Ambroise
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Traité

DES DEVOIRS

( LIVRE II )

Par

Saint Ambroise de Milan

 

LIVRE II

Préambule :  la beauté morale, la vie heureuse, la vie éternelle.
 

 Au livre précédent nous avons traité des devoirs que nous estimions se rapporter à la beauté morale ; en celle-ci nul n'a douté que se trouvait la vie heureuse que l'Écriture appelle la vie éternelle. Si grand est en effet le lustre de la beauté morale que c'est la tranquillité de la conscience et l'assurance de l'innocence qui font la vie heureuse. Et pour cette raison, de même que le soleil une fois levé dérobe à la vue le disque de la lune et toutes les autres lumières des étoiles, de même l'éclat de la beauté morale, lorsqu'elle resplendit dans la vérité et l'authenticité de son harmonie, fait disparaître toutes les autres réalités que l'on juge bonnes d'après le plaisir du corps, ou bien remarquables et brillantes d'après le monde.

 Heureuse assurément la beauté morale qui ne s'apprécie pas d'après les jugements d'autrui, mais qui se connaît d'après ses propres sentiments, en tant que juge de soi-même. En effet, elle ne recherche pas les opinions de la foule comme une sorte de récompense, et ne les redoute pas comme un châtiment. C'est pourquoi moins elle poursuit la gloire, plus elle s'élève au-dessus d'elle. De fait, pour ceux qui recherchent la gloire, cette récompense pour les réalités présentes est une ombre pour les réalités à venir : elle est un obstacle à la vie éternelle; ce qui est écrit dans l'Évangile : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense », l'est évidemment de ceux qui brûlent de divulguer, comme avec une trompette retentis-sante, la générosité qu'ils pratiquent à l'égard des pauvres. Il en va de même du jeûne qu'ils pratiquent par ostentation : « Ils ont, dit l'Évangile, leur récompense ».  II appartient donc à la beauté morale, soit de pratiquer la miséricorde, soit d'offrir le jeûne dans le secret, afin qu'il soit évident que tu n'attends ta récompen-se que de ton seul Dieu, et non pas aussi des hommes. Car celui qui l'attend des hommes, a sa récompense; tandis que celui qui l'attend de Dieu, a la vie éternelle que seul peut donner le maître de l'éternité, selon qu'il est écrit : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ». C'est pourquoi l'Écriture a appelé ce qui est la vie heureuse, de façon plus significative, vie éternelle, afin de ne pas la laisser comme chose à apprécier d'après les opinions des hommes, mais pour la remettre au jugement divin.

C'est ainsi que les philosophes ont placé la vie heureuse, les uns dans le fait de ne pas souffrir comme Hiéronyme, d'autres dans la science de la nature comme Hérillus : Apprenant que la science avait été vantée de façon merveilleuse par Aristote et Théophraste, il l'éta-blit, elle seule, comme souverain bien, quoique ceux-ci l'aient vantée comme un bien, mais non comme le seul bien. D'autres ont dit que la vie heureuse était le plaisir, comme Épicure ; d'autres — comme Calliphon et Diodore après lui — l'ont ainsi entendue que l'un adjoignit au plaisir, l'autre à l'absence de douleur, la compagnie de la beauté morale, dans l'idée que sans elle il ne peut y avoir de vie heureuse. Zénon le stoïcien définit seul et souverain bien ce qui est beau moralement, tandis qu'Aristote ou Théophraste et tous les autres péripatéticiens affirmèrent que la vie heureuse réside certes dans la vertu, c'est-à-dire dans la beauté morale, mais que son bonheur est comblé en outre par les biens du corps et les biens extérieurs.

 Or la divine Ecriture a placé la vie éternelle dans la connaissance de la Divinité et dans le profit de la bonne action. Car le témoignage de l'Evangile pour l'une et l'autre affirmation est surabondant. En effet, au sujet de la science, le Seigneur Jésus a ainsi parlé : « Or ceci est la vie éternelle qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ ». Et au sujet des oeuvres il a ainsi répondu : « Tout homme qui aura abandonné sa maison ou ses frères ou ses soeurs ou sa mère ou ses fils ou ses champs à cause de mon nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle ».
 Mais pour qu'on ne pense pas que ceci est récent et a été traité par les philosophes avant d'avoir été proclamé dans l'Evangile - antérieurs à l'Evangile sont en effet les philosophes, c'est-à-dire Aristote et Théophraste, ou bien Zénon et Hiéronyme, mais ils sont postérieurs aux prophètes - que l'on apprenne en quel lointain passé, bien avant qu'on entendît le nom des philosophes, les deux affirmations se trouvent clairement exprimées par la bouche du saint David. Il est écrit en effet : « Heureux celui que toi, tu auras instruit, Seigneur, et à qui tu auras enseigné ta loi ». Nous avons aussi ailleurs : « Heureux l'homme qui craint le Seigneur , à ses commandements il se plaira beaucoup  ». Nous nous sommes expliqués au sujet de la connaissance ; de celle-ci le prophète a rappelé que la récompense est le bénéfice de l'éternité, lorsqu'il ajoute que dans la maison de cet homme qui craint Dieu, ou de l'homme instruit dans la loi et se plaisant dans les commandements de Dieu, « sont gloire et richesse » et que « sa justice demeure dans les siècles des siècles ». Au sujet des ?uvres aussi, il a ajouté ensuite, dans le même psaume, que la récompense de la vie éternelle comble l'homme juste. Car il dit : « Heureux l'homme qui prend pitié et prête, il dispose ses propos avec jugement : il sera inébranlable à jamais. Le juste sera en mémoire éternellement». Et ensuite : « II a distribué, il a donné aux pauvres, sa justice demeure pour l'éternité ».

 Ainsi donc la foi a la vie éternelle parce qu'elle est le bon fondement, les bonnes actions ont aussi la vie éternelle parce que l'homme juste est éprouvé à la fois par ses paroles et par ses actes. Car s'il se trouve qu'il soit habile dans les propos et paresseux dans les oeuvres, il rejette sa prudence par ses actions ; et c'est chose plus grave de savoir que faire et de n'avoir pas fait ce qu'on voyait qu'on devait faire. À l'inverse également, se montrer empressé dans les oeuvres et infidèle dans les dispositions intérieures, c'est comme si l'on voulait, sur un fondement défectueux, élever de belles et hautes constructions : plus on a monté l'édifice, plus il s'écroule, car sans l'assise de la foi, les oeuvres ne peuvent subsister. Un mouillage peu sûr fait éventrer le navire au port, et un sol sablonneux cède rapidement, il ne peut supporter le poids de la bâtisse édifiée sur lui. Ainsi donc, là se trouve la plénitude de la récompense, où se trouvent la perfection des vertus et une sorte d'égale modération dans les actions et les paroles.
 Et puisque la seule science de la nature a été rejetée, soit comme vaine selon les discussions oiseuses de la philosophie, soit comme une doctrine imparfaite, examinons quelle limpide doctrine se dégage de la divine Ecriture à ce sujet sur lequel nous voyons qu'il existe des recherches philosophiques si nombreuses, embrouillées et désordonnées. L'Ecriture affirme en effet, que rien n'est bon si ce n'est le beau, et elle estime heureuse, en tout état de cause, la vertu, que ne peuvent augmenter les biens du corps ou extérieurs ni ne peuvent diminuer les adversités ; et elle affirme que rien n'est aussi heureux que ce qui est étranger au péché, plein d'innocence, rempli de la grâce de Dieu. Il est écrit en effet : « Heureux l'homme qui ne s'en est pas allé dans l'assemblée des impies, qui ne s'est pas tenu sur le chemin des pécheurs et qui ne s'est pas assis dans la chaire de corruption, mais dont la volonté s'est tenue dans la loi du Seigneur ». Et ailleurs : « Heureux, purs sur le chemin, ceux qui mar-chent dans la loi du Seigneur.

La vie heureuse est indépendante de la souffrance et du plaisir.

 Ainsi donc l'innocence et la science font l'homme heureux. Nous avons observé précédemment que le bon-heur de la vie éternelle est aussi la récompense de la bonne manière d'agir.
Il reste donc, pour l'Ecriture, à montrer que si l'on méprise la dépendance du plaisir, ou la crainte de la souffrance — l'Ecriture rejette l'une comme exténuante et amollissante, l'autre comme dévirilisante et affaiblis-sante — dans les souffrances elles-mêmes, la vie heureuse  apparaît éminemment. Ce qu'on peut facilement ensei-gner quand on a lu : « Heureux êtes-vous quand on vous maudira, qu'on vous persécutera et qu'on dira toute sorte de mal contre vous, à cause de la justice. Réjouissez-vous et exultez, car votre récompense est abondante dans le ciel. De cette façon en effet ils ont persécuté les prophètes aussi, qui étaient avant vous ». Et ailleurs : « Que celui qui veut marcher derrière moi, prenne sa croix et me suive ».
 Ainsi donc le bonheur existe même dans les souffrances que la vertu pleine de douceur réduit et arrête, étant pour elle-même abondamment pourvue de richesses intérieures de l'ordre de la conscience ou de la grâce. Moïse en effet n'avait pas peu de bonheur lorsque, entouré par la multitude des Egyptiens et enfermé par la mer, il eut trouvé, grâce aux mérites de sa pitié, un passage à pied à travers les flots, pour lui et le peuple de nos pères. Or quand fut-il plus courageux qu'en ce moment où, envi-ronné des pires dangers, il ne désespérait pas du salut, mais forçait la victoire?
Et Aaron ? Quand se crut-il plus heureux qu'au moment où il se tint debout entre les vivants et les morts, et arrêta la mort, en lui opposant la barrière de sa personne, afin qu'elle ne passât point des cadavres des morts aux troupes des vivants ? Pourquoi parler du jeune Daniel ? Il était si sage qu'au milieu des lions exaspérés par la faim, aucune épouvante de la cruauté des bêtes ne brisait son courage ; il était à ce point étranger à la crainte, qu'il pouvait manger sans redouter d'exciter par son exemple l'appétit des bêtes.
Elle existe donc, même dans la souffrance, la vertu qui s'offre à elle-même la douceur de la bonne conscience ; et pour cette raison elle fournit la preuve que la souffrance ne diminue pas le plaisir de la vertu. Ainsi donc, de même qu'il n'est pour la vertu aucune régression du bonheur du fait de la souffrance, de même encore il n'est pour elle aucune progression de ce bonheur du fait du plaisir du corps, ou à cause des avantages de la vie. Or sur ces sujets l'apôtre dit fort bien : « Ce qui était pour moi profits, j'ai estimé que c'était pertes à cause du Christ ». Et il ajouta : « A cause de lui j'ai estimé toutes choses comme préjudices, et les regarde comme ordures, afin de gagner le Christ ».

 Moïse en outre pensa que les trésors des Egyptiens étaient sa ruine et il préféra l'opprobre de la croix du Seigneur. Il n'était pas riche au moment où il regorgeait d'argent, ni pauvre dans la suite où il était démuni de vivres. A moins par hasard qu'au jugement de quelqu'un, il fût moins heureux au moment où, dans le désert, la nourriture quotidienne lui manquait à lui et à son peuple ; mais ce que personne n'oserait nier comme étant le souverain bien et le souverain bonheur, la manne, c'est-à-dire « le pain des anges », lui était servie du Ciel ; grâce à une pluie quotidienne de viande également, il se trouvait, pour les repas de tout le peuple, dans l'abondance.

 Au saint Elie aussi le pain manquait pour sa subsistance s'il en avait cherché, mais on le voyait ne pas en manquer parce qu'il n'en cherchait pas. Et c'est ainsi qu'un service quotidien de corbeaux apportait le pain le matin, et la viande le soir . Est-ce que par hasard il était moins heureux pour la raison qu'il était pauvre pour lui-même ? Pas du tout. Bien au contraire il était d'autant plus heureux qu'il était riche pour Dieu. Il vaut mieux en effet être riche pour les autres que pour soi, comme l'était cet Elie qui, en temps de famine, demandait de la nourriture à une veuve, bien qu'il fût sur le point de lui faire cette largesse : son pot de farine, au long de trois années et six mois, ne lui ferait pas défaut, et sa cruche d'huile suffirait à cette veuve sans ressources et fournirait ses besoins de chaque jour. C'est à juste tite que Pierre voulait être là où il voyait ces hommes. C'est à juste titre qu'ils apparurent dans la gloire avec le Christ sur la montagne, car le Christ aussi « s'est fait pauvre alors qu'il était riche».

