PREMIER  PRÉCEPTE.
Tu ne te feras point d'autres dieux


  950. Ce précepte renferme aussi la défense de s'aimer et d'aimer le monde par-dessus toutes choses ; car ce qu'on aime par-dessus toutes choses, cela est Dieu. Il y a deux amours absolument opposés l'un à lautre ; l'amour de soi et l'amour envers Dieu, de même l'amour du monde et l'amour du Ciel ; celui qui s'aime aime son propre, et le propre de l'homme n'est que le mal, par suite aussi celui-là aime le mal dans tout le complexe, et celui qui aime le mal a de la haine pour le bien, et par conséquent aussi pour Dieu. Celui qui s'aime par-dessus toutes choses plonge ses affections et ses pensées dans le corps, et ainsi dans son propre, d'où il ne peut par conséquent être élevé par le Seigneur ; et celui qui s'est plongé dans son corps, et dans son propre, est dans les idées corporelles et dans les voluptés qui appartiennent absolument au corps, et par suite dans les ténèbres quant aux choses qui sont au-dessus, tandis que celui qui est élevé par le Seigneur est dans la lumière ; et celui qui est, non dans la lumière du Ciel, mais dans les ténèbres, ne voyant rien de Dieu, nie Dieu, et reconnaît pour Dieu ou la nature, ou un homme, ou une idole, et il aspire aussi à être adoré lui-même comme un Dieu ; de là résulte donc que celui qui s'aime par-dessus toutes choses adore d'autres dieux. Il en est de même de celui qui aime le monde, mais c'est dans un degré moindre, car on ne peut pas aimer le monde autant qu'on aime le propre, aussi aime-t-on le monde d'après le propre et à cause du propre, parce qu'il est utile au propre. Par l'amour de soi, il est entendu principalement l'amour de dominer sur les autres par le seul plaisir de la domination et pour la suprématie, et non par le plaisir des usages ni pour le bien public et par l'amour du monde il est entendu principalement l'amour de posséder des biens dans le monde par le seul plaisir de la possession et pour l'opulence, et non par le plaisir des usages qu'on en pourrait faire, ni pour le bien qui en résulterait. Ces deux amours ne connaissent point de bornes, ils s'élancent avec impétuosité à l'infini autant qu'ils en ont la faculté.

    951. On ne croit pas dans le Monde que l'amour de dominer par le seul plaisir de la domination, et l'amour de posséder les biens par le seul plaisir de la possession, et non par le plaisir des usages, cachent intérieurement en eux tous les maux, et en même temps le mépris et le rejet de toutes les choses qui appartiennent au Ciel et à l'Église ; la raison de cela c'est que l'homme par l'amour de soi et par l'amour du monde est excité à faire du bien à l'Église, à la Patrie, à la Société et au prochain, en plaçant l'honneur dans ses bonnes actions, et en s'attendant à une récompense, ce qui fait que beaucoup de personnes appellent ces amours le feu de la vie et l'encouragement aux grandes choses ; mais il faut qu'on sache qu'autant ces deux amours placent les usages au premier rang et se mettent au second, autant ils sont des biens ; et qu'autant ils se placent au premier rang et mettent les usages au second, autant ils sont des maux ; car alors l'homme fait tout pour lui-même, et par conséquent par lui-même et alors il est dans chaque chose qu'il fait, lui et son propre, et le propre, considéré en soi, n'est que le mal ; mais placer les usages au premier rang et se mettre au second, c'est faire des biens pour l'Église, pour la Patrie, pour la Société et pour le prochain, et les biens que l'homme leur fait pour eux-mêmes viennent du Seigneur et non de l'homme, la différence entre ces deux sortes d'amours est comme celle qu'il y a entre le Ciel et l'Enfer ; l'homme ignore qu'il existe une telle différence, parce que par naissance, et de là par nature il est dans les amours de soi et du monde, et parce que, le plaisir de ces amours est continuellement agréable et flatteur ; mais qu'il sache cependant que l'amour, de dominer par le plaisir de la domination et non par le plaisir des usages, est absolument diabolique, et peut être appelé alliée, car autant l'homme est dans cet amour, autant il ne croit pas de coeur qu'il y ait un Dieu, et autant il se rit dans son coeur de toutes les choses de l'Église, et même autant il a en haine et persécute par haine tous ceux qui reconnaissent Dieu, et principalement ceux qui reconnaissent le Seigneur ; le plaisir même de la vie de tels hommes est de faire du mal et de commettre des crimes et des infamies de tout genre ; en un mot, ils sont eux-mêmes des diables ; l'homme ignore cela tant qu'il vit dans le Monde ; mais que cela soit ainsi, c'est ce qu'il saura quand il viendra dans le monde spirituel, ce qui arrive aussitôt après la mort. L'Enfer est plein de telles gens ; là, au lieu d'avoir la domination, ils sont dans la servitude ; là, quand ils sont vus dans la lumière du Ciel ils apparaissent même renversés, comme s'ils avaient la tête en bas et les pieds en haut, parce que pour eux la domination était au premier rang et l'usage au second ; car ce qui est au premier rang est la tête et ce qui est au second constitue les pieds ; or, ce qui est la tête, on l'aime ; et ce qui est aux pieds, on l'écrase.

