est la mort, parce que l'âme est arrachée tout entière comme un arbre. Mais toutes les douleurs de l'enfantement et de la mort l'envahirent lors de la Passion de son Fils. Or, l'Écriture dit (Eccl. 7, 27) : De tout ton cceur honore ton père et n'oublie jamais ce qu'a souffert ta mère. C'est pourquoi le Christ, si parfait observateur de toute loi, apparut à sa Mère d'abord :

1° parce qu'elle avait été plus torturée que les autres ;

2° à cause du mérite de sa foi. Il ressort trop clairement du texte évangélique que, au temps de la Passion, les apôtres et les disciples perdirent la foi, doutant s'Il était Dieu et le véritable Messie, bien qu'ils Le tinssent pour un saint prophète.

Seule, la Vierge Marie crut sans faiblir, en ce premier Samedi-Saint, et par là, mérita que l'Église de Dieu récitât un office particulier en son honneur chaque samedi. Or, l'Écriture dit : Le Seigneur se laisse trouver par ceux qui ne Lui refusent pas leur foi. (Sap. I, 2) Le Christ ressuscité dut donc apparaître à sa Mère avant tout.

3° à cause de l'intensité de son amour : il est certain que nulle mère n'aima son fils plus que la Vierge Marie n'aima Jésus-Christ. Comme Il dit Lui-même : Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai et me manifesterai à lui. (Jean, XIV, 21)

 

Il s'en suit, pour ces trois raisons, que la première apparition fut pour la Vierge Marie, bien que les évangélistes n'en disent rien.

 

Entrevue de la Vierge Marie et du Christ Rédempteur.

Voyons maintenant comment cela eut lieu, et l'âme pieuse trouvera de consolantes douceurs à contempler ce mystère.

La Vierge était absolument certaine de la Résurrection de son Fils, puisqu'Il l'avait si ouvertement prédite ; mais elle ignorait l'heure qui, en effet, ne se trouve nulle part déterminée. Elle passa donc cette nuit, qui lui parut bien longue, à réfléchir sur l'heure possible de la Résurrection. Sachant que David a, plus que tous les autres prophètes, parlé de la Passion du Christ, elle parcourut le psautier, mais n'y trouva nulle indication de l'heure.

Cependant, au psaume 56, David, parlant en la personne du Père à son Fils, dit : Éveille-toi, ma gloire. Éveille-toi, harpe, cithare, que j'éveille l'aurore. (Ps : 56, 9)

Et la réponse du Fils est celle-ci : J'éveillerai l'aurore. Remarquez ces trois noms : Gloria, psalterium, cithara. Le Père appelle d'abord son Fils Gloria mea, parce qu'en toutes choses le Christ a par-dessus tout aimé et prouvé la gloire de son Père. Aussi disait-il lui-même : Je ne cherche pas ma gloire, mais j'honore mon Père. (Jean, 8, 50) C'est pourquoi le Père lui dit : Éveille-toi, ma gloire.

 

En second lieu, le Père l'appelle Psalterium. Le Psalterion a dix cordes : c'est un instrument d'appartement et dont on ne joue guère en public, à cause de ses faibles sons. Il figure la loi de Moïse qui est comme un instrument privé donné au seul peuple juif, composé de dix commandements comme de dix cordes. Le Christ obéit en tout à cette loi. Il s'en rend témoignage Lui-même, disant : Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir. (Mt. 5, 17). Et c'est pourquoi son Père l'appelle Psalterium.

 

Enfin, le Père appelle son Fils Cithara. La lyre représente la loi évangélique aux sons plus clairs et de plus grande portée. Le monde entier l'entendit selon cette parole : Leur voix s'est étendue jusqu'aux limites du monde. (Ps. 19, 5)

Et le Fils répondit à son Père : Je réveillerai l’aurore.

