TRAITÉ XXIX
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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VINGT-NEUVIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT DE L’ÉVANGILE : « ET COMME LA FÊTE ÉTAIT DÉJÀ À DEMI PASSÉE », JUSQU’À CET AUTRE : « CELUI QUI L’A ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST VÉRIDIQUE, ET IL N’Y A POINT D’INJUSTICE EN LUI ». (Chap. VII, 14-18.)

L’HOMME-DIEU.

 

En entendant le Christ, les Juifs, qui ne voyaient en lui qu’un homme, ne pouvaient s’expliquer comment il savait si bien l’Ecriture sans avoir rien appris. S’ils avaient eu la foi, ils auraient compris qu’il était Dieu et Verbe du Père, que, par conséquent, il en était l’organe, et que de là venait sa science étonnante ; mais ils ne croyaient pas en lui, ni la foi ni la charité ne les animait; aussi ses humiliations, au lieu de leur faire reconnaître son infinie grandeur, ne leur laissaient-elles apercevoir que son humanité.

 

1. On a lu aujourd’hui, et, par conséquent, nous devons aussi étudier la suite de l’Evangile; nous l’expliquerons selon que Dieu nous en fera la grâce. Hier, on vous a donné lecture du texte sacré, jusqu’à l’endroit où l’Evangéliste mentionne les discours que les Juifs tenaient au sujet de Jésus, quoiqu’ils eussent passé une partie de la fête sans le voir paraître dans le temple : « Les uns disaient : Il est bon; les autres répondaient : Non, mais il séduit la foule (1)». Ces discours étaient destinés à consoler les futurs prédicateurs de la parole divine, car ils devaient être considérés en même temps, et comme des séducteurs, et comme des hommes sincères (2). Si séduire, c’est tromper, ni le Christ ailes Apôtres n’ont été des séducteurs; aucun chrétien ne doit mériter ce nom. Mais si vous entendez par séduire, se servir de la persuasion pour conduire quelqu’un d’un endroit à un autre, il faut voir ce que l’on fait quitter à cet homme, et ce à quoi on le mène. Le porter du mal au bien, c’est être un bon séducteur; l’entraîner du bien au mal, c’est le fait d’un séducteur mauvais. Puisse-t-on nous appeler tous, puissions-nous être réellement des séducteurs, en ce sens que nous décidions les hommes à quitter le mal pour revenir au bien!

2. Le Sauveur « monta » donc ensuite à la fête, « lorsqu’elle était déjà à demi passée, et il enseignait. Et les Juifs s’étonnèrent, disant : Comment celui-ci sait-il lire, puisqu’il n’a point appris? » Celui qui se cachait,

 

1. Jean, VII, 12. — II Cor. VI, 8.

 

enseignait : il parlait en public, et personne ne mettait la main sur lui. Il ne se faisait pas connaître, afin de nous servir d’exemple; et si personne ne s’emparait de lui, c’était l’effet de sa puissance. Quand il enseignait, « les Juifs s’étonnaient ». A mon avis, tous s’étonnaient; mais tous ne se convertissaient pas. D’où venait leur étonnement? Le voici. Beaucoup savaient où il était né, comment il avait été élevé; jamais ils ne l’avaient vu apprendre les Ecritures; pourtant, ils l’entendaient disserter sur la loi, citer à l’appui des passages de la loi, que personne ne pouvait citer sans les avoir lus, et que personne ne pouvait lire sans avoir appris la lecture. Ils s’étonnaient donc. Leur étonnement fut, pour le divin Maître, l’occasion de leur insinuer des vérités plus hautes. Le Sauveur prit occasion de leur étonnement et de leurs paroles, pour leur adresser des paroles profondes et dignes d’être étudiées et discutées avec le soin le plus minutieux. C’est pourquoi je demande instamment à votre charité deux faveurs: l’une pour vous, c’est de nous écouter; l’autre pour nous, c’est de nous aider de vos prières.