 La richesse n'offre donc aucun secours pour la vie heureuse. Ce que le Seigneur, de toute évidence, a montré dans l'Evangile en disant : « Heureux les pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous. Heureux ceux qui maintenant ont faim et soif, car ils seront rassasiés. Heureux vous qui maintenant pleurez, car vous rirez ». Ainsi donc, de la pauvreté, de la faim, de la souffrance - qu'on estime des maux - il a été proclamé de la façon la plus claire que non seulement elles ne sont pas un obstacle à la vie heureuse, mais qu'elles sont même une aide.
 Mais en outre, ce qui paraît des biens, la richesse, la satiété, la joie exempte de souffrance, sont préjudiciables à la jouissance du bonheur ; le jugement du Seigneur l'a déclaré de façon limpide, puisqu'il est dit  : « Malheur à vous riches, car vous avez votre consolation ! Malheur à vous qui êtes rassasiés, car vous aurez faim  ! »
De même à ceux qui rient, car ils pleureront, s'il est donc vrai que non seulement les biens du corps ou les biens extérieurs ne sont pas un secours en vue de la vie heureuse, mais encore qu'ils sont dommageables.
 II s'ensuit en vérité que Naboth était heureux, même alors que le riche le faisait lapider, car pauvre et faible en face des ressources du roi, il n'avait que la richesse de son cœur et de sa piété pour refuser d'échanger contre l'argent du roi l'héritage de la vigne paternelle ; et il était parfait pour cette raison qu'il entendait défendre, au prix de son sang, les droits de ses ancêtres. Il s'ensuit aussi qu'Achab était malheureux, à ses propres yeux, car il avait fait tuer un pauvre pour posséder sa vigne.
 II est assuré que la vertu est le seul et souverain bien et qu'elle seule est féconde en vue de jouir de la vie heureuse ; assuré que ni les biens extérieurs ni ceux du corps mais que la seule vertu offre la vie heureuse par laquelle s'acquiert la vie éternelle. La vie heureuse est en effet la jouissance des réalités présentes, tandis que la vie éternelle est l'espérance des réalités à venir.
 Et il se trouve cependant des gens pour penser que la vie heureuse est impossible dans ce corps si faible, si fragile, en lequel il est inévitable que l'on soit inquiet, que l'on souffre, que l'on pleure, que l'on tombe malade; comme si en vérité je disais, moi, que la vie heureuse consiste dans l'exubérance du corps et non pas dans la profondeur de la sagesse, la sérénité de la conscience, l'élévation de la vertu. Ce n'est pas en effet de vivre dans la souffrance qui est une chose heureuse, mais d'être vainqueur de la souffrance et de n'être pas brisé par l'ébranlement d'une douleur temporaire.
Suppose qu'advienne ce qui passe pour accablant sous le rapport de la violence de la douleur : la cécité, l'exil, la faim, le déshonneur d'une fille, la perte des enfants. Qui nierait qu'Isaac fût heureux, lui qui ne voyait pas dans sa vieillesse et attribuait les bonheurs par ses bénédictions ? Ou bien Jacob ne fut-il pas heureux qui, fuyant la maison paternelle, subit l'exil comme pasteur à gages, déplora que la pudeur de sa fille ait été outragée et supporta la faim ? Ne furent-ils donc pas heureux, ceux par la foi de qui Dieu reçoit témoignage quand il est dit : « Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob » ? La servitude est malheureuse, mais Joseph ne fut pas malheureux; bien au contraire il fut tout à fait heureux alors que, réduit en servitude, il contenait les désirs de sa maîtresse. Pourquoi parler du saint David qui pleura la mort de trois fils et, ce qui fut plus cruel que ces deuils, l'inceste de sa fille ? Comment ne fut-il pas heureux, celui du lignage de qui sortit l'auteur du bonheur, qui fit le plus grand nombre d'hommes, heu-reux : « Heureux en effet ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru » ? Ils eurent eux aussi le sentiment de leur faiblesse, mais ils devinrent, à partir de leur faiblesse, courageux. Quoi de plus pénible que l'état du saint Job, soit dans l'incendie de sa maison, soit dans la mort instantanée de ses dix enfants, dans les douleurs de son corps ? Fut-il par hasard moins heureux que s'il n'avait pas supporté ces maux dans lesquels il fut davantage mis à l'épreuve ?
 J'accorde cependant qu'il y eut en leur vie quelque âpreté, douleur que la force de l'âme ne dissimule pas. Et en effet je ne saurais nier la profondeur de la mer parce que les rivages sont peu profonds, ni la clarté du ciel parce qu'il se couvre parfois de nuages, ni la fertilité de la terre parce qu'en quelques endroits il est un maigre gravier, ou la richesse des moissons parce qu'il s'y mêle d'ordinaire une folle avoine ; considère de la même manière que la récolte de la conscience heureuse est interrompue par quelque âpreté de la douleur. S'il survient par hasard quelque amère adversité, n'est-elle pas, comme une folle avoine, dissimulée par les gerbes de toute une vie heureuse, ou bien n'est-elle pas, comme l'amertu-me de l'ivraie, recouverte par la douceur du froment. Mais maintenant poursuivons nos projets.

Rappel du sujet. Le beau et l'utile se confondent.

 Au livre précédent, nous avons établi la division du sujet de telle sorte qu'en premier lieu fussent placés la beau-té morale et le convenable d'où se dédui-sent les devoirs ; en second lieu la ques-tion de savoir ce qui est utile. Et de même que dans la première partie nous avons dit qu'entre la beauté morale et le convenable il existe une certaine distinction que l'on peut plutôt saisir qu'expliquer, de même aussi lorsque nous traitons de l'utile, il apparaît qu'il faut examiner ce qui est plus utile.
 Or nous n'apprécions pas l'utilité du point de vue de l'évaluation d'un gain pécuniaire, mais du point de vue de l'acquisition de la piété, comme le dit l'apôtre : « La piété est utile pour toutes choses, car elle a la promesse de la vie présente et future ». Et ainsi, dans les divines Ecritures, si nous cherchons attentivement, nous trouvons souvent que l'on appelle utile ce qui est beau moralement : « Toutes choses me sont possibles, mais toutes ne sont pas utiles ». Il parlait auparavant des vices. Il dit donc ceci : il est possible de pécher mais cela ne convient pas. Les péchés sont en notre pouvoir, mais ils ne sont pas beaux moralement. S'abandonner au plaisir est à portée de la main, mais n'est pas juste. Ce n'est pas en effet pour Dieu qu'on amasse la nourriture mais pour le ventre.
 Ainsi donc, puisque ce qui est utile est aussi juste, il est juste que nous servions le Christ qui nous a rachetés ; c'est pourquoi sont justes ceux qui pour son nom s'offrirent à la mort, mais sont injustes ceux qui s'y dérobèrent, dont il dit : « Quelle utilité dans mon sang ? », c'est-à-dire : quel est le progrès de ma justice ? D'où aussi leurs réflexions : « Enchaînons le juste puisqu'il nous est inutile », c'est-à-dire il est injuste celui qui nous accuse, nous condamne, nous corrige. Il est possible que cela puisse être appliqué aussi à la cupidité des hommes impies, qui est proche de la perfidie ; comme nous le lisons dans le cas du traître Judas qui, par goût de la cupidité et par convoitise de l'argent, courut au lacet de la trahison et y tomba.
 C'est donc de cette utilité qu'il me faut traiter, qui est remplie de beauté morale comme en propres termes l'apôtre l'a définie en disant : « Or je dis cela pour votre utilité, non pas pour jeter un lacet sur vous, mais en vue de ce qui est beau ». Il est donc clair que ce qui est beau est utile, et que ce qui est utile est beau ; que ce qui est utile est juste, et que ce qui est juste est utile. Et ma parole en effet ne s'adresse pas à des trafiquants cupides par convoitise du gain, mais à des fils ; et ma parole a trait aux devoirs que je brûle du désir de vous inculquer et de faire pénétrer en vous que j'ai choisis pour le service du Seigneur, afin que ce qui a été implanté et imprimé dans vos âmes et dans vos mœurs, par la pratique et l'éducation, soit aussi exposé par la parole et par l'enseignement.
 C'est pourquoi voulant parler de l'utilité, je me servirai de ce verset du prophète : « Incline mon cœur vers tes commandements et non pas vers la cupidité », de peur que le mot d'utilité ne suggère la convoitise de l'argent. Car quelques versions portent : « Incline mon cœur vers tes commandements et non pas vers l'utilité », c'est-à-dire vers cette utilité qui est à l'affût des trafics où l'on gagne, cette utilité gauchie et déviée par la pratique des hommes dans le sens du goût de l'argent. Communé-ment en effet l'on dit utile cela seulement qui fait gagner ; quant à nous, nous traitons de cette utilité que l'on recherche au prix de dommages, afin d'acquérir le Christ dont « le gain, c'est la piété, pour qui se suffit ». Il est grand, assurément, le gain par lequel nous obtenons la piété qui est riche, aux yeux de Dieu, non pas de ressources périssables, mais de faveurs éternelles en lesquelles il n'est point de tentation où l'on glisse, mais une grâce assurée et définitive.
 Autre est donc l'utilité du corps et autre celle de la piété, suivant la distinction de l'apôtre : « L'exercice du corps en effet, dit-il, est utile pour peu de chose ; mais la piété est utile pour toutes choses ». Or qu'y a-t-il d'aussi beau moralement que la virginité ? Quoi d'aussi conve-nable que de conserver son corps sans tache, sa pudeur inviolée et sans souillure? Qu'y a-t-il encore d'aussi convenable que la volonté, pour une épouse veuve, de conserver la fidélité à son conjoint défunt ? Qu'y a-t-il aussi de plus utile que ceci par quoi l'on obtient le royaume du ciel ? « II en est en effet qui se sont faits eunuques à cause du royaume des cieux. »
 Ainsi donc il n'existe pas seulement une liaison intime de la beauté morale et de l'utilité, mais l'utilité est aussi la même chose que la beauté morale. C'est pourquoi même celui qui voulait ouvrir à tous le royaume des cieux, ne recherchait pas ce qui lui était utile, mais ce qui l'était à tous. Aussi nous faut-il établir un certain ordre et une gradation, en partant même de choses accoutumées et communes, pour aller vers celles qui sont supérieures, afin de recueillir, à partir d'un plus grand nombre de ces choses, le profit de l'utilité.

Il est utile d'être aimé.

 Et tout d'abord sachons que rien n'est aussi utile que d'être tenu en affection et que rien n'est aussi nuisible que de ne pas être aimé : je pense en vérité que le fait d'être haï est une chose funeste et absolument fatale. Aussi faisons ceci : mettons toute notre application à recommander l'estime et la bonne opinion de nous-mêmes ; et d'abord, par le calme de notre âme et l'obligeance de notre coeur, exerçons une influence sur les dispositions des hommes. La bonté est en effet appréciée du peuple et agréable à tous, il n'est rien qui s'insinue aussi facilement dans les sentiments des hommes. Si cette bonté est aidée par la douceur et la facilité du caractère, puis par la modération dans le commandement et par l'affabilité de la conversation, par la déférence des termes, par la patience aussi dans l'échange des conversations, et par l'agrément de la modestie, il est incroyable à quel point la bonté aboutit au comble de l'affection .
 Nous lisons en effet, non seulement en ce qui concerne les particuliers, mais aussi les rois eux-mêmes, combien fut profitable l'aisance d'une séduisante affabilité, ou combien furent dommageables l'orgueil et la hauteur des paroles, au point d'ébranler les royaumes eux-mêmes et de briser la puissance. Donc si quelque roi par sa sagesse, sa façon d'agir, son administration, l'accomplisse-ment de ses devoirs, gagne la faveur du peuple, ou si quelque roi se présente au danger pour l'ensemble de la population, ce n'est pas douteux : un tel amour refluera de la population vers lui, que le peuple fera passer le salut et l'agrément du roi avant son intérêt.

 Que d'affronts de la part du peuple essuyait Moïse ! Et alors que le Seigneur voulait sévir contre les rebelles, lui cependant se présentait souvent, plaidant en faveur du peuple, afin de soustraire la population à la colère divine. Avec quelle douceur dans les propos, après les outrages, il s'adressait au peuple, le réconfortait dans ses peines, le calmait par ses oracles, l'encourageait par ses travaux ! Et alors qu'il parlait constamment à Dieu9, cependant il avait l'habitude d'adresser la parole aux hommes sur un ton humble et agréable. À juste titre il fut jugé supérieur aux hommes, à tel point que l'on ne pouvait regarder son visage et que l'on croyait que sa tombe n'avait pas été découverte ; car il s'était attaché les âmes de toute la population, en telle sorte qu'on le chérissait plus pour sa bienveillance qu'on ne l'admirait pour ses actions.
 Eh quoi ? Son imitateur, le saint David, qui fut choisi d'entre tous  pour gouverner la population, comme il fut doux et aimable, humble d'esprit, attentif de coeur, facile de caractère ! Avant de régner il se présentait au
service de tous : roi, c'est au niveau de tous qu'il plaçait sa fonction et avec tous qu'il partageait le labeur ; il était courageux dans le combat, bienveillant dans le commandement, patient devant la récrimination, plus enclin à subir qu'à rendre les outrages. Aussi était-il si cher à tous que jeune, il fut sollicité, même contre son gré, pour régner, qu'il y fut contraint malgré sa résistance, que vieux, les siens lui demandèrent de ne pas se mêler au combat, parce que tous aimaient mieux affronter le danger pour sa personne, que de le voir, lui, en danger pour tous.
 IL s'était tellement attaché la population par l'accom-plissement de devoirs bienvenus, que, d'abord durant les dissensions du peuple, il aima mieux vivre en exil à Hébron, que de régner à Jérusalem ; qu'ensuite il apprécia la vertu, fût-elle le fait de l'ennemi, et pensa que justice devait être rendue même à ceux qui avalent pris les armes contre lui, tout autant qu'aux siens ; enfin, en ce qui concerne le plus courageux défenseur du parti adverse, le chef Abner, quand celui-ci lui Imposa des combats, David l'admira, et quand Abner lui demanda la faveur de la paix, il ne le méprisa pas, mais l'honora d'un festin ; quand il fut tué dans un guet-apens, David s'affligea et le pleura ; en suivant ses funérailles il lui fit honneur ; en vengeant sa mort il montra la fidélité de sa conscience, fidélité qu'il transmit à son fils, parmi ses dispositions testamentaires , plus soucieux qu'il était de ne pas laisser impunie la mort d'un innocent que de s'affliger de sa propre mort.
 Ce n'est pas une chose ordinaire, surtout chez un roi, de s'acquitter de telle sorte des humbles charges, qu'il se montrait le compagnon même des plus petits ; de ne pas rechercher de la nourriture au péril d'autrui, de refuser de la boisson ; d'avouer son péché et de se présenter lui-même à la mort pour le peuple, afin que la colère divine se retournât contre lui, alors qu'il se présentait à l'ange qui frappait, en disant : « Me voici, c'est moi qui ai péché, c'est moi le pasteur qui ai fait le mal, ton troupeau qu'a-t-il fait ? Que ta main vienne sur moi ».

