CHAPITRE XI

ENTRETIEN AVEC QUELQUES
ÉTUDIANTS

NEUCHATEL, le 13 mars 1922, chez M. F. de R.


    Quelle part la joie doit-elle jouer dans notre vie ? Est-elle une part normale de la vie, ou n'est-elle pas pour ce monde ?

Le sâdhou : La joie est le but auquel nous tendons, soit dans ce monde, soit pour le monde à venir. Sans la joie, la vie n'est rien. Tous les efforts de l'homme tendent vers la joie. Si la joie n'est pas le but de notre vie, ce n'est pas la peine d'essayer de vivre, que nous allions au ciel ou en enfer, c'est tout à fait la même chose

    Y a-t-il certaines parties du Nouveau Testament que vous préférez à d'autres ?

Le sâdhou : En somme, on ne peut pas faire de différence ; chaque partie du Nouveau Testament est importante. Dans notre corps, chaque membre a sa place. Ainsi dans le Nouveau Testament, chaque partie présente Christ sous un angle différent. Je ne parle pas de l'expression même, du langage dans lequel s'exprime la pensée de Dieu dans la Bible. Pour moi, c'est la pensée intérieure qui est la vraie, ce n'est pas la forme extérieure qui importe. On peut couper les ongles et les cheveux sans nuire à la santé du corps. Le langage dont se servent les auteurs sacrés n'est pas parfait.

    N'aimez-vous pas spécialement St-Jean ?

Le sâdhou : Oui, parce que St-Jean semble avoir, aimé Jésus-Christ plus que les autres. Les autres posaient des questions et étaient satisfaits, mais lui s'appuyait sur le cœur de Jésus. Je pense qu'il voulait quelque chose qui allât du cœur au cœur. Mais, on trouve de l'aide et des forces nouvelles partout dans l'Évangile, Jean s'est efforcé plus que d'autres à exprimer la relation intérieure et personnelle de nos cœurs avec le Christ.

    Que diriez-vous à quelqu'un qui voudrait commencer à prier ? Qui n'aurait pas été élevé dans une famille religieuse ?
 

Le sâdhou : Il est très difficile de répondre à cette question. Il faut commencer à prier comme on peut ; on apprendra peu à peu. Ce ne sont pas les dons et les bénédictions qu'il faut rechercher, mais celui qui les donne. Il y a deux sortes de gens qui prient : les hommes de prière et les mendiants ; ceux-ci ne sont pas des hommes de prière. Ils demandent toute espèce de choses matérielles dont ils ont besoin, tandis que les hommes de prière parlent comme avec un ami, ils réclament Dieu lui-même et non pas ses bénédictions extérieures.
 

    Quel sens donnez-vous à la résurrection ? L'envisagez-vous comme un fait qui s'est passé il y a deux mille ans, ou un fait qui a encore son importance pour chacun de nous ?

Le sâdhou : C'est un fait vivant. Si Christ n'était pas mort et n'était pas vivant, le christianisme n'au-rait rien eu à apporter au monde de plus que les autres religions. C'est le Christ vivant qui constitue le christianisme. Ceux qui ne croient pas à la résurrection de Jésus-Christ n'ont pas grand'chose de plus que les païens. Dans un sens ils sont pires que les païens, parce que ceux-ci n'ont jamais entendu parler de Jésus-Christ, et il se peut que Jésus-Christ soit encore révélé à eux.

    Comment comprenez-vous ce verset : « Le sang de Jésus-Christ nous nettoie de tout péché ? »

Le sâdhou : Dans le sens spirituel. Cette purification ne peut s'accomplir que par la foi ; mais ceux qui n'aiment que discuter déclarent que tout cela, c'est de la bêtise : que le sang de Christ, on ne le voit pas, les péchés non plus, que cela n'a pas de sens. Tout dépend de la foi. Ce n'est pas le bois de la croix qui a une vertu miraculeuse pour guérir du péché, mais c'est analogue à l'histoire du serpent d'airain : ceux qui l'ont regardé ont été guéris, les autres, qui ont méprisé et nié, sont morts. Tout dépend de l'obéissance, de la foi. La guérison du péché est accordée en réponse à la foi de ceux qui regardent le Sauveur sur la Croix.

    Attribuez-vous une valeur spéciale aux prophètes dans l'Ancien Testament ?

Le sâdhou : L'importance des prophètes est grande. Dans les prophètes nous avons la préparation de la venue de Jésus-Christ. La seule difficulté que cela présente, c'est que les hommes ne l'ont pas reconnu ; ils étaient aveuglés spirituellement. Ce fait est une preuve d'ailleurs de la valeur divine de la parole de Dieu. Il est important d'accorder de l'attention aux signes que nous donne Dieu dans la vie.