3. Que répond le Sauveur à ces hommes qui se demandaient avec étonnement comment il pouvait savoir lire sans avoir appris à le faire? « Ma doctrine » , leur dit-il, « ne vient pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé ». Voici le premier mystère que je rencontre dans ces paroles, c’est que dans ce peu de mots sortis de la bouche de Jésus, il semble se trouver une contradiction; car il ne dit pas :

 

546

 

Cette doctrine n’est pas la mienne; mais il dit: « Ma doctrine ne vient pas de moi ». Si cette doctrine ne vient pas de vous, comment est-elle la vôtre ? Et si elle est la vôtre, comment se fait-il qu’elle ne vienne pas de vous? Vous dites pourtant l’un et l’autre : « C’est ma doctrine, elle ne vient pas de moi ». Si Jésus avait dit : Celte doctrine n’est pas la mienne, il n’y aurait aucune difficulté. Mais, mes frères, examinez d’abord la difficulté, puis attendez-en la solution raisonnée; car celui qui ne comprend pas bien l’état de la question, est-il à même d’en bien saisir la solution ? Voici donc l’état de la question. Le Sauveur dit : « Ma doctrine ne vient pas de moi »; ces mots : « Ma doctrine », semblent être en contradiction avec ces autres : « Ne vient pas de moi ». Rappelons-nous bien ce que l’écrivain sacré dit au commencement de son Evangile: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (1) ». De là sort la solution de la difficulté. Quelle est la doctrine du Père, sinon son Verbe? Le Christ est donc la doctrine du Père, s’il en est le Verbe; mais parce que le Verbe est la propriété de quelqu’un, parce qu’il est impossible qu’il n’appartienne à personne, il s’est appelé lui-même sa doctrine, et il a dit qu’elle ne vient pas de lui; car il est le Verbe du Père. Y a-t-il, en effet, quelque chose qui t’appartienne plus que toi-même ? Y a-t-il rien qui t’appartienne moins que toi-même, si tu tiens d’un autre ce que tu es?

4. Le Verbe est donc Dieu; il est aussi le Verbe, l’expression d’une doctrine stable, qui ne passe point et ne s’évanouit nullement avec des mots, mais qui demeure avec le Père. Puissent des paroles qui passent nous instruire de cette doctrine ! Puissions-nous en subir la bienfaisante influence ! Ces sons passagers ne frappent point nos oreilles pour nous appeler à des choses transitoires; elles nous engagent à aimer Dieu. Toutes les paroles que je viens de vous adresser sont dei mots : elles ont frappé et fait vibrer l’air, pour arriver jusqu’à vous par le sens de l’ouïe; elles ont passé en faisant du bruit; mais ce que je vous ai dit, par leur intermédiaire, ne doit point passer; car celui que je vous ai recommandé d’aimer, ne passe pas; et quand, excités par des sons d’un moment

 

1. Jean, I, 1.

 

vous vous serez portés vers lui, vous ne passerez pas non plus, car vous serez unis d’une manière permanente à Celui qui demeure toujours. Dans un enseignement, ce qui est grand, élevé et éternel, c’est ce qui dure; voilà où nous appelle tout ce qui passe dans le temps, pourvu qu’il s’y attache un sens vrai, et non une signification menteuse. Tout ce que nous donnons à entendre par les sons de notre voix a une signification distincte de ces sons matériels. Ainsi, les deux syllabes dont se compose le mot Dieu, Deus, ne sont pas Dieu; nous ne rendons aucun culte à ces deux syllabes, nous ne les adorons pas; ce n’est pas jusqu’à elles que nous désirons parvenir: on a fini de les entendre, pour ainsi dire, avant d’avoir commencé, et il n’y a place pour la seconde que quand la première est passée. Le son de voix par lequel nous disons: Dieu, ne dure pas, mais il y a, pour demeurer toujours, quelque chose de grand, c’est le Dieu dont on fait retentir le nom. Tel est le point de vue sous lequel vous devez envisager la doctrine du Christ ; ainsi parviendrez. vous jusqu’au Verbe de Dieu; et quand vous y serez parvenus, rappelez-vous que «le Verbe était Dieu », et vous verrez que cette parole: « Ma doctrine », est vraie. Rappelez-vous aussi de qui le Christ est le Verbe, et vous comprendrez toute la justesse de cette autre parole : « Ne vient pas de moi ».

5. Je le dis donc brièvement à votre charité : il me semble que par ces paroles: « Ma doctrine ne vient pas de moi », le Seigneur Jésus s’est exprimé dans le même sens que s’il avait dit: Je ne viens pas de moi-même. En effet, quoique nous disions et croyions le Fils égal au Père; quoique nous reconnaissions qu’il n’y a entre eux aucune différence de nature et de substance; quoique enfin l’éternité appartienne aussi bien au Fils engendré qu’au Père son générateur, nous disons, cette réserve faite et bien entendue : Ce qu’est le Père, le Fils l’est aussi : le Père n’existe pas sans le Fils, comme le Fils n’existe pas sans le Père. Le Fils est Dieu, et il vient du Père; le Père est Dieu, mais il ne vient pas du Fils. Il est le Père du Fils, mais il n’est pas Dieu venant du Fils; tandis que le Fils est le Fils du Père; il est Dieu venant du Père, car on appelle Notre-Seigneur Jésus-Christ Lumière de Lumière. La Lumière qui ne vient pas de la Lumière, et la Lumière [547] égale à la Lumière, et qui en vient, ne sont ensemble qu’une seule et même Lumière, et non pas deux Lumières.

