IV. - Perte de contact avec Dieu.
- Ténèbres actuelles du « Non savoir ».
- Souffle de Dieu sur Adam.
- Les fruits de l'Arbre de Vie.
- La présence de l'Esprit-Saint dans le monde après la chute.

 
 

     - Mon Père, dis-je, vous parlez tout le temps de l'acquisition de la Grâce de l'Esprit Saint comme étant le but de la vie chrétienne ; mais comment et où puis-je la reconnaître ? Les bonnes actions sont reconnaissables ; mais comment l'Esprit Saint peut-Il être vu ? Comment pourrais-je savoir s'Il est ou non avec moi ?
 

     - Dans le temps présent, répondit le Staretz, à cause de notre froideur générale pour la sainte Foi en Notre Seigneur Jésus-Christ et à cause de l'inattention que nous manifestons vis-à-vis de l'action en nous de Sa divine Providence et de la perte du contact de l'homme avec Dieu, nous sommes arrivés à un tel point que nous nous sommes éloignés de la vraie vie chrétienne. Étrange nous parait actuellement le témoignage des Écritures Saintes, quand l'Esprit de Dieu, par la bouche de Moïse, dit : « Et Adam a vu le Seigneur se promenant au Paradis... », ou, si nous lisons dans l'apôtre Paul : « Nous allions à Antioche et l'Esprit de Dieu n'alla point avec nous. Alors, nous retournâmes vers la Macédoine et l'Esprit de Dieu nous accompagna ».
 

     Dans bien d'autres endroits de l'Écriture Sainte il est question de l'apparition de Dieu à l'homme. Aussi, certains disent-ils : « Ces écrits sont incompréhensibles ! L'homme peut-il vraiment voir Dieu d'une façon évidente ? ».

     Et pourtant, il n'y a rien d'incompréhensible. Cette « incompréhension » provient du fait que nous nous sommes éloignés de la SIMPLICITÉ DU SAVOIR des premiers chrétiens et, sous prétexte d'instruction, sommes entrés dans les TÉNÈBRES DU NON SAVOIR.

     Alors qu'au contraire, les Anciens mentionnaient souvent dans leurs conversations habituelles l'apparition de Dieu parmi les hommes, sans trouver cela étrange.
 

     Ainsi Job, quand ses amis lui reprochaient de médire de Dieu, répondait : « Comment cela se pourrait-il, quand je sens la respiration du Tout-Puissant dans mes narines. » Ce qui veut dire : « Comment pourrais-je insulter le Seigneur quand Son Saint-Esprit est avec moi... Si j'avais insulté Dieu, Son Esprit Saint m'aurait abandonné, mais là je sens son souffle dans mes narines ! »
     De même, il est dit qu'Abraham et Jacob ont vu Dieu et ont conversé avec Lui. Jacob, même, lutta avec Dieu. Moïse a vu Dieu, ainsi que tout le peuple, quand il à eu la grâce de recevoir les Tables de la Loi, sur la montagne de Sinaï. La colonne de nuages et de feu - c'est-à-dire la Grâce évidente - de l'Esprit Saint, servait de guide au peuple de Dieu dans le désert. Les hommes voyaient Dieu et la Grâce de Son Esprit Saint, non pas en dormant ou en rêve, ou en extase - fruit d'une imagination malade, - mais vraiment, en toute réalité. Nous sommes devenus tellement inattentifs à l'oeuvre de notre salut et il en résulte que nous comprenons beaucoup d'autres paroles des Saintes Écritures autrement qu'il ne faudrait. Et tout cela parce que nous ne cherchons point la Grâce divine, que nous l'empêchons, par l'orgueil de notre raison, de venir habiter nos âmes et. à cause de cela, n'avons plus l'instruction véritable donnée par Dieu aux coeurs des hommes affamés et assoiffés de Sa Vérité.
 

     Plusieurs personnes expliquent que, quand la Bible dit : « Dieu insuffla l'Esprit de Vie en la face d'Adam, premier né et créé par Lui du limon de la terre », cela veut dire que jusqu'à ce moment-là Adam n'était que chair créé du limon , sans âme ni esprit. Cette explication n'est point juste ! Le Seigneur Dieu a créé Adam du limon en lui donnant une constitution telle que l'apôtre Paul affirme : « Que votre esprit, âme et corps Soient parfaits à l'avènement du Seigneur Jésus-Christ ». (1)

