II

 

DE LA QUATRIÈME TENTATION QUI EST LA TENTATION POUR LA FOI

 

 

La quatrième tentation dont parle le prophète dans le psaume déjà cité c'est la persécution claire et nette, c'est de cela qu'il traite par ces mots ab incursu et demonio meridiano.

De toutes les tentations, celle-ci est la plus dangereuse, la plus aiguë, la plus rigoureuse. Dans les autres tentations, le démon use de pièges attrayants, pour faire tomber le chrétien dans le péché, il se glisse dans l'obscurité, ou encore, il se déplace avec la rapidité d'une flèche, si bien que sa victime est trompée et ne s'aperçoit même pas de sa présence.

Mais dans cette tentation-ci, c'est-à-dire dans la persécution pour la foi, le Malin arrive au beau milieu du jour, c'est-à-dire, même sur ceux qui ont une foi très vive. Il lui est indifférent d'être distingué très nettement par ses haineuses persécutions contre les chrétiens, par sa haine de la vraie foi catholique et qu'aucun croyant ne puisse ignorer qui il est. Dans cette tentation, il se montre tel que le prophète l'appelle « le démon de midi », tant il est facile à un fidèle de l'apercevoir. C'est pour cela que le prophète parle du « bouclier » qui protégera le fidèle des attaques du démon de midi : cette sorte de tentation n'est pas une tentation par la ruse, c'est un assaut furieux. Dans la persécution que les Turcs ont déchaînée, le démon ne se fait pas renard, mais plutôt lion rugissant.

 

Dans les tentations de la prospérité, il n'emploie que des ruses séduisantes, dans celles de l'adversité, il n'emploie que la douleur et la peine pour amener sa victime à l'impatience et au blasphème, mais dans la persécution pour la foi, il emploie les deux méthodes c'est-à-dire qu'il présente des images de paix et de tranquillité et aussi des plaisirs qu'offre cette vie, et en même temps il terrifie par l'idée de douleurs intolérables.

Dans d'autres épreuves comme la maladie, la mort, la perte d'un être cher, le danger n'est jamais aussi grand. Dans les autres épreuves, le fait qu'on ne peut échapper à la peine incite à la patience, à remercier Dieu d'avoir envoyé cette épreuve, à se faire un mérite de la bien supporter et à espérer une récompense. Mais en ce qui concerne la persécution subie pour la foi – je ne parle pas du combat sur le champ de bataille où fidèles et infidèles se dressent l'un contre l'autre de la même façon, mais bien du moment où le fidèle est pris et peut, s'il renie sa foi, être libéré et même garder la possession de ses biens – dans ce cas, dis-je, puisqu'il ne souffrira que s'il le veut, il est en grand danger de tomber dans le péché que le démon voudrait lui faire commettre : c'est-à-dire renoncer à sa foi. C'est pourquoi, je le répète, de toutes les tentations du démon, la persécution pour la foi est la plus dangereuse.

 

VINCENT : Plus la tentation est dangereuse, mon cher oncle, plus ceux qui sont en danger doivent être armés, préparés par de bons conseils. C'est ainsi que nous supporterons le mieux cette épreuve quand elle viendra, et que nous écarterons le mieux la tentation.

 

ANTOINE : Vous dites vrai, mon neveu, et je suis heureux de voir que nous sommes d'accord sur ce point.

Mais il me semble que vous avez plus peur que moi de cette épreuve et, en quelque manière, vous êtes excusable. Je suis plus âgé que vous et j'ai déjà enduré tant de souffrances ; ce sont ces souffrances qui vous donnent à penser que vous pourriez en subir autant. Je vous donnerai contre chaque souffrance un conseil, et je vous fournirai des arguments de réconfort autant que mon pauvre esprit pourra s'en remémorer.

 

VINCENT : En toute bonne foi, mon oncle, je ne suis pas seulement effrayé pour moi-même, mais j'ai de bonnes raisons de craindre pour d'autres, hommes et femmes de tout âge.

 

ANTOINE : J'ai peur pour les mêmes personnes que vous, puisque vos parents sont également les miens. Mais, dans tout ceci, il faut craindre à la fois pour soi-même et pour les autres. Il est dit dans l'Écriture que chacun doit avoir soin des siens (1 Tm., 5, 8). Or, dans un danger comme celui-ci, il faudrait n'avoir aucune étincelle d'amour chrétien pour ne pas s'inquiéter non seulement des siens, mais aussi de ses ennemis. Aussi, mon cher neveu, n'allons-nous pas penser aux malheurs particuliers qui pourraient nous arriver à vous ou à moi, mais bien aux malheurs en général qui pourraient atteindre n'importe qui.