Tome 3 - Livre 6 – Chapitre 1 à 122

p.192 – 464 = 262 pages


Révélations Célestes de Sainte Brigitte de Suède
les Apparitions, extases et locutions sont approuvées par trois papes et par le concile de Bâles.

 

 Chapitres :

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Chapitre I.

 

P.192

 

La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à Sainte Brigitte de la beauté de Jésus-Christ, et comment les Juifs étant affligés, s'en allaient pour voir la face et pour en être consolés.
 

La Mère de Dieu parlait à l'épouse, disant : Je suis la Reine du ciel. Mon Fils vous aime de tout son cœur. Partant, je vous conseille de n'aimer rien que lui, car il est si désirable, il est si beau que la beauté des éléments et de la lumière comparée à son éclat, n'est qu'ombre, d'où vient que, quand je nourrissais mon fils, je le voyais être si beau que même ceux qui le regardaient, étaient soulagés de leurs douleurs et consolés en leur tristesse. C’est pourquoi les Juifs disaient, quand ils étaient plongés en quelque tristesse : Allons voir le Fils de Marie, afin que nous soyons consolés. Et bien qu’ils ignorassent qu’il fût Fils de Dieu, néanmoins, ils recevaient une grande consolation de le voir. Son corps était si pur que jamais vermine ne s’y trouva, car les vermisseaux rendaient l’honneur et le respect à leur auteur, et il ne se trouva jamais en ses cheveux aucune crasse, aucun immondice.

p.193

 

 

 

Chapitre 2

 

Notre-Seigneur parle à son épouse d’un qui avait mal vécu, et qui, en la mort, avait eu une bonne volonté de s’amender, s’il vivait, et dit qu’à cause de cette bonne volonté, il ne fut pas condamné à la peine éternelle, mais aux peines horribles du purgatoire.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Celui qui est maintenant infirme, pour lequel vous priez, a été fort lâche à mon endroit, et toute sa vie a été contraire à la mienne. Mais maintenant, faites-lui dire que, s’il a volonté de s’amender s’il évite la mort, je lui donnerai la gloire. Qu’on l’avertisse donc de s’amender, d’autant que je compatis à lui avec une grande miséricorde.

 

Or, lorsque ce malade mourait avant le premier chant du coq, Notre-Seigneur apparut derechef à l’épouse et lui dit : Considérez combien juste je suis en mon jugement : celui-ci, qui était infirme, est venu à mon jugement, et bien qu’à raison de sa bonne volonté, il ait été
jugé à la grâce, néanmoins, avant qu'il soit entièrement  purifié; son âme endurera en purgatoire un supplice si cuisant, qu'il n'y a mortel qui le puisse comprendre. Hélas! qu'est-ce que ceux-là qui ont leurs volontés liées au monde, et ne sont affligés par aucune tribulations?


Page 194

 

Chapitre 3

 

Manière dont Sainte Brigitte voyait quelque démon s'enfuyant avec confusion d'un homme qui priait, lequel le démon avait fort troublé par ses tentations, et en quelle manière le bon ange déclare la vision à l'épouse.

 

L'épouse voyait un démon auprès d'un homme qui priait ; et ayant demeuré là une heure les mains liées, soudain ce démon s'écria d'une voix horrible et épouvantable, et tout confus, se retira de celui qui priait, duquel le bon ange parla à Sainte Brigitte, disant : Ce démon a troublé quelque temps cet homme ; et d'autant qu'il ne l'a pu vaincre, il paraît les mains liées, car cet homme avait généreusement résisté au diable, de sorte que c'était un juste jugement de Dieu que le démon n'ait pu faire ce qu'il voulait. Le démon pourtant a encore quelque attente de la surmonter ; mais à cette heure, il a été vaincu en choses faciles, mais jamais il ne sera surmonté. Or, depuis, la grâce de Dieu de jour en jour, et partant, le démon criait de toutes ses forces, disant qu'il avait perdu celui qu'il avait tant de fois combattues pour le vaincre et le supplanter.

 

page 195

 

DÉCLARATION

 

L'homme dont il est parlé en ce chapitre fut un Frère tenté douze ans sur le saint Sacrement, et sur le nom de la Sainte Vierge, qu'il ne pouvait prononcer sans quelque sale pensée. Par les prières de Sainte Brigitte, il fut délivré de la tentation, en telle sorte qu'il ne pouvait se réjouir qu'au jour où il communiait, et le nom de la Sainte Vierge lui fut à l'avenir très doux à la bouche et au cœur.

 

D'ailleurs, un prêtre, ensorcelé par une enchanteresse, concernant les mauvais désirs charnels, priait Sainte Brigitte de vouloir prier Dieu pour lui, laquelle étant ravie en esprit, ouït : Vous admirez, ô ma fille, pourquoi le diable domine en l'homme : Il fait cela par l'inconstance de la volonté des hommes, comme vous pourrez le voir en ce prêtre qui a été ensorcelé et charmé par une femme.

 

Sachez donc que cette femme a trois choses, savoir, l'infidélité, l'endurcissement, les désirs et les cupidités de l'argent et de la chair. C'est pourquoi le diable, s'approchant d'elle, lui fournit de la lie amère de son poison. Sachez aussi que la langue de cette femme sera sa fin, ses mains seront sa mort, et le diable sera le conducteur de son testament.