 En vérité que dire d'autre? Il n'ouvrait pas la bouche à l'adresse de ceux qui méditaient la ruse et il pensait ne devoir répliquer aucune parole comme s'il n'entendait pas : il ne répondait pas aux invectives ; quand on l'outrageait, il priait ; quand on le maudissait, il bénissait. Marchant dans la simplicité, évitant les or-gueilleux, s'attachant aux hommes sans souillure, lui qui mêlait de la cendre à ses aliments quand il pleurait ses propres péchés, et mouillait sa boisson de ses larmes, c'est à juste titre qu'il fut réclamé par l'ensemble du peuple en sorte que toute les tribus d'Israël vinrent à lui en disant : « Nous voici, nous sommes tes os et ta chair; hier et avant-hier, quand vivait Saùl et qu'il régnait sur nous, c'était toi qui faisais sortir et faisais rentrer Israël ; et le Seigneur t'a dit : « Tu paîtras mon peuple ». Et pourquoi en dirais-je plus sur lui au sujet de qui le jugement de Dieu alla jusqu'à déclarer : « J'ai trouvé David selon mon cœur »? Qui en effet marcha comme lui dans la sainteté du cœur et la justice afin d'accomplir la volonté de Dieu ? Lui à cause de qui le pardon fut accordé à ses descendants pour leurs fautes et à cause de qui son privilège fut conservé à ses héritiers.
 Qui donc pouvait ne pas chérir cet homme, en le voyant si aimé de ses amis qu'on pensait, parce que lui-même chérissait sincèrement ses amis, qu'il était également chéri d'eux. Finalement les parents le préféraient à leurs fils et les fils à leurs parents. Aussi, en proie à une violente indignation, Saûl voulut-il percer de sa lance son fils Jonathan parce qu'il estimait que l'amitié de David valait plus à ses yeux que l'affection ou l'autorité de son père.
 Et en effet, pour stimuler une commune affection, le plus profitable est de rendre la pareille à ceux qui nous aiment, de montrer que l'on n'aime pas moins en retour que l'on est aimé soi-même et de le faire par des témoignages d'amitié fidèle. Qu'y a-t-il, en réalité, d'aussi communément apprécié que la reconnaissance ? Qu'y a-t-il d'aussi enraciné dans la nature que de chérir qui nous chérit ? Qu'y a-t-il d'aussi implanté et gravé dans les sentiments humains que d'appliquer son cœur à aimer celui dont on veut être aimé ? Le sage dit avec raison : « Perds de l'argent pour ton frère et ton ami ». Et ailleurs : « Je ne rougirai pas de saluer un ami et je ne me cacherai pas loin de son regard », car le discours de l'Ecclésiastique atteste qu'il y a dans un ami « une médication de vie et d'immortalité » ; et personne ne pourrait douter qu'il y a dans la charité le souverain secours, puisque l'apôtre dit : « Elle supporte tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout, la charité ne cesse jamais ».
 David ne cessa pas de régner pour la raison qu'il fut aimé de tous et qu'il préféra être chéri de ses sujets que craint. La crainte en effet maintient les sentinelles d'une protection temporaire, mais ne connaît pas une garde de longue durée. Aussi dès que la crainte s'est retirée, l'effronterie s'approche, car ce n'est pas la crainte qui contraint à la confiance, mais l'affection qui en fait preuve.
Primordial est donc l'amour, pour nous recomman-der. Il est donc bon que nous ayons le témoignage de l'attachement du plus grand nombre de gens . De là naît la confiance, en telle sorte que même des étrangers n'appréhendent pas de s'en remettre à ton affection qu'ils ont remarquée chère à un grand nombre. De la même manière, on vient aussi par la voie de la confiance à l'amour, en telle sorte que celui qui a honoré la confiance d'un ou deux, exerce une sorte d'influence sur les âmes de tout l'ensemble et gagne la faveur de tous.
 Ce sont donc ces deux choses, l'amour et la confiance, qui font le plus pour nous recommander, et cette troisième chose : si tu as quelque qualité que la plupart des hommes estiment en toi digne d'admiration, et dont ils pensent qu'elle mérite d'être honorée.

II est utile d'être prudent et juste.

Et parce que la pratique des con-seils nous gagne au plus haut point les hommes, pour cette raison l'on souhaite en chacun la prudence et la justice, et c'est à cette fin qu'un grand nombre les attend, de donner sa confiance à celui qui les possède, dans la pensée qu'il peut fournir un conseil utile et digne de confiance à qui le souhaite. Qui en effet s'en remettrait à un homme qu'il ne jugerait pas plus sage que lui-même qui cherche conseil? Il est donc nécessaire que celui à qui on demande un conseil, soit plus remarquable que n'est celui qui le demande. Pourquoi en effet consulterais-tu un homme dont tu ne penses pas qu'il puisse découvrir quelque chose, mieux que ton intelligence elle-même ne le fait ?
Si donc on trouve un homme qui s'impose par la vitalité de son tempérament, par la vigueur et l'autorité de son esprit, et s'il s'ajoute à cela qu'un précédent et l'expérience l'aient particulièrement préparé, qu'il suppri-me les périls du moment, prévoie ceux de l'avenir, révèle ceux qui menacent, qu'il débrouille la question, y porte remède en son temps et qu'il soit préparé non seulement pour conseiller mais encore pour secourir, à cet homme la confiance est acquise en telle sorte que celui qui demande son conseil déclare : « Et si des maux m'arrivent par lui, je les assume ».
 C'est donc à un homme de ce genre, qui soit, comme je l'ai dit tout à l'heure, juste et prudent, que nous confions notre salut et notre réputation. Sa justice, bien sûr, fait qu'on n'a aucune crainte de tromperie; sa prudence en outre, fait qu'on n'a aucun soupçon d'er-reur. Toutefois nous nous confions plus vite à un homme juste qu'à un homme prudent, pour m'exprimer suivant l'usage de la foule. Car, d'après la définition des sages, en celui qui possède une seule vertu, toutes les autres se rassemblent et, sans justice, il ne peut y avoir de prudence. Ce que nous trouvons même chez nos auteurs. David dit en effet : « Le juste s'apitoie et prête ». Il dit ailleurs ce que prête le juste : « Agréable est l'homme qui s'apitoie et prête, il dispense ses propos avec jugement ».
 Lui-même, ce fameux jugement de Salomon, n'est-il pas plein de sagesse et de justice ? Examinons donc s'il en est ainsi. Deux femmes, dit l'Écriture, se tinrent en présence du roi Salomon et l'une de lui dire : Écoute-moi Seigneur. Cette femme et moi habitions dans une même chambre ; il y a deux jours, nous avons accouché et avons eu chacune un fils ; nous étions ensemble, il n'y avait aucun témoin chez nous et aucune autre femme avec nous, nous étions seules ; son fils est mort cette nuit, vu qu'elle s'est endormie sur lui ; elle s'est levée au milieu de la nuit, elle a pris mon fils dans mon giron, l'a placé dans le sien et a placé son fils mort auprès de moi. Je me suis levée ce matin pour allaiter le petit, et je l'ai trouvé mort ; je l'ai examiné au jour naissant : ce n'était pas mon fils. L'autre de répondre : Non, celui qui vit est mon fils, tandis que celui qui est mort est le tien .
 Telle était la dispute : l'une et l'autre revendiquaient comme fils le survivant, quant au mort, elles refusaient de le reconnaître comme leur. Alors le roi ordonna d'apporter une épée, de partager l'enfant et de donner une partie à chacune : moitié à l'une, moitié à l'autre. La femme qu'avait bouleversée le véritable instinct maternel s'écrie : Ne partage l'enfant, à aucun prix, Seigneur, qu'il soit plutôt donné à cette femme et qu'il vive, ne le tue pas. Cette autre au contraire de répondre : Que l'enfant ne soit ni à elle ni à moi, partagez-le. Le roi décida de donner l'enfant à la femme qui avait dit : Ne le tuez pas, mais donnez-le à cette femme, parce que. dit-il, ses entrailles se sont émues sur son propre fils.
 Aussi ce ne fut pas sans raison qu'on estima que « l'intelligence de Dieu était en lui ». Car quelles choses sont cachées à Dieu ? Or qu'y a-t-il de plus caché que le témoignage tiré du tréfonds des entrailles ? En ces entrail-les, l'intelligence du sage descendit, comme une sorte de juge de l'affection, et elle mérita d'entendre comme une sorte de voix du sein maternel, en laquelle s'épouvanta l'instinct d'une mère, au point de choisir que son fils vécût, fût-ce chez une étrangère, plutôt que d'être tué sous le regard de sa mère .
 IL appartenait donc à la sagesse de discerner les secrets des consciences, de faire sortir des choses cachées la vérité, et comme avec une sorte d'épée, de traverser du glaive de l'esprit, non seulement les entrailles du sein maternel, mais encore celles de l'âme et de la pensée. Il appartenait aussi à la justice que celle qui avait tué son fils, n'enlevât pas celui d'une autre, mais que la véritable mère recouvrât son enfant. C'est ainsi que même l'Écriture a déclaré ceci : « Tout Israël, dit-elle, a entendu ce jugement que le roi a porté, et l'on craignit le visage du roi, pour la raison que l'intelligence de Dieu était en lui pour accomplir la justice ». Ainsi Salomon en personne demanda la sagesse en sorte que lui fût donné un cœur avisé pour écouter et juger avec justice.
 IL est donc clair, même d'après la divine Ecritu-re, qui est plus ancienne, que la sagesse ne peut exister sans la justice, parce que là où se trouve l'une de ces vertus, là se trouvent l'une et l'autre. Daniel aussi, avec quelle sagesse, grâce à une interrogation pénétrante, surprit-il le mensonge d'une accusation trompeuse, en telle sorte que les réponses des calomniateurs ne s'accordaient pas ! Ce fut donc le fait de la prudence, de dévoiler les coupables par le témoignage de leurs propres paroles ; mais aussi de la justice, de livrer au supplice les criminels, de tirer d'affaire une innocente.
 Il existe donc une association indivisible de la sagesse et de la justice, mais l'usage du commun distingue une caractéristique déterminée des vertus : la tempérance réside dans le mépris des jouissances ; le courage apparaît dans les travaux et les dangers ; la prudence dans le choix des biens, par sa science de discerner les avantages et les inconvénients ; la justice, qui est la bonne gardienne du droit d'autrui, est aussi la garante de la propriété, en conservant à chacun son propre bien. Admettons donc, à cause de l'opinion commune, cette division opérée en quatre parties, nous tenant à l'écart de la discussion pointilleuse de la philosophie et de la sagesse — c'est en vue d'affiner la vérité que l'on retire, comme d'une sorte de sanctuaire, cette discussion — et suivons l'usage de la place publique et l'acception populai-re. Tout cela donc est préservé par la division des vertus, en sorte que nous revenons à notre sujet.
 Nous confions notre intérêt aux hommes les plus prudents et leur demandons conseil plus volontiers qu'à tous les autres. Toutefois le conseil fiable de l'homme juste l'emporte et a souvent plus de poids que le talent de l'homme très sage : « Plus utiles en effet sont les blessures faites par un ami que les baisers des autres ». Ensuite parce qu'au juste appartient le jugement tandis qu'au sage appartient le raisonnement, on trouve dans le premier la censure de la critique, mais dans l'autre l'habileté de l'invention.
 Que s'il arrive que tu joignes l'une et l'autre chose, on aura des conseils fort salutaires ; ce que tout le monde attend par admiration de la sagesse et par amour de la justice, en telle sorte que tous cherchent à entendre la sagesse de l'homme en qui se trouve l'alliance de l'une et l'autre vertu; c'est ainsi que tous les rois de la terre cherchaient à voir le visage de Salomon et à entendre sa sagesse, si bien que la reine de Saba vint à lui et l'éprouva par ses questions : « Elle vint et dit tout ce qu'elle avait dans le cœur ; elle entendit toute la sagesse de Salomon et pas un mot ne lui échappa ».
 Quelle est cette femme à qui rien n'échappe, à qui il n'est rien que le véridique Salomon n'ait annoncé, ap-prends-le ô homme, de ces paroles que tu lui entends prononcer : « II est véridique, dit-elle, le propos que j'ai entendu dire dans mon pays au sujet de tes discours et de ta prudence ; et je n'ai pas cru ceux qui me le disaient, jusqu'à ce que je sois venue et que mes yeux aient vu ; et en fait, ce n'est pas même la moitié, ce qu'on m'annon-çait. Tu as ajouté de bonnes choses à toutes celles que j'ai entendu dire dans mon pays. Heureuses tes femmes, et heureux tes serviteurs, qui se tiennent devant toi, qui écoutent toute ta prudence ». Comprends le festin du véridique Salomon, et ce qu'on sert dans ce repas, comprends-le avec sagesse, et examine en quel pays une masse de païens a entendu dire la renommée de la sagesse véridique et de la justice, et avec quels yeux elle l'a vu, des yeux qui contemplaient assurément des choses qui ne se voient pas. Car « celles qui se voient sont temporelles, tandis que celles qui ne se voient pas sont éternelles ».
 Quelles sont les femmes heureuses ? Celles dont il est dit que beaucoup écoutent et enfantent la parole de Dieu ? Et ailleurs : « Quiconque en effet a accompli la parole de Dieu, est lui-même mon frère, ma sœur et ma mère ». Qui sont aussi tes enfants heureux qui se tiennent devant toi, si ce n'est Paul qui disait : « Jusqu'à ce jour je me tiens debout portant témoignage devant le petit et le grand » ; si ce n'est Siméon qui attendait dans le temple de voir la consolation d'Israël ? Comment en effet pouvait-il demander qu'on le laissât aller , si ce n'est parce que, se tenant devant le Seigneur, il n'avait pas la possibilité de se retirer s'il n'avait obtenu le consentement du Seigneur? À titre d'exemple, nous a été proposé Salomon à qui l'on demandait à l'envi d'entendre sa sagesse.
 Joseph aussi, même en prison, n'avait pas été exempt de donner des consultations sur des choses incertaines. Or son conseil fut profitable pour toute l'Egypte, en sorte qu'elle n'éprouva pas l'effet des sept années de stérilité, et qu'elle soulagea d'autres peuples du jeûne d'une pitoyable famine.
 Daniel se trouvant parmi les captifs, devenu l'arbitre de la masse des experts en interprétation, par ses conseils réforma le présent et annonça l'avenir. En raison, en effet, des fréquentes élucidations par lesquelles il avait montré qu'il avait été annoncé conformément à la vérité on lui faisait confiance en toutes choses.

L'utilité des vertus qui suscitent l'admiration.

