NOTICE SOMMAIRE

SUR LA VIE ET LES ECRITS

D'EMMANUEL SWEDENBORG
 

I


     « Il n'est pas d'homme plus remarquable qu'Emmanuel Swedenborg, au point de vue du développement de certaines facultés de l'âme; et malgré tout ce qu'il a écrit et tout ce qu'on a écrit sur son compte, il n'est pas d'homme qui offre encore un sujet plus intéressant à la critique. »

     Ainsi s'exprime M. Matter, conseiller honoraire de l'Université, dans la préface du volume qu'il a publié en 1863 sur le célèbre théosophe dont nous allons exposer brièvement la vie et les doctrines.

     Les renseignements abondent pour faire connaître Swedenborg.

     Ils ont été réunis dans un travail très complet, publié en 3 vol. grand in-8°, 1875-77, par le professeur R. L. Tafel, sous les auspices de la Société Swedenborgienne de Londres. C'est à ces sources qu'on devra puiser si l'on veut approfondir l'étude d'une personnalité qui, pour le plus grand nombre, est restée un insoluble problème. Pour nous qui avons surtout en vue de signaler à nos lecteurs les puissantes et lumineuses doctrines qui se dégagent des oeuvres d'un auteur très mal connu, doctrines qui donnent une force toute nouvelle aux armes habituellement employées pour défendre la cause du spiritualisme contre la marche envahissante de l'école positiviste, nous nous attacherons principalement à présenter une analyse des thèses philosophiques et religieuses de Swedenborg. Leur étude doit d'ailleurs précéder tout examen critique de ses visions, examen que nous n'entreprendrons pas parce qu'il augmenterait singulièrement les difficultés de notre tâche et dépasserait le but que nous nous proposons.

     Emmanuel Swedberg, plus tard appelé Swedenborg, est né à Stockholm, le 29 janvier 1688. Il était le second fils de Jasper Swedberg, aumônier d'un des régiments de Charles XI, roi de Suède, qui devint ensuite évêque de Skara. Lorsque le jeune Swedberg quitta la maison de son père, ce fut pour entrer à l'Université d'Upsal où il eut quelques succès. Ses études étant terminées à vingt et un ans, il commença son tour d'Europe et visita l'Angleterre, la France, la Hollande et l'Allemagne, cherchant partout à se mettre en rapport avec les savants les plus distingués des pays qu'il parcourait. Après avoir passé près de cinq années à élaborer à l'étranger une quantité de projets scientifiques dont il attendait de brillants résultats, il retourna en Suède, publia quelques poèmes et fonda ensuite une revue intitulée Daedalus Hyperboreus, recueil d'inventions mathématiques et mécaniques. Frappé de son mérite, Charles XII le nomma assesseur extraordinaire du collège des Mines, tout en le laissant associé aux travaux de Polhem, qui était alors le premier ingénieur civil et militaire du pays. A la mort de Charles XII, la reine Ulrique Éléonor fit entrer Swedberg dans l'ordre équestre de la chambre des seigneurs et changea son nom contre celui de Swedenborg. indépendamment du Daedalus Hyperboreus, il publia, encore vers cette époque, une Introduction à l'algèbre où il expose les propriétés de l'hyperbole et de la parabole, la théorie des projectiles et les éléments du calcul différentiel et intégral. Puis suivirent d'autres ouvrages sur le mouvement et la position de la terre, sur le niveau de la mer et les grandes marées de l'ancien monde, et un traité relatif aux docks, aux écluses et aux salines.

     En 1721 il commença un nouveau voyage, et c'est alors qu'il fit paraître à Amsterdam le spécimen d'un ouvrage sur les Principes des sciences naturelles où il essaie d'expliquer par la géométrie les phénomènes de la chimie et de la physique; des observations et découvertes sur le fer et le feu, qui contiennent d'intéressantes considérations sur la nature élémentaire du feu ; une nouvelle méthode de trouver les longitudes par l'observation de la lune; un nouveau procédé pour la construction des Docks et des Écluses, et une méthode pour déterminer la puissance des navires, d'après les principes mécaniques.

     En 1722 il publia à Leipsick ses observations diverses relatives aux sciences physiques, dans lesquelles il traite les sujets les plus variés, empruntés à la géologie, à la physiologie, à la géométrie et à l'arithmétique. À son retour en Suède on lui offrit à l'Université d'Upsal une chaire qu'il refusa.

     C'est vers cette époque, 1734, qu'il commença la composition d'un ouvrage plus important en trois volumes gr. in-folio, publié à Dresde et Leipsick, sous le titre: Ouvrages philosophiques et métallurgiques d'Em. Swedenborg. Le premier volume, qui contient les premiers principes des choses naturelles, ou nouveaux essais d'une explication philosophique du monde élémentaire, est dédié au duc de Brunswick. Une pensée profonde règne dans toutes les parties de ce traité, qui, suivant le jugement de Gorres, le célèbre professeur de l'Université catholique de Munich, peut tenir son rang à côté des Principes mathématiques des sciences naturelles de Newton. L'auteur aborde les grands problèmes de l'Univers, tels que l'origine des planètes et de leurs satellites, la place de notre système solaire parmi les autres étoiles, le rôle joué par l'électricité dans le développement des mondes, et il est à remarquer que, par le raisonnement pur, il est arrivé à plusieurs conclusions qui se sont trouvées confirmées ultérieurement par l'observation. On ne peut toutefois considérer cette oeuvre que comme un brillant, mais ambitieux effort pour expliquer la création par la géométrie et le magnétisme. Deux autres volumes complètent l'ouvrage; l'un sur les divers traitements du minerai de fer en usage en Europe, est dédié au Landgrave de Hesse Cassel, et l'autre, dédié au roi de Suède Frédéric Ier, expose les diverses méthodes usitées pour la préparation du cuivre.

     Cet ouvrage fut suivi d'un autre sur la Philosophie de l'infini, la. cause finale de la Création et le Commerce de l'âme et du corps. L'auteur s'efforce d'arriver par la métaphysique jusqu'à l'infini et au lien qui rattache l'infini à la nature créée et finie, jusqu'à l'âme et aux lois qui président à ses rapports avec le corps.

     La publication de ces ouvrages attira l'attention du monde savant et fit conférer à leur auteur le titre de membre correspondant de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg.