6. Si nous avons bien compris, que Dieu en soit loué; si quelqu’un n’a pas parfaitement saisi ces vérités, il est allé aussi loin que les forces humaines le lui ont permis, et il doit considérer ce qui surpasse son intelligence, comme l’objet de ses espérances immortelles. Pareils à des ouvriers, nous pouvons bien extérieurement planter et arroser; mais à Dieu seul il appartient de donner l’accroissement (1). « Ma doctrine », dit le Sauveur, « ne vient pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé ». Qu’il écoute le conseil du Maître, celui qui dit : Je n’ai pas compris. Car, après avoir dit cette grande et mystérieuse chose, le Sauveur Jésus vit bien que tous ne saisiraient pas un enseignement aussi profond; il leur donna donc immédiatement un conseil. Veux-tu comprendre ? Aie la foi; car le Seigneur a dit par la bouche du Prophète : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (2)». A cela revient ce qu’ajouta ensuite le Sauveur: « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura de ma doctrine si elle vient de Dieu, ou si je parle de moi-même». Qu’est-ce que cela : «Si quelqu’un  veut faire la volonté de Dieu ? » Moi j’avais dit : Si quelqu’un croit, et j’avais conseillé de croire. Si tu n’as pas compris, je le répète, aie la foi; car l’intelligence est la récompense de la foi. Ne cherche donc pas à comprendre, afin de croire; mais crois, afin de comprendre, parce que « si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas ». Pour vous rendre capables de comprendre, je vous avais indiqué, comme moyen, l’obéissance de la foi, et j’avais dit que le Sauveur Jésus nous a recommandé le même moyen, dans la phrase suivante; et néanmoins nous l’entendons nous dire : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura de ma doctrine ». « Il saura », c’est-à-dire il comprendra; et ces paroles: « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu », signifient : Si quelqu’un veut croire. Mais puisque ces mots : « Il saura », veulent dire comprendre, tous comprennent; et ces autres : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu », signifiant la même chose que croire, nous avons besoin, pour mieux comprendre, que Notre-Seigneur lui-même

 

1. I Cor. III, 6. — 2. Isa. VII, 9, selon les Septante.

 

nous instruise; il faut qu’il nous dise si réellement l’accomplissement de la volonté de son Père est corrélatif à la foi. Quelqu’un ignore-t-il qu’accomplir la volonté de Dieu, c’est faire son oeuvre, ou, en d’autres termes, ce qui lui plaît? Le Sauveur dit formellement ailleurs: « C’est l’oeuvre de Dieu que vous croyiez en Celui qui m’a envoyé (1)». «Que vous croyiez en lui», et non pas que vous croyiez à lui. Si vous croyez en lui, croyez à lui; mais quiconque croit à lui, ne croit pas par cela même en lui; car les démons croyaient à lui sans croire en lui,. Nous pouvons, de même, dire de son Apôtre: Nous croyons à Paul, et non pas, nous croyons en Paul : nous croyons à Pierre, et non, nous croyons en Pierre. « Lorsqu’un homme croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice (2)». Qu’est-ce donc que croire en lui ? C’est l’aimer, c’est le chérir, c’est tendre vers lui, c’est s’incorporer à ses membres, et tout cela, par la foi. La foi, voilà donc ce que Dieu exige de nous, et voilà, néanmoins, ce qu’il ne peut trouver en nous, à moins qu’il ne l’y mette lui-même par sa grâce. De quelle foi est-il ici question, sinon de celle dont l’Apôtre a si bien tracé le caractère, quand il a dit: « La circoncision et l’incirconcision ne servent de rien; la foi seule qui agit par la charité, sert à quelque chose (3) ». Il ne s’agit pas d’une foi quelconque, mais de celle « qui agit par la charité ». Puisse-t-elle se trouver en toi, et tu auras l’intelligence de sa doctrine. Que comprendras-tu ? Que « cette doctrine n’est pas la mienne, mais qu’elle vient de Celui qui m’a envoyé»; en d’autres termes, tu sauras que le Christ est le Fils de Dieu, qu’il est la doctrine du Père; il n’est pas à lui-même son principe, mais il est le Fils de Dieu.