 

Quand la Vierge Marie sut l'heure de la Résurrection, je vous laisse à penser avec quel empressement elle se leva pour voir si l'aurore venait. Elle constata que non, et acheva le psautier. Puis elle voulut s'assurer si d'autres prophètes n'avaient pas mentionné l'heure de la Résurrection. Elle trouva au chapitre 6 d'Osée ce texte dans lequel le prophète parle au nom des apôtres : Après deux jours il nous rendra la vie, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence. Appliquons-nous à connaître Yahvé ; sa venue est certaine comme l'aurore. Remarquez l'expression Il nous rendra la vie. Les apôtres, en effet, avaient été frappés mortellement dans leur âme par leur incrédulité. – La Vierge alors se leva, disant : Ces témoins de l'heure où mon Fils doit ressusciter me suffisent ; et elle prépara la chambre et un siège, ajoutant : Là va venir s'asseoir mon Fils, et je pourrai converser avec lui. Puis elle regarda par la fenêtre, et vit que l'aurore commençait à poindre. Sa joie fut grande : Mon Fils va ressusciter, dit-elle. Puis, fléchissant les genoux, elle pria : Réveille-toi, sois devant moi et regarde, et toi, Yahvé, Dieu Sabaot, Dieu d'Israël, lève-toi. (Ps. 58, 6)

 

Et aussitôt, le Christ lui envoya l'ange Gabriel, disant : Vous qui avez annoncé à ma Mère l'incarnation du Verbe, annoncez-lui sa Résurrection. Sur-le-champ, l'ange vola vers la Vierge et lui dit : Reine du Ciel, réjouissez-vous ; car celui que vous avez mérité de porter dans votre sein est ressuscité selon sa promesse.

Le fait et les paroles ont été révélés au bienheureux Pape Grégoire qui ajouta ces mots : Priez Dieu pour nous. Aussitôt après le Christ se présenta, accompagné de tous les patriarches.

Si vous demandez comment ils pouvaient tenir tous dans cette petite chambre, je réponds que leur gloire est telle qu'ils auraient pu s'y trouver au nombre de plusieurs milliers, et même dans un espace moindre, par la vertu divine toujours à leur disposition comme l'insinue saint Thomas (Dist. 4e, art. 44). Et le Christ salua sa Mère, disant : La paix soit avec vous ! La Vierge alors, fléchissant les genoux, et pleine de larmes que faisait couler la joie, l'adora et baisa ses pieds et ses mains. Ô plaies bénies qui m'avez causé tant de douleurs ! Et le Christ, embrassant à son tour sa Mère, lui dit : Réjouissez-vous, ô ma Mère, car vous n'aurez désormais que de la joie. Puis il essuya ses larmes. Et il s'assit, et tous deux conversèrent doucement.

Oh ! Heureux qui eût pu assister à cet entretien ! Alors, elle dit à son Fils : Jusqu'ici, mon Fils, je vous rendais mon culte le samedi pour honorer le divin repos après la création du monde, à l'avenir, ce sera le dimanche, en mémoire de votre Résurrection, de votre repos et de votre gloire. Et le Christ approuva. Puis il raconta ce qu'il avait fait aux enfers, comme et il avait enchaîné Satan, et présenta à sa Mère les patriarches qu'il en avait ramenés. Et tous firent à la Vierge Marie un salut profond.

 

Je vous laisse à penser quels furents les sentiments d'Adam et d'Ève lorsqu'ils dirent à la Vierge Marie : Bénie soyez-vous, ô notre Fille et notre Maîtresse, vous dont parlait le Seigneur lorsqu'il dit au serpent : Je mettrai une hostilité entre toi et la femme. (Genèse, 3, 15). Ève ajouta : Par ma faute, j'ai fermé le paradis, mais vous, pleine de grâce, vous l'avez ouvert de nouveau. Et chaque prophète lui disait de son côté : J'ai prophétisé de vous en tel et tel passage de mon livre, etc. Et tous ensemble, la saluant humblement, s'écrièrent : Vous êtes la gloire de Jérusalem, la joie d'Israël et l'honneur de notre peuple. Et la Vierge leur rendit le salut en ces termes : Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour annoncer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. (I Petr., 2, 9) Et les anges, de nouveau chantèrent : Réjouissez-vous, Reine du Ciel.