     Pendant les sept années qui suivent, Swedenborg va voyager en Allemagne, en France et en Italie, et se préparer, par une nouvelle série de recherches sur la matière organique, à la publication de deux ouvrages intitulés : Économie du Règne animal, en deux parties, Londres et Amsterdam, 1740-41, et Règne animal, en trois parties, La Haye et Londres, l744-45. Il étudie principalement l'organisation de l'homme dans ses rapports avec celle des animaux. Mais le but de ses excursions dans les vastes domaines de l'anatomie et de la physiologie est toujours la recherche de l'âme. Il a la confiance d'atteindre ce but avec la permission divine ; en poussant plus profondément ses recherches, il espère ouvrir toutes les portes qui le séparent de l'âme et arriver à la contempler.

     Ici commence une nouvelle époque dans la vie de Swedenborg. Avant d'aborder la série des publications qui vont la remplir, mesurons le chemin qu'il a parcouru.

     Les sujets les plus élevés, le mystère de la création, la nature de Dieu, la nature et les fonctions de l'âme, son commerce avec le corps, l'ont constamment occupé. Il a d'abord essayé d'expliquer la nature par la géométrie et de faire remonter au magnétisme l'origine des forces motrices ; puis il a interrogé la métaphysique sur les rapports qui existent entre Dieu et la nature, et, comme ceux qui l'ont précédé, il n'en a reçu que des réponses obscures. Où va-t-il maintenant porter ses recherches ? L'âme humaine lui apparaît comme le chef-d'oeuvre du créateur ; il croit qu'une étude plus complète du mécanisme du corps lui donnera une connaissance plus exacte de l'âme et que cette connaissance lui fera voir Dieu de plus près.

     Alors commencent ses travaux sur l'anatomie où la science de son temps se trouve déjà assez riche pour lui fournir un vaste champ d'études. Il est difficile de ne pas reconnaître dans cette marche progressive, une préparation pour l'oeuvre finale de sa longue carrière. Il a épuisé la science de la matière : il faut qu'il s'élève plus haut pour contempler l'âme dans sa vraie lumière ; mais cette lumière sera d'abord pour lui bien confuse.

     Une période de troubles religieux, de tristesses, de contrition et de prière va commencer pour lui. Il est tourmenté par des songes bizarres, qui lui ouvrent parfois des aperçus nouveaux. Le livre de notes intimes où il les consigne, fournit les documents les plus précis sur cette époque agitée d'angoisses morales, d'obscurité suivie de retours de lumière et de transports de joie. L'on voit déjà, dans ces notes, poindre et prendre forme ces doctrines si philosophiques des « Correspondances » et des « Degrés » qui doivent tenir une place importante dans la suite des écrits de Swedenborg.

     Après cette période troublée, Swedenborg reprend ce langage sobre, mesuré et presque mathématique qui, malgré la variété des sujets qu'il traite, donne à son oeuvre une teinte uniforme. Il a des perceptions extraordinaires, mais très nettes et comme régies par les lois d'un monde tout nouveau pour lui. Il les relate avec une bonne foi qu'on ne peut contester dans un journal écrit pour son usage personnel, document très étendu qu'on a retrouvé dans ses manuscrits et qui embrasse une période de plus de quinze années. Il affirme dans les termes les plus convaincus qu'il aperçoit distinctement des esprits bons et mauvais et qu'il s'entretient avec eux.

     La Bible mentionne des faits analogues, et pour les expliquer, on a longtemps dit que les anges et les esprits s'étaient rendus visibles aux hommes, en se revêtant d'une enveloppe matérielle qui se dissipait aussitôt qu'ils avaient accompli leur mission. Telle n'est pas l'explication que donne Swedenborg. Suivant lui, la partie spirituelle de l'homme est substantielle, ce qui veut dire qu'unie au corps matériel pendant son existence terrestre, elle reste après la mort un organisme spirituel dans une forme humaine plus parfaite, possédant des sens analogues à ceux dont elle jouissait dans le monde, mais appropriés aux perceptions d'un ordre supérieur. Ces sens spirituels sont fermés ici-bas, mais ils peuvent être ouverts, si Dieu le permet. L'homme, qui par son âme appartient dès sa naissance au monde spirituel, en subit l'influence sans en percevoir la réalité. Mais, si les yeux de son esprit sont ouverts, alors il voit et entend les esprits qui entourent le sien. Il est à remarquer que cette explication s'accorde entièrement avec le langage de la Bible.

     « Élisée pria et dit : Seigneur, je te prie, ouvre ses yeux qu'il puisse voir. Et le Seigneur ouvrit les yeux du jeune homme et il vit : et voici que la montagne était pleine de chevaux et de chariots de feu autour d'Élisée » (2, Rois, VI, 16, 17).

     Swedenborg prétend que ce qui s'est passé alors lui est également arrivé, que ses yeux spirituels ont été ouverts et qu'il a vu, que ses oreilles spirituelles ont été ouvertes et qu'il a entendu. Il déclare que cette faculté extraordinaire lui a été conservée, sauf à de rares intervalles, vingt-sept ans pendant lesquels il s'est senti vivre à la fois dans le monde naturel et dans le monde spirituel.

     Pourquoi Swedenborg aurait-il été l'objet d'une pareille intervention de la Providence ?
     Il répond que ses sens spirituels ont été ouverts afin qu'il pût enseigner avec autorité les vraies doctrines de la religion chrétienne et les mettre d'accord avec la raison .

     L'homme était dans l'ignorance du véritable sens interne de la Parole de Dieu : il fallait lui montrer en quoi consiste l'inspiration des Écritures, réfuter tous les doutes qu'elles soulèvent et devenir ainsi, avec le secours du Ciel, l'interprète de la Parole sans y rien ajouter.

     La véritable relation qui existe entre le monde naturel et le monde spirituel était inconnue : il fallait exposer la science des Correspondances qui en donne la clé, comme elle explique aussi la corrélation du sens naturel et du sens spirituel des Écritures.

     Il importait de répandre plus de lumière sur la nature du ciel et de l'enfer, sur les divers états de l'homme dans l'autre vie et les rapports nécessaires qui s'établissent entre la vie qu'il mène dans ce monde et celle qui lui est réservée dans l'autre, sur l'action de la Providence, la sainteté du mariage et la véritable nature des différences spirituelles qui existent entre les deux sexes.

     Enfin il fallait faire connaître l'accomplissement d'un événement du monde spirituel que la Parole appelle « le jugement dernier », annoncer les grands changements qui doivent en résulter pour l'humanité dans les domaines de la religion, des sciences et de la politique, et proclamer le commencement d'une ère nouvelle pour l'Église chrétienne, ère de foi plus intelligente et d'amour plus fervent qui a été prédite dans l'Apocalypse sous le symbole de la descente de la Nouvelle Jérusalem.