 

Toutes ces choses arrivèrent de la sorte, car la troisième nuit, cette sorcière fut furieuse, et ayant pris un couteau, elle se frappa en l'aine, criant à la présence et audience de tous : Venez, ô diable ! Suivez-moi. Et soudain, elle finit la vie avec une horrible voix. Mais le prêtre susdit fut affranchi des tentations de la chair, et soudain il entra en religion, où il fit un fruit agréable à Dieu.


Chapitre 4

 

Jésus-Christ dit à l'épouse que tout homme vertueux et sage prêche généreusement les paroles contenues en ce livre, et la grâce aux peuples qui la désirent, ne la refusant tant aux pauvres qu'aux riches, et de cela, il aura Dieu pour prix éternel.

 

Celui qui a l'or de la sapience divine est tenu de faire trois choses :
Le distribuer à tous ceux qui le veulent et à ceux qui ne le veulent pas ;
Il doit être patient et modéré ;
il doit être raisonnable et équitable en la distribution,

Car l'homme qui a ces excellentes vertus, a mon or, c'est-à-dire, ma sagesse. Qu'y a-t-il en effet de plus précieux entre les métaux que l'or ? De même, en mes écritures, il n'y a rien de si digne que la sagesse. Je remplis de cette sagesse celui pour lequel vous me priez, et partant, il doit :

 

1. Prêcher sans rien craindre, comme mon soldat, ma sainte parole. Non-seulement il doit annoncer ma grâce à ceux qui la veulent ouïr, mais encore à ceux qui ne la veulent point ouïr.

 

2. Qu'il soit lui-même patient pour l'amour de mon nom, sachant qu'il a un seigneur qui a souffert toute sorte d'opprobres.

 

3. Je dis qu'il soit juste et équitable en la distribution, tant au pauvre qu'au riche ; qu'il ne pardonne à personne ! Qu'il ne craigne aucun, car je suis en lui et lui est en moi.

 

Quel est celui qui lui nuira, puisque je suis tout-puissant en lui et hors de lui ? Je lui donnerai un stipende fort riche pour son labeur, non certes corporel ou terrestre, mais moi-même, en qui est tout bien, en qui est toute sorte d'abondance.


Chapitre 5

 

Ici Notre Seigneur menace grandement les religieux hypocrites et superbes qui troublent en se moquant la simplicité des simples et innocents, par les cornes de médisance et des mauvaises œuvres. Il les avertit néanmoins pieusement qu'ils se convertissent, et que, sans délai, ils s'adonnent à la vertu, autrement ils seront punis très grièvement.
 
 

Je suis le Créateur de toutes choses, qui ne suis point créé, mais je suis l'auteur des créatures. Il y a longtemps que j'ai détourné mes yeux de ce lieu-ci, à raison de l'iniquité des habitants ; car comme les premiers fondateurs se hâtaient d'aller de vetu en vertu, de même maintenant ces modernes vont de mal en pis ; un chacun tâche de perdre l'autre et se glorifie de son péché. Or, maintenant, les prières de ma Mère très-chère me fléchissent à miséricorde ; mais il demeure encore quelque racine de cett méchante race, comme vous l'entendrez mieux par quelque simitude.

 

Il y avait un pasteur qui dit à son Seigneur, son Dieu : Mon Seigneur, en votre bercail, il y a peu de brebis, et encore, entre celles-là, il y en a bien peu de douces. Il y a encore des béliers colères qui troublent les bonnes, tête desquels n'est utile à rien ; leur peau est corrompue ; leur chair est pourrie, et leurs intestins sont puants.

 

Le maître répondit : Que mes brebis douces ne se troublent point ! Je couperai la tête des béliers avec un couteau tranchant ; je leur ôterai la peau, qui ne porte point de laine ; la chair (page 198 ) et les intestins seront jetés aux champs comme pourris et puants, et on les donnera aux oiseaux qui ne savent discerner ce qui est pur de ce qui est impur.

 

Je suis le Seigneur qui ai en ce lieu des brebis simples, entre lesquelles il y a comme des béliers affreux en leurs cornes, qui, déchirant les brebis, arrachant la laine, et les poussant avec leurs cornes, les jettent à terre : De même eux, se moquant de la simplicité des innocents, les troublent et les jettent par terre avec les cornes de la médisance et des mauvaises œuvres. Partant, leur tête, c'est-à-dire, leur intention, élevée par les cornes de l'arrogance et de la présomption, leur sera coupée par mon jugement sévère, qui est un glaive très aigu ; leur peau, c'est-à-dire, leur hypocrisie, de laquelle ils sont revêtus au lieu de la simplicité religieuse, leur sera ôtée, et pour l'hypocrisie, le diable déchirera leur âme et les privera de toute sorte de biens. Aussi ils étaient une chose et en montraient une autre sous un masque emprunté et dissimulé ; Ils me servaient de bouche et me contrariaient par œuvres. Leur chair voluptueuse, qui, devant moi, est comme une vilaine femme, sera brûlée et consommée par le feu sans miséricorde ; leurs intestins, c'est-à-dire, leurs pensées et leurs affections qu'ils ont au monde et non à moi, lesquelles affections mes ennemis sont fomentés, et non moi, seront ruinées par les démons, de sorte qu'il n'y aura point méchante affection pour laquelle ils ne soient grandement tourmentés.