 

 

IV. La Passion du Christ et la conversion des Juifs

 

Au temps de notre apôtre, il n'y avait pas que des chrétiens en Espagne. Vis-à-vis de ceux-ci, il y avait des infidèles : Maures et Juifs. Les premiers, cantonnés au sud, dans la province de Grenade, n'avaient que peu de rapports avec les Chrétiens. Il n'en était pas de même des Juifs, que l'on rencontrait un peu partout et qui avaient en mains la fortune et l'industrie. Cela portait parfois ombrage aux chrétiens qui, sous prétexte de guerre sainte, allaient jusqu'à les piller et les égorger. Maître Vincent, tout en partageant les idées de ses compatriotes sur le danger juif, était trop pénétré de la doctrine du Christ pour admettre la méthode brutale. Déjà, au temps de sa jeunesse, il avait déploré les pogroms qui ensanglantèrent Valencia. Au nom du christianisme il proclamait des idées beaucoup plus modernes que médiévales sur la tolérance. Il disait : « Les apôtres qui ont conquis le monde ne portaient ni lances ni couteaux. Les chrétiens ne doivent pas tuer les Juifs avec le couteau, entendez : tuer les erreurs qui empoisonnent leur âme et leur vie, mais avec des paroles, et pour cela les émeutes qu'ils font contre les Juifs, ils les font contre Dieu même, car les Juifs doivent venir d'eux-mêmes au baptême ». Cette tolérance de bon aloi lui gagna la sympathie de milliers de Juifs qui se mêlaient parmi ses auditeurs, si bien qu'on évalue à 25.000 le nombre des Juifs convertis par lui et à 8.000 celui des Musulmans. L'une de ses plus brillantes conversions fut celle d'un rabbin notable qui, sous le nom de Jérôme de Sainte-Foi, devint le médecin du pape Benoît XIII d'Avignon, et fut parmi ses anciens coreligionnaires le grand apôtre du christianisme. On retrouvera dans la page que nous citons et que nous empruntons à deux différents sermons, le zèle infatigable mais éclairé du prêcheur. Tous ses efforts tendent visiblement à éclairer ses auditeurs pour les convaincre à venir d'eux-mêmes au baptême. S'il ne réussit pas, tant pis, les Juifs sont responsables de leur conscience et peut-être que leur bonne foi sera agréée devant Dieu.

 

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L'aveuglement des Juifs.

 

THEME : Tout peuple qui voit, rend gloire à Dieu.

Lorsque les disciples entendirent Notre-Seigneur parler de sa Passion et de sa mort, ils ne comprirent pas, ignorant la raison pour laquelle il devait mourir.

Comprendre, c'est connaître les raisons et les causes.

Or, les Juifs qui, chaque jour m'entendent parler de la Passion, sont dans la même erreur ; quand ils retournent chez eux et dans leurs synagogues, ils relisent en vain leurs prophéties, parce qu'ils ignorent la cause. Cette cause, Juifs, la voici : en Dieu, la justice et la miséricorde ne sont pas des qualités comme chez nous ; mais bien son essence propre, c'est-à-dire lui-même.

C'est pourquoi si Dieu n'eût pas voulu racheter le monde par sa Passion, mais se fût contenté de dire : Je veux que la nature humaine soit sauvée, où serait sa justice ? De même, s'il eût dit : Je veux qu'elle soit perdue, où serait sa miséricorde ? D'un côté, il n'y aurait eu qu'infinie miséricorde, et de l'autre, qu'infinie justice, mais, à coup sûr, pas tous les deux à la fois.