 Mais il est encore un troisième point, concernant ceux qu'on pouvait juger dignes d'admiration, qui se trouve évoqué par l'exemple de Joseph, de Salomon et de Daniel. Car pourquoi parler de
Moïse dont tout Israël attendait chaque jour les conseils ? En raison de leur vie, Israël savait la confiance qu'appe-lait leur prudence et faisait grandir l'admiration que celle-ci appelait. Qui pouvait ne pas s'en remettre au conseil de Moïse à qui les anciens réservaient, pour en juger, tout ce qu'ils croyaient être au-dessus de leur intelligence et de leur vertu ?
Qui pouvait esquiver le conseil de Daniel dont Dieu lui-même a dit : « Qui est plus sage que Daniel » ? Ou comment les hommes pouvaient-ils douter de l'esprit de ceux à qui Dieu accordait un si grand crédit? Sur le conseil de Moïse, des guerres étaient conduites ; en vertu des mérites de Moïse, la nourriture se répandait du ciel et la boisson du rocher.
 Qu'elle était pure l'âme de Daniel pour adoucir les mœurs barbares, pour apaiser les lions ! Quelle tempé-rance en lui ! Quelle maîtrise de son âme et de son corps ! C'est bien à juste titre qu'il devenait l'objet de l'admira-tion de tous lorsque — chose que les hommes admirent passionnément — soutenu qu'il était par des amitiés royales, il ne recherchait pas l'or et ne faisait pas plus de cas de l'honneur qui lui avait été accordé que de sa foi. Bien plus, il aimait mieux s'exposer au danger pour obéir à la loi du Seigneur, que se plier pour obtenir la faveur de l'homme.
Car que dire de la chasteté et de la justice du saint Joseph — que j'avais presque passé sous silence ? Comme la première repoussa les séductions de sa maîtresse, refusa les récompenses ! Comme la seconde méprisa la mort, refoula la crainte, choisit la prison  ! Qui pouvait ne pas juger cet homme capable de donner conseil en matière privée, lui dont l'âme féconde et l'esprit fertile donnèrent l'abondance à la stérilité de l'époque, par une sorte d'exubérance de ses conseils et de son cœur ?
 Ainsi donc nous remarquons que l'honnêteté de la vie, le privilège des vertus, la pratique de la bienveillan-ce, l'agrément de rapports aisés peuvent aider beaucoup à obtenir le rôle de conseiller. Qui en effet rechercherait une source dans la boue? Qui demanderait sa boisson à une eau trouble? Aussi, là où se trouve la débauche, où se trouve l'intempérance, où se trouve le mélange des vices, qui estimerait avoir, de là, quelque chose à puiser pour lui-même ? Qui ne mépriserait la dépravation des mœurs ? Qui jugerait utile à la cause d'autrui celui qu'il voit inutile à sa propre vie ? Qui de nouveau ne fuirait le malhonnête, le malveillant, l'insulteur, et quant à l'homme disposé à nuire, qui ne l'éviterait avec tout son soin ?
 Qui, en vérité, solliciterait un homme, si apte qu'il soit à aider de ses conseils, mais qui serait d'un abord difficile ; un homme en qui les choses se passent comme si l'on obstruerait une source d'eau ? A quoi sert en effet d'avoir la sagesse, si tu refuses ton conseil? Si tu supprimes la possibilité de prendre conseil, tu as clos la source, en telle sorte que ni pour les autres elle ne coule, ni pour toi elle ne sert.
 Or cela convient bien aussi de celui qui ayant la prudence, la souille de la crasse des vices, du fait qu'il pollue la sortie de l'eau. La vie révèle les âmes indignes. Comment peux-tu en effet estimer supérieur par son conseil, celui que tu peux voir inférieur par sa conduite ? Il doit être au-dessus de moi, celui à qui je m'apprête à me confier. Ou bien vraiment le jugerai-je apte à me donner le conseil qu'il ne peut se donner à lui-même et croirai-je qu'il s'occupe de moi, celui qui ne peut s'occuper de lui-même, celui dont l'âme peut être accaparée par les plaisirs, vaincue par la passion, soumise par l'avarice, troublée par la convoitise, ébranlée par la crainte? Comment se trouverait la place d'un conseil, là où il n'y a pas de place pour la sérénité?
Il me faut admirer et contempler le conseiller que, miséricordieux, le Seigneur donna à nos pères, mais que, offensé, il leur enleva. Il doit être son imitateur, celui qui peut donner conseil et garder sa prudence éloignée des vices, car « rien de souillé n'entre en elle ».
 Qui donc, pour ainsi dire par le visage, offrirait l'apparence de la beauté et enlaidirait par des reins de bête et des griffes de fauve la grâce de la partie supérieure de sa conformation, alors que la conformation des vertus est si admirable et remarquable, et spécialement la beauté de la sagesse ? Ainsi que l'indique le passage de l'Ecriture : « Elle est en effet plus éblouissante que le soleil et que toute constellation ; comparée à la lumière, elle se révèle supérieure. La nuit en effet emporte cette lumière, tandis que la malignité ne triomphe pas de la sagesse ».
 Nous avons parlé de sa beauté et l'avons démontrée par le témoignage de l'Ecriture. Reste à enseigner, d'après l'autorité de l'Ecriture qu'il n'est pour la sagesse aucune compagnie des vices, mais une union indivisible avec toutes les autres vertus : « Elle a en effet un esprit habile, sans souillure, déterminé, saint, aimant le bien, pénétrant, qui ne peut en rien empêcher de faire le bien, obligeant, stable, déterminé, assuré, possédant toute vertu, prévoyant toutes choses ». Et plus loin : « Elle enseigne la modération, ainsi que la justice et la vertu ».
Ainsi donc la prudence œuvre en toutes choses, elle participe à tous les biens. Car comment peut-elle donner un conseil utile si elle ne possède pas la justice, en sorte qu'elle se revêt de constance, ne redoute pas la mort, n'est retenue par aucune épouvante, aucune crainte, pense qu'aucune flatterie ne doit détourner du vrai, n'évite pas l'exil, elle qui a appris que, pour le sage, sa patrie est le monde, n'a pas peur du dénuement, elle qui sait que rien ne manque au sage à qui le monde entier de la richesse appartient ? Qu'y a-t-il en effet de plus élevé que l'homme qui ne sait se laisser émouvoir par l'or, qui a le mépris de l'argent, et qui, comme du haut d'une sorte de citadelle, regarde les convoitises des hommes ? Or celui qui a été capable de cela, les hommes pensent qu'il dépasse la condition humaine : « Quel est cet homme, dit l'Ecritu-re, et nous ferons son éloge. Il a fait en vérité des merveilles dans sa vie ». Comment en effet n'est-il pas digne d'admiration celui qui méprise la richesse que la plupart des gens ont préférée à leur propre salut?
 Ainsi donc conviennent à tous la censure que constitue la frugalité, la garantie que confère la maîtrise de soi, et surtout à celui que les honneurs mettent en avant, pour que l'homme en vue ne soit pas la possession de ses propres trésors, et que ne soit pas l'esclave de l'argent celui qui commande à des hommes libres. Il convient plutôt que par le cœur cet homme soit au-dessus de son trésor et par sa complaisance au-dessous de son ami; l'humilité en effet augmente le crédit. Voici ce que l'on comble d'éloges et qui est digne de l'homme de premier ordre : ne pas avoir en commun avec les trafiquants de Tyr et les marchands de Galaad, la convoitise du gain honteux, ne pas placer tout bien dans l'argent ni, comme en vertu d'un service à gages, chaque jour compter les gains, calculer les bénéfices.

L'utilité de la générosité :
1. Les divers genres de générosité.

S'il est digne d'éloge de montrer une âme réservée devant ces cupidités, combien est-il plus remar-quable d'obtenir l'affection de la foule par une générosité qui ne soit
ni prodigue à l'égard des importuns ni restreinte à l'égard de ceux qui sont dans le besoin !
 Mais il existe des genres très nombreux de généro-sité : non seulement l'organisation et la distribution de secours alimentaires à ceux qui manquent de quoi fournir à la dépense quotidienne pour pouvoir sustenter leur vie, mais encore l'assistance et l'aide à ceux qui éprouvent de la honte à montrer publiquement qu'ils sont gênés, dans la mesure où l'on n'épuise par les secours rassemblés pour tous les indigents. Je parle en effet de celui qui est à la tête de quelque fonction — par exemple s'il remplit les devoirs d'un prêtre ou d'un dépensier — afin qu'il dise de ces gens quelques mots à l'évêque et ne repouse pas celui qu'il saurait placé dans quelque nécessité ou, après un revers de fortune, réduit à l'urgence de la pauvreté, surtout s'il est tombé dans cette disgrâce, non point par prodigalité de jeunesse, mais en raison d'un vol par quelqu'un et de la perte de son patrimoine, en telle sorte qu'il ne puisse assurer la dépense de chaque jour.
 C'est encore le comble de la générosité, de racheter des captifs, de les arracher aux mains de l'ennemi, de soustraire des hommes au massacre et surtout des femmes au déshonneur, de racheter des enfants pour leurs parents, des parents pour leurs enfants, de restituer des citoyens à leur patrie. On a trop connu cela avec la dévastation de l'Illyrie et de la Thrace : combien de captifs étaient à vendre partout, dans tout l'univers ! Si on les ramenait, ne pourraient-ils pas atteindre le nombre des habitants d'une province ? Il y eut cependant des gens pour vouloir ramener à l'esclavage, même ceux que les églises avaient rachetés, gens plus rigoureux que la captivité elle-même, capables de porter envie à la miséricorde d'autrui. Eux-mêmes s'ils étaient arrivés en captivité, seraient esclaves, tout libres qu'ils sont ; s'ils avaient été vendus, ils ne refuseraient pas le service de l'esclavage. Et ils veulent rompre la liberté d'autrui, eux qui ne pourraient rompre leur propre esclavage, à moins par hasard qu'il plût à leur acheteur de percevoir un paiement, auquel cas toutefois l'esclavage n'est pas rompu mais racheté.
 C'est donc une générosité toute particulière, de racheter des captifs — et surtout à un ennemi barbare qui n'accorde rien d'humain en vue de la miséricorde, si ce n'est ce que la cupidité a réservé en vue du rachat — d'endosser des dettes, si le débiteur n'est pas solvable et contraint à un acquittement qui est dû en vertu du droit et désespéré du fait de la pauvreté, de nourrir les petits enfants, de protéger les orphelins.
 Il en est encore qui, pour protéger leur chasteté, établissent dans le mariage les jeunes filles privées de leurs parents, les aident non seulement par leur dévoue-ment, mais encore par la dépense qu'ils font. Il existe encore ce genre de générosité, qu'enseigne l'apôtre, à savoir que : « Si quelque croyant a près de lui des veuves, qu'il les secoure afin que l'Eglise n'ait pas la charge de leur entretien, en sorte qu'elle puisse suffire à celles qui sont vraiment veuves ».
 Ainsi donc cette sorte de générosité est utile, mais n'est pas commune à tout le monde. Il est en effet beaucoup de gens, même des hommes de bien, qui ont de maigres revenus, qui se contentent, assurément, de peu pour leur usage personnel, mais qui ne sont pas capables de fournir un soulagement à la pauvreté d'autrui. Toute-fois un autre genre de bienfaisance est à leur portée, grâce auquel ils peuvent aider celui qui se trouve en dessous d'eux. Il existe en effet une double générosité : l'une qui aide en fournissant une chose, c'est-à-dire en se servant de son argent ; l'autre qui se dépense par la contribution de ses œuvres, qui est souvent beaucoup plus brillante et beaucoup plus illustre.
 Avec combien plus d'éclat Abraham recouvra-t-il, par la victoire des armes, son neveu captif, que s'il l'avait racheté ! Avec combien plus d'utilité le saint Joseph aida-t-il le roi Pharaon par le conseil de la prévoyance, que s'il avait apporté de l'argent ! L'argent en effet n'a pas acheté l'abondance d'une seule cité, mais la prévision a repoussé, au long de cinq années, la famine de l'Egypte toute entière .
 Or l'argent s'épuise facilement, tandis que les conseils ne connaissent pas le tarissement. Ceux-ci s'ac-croissent par l'usage, tandis que l'argent s'amenuise, fait défaut rapidement et abandonne l'obligeance elle-même, en telle sorte que plus nombreux sont ceux à qui tu as voulu distribuer, moins nombreux sont ceux que tu aides  — et que souvent te manque ce que tu as pensé devoir donner à un autre. Quant à l'alliance du conseil et de l'action, plus nombreux sont ceux sur qui s'en répand l'effet, plus elle demeure surabondante, et le courant en revient à sa source. En effet la fécondité de la prudence reflue sur elle-même et, plus nombreux sont ceux pour qui elle a coulé, plus devient efficace tout ce qui en reste.