    952. Il s'abuse étrangement celui qui s'imagine reconnaître et croire qu'il y a un Dieu, avant de s'abstenir des maux nommés dans le Décalogue, surtout de l'amour, de dominer par le plaisir de la domination, et de l'amour de posséder les biens du monde par le plaisir de la possession, et non par le plaisir des usages ; lors même que par la Parole, par les prédications, par les livres, par la lumière de la raison, l'homme se confirme, autant qu'il le peut, qu'il y a un Dieu, et se persuade d'après cela qu'il croit, il n'en est pas moins vrai qu'il ne croit point, si les maux qui surgissent de l'amour de soi et du monde n'ont point été éloignés : la raison de cela, c'est que les maux et leurs plaisirs font obstacle, et qu'ils arrêtent et repoussent les biens et leurs plaisirs qui procèdent du Ciel, et par conséquent la confirmation, et qu'avant que le Ciel confirme, il y a seulement la foi de la bouche, qui en soi est une foi nulle, et non la foi du coeur, qui est la foi même : la foi de la bouche est la foi dans les externes, la foi du coeur est la foi dans les internes ; quand les internes ont été resserrés par les maux de tout genre, alors les externes étant enlevés, ainsi qu'il arrive à tout homme après la mort, l'homme d'après ces maux rejette même la foi qu'il y a un Dieu.

    954. Autant l'homme résiste aux deux amours qui lui sont propres, savoir, à l'amour de dominer par le seul plaisir de la domination, et à l'amour de posséder les biens du monde par le seul plaisir de la possession, et fuit ainsi comme péchés les maux nommés dans le Décalogue, autant influe du Seigneur par le Ciel qu'il y a un Dieu, qui est Créateur et Conservateur de l'univers, et même qu'il n'y a qu'un Dieu : la raison pour laquelle cela influe alors, c'est que le Ciel est ouvert quand les maux sont éloignés, et que lorsque le ciel est ouvert, l'homme pense non plus d'après lui-même, mais d'après le Seigneur par le Ciel, et que dans le Ciel l'universel qui embrasse tout, c'est qu'il y a un Dieu, et aussi qu'il n'y a qu'un Dieu. Que par l'influx seul l'homme sache et pour ainsi dire voie qu'il n'y a qu'un Dieu, c'est ce qui est évident par le commun aveu de toutes les nations, et par la répugnance à penser qu'il y en ait plusieurs. La pensée intérieure de l'homme, c'est-à-dire, la pensée de son esprit, vient ou de l'Enfer ou du Ciel ; elle vient de l'enfer avant que les maux aient été éloignés, mais elle vient du Ciel après qu'ils ont été éloignés : lorsqu'elle vient de l'Enfer, l'homme ne voit autre chose, sinon que la nature est dieu et que l'intime de la nature est ce qu'on nomme le Divin ; un tel homme après la mort, quand il devient esprit, appelle dieu quiconque excelle en puissance, et il aspire aussi lui-même à la puissance afin d'être appelé dieu ; il y a chez tous les méchants une semblable folie dans leur esprit : quand l'homme, au contraire, pense d'après le Ciel, ce qui arrive lorsque les maux ont été éloignés, il voit d'après la lumière qui est dans le Ciel qu'il y a un Dieu, et qu'il n'y a qu'un Dieu. La vie d'après la lumière qui procède du Ciel, c'est elle qui est entendue par l'influx.