 

Partant, pendant qu'il en est temps encore, que leur tête, c'est-à-dire, que leur volonté déréglée et leur superbe soient changées en humilité d'une peau simple ; Que la chair soit retenue des voluptés ; que les intestins, c'est-à-dire, les pensées monstrueuses, soient guéris par la pénitence salutaire, de peur que je n'exige avec rigueur et justice les peines de leurs démérites, et que ne les soumette à la puissance de Satan, de sorte qu'ils ne pourraient faire que ce qui plaira aux diables, et seraient par eux poussés d'un mal à un autre.

 

ADDITION

 

Notre Seigneur parle encore sous la parabole du père de famille sur cette maison, les habitants de laquelle disent : Pourquoi Dieu a-t-il fait cette maison de la sorte ? On répond : D'autant qu'on n'a pas voulu faire les paroles de celui qui avertissait, car je leur donnerai des gardes regardant d'en haut, et la terre de leur volupté sera mise en servitude, et le pain leur sera donné en mesure, et on les pourra nombrer à cause de leur petit nombre.

 

Chapitre 6

 

Jésus-Christ reprend l'épouse de quelque impatience qu'elle eut, l'instruisant qu'elle ne doit plus se fâcher à l'avenir, ni répondre un seul mot à ceux qui la provoquent à cela, jusqu'à ce que l'émotion soit pacifiée, et qu'elle voie qu'elle peut profiter par ses paroles.

 

Je suis votre Créateur et votre Époux ; et vous, ma nouvelle épouse, vous avez maintenant péché en quatre manières en la colère.

1.Vous avez eu de l'impatience en votre cœur contre les paroles qu'on vous a dites, et moi j'ai souffert pour vous les coups de fouets, et étant devant le juge, je n'ai pas dit un seul mot.

2.Vous avez répondu rudement, et avez trop élevé votre voix en dédaignant, et moi, j'ai été cloué en un gibet ; je regardais le ciel et ne disais mot.

3.Vous m'avez méprisé, moi pour l'amour duquel vous deviez souffrir toutes choses.

4.D'autant que vous n'avez pas édifié votre prochain, car si vous eussiez été patiente aux injures, vous l'eussiez gagné ; c'est pourquoi je vous dis que désormais vous ne vous colériez point.

Quand vous serez provoquée à colère par quelqu'un, ne parlez point jusqu à ce que la colère, l'émotion et l'occasion de la colère, cessent en votre cœur ; parlez avec douceur ou taisez-vous. Que si vous voyez que vos paroles ne profitent point, il est plus méritoire de se taire.

 

Chapitre 7

 

Jésus-Christ commanda par son épouse à un certain diacre fort dévot, de prêcher la parole de Dieu avec ferveur et courage à ses compagnons et aux autres pécheurs, instruisant les infirmes, reprenant les déréglés, et exposant son âme à la mort pour le salut des âmes.

 

Je suis votre Dieu et le Créateur de toutes choses, bien que je sois méprisé. Vous direz à celui pour lequel vous priez, et qui m'aime, vous le savez : Quand on vous a fait diacre, on vous a donné la charge de prêcher ; vous en avez reçu l'autorité, afin d'instruire les infirmes et de reprendre les déréglés. Je n'ai pas refusé de faire cela pour moi-même ; cela même ont fait mes apôtres et mes disciples, qui, pour acquérir une âme à Dieu, ont parcouru divers lieux, cités et villes, et ont donné leurs âmes pour le salut des âmes. D'autant donc que votre office est de prêcher, il n'est pas décent ni expédient que vous vous taisiez, car mes ennemis sont autour de vous, et vous marchez au milieu d'eux. En vérité leur maudite gueule m'est aussi odieuse que si on mangeait même de la viande le vendredi saint. Ils sont comme des vases ouverts de chaque bout, qui si on y versait toute la mer, ne seraient pas pourtant remplis, ni ne pourraient être rassasiés, la gourmandise desquels est augmentée par le péché de lasciveté.

 

Ils chassent et éloignent d'eux mes anges, qui sont destinés à leur garde, et appellent les démons, qui sont maintenant plus proches d'eux que les bons. Ils assistent au chœur, non pour me plaire, mais afin qu'ils ne soient repris des autres et afin de ne leur déplaire. Ils se montrent imitateurs des Pères anciens, mais ils sont devant moi menteurs et dissimulés pipeurs, car ils m'ont faussé la foi qu'ils m'avaient promise, et trompent les âmes, du bénéfice desquelles elles vivent, sans en être reconnaissants ni par la vie ni par les prières.