Et c'est pourquoi il a voulu se montrer juste et miséricordieux tout ensemble ; c'est-à-dire que le, Fils de Dieu, qui était sans péché, devenu homme dans le sein de la Vierge Marie, a racheté la nature humaine perdue par le péché d'Adam à l'instigation d'Ève, vierge encore. En acceptant de mourir, il a été miséricordieux ; en payant le prix de sa rédemption, il a été plein de justice. David, prophétisant de l'un et de l'autre, dit : Les lacets de la mort m'enserraient, les filets du shéol me tenaient... Jahvé est justice et pitié. (Psaume 116, 3 et 5)

C'est ainsi que la miséricorde de Dieu se manifeste, en ne laissant pas périr le monde, et sa justice, en le rachetant par un prix suffisant. Or, personne ne pouvait payer ce prix que le Fils de Dieu, fait homme et mourant. Les cités de refuge, dont il est question au livre du Lévitique, figurent cette Passion du Christ, et c'est du sacerdoce de Jésus-Christ, vrai Messie, que parle tout ce chapitre.

David exprime en termes formels ce sacerdoce perpétuel dans le psaume Dixit Dominus : Yahvé l'a juré et ne s'en dédira point : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech ! » (Psaume 110, 4)

 

Il n'y a pas et ne peut y avoir de prêtre perpétuel que Jésus-Christ.

Enfin, le psaume 21 est une histoire anticipée de la Passion du Christ, et ne peut s'entendre absolument que de lui ; aussi le Christ a-t-il voulu le redire durant sa Passion. Isaïe, au quatrième chant du Serviteur de Yahvé (52, 9 et 10), parle de Celui qui a été frappé à mort pour nos péchés, alors qu'il n'avait jamais fait de tort. Ce qui ne peut manifestement s'appliquer qu'au Christ, véritable Messie.

Ainsi donc, ô Juifs, ouvrez les yeux et ne restez pas volontairement aveugles en face de la vérité des Écritures. Si vous voulez être éclairés, rapprochez-vous de Dieu par le baptême. Ecoutez David, disant : Qui regarde vers lui resplendira : sur son visage point de honte. (Psaume 33, 6)

 

 

Application aux Juifs du paralytique de la piscine (appel au baptême).

Un paralytique attendait son tour, mais parce qu'il n'avait ni serviteur, ni aide pour le jeter dans la piscine, il resta bien là trente-huit ans sans pouvoir être guéri.

Le Christ ayant pitié de lui, lui dit : Voulez-vous être guéri ? Oui, répondit l'homme. Et il croyait, disent les interprètes, que Notre-Seigneur voulait simplement le prendre sur son dos et profiter de la venue de l'ange. Mais le Christ lui ordonna de prendre son grabat ; et aussitôt il fut guéri. Isaïe a prédit cela, ô Juifs, lorsqu'il dit : Tournez-vous vers moi pour être sauvés, car je suis Dieu sans égal ! (45,22)

 

Venons-en maintenant à deux applications pratiques et très belles de notre cas.

Tout d'abord celle-ci. Le Christ voulut guérir cet homme sans le secours de la piscine, préférablement aux autres, parce que les autres pouvaient profiter du moyen ordinaire et que ce malade ne le pouvait pas : ce qui signifie que ceux qui peuvent être conduits au baptême ne seront sauvés qu'à condition d'être baptisés. Si quelqu'un toutefois ne peut pas être conduit au baptême et qu'il ait, par ailleurs, un cœur ferme dans la foi chrétienne, en vue de recevoir le baptême si cela était possible, s'il vient à mourir, il est guéri de ses infirmités morales comme ce paralytique.

Si donc, ô Juifs, vous ne pouvez venir au baptême ni y conduire vos enfants, la foi chrétienne suffira pour vous sauver, sinon le paradis n'est pas pour vous, selon le mot de saint Paul : Lorsque l'ardeur y est, on est agréé pour ce qu'on a ; il n'est pas question de ce qu'on n'a pas. (2 Cor., 8, 12)

La seconde application vient de la parole de Notre-Seigneur au paralytique : Allez dans votre maison. Cette maison est le paradis, ouvert à ceux qui sont baptisés et guéris de leurs fautes.