     C'est là sans doute un beau programme. Par quels moyens Swedenborg va-t-il essayer de le réaliser? Ce ne sera pas par la prédication. Ce réformateur n'a jamais cherché à réunir, autour de lui un nombreux auditoire : il parle peu, mais sa plume est infatigable. Il déclare qu'il a été choisi parce qu'il était écrivain et qu'il a pour mission d'écrire et d'imprimer. Pour mieux remplir cette mission, il demande à être déchargé de ses fonctions au collège des Mines et en récompense des services qu'il avait rendus, le roi Frédéric lui maintient la jouissance viagère de la moitié de son traitement d'assesseur.
 


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II


 

Le premier ouvrage théologique de Swedenborg a pour titre : « Les Arcanes célestes, contenus dans l'Écriture Sainte ou la Parole du « Seigneur , dévoilés dans une explication de la Genèse et de l'Exode, auxquels est jointe une relation des choses merveilleuses vues dans le monde des esprits et dans le ciel des anges. »

     Il se compose de huit volumes in-4°, publiés à Londres de 1749 à 1756, mais sans nom d'auteur, d'éditeur, ni de ville.

     Le texte, comme celui de presque tous ses ouvrages, est en latin.

     L'auteur étudie successivement chaque chapitre du texte sacré, dont il donne une version littérale, suivie du résumé du sens spirituel qu'il renferme. Puis vient une analyse de chaque verset et souvent de chaque mot du verset. Sa thèse est celle-ci. L'Écriture Sainte dans le sens de la lettre ne diffère pas, en apparence, des écrits des hommes : elle renferme, à côté de beautés sublimes, des parties obscures, des pages d'histoires peu édifiantes et des erreurs scientifiques. Il devait en être ainsi pour voiler la vérité à ceux qui ne devaient point voir, parce qu'il entre dans le plan divin de ne donner à chacun la connaissance de la vérité que dans la mesure où il peut se l'approprier en la mettant en pratique. Néanmoins la lecture de la Bible, faite avec foi et recueillement en suivant le sens de la lettre, est d'une grande efficacité. C'est un moyen pour l'homme de se mettre en communion avec le ciel. Les esprits célestes qui entourent l'homme, même pendant sa vie ici-bas, ont conscience de cette lecture, qui devient ainsi un trait d'union entre les deux mondes. En effet, la Parole divine n'existe pas seulement pour l'usage de notre terre : elle est aussi connue et vénérée dans l'autre monde, où le sens spirituel brille de toute sa splendeur et découvre aux anges des mystères dont leur sagesse ne peut embrasser l'étendue. L'homme sur cette terre est capable d'acquérir quelque intelligence de ce sens spirituel, mais c'est toujours une notion restreinte et voilée, parce que son esprit ne peut comprendre qu'une bien faible partie des idées du ciel. L'essentiel pour lui est de savoir que ce sens existe et qu'il constitue la sainteté intime de la Parole.

     Ajoutons que, d'après Swedenborg, ce double sens n'existe pas dans tous les livres de la Bible: il ne le reconnaît que dans la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, Josué, les Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois, les Psaumes, Ésaïe, Jérémie, les Lamentations, Ézéchiel, Daniel et les douze petits prophètes, les quatre Évangiles et l'Apocalypse. Pour ces livres, il réclame une inspiration absolue : il représente l'écrivain sacré comme dominé par une influence divine, et racontant les choses de son temps, tout en groupant, les mots de manière à ce qu'ils correspondent à un sens interne profond et continu, Quant aux Actes et aux Épîtres, il les considère comme inspirés dans la mesure qu'on admet en général dans l'église pour l'ensemble de la Bible et il les cite souvent à l'appui de ses doctrines.

     Tout se tient dans le vaste système que Swedenborg nous expose. On ne peut parler du sens spirituel de la Bible si l'on n'a déjà une notion des correspondances entre les choses du monde spirituel et celles du monde naturel, qui sont la clé de ce langage. Pour comprendre les idées de Swedenborg à ce sujet, il faut partir de ce principe : que les choses qui sont dans le monde naturel ont leur raison d'exister dans les choses du monde spirituel; il y a entre elles une correspondance en vertu de laquelle les choses naturelles nommées dans la Bible représentent et signifient des choses spirituelles.

     Swedenborg prend un exemple familier pour faire saisir la nature de cette correspondance. Les pensées et les affections de l'homme sincère brillent sur son visage : ou dit alors que l'expression de ses traits correspond à son intérieur ; ses traits matériels n'ont rien de commun avec la pensée et cependant ils la représentent. - En partant de ce principe, on trouve, dans le sens spirituel de la Bible, une analyse très détaillée de tout ce qui tient à l'âme et à sa préparation pour le Ciel. Dans un sens plus général, on trouve l'histoire de l'Église et de son développement spirituel, et enfin, dans le sens suprême, on s'élève à la connaissance du mystère de l'Incarnation et de la glorification progressive de l'humanité de Jésus-Christ.

     Cette progression, sur laquelle on a peu insisté jusqu'ici, est un des côtés originaux de la doctrine de Swedenborg. Suivant lui, toute la vie terrestre de Notre-Seigneur a été employée à dépouiller l'humanité fragile qu'il tenait de Sa mère pour revêtir une humanité glorifiée ou Divine. - Cette transformation est comme le type du travail de régénération qui doit s'opérer dans l'âme de tout homme lorsqu'il suit la route qui mène au Ciel. Elle explique les alternatives de tristesse profonde et de ravissements célestes qu'éprouvait Notre-Seigneur dans Sa lutte contre l'influence du mal qu'il trouvait en Lui et dont Il triomphait toujours, lutte qui a commencé avec Son enfance, mais dont la passion de la croix a été le point culminant.

     Tels sont les sujets qui remplissent les Arcanes célestes. Sans cesse traités sous des aspects divers, ils projettent une vive lumière sur les replis cachés de l'âme humaine et soumettent toutes les phases de son développement spirituel à une analyse dont nous ne connaissons pas d'exemple. Toutefois, suivant Swedenborg, ce qu'il peut nous faire comprendre de ces sujets n'est rien en comparaison de ce qui dépasse notre intelligence. « La Parole, dans son sens interne, dit-il, contient des choses innombrables qui dépassent la conception humaine : il y en a même d'ineffables qui ne se présentent qu'aux anges et ne sont comprises que par eux. »

     Nous avons essayé d'indiquer où conduisait cette science des correspondances qui prétend nous guider dans la recherche du sens intime de la Bible. Cette science nouvelle a rencontré beaucoup de contradicteurs qui lui ont reproché d'être arbitraire et fantaisiste. Swedenborg répond par deux arguments. En premier lieu, il dit qu'elle n'a rien d'arbitraire puisqu'elle est conforme à la nature des choses et à la corrélation qui unit le ciel et la terre. Cet argument ne peut valoir qu'auprès de ceux qui accueilleraient déjà favorablement une partie de son système. Voici le second : le même mot dans la Parole conserve partout le même sens (avec des nuances cependant suivant le contexte) ; et, à l'appui de cette thèse, chaque fois qu'il don ne une interprétation, chaque fois surtout qu'il rencontre un mot nouveau, il accumule et il explique un nombre considérable de versets des textes inspirés où le même mot reparaît. Il faut reconnaître que des passages obscurs, des circonstances bizarres ou indifférentes relatées par les auteurs sacrés, prennent souvent, à la lumière de cette exégèse nouvelle, une importance et une portée qu'on n'avait jamais soupçonnées.