 

Partant, je jure devant les anges et les saints, qu'en vérité je suis la vérité et que de ma bouche il n'est jamais sorti que la vérité. Que s'ils s'amendent, je permettrai que peu de temps ils marchent par la voie de leurs volontés, et après, je les conduirai par la voie semblable aux épines et à des pointes aiguës ; et afin qu'ils ne puissent s'en écarter, je mettrai à droite et à gauche mes serviteurs, qui les empêcheront de s'en détourner, et ils les contraindront d'aller ; et de là, comme un corps mort tombe à terre, de mpeme promptitude leurs âmes toonberont dans les précipices de l'enfer, si profondément que jamais ils n'en sortiront.

 

Chapitre 8

 

Notre Seigneur donne courage à l'épouse, qui craignait de reprendre fidèlement quelques religieux plongés en des péchés abominables, chez lesquels elle était logée, lui assurant que sa répréhension ne lui serait point imputée à péché, mais à mérite, bien qu'ils s'en scandalisassent et s'en endurcissent.

 

O épouse, vous avez pensé à part vous ce qui suit : Puisque mon Dieu Seigneur de toutes choses, tout-puissant, et a patiemment souffert le traître, pourquoi ne souffrirai-je sa créature, ceux qui demeurent avec moi, de peur que, de mon avertissement et répréhension, ils ne deviennent pires ?

 

Je réponds maintenant à cette pensée, qu'elle était en partie pieuse mais moins fervente, car un bon soldat qui est entre les mauvais, voyant l'offense de son seigneur, s'il ne peut corriger par œuvre la faute, parle pour le moins de la bonté de son maître, et souffre patiemment les contumélies qui résultent de là : de même vous, parlez-leur fidèlement de leurs excès, qui, à raison de la diuturnité des péchés dans lesquels ils croupissent, me sont rendus abominables ; et bien qu'ils s'endurcissent en quelque manière que ce soit, à raison de votre répréhension, il ne vous sera pas imputé à péché, mais bien à plus grande récompense. Car comme les apôtres, qui prêchaient à plusieurs, et tous ne se convertissaient pas, n'étaient pas pour cela privés de la récompense, de même vous en arrivera-t-il, car bien que tous ne vous écoutent point, néanmoins, il y en aura quelques-uns qui seront édifiés par vos paroles et qui seront guéris.

 

Dites-leur donc que, s'ils ne s'amendent, il viendra promptement et sévèrement à eux, et tous ceux qui l'oiront en gémiront de crainte et d'effroi, et tous ceux qui goûteront ma sévérité, défaudront. Je les jugerai comme des larrons, par des confusions inexprimables devant les anges et tous les saints, et ce, d'autant qu'ils ont reçu l'habit de religion, non pour bien vivre. C'est pourquoi ils sont devant moi comme des larrons qui possèdent les biens qui ne leur appartiennent pas, mais sont à ceux qui vivent bien, et comme défraudateurs, je les jugerai et les condamnerai à mon glaive, qui coupera leurs membres de la tête jusqu aux pieds. Je les remplirai encore d'un feu bouillant qui ne s'éteindra jamais. Je les en ai avertis, comme un père plein de pitié, et ils n'ont point voulu m'écouter ! Je leur ai montré les paroles de ma bouche plus que jamais je n'avais fait auparavant, et ils m'ont méprisé ! Si j'eusse envoyé mes paroles aux païens, peut-être se fussent-ils convertis et eussent fait pénitence. Partant, je ne leur pardonnerai point, ni ne recevrai point les prières ni celles que ma Mère et mes saints, font pour eux, mais ils seront tout autant dans la peine que je serai dans la gloire qui sera sans fin. Néanmoins, tant que leur âme sera dans leur corps, ma miséricorde leur sera ouverte.

 

 

 

 

Chapitre 9

 

Jésus-Christ révèle à son épouse combien il est abominable devant Dieu qu'un prêtre célèbre en péché mortel, et en quelle manière les diables y assistent. Il traite aussi de la célébration de la messe, et de sa très horrible peine, s'il ne s'amende.

 

Le prêtre pour lequel vous me priez est comme une pincette avec laquelle il attire l'or de ma vertu ; il est comme un souffle dégénéré qui ne se soucie d'entendre la voix de la mère. Quand il vient à l'autel, deux diables assistent à ses deux côtés, l'âme duquel ils possèdent, d'autant qu'elle est morte devant moi.

 

Quand il met le surhuméral, les démons couvrent son âme et l'occupent ailleurs, afin qu'elle ne pense et n'entende combien il est horrible d'approcher de mon autel, et combien pur doit être celui qui s'approche de moi, qui suis très pur.

 

Quand il s'habille de l'aube, il se revêt de la dureté du cœur et de l'indévotion, d'autant qu'il croit que son péché n'est pas grand, que le supplice éternel ne sera pas si dur, et il ne lui arrive jamais à l'esprit qu'elle est la joie des bienheureux.

 

Quand il met l'étole, le diable pose un grand joug lourd et pesant sur son col, d'autant que la douceur du péché lui plaît grandement ; et ainsi, il charge son âme, ne la laisse pas gémir ni considérer son péché.

 

Quand il prend la manipule, toutes les œuvres divines lui sont à charge, à honte, et les œuvres terrestres lui sont faciles.


Quand il prend la ceinture, lors sa volonté est liée au diable, de sorte qu’il propose aucunement de mourir en son péché ; et lors, ma charité se retire de lui, d’autant que sa volonté se porte à tout ce que le diable veut et lui suggère, excepté quand les jugements effroyables de ma juste indignation le retiennent.