7. Cette parole renverse de fond en comble l’hérésie de Sabellius. Les Sabelliens ont osé dire que le Fils n’était autre que le Père : ce sont deux noms différents appliqués à une seule et même chose. S’il n’y avait qu’une seule personne désignée sous deux noms, il ne serait pas dit : « Ma doctrine ne vient pas de moi ». Certes, Seigneur, si votre doctrine ne vient pas de vous, et s’il n’existe pas une autre personne dont elle émane, de qui vient-elle ? Ce que vous avez dit, les Sabelliens ne l’ont pas compris: au lieu de reconnaître

 

1. Jean, VI, 29. — 2. Rom. XV, 5. — 3. Galat. V, 6.

 

548

 

la Trinité, ils se sont laissé conduire par les illusions erronées de leur coeur. Pour nous, qui adorons la Trinité, l’union du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et une seule substance divine, comprenons bien que la doctrine du Christ ne vient pas de lui. Il a dit qu’il ne parlait pas de lui-même, parce que le Christ est le Fils du Père, que le Père est le Père du Christ, que le Fils est Dieu, engendré de Dieu le Père, et que si le Père est Dieu, il n’est pas Dieu engendré de Dieu le Fils.

8. « Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire». Tel sera celui qu’on appelle l’antéchrist : « Il s’élèvera», selon l’expression de l’Apôtre, «au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou ce qui est adoré » . Le Sauveur annonce en ces termes aux Juifs, que l’antéchrist cherchera sa propre gloire, et non celle du Père: «Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez pas reçu; un autre viendra en son propre nom, et vous le recevrez (2) ». Il voulait dire par là qu’ils recevraient l’antéchrist; l’antéchrist occupé à rechercher la gloire de son propre nom ; l’antéchrist enflé par l’orgueil, et noua pas nourri par la charité; l’antéchrist destiné, par conséquent, non pas à durer toujours, mais à périr bientôt. Pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, il nous a donné un grand exemple d’humilité. En effet, il est égal à son Père. « Au commencement était « le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Il a dit lui-même, et ses paroles étaient l’expression de la pure vérité: « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas encore? Philippe, celui qui me voit voit, aussi mon

 

1. II         Thess. II,  4. —  2. Jean, V, 43.

 

Père ». Il a dit encore, et en toute vérité: « Mon- Père et moi, nous sommes une même chose (1)». Il est donc une même chose avec le Père, égal au Père, Dieu de Dieu, Dieu en Dieu, coéternel avec lui, et, comme lui, immortel, immuable dès avant le temps, créateur et dispensateur de ce même temps. Toutefois, il est venu dans le temps, s’est revêtu de la forme d’esclave et a été reconnu pour homme par tout ce qui a paru en lui: il cherche donc la gloire de son Père et non pas la sienne. Alors, ô homme, que dois-tu faire, toi qui cherches ta propre g1oire, quand tu fais un peu de bien, et qui penses à accuser Dieu lorsque tu as quelque épreuve à supporter? Réfléchis à ce que tu es; tu es une créature, reconnais donc ton Créateur; tu es un serviteur, ne méprise donc pas ton Maître. Tu as été adopté, mais non pas en raison de tes mérites; cherche donc la gloire de Celui qui a bien voulu t’adopter pour Son enfant,et à la gloire de qui a travaillé son Fils unique par nature. « L’homme qui cherche la gloire de Celui qui l’a envoyé, est véridique, et il n’y a point d’injustice en lui ». Dans l’antéchrist ne se trouvent ni la justice, ni la vérité, parce qu’il cherche sa propre gloire, au lieu de chercher la gloire de Celui qui l’a envoyé, mais il n’a pas été envoyé; il lui a seulement été permis de venir. Tous ceux d’entre nous qui appartiennent au corps du Christ, doivent donc ne pas chercher leur gloire personnelle, afin de ne point tomber dans les pièges de l’antéchrist; et si le Sauveur a cherché la gloire de Celui qui l’a envoyé, qu’à bien plus juste titre nous devons chercher la gloire de Celui qui nous a créés !

 

1. Jean, XIV, 9. — 2. Id. X, 30.

 

 

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