Si donc, ô Juifs, vous n'êtes pas comme ceux qui sont baptisés ou tout au moins qui ont le désir du baptême, il n'y a pas à compter sur la demeure du paradis que Moïse n'a point promise dans l'ancienne loi, mais seulement une demeure terrestre et les biens de ce monde.

 

 

Au sujet des enfants morts sans baptême.

De même qu'il consola ses disciples après sa Résurrection, de même le Christ apporte aux enfants morts sans baptême cinq consolations, comme il y a cinq doigts dans la main :

1° la certitude de ne plus offenser Dieu, ce qui est une grande douceur à l'âme ;

2° la certitude de ne pas être damnés ;

3° la consolation d'être justes ;

4° de n'avoir aucune tristesse intérieure ;

5° l'espérance de ressusciter hommes faits, bien qu'alors tout petits enfants.

 

 

V. Les joies et les signes du repentir

 

Il n'est point de convertisseur d'âmes qui n'ait eu à parler du repentir. Pour préparer à cette amère tristesse de l'âme, les prédicateurs ont tonné, tempêté, menacé. Saint Vincent Ferrier l'a maintes fois fait en des prédications qui évoquaient les terribles jugements de Dieu. Mais après avoir brandi la menace, l'apôtre s'apaisait et évoquait la parabole du retour dans la maison du Père. Quand sonne l'heure du repentir : la mort s'éloigne et la vie spirituelle renaît. Quels sont les éléments générateurs du repentir, quelle en est la genèse, à quels signes peut-on la reconnaître ? Voilà le problème soulevé par le contact quotidien avec les âmes pécheresses. Ceux qui pleurent et qui expient, blessés par cette peine d'amour qu'est le repentir, trouveront dans ce qui suit une certitude d'espérance, de consolation et de paix. Vincent Ferrier leur découvre les abîmes et les joies de leur être purifié.

 

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THEME : Maître nous voulons avoir un signe de vous.

Les personnes pénitentes me demanderont peut-être un signe auquel elles pourront reconnaître que leur pénitence est agréable à Dieu.

Sachez d'abord que les docteurs discutent pour savoir si on peut être absolument certain d'être en grâce avec Dieu.

Il faut distinguer entre la certitude de science et la certitude conjecturale, comme on le fait pour la présence de l'âme dans le corps. On ne peut scientifiquement constater que l'âme est dans le corps, mais on le peut par conjecture, c'est-à-dire par les effets produits, comme la vue, l'ouïe et les autres sens. En effet, si le corps voit, c'est une preuve que l'âme habite le corps. (1)

Or, de même que Dieu a fait l'âme pour habiter le corps, de même il a fait la grâce pour habiter l'âme. Mais on ne peut savoir par raisons déductives si une âme est en grâce selon le mot du Sage (Eccl. 9, I) : J'ai compris que les justes, et les sages, et leurs œuvres, sont dans la main de Dieu. L'homme ne connaît ni l'amour, ni la haine.

Si ces sentiments, qu'il éprouve pourtant, restent pour lui une énigme, il peut savoir conjecturalement s'il est digne d'amour ou de haine par les effets produits, comparés à ceux des sens corporels.

Il peut le savoir par la vue, lorsque l'âme est heureuse de contempler Dieu, sa gloire et ses bienfaits ; par l'ouïe, lorsque l'âme se trouve consolée en entendant les prédications, la messe, la doctrine du salut. Et c'est pourquoi Notre-Seigneur disait aux Juifs (Jean, 8, 47) : Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu ; si vous n'entendez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu. De même par l'odorat, lorsque l'âme aspire avec plaisir les parfums de vertu, comme lorsque quelqu'un a pardonné à son ennemi, ou bien changé de vie. Elle rend alors grâce à Dieu de ce bien opéré. De même pour le goût, l'âme reçoit de la consolation et de la joie (lorsque, avant de communier, elle s'y prépare soigneusement, sachant se priver la veille en vue de cette communion).

