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SULPICE SÉVÈRE

NOTICE HISTORIQUE SUR SULPICE SÉVÈRE

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

 

NOTICE HISTORIQUE SUR SULPICE SÉVÈRE

Sulpice Sévère, issu d’une famille illustre, naquit vers l’an 350, dans la province d’Aquitaine. Son éducation répondit à la richesse et aux vues ambitieuses de ses parents. À l’exemple de plusieurs de ses contemporains devenus célèbres, Sulpice Sévère débuta de bonne heure au barreau. C’était alors, comme jadis à Rome, le chemin le plus court pour arriver aux dignités. L’habitude de la parole et le maniement des affaires révélaient promptement, chez les hommes instruits et sérieux, l’aptitude aux fonctions élevées de l’empire. Sulpice s’y distingua par son éloquence, la souplesse de son esprit, son habileté à déjouer les artifices de la chicane, la rectitude de son jugement, et la solidité de son argumentation. Sa réputation se répandit au loin. Comblé des dons de la fortune et du génie, il pouvait aspirer sans témérité aux premières charges de l’État. Entièrement absorbé par les préoccupations mondaines, dans un âge où toutes les espérances sourient à l’imagination, il s’engagea,dans le mariage en épousant une femme de famille consulaire, également remarquable par ses richesses et ses alliances. Sa belle-mère se nommait Bassula. Il était impossible à un jeune homme d’entrer dans la carrière des honneurs sous de plus heureux auspices. Hélas ! tous ces beaux rêves d’avenir ne tardèrent pas à s’évanouir. La Providence lui réservait une destinée plus glorieuse. La mort lui ravit son épouse, et le plongea dans une tristesse profonde. Heureusement son âme, au milieu de tant d’illusions, était restée chrétienne. Au lieu de se laisser abattre par le désespoir, il se redressa énergiquement, et chercha des consolations dans la piété. Dieu récompensa magnifiquement sa foi entre mille autres grâces, il lui ménagea celle de devenir l’ami de saint Martin, évêque de Tours.

Sulpice Sévère fat affermi dans sa résolution de quitter le monde par un compagnon d’enfance et d’études, saint Paulin, qui renonça lui-même aux grandeurs du siècle après avoir été revêtu de la dignité de consul, et fut plus tard la gloire de l’Église de Nole, en Campanie. Sulpice était encore dans la première fleur de l’âge. Son sacrifice en fut plus méritoire. Il n’hésita pas un moment, et, en se consacrant au service de Dieu, il se dépouilla sur-le-champ de la propriété, de ses biens, qui étaient considérables. Cependant, à l’imitation de saint Ambroise, il ne vendit pas ses héritages pour en distribuer le prix aux pauvres ; il se contenta de les céder à l’Église, en s’en réservant l’usufruit. Ce genre d’abandon plaisait davantage à ces grands personnages, accoutumés à exercer directement une influence active sur les hommes. Saint Paulin exalte en termes pompeux cet acte de désintéressement, qu’il regarde comme l’accomplissement. du précepte de saint Paul recommandant aux chrétiens de posséder comme s’ils ne possédaient pas.

Personne ne l’ignore, les généreuses résolutions, comme les grandes œuvres, sont ordinairement soumises aux épreuves. En cette occasion, Dieu n’en dispensa pas son serviteur. Sulpice rencontra des contradictions et des obstacles de tous côtés. Son changement de vie irrita son père, et excita la risée de ses anciens amis. À ces chagrins, dont l’amertume le désolait, vint se joindre la maladie. À deux reprises différentes, il tomba grièvement malade ; mais sa force d’âme, aidée de la grâce divine, triompha de toutes les tentations.

