VII

 

OÙ IL EST QUESTION DE CEUX QUI NE PEUVENT TROUVER EN LEUR CŒUR LE REGRET DE LEURS FAUTES

 

 

VINCENT : En vérité, mon oncle, ce langage me semble un peu dur. Non que je ne sois d'accord avec vous sur l'ensemble, mais il arrive qu'un pécheur, même s'il le désire, ne parvienne pas à regretter son péché. Il y en a qui, se rappelant leur défaillance, ne peuvent s'empêcher d'en rire. Si la contrition et la tristesse étaient indispensables à la rémission des fautes, bien des gens, ce me semble, seraient en dangereuse posture.

 

ANTOINE : Bien des gens y sont en effet ! Les saints sont sévères sur ce chapitre. Mais « Ses tendresses s'étendent sur toutes ses créatures » (Ps., 145, 9) et « Il n'est soumis à aucune règle, il connaît la fragilité de ces esquifs qu'il fit lui-même, il est miséricordieux, il prend en pitié et en compassion nos faiblesses, il n'exigera pas de nous plus que nous ne pouvons lui donner » (Ps., 103).

Mon neveu, celui qui est dans cet état d'esprit doit remercier le Seigneur de n'être pas pire, et d'avoir au moins l'intention de mieux vivre à l'avenir. Mais puisqu'il ne parvient pas à regretter ses fautes, qu'il déplore au moins de ne pas s'être, d'ores et déjà, amélioré.

Saint Jérôme dit à celui dont le cœur est rempli de contrition de se réjouir à cause même de cette contrition ; moi je conseille à celui qui ne peut se repentir de s'attrister parce qu'il ne peut le faire.

Je souhaite que jamais personne ne désespère. Mais qu'il prenne bien garde celui qui ne peut parvenir à la contrition. Car c'est l'indice d'une foi qui s'amollit, d'une piété qui se relâche.

Si nous étions pénétrés de la foi en Dieu, si nous nous inclinions devant sa majesté, si nous pensions à son immense bonté, alors nous devrions trembler de terreur devant lui ; notre cœur devrait se briser, car l'amour et la gratitude devraient le faire éclater en sanglots. J'ajoute que le fait de ne ressentir aucun regret d'un péché dénote un manque de pureté, et rien d'impur ne peut entrer au ciel. Je donne à ceux qui se trouvent dans cet état le conseil que Maître Gerson (1) donne à tout le monde : puisque l'homme a un corps et une âme, moins l'âme est affligée, plus il faut imposer de souffrance au corps, plus il faut purger l'esprit par le mortifiement de la chair.

En agissant ainsi, on finira par avoir le cœur gonflé de larmes et on sentira se répandre dans l'âme une bienfaisante tristesse en même temps qu'une céleste joie. Il ne faut jamais manquer non plus de joindre à ces pratiques vertueuses une prière pleine de confiance.

Cher neveu, je vous ai dit l'autre jour que sur ces sujets je ne voulais pas discuter avec ces hommes nouveaux, mais je ne puis pourtant pas leur donner raison, car, pour autant que mon pauvre esprit puisse discerner, la Sainte Écriture de Dieu leur donne entièrement tort, ainsi que toute la chrétienté. Ils ont contre eux les gens qui ont vécu dans le pays même de ces novateurs ainsi que les saints Docteurs et les saints interprètes de l'Écriture, qui ont vécu au cours des âges. Si ces novateurs découvrent tout à coup que l'Écriture a de tout temps été mal comprise, que parmi tous ces Docteurs des siècles passés il n'en était pas un qui eût pu l'interpréter correctement, alors je devrais me mettre à mon tour à étudier l'exégèse.

Hélas ! Je suis trop vieux pour cela. Je n'ose pourtant pas me fier à la science de ces novateurs, mon neveu, car je ne vois pas pourquoi ils ne se tromperaient pas aussi bien que les autres se sont, à les en croire, trompés avant eux. Cependant ; s'ils ne se sont pas trompés, s'ils ont vraiment trouvé un chemin si facile vers le ciel, soit ! Qu'ils ne réfléchissent pas, qu'ils mènent joyeuse vie, qu'ils ne fassent pas pénitence, mais trinquent à la santé de Notre Sauveur et qu'on remplisse les verres ! La Passion du Christ paiera l'écot ! Ce n'est pas moi qui envierai leur chance, mais je ne conseille à personne de s'aventurer avec eux sur cette voie-là !

 

Ceux qui jugent dangereux ce chemin, ceux qui préfèrent l'épreuve de la mortification et du repentir y trouvent le merveilleux réconfort dont je vous ai entretenu. Et puisque ces personnages s'ébaudissent si aisément au sujet de la pénitence, nous ne leur parlerons pas non plus du réconfort qu'ils y pourraient trouver.

 

(1) Jean Charlier dit Jean de G., théologien français né en 1362, mort en 1428.