On reconnaît encore que la grâce habite une âme lorsque, communiant ou priant, elle se désaltère à la rosée amère des larmes, ou lorsqu'elle vibre facilement au sens de Dieu ; quand, par exemple, venant à pécher même légèrement par un peu d'excès dans la nourriture, le rire ou le sommeil, elle est saisie d'un sentiment vif de repentir et de crainte de Dieu.

La parole fait encore reconnaître la vie d'une âme, lorsqu'elle parle volontiers de Dieu, qu'elle le loue, le prie avec goût, prononçant les paroles saintes et les formules de l'Office divin.

Les œuvres servent de preuves aussi lorsque l'âme trouve de la joie dans l'âpreté de la pénitence, dans l'austérité du jeûne et choses semblables ; et encore lorsqu'elle avance dans le bien, croissant en vertu, en piété et ne revenant jamais en arrière. Saint Paul disait de lui-même : C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. Et dans le psaume 85, 8, il est dit : Fais-nous voir, Yahvé, ton amour, que nous soit donné ton salut !

Et c'est ainsi qu'en parlant des âmes pénitentes, on peut dire : Maître, donnez-nous un signe certain.

 

 

VI. Le sens caché des Écritures

 

Pour mener vingt ans durant sur les routes d'Europe cette vie d'apôtre ambulant, il faut que maître Vincent ait été doué d'une santé robuste. Ses biographes le laissent entendre. S'ils ne signalent pas qu'il fût malade, ils disent néanmoins qu'il fût comme tout mortel sujet à des inconvénients de tout genre. Et pour un prédicateur qui chaque jour doit donner son sermon, quel plus grand inconvénient qu'une complète extinction de voix. Il arriva donc que maître Vincent fut enroué. Cet inconvénient devint, quand il put reprendre la parole, le sujet d'un sermon plein de bonhomie sur le sens caché des Écritures. Il prit pour thème, ces paroles : Il leur découvrit le sens caché des Ecritures. Parlant de son extinction de voix, il exposa pourquoi Dieu l'avait permise. Ce n'est qu'un canevas, extrait du manuscrit autographe de Valence, mais qui laisse deviner l'esprit d'adaptation du prédicateur. On a nettement l'impression de sentir passer son souffle.

 

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THEME : Il leur découvrit le sens caché des Ecritures.

J'ai d'abord à vous faire connaître, bonnes gens, le secret de mon enrouement, et j'y vois une bonne matière à traiter pour l'instruction des Chrétiens et des Juifs. Disons donc : Ave Maria.

 

 

I Le sens.littéral du texte.

Expliquons tout de suite le sens littéral de mon texte, car il rappelle un grand miracle de Notre-Seigneur. Ses disciples étaient grossiers, peu ouverts à l'intelligence des Ecritures, des prophéties et des mystères, aussi son premier soin, après sa Résurrection, fut-il de leur découvrir le sens caché : et c'est un bien plus grand miracle d'ouvrir les yeux de l'intelligence que ceux du corps. C'était le jour de Pâques ; Notre-Seigneur apparut à ses disciples, les signa au front, disant : Que votre esprit s'ouvre. Et leur esprit fut ouvert. Il leur avait du reste annoncé cela : Je vous donnerai moi-même un langage et une sagesse, à quoi nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire (Luc, XXI, 15).

 

Et dans l'Ancien Testament : J'enfouis ce témoignage, je scelle cette révélation au cœur de mes disciples... Moi et les enfants que Yahvé m'a donnés, nous sommes des signes et des présages en Israël (Is., VIII, 16-17). Tel est le sens littéral du texte ; mais je veux l'appliquer à mon extinction de voix et vous en dire les raisons. Il y en a trois. La première est particulière et me regarde, la deuxième est générale et vous regarde, la troisième est spéciale et regarde les Juifs.