 

Quand il prend la chasuble, lors le diable le revêt de perfidie.

 

Quand il dit le Confiteor, les diables répondent et disent : Tu as menti ! Nous en sommes témoins : ta confession est semblable à celle de Judas, d’autant qu’il a une chose au cœur et une autre à la bouche.

 

Quand il s’aproche de l’autel, lors je détourne ma face de lui.

 

Quand il dit la messe, soit de ma Mère ou de quelque’autre saint, il m’est aussi agréable que si une méchante femme offrait un vase immonde à quelque seigneur, ou si quelqu’un disait à son ennemi :Donnez vous garde, je cherche votre mort.

 

Quand il consacre mon cœur et dit : : Ceci est mon corps, lors les diables s’enfuient de lui, et son corps demeure comme un tronc, car son âme est morte devant mes yeux.

 

Quand il approche mon corps de sa bouche, de la présomption qu’il a de le recevoir sans craindre, toute la troupe des démons retourne à lui, d’autant qu’il ne m’aime point. En vérité, je suis si miséricordieux que, s’il disait d’un cœur contrit et avec résolution de s’amender : Seigneur, je vous en supplie, pardonnez mes péchés par le mérite de votre passion et de votre amour, je le prendrais, et les diables ne retourneraient point à lui. Mais hélas ! il n’a que la méchanceté du monde en la bouche ; dans son cœur grouillent les vers à troupes, qui l’empêchent de goûter ma parole ; les paroles inutiles de son cœur le rongent incessamment et l’occupent, afin qu’il ne pense point à moi. Voilà pourquoi il n’arrivera jamais à mon autel.

 

Or, quel est mon autel, si ce n’est la table céleste et a gloire dans les cieux, dont les anges et les saints se réjouissent ? Cela est représenté par l’autel de pierre qui est dans l’église, et sur lequel est sacrifié le corps qui fut autrefois crucifié en la croix. Les sacrifices signifiaient jadis ce qui se fait maintenant et l’Eglise. Or, que marque la table céleste, si ce n’est la jubilation et la joie des anges ?

 

Or , ce prêtre ne goûtera jamais cette joie indicible en la gloire éternelle ; il n’assistera jamais devant ce mien autel, ni ne verra jamais ma face. Je suis comme le vrai pélican, qui leur donne mon propre sang, et les réfectionne, en cette vie et en la vie future, jusqu’à rassasiement. Or, cet aigle abominable les repaîtra, l’aigle dont la coutume est de ravir à ses petits quelquefois les choses nécessaires, de sorte que la maigreur de la faim paraît en eux tout le temps de leur vie : de même le diable repaît de ses délectations quelque temps, afin qu’après, il ressente la famine de la joie, faim qui durera éternellement en lui. Néanmoins, je lui ferai miséricorde, s’il se convertit pendant qu’il vit.

 

DECLARATION.

 

Ce prêtre fut avocat et collecteur d’argent. Il fut déposé de sa charge à la persuasion de sainte Brigitte. Etant furibond, il lui dit : Vous m’avez privé de mon honneur et de mon office : quel gain en avez-vous ? Il vous eût été meilleur de demeurer en votre maison, et non pas de semer des discordes.

 

Elle répondit : Tout ce que le roi a fait, je lui ai conseillé pour le salut de votre âme et pour votre honneur, car un prêtre peut faire une telle charge sans le danger de son âme.

 

Il lui répondit : Qu’avez-vous à faire de mon âme ? Laissez-moi passer en ce monde comme je pourrai, car mon âme se contentera bien en l’autre.

 

Elle lui repartit : C’est pourquoi je vous dis, et cela sans doute comme je l’ai ouï dans les jugements de Dieu, que si vous ne vous amendez et ne vous corrigez, vous n’esquiverez point le jugement et la mort effroyable, aussi vrai que je m’appelle Brigitte !

 

C’est pourquoi aussi, peu de temps après, l’évêque l’ayant privé de l’église, il mourut d’une mort inouïe, car lorsqu’on fondait une cloche, le métal fondu sortit du fourneau, l’environna et le brûla tout à l’entour.

 

 

 

 

Chapitre 10

 

La Mère de Dieu raconte à l’épouse sa grandeur et sa dignité, et les bienfaits que tout le monde reçoit d’elle. Elle enseigne aussi la manière et es suffrages pour lesquels l’âme d’un grand prince décédé, pour lequel sainte Brigitte priait, pouvait être affranchie du purgatoire. Ce document est très bon.

 

Je suis la Reine du ciel et la Reine de miséricorde. Je suis la voie et l’entrée des pécheurs vers Dieu, car il n’y a peine au feu du purgatoire qui ne soit, pour l’amour de moi, plus légère, plus soulagée et plus facile à porter. Il n’y a pas homme si maudit qui ne puisse avoir ma miséricorde tandis qu’il vit ,d’autant qu’il n’est pas si rudement tenté qu’il le serait, si je ne l’empêchais ; pas un n’est si éloigné de Dieu, à moins qu’il ne soit tout à fait maudit, qui, s’il m’invoque, ne puisse retourner à Dieu et sentir les effets de ma miséricorde, car moi qui suis miséricordieuse et qui ai obtenu miséricorde de mon Fils, je veux vous montrer comment votre ami défunt, duquel vous êtes affligée, pourra être sauvé des sept plaies que mon Fils vous a manifestées.