     Disons, en terminant, que Swedenborg considère les premiers chapitres de la Genèse comme écrits dans un langage purement allégorique, conforme au génie des peuples très anciens qui les auraient transmis au peuple hébreu. C'est ainsi qu'il résout les difficultés si graves que cette partie du texte sacré présente au point de vue de la science. Suivant lui, le récit historique ne commence qu'à la vocation d'Abraham.

     À la fin des chapitres des Arcanes célestes, des notices sur des sujets variés interrompent le cours des explications du sens spirituel et reposent l'attention du lecteur. Elles portent principalement sur les merveilles du monde des Esprits et du Ciel des Anges. Leur contenu se trouve en grande partie reproduit dans un ouvrage plus considérable sur le même sujet que Swedenborg publia à Londres eu 1758 sous le titre : Du ciel et de ses merveilles et de l'Enfer d'après ce qui a été vu et entendu (sans nom d'auteur).

     De tous ses ouvrages, c'est celui dont la lecture est la plus attrayante, et c'est aussi celui qui est le plus connu

     La nature du Ciel, sa division en deux royaumes, dont le caractère dominant, est pour l'un : l'amour du Bien, et pour l'autre : l'amour du Vrai ; la correspondance entre les choses du Ciel et celles de la terre, la description du soleil du Ciel, la nature de sa chaleur et de sa lumière sont les premiers sujets traités par notre auteur. il expose que le monde spirituel et le monde matériel sont semblables, avec cette grande différence que les choses qui composent le monde spirituel sont des substances et des formes spirituelles. Leur existence est indépendante de l'espace et du temps tels que nous les comprenons en ce monde. En ce qui concerne l'espace, les habitants du monde spirituel sont rapprochés ou éloignés les uns des autres, suivant que leur état intérieur est semblable ou dissemblable. Ces états peuvent subir des variations : l'espace qui les sépare donne la mesure de leurs dissemblances. Ainsi l'idée terrestre de l'espace est remplacée dans l'autre vie par celle de l'état des affections et des pensées. Une modification analogue a lieu pour la notion du temps, qui est remplacée par l'idée d'une succession d'états différents.

     Après avoir développé ces notions générales, Swedenborg nous décrit les changements d'état des anges, leurs habitations et leurs vêtements, leurs gouvernements, leurs emplois, leurs discours, leur sagesse, leur innocence et la relation qui unit le ciel à la race humaine. En parlant des anges, il nous apprend qu'ils ont tous été hommes sur quelque terre de l'univers, c'est-à-dire soumis à une période de formation dans laquelle ils ont pu librement ouvrir leur coeur à l'influence céleste et se préparer pour une existence supérieure et indéfiniment progressive.

     L'auteur traite dans les pages suivantes de l'état des enfants, de celui des pauvres et des riches, de la nature des mariages dans le Ciel, de la joie et de la félicité célestes et de l'immensité du Ciel.

     Swedenborg nous entretient ensuite du monde des Esprits qui, d'après lui, n'est pas le Ciel et n'est pas non plus l'Enfer, mais est un lieu ou plutôt un état moyen entre l'un et l'autre, où l'homme vient aussitôt après sa mort afin que les bons puissent y être progressivement débarrassés des erreurs dont ils sont plus ou moins imbus, et que les méchants y perdent la connaissance des vérités qu'ils ont pu posséder et qui leur seraient une cause spéciale de tourments. Après cette préparation chacun arrive à l'état qui doit définitivement être le sien dans le Ciel ou dans l'Enfer. On remarquera que cet état intermédiaire, tout en rappelant le purgatoire de l'Église catholique, en diffère sur un point très important : l'état de l'homme dans le monde spirituel n'est pas essentiellement un état de souffrance mais un état de préparation pour le Ciel ou pour l'Enfer.

     En abordant la redoutable question de l'Enfer, Swedenborg la présente sous un jour qui écarte certainement plusieurs des objections qu'elle soulève. Suivant lui, le Seigneur gouverne l'Enfer et Sa Providence veille à ce que le sort de ses habitants soit le moins malheureux qu'il est possible. Il ne précipite personne en Enfer: les âmes perverties s'y jettent d'elles-mêmes.

     L'influence du Ciel, dont l'entrée leur serait permise, deviendrait pour elles une cause d'indicibles souffrances, tandis qu'elles éprouvent un plaisir à s'associer à leurs semblables. Les châtiments qu'elles subissent ne sont pas la satisfaction réclamée par une justice inexorable, mais les seuls moyens efficaces qui puissent les maintenir dans un certain ordre extérieur et les empêcher de donner carrière à leurs mauvais penchants.

     Ainsi l'amour est la loi du Ciel, tandis que la crainte gouverne l'Enfer, et, sous ce gouvernement toujours paternel, un certain apaisement s'établit peu à peu dans ces natures troublées.

     Le fonds reste mauvais, mais les châtiments deviennent moins fréquents. La crainte qu'ils inspirent finit par amener, avec l'obéissance extérieure, des intervalles de calme, et, pour les plus mauvais, des périodes prolongées d'insensibilité. 

     Le dernier chapitre de l'ouvrage est consacré à l'influence simultanée du Ciel et de l'Enfer sur l'homme pendant sa vie terrestre, influence tellement équilibrée qu'il peut toujours vouloir le bien ou le mal, penser le vrai ou le faux et choisir l'un de préférence à l'autre, en un mot qu'il est toujours libre, condition essentielle de sa réformation et de son salut.

     La même année 1758, Swedenborg publia encore les ouvrages suivants :

     « Des terres dans notre monde solaire, appelées Planètes, et des terres dans le Ciel étoilé, de leurs habitants, de leurs esprits et de leurs anges, d'après ce qui a été vu et entendu.
     « Du cheval blanc dont il est question dans le chapitre XIX de l'Apocalypse ; puis de la Parole et de son sens spirituel ou interne d'après les Arcanes Célestes.
     « Du jugement dernier et de la destruction de Babylone : pour montrer que tout ce qui a été prédit dans l'Apocalypse est aujourd'hui accompli.