2. La mesure de la générosité.

 Il est donc clair qu'il doit y avoir une mesure de la générosité pour que la bienfaisance ne devienne pas inu-
tile. Il faut qu'on s'en tienne à la modération, les prêtres surtout, afin qu'ils ne distribuent pas par esprit de vanité, mais par esprit de justice. Nulle part en effet n'existe plus grande avidité de la demande : les gens viennent en bonne santé, viennent sans avoir aucune raison, si ce n'est celle d'errer, et veulent épuiser les secours destinés aux pauvres,
réduire à rien la dépense en leur faveur, et non contents de peu, ils réclament davantage, cherchant à obtenir, par l'étalage de leurs vêtements, un appui à leur requête et, par la simulation sur leurs origines, marchandant des accroissements de gains. Si l'on accorde aisément confiance à ces gens, l'on vide rapidement, au détriment de l'entretien des pauvres, les réserves de l'avenir. Qu'il y ait une mesure de la bienfaisance afin que ces gens ne se retirent pas sans rien et que la subsistance des pauvres ne passe pas en profits d'escrocs. Que l'on use d'une pondération telle que l'on ne néglige pas le sens de l'humain et que l'on n'abandonne pas la misère.
 La plupart simulent des dettes : qu'il y ait une enquête sur la vérité. Se plaignent-ils d'avoir été dépouillés par suite de brigandages : que le dommage en fasse foi ou bien la connaissance de la personne afin qu'on l'aide plus volontiers. Il faut faire profiter les excommuniés, de la dépense de la charité, si le moyen de se nourrir leur fait défaut. Et ainsi celui qui observe la mesure n'est chiche pour personne, mais large pour tous. Nous ne devons pas en effet prêter nos seules oreilles pour écouter les voix de ceux qui sollicitent, mais aussi tourner les yeux pour regarder les misères. Pour celui qui agit bien, l'infirmité crie plus fort que la voix du pauvre. Il ne peut se faire en vérité que l'indiscrétion des braillards n'arrache davan-tage; toutefois que la place ne soit pas toujours faite à l'effronterie. Il faut voir celui qui ne te voit pas, rechercher celui qui rougit d'être vu. Que celui-là aussi qui est enfermé en prison accourre à ta pensée, que celui qui est atteint par la maladie trouve un écho dans ton âme, lui qui ne peut le trouver dans tes oreilles.
Plus le peuple t'aura vu agir, davantage il t'aimera. Je sais que la plupart des prêtres qui ont plus donné, ont plus   été   dans   l'abondance,   parce   que   quiconque   voit quelqu'un qui agit bien lui apporte, à lui précisément, ce qu'il distribuera par devoir de sa charge, en étant certain que  son  geste  de  miséricorde  arrive jusqu'au  pauvre : personne en effet ne veut que sa contribution profite à tout autre qu'au pauvre. Car s'il voit quelque administrateur, ou bien donner sans mesure, ou bien trop garder, l'une et l'autre   conduite   lui   déplaît :   soit   qu'en   distributions excessives, il dissipe les fruits de la peine d'autrui, ou qu'il les amasse en trésors. Ainsi donc, de même qu'il faut tenir la mesure de la générosité, de même faut-il aussi donner de l'éperon. La plupart du temps, il faut, semble-t-il, appli-quer la mesure dans l'intention de pouvoir faire, tous les jours, ce bien que tu fais, et dans l'intention de ne pas enlever à la misère ce que tu as accordé à la prodigalité ; il faut donner de l'éperon pour ce motif que l'argent est d'une meilleure efficacité dans la nourriture d'un pauvre, que  dans  le  trésor  d'un  riche.  Garde-toi  d'enfermer  à l'intérieur de ta cassette le salut des indigents et d'enseve-lir,  comme en un tombeau, la vie des pauvres.
Joseph aurait pu faire don de toutes les ressources de l'Egypte et prodiguer les trésors royaux. Toutefois il ne voulut pas apparaître prodigue du bien d'autrui : il préféra vendre le blé plutôt qu'en faire don à ceux qui avaient faim, car s'il avait fait don à quelques-uns, il aurait manqué aux plus nombreux. Il adopta cette générosité afin d'avoir par là en abondance pour tous. Il ouvrit les greniers pour que tous achetassent un supplément de blé, afin d'éviter qu'en recevant gratuitement, ils n'abandon-nassent la culture des terres, parce que celui qui use du bien d'autrui, délaisse le sien propre.
 C'est pourquoi il amassa d'abord l'argent de tous, puis tout le reste du cheptel ; il acquit enfin, pour le compte du roi, les droits des terres, non pour les dépouiller tous de leur bien, mais pour assurer un bien public, établir un impôt afin par là qu'ils puissent posséder plus sûrement leurs biens. Et cela fut agréé de telle sorte par tous ceux à qui il avait acheté leurs terres, qu'ils n'y voyaient pas la vente de leur droit, mais la rançon de leur salut. Ils dirent finalement : « Tu nous a rendus à la vie, nous avons trouvé grâce aux yeux de notre maître ». De fait, en ce qui concerne leur propriété, ils n'avaient rien abandonné, eux qui en retour avaient reçu un droit ; et en ce qui concerne leur intérêt, ils n'avaient rien perdu, eux qui avaient acquis la durabilité.
O le grand homme qui n'a pas recherché la gloire temporaire d'une générosité prodigue, mais a établi l'avan-tage durable de la prévoyance. Il fit en sorte en effet que les populations s'aidassent de leurs propres impôts et que, pas même en temps de misère, elles n'attendissent des secours étrangers. Mieux valait en effet apporter quelque chose de ses récoltes que de tout abandonner de son droit. Il fixa au cinquième la contribution, se montrant à la fois fort pénétrant dans la prévoyance et fort généreux dans l'imposition. Finalement l'Egypte ne subit jamais dans la suite, famine de ce genre.
De quelle façon remarquable en outre il comprit les choses à venir ! Tout d'abord avec quelle ingéniosité, interprête du songe du roi, il exprima la vérité ! Le premier songe du roi était celui-ci : Sept vaches remon-taient du fleuve, belles à voir, le corps bien nourri, et paissaient au bord du fleuve. D'autres aussi, génisses laides à voir, le corps amaigri, à la suite de ces vaches remontaient du fleuve et paissaient auprès d'elles sur le bord même de la rive ; et il vit ces génisses chétives et étiques dévorer celles qui l'emportaient par leur corpulen-ce et leur beauté. Et le second songe était celui-ci : Sept épis bien nourris, de premier choix et de qualité, sortaient de terre et à leur suite sept épis étiques, versés par le vent et moisis, tentaient de s'adjoindre aux premiers ; et il vit que les épis vides et chétifs dévorèrent les épis florissants et pleins.
 Ce songe, le saint Joseph l'expliqua ainsi, à partir de l'idée que les sept vaches étaient sept années et les sept épis, de la même manière, sept années, en tirant son interprétation des périodes de la mise bas et de la récolte : en effet la mise bas de la vache représente une année, et la récolte de la moisson achève une année entière. Et ces vaches remontaient du fleuve pour cette raison que les jours, les années et les périodes passent à la manière des fleuves et coulent rapidement. C'est pourquoi il déclare que sept premières années de terre productive viendront, fertiles et fécondes; mais qu'à leur suite, sept autres années viendront, stériles et infécondes, dont la stérilité s'approprierait l'abondance des précédentes. Et en vue de cela, il donna l'avertissement qu'il fallait pourvoir à amasser, au cours des années particulièrement productives, une réserve de blé qui pût subvenir au dénuement de l'infécondité à venir.
Qu'admirerais-je d'abord ? L'intelligence avec laquel-le, en soi-même, il pénétra le fond de la vérité , ou bien la sagesse avec laquelle il pourvut à une misère si rigoureuse et si durable, ou bien sa vigilance et sa justice : avec la première, au prix d'une charge tellement lourde pour lui, il assembla des approvisionnements si considérables, et avec la seconde, il maintint l'égalité parmi tous  ! Car que dirais-je de sa grandeur d'âme ? Vendu par ses frères pour la servitude, il ne rendit pas l'outrage mais repoussa leur famine. Que dire de sa douceur ? Il réclama la présence de son frère bien-aimé en usant d'une pieuse tromperie : il fit adroitement simuler un vol, et déclara ce frère coupable du larcin, afin de le retenir comme otage de sa faveur .
 Aussi est-ce à juste titre que son père lui dit : « C'est un fils qui a grandi, mon fils Joseph, un fils qui a grandi, mon fils, un zélé mon fils plus jeune... Mon Dieu t'a aidé et t'a béni de la bénédiction du ciel, bénédiction d'en haut, de la bénédiction de la terre, terre qui contient toutes choses, à cause des bénédictions de ton père et de ta mère. Il l'a emporté sur les bénédictions des montagnes qui durent, et sur les désirs des collines éternelles ». Et dans le Deutéronome : « Toi qui apparus, dit-il, dans le buisson, puisses-tu venir sur la tête de Joseph et sur son crâne. Il est en honneur parmi ses frères : sa beauté est celle du
premier-né du taureau, ses cornes sont cornes du rhinocé-ros ; sur ces cornes il dispersera les nations, d'un coup, jusqu'à l'extrémité de la terre. A lui les dix mille d'Ephraïm, à lui les milliers de Manassé ».

Les qualités du bon conseiller. L'exemple de saint Paul.

 Aussi celui qui veut don-ner conseil à autrui doit être tel qu'il fournisse en lui-même, aux autres, un modèle pour « l'exemple des bonnes œuvres, dans sa doctrine, dans sa chas-
teté, dans son sérieux », que sa conversation soit salutaire et irréprochable, son conseil utile, sa vie belle et son avis convenable.
 Tel était Paul, qui donnait conseil aux vierges et enseignement aux prêtres, qu'il nous founissait, en lui-même d'abord, un modèle à imiter. C'est pourquoi il savait aussi s'humilier , comme le sut également Joseph qui, issu de la plus haute race des patriarches, n'ayant pas refusé une indigne servitude, la pratiquait par ses services et l'illustrait par ses vertus. Il sut s'humilier lui qui souffrit et un vendeur et un acheteur et appelait ce dernier son seigneur. Ecoute-le qui s'humilie : « S'il est vrai que mon seigneur, à cause de sa confiance en moi, ne sait rien de ce qui se passe en sa maison, et qu'il a remis entre mes mains tout ce qu'il a, et que rien ne m'a été interdit que toi, parce que tu es sa femme, comment ferai-je cette mauvaise action et pécherai-je devant le Seigneur » ? Parole pleine d'humilité, pleine de chasteté : d'humilité parce qu'il rendait honneur à son seigneur, parce qu'il lui témoignait de la gratitude ; pleine aussi de chasteté parce qu'il regardait comme un grave péché de se souiller par un crime honteux.
Tel doit donc être le conseiller, qu'il n'ait rien d'obscur, rien de trompeur, rien de feint, qui récuse sa vie et son caractère, rien de malhonnête et de malveillant, qui éloigne les consultants. Autres sont en effet les choses que l'on fuit, autres celles que l'on méprise. Nous fuyons celles qui peuvent nuire, qui, par perfidie, peuvent se tourner en dommage, par exemple si celui que l'on consulte est d'une loyauté douteuse et avide de richesse, en sorte qu'il puisse changer pour de l'argent ; s'il est injuste, on fuit cet homme et on l'évite. Quant à celui qui est jouisseur, intempérant, fut-il exempt de fraude, il est toutefois cupide, et fort désireux de gain honteux, on méprise cet homme. Quel exemple en effet de savoir-faire, quel fruit de son travail peut-il produire, quel soin et quelle attention peut-il accueillir en son âme, celui qui s'est abandonné à l'indolence et à la paresse?
 Aussi l'homme de bon conseil dit-il : « Pour moi, en effet, j'ai appris à me trouver satisfait dans les conditions où je me trouve ». Il savait « en effet que la cupidité est la racine de tous les maux », et pour cette raison il se trouvait content de son avoir, ne recherchait pas celui d'autrui. J'ai assez, dit-il, de ce que j'ai : soit que j'aie peu, soit que j'aie beaucoup, c'est beaucoup pour moi. Il semble qu'il faille dire quelque chose de plus net. Il s'est servi d'un mot significatif : Je me suffis, dit-il, dans l'état où je me trouve, c'est-à-dire je ne manque ni n'abonde. Je ne manque pas parce que je ne cherche rien de plus, je n'abonde pas parce que je ne possède pas seulement pour moi mais pour un plus grand nombre. Cela pour l'argent.
 Au reste, on peut dire de toutes choses, que lui suffisaient celles qu'il avait présentement, c'est-à-dire qu'il ne désirait pas plus grand honneur ni hommages plus abondants — n'étant pas avide d'une gloire sans mesure — ou ne recherchait pas indûment la faveur, mais il espérait — endurant à la peine, assuré de son mérite — la fin du combat qu'il devait mener. « Je sais aussi, dit-il, m'humilier ». Ce n'est donc pas l'humilité inconsciente qui fait l'objet de l'éloge, mais celle qui comporte la modération et la connaissance de soi. Il y a en effet l'humilité de la crainte, il y a l'humilité de l'inexpérience et de l'ignorance ; et c'est pourquoi l'Écriture dit : « Et il sauvera les humbles en esprit ». Paul a donc dit de façon remarquable : « Je sais aussi m'humilier », c'est-à-dire, je sais dans quel lieu, en quelle mesure, en quelle limite, dans quel devoir, dans quelle fonction. Le Pharisien ne sut pas s'humilier, aussi a-t-il été rejeté; le publicain le sut, aussi a-t-il été justifié.
Paul savait aussi être dans l'abondance parce qu'il avait l'âme riche, même s'il n'avait pas le trésor d'un riche. Il savait être dans l'abondance, lui qui ne cherchait pas le don d'argent, mais recherchait le fruit de grâce. Nous pouvons aussi de cette manière, comprendre qu'il savait être dans l'abondance, lui qui pouvait dire : « Notre bouche parle librement devant vous, ô Corinthiens, notre cœur s'est largement ouvert ».
« En toutes circonstances, il était formé à la fois à se rassasier et à avoir faim ». Bienheureux lui qui savait se rassasier dans le Christ. Il n'est donc pas corporel mais spirituel ce rassasiement qu'opéré la connaissance. Et c'est à juste titre qu'on a besoin de la connaissance, car : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu ». Ainsi donc lui qui, de cette manière, savait se rassasier et, de cette manière, avoir faim, savait, en telle sorte qu'il cherchait toujours du nouveau, avait faim de Dieu et avait soif du Seigneur. Il savait avoir faim lui qui savait que les affamés mangeront ; il savait et pouvait être dans l'abondance, lui qui n'avait rien et possédait tout.

L'utilité de la justice.

C'est ainsi que la justice recommande de façon particulière les hom-mes qui président à quelque fonction, et
qu'à l'inverse l'iniquité les dessert et se retourne contre eux. L'Ecriture nous en offre un exemple dans ce récit : alors que le peuple d'Israël, après la mort de Salomon, avait prié son fils Roboam de soulager leurs épaules du poids d'une dure servitude et d'adoucir la rigueur du gouvernement de son père, Roboam, méprisant l'avis des anciens, donna sur le conseil de jeunes gens, cette réponse qu'il ajouterait une charge au joug imposé par son père et qu'il changerait les peines légères en lourdes peines.
Mais, exaspérées par cette réponse, les populations répondirent : « Nous n'avons pas de part avec David ni d'héritage parmi les fils de Jessé. Retourne à tes tentes, chacun chez soi, Israël », parce que cet homme ne deviendra pour nous ni roi ni chef. Aussi, délaissé et abandonné par le peuple, est-ce à peine de deux tribus — en considération du mérite de David — qu'il put avoir la compagnie.
Il est donc évident que l'équité consolide les empires et que l'injustice les désagrège. De fait, comment la méchanceté peut-elle posséder un royaume, elle qui ne peut pas gouverner même une seule famille de particuliers ? Ainsi donc la plus grande obligeance est nécessaire afin que nous sauvegardions non seulement les pouvoirs publics, mais aussi les droits des particuliers. La bienveillance aide considérablement, elle qui s'applique à entourer tous les hommes de bienfaits, à les vaincre par des devoirs accomplis à leur égard, à les engager par la reconnaissance.