    955. Lorsque l'homme fuit les maux et les a en aversion parce qu'ils sont des péchés, il voit d'après la lumière du Ciel, non seulement qu'il y a un Dieu et qu'il n'y a qu'un Dieu, mais encore que Dieu est Homme, car il veut voir son Dieu, et il ne peut le voir autrement que comme Homme ; ainsi ont vu Dieu les Anciens avant Abraham et après lui ; ainsi voient Dieu d'après une perception intérieure les gentils dans les contrées hors de l'Église, surtout ceux qui intérieurement ont acquis de la sagesse, quoique non par les sciences ; ainsi voient Dieu tous les petits enfants, les enfants et les hommes probes qui sont dans la simplicité ; et ainsi voient Dieu les habitants de tous les globes, car ils disent que l'invisible, parce qu'il ne tombe pas dans l'idée ne tombe pas dans la foi : la raison de cela, c'est que, l'homme qui fuit et a en aversion les maux comme péchés pense d'après le Ciel et que le Ciel entier et quiconque y réside n'a de Dieu d'autre idée que comme d'un Homme, et ne peut en avoir une autre, parce que le Ciel entier est Homme dans une très grande effigie, et que le Divin procédant du Seigneur fait le Ciel ; il est donc, impossible aux Anges de penser autrement de Dieu que suivant cette forme Divine qui est la forme Humaine, car les pensées angéliques se répandent par tout le Ciel. Que tout le Ciel dans le complexe ressemble à un seul Homme, c'est ce qu'on voit dans le Traité du Ciel et de l'Enfer, N° 51 à 87 ; on y voit aussi que les Anges pensent selon la forme du Ciel, N° 200 à 212. Cette idée de Dieu influe du Ciel chez tous ceux qui sont dans le Monde, et réside dans leur esprit ; mais elle parait comme extirpée dans l'Église chez ceux qui sont dans l'intelligence - d'après le propre, et même extirpée de manière à ne plus pouvoir exister ; cela vient de ce qu'ils pensent sur Dieu d'après l'espace : mais il en est autrement lorsque ces mêmes hommes deviennent esprits, ce qui m'a été clairement prouvé par un grand nombre d'expériences ; en effet, dans le monde spirituel, avoir une idée indéterminée de Dieu, c'est n'avoir aucune idée de Lui, aussi est-il donné de Dieu l'idée déterminée de quelqu'un qui siège ou en haut ou ailleurs, et donne des réponses. C'est de l'influx commun, qui vient du Monde spirituel, que les idées sur Dieu comme Homme ont été reçues chez les hommes diversement selon l'état de la perception ; de là vient que Dieu Trine chez nous est désigné sous le nom de Personnes, et que Dieu le Père est peint dans les Temples comme Homme, l'Ancien des jours. C'est aussi d'après l'influx commun que des hommes vivants, et les hommes morts qui sont appelés saints, sont adorés comme des dieux par le peuple dans le Gentilisme Chrétien, et que leurs statues sont aimées : pareillement comme chez plusieurs nations ailleurs ; et aussi chez les Anciens dans la Grèce à Rome et dans l'Asie, lesquels ont eu plusieurs dieux, et les ont tous considérés comme hommes. Ces choses ont été dites, afin qu'on sache qu'il a été comme insité (greffé), à savoir, dans l'esprit de l'homme, de voir Dieu comme homme : est dit insité ce qui vient de l'influx commun.