     Il faut nous arrêter sur cet ouvrage. De toutes les assertions de notre auteur, celle qui doit rencontrer le plus d'incrédulité est celle par laquelle il affirme que le jugement dernier a eu lieu en l'année 1757. Aussi faut-il se hâter de dire que ces paroles n'ont pas dans sa bouche le même sens que dans celle de ses critiques. Cet événement ne devait pas se passer, suivant lui, dans le monde que nous habitons. Il s'agirait d'une grande transformation opérée dans le monde spirituel, monde dans lequel on peut sans témérité affirmer que des événements importants se produisent comme dans le nôtre. Cette transformation aurait été un jugement porté sur les habitants mauvais du monde des esprits, dont le nombre s'était accru de manière à devenir nuisible aux hommes : les bons esprits auraient été élevés au Ciel, les méchants auraient pris le chemin de l'Enfer et l'influence divine, qui s'exerce pour les hommes par l'office des anges et des esprits, aurait été rendue plus efficace. Cette communication plus abondante d'amour et de sagesse trouverait sa confirmation dans l'histoire du monde depuis cette époque. La rapidité des progrès faits par l'humanité depuis un siècle, dans la voie des améliorations morales, intellectuelles et scientifiques, bien supérieure à celle des temps qui précédaient, peut, en effet, être attribuée à l'influence plus grande d'un monde meilleur.

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III

     En 1758, Swedenborg, comme pour inaugurer l'ère nouvelle qu'il annonce, fait paraître un ouvrage intitulé : De la nouvelle Jérusalem et de sa doctrine céleste. Cet ouvrage contient les éléments d'une théologie qui mérite un sérieux examen, il est remarquable par l'enchaînement logique de toutes ses parties et la tendance très pratique de ses enseignements.

     Renvoyant aux notes qui suivent chaque chapitre pour les citations nombreuses des Arcanes célestes auxquelles il se réfère, cet écrit est un de ceux de l'auteur dont la lecture est la plus facile. Il commence par l'analyse des notions sur le Bien et sur le Vrai et l'examen des divers états créés dans l'âme par le mélange du bien et du mal et celui du vrai et du faux. Puis il montre qu'il y a dans l'homme deux facultés qui font sa vie : la Volonté qui se réfère au Bien et l'Entendement qui se réfère au Vrai, toutes deux intimement réunies pour constituer l'être humain dont le corps n'est que l'instrument. Il distingue l'homme interne de l'homme externe; chez les bons, l'interne est dans le ciel et dans la lumière du Ciel, et l'externe, dans le monde et dans la lumière du monde; l'externe chez eux est soumis à l'interne, les deux font un. Chez les méchants, l'interne est comme l'externe dans le monde et dans la lumière du monde. C'est pourquoi ceux-ci ne voient rien d'après la lumière du Ciel, mais ils voient seulement d'après la lumière du monde. Autant l'homme pense et veut, non d'après le Ciel mais d'après le monde, autant l'homme interne se ferme, et, lorsqu'il est absolument fermé, l'homme ne croit plus ni au Divin, ni à la vie après la mort.

     Les chapitres suivants traitent : de l'amour en général, des amours de soi et du monde, de l'amour à l'égard du prochain (la charité), de la foi, de la piété, de la conscience, du libre arbitre, du mérite (toute idée d'oeuvres méritoires est sévèrement bannie des doctrines de Swedenborg), de la pénitence et de la rémission des Péchés, de la régénération, de la tentation. Ce dernier chapitre expose sous des points de vue nouveaux, l'origine des tentations, leur nature, comment et quand elles ont lieu, et quel bien elles produisent. il montre que le Seigneur seul combat pour l'homme dans les tentations, quoiqu'il semble alors S'être éloigné. L'homme doit combattre comme par lui-même en employant tous ses efforts contre le mal et le faux qui sont en lui, mais il doit croire en même temps que le Seigneur seul combat pour lui et qu'au Seigneur seul est due la victoire.

     L'auteur, après avoir parlé successivement du baptême, de la Sainte Cène, de l'Écriture sainte, de la Providence et des lois de l'ordre qui sont les lois de la Providence, arrive enfin à l'exposition de la doctrine qui est le centre même de sa théologie : la doctrine sur le Seigneur.

     Il déclare que le Seigneur est venu dans le monde pour sauver le genre humain qui autrement eût péri de la mort éternelle. Il le sauve, suivant lui, en subjuguant les enfers qui infestaient tout homme venant au monde et sortant du monde, et en même temps en glorifiant Son Humanité. Chacun des instants que le Seigneur passa sur la terre fut consacré à l'accomplissement de ces actes mystérieux qui permettent à l'oeuvre rédemptrice de s'accomplir et de se continuer. Par les tentations admises dans l'humanité qu'il tenait de sa mère, tentations dont il a toujours triomphé et dont Sa passion sur la croix a été la dernière, Il a successivement dépouillé cette humanité faillible pour revêtir une humanité divine provenant du Père. Au terme de Sa carrière terrestre, Il avait cessé d'être le fils de Marie et Sa victoire était complète. Il était devenu la source de tout salut et de toute vie, le moyen par lequel le Père, l'insondable Divinité, était accessible pour les facultés bornées de l'homme; Il doit être, désormais, l'unique objet du culte.

     Cinq années plus tard, en 1763, à Amsterdam, Swedenborg publia quatre petits traités intitulés : Doctrine de la nouvelle Jérusalem sur le Seigneur, Doctrine de la nouvelle Jérusalem sur l'Écriture sainte, Doctrine de la nouvelle Jérusalem sur la Foi, Doctrine de Vie pour la nouvelle Jérusalem d'après les préceptes du décalogue. Il y développe d'une manière spéciale des sujets déjà traités dans ses précédents ouvrages. Arrêtons-nous quelque temps aux deux derniers de ces traités,

     Le traité sur la Foi la définit une reconnaissance intérieure de la Vérité, mais il montre en même temps que la vraie foi ne peut exister que chez ceux qui sont dans la charité, c'est un état de l'entendement qui résulte d'un état de la volonté.

     L'auteur repousse la notion du salut par la foi seule, et la maxime que l'homme ne peut garder les commandements lui paraît une offense envers Dieu qui a donné les commandements et qui accorde à tous ceux qui le Lui demandent sincèrement, le pouvoir de les observer.