Peu de temps après sa conversion, Sulpice Sévère vint à Tours visiter saint Martin. L’histoire ne nous a pas fait connaître la cause de ce voyage. Nous pouvons l’attribuer à cet attrait invincible qui poussait vers l’illustre évêque de Tours les cœurs héroïques, saintement passionnés pour Dieu et pour son Église ; amoureux des rigueurs salutaires de la mortification de la croix, animés de l’amour du prochain. On croit communément que cette première entrevue eut lieu vers l’an 393. Sulpice fut accueilli avec les témoignages les plus touchants de bonté et d’affection, de la part de saint Martin. L’humble évêque le remercia d’abord de ce qu’il avait entrepris en sa considération un si long et si pénible voyage. Il le fit asseoir à sa table : faveur qu’il accordait rarement, surtout aux grands du monde. « Quelque misérable que je sois, dit Sulpice Sévère, je n’ose presque le reconnaître ; ce grand saint m’a fait l’honneur de me recevoir à sa table ? de me verser de l’eau sur les mains, de me laver les pieds. Il n’y eût pas moyen de m’en dispenser, ni de m’y opposer. Je fus tellement accablé du poids de son autorité, que j’aurais cru faire un crime de ne m’y pas soumettre. »

Ainsi saint Martin remplissait envers un étranger les devoirs de l’hospitalité chrétienne ; ainsi commença pour Sulpice Sévère cette douce familiarité avec notre saint évêque, qui fit l’honneur et la consolation de sa vie. Durant son séjour à Tours, Sulpice étudiait la vie et les vertus de saint Martin, comme le meilleur modèle à suivre ; déjà même il avait conçu le dessein de mettre par écrit tout ce qu’il avait appris des actions de notre illustre évêque. Jamais projet littéraire ne porta plus bonheur à un écrivain : la postérité connaît surtout Sulpice Sévère comme l’historien de saint Martin. Quoique notre saint prélat eût l’habitude de ne jamais parler de lui-même, et de cacher les grâces particulières que Dieu lui accordait, Sulpice cependant affirme qu’il apprit de sa propre bouche une partie des faits racontés dans son histoire. D’autres traits, avec quantité de circonstances intéressantes, lui furent révélés par les clercs de l’Église de Tours ou par les moines de Marmoutier. Peu d’auteurs ont eu la même bonne fortune. Aussi son récit peut-il être considéré comme entièrement digne de foi, puisqu’il s’appuie constamment sur le rapport de témoins oculaires, quand il ne reproduit pas les paroles, mêmes de saint Martin.

À l’école d’un maître si habile, Sulpice fit de rapides progrès. Non content de venir de temps en temps passer quelques jours de retraite à Marmoutier, il transforma sa propre maison en communauté. Là, au milieu de ses anciens serviteurs et esclaves, devenus ses frères en Jésus-Christ, il mettait en pratique les plus austères exercices de la mortification, et passait ses jours dans les plus douces occupations de la piété. Il eut des disciples, parmi lesquels on compte Victor, qui avait reçu les premières leçons de la vie monastique à Tours. Au sein de cette agréable solitude, Sulpice Sévère, adonné à la méditation des choses célestes et à l’étude des saintes lettres, conservait une entière liberté d’esprit, et même cette aimable gaieté qui fut souvent le partage des serviteurs de. Dieu. On trouve une preuve charmante de cet enjouement, innocent dans une lettre qu’il écrivit à saint. Paulin. Celui-ci l’avait prié de lui envoyer un cuisinier. Sulpice l’informe qu’il est assez heureux pour pouvoir satisfaire à sa demande, et qu’il lui enverra bientôt. un serviteur plein de bonnes qualités. « Je ne veux pas toutefois, ajoute-t-il en riant, trop vanter ses talents ; car il a été élevé dans ma cuisine, où l’on ne fait cuire que des fèves et d’autres légumes, où les mets les plus recherchés sont une espèce de bouillie et des herbes hachées, dont tout l’assaisonnement, n’est que du vinaigre et des feuilles de plantes aromatiques. » Saint Paulin et Sulpice Sévère vécurent toujours dans une étroite union. Outre le trait que nous venons de citer, nous apporterons encore, comme preuve de leur intimité, les petits présents qu’ils étaient dans l’habitude d’échanger entre eux. Un jour, Sulpice envoya à l’évêque de Nole un manteau de poils de chameau, grossier produit des fabriques du midi des Gaules. Il reçut en retour la tunique de laine que Paulin avait reçue de sainte Mélanie.

Charmante simplicité ! touchants commerces de l’amitié chrétienne ! Les sainte ont souvent inventé de ces procédés, qui enchantent les âmes candides. La religion épanouit ainsi les cœurs, et donne naissance à des fleurs suaves de sentiment et de délicatesse.