     Chacune de ces trois parties de notre être était créée du limon (2) de la terre. et Adam n'était pas créé mort, mais comme une créature animale agissante, pareillement à d'autres créatures de Dieu, animées, vivant sur la terre. Mais. la chose essentielle est que, si Dieu n'avait pas insufflé ensuite à la face d'Adam. ce « souffle de vie », c'est-à-dire la Grâce du Seigneur Dieu Esprit Saint procédant du Père, reposant dans le Fils et envoyé dans le monde à cause du Fils, alors Adam, créé aussi parfaitement supérieur qu'il fût à toute la création, étant son couronnement, serait néanmoins demeuré sans avoir au dedans de lui l'Esprit Saint l'élevant à la dignité d'un être ressemblant à Dieu, et serait pareil à toutes les autres créatures ayant corps, âme, esprit - chacune selon son espèce - mais ne possédant pas au-dedans d'elles l'Esprit Saint.
 

     Quand le Seigneur Dieu insuffla l'Esprit de Vie dans la face d'Adam, alors, selon l'expression de Moïse, il devint « un Adam avec l'Âme de Vie », c'est-à-dire en tout pareil à Dieu, comme Lui immortel dans les siècles des siècles !

     Adam avait été créé jusqu'alors invulnérable ; aucun élément créé n'avait d'action sur lui : l'eau ne pouvait le submerger, le feu ne pouvait le brûler, la terre ne pouvait l'engloutir dans ses gouffres, l'air ne pouvait lui nuire d'aucune façon ; tout lui était soumis comme au favori de Dieu, comme au roi possédant la création. Et tous l'admiraient comme le couronnement de, la création de Dieu.
 

     A cause de l'Esprit insufflé dans la face d'Adam par la bouche du Très Puissant Dieu Créateur, Adam fut rempli par une incomparable sagesse ; jamais homme sur la terre ne pouvait, ne peut, ni ne pourra lui être comparé, tant sa sagesse et son savoir étaient grands. Quand Dieu lui ordonna de baptiser toute créature, Adam donna à chacune le nom convenable, caractérisant toutes les propriétés, la force et les qualités que chaque espèce possédait d'après le don que Dieu lui octroya pendant la création.

     C'est à cause de ce don surnaturel de la grâce divine du souffle de Vie qu'Adam a pu comprendre et voir Dieu qui se promenait au Paradis. Le verbe de Dieu lui fut intelligible, de même que la conversation des anges et le langage de toutes les bêtes, oiseaux, reptiles, vivant sur la terre. Toutes les choses maintenant cachées pour nous, pécheurs, tout cela fut clair et compréhensible à Adam avant la chute.
 

     Dieu donna à Eve la même sagesse, force et puissance, et autres saintes et bonnes qualités, après l'avoir créée, non du limon, mais à partir de la côte d'Adam, dans l'Éden de douceur, au Paradis que Dieu planta au milieu de la terre. Afin qu'Adam et Eve puissent toujours facilement entretenir en eux les propriétés divines, immortelles, parfaites, de grâce de ce souffle de Vie, Dieu planta au milieu du Paradis l'Arbre de Vie et enferma dans ses fruits l'essence même et la plénitude des dons de Son souffle divin. Si Adam et Eve n'avaient point péché, alors eux-mêmes et toute leur descendance auraient pu toujours, en mangeant des fruits de l'Arbre de Vie, entretenir en eux la force éternellement vivifiante de la Grâce de Dieu et garder une immortelle plénitude de, force et jeunesse de la chair, de l'âme, de l'esprit, sans vieillissement possible. Un état de Béatitude éternelle, infinie, que notre imagination actuelle ne peut même pas concevoir.
 

     Quand Adam et Eve, prématurément et contrairement aux commandements de Dieu, goûtèrent aux fruits de l'Arbre et la connaissance du Bien et du Mal, ils apprirent la différence entre le Bien et le Mal et succombèrent à toutes les vicissitudes qui suivirent la transgression des commandements de Dieu . Alors ils perdirent ce don inappréciable de la Grâce de l'Esprit de Dieu. Jusqu'à l'incarnation de l'Homme-Dieu Jésus-Christ, l'Esprit de Dieu « n'était plus dans le monde, puisque Jésus n'était pas encore glorifié » !

     Cependant cela ne veut pas dire que l'Esprit de Dieu était complètement absent du Monde, mais Sa présence n'avait pas la mesure pleine qu'elle avait en Adam ou qu'elle peut avoir en nous, chrétiens orthodoxes. Elle se manifeste partiellement et l'humanité en connut toujours les signes. Ainsi, par exemple, à Adam après sa chute, ainsi qu'à Eve, ont été révélés les nombreux mystères concernant le salut ultérieur du genre humain., Malgré son iniquité, Caïn a pu comprendre la voix de Dieu qui lui reprochait son crime. Noé a pu s'entretenir avec Dieu. Abraham a vu Dieu et « Son Jour » et s'en est réjoui. La Grâce de l'Esprit Saint agissant de l'extérieur se refléta dans tous les prophètes et les saints d'Israël. Les Juifs installèrent par la suite des écoles spéciales prophétiques; on y renaît à discerner des signes d'apparition de Dieu et des Anges et les différences entre les manifestations du Saint Esprit et les manifestations naturelles du monde créé.