 

En premier lieu, il sera sauvé du feu qu’il souffre à raison de sa luxure, si quelqu’un veut, pour l’amour de lui, faire trois biens selon les trois ordres de l’Eglise, des mariés, des veuves et des vierges : marier une pauvre fille, mettre l’autre en religion, et nourrir une pauvre veuve, et ce, d’autant qu’il a excédé, 1° au péché de luxure, même dans le mariage ; 2° à raison de sa superbe et ostentation, en méprisant plusieurs ; 3° pour avoir trop demeuré à table et laissé Dieu.

 

En deuxième lieu, que celui qui voudra colliger et loger trois pauvres à l’honneur de Dieu un et trine, pour cette triple gueule, un an entier, leur administrant et servant de tels de tels mets qu’il avait accoutumé de manger, ne mange pas qu’il ne voie manger les pauvres, afin que, par ceci, le long temps qu’il a demeuré à table soit récompensé ; et d’ailleurs, qu’il leur donne des vêtements et des lits, comme il verra leur être expédient et convenable.

 

En troisième lieu, pour la superbe dont il a été bouffi en plusieurs sortes, doit, qui voudra, assembler sept pauvres chaque semaine pendant un an, le jour qu’il voudra ; il leur lavera les pieds humblement, s’entretenant:

En cette première demande : Seigneur Jésus-Christ , qui avez été pris par les Juifs, ayez miséricorde de lui.

En cette deuxième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été lié à la colonne, ayez miséricorde de lui.

En cette troisième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été jugé, étant innocent, par les coupables, ayez miséricorde de lui.

En cette quatrième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été dépouillé de vos propres habits, et avez été revêtu de vêtements de dérision, ayez miséricorde de lui.

En cette cinquième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été fouetté si cruellement qu’on voyait les côtes et qu’il n'y avait point de santé en vous, ayez miséricorde de lui.

En cette sixième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été souffleté et couvert de crachats, ayez pitié de lui.

En cette septième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été étendu sur un gibet, les pieds et les mains cloués, la tête meurtrie de la couronne d’épines, vos yeux pleins de sang, ayez miséricorde de lui.

 

Et ayant lavé les pauvres, qu’il leur donne la réfection le mieux qu’il pourra et le plus convenablement, et qu’il les prie afin qu’ils prient pour l’âme du décédé.

 

En quatrième lieu, il a péché en paresse en quatre manières :

1° à aller à l’église ;

2° à gagner des indulgences ;

3° à visiter les lieux saints.

 

Qui voudra donc satisfaire pour le premier, qu’il aille à l’église une fois par mois pendant un an pour son âme, et qu’il fasse dire une messe pour les défunts.

Pour le deuxième, qu’il aille autant de fois qu’il pourra commodément aux lieux où sont données des indulgences, et où il verra pratiquer plus de dévotion.

Pour le troisième, qu’il envoie, par quelque homme juste et fidèle, des offrandes aux saints principaux de ce royaume de Suède, et là où le peuple a accoutumé de s’assembler pour gagner des indulgences comme à Saint-Erice à Saint-Sigfride, et autre semblables, et qu’il récompense celui qui porte les offrandes.

En cinquième lieu, d’autant qu’il a péché en vaine gloire et joie déréglée, qu’il assemble, s’il lui plaît, tous les pauvres de la cour, ou lieux circonvoisins, une fois chaque mois pendant un an, et iceux assemblés en une église, qu’il leur fasse dire une messe des défunts, et que le prêtre, avant de commencer, les avertisse de prier pour l’âme du défunt. La messe étant dite, que tous les pauvres soient réfectionnés en sorte qu’ils sortent contents de la table, afin que l’âme du défunt se réjouisse de leurs prières, et que les pauvres se réjouissent de la réfection.

En sixième lieu, que jusques à la dernière maille, il paiera et demeurera dans la peine jusques à ce que tout soit récompensé et payé.

 

Vous devez savoir qu’à la fin de sa vie, il fut en bon état et avait une bonne volonté, non certes si fervente qu’il payât tout, mais il fut pourtant du nombre des sauvés. Donc, l’homme doit considérer combien grande est la miséricorde de mon Fils, qui, pour si peu d’amour, donne un repos éternel ; et s’il n’eût eu une si bonne volonté, il eût été condamné éternellement. Partant, ses parents, qui ont hérité de ses biens, doivent avoir la volonté de payer pour lui ; et de fait, ils doivent payer ses dettes à tous ceux à qui il devait, et en les payant, ils doivent leur demander pardon, de peur qu’ils n’aient été incommodés par la longue attente, autrement, les parents du défunt porteront son péché. Après, qu’ils envoient à un chacun des monastères de ce royaume une offrande telle qu’ils voudront, et qu’on y fasse dire une messe ; et avant qu’on dise la messe, qu’on prie Dieu pour cette âme, afin que Dieu soit apaisé. Après, qu’on dise la messe pour les défunts en chaque église paroissiale en laquelle il a eu des biens, et le prêtre dira avant de célébrer : On dit cette messe pour l’âme du défunt. S’il vous a offensé par parole, fait ou commandement, je vous supplie de lui pardonner. Et après, qu’il s’approche de l’autel.