Nous ne dirons, rien ici de l’ouvrage de Sulpice Sévère sar l’Histoire sacrée, quoique ce livre, justement estimé, lui ait mérité le surnom de Salluste chrétien. Nous préférons nous arrêter quelques instants à l’examen de la Vie de saint Martin, des Lettres et des Dialogues qui en forment le complément. Il entreprit de rédiger la Vie sur la demande de Didier, le même, comme on le croit, à qui, saint Jérôme et saint Paulin ont écrit. Le but qu’il se propose est de contribuer au salut des hommes, en leur mettant sous les yeux un admirable modèle de toutes les vertus. Il dédaigne la vaine estime des gens du monde, plus occupés des artifices du langage que des réflexions sérieuses suggérées par la lecture de la vie des saints. La modestie lui fait dire qu’il est inhabile à écrire, et qu’il ne rougit pas même de faire des solécismes. Les amis de la littérature latine le regardent néanmoins comme un des meilleurs auteurs de son siècle. À peine eut-il achevé son travail, qu’il en remit une copie à saint Paulin. Celui-ci la porta à Rome, où chacun se pressa de la lire. Les copies se multiplièrent rapidement, et la Vie de saint Martin se lisait jusque dans les déserts de la Thébaïde, du vivant même de l’auteur. Jamais livre n’obtint un succès plus rapide et plus général. Le pieux évêque de Nole félicite son ami de ce que Dieu l’a jugé digne de publier les louanges d’un si grand évêque, et il lui promet une récompense éternelle. « Ce discours, dit-il, est comme un manteau dont vous avez revêtu et paré le Seigneur Jésus, que vous avez, pour ainsi dire, couronné des fleurs de votre éloquence. »

L’ouvrage avait d’abord paru sans nom d’auteur. Plus tard, Sulpice ne fit aucune difficulté de le reconnaître, et il s’en expliqua nettement dans les Lettres et les Dialogues. Ce n’est cependant, selon l’aveu même de Sulpice, qu’un abrégé de la vie de saint Martin ; beaucoup de faits merveilleux ont été passés sous silence. Nous n’acceptons pas l’excuse qu’il en donne ; si ses contemporains avaient eu peine à les croire, la postérité les aurait accueillis avec édification. Nous regrettons donc vivement cette fausse réserve de notre auteur. De son temps on s’en plaignit hautement, et ces plaintes arrivèrent à son oreille. Afin de réparer ces omissions, Sulpice écrivit ses Lettres et ses Dialogues. On y trouve, en effet, la narration de plusieurs traits omis dans la Vie. Rien n’est plus édifiant que la longue lettre adressée à Bassula, sa belle-mère, où il raconte la mort de saint Martin en termes si touchants. L’Église en a tiré la plus grande partie de l’office du saint évêque de Tours.

On a pensé avec raison que les écrits de Sulpice Sévère relatifs à saint Martin, écrits dont la lecture fit les délices de ses contemporains, et fait encore le charme de tous les dévots serviteurs du patron des Gaules ; seraient lus avec plaisir et profit, par ceux qui ignorent la langue latine, dans une traduction élégante et fidèle, où l’on s’est appliqué à conserver, autant que possible, le caractère du texte original. Beaucoup de personnes aimeront à parcourir les pages mêmes de Sulpice Sévère, au lieu de s’arrêter, aux commentaires plus ou moins ingénieux des historiens modernes. Les eaux sont toujours plus vives et plus pures à la source, que dans des ruisseaux éloignés, quand même les rives en seraient émaillées de fleurs. Les goûts, d’ailleurs, sont variés, et les fidèles seront heureux, nous n’en doutons pas, de pouvoir se procurer la traduction d’un ouvrage aussi solide qu’attrapant. Qu’il nous soit permis ici de féliciter sincèrement l’auteur de cette traduction, M. Richard Viot, qui a fait preuve à la fois de bon goût et de zèle pour le culte de l’illustre évêque de Tours.

Nous formons tous des vœux ardents pour que la dévotion envers saint Martin se propage de plus en plus. La puissance de ce grand pontife auprès de Dieu n’est pas diminuée c’est toujours le thaumaturge et le patron des Gaules. Tous ceux qui l’invoquent avec confiance éprouvent. les effets de son intercession miséricordieuse.

A Tours, le 11 mai 1861, fête de la Subvention de saint Martin.

J.-J. BOURASSÉ, chanoine.

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