 

 

Il. Les applications du texte

 

1°) D'abord celle qui me regarde. Sachez qu'il n'y a pour ainsi dire qu'une vertu, l'humilité, sans laquelle les autres ne valent rien, car elles se perdent et s'en vont comme du blé par un sac troué. C'est pourquoi il faut être humble, sans hypocrisie, ni recherche de vaine gloire, avoir toujours le cœur ouvert à Dieu, et ne vouloir que son honneur. David et Saül nous en offrent des exemples, et on en trouve d'autres autorités, soit dans l'Ancien soit dans le Nouveau Testament. Il demeure prouvé par là que l'humilité seule conserve la créature dans l'amitié de Dieu. Et c'est pourquoi Dieu, quand il choisit quelqu'un pour son service, lui envoie des empêchements, juste en ce qu'il désire le plus, afin qu'il s'humilie et ne se perde pas par la vaine gloire. Moïse en est une preuve lorsque Dieu le rendît bègue. Seigneur, disait-il, qu'est ceci ? Depuis deux jours je ne puis parler, depuis que votre voix s'est fait entendre, ma langue est devenue comme paralysée. Or, Moïse avait précisément à parler au peuple, et il dut le faire par truchement, c'est-à-dire par son frère Aaron : et d'un cœur de lion qu'il avait et qui lui faisait opérer des prodiges, il n'eut plus qu'un cœur de fourmi ; et il était humilié, ne risquant plus rien de la vaine gloire. Saint Paul faisait des miracles et ressuscitait des morts, mais il ne pouvait se guérir de la concupiscence, et il disait : Pour que la grandeur de mes révélations ne m'enorgueillise pas, l'aiguillon de la chair m'est resté, et c'est comme le soufflet de Satan. Ainsi ces deux grands hommes avaient le frein obligé de l'humilité. À plus forte raison en ai-je besoin, moi chétif, et dois-je le dire : Dieu l'a voulu pour que mes nombreuses prédications ne m'inspirent aucune vaine gloire, et qu'ainsi je n'oublie pas que Dieu pourrait m'enlever la voix à jamais.

 

2°) La seconde regarde vos âmes. - Le, salut des âmes est le souci principal de Dieu. C'est pourquoi Dieu m'a envoyé cette extinction de voix, pour donner à un plus grand nombre d'âmes l'occasion de se convertir, en me forçant à prolonger ici mon séjour. Vous savez que j'étais parti de cette ville avec l'intention de ne plus revenir, mais j'ai dû retourner pour procurer tout ce bien qui s'est fait de nouveau par les confessions, les jeûnes, les disciplines des petits enfants même et des soldats... Je suis revenu de sept lieues de loin pour le salut de tant d'âmes : Pour eux, disait saint Paul, je souffre jusqu'à porter des chaînes comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée. C'est pourquoi j'endure tout pour les élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut qui est dans le Christ Jésus avec la gloire éternelle (2 Tim., II, 9). Et voilà l'explication de notre texte : Il leur découvrit le sens caché.

 

3°) La troisième raison est spéciale et regarde les Juifs. - Dieu promit à Abraham que de lui naîtrait le Messie, disant : En vous seront bénies toutes les nations (Gen., XXI, 18) ; les Juifs disent : « Nous sommes de la race d'Abraham, donc Dieu nous doit la bénédiction, c'est-à-dire le salut ». Mais tel n'est pas le sens véritable. Il est dit que les nations doivent être bénies dans la race d'Abraham, c'est-à-dire dans le Christ qui devait naître de cette race. Ils seront donc bénis, ceux qui obéiront à ce Christ, qui a pris son sang de la race d'Abraham. Mais comme les Juifs n'étaient pas encore très éclairés sur ce point, Dieu a voulu me faire retourner et m'a envoyé mon extinction de voix. Car nul obstacle ne m'eût arrêté, pas même une jambe cassée, ni l'obligation d'aller sur un âne pour prêcher. Et c'est pourquoi beaucoup ont été convertis ou se convertiront, ayant déjà la foi au cœur, d'après ce qu'ils ont entendu de l'Incarnation, de la Trinité, de la Passion.