 

Pour le septième, il était juge, et il a commis le jugement à des lieutenants iniques, c’est pourquoi il est affligé par les mains des diables. Mais parce que ses lieutenants faisaient mal contre leur volonté, néanmoins, parce qu’il n’en eut pas le soin qu’il devait, il peut être affranchi de cette peine, si on l’aide par prières, et surtout par le saint et auguste sacrement de l’autel, qui est le corps immolé de mon Fils tous les jours sur l’autel ; car le pain qui est mis en l’autel avant ces paroles : CECI EST MON CORPS, n’est que pain ; mais les paroles étant prononcées, il se transubstantie en corps de mon Fils, qu'il a pris de moi et qui a été cloué au gibet. Lors le Père est honoré et doré en esprit par les membres de mon Fils. Le Fils se réjouit en la puissance et la majesté du Père. Moi, sa Mère, qui vous parle, je suis honorée de toute la cour céleste qui se tourne vers celui que j’ai engendré et l’adore, et les âmes des justes me rendent grâces de ce qu’elles ont été rachetées par lui.

Oh ! combien est horrible aux misérables de toucher avec des mains indignes un si grand Seigneur !

Ce corps donc, qui est mort d’amour pour l’amour, il le peut délivrer.

Partant, qu’on dise une messe de chaque solennité de mon Fils, savoir, une de la Nativité, une de la Circoncision, de l’Epiphanie, de la Fête-Dieu, de la Passion, de la Pâques, de l’Ascension et de la Pentecôte. Et d’ailleurs, une messe pour chaque solennité à mon honneur et gloire, et encore neuf messes en l’honneur des neuf ordres des anges. Et quand on les dira, on donnera le vivre et le vêtement, afin que les anges gardiens qui ont été offensés, soient apaisés par cette petite oblation, et qu’ils puissent offrir son âme à Dieu. Après, qu’on dise une messe généralement pour tous les défunts, afin que, par icellen ils obtiennent le repos, et qu’elle soit seulement avec un digne repos.

 

DECLARATION.

 

Cet homme-ci fut un gentilhomme miséricordieux qui apparut à sainte Brigitte, disant : Il n’y a rien qui me soulage tant des peines, que l’oraison des justes et le saint Sacrement de l’autel. Mais d’autant que j’ai été juge et ai commis mes jugements à d’autres qui n’aimaient guère la justice, c’est pour cela aussi que je suis encore détenu en cet exil.. Mais je serais bientôt affranchi, si ceux qui m’appartiennent avaient pitié de moi avec plus de douceur. Il sera parlé du même en ce livre, Chapitre XXII.

 

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Chapitre 11

 

La Mère de Dieu avertit son épouse de se souvenir tous les jours de la passion douloureuse.du Fils de Dieu, car à cette heure de la passion toutes choses c'etaient troublées, l'humanite , la Mère , les anges , et tous les éléments, et les âmes des vivants et des morts, voire les démons

 

Pour le jour de la Passion

 

La Mère de Dieu parle à son épouse, disant :En la mort de mon Fils, toute choses s'étaient troublées, car la Divinité, qui ne s’est separée jamais non pas même en cette heure de 1a mort, en laquelle il semblait que la Divinité bien que 1a Divinité, ne puisse souffrir ni douleur ni peine, d’autant qu’elle est impatible et immuable , le Fils patissait une douleur très amère en tous ses membres. , et voire même dans le coeur, qui néanmoins était immortel selon la Deïté . Son âme était aussi immortelle et pâtissait beaucoup en la séparation. Les anges aussi assemblés, semblaient se troubler de voir Dieu pâtir en l’humanité.,

 

Mais comment les anges se peuvent-ils troubler, étant immortels? Certainement, comme le juste, voyant son ami pâtir quelque chose dont il lui revenait une grande gloire, se réjouirait tic l’acquisition de la gloire , et s’affligerait de ce qu’il pâtit, de même les anges se contristaient de sa peine, bien qu’ils soient impatibles, et se réjouissaient de la gloire et du mérite de sa passion.

 

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Tous les éléments aussi se troublèrent: le soleil et la lune perdirent leur splendeur; la terre trembla ; les pierres se fendirent; les sépulcres s’ouvrirent à l’heure de la mort de mon Fils.

Tous les Gentils se troublaient en tous lieux où ils étaient, car il y avait alors en leur coeur comme une pointe de douleur, bien qu’ils ignorassent d’où en venait le sujet. Le coeur aussi de ceux qui le crucifiaient, se troubla à cette heure

mais non certes à leur gloire. Les malins esprits étaient encore troubles à cette heure, et étaient comme assemblés en un. Or, ceux qui étaient dans le sein d’Abraham, étaient beaucoup troublés , en telle sorte qu’ils. eussent mieux aimé être éternellement en l'enfer que de voir une si horrible peine en leur Seigneur.