L'utilité de l'affabilité.

 L'affabilité de la conversation éga-lement, nous l'avons dit, a une impor-tance considérable pour gagner la reconnaissance
Mais nous voulons cette affabilité sincère et mesurée, sans aucune flatterie, afin que la flatterie de la conversation ne disconvienne pas à la simplicité et à la vérité de l'entretien : nous devons être un modèle en effet pour tous les autres, non seulement dans l'action, mais encore dans la conversation, dans la chasteté et la foi. Soyons tels que nous voulons qu'on nous considère, et découvrons notre état d'âme tel que nous l'éprouvons. Et ne disons pas dans notre cœur une parole injuste que nous penserions cachée par le silence, car il entend les paroles dites en cachette, celui qui a fait les choses cachées, et il connaît les secrets du cœur, celui qui a infusé au cœur le sentiment. Par conséquent, établis pour ainsi dire sous les yeux du juge, pensons que tout ce que nous faisons est placé en pleine lumière pour être montré à tous.

L'utilité des bonnes fréquentations.

Ainsi, il est du plus grand pro-fit pour chacun de se joindre aux gens de bien. Pour les jeunes gens aussi, il est utile de suivre des hommes illustres et
sages, car « celui qui rencontre les sages est un sage, tandis que celui qui s'attache aux insensés est reconnu pour un insensé ». Et ainsi le profit est très grand, à la fois au titre de l'enseignement reçu et au titre de l'attestation d'honnêteté. Les jeunes gens montrent en effet qu'ils sont imitateurs de ceux auxquels ils s'attachent, et l'opinion s'accrédite qu'ils ont pris dans leur conduite la ressemblance de ceux avec qui, à la satisfaction de leur désir, ils ont vécu.
De là vient la grandeur de Josué, fils de Navé, que son union avec Moïse, non seulement l'introduisit dans la science de la Loi, mais encore le sanctifia dans la grâce. Ainsi, alors qu'on voyait, descendue sur la tente de Moïse, la majesté du Seigneur resplendir de l'éclat de la divine présence, Josué était seul dans la tente. Moïse parlait avec Dieu, mais Josué était également couvert par la nuée sacrée. Les prêtres et le peuple se tenaient en bas, mais Josué, accompagnant Moïse, faisait l'ascension pour recevoir la Loi. Tout le peuple était à l'intérieur du camp, mais Josué était en dehors du camp, dans la tente de l'alliance. Lorsque la colonne de nuée descendait et parlait avec Moïse, il se tenait auprès, comme un fidèle serviteur, et le jeune homme ne sortait pas de la tente, tandis que les anciens placés au loin tremblaient devant les prodiges de Dieu .
Partout donc, au milieu d'œuvres merveilleuses et de mystères vénérables, il se tenait inséparablement attaché au saint Moïse. Aussi arriva-t-il que celui qui avait été le compagnon de sa vie, devint l'héritier de son pouvoir. À juste titre, l'homme devint tel qu'il retint le cours des fleuves, dit : que le soleil s'arrête, et il s'arrêta — que le soleil, pour ainsi dire spectateur de sa victoire, retarda la nuit et prolongea le jour  — quoi ? chose qui fut refusée à Moïse, que lui seul fut choisi pour faire entrer le peuple dans la terre de la promesse. Grand homme par les miracles de sa foi, grand par ses triomphes. Les œuvres de Moïse furent plus majestueuses, mais celles de Josué plus profitables. L'un et l'autre donc, soutenus par la grâce divine, avancèrent au-delà de la condition humaine : le premier commanda à la mer, le second au ciel.
Belle est donc l'union des anciens et des jeunes gens. Les uns ont le rôle du témoignage, les autres celui du réconfort ; les uns celui de l'enseignement, les autres celui de l'agrément. Je ne retiens pas que Loth, tout jeune homme, s'attacha à Abraham, même quand il partit, de peur que d'aventure on ne considère que cela fut davantage le fait de la parenté et d'un lien inévitable plutôt que volontaire. Que dire d'Elie et d'Elisée ? Bien que l'Ecriture n'ait pas indiqué de façon expresse qu'Elisée était jeune, cependant nous apercevons et constatons qu'il était assez jeune. Dans les Actes des apôtres, Barnabé s'attacha Marc, Paul Silas, Paul Timothée, Paul Tite.
 Mais, d'après les exemples précédents, nous voyons que les devoirs se trouvaient répartis, en telle sorte que les anciens se distinguaient par le conseil et les jeunes par le service. La plupart du temps en outre, semblables par les vertus, mais dissemblables par les âges, ils trouvent plaisir à l'union entre eux, comme y trouvaient plaisir Pierre et Jean. De fait, nous lisons dans l'Evangile et de son propre aveu, que Jean était un jeune homme, bien que par les mérites et la sagesse il ne le cédât à aucun des anciens ; il y avait en effet en lui la vieillesse vénérable de la conduite et la prudence des cheveux blancs. La vie sans tache en effet paie le prix d'une bonne vieillesse.
 Ceci aide également au progrès d'une bonne réputation, de soustraire le faible aux mains du puissant, d'arracher à la mort le condamné ; pour autant qu'on puisse le faire sans trouble, de peur que nous n'apparais-sions agir en vue de la gloriole plutôt que de la miséricorde, et infliger de graves blessures dans notre désir d'en soigner de légères. Si tu as libéré un homme écrasé par la force d'un puissant et accablé par une cabale plutôt que pour le salaire de son crime, c'est alors que le témoignage d'une excellente réputation s'affermit.
L'utilité de l'hospitalité.
 La plupart des gens trouvent une recommandation aussi dans l'hospitalité. C'est en effet une forme publique d'humanité que l'étranger ne soit pas privé d'une maison qui l'accueille, qu'il soit reçu comme il se doit, que la porte soit ouverte à qui arrive. Il est tout à fait convenable au jugement de tout le monde que les étrangers soient reçus avec honneur, qu'ils ne manquent pas de l'agrément d'une table accueillante, qu'ils rencontrent les devoirs de la générosité, que soit guettée l'arrivée des hôtes.
C'est ce qui fut imputé à l'éloge d'Abraham qui surveillait devant sa porte, de peur que par hasard quelque étranger ne passât outre, et montait attentivement la garde afin d'aller à la rencontre de l'hôte, de le prévenir, de le prier de ne pas aller au-delà, en disant : « Seigneur, si j'ai trouvé grâce auprès de toi, ne passe pas devant ton serviteur sans t'arrêter ». Et à cause de cela, pour prix de son hospitalité, il reçut la récompense d'une postérité.
Loth aussi, son neveu, qui lui était très proche, non seulement par la famille mais encore par la vertu, en raison de son sens de l'hospitalité détourna de lui et des siens les châtiments des habitants de Sodome.
Il convient donc d'être hospitalier, obligeant, juste, sans convoitise du bien d'autrui ; bien plus, de céder quelque chose de son droit, si l'on a été provoqué, plutôt que de heurter les droits d'autrui ; il convient de fuir les procès, de se détourner des querelles, d'acquérir à ce prix la concorde et l'agrément de la tranquillité. Car pour un homme de bien, abandonner quelque chose de son droit, ne représente pas seulement de la générosité, mais encore la plupart du temps un avantage : tout d'abord être exempt de la dépense d'un procès n'est pas un gain médiocre, ensuite s'ajoute au bénéfice ce par quoi s'accroît l'amitié d'où naissent les plus nombreux avantages. Et ces choses, pour celui qui néglige quelques droits en un temps, seront ensuite bénéfiques.
Or dans les devoirs de l'hospitalité, c'est à l'égard de tous assurément qu'il faut faire preuve d'humanité, mais il faut accorder aux justes davantage de marques d'honneur : « Quiconque en effet a reçu le juste à titre de juste, recevra la récompense du juste » comme l'a proclamé le Seigneur. Or si grand est aux yeux de Dieu l'agrément de l'hospitalité que pas même une boisson d'eau froide n'est privée des récompenses de la rétribu-tion. Tu vois qu'Abraham reçut Dieu en qualité d'hôte, tandis qu'il recherchait des hôtes. Tu vois que Loth reçut des anges. D'où sais-tu, toi aussi, que tu ne reçois pas le Christ quand tu reçois un homme ? Il est possible que le Christ soit dans l'hôte, puisque le Christ est dans le pauvre, comme lui-même le dit : « J'étais en prison et vous êtes venus à moi, j'étais nu et vous m'avez couvert ». C'est donc une douce chose, de rechercher non pas l'argent mais l'agrément. Or depuis longtemps ce mal s'est infiltré dans l'âme des hommes : l'argent est en honneur et les cœurs humains sont pris par l'admiration de la richesse. Aussi l'avarice s'est-elle introduite comme une sorte de sécheresse dans les devoirs de bonté, en telle sorte que les hommes tiennent pour un dommage tout ce qu'on dépense de plus que d'ordinaire. Mais sur ce point aussi, à l'encontre de l'avarice, afin qu'elle ne puisse constituer un empêchement, l'Ecriture vénérable et prévoyante dit que : « Meilleure est l'hospitalité qui offre des légumes... » et ensuite : « Meilleur est le pain offert avec douceur, dans la paix ». En effet l'Écriture ne nous enseigne pas d'être prodigues, mais généreux.

Générosité et prodigalité.

 Il est de fait deux genres de largesse : l'un est celui de la générosité, l'autre celui de la prodigalité débordante.
Il est généreux d'offrir l'hospitalité, de vêtir qui est nu, de racheter les captifs, d'aider par sa dépense ceux qui sont démunis ; c'est prodigalité de se répandre en festins somptueux avec grande abondance de vins ; aussi as-tu lu : « Le vin est prodigue et l'ivresse injurieuse». C'est prodigalité d'épuiser ses propres ressources pour gagner la faveur du peuple, ce que font ceux qui dilapident leur patrimoine en jeux de cirque ou même de théâtre, en spectacles de gladiateurs ou encore en chasses, afin de l'emporter sur la célébrité de leurs prédécesseurs ; or tout ce qu'ils font est vain, puisqu'il ne convient pas de manquer de mesure, même par des dépenses faites pour de bonnes entreprises.
Belle générosité que de garder la mesure à l'égard aussi des pauvres eux-mêmes, afin d'avoir des ressources pour un plus grand nombre ; de ne pas répandre sans limite, pour gagner la faveur . Tout ce qui procède d'une intention pure et sincère, c'est cela qui est convenable : ne pas entreprendre des constructions superflues, mais ne pas omettre les nécessaires.
Et il convient surtout au prêtre, d'orner le temple de Dieu d'une beauté conforme au lieu, afin que la demeure du Seigneur resplendisse aussi de cette parure; de multiplier les frais convenables pour la pratique de la miséricorde ; de dispenser, autant qu'il faut, aux étrangers, des dons non pas superflus mais appropriés, non pas surabondants mais conformes au sens de l'humain ; il évitera, par la dépense pour les pauvres, de rechercher pour soi la reconnaissance d'autrui ; de se montrer trop serré à l'égard des clercs ou trop complaisant. L'un de ces comportements est inhumain, l'autre prodigue : que la dépense soit insuffisante pour le besoin de ceux que l'on doit retenir à l'écart de la vile poursuite des affaires commerciales, ou que la dépense en vienne au coulage pour la jouissance.

L'utilité de la sincérité.

 Bien plus, dans les paroles elles-mêmes et dans les préceptes, il con-vient qu'il y ait une mesure, de peur que
n'apparaisse trop de relâchement ou trop de sévérité. La plupart   des   gens   en   effet   préfèrent   se   montrer   plus relâchés pour paraître bons, mais il est certain que rien de simulé et de feint n'appartient à une vertu sévère, bien plus, ne connaît, d'ordinaire, une longue durée : au début, cela éclôt, mais avec le temps qui passe, comme petite fleur, cela se disperse et s'anéantit, tandis que ce qui est vrai et sincère s'affermit sur une racine profonde.
Et afin, par des exemples de notre affirmation, de démontrer que ce qui est simulé ne peut être de longue durée, mais que, verdoyant en quelque sorte pour un temps, cela peut tomber rapidement, présentons un seul modèle de simulation et de tromperie, en faisant appel à cette famille dont nous avons tiré pour nous de très nombreux exemples afin de progresser dans la vertu.
Absalon était fils du roi David, supérieur par son charme, exceptionnel par sa beauté, remarquable par sa jeunesse ; en telle sorte qu'on ne trouvait pas un homme semblable en Israël, qui fût sans tache, de la plante des pieds au sommet de la tête. Celui-ci se donna chars et chevaux, et cinquante hommes pour courir en avant de lui. Il se levait à la pointe du jour, et se tenait debout devant la porte, sur le chemin, et s'il avait remarqué quelqu'un qui réclamait les jugements du roi, il s'approchait de lui en disant : « De quelle cité es-tu ? » L'homme répondait : « je suis de l'une des tribus d'Israël, et ton serviteur ». Absalon reprenait : « Tes paroles sont bonne et droites, et le roi ne
t'a donné personne pour t'entendre. Qui m'établira juge ? Qui que ce soit qui viendra auprès de moi, à quiconque un jugement aura été nécessaire, je lui rendrai justice. » Par de tels propos il gagnait les hommes un par un. Et quand ils s'approchaient pour se prosterner devant lui, il étendait les mains, les saisissait et les embrassait. C'est ainsi qu'il retourna en sa faveur les cœurs de tous, les flatteries de cette sorte atteignant la sensibilité du fond du cœur.
Mais ces gens choyés et ambitieux prirent parti pour ce qui était, temporairement, honorifique, aimable et agréable; dès que s'écoula un petit délai que le prophète, prévoyant toutes choses, estima devoir interpo-ser en cédant quelque temps, ils ne purent le supporter et tenir. Finalement, ne doutant pas de la victoire, David recommandait son fils à ceux qui allaient combattre pour qu'ils l'épargnassent. Et c'est la raison pour laquelle il préféra ne pas participer au combat pour ne pas même paraître retourner ses armes contre un criminel sans doute, mais qui cependant était son fils.
Il est donc clair que sont durables et solides les entreprises qui sont vraies et qui sont organisées loyale-ment plutôt que par ruse; quant à celles qui ont été préparées par simulation et par flatterie, elles ne peuvent persister longtemps.
Qui donc peut croire fidèles à sa personne, ou bien ceux qu'on acquiert à l'obéissance à prix d'ar-gent, ou bien ceux qu'on y convie par la flatterie ? De fait, les premiers veulent se vendre fréquemment, et les seconds ne peuvent supporter les rudes commandements ; la moindre petite flatterie les séduit facilement, mais si tu les a piqués d'un mot, ils murmurent, abandonnent, s'en vont hostiles, quittent avec indignation : ils aiment mieux commander qu'obéir; ils pensent que doivent leur être soumis, comme s'ils étaient assujettis par un bienfait, ceux qu'ils devraient tenir pour leurs chefs.
Qui donc peut estimer fidèles à sa personne, ceux qu'il a cru devoir s'attacher ou par l'argent ou par la flagornerie ? De fait, celui qui a reçu de l'argent, se juge sans valeur et méprisé, s'il n'est souvent acheté : aussi attend-il fréquemment le prix de sa vente ; et celui qui se voit entouré de supplications, veut toujours être sollicité.
Ainsi donc c'est avec de bonnes actions et avec pureté d'intention qu'il faut, je pense, tendre aux honneurs et surtout aux honneurs dans l'Eglise, sans qu'il se trouve ni prétention hautaine, ou négligence complai-sante, ni aspiration honteuse et ambition inconvenante. La simplicité toute droite du cœur suffit abondamment à tout, et se recommande assez elle-même.
 Mais dans la fonction même il ne convient, ni que la sévérité soit dure, ni la complaisance excessive, afin que nous ne paraissions pas exercer une magistrature, ou ne pas remplir du tout le devoir de la charge reçue.