 

 

III. Conclusion : Adresse aux chrétiens pour les néophytes.

Ainsi donc, bonnes gens, ne vous contentez pas, je vous en conjure, d'expliquer à ces néophytes les vérités de la foi, mais admettez-les aux emplois publics, lucratifs et honorables. Dites-leur ces paroles du livre des Nombres : Si vous venez avec nous, ces biens dont Yahvé nous gratifiera, nous vous en gratifierons (Num., X, 32).

 

Et voilà les raisons pour lesquelles Dieu a permis mon extinction de voix, et telle est la dernière explication de notre texte : Et il leur découvrit le sens caché des Écritures.

 

 

VII. Sur la persévérance

 

THÈME : Celui qui a commencé le bien en vous en poursuivra l'accomplissement (Philip. I, 6).

Trois enseignements sur ce sujet :

1° Notre persistance dans le bien vient de Jésus-Christ.

2° Le désistement de la vie spirituelle vient de nous,

3° La prière obtient la persévérance finale.

 

1. Le premier est exprimé en ce texte des physiques d'Aristote : Parmi les choses naturelles qui reçoivent une forme étrangère, les unes la gardent indéfiniment, les autres seulement tant que dure la présence de l'agent ; ce qui se voit, soit dans un flambeau allumé et de l'eau échauffée, soit dans l'air éclairé et un miroir réflecteur. C'est de cette seconde manière que la grâce est reçue d'en haut par l'âme, car tout son être vient de Dieu influant continuellement : C'est par grâce que vous êtes sauvés, dit saint Paul (Ephes., 2, 5). Et le Christ : Demeurez en moi, comme moi en vous. Je suis le cep, etc. (Jean 15, 4 sq.)

 

2. Le second enseignement est représenté par cette statue de Daniel (ch. 2) dont la tête était d'or pur, et qui renferme les cinq états de la vie de notre âme par gradation descendante, à savoir : 1° la perfection de la charité ardente ; 2° les œuvres et l'éclat de la chasteté qui demeurent malgré la ferveur tombée ; 3° quand les œuvres cessent et que la conscience est souillée, il reste encore l'habitude de parler de Dieu ; 4° vient ensuite l'obstination de la perversité ; 5° enfin toutes les dégradations de la chair. Êtes-vous à ce point dépourvus d'intelligence, que de commencer par l'esprit pour finir maintenant dans la chair ? (Gal., 3, 3) Vous qui ne savez pas ce que vous deviendrez demain : vous êtes une vapeur qui paraît un instant, puis disparaît. (Jacques, 4, 14)

 

3. Le troisième enseignement ressort de la libéralité de Dieu qui, volontiers, donne la persévérance. Il dit lui-même : Quel est d'entre vous le père auquel son fils demande un œuf et qui lui remettra un scorpion ? (Luc II, 12) Remarquez la forme de l'œuf qui n'a pas de fin et qui finalement, contenant un fruit, figure le don, la douceur, la qualité, la quantité, l'ulité, la fécondité de la persévérance. Tandis que le scorpion, ayant le venin dans la queue, indique la perte finale de la vie spirituelle. Dites donc avec le psaume 15 : Garde-moi, ô Dieu, mon refuge est en toi.

 

 

(1) Il ne faut pas considérer cette affirmation comme une démonstration de l'existence de l'âme dans le corps. L'intention première de Vincent Ferrier est de prêcher la présence de la grâce dans l'âme humaine. Le reste n'est qu'un appel oratoire à un thème philosophique popularisé. Il s'adresse à des gens qui croient à l'existence de l’âme dans le corps. Si l'âme quitte le corps, celui-ci ne peut plus voir. Donc, s'il voit, c'est que l'âme est présente. Elle est présente parce que faite pour le corps (autre thème répandu à l'époque de V. F.) : et ainsi la grâce est-elle faite pour l'âme. Il s'agit donc d'un exemple basé sur un parallélisme assez vague pour n'entraîner aucune conséquence grave. Il fait songer à la mauvaise comparaison du Symbole de saint Athanase : « Comme l’âme rationnelle et le corps ne font qu'un seul homme, ainsi Dieu et l'homme (la divinité et l'humanité) ne font qu'un seul Christ ».