     La Doctrine de Vie contient le résumé pratique des volumineux ouvrages de l'auteur. Voici les thèses principales qui y sont développées : Toute religion consiste dans la Vie, et la Vie de la religion consiste à faire le bien. - Personne ne peut faire, par soi-même, le bien qui est réellement le bien. - Chacun peut faire le bien par l'aide du Seigneur. - Le devoir de l'homme est de fuir les maux, comme péchés contre Dieu, et autant l'homme fuit les maux comme péchés, autant il aime la vérité, possède la foi et devient réellement sage. - Personne ne peut fuir les maux comme péchés jusqu'au point de les avoir intérieurement en aversion, Si ce n'est en combattant contre eux. L'homme doit donc examiner avec le plus grand soin les motifs qui le font agir : car fuir les maux pour tout autre motif que parce qu'ils sont des péchés contre Dieu (par prudence ou par respect humain) ce n'est pas les fuir réellement ; c'est seulement les empêcher de paraître devant le monde. - Le Seigneur seul peut apprécier les motifs qui dirigent chacun: Lui seul peut connaître ceux qui appartiennent à cette communauté spirituelle qui constitue Son Église.

     En cette même année 1763, Swedenborg fit imprimer dans la même ville une de ses oeuvres les plus importantes : La Sagesse angélique sur le Divin Amour et la Divine Sagesse, sans nom d'auteur comme les précédents ouvrages. Elle comprend cinq parties qui traitent successivement de Dieu, du soleil du monde spirituel, des degrés, de la création de l'univers et de la création de l'homme.

     Parmi ces divers sujets, c'est surtout sur celui des Degrés qu'il importe d'insister. Cette science des degrés prétend nous donner la clé des rapports intimes qui unissent le monde spirituel et le monde matériel.

     Il y a deux genres de degrés : les degrés de hauteur, et les degrés de largeur. Les degrés de largeur sont bien connus, sous un autre nom ; ce sont des degrés continus, d'accroissement, ou de diminution, comme du plus léger au plus lourd ou du plus chaud au plus froid. Mais les degrés de hauteur, ou séparés, sont absolument différents : ils sont entre eux comme l'antérieur et le postérieur, comme la cause et l'effet. Cette notion occupe une grande place dans l'ensemble des doctrines de Swedenborg. « Sans la connaissance de ces degrés, dit-il, on ne peut rien savoir de la différence entre les trois cieux, ni de la différence entre les facultés intérieures qui sont dans l'esprit de l'homme, non plus qu'entre ses divers états de réformation et de régénération... enfin on ne saura absolument rien de la différence entre le spirituel et le naturel, et de la correspondance qui existe entre ces deux mondes. »

     Ceux qui ignorent ces degrés ne peuvent presque rien connaître des relations des choses entre elles. Ils ne peuvent voir les causes ; ils voient seulement les effets, et ils jugent des causes par les effets sans sortir du degré inférieur qui est le domaine des sens. Incapables de s'élever au-dessus des idées du temps et de l'espace, ils jugent des objets de ce monde comme s'il n'y avait rien en eux que ce que l'oeil aperçoit, quand cependant ce qu'on voit est, par rapport à tout ce qui est intérieurement caché, comme un est à mille et même à dix mille ; ils en arrivent à tout attribuer à la nature sans tenir compte d'une influence supérieure, celle d'un monde inconnu pour eux. Le monde matériel considéré en lui-même est mort: tout ce que nous y voyons d'activité vient de l'influence du monde spirituel, où se trouvent les formes types sous l'influence desquelles naissent et se développent les objets du règne animal, du règne végétal, et généralement tout ce qui manifeste quelque vie sur cette terre. Mais, nous le répétons, cette influence ne s'exerce pas par continuité; le principe spirituel n'est pas une quintessence de la matière; entre ces deux degrés il y a une différence d'essence, une distance infranchissable. C'est le privilège de la créature humaine, qui possède à la fois ces deux degrés en elle, quoique le plus élevé soit souvent fermé et comme oblitéré, de pouvoir embrasser cette double conception et s'élever à la hauteur du monde des causes.

     Le développement de cette idée nous a paru mériter une attention spéciale, parce qu'elle est une réponse aux négations du matérialisme et aux problèmes de l'évolution. Sans doute elle ne suffira pas pour convaincre le matérialiste de l'existence d'un monde des causes qu'il ne touchera pas du doigt. Sans doute elle ne s'imposera pas à l'évolutionniste qui voit un attribut de la matière dans les modifications de formes dont elle est susceptible. Mais elle dépouille leurs conclusions de leur caractère absolu. Libre à vous de croire que tout s'explique par les lois de la matière. Voici un philosophe qui vous offre une conception plus haute et plus générale, conception qui n'enlève rien à l'exactitude de vos observations, à la rigueur des lois que vous en dégagez, mais qui relie cet ensemble au monde des causes, au monde spirituel, et ce monde lui-même à Dieu qui le soutient par Son action incessante et infinie.

     Aristote l'avait déjà dit : « La création et la conservation ne sont en Dieu qu'une même action. »Swedenborg attribue cette idée à une tradition des temps anciens recueillie par le philosophe de Stagire, et il montre l'action divine s'exerçant, à travers tous les cieux et par leur moyen, d'abord sur l'âme humaine que le Seigneur n'abandonne jamais ayant constamment en vue d'assurer son salut éternel, même au prix des souffrances qui sont des épreuves, ou des châtiments nécessaires. Puis cette action descend plus bas encore : elle maintient, comme par une constante création, cet univers dont on a prétendu faire un domaine indépendant de Dieu ; et ces lois si exactes, si immuables, qui président aux mouvements des atomes comme à ceux des corps célestes, tiennent leur exactitude et leur immutabilité de ce qu'elles participent à l'essence immuable et parfaite de Dieu.
Toutes ces idées ne sont pas nouvelles, mais réunies dans un enchaînement logique elles prennent une force et une importance pratique qui doivent être signalées. 

