XIII

 

L'ADVERSITÉ PEUT NOUS ÊTRE PLUS SALUTAIRE

QU'UN BONHEUR CONSTANT

 

 

ANTOINE : Il serait trop long, neveu, d'examiner tous les sujets de consolation qu'on peut trouver dans l'épreuve, mais nous pouvons voir quelles sont les raisons d'inquiétude de ceux qui en sont préservés.

Nous ne sommes pas venus ici-bas pour y demeurer, l'Écriture l'affirme, les saints l'ont toujours répété et notre propre expérience nous le dit. « Notre demeure, dit saint Paul, n'est pas ici-bas, nous sommes ici pour chercher notre demeure future » (Héb. 13, 14). En somme, saint Paul veut nous persuader de chercher cette autre demeure, car celui qui ne la cherche pas ne risque guère de la trouver. « Courez », dit saint Paul (1 Cor., 9, 24). Qu'arrivera-t-il à celui qui ne fait pas un pas ?

 

Puisque nous ne sommes pas ici-bas pour y rester, Dieu désire que nous nous conduisions en voyageurs désireux de quitter ce monde. Il veut que, dans cette vallée de larmes, nous ne recherchions pas le repos, le plaisir, le bonheur. Ceux qui le font ressemblent à cet idiot, qui au lieu de rentrer dans sa belle demeure, s'arrête à l'auberge et meurt dans une étable. Ceux qui se perdent en cherchant les richesses de ce monde ne sont-ils pas plus fous encore ? Leur folie dépasse celle de l'idiot dont je vous parlais de toute la distance qui sépare le ciel de l'enfer. Car Notre-Seigneur a dit : « Malheur à vous qui êtes dans la joie maintenant, car vous serez dans les larmes » (Lc., 6, 25). Et l'Écriture dit : « Il y a un temps pour les pleurs et un temps pour la joie » (Eccl., 3, 4). Vous voyez qu'elle met le temps des pleurs en premier, c'est celui que nous passons sur terre, la joie viendra après, au paradis. Il y a d'abord les semailles, ensuite viennent les moissons : nous semons en ce monde ce que nous récolterons dans l'autre. Nous devons, pendant ce bref temps des semailles, arroser de nos larmes ce que plus tard, dans l'autre monde, nous récolterons dans la joie éternelle. « Ils semaient tout en pleurant » dit le prophète. Mais il poursuit : « Ils reviendront, débordant de joie, les bras chargés d'épis » (Ps., 126). En route vers le ciel, ceux qui sèment en pleurant ressusciteront en joie au jour du jugement. Voici une preuve que ce monde n'est pas un lieu de réjouissance : Notre-Seigneur a pleuré à deux ou trois reprises, mais il n'est dit nulle part qu'il a ri. Je ne jurerai pas qu'il ne l'a jamais fait, mais ce n'est mentionné nulle part, alors qu'à plusieurs reprises, on nous rapporte qu'il a pleuré.

 

Nos péchés et ceux des autres nous fournissent bien des occasions de nous attrister, c'est du moins ce que nous devrions faire, déplorer leurs péchés et non nous amuser à en médire ou à les envier. Hélas ! Pauvres âmes, pourquoi les envier, même s'ils sont riches et sans soucis ? C'est d'eux que Job a dit : « Ils vivent dans la richesse et l'abondance, mais au moment de leur mort, ils seront précipités en enfer » (Job, 21, 13).

 

Saint Paul dit aux Hébreux que Dieu châtie ceux qu'il aime et qu'il veut recevoir dans son paradis (Héb., 12, 6). Saint Paul dit encore : « C'est en passant par beaucoup de tribulations que nous atteindrons le Royaume des Cieux ». Notre Sauveur a dit lui-même aux disciples d'Emmaüs : « Ne savez-vous pas que le Christ doit souffrir avant d'entrer dans son royaume ? » (Lc., 24, 26). Et nous, ses serviteurs, pouvons-nous revendiquer des privilèges qu'il n'a pas eus lui-même ? Voudrions-nous parvenir au paradis sans mal, alors que lui a dû souffrir ? Il a créé son royaume pour ses disciples et nous a dit à tous : « Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il prenne sa croix et me suive » (Mt., 16, 24 ; Lc., 9, 23 ; Mc., 2, 24). Il ne dit pas : « Qu'il prenne du bon temps ! » Ainsi, nous voyons dans la Sainte Écriture combien sont vraies les paroles des saints qui tous disent que nous ne pouvons espérer être comblés de bienfaits à la fois dans ce monde et dans l'autre. Ceux qui vivent dans une continuelle prospérité doivent craindre d'être abandonnés de Dieu et d'encourir sa colère, mais ceux qui souffrent doivent trouver dans leur épreuve même un soutien spirituel.