    Doit-on développer son esprit dans l'ordre scientifique ?

Le sâdhou : Oui, c'est utile, mais le danger est toujours que nous prenions un seul côté des choses. Il faut en voir les deux côtés. Le danger, c'est d'être déséquilibré. Il y a eu des chrétiens vivants qui ont été en même temps de grands savants ; d'autres hommes se sont bornés à faire des découvertes et ont complètement perdu de vue le côté de la vie spirituelle. Ils ont perdu leur vie. Il est essentiel de maintenir la vie spirituelle ; si on perd la faculté spirituelle, elle ne revient pas.

Lorsque j'étais au Thibet, j'ai vu dans des grottes une espèce de souris qui avait des yeux, mais était incapable de voir. Ces souris ayant passé toute leur vie dans des cavernes ont perdu complètement l'usage de leurs yeux. Lorsque ces hommes, de science parlent des choses religieuses, ils en parlent comme d'absurdités, parce qu'ils ont perdu le sens des choses religieuses. Ce n'est pas ces gens-là qu'il faut consulter. Il y a heureusement des savants sincères et qui avouent franchement leur incapacité en matière religieuse. J'ai entendu parler d'un savant aux Indes qui avait fait d'importantes découvertes scientifiques. On lui demanda son opinion sur Jésus-Christ. Il répondit : « Allez trouver un pasteur, moi je ne puis pas vous répondre. » Mais d'autres croient que parce qu'ils sont savants dans un domaine, ils peuvent donner leur opinion sur toutes choses, et ils font perdre leur foi aux autres. Ce savant renvoyait son interlocuteur aux théologiens ; pour ma part je n'envoie jamais personne auprès des théologiens, parce que souvent ils ont perdu leur sens spirituel. Ils peuvent expliquer le sens des mots grecs, etc., mais ils passent tout leur temps avec leurs livres, et ne sont pas assez avec le Seigneur. Je ne condamne pas les études théologiques et les théologiens en bloc, beaucoup de ceux-ci sont des saints, mais malheureusement cela devient la mode du jour de mettre en doute et de nier, de critiquer le Christ, de nier sa divinité, etc. C'est contre cette mode que je proteste. Un pasteur me disait : « Quelques-uns de mes collègues et moi ne pouvons plus croire à la divinité de Christ et des millions de chrétiens pensent comme nous. » Je lui répondis : « Ne nous envoyez pas des gens comme cela en Inde, nous ne saurions pas qu'en faire ! »

    Comment comprenez-vous la divinité de Jésus-Christ ?

Le sâdhou : Beaucoup de gens rejettent la doctrine de la trinité, en particulier en Inde où les Hindous sont souvent choqués par cette doctrine qui veut que l'on adore trois Dieux. Ces gens ont souvent entendu des missionnaires qui n'ont pas compris la mentalité hindoue. Voici comment je présente la doctrine de la Trinité : Le soleil nous donne chaleur et lumière : La chaleur et la lumière ne sont pas choses semblables, elles sont différentes, mais le soleil est à la fois lumière et chaleur. Telle est la relation de Dieu, du Fils et du Saint Esprit. «
La Parole était Dieu, mais la Parole a été faite chair. » Dieu est descendu vers nous. J'étais un jour au bord d'une rivière dans le Nord de l'Inde. Il n'y avait là ni pont, ni gué, ni bateau. Comment vais-je passer là ? pensais-je. Un indigène me dit : « Vous allez passer là par le moyen de l'air. » Il prit une outre, la gonfla bien d'air et en attacha fortement l'ouverture, puis il me fit asseoir là-dessus. J'ai pu passer. Dieu est esprit, insaisissable comme l'air que nous ne voyons ni ne palpons, mais qui existe. Pour qu'il puisse nous porter, il faut que l'air
soit limité, une fois qu'il l'est, nous pouvons nous en servir. Ainsi Dieu, qui est Esprit, s'est limité, défini dans une forme humaine pour se rapprocher de nous.

    Dans ce cas, comment expliquez-vous les prières de Jésus-Christ à Dieu ?

Le sâdhou : Son corps n'était pas Dieu, il avait sa personnalité humaine dans laquelle il a vécu trente-trois ans. Jésus a dit : « Le Père qui demeure en moi fait les œuvres que je fais », ce qui veut dire : ce corps qui était faible et fatigué, qui avait faim et soif, cette personne n'était pas Dieu, mais Dieu était en elle et agissait par elle.