     Saint Siméon, les ancêtres Joachim et Anne, et d'innombrables serviteurs de Dieu eurent fréquemment des révélations diverses, des voix, des apparitions divines suivies de miracles évidents les affirmant.
Avec une force moins grande que dans le peuple de Dieu, la présence de l'Esprit Saint se manifestait aussi parmi les païens ignorant le Dieu véritable, puisque dans leur milieu Dieu trouva des hommes de son choix. telles étaient par exemple les sibylles-vierges prophétisantes ; elles gardaient leur virginité pour un Dieu inconnu, mais Tout Puissant et Créateur de l'Univers et Ordonnateur comme le reconnaissaient les païens. De même, les philosophes païens, quoiqu'errant dans les ténèbres de la non-connaissance de Dieu, à la recherche de la Vérité, chère à Dieu, pouvaient, à cause de cette recherche qui lui est agréable, être dans une certaine communion avec l'Esprit Saint, puisqu'il est dit : « Les peuples ignorant Dieu, faisant naturellement le bien, agissent d'une manière agréable à Dieu ».

     Dieu aime tellement la Vérité que, par le Saint Esprit, Lui-même annonce : « L'Esprit de Vérité (Istina) brille en s'élevant sur la terre et la Vérité descend des cieux ».

     Ainsi. votre Théophilie, dans le peuple hébreu. sacré et aimé de Dieu. et parmi les païens ignorant Dieu, s'est conservé une connaissance de Dieu. c'est à dire la compréhension intelligente et claire de l'action du Saint Esprit dans l'homme. Aussi les peuples savaient-ils comment et selon quels signes extérieurs et quels sentiments intérieurs on pouvait être assuré que c'était vraiment l'action du Saint -Esprit et non l'envoûtement de l'ennemi. Cela se passait ainsi dans le monde, à partir d'Adam et jusqu'à l'incarnation du Seigneur Jésus-Christ.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

(1) La question de la création selon la Genèse est une question si profonde qu'elle ne peut être résolue par le raisonnement. Il faut d'abord entrer dans les profondeurs de la vie spirituelle.
Ce passage où Saint Séraphim parle de la création de l'homme peut paraître obscur si l'on reste dans une conception matérialiste ou dualiste (esprit - matière) du monde. Saint Séraphim contredit cette vision des choses dans laquelle on pense généralement que l'homme fut créé matière et qu'après il reçut une âme.
Non, au contraire, Adam fut créé triple : corps, âme et esprit (corps spirituel, Âme spirituelle et esprit), et c'est cette constitution qui fut pénétrée du souffle de vie ou souffle de l'Esprit Saint, chaque Partie étant revêtue de l'incandescence céleste. Par le péché Adam fut obscurci ; il perdit cette incandescence, et c'est alors que son corps devint charnel (nous dirions opaque, dense, matériel), que son âme devint émotive, sensuelle, et que son esprit perdit la Puissance créatrice et le pouvoir de l'intuition, devenant rationaliste, ne pouvant plus penser sans image et faire progresser sa compréhension sans raisonnement. C'est pour justifier cette triple constitution d'Adam que Saint Séraphim cite les paroles de l'Apôtre : le corps l'Âme et l'esprit doivent redevenir parfaits pour l'avènement du Seigneur, c'est à dire retrouver la Grâce du Saint Esprit ou Lumière Divine.

(2) Adam signifie en hébreu : fait de « terre rouge ». Le limon dont il est ici question est cette « terre rouge », « terre rougie », « terre de feu », c'est à dire matière spirituelle, par opposition à la matérialité telle que nous la connaissons après la chute.
Cette question, qui pour certains peut sembler sans importance, est au contraire vitale. A travers cette théologie, deux mondes s'affrontent : celui de la loi, celui de la Grâce, le monde de justice et le monde de pardon, le monde des « pour moi » et le monde des « pour toi », le monde de sécurité et celui de « foi », la religion rationnelle basée sur l'autorité et la religion spirituelle basée sur l'expérience du Dieu qui se donne.
Deux hérésies sont ici repoussées : l'apollinarisme, où notre esprit se confond avec le Logos et le Pneuma, et le rationalisme.