     La Sagesse angélique sur la Divine providence, publiée en 1764, à Amsterdam, est comme la suite de l'ouvrage dont nous venons de parler. Nous croyons que jamais ce sujet n'a été traité d'une manière aussi complète et aussi rationnelle. La Providence divine, d'après notre auteur, est le Gouvernement du Divin amour et de la Divine sagesse du Seigneur. Elle a pour but ou pour fin la préparation des hommes pour le ciel, ou la conjonction de plus en plus intime du genre humain avec Dieu : elle agi suivant des lois que l'homme doit connaître pour ne pas tomber dans cette erreur fatale qui lui fait attribuer tout au hasard ou à sa propre prudence. Ces lois, qui ne sont que l'expression de l'ordre suprême résidant en Dieu, veulent : Que l'homme agisse librement selon la raison. Qu'il écarte, comme par lui-même et parce qu'ils sont des péchés, les maux de son externe, parce qu'ainsi, et non autrement, le Seigneur peut écarter les maux dans l'homme externe et, en même temps, dans l'homme interne. Qu'il ne soit pas contraint par des moyens externes à penser et à vouloir, ainsi a croire et à aimer les choses qui sont de la religion, mais qu'il s'y porte et quelquefois s'y contraigne lui-même. Qu'il soit conduit et instruit du Ciel par le Seigneur au moyen de la Parole, de la doctrine et des prédications fondées sur cette Parole et cela en toute apparence comme par lui-même. Qu'il ne sente et ne perçoive rien de l'opération de la divine Providence, mais néanmoins qu'il sache qu'elle existe et qu'il la reconnaisse. La propre prudence est nulle ; elle parait exister, et elle doit paraître exister, mais la divine Providence est universelle dans les choses les plus particulières. La Providence considère les choses éternelles, et elle ne considère les choses temporelles qu'autant qu'elles s'accordent avec les choses éternelles. L'homme n'est intérieurement introduit dans les vérités de la foi et dans les biens de la charité qu'autant qu'il peut y être retenu jusqu'à la fin de sa vie.

     Après cet exposé des Lois de l'Ordre, Swedenborg aborde le sujet plus difficile des Lois de permission, relatives à l'existence du mal sous ses formes si multiples, mal que Dieu ne veut, pas, mais qu'il ne peut empêcher sans enlever à l'homme un de ses attributs essentiels : la liberté. Tout homme maintenant naît dans le mal et il doit en être retiré pour être réformé et sauvé. Pour que le mal soit écarté il faut qu'il paraisse : c'est ainsi que la permission du mal a réellement pour fin le salut, c'est-à-dire le Bien.

     Swedenborg déclare que le Seigneur ne peut agir contre les lois de la divine providence parce qu'agir contre ces lois ce serait agir contre Son divin Amour et Sa divine Sagesse : ainsi ce serait agir contre Lui-même.

     Deux années plus tard, en 1766, toujours à Amsterdam, Swedenborg donne une explication de l'Apocalypse sous ce titre : « Apocalypse révélée, où sont découverts les mystères qui s'y trouvent prédits et qui sont restés cachés jusqu'ici. » Il applique à ce dernier livre de la Parole le système d'interprétation qu'il avait inauguré dans les Arcanes Célestes et il y trouve l'histoire des états successifs de l'Église. Un autre ouvrage sur le même sujet avait été commencé par notre auteur et laissé incomplet. Il a été publié après sa mort sous le titre d'Apocalypse expliquée. Nous ne pouvons analyser ici en détail ces deux ouvrages. Bornons-nous à remarquer qu'ils renferment de très nombreuses citations dans le but de légitimer les interprétations qu'ils donnent du sens spirituel par l'examen des autres passages de la Parole où les mêmes mots se retrouvent.

     Nous arrivons à celui des ouvrages de Swedenborg qui a été le plus remarqué et probablement le plus mal compris. Il a paru à Amsterdam en 1768, et il est intitulé: « Les délices de la Sagesse «sur l'Amour conjugal ; suivi des plaisirs de la folle sur l'Amour scortatoire, par Emmanuel Swedenborg, Suédois. » C'est le premier de ses ouvrages auquel il ait mis son nom : il avait alors quatre-vingts ans. Son but est d'exalter la sainteté du mariage et de signaler les dangers qu'entraînent l'adultère et le libertinage. Il présente l'Union de l'Amour et de la Sagesse en Dieu, et celle du Divin Époux et de l'Église, comme les types suprêmes de l'état matrimonial. Suivant lui les différences des sexes correspondent à des caractères non moins distincts dans l'organisation de l'être spirituel, et l'institution divine du mariage subsiste dans l'autre vie parce qu'elle a sa raison d'être dans la constitution intime de l'âme. Si les unions qui commencent sur cette terre reposent sur une intime convenance des époux, s'il existe entre eux un amour épuré réellement conjugal, ils se retrouvent et se réunissent de nouveau dans l'autre vie. S'il en est autrement, la Providence sait préparer pour chacun d'eux une union conforme à leur amour et à leur sagesse. Comment concilier ce beau rêve avec les paroles du Seigneur aux Sadducéens? D'après Swedenborg elles signifient que dans le ciel il n'y a pas de mariages dans le sens que leur attribuaient ceux-ci. Le mariage céleste est une union intime et une association pour ainsi dire inévitable de deux âmes entre lesquelles existe sur toutes les choses essentielles une entière harmonie. Ce mariage n'est que l'expression extérieure d'une union intérieure du bien et du vrai, de l'amour et de la sagesse qui sont dans le fond de leur être. L'origine de ces unions ne peut jamais dater du ciel : elles doivent avoir virtuellement commencé sur la terre où l'état final de l'homme est fixé.

     Les deux conjoints de ces noces spirituelles peuvent ne s'être jamais rencontrés : leur union, fondée sur les conditions essentielles d'un bonheur éternel, existe déjà écrite dans le ciel.

     En développant ces idées, Swedenborg aborde divers sujets qui s'y rattachent : la chasteté, les changements d'état produits par le mariage, les causes de froideur, de séparation et de divorce, les seconds mariages ; et les points de vue nouveaux qu'il présente sur ces questions ardues méritent une attention spéciale.

     Nous n'insisterons pas sur la seconde partie de son oeuvre où il suit dans toutes leurs phases les profanations de l'amour conjugal et montre leurs funestes conséquences, Il est difficile de trouver des couleurs plus sombres pour en signaler les dangers. Toutefois, en passant en revue les diverses infractions à la loi divine qui se rattachent à ce sujet, il fait des distinctions entre les degrés de culpabilité qu'elles comporte, et cette analyse détaillée, à la fois indulgente et sévère, d'un chapitre spécial de la morale, n'est pas un des côtés les moins remarquables de son oeuvre.

     L'auteur y insère à divers endroits des relations de choses vues et entendues dans le monde spirituel ; citées à l'appui de la thèse qu'il a développée : il les appelle des Mémorables. Ces récits, à ne les prendre que comme des oeuvres d'imagination, contiennent des beautés de premier ordre.

     Les publications qui suivirent furent : l'Abrégé de la Doctrine de la Nouvelle Église, signifiée par la Nouvelle Jérusalem dans l'Apocalypse (Amsterdam, 1769), et un petit traité sur le Commerce de l'âme et du corps, imprimé à Londres pendant la même année. Dans ce dernier ouvrage l'auteur discute les trois théories de l'Influx physique du corps dans l'âme, de l'harmonie préétablie entre l'un et l'autre, et de l'Influx spirituel de l'âme dans le corps. Cette dernière thèse est la sienne et il la défend avec chaleur.