    956. Puisque l'homme d'après l'influx commun venant du Ciel dans son esprit, voit que Dieu est Homme, il s'ensuit que si ceux qui sont de l'église où est la Parole, fuient et ont en aversion les maux comme péchés d'après la lumière du Ciel dans laquelle ils sont alors, ils voient le Divin dans l'humain du Seigneur et le Trine en Lui, et Le voient lui-même Dieu du Ciel et de la Terre : mais c'est ce que ne peuvent voir ceux qui ont détruit chez eux, par l'intelligence venant du propre, l'idée de Dieu comme Homme ; ceux-ci, d'après la Trinité à laquelle ils pensent, ne voient pas non plus qu'il n'y a qu'un Dieu, ils disent seulement de bouche qu'il n'y en a qu'un. Or, ceux qui n'ont pas été purifiés des maux, et qui par conséquent ne sont pas non plus dans la lumière du Ciel, voient dans leur esprit comme Dieu du Ciel et de la Terre, non pas le Seigneur, mais un autre à sa place ; les uns, quelqu'un qu'ils croient Dieu le Père ; d'autres, quelqu'un qu'ils nomment Dieu, parce qu'il excelle en puissance ; d'autres, quelque diable qu'ils craignent, parce qu'il peut faire du mal ; d'autres, la nature comme dans le Monde ; et d'autres ne voient aucun Dieu. Il est dit, dans leur esprit parce que tels ils sont après la mort, quand ils deviennent esprits, aussi ce qui dans le Monde a été caché dans leur esprit est-il alors manifesté. Mais tous ceux qui sont dans le Ciel reconnaissent uniquement le Seigneur, car le Ciel entier vient du Divin procédant de Lui et Lui ressemble comme Homme c'est pourquoi on ne peut entrer dans le Ciel, à moins qu' il ne soit dans le Seigneur, car on entre en Lui quand on entre dans le Ciel ; les autres, s'ils entrent, deviennent impotents de mental, et tombent à la renverse.

    957. L'idée qu'on a de Dieu est la principale de toutes, car telle est cette idée, telle est pour l'homme la communication avec le ciel et la conjonction avec le Seigneur, et par suite telles sont pour l'homme l'illustration, l'affection du vrai et du bien, la perception, l'intelligence et la sagesse ; car ces choses viennent non de l'homme, mais du Seigneur selon la conjonction avec Lui. L'idée qu'on a de Dieu est l'idée qu'on a du Seigneur et de son Divin, car nul autre n'est Dieu du Ciel ni Dieu de la terre, comme il l'enseigne Lui-Même dans Matthieu : «Toute puissance m'a été donnée dans le Ciel et sur la terre. » - XXVIII. 18. - Mais l'idée qu'on a du Seigneur est plus ou moins pleine et plus ou moins claire ; elle est pleine dans le Ciel intime, moins pleine dans le Ciel moyen, et encore moins pleine dans le dernier ; c'est pourquoi ceux qui sont dans le Ciel intime sont dans la sagesse ; ceux du Ciel moyen, dans l'intelligence ; et ceux du dernier, dans la science : l'idée est claire chez les Anges qui sont au milieu dans les sociétés du Ciel, et moins claire chez ceux qui sont autour d'eux selon leur degré de distance du milieu. Tous, dans les Cieux, obtiennent des places selon la plénitude et la clarté de l'idée qu'ils ont du Seigneur ; ils sont aussi dans une sagesse correspondante et dans une félicité correspondante. Tous ceux qui n'ont pas du Seigneur l'idée du Divin, tels que les Sociniens et les Ariens, sont sous les Cieux et malheureux. Ceux qui ont la double idée, à savoir, d'un Dieu invisible et d'un Dieu visible sous forme humaine, demeurent aussi sous les Cieux, et ne sont pas reçus avant qu'ils reconnaissent un Dieu unique et visible. Quelques-uns, au lieu du Dieu visible, voient comme quelque chose d'aérien, et cela, d'après l'idée qu'ils se sont formée, parce que Dieu est nommé esprit ; si chez eux cette idée n'est pas changée en l'idée d'un Homme, par conséquent en l'idée du Seigneur, ils ne sont point acceptés. Mais ceux qui ont de Dieu une idée comme serait celle de l'intime de la nature sont rejetés, parce qu'ils ne peuvent que tomber dans l'idée de la nature en la place de Dieu. Toutes les nations qui ont cru en un seul Dieu, et qui ont de lui l'idée d'un homme, sont reçues par le Seigneur. On peut voir d'après cela qui sont ceux qui adorent Dieu Même, et qui sont ceux qui adorent d'autres dieux, par conséquent ceux qui vivent selon le premier précepte du Décalogue, et ceux qui ne vivent pas selon ce précepte.