L'utilité des bienfaits.

 Il faut aussi s'efforcer de lier par des bienfaits et des devoirs accomplis, le plus grand nombre de gens, et de conserver la
reconnaissance acquise, de peur qu'à bon droit ne devien-nent oublieux du bienfait ceux qui s'affligent d'avoir été blessés gravement ; souvent en effet l'expérience le mon-tre : ceux que tu as entourés de ta faveur ou comblés par quelque dignité supérieure, tu te les aliènes si, de façon imméritée, tu juges devoir préposer quelqu'un d'autre à cette dignité. Mais il convient aussi que l'évêque porte attention à ses bienfaits ou à ses jugements, afin de sauvegarder l'équité, et qu'il soit déférent à l'égard du prêtre ou du ministre, comme à l'égard d'un proche.
Et il ne faut pas que ceux-ci, parce qu'une fois ils ont été approuvés, soient hautains, mais que plutôt, en se souvenant de la faveur reçue, ils gardent l'humilité ; et il ne faut pas que l'évêque s'offense si un prêtre, ou un ministre, ou quelqu'un du clergé, pour la miséricorde, ou le jeûne, ou la chasteté, ou l'enseignement et la lecture, augmente l'estime qu'on a de lui. La reconnaissance de l'Eglise en effet est la louange du maître. C'est un bien que l'œuvre de quelqu'un soit vantée, à condition toutefois que cela se fasse sans aucun désir d'ostentation. Que chacun en effet soit loué par les lèvres des voisins et non par sa propre bouche, et qu'il soit recommandé par ses œuvres et non par ses désirs.
Au reste, si quelqu'un n'obéit pas à l'évêque, il cherche à s'élever et à se mettre en valeur, à éclipser les mérites de l'évêque par une imitation prétentieuse de l'enseignement, ou de l'humilité ou de la miséricorde ; par ces comportements il est en dehors de la voie de la vérité, il s'enorgueillit : en effet, la règle de la vérité est que tu ne fasse rien de trompeur en vue de te recommander toi-même pour abaisser un autre, et si tu as quelque chose de bon, que tu ne l'utilises pas pour le détriment et la critique d'autrui.
Ne défends pas le malhonnête et ne pense pas à confier les choses saintes à un indigne, et à l'inverse, ne poursuis pas et n'attaque pas celui dont tu n'as pas découvert la faute. Car alors que chez tous les hommes l'injustice est. vite choquante, elle l'est au plus haut point dans l'Eglise, où il faut que réside l'équité, où il convient que l'on maintienne l'égalité, et afin que l'homme plus puissant ne réclame rien pour lui, que l'homme plus riche ne s'approprie rien de plus — en effet, qu'il s'agisse du pauvre ou qu'il s'agisse du riche, ils sont un dans le Christ13 — que l'homme plus saint ne s'arroge rien de plus : il sied en effet que lui-même soit plus humble.
Mais ne faisons pas acception de la personne d'autrui dans un jugement : que la faveur soit absente, que les mérites de la cause décident. Rien ne grève à ce point la réputation, bien plus la confiance, que si, en jugeant, l'on abandonne au puissant la cause du petit, ou si l'on accuse le pauvre qui est innocent, tandis que l'on disculpe le riche, coupable d'une faute. Assurément, le genre humain est porté à favoriser les hommes qui sont plus honorés, de peur qu'ils ne s'estiment offensés, de
peur que déboutés, ils ne s'affligent. Mais d'abord, si tu redoutes une disgrâce, n'accepte pas de juger; si tu es prêtre ou si tu es quelqu'un d'autre, ne provoque pas. Il t'est permis de garder le silence dans une affaire qui n'est que pécuniaire, bien qu'il appartienne à la constance de soutenir l'équité. Mais dans la cause de Dieu, là où la communion de l'Eglise est en péril, même fermer les yeux n'est pas un péché léger.
Or quel profit as-tu à favoriser le riche? N'est-ce pas parce qu'il récompense plus rapidement celui qui l'aime? Nous favorisons en effet plus fréquemment ceux dont nous attendons la réciprocité d'une faveur en retour. Mais il convient d'autant plus de nous intéresser au faible et au pauvre, que, à la place de celui qui ne possède pas, c'est du Seigneur Jésus que nous attendons la récompense ; or ce Jésus a fait connaître, sous l'image d'un festin, la norme générale des vertus, à savoir que nous accordions de préférence nos bienfaits à ceux qui ne pourraient nous les rendre, lorsqu'il estime qu'il faut inviter au festin et au banquet, non pas ceux qui sont riches, mais les pauvres. En effet les riches paraissent être priés au festin afin qu'eux-mêmes aussi nous le rendent, tandis que les pauvres, parce qu'ils n'ont pas de quoi donner en retour, quand ils ont reçu, font que le Seigneur est celui qui nous rend, lui qui s'est offert pour être l'obligé à la place du pauvre.
C'est également par rapport à l'intérêt temporel lui-même, que le don d'un bienfait, accompli à l'intention des pauvres plutôt qu'à celle des riches, est plus avantageux ; car  le  riche  dédaigne  un  bienfait  et  il  a  honte  d'être redevable d'une faveur. Bien plus, ce qui lui a été donné, il l'attribue à ses mérites : il pense qu'il l'a reçu comme un dû, ou bien qu'il lui a été accordé pour cette raison que celui qui l'a accordé, a supputé que le riche devrait lui rendre   avec   plus   d'abondance.   Ainsi   en   recevant   un bienfait,  par  le  fait  même  qu'ils  l'ont  reçu,  les  riches considèrent avoir accordé plutôt qu'avoir reçu. Tandis que le pauvre, bien qu'il n'ait pas de quoi rendre de l'argent, apporte en retour sa gratitude. Ce faisant, il est certain qu'il rend plus qu'il n'a reçu : la dette d'argent en effet s'acquitte avec du numéraire, mais la gratitude ne s'épuise jamais. En rendant, la dette d'argent s'éteint, tandis que la reconnaissance, et en gardant s'acquitte, et en acquittant se conserve. Enfin, chose que le riche évite, le pauvre avoue qu'il se sent lié par une dette ; il pense qu'on lui est venu en aide et non pas qu'on lui a rendu hommage. Il juge que ses enfants lui ont été remis,  que la vie lui a été rendue, que sa famille a été sauvée. Combien donc vaut-il mieux placer un bienfait chez de bonnes gens que chez des ingrats !

La nocivité de la cupidité.

C'est pourquoi le Seigneur dit à ses disciples : « Ne possédez ni or ni argent ni monnaie ». Par cette parole
comme avec une faux, il coupa la cupidité qui proliférait dans les coeurs des hommes. Pierre aussi, au boiteux que l'on portait depuis sa naissance, déclara : « Je n'ai ni argent ni or, mais ce que j'ai, je te le donne. Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ». Aussi il ne lui donna pas de monnaie, mais il lui donna la santé. Combien vaut-il mieux tenir le salut sans monnaie que la monnaie sans le salut. Le boiteux se leva, ce qu'il n'espérait pas ; il ne reçut pas la monnaie qu'il espérait.
Mais   ceci   se   rencontre   tout   juste   chez   les   saints   du Seigneur,  que la richesse soit objet de mépris.
Au reste la conduite humaine s'est telle-ment fondée sur l'admiration de la richesse, que person-ne s'il n'est riche, n'est réputé digne d'honneur. Et cet usage n'est pas récent, mais c'est depuis longtemps, ce qui est pire, que ce vice s'est implanté dans les âmes des hommes : en effet, quand Jéricho, la grande ville, se fut écroulée au son des trompettes des prêtres et que Josué fut en possession de la victoire, il apprit que le courage du peuple avait été affaibli par la cupidité et la convoitise de l'or ; de fait, après qu'Achar eut soustrait des dépouilles de la ville en feu, une veste d'or, deux cents didrachmes d'argent et un lingot d'or, mis en présence du Seigneur, il ne put nier, mais révéla son larcin.
Ainsi donc la cupidité est ancienne et invétérée, elle qui a  commencé avec  les  oracles  eux-mêmes  de  la  loi divine ; bien plus, c'est pour réprimer la cupidité même que la loi a été donnée. A cause de la cupidité, Balac pensa que Balaam pouvait être tenté par des récompenses, afin qu'il maudît le peuple des patriarches, et la cupidité l'eût emporté si le Seigneur n'avait pas interdit que le peuple fût tenu éloigné par une malédiction. A cause de la cupidité, Achar était tombé, il avait conduit à sa perte le peuple de nos pères. Et ainsi Josué qui put arrêter le soleil, l'empêchant d'avancer, ne put contenir la cupidité des hommes, l'empêchant de progresser.  A sa voix,  le soleil s'immobilisa mais la cupidité ne s'immobilisa pas. Et ainsi, le soleil se tenant immobile, Josué mena à bien son triomphe, tandis qu'avec l'avancement de la cupidité, il faillit perdre la victoire.
Eh quoi ! Le plus fort de tous les hommes, Samson, n'est-ce pas la cupidité de Dalila, une femme, qui le trompa? Et ainsi celui qui déchira de ses mains un lion rugissant, qui, enchaîné et livré à des étrangers, tout seul, sans aucune aide, après avoir rompu ses liens, tua parmi eux un millier d'hommes, lui qui cassa des cordes de nerfs tressés, comme de tendres fils de sparte, cet homme, la tête penchée sur les genoux de la femme, amputé, perdit l'ornement de sa chevelure invincible, le privilège de sa force. L'argent se répandit dans le giron de la femme et la grâce se retira de l'homme.
Ainsi donc fatale est la cupidité, séduisant l'argent qui corrompt ceux qui en ont, mais n'aide pas ceux qui n'en ont pas. Admettons cependant que l'argent aide quelquefois l'homme, de condition inférieure pour-tant et qui lui-même le désire. Que représente-t-il pour celui qui ne le désire pas, qui ne le recherche pas, qui n'a pas besoin de son secours, que son attrait ne fait pas fléchir ? Que représente-t-il pour les autres, si autre est celui, trop avide, qui a cet argent ? Est-ce que par hasard cet homme offre une plus belle vie morale parce qu'il a ce qui fait perdre, la plupart du temps, la beauté morale, parce qu'il a quelque chose à garder plutôt qu'à posséder ?
Nous possédons en effet ce dont nous usons, quant à ce qui dépasse notre usage, cela n'offre assurément pas l'avantage de la possession, mais le risque de la garde.
Au total nous savons que le mépris de l'argent est la norme de la justice, et pour cette raison nous devons éviter la cupidité et appliquer tout notre effort à ne rien faire jamais contre la justice, mais au contraire à la respecter dans toutes nos entreprises et œuvres.
Si nous voulons nous recommander auprès de Dieu, ayons la charité, soyons unis de cœur, observons l'humilité, estimant entre nous l'autre supérieur à soi. Telle est l'humilité : ne rien s'approprier à soi-même et estimer que l'on est inférieur. Que l'évêque se serve des clercs comme de ses propres membres, et surtout des diacres qui sont vraiment ses fils : celui qu'il aura vu apte à chaque fonction, qu'il l'y destine.

La concurrence des utilités : 1. Soigner ou amputer.

C'est avec peine que l'on ampute, fut-elle gangrenée, une partie du corps, et on la traite longtemps si l'on peut la guérir
avec des médicaments ; mais si l'on ne peut pas, alors le bon médecin la retranche. Tel est l'état d'âme du bon évêque qu'il souhaite guérir les malades, éliminer les plaies qui s'étendent, en brûler quelques-unes, ne pas retran-cher; mais finalement, pour ce qui ne peut être guéri, le retrancher avec peine. En conséquence de quoi ce très beau précepte prend plus de relief, à savoir que nous considérions non pas nos intérêts, mais ceux des autres. De cette manière en effet il n'y aura rien que, soit par colère nous concédions à notre état d'âme, soit par faveur, nous accordions, au-delà de la justice, à notre volonté.