     Nous arrivons enfin au livre qui doit terminer les publications de Swedenborg et présenter sous une forme plus magistrale les idées religieuses et philosophiques répandues dans ses autres oeuvres. Son titre est : La vraie religion chrétienne, contenant la Théologie universelle de la Nouvelle Église, prédite par le Seigneur dans Daniel (VII, 13, 11) et dans l'Apocalypse (XX 1, 2), par Emmanuel Swedenborg, serviteur du Seigneur Jésus-Christ, Amsterdam, 1771. » C'est un gros volume in-4° qui traite successivement : de Dieu Créateur, du Seigneur Rédempteur, de l'Esprit Saint et de la Divine opération, de l'Écriture Sainte ou de la Parole du Seigneur, du Décalogue expliqué dans son sens extérieur et dans son sens intérieur, de la Foi, de la Charité, du libre arbitre, de la pénitence, de la réformation et de la régénération, de l'imputation, du baptême, de la Sainte Cène, de la consommation du siècle, de l'avènement du Seigneur, du nouveau Ciel et de la nouvelle Église. De nombreux Mémorables, récits du genre de ceux que nous avons mentionnés plus haut, sont intercalés entre les chapitres. On trouvera dans ces dernières pages des sévérités qui blesseront les opinions reçues. L'auteur aurait pu facilement supprimer les personnalités : il n'a pas craint de semer ces pierres d'achoppement sur le chemin de ses lecteurs. Quoi qu'il en soit, s'ils ont pu lire tout l'ouvrage, il est difficile qu'ils ne restent pas impressionnés par la valeur d'ensemble de cette oeuvre où règne la morale la plus pure et la plus désintéressée, et où les conceptions de l'ordre le plus élevé sont présentées avec une simplicité et un enchaînement logique qui rappellent les sciences mathématiques.
 


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IV


     L'infatigable écrivain avait terminé sa tâche : il quitte Amsterdam en août 1771 , Pour aller s'établir à Londres. Dans cette ville il va se trouver en rapport avec le pasteur de l'Église Suédoise, Arvid Ferelius, à qui l'on doit d'intéressants détails sur la fin de sa vie. Swedenborg allait quelquefois à l'Église suédoise, mais il ne s'y trouvait pas en paix. La prédication qu'il y entendait, surtout lorsqu'il s'agissait de la distinction de trois personnes en Dieu, provoquait, disait-il, d'énergiques démentis de la part des esprits qui l'entouraient. Beaucoup de personnes croient, continue Ferelius, que Swedenborg était un homme singulier et excentrique : il n'en était rien. Il était au contraire très agréable dans ses relations : il acceptait la conversation sur tous les sujets et il entrait volontiers dans les idées de ses interlocuteurs. Jamais il ne parlait de ses écrits et de ses doctrines que lorsqu'on l'y invitait ; et il le faisait alors en toute liberté. Si les questions qu'on lui faisait n'avaient pas un but sérieux, il s'en apercevait rapidement et d'un mot mettait un terme à l'entretien.

     Sa fin approchant, ses amis lui proposèrent de recevoir la sainte cène et il y consentit volontiers. Ferelius fut appelé et dans cette occasion solennelle il l'adjura de rétracter tout ou partie de ses écrits, si, en les publiant, il avait été animé par le désir de se faire un nom ou par tout autre motif humain. À cette injonction le malade, se redressant dans son lit et plaçant sur sa poitrine la main qui lui restait libre, l'autre était paralysée : « Aussi vrai que vous me voyez, dit-il, tout ce que j'ai écrit est vrai ; j'aurais pu en dire davantage, si j'en avais eu la permission. » Puis, avec beaucoup de recueillement, découvrant sa tête et confessant qu'il se reconnaissait comme un pêcheur tant qu'il habitait ce corps de péché, il reçut la communion. Il mourut le 29 mars 1772, à l'âge de 81 ans: il avait conservé jusqu'à la fin ses facultés et toute sa sérénité.

     Swedenborg n'a jamais essayé d'établir un culte séparé pour cette nouvelle Église qu'il annonçait. Il la voyait composée de tous ceux qui sympathisaient avec les points essentiels de sa doctrine, quelles que fussent les différences de formes qui les séparaient. Les rares adhérents qu'il pouvait compter à sa mort ont vu leur ombre s'augmenter par une progression lente mais continue. C'est, surtout en Angleterre et aux États-Unis que ce développement s'est produit. Les uns sont restés attachés à leur Église particulière ; les autres se sont réunis sous une forme séparée dont l'apparence extérieure diffère peu de celles des Églises Protestantes. Le point le plus particulier de leur culte est qu'ils adressent toutes leurs prières au Seigneur Jésus-Christ, en qui habite pour eux la plénitude de la Divinité, rendue plus accessible aux hommes dans Son humanité glorifiée qu'Elle ne l'était sous l'ancienne alliance.

     Ces Églises comptent environ 5.000 adhérents enregistrés en Angleterre et 6.000 aux États-Unis. Elles déploient beaucoup de zèle pour la propagation des écrits de Swedenborg et des traités qui résument ses doctrines. Le nombre extrêmement considérable des écrits qui se répandent ainsi, indique une propagation de ces doctrines parmi les membres des anciennes Églises, beaucoup plus importante que ne l'accusent les chiffres indiqués plus haut,

     En France, les écrits de Swedenborg sont restés peu connus, malgré les efforts de J . P. Moët, bibliothécaire à Versailles, auteur d'une première traduction, et ceux de Le Boys des Guays qui a refait ce travail en le complétant et en s'astreignant à une exactitude plus littérale.

     Édouard Richer, dans un ouvrage publié à Nantes en 1831 (De la Nouvelle Jérusalem, 8 vol. in-8°), a consacré toutes les ressources d'un esprit distingué à populariser les idées de Swedenborg, en montrant leur accord avec la science et la philosophie modernes. Cet ouvrage mérite d'être consulté, si l'on veut pousser plus loin qu'il ne nous a été loisible de le faire dans cette courte notice, l'étude d'un sujet qu'il n'est pas facile d'épuiser.

     Nous donnons à la suite de cette notice une liste des traductions françaises des ouvrages de Swedenborg et des principales publications qui se rattachent à sa doctrine.

     Une librairie ouverte au public, à Paris, dans le quartier latin, 12, rue Thouin, permet de consulter gratuitement les oeuvres de Swedenborg un lieu de culte est ouvert au même endroit.