II

 

DU PEU DE TEMPS QU'IL RESTE À VIVRE AUX PERSONNES ÂGÉES OU MALADES

 

 

ANTOINE : Cher neveu, j'y ai pensé depuis notre dernière rencontre. Si nous voulions le traiter à fond, il y faudrait bien plus de temps qu'il ne m'en reste à vivre. Et tous mes moments ne sont pas pareils. Il y en a de bien pénibles, pendant lesquels je souhaite mourir. Mes bons jours sont rares et vite passés. Je ne puis trouver meilleure comparaison que celle d'une chandelle presque entièrement brûlée. On pourrait la croire éteinte, car le bord du chandelier en cache la flamme, mais parfois cette flamme s'élève un peu et donne une brève lumière, jusqu'à ce qu'enfin elle s'éteigne complètement. C'est ainsi que bien souvent je crois ma mort proche, et puis j'ai quelques bons moments, comme maintenant. On pourrait croire que ces bons jours vont durer. Mais je sais que je n'en ai plus pour longtemps et même si je vous parais vraiment mieux portant, je tiens chaque jour pour mon dernier. On dit souvent pour calmer la jeunesse « qu'on voit au marché des peaux d'agneaux aussi bien que des peaux de béliers ». Il y a pourtant une différence, c'est que, s'il arrive qu'on meure en pleine jeunesse, le vieillard, lui, sait qu'il ne pourra vivre longtemps.

 

C'est pourquoi, mon neveu, je laisserai de côté les sujets que j'aurais traités en d'autres circonstances et j'en garderai très peu. Toutefois, si Dieu le permet, nous y reviendrons plus tard.