2. La fonte des vases sacrés pour le rachat des captifs.

C'est le plus grand sti-mulant de la miséricorde, que de com-patir aux malheurs d'autrui, de subvenir aux besoins des autres, autant que nous le pouvons et plus parfois que nous ne
le pouvons. Mieux vaut en effet fournir des prétextes d'accusation ou endurer l'hostilité en servant la miséricor-de, que de montrer de la dureté ; c'est ainsi qu'une fois nous avons encouru l'hostilité pour la raison que nous avions brisé des vases sacrés afin de racheter des captifs, ce qui aurait pu déplaire aux ariens ; et que ce n'était pas tant le geste qui déplaisait que le fait qu'il y eût quelque chose qu'on pût nous reprocher. Or est-il un homme assez cruel, assez sauvage, assez insensible pour que lui déplaise qu'un être humain soit délivré de la mort, une femme des outrages des barbares, qui sont plus pénibles que la mort, que des jeunes filles ou de petits garçons ou des enfants le soient du contact des idoles auxquelles ils se souillaient par crainte de la mort ?
Or cette affaire, bien que nous ne l'ayons pas menée sans quelque raison, cependant nous l'avons expo-sée devant le peuple de telle sorte que nous professions et démontrions qu'il avait été beaucoup plus approprié de conserver des âmes au Seigneur que de l'or. Celui en effet qui envoya les apôtres sans or, rassembla ses églises sans or. L'Eglise a de l'or, non pas pour le garder, mais pour le dépenser afin de porter secours dans les nécessités. Quel besoin y a-t-il de garder ce qui n'apporte aucune aide ? Est-ce que nous ne savons pas combien d'or et d'argent les Assyriens enlevèrent du temple du Seigneur ? N'est-il pas mieux que les prêtres fassent fondre ces objets pour nourrir les pauvres, si les autres secours font défaut, plutôt qu'un ennemi sacrilège ne risque de les emporter après les avoir profanés ? Le Seigneur ne dirait-il pas : Pourquoi as-tu laissé tant de miséreux mourir de faim ? Et assurément tu avais de l'or, tu aurais pu fournir de la nourriture. Pourquoi tant de prisonniers ont-ils été emmenés en vente et, n'ayant pas été rachetés, ont été tués par l'ennemi ? Il aurait mieux valu que tu conserves les corps d'êtres vivants plutôt que des vases de métal.
 A ces questions on ne pourrait pas apporter de réponse. Pourquoi en effet dirais-tu : J'ai craint que le temple de Dieu ne manquât de parure? Le Seigneur répondrait : Les mystères sacrés ne réclament pas d'or et n'ont pas de complaisance pour l'or, eux qui ne s'achètent pas à prix d'or ; la parure des mystères est le rachat des prisonniers, Ceux-là sont en vérité des vases sacrés précieux, qui rachètent les âmes de la mort. Celui-là est le vrai trésor du Seigneur, qui effectue ce que son sang a effectué. C'est alors qu'on reconnaît le vase sacré du sang du Seigneur, quand on a vu le rachat à la fois dans le vase et dans le sang, en sorte que le calice rachète de l'ennemi ceux que le sang a rachetés du péché. Que c'est beau, quand des colonnes de prisonniers sont rachetées par l'Eglise, que l'on puisse dire : C'est ceux que le Christ a rachetés. Voici l'or que l'on peut approuver, voici l'or utile, voici l'or du Christ, or qui délivre de la mort, voici l'or qui rachète la pudeur, qui sauve la chasteté.
Ces hommes donc, j'ai préféré vous les remettre libres, plutôt que de conserver de l'or. Cette foule de prisonniers, cette théorie est plus brillante que la beauté des coupes. C'est à cette fonction que devait être utile l'or du Rédempteur, à savoir de racheter des hommes en péril. Je reconnais que, versé dans l'or, le sang du Christ ne l'a pas seulement fait rougir, mais encore qu'il lui a imprimé la vertu de l'œuvre divine par la fonction du rachat.
Tel est l'or que le saint martyr Laurent u conserva au Seigneur; alors qu'on lui réclamait les trésors de l'Église, il promit de les présenter. Le jour suivant, il amena des pauvres. On lui demanda où étaient les trésors qu'il avait promis ; il montra les pauvres en disant : Voici les trésors de l'Eglise. Et c'est vraiment des trésors ceux en qui le Christ est présent, en qui la foi est présente. En effet l'apôtre dit : « Ayant un trésor dans des vases d'argile ».
Quels meilleurs trésors a le Christ que ceux en qui il a dit qu'il était présent ? C'est ainsi en effet qu'il est écrit : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais étranger et vous m'avez recueilli... En vérité ce que vous avez fait à l'un de ceux-ci, c'est à moi que vous l'avez fait ». Quels meilleurs trésors a Jésus que ceux en qui il aime qu'on le voie?
Ces trésors, Laurent les présenta, et il l'emporta parce que même le persécuteur ne put pas les enlever. Et ainsi Joachim qui, pendant le siège, conservait de l'or, sans le dépenser pour acquérir de la nourriture, vit l'or enlevé et emmené en captivité. Laurent qui préféra distribuer aux pauvres l'or de l'Eglise, plutôt que de le conserver au profit du persécuteur, reçut en récompense de l'ingéniosité exceptionnelle de sa manière de comprendre les choses, la couronne sacrée du martyre. Fut-il dit par hasard à saint Laurent : Tu n'aurais pas dû distribuer les trésors de l'Église, vendre les vases sacrés des mystères eucharisti-ques ?
Il faut que l'on remplisse cet office avec une foi authentique et une prévoyance clairvoyante. Assurément, si quelqu'un détourne les gains à son profit, c'est un forfait; mais au contraire s'il distribue aux pauvres, rachète un prisonnier, c'est une œuvre de miséricorde. Personne en effet ne peut dire : Pourquoi le pauvre vit-il ? Personne ne peut se plaindre parce que des prisonniers ont été rachetés ; personne ne peut porter une accusation parce que le temple de Dieu a été construit ; personne ne peut s'indigner parce que pour inhumer les restes des fidèles, des terrains ont été agrandis ; personne ne peut s'affliger parce que, dans les sépultures des chrétiens, les défunts ont le repos. Pour ces trois genres d'usages, il est permis de briser, fondre et vendre, même une fois consacrés, les vases de l'Église.
Il faut que la forme de coupe eucharistique ne sorte pas de l'Église, de peur que le service du calice sacré ne passe à des usages impies. C'est pourquoi, à l'intérieur de l'Église, furent d'abord recherchés les vases sacrés qui n'auraient pas été consacrés ; ensuite ils furent brisés et enfin fondus, partagés par petits morceaux et distribués aux indigents ; ils servirent aussi comme rançons de prisonniers. Que si manquent des vases sacrés neufs, et qui se trouveraient n'avoir en aucune manière été utilisés, je pense que pour ce genre d'usage — que j'ai dit précédemment — tous les vases sacrés peuvent être transformés, conformément à la piété.

3. La garde ou l'abandon des dépôts.

 On doit assurément veiller avec soin à ce que les dépôts des veuves demeurent intacts, qu'ils soient conservés sans aucun préjudice, et non seulement
les dépôts des veuves, mais aussi ceux de tous ; on doit, en effet, faire preuve de fidélité envers tous, mais la cause des veuves et des orphelins est plus grande.
C'est ainsi que par le seul mot de veuves, comme nous le lisons dans les Livres des Maccabées, tout ce qui avait été confié au temple, fut conservé. En effet, révélation avait été faite de sommes au sujet desquelles l'impie Simon dévoila au roi Antiochus qu'on pouvait les trouver, très considérables, dans le temple à Jérusalem ; envoyé donc à cette fin, Héliodore vint au temple et découvrit au grand prêtre la malveillance de la révélation et le motif de sa venue.
Alors le prêtre dit qu'étaient en dépôt les moyens de subsistance des veuves et des orphelins. Et comme Héliodore voulait aller les dérober et en revendiquer la propriété au bénéfice du roi, les prêtres se jetèrent devant l'autel, revêtus des habits sacerdotaux; en pleurs ils suppliaient le Dieu vivant qui avait donné la loi sur les dépôts, de se montrer le gardien de ses propres préceptes. Mais l'altération du visage et du teint du grand prêtre exprimait la douleur de son âme et l'inquiétude de son esprit tendu. Tous pleuraient à la pensée que le lieu saint tomberait dans le mépris si, pas même dans le temple de Dieu, la garde de la fidélité n'était observée de façon sûre. Les femmes, la poitrine ceinte, et les jeunes filles enfermées frappaient à la porte ; d'autres couraient aux murs, d'autres regardaient par les fenêtres, tous tendaient les mains vers le ciel, priant le Seigneur de soutenir ses propres lois.
Or Héliodore, que ne terrifiaient pas même ces spectacles, pressait ce qu'il avait entrepris, et avait entouré le trésor de ses gardes quand tout à coup lui apparut un terrible cavalier, étincelant de ses armes d'or ; son cheval était équipé d'un caparaçon remarquable. Deux autres jeunes gens également apparurent, avec une force excep-tionnelle, d'une beauté aimable, dans l'éclat de la gloire, magnifiquement vêtus ; ils se placèrent autour de lui et des deux côtés frappaient le sacrilège, sans aucune interrup-tion, de coups continus. Bref, enveloppé de ténèbres il tomba à terre et, sous la révélation évidente de l'action de Dieu, il gisait inanimé ; aucun espoir de salut ne subsistait plus en lui. La joie se leva pour ceux qui craignaient, mais la peur pour les orgueilleux, et abattus, certains des amis d'Héliodore priaient, demandant la vie pour lui parce qu'il rendait le dernier soupir.
Aussi à la prière du grand prêtre, les mêmes jeunes gens, de nouveau, apparurent à Héliodore, vêtus des mêmes costumes, et ils lui dirent : Rends grâce au grand prêtre Onias à cause de qui la vie t'a été rendue; quant à toi qui as fait l'expérience des fouets de Dieu, va et annonce à tous les tiens combien sont grandes, à ce que tu as reconnu, la sainteté du temple et la puissance de Dieu. Ayant dit ces mots, ils n'apparurent plus. Aussi Héliodore, ayant retrouvé ses esprits, offrit un sacrifice au Seigneur, rendit grâce au prêtre Onias et revint avec son armée auprès du roi en disant : Si tu as quelque ennemi ou comploteur contre ton pouvoir, envoie-le là-bas et c'est fouetté que tu le retrouveras.
 Il faut donc, mes fils, observer la fidélité à l'égard des dépôts, y apporter du zèle. Votre ministère tire de l'éclat, d'une manière particulière, s'il arrive que la pression subie de la part d'un puissant, pression que la veuve ou les orphelins ne pourraient supporter, se trouve contenue grâce au secours de l'Église, s'il vous arrive de montrer que le commandement du Seigneur a plus de valeur à vos yeux que la faveur du riche.
Vous vous souvenez vous-mêmes combien de fois, à l'encontre des assauts des monarques, nous avons supporté le combat pour défendre les dépôts des veuves ou plutôt de tous. Cela m'est commun avec vous. Je citerai l'exemple récent de l'église de Pavie qui risquait de perdre le dépôt d'une veuve, qu'elle avait reçu. En effet devant la requête de celui qui prétendait revendiquer ce dépôt pour lui, en vertu d'un rescrit (1) impérial, les clercs soutenaient énergiquement l'autorité de l'Église. Les honoraires aussi et les médiateurs commis rapportaient qu'on ne pouvait aller à l'encontre des prescriptions de l'empereur; lecture était donnée de la rédaction particulièrement nette du rescrit, des décrets d'exécution du maître des offices ; le chargé de mission menaçait Que dire de plus? On avait livré le dépôt.
Cependant, après échange d'avis avec moi, le saint évêque assiégea les pièces où il avait appris que ce dépôt de la veuve avait été transporté. Quand les adversaires ne purent l'enlever, on le recouvra sous la condition d'une reconnaissance écrite. Ensuite, de nouveau le dépôt était réclamé en vertu de la reconnaissance écrite : l'empereur avait renouvelé sa prescription en telle sorte qu'en personne il nous citait par devant lui. On refusa et après qu'on eut représenté l'autorité de la loi de Dieu, la teneur du texte et le péril encouru par Héliodore, avec peine, enfin, l'empereur entendit raison. Dans la suite encore une action par surprise avait été tentée, mais le saint évêque prit les devants en sorte qu'il rendit à la veuve ce qu'il avait reçu. La fidélité cependant est sauve, la pression n'entraîne pas la crainte car c'était l'objet, non pas aussi la fidélité qui était en danger.

Conclusion.

Mes fils, fuyez les gens malhonnêtes, gardez-vous des gens envieux. Entre le malhonnête et l'envieux, voici la différence : le mal-honnête trouve plaisir au bien qui le concerne, tandis que l'envieux est torturé par le bien qui concerne autrui, celui-là chérit de mauvais biens, tandis que celui-ci hait des biens véritables, en telle sorte que celui qui se veut du bien, est presque plus supportable que celui qui veut du mal à tous.
Mes fils, réfléchissez avant d'agir et quand vous aurez réfléchi assez longtemps, alors faites ce que vous jugez bon. L'occasion d'une mort digne d'éloges, lorsqu'el-le s'offre, doit être saisie aussitôt : la gloire différée s'enfuit et n'est point facilement rattrapée.
Chérissez la foi parce que c'est par la foi et la piété que Josias s'acquit un grand amour de la part de ses ennemis, parce qu'il célébra la Pâque du Seigneur, à l'âge de dix-huit ans, comme personne avant lui. Ainsi, de même que par le zèle il l'emporta sur ses prédécesseurs, de même vous aussi, mes fils, ayez le zèle de Dieu. Que le zèle de Dieu vous prenne et vous absorbe en sorte que chacun de vous dise : « Le zèle de ta maison m'a pris ». Un apôtre du Christ est appelé le zélé. Pourquoi parlé-je d'un apôtre ? Le Seigneur en personne dit : « Le zèle de ta maison me dévore ». Si donc le zèle de Dieu, non pas votre zèle humain, engendre la rivalité, que soit entre vous la paix qui domine tout sentiment.
Aimez-vous mutuellement. Rien de plus doux que la charité, rien de plus agréable que la paix. Et vous-mêmes, vous savez que, plus que tous les autres, toujours, je vous ai chéris et vous chéris : comme les fils d'un même père, vous avez grandi dans des dispositions de fraternité. Retenez tout ce qui est bon et le Dieu de la paix et de l'amour sera avec vous, dans le Seigneur Jésus à qui appartiennent l'honneur, la gloire, la magnificence, la puissance avec le saint Esprit pour les siècles des siècles. Amen.


1) Un rescrit  est la réponse donnée par l'empereur consulté sur un point de droit par des magistrats ou des particuliers.