 

Mais moi , Vierge Marie, sa Mère ,j'étais devant mon Fils. Pensez aussi quelle etait ma douleur Certes, personne ne le peut comprendre.

 

Partant, ô ma fille! souvenez vous de la passion de mon très cher Fils. Fuyez l’inconstance du

monde, qui n’est qu’une vie passagère et une fleur qui se fane et se fletrit soudain.

 

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Chapitre 12

 

La Mère de celui qui est engendré de toute éternité, dit qu’elle est semblable à un essaim d’abeilles, d’autant que son Fils, comme une abeille bénie, a rempli tout le monde de son miel très-doux, quand il descendit en son ventre, de sorte que tout venin a été ôté.
 
La bienheureuse Vierge parle à l’épouse, disant : O épouse de mon Fils, vous me saluez et me comparez à un essaim d’abeilles. Certainement, j’ai été une ruche, car mon corps fut au centre de ma Mère comme un bois avant que l’âme y fût infuse. Mon corps fut aussi comme un bois, quand l’âme en fut séparée jusqu'à la Divinité. Ce bois a été fait en essaim d’abeilles, quand cette bienheureuse mouche, mon Fils, sortit du ciel, et descendit Dieu vivant dans mon sein. En moi enfin fut quelque très-doux et très-pur rayon de miel, qui était préparé en toutes manières pour recevoir le très-suave miel de la grâce du Saint-Esprit. Ce rayon a été lors rempli, quand le Fils de Dieu éternel vint en moi avec sa puissance, son amour et son honnêteté.

 

Il vint avec sa puissance, d’autant qu’il est mon Dieu et mon Seigneur. Il vint avec amour, car l’amour lui a fait prendre chair humaine et la mort sur un gibet. Il vint avec l’honnêteté, car toute la vilenie du péché d’Adam fut éloignée de moi, d’où vient que le Fils de Dieu très-pur prit la chair très-pure. Mais il a l’aiguillon avec lequel néanmoins il ne pique pas, s’il n’y est provoqué : de même l’aiguillon de la justice sévère de mon Fils ne pique point, s’il n’est provoqué par les péchés. On a mal récompensé cette abeille, car sa puissance a été donnée aux mains des iniques, son amour aux mains des cruels ; son honnêteté a été dépouillée et fouettée très-cruellement. Bénie soit donc cette abeille qui a fait de mon bois une ruche, et l’a remplie de son miel avec tant d’abondance, que, par sa douceur qui m’a été communiquée, l’amertume du venin a été ôtée de la bouche de tous !

 

Chapitre 13

 

Jésus-Christ avertit son épouse de ranger tout son temps selon la volonté de Dieu, et de ne rien faire, si ce n’est ce qu’elle croit plaire à Dieu, et qu’elle conserve toujours la volonté de persévérer toujours en la volonté de Dieu, et qu’elle élève toujours on esprit au ciel, et qu’elle mortifie tellement son corps en cette vie, qu’il puisse ressusciter en l’autre.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse : Vous devez avoir trois choses : la première, n’allez qu’à mes volontés ; la deuxième, ne vous arrêter que pour mon honneur ; la troisième, ne vous asseoir que pour l’utilité de votre époux. Or, Vous allez lors à mes volontés, quand vous ne mangez, dormez, ni faites quelque autre chose, sinon comme vous connaissez qu’il plaît à Dieu. Or vous vous arrêtez, quand vous avez une volonté constante de demeurer et persévérer à mon service. Or, vous êtes assise, quand vous élevez incessamment votre esprit aux choses célestes, considérant quelle est la gloire des saints et la vie éternelle.

 

Vous devez ajouter à ceci trois autres choses : 1-vous devez être disposée et préparée comme une fille qu’on veut marier, qui pense en cette sorte : J’amasserai pour mon époux tout ce que je pourrai des biens de mon père, puisque je dois être en adversité et nécessité. Vous en devez faire même, car votre corps est comme votre père, duquel vous devez exiger toute sorte de travail et toute sorte de biens pour les départir aux pauvres, afin que vous puissiez vous réjouir en moi comme en votre époux, car votre corps mourra, et il ne faut pas l’épargner en cette vie, afin qu’en l’autre il ressuscite à une vie meilleure.

 

En second lieu, considérez à part vous comme une épouse : Si mon époux m’aime, pourquoi m’inquièterais-je ? S’il est pacifique avec moi, pourquoi craindrais-je ? Partant, afin qu’il ne se courrouce point, je lui rendrai toute sorte d’honneur et ferai toujours sa volonté.

 

En troisième lieu, pensez que votre époux est éternel et très-riche, avec lequel vous aurez un honneur perpétuel et des richesses éternelles ; et partant, ne liez point vos affections aux richesses périssables, afin qu’éternellement vous puissiez acquérir les richesses permanentes.


Chapitre 14

 

Notre-Seigneur déclare à l’épouse comment il l’a fait nourrir en la vie spirituelle et dans les vertus, par un ange à la façon d’un enfant. Il la recommande encore à la Vierge. Il raconte encore comment, par une subtile ruse, il l’a arrachée au monde et l’a conduite au port du salut, et lui commande de déclarer toutes ses tentations aux pères spirituels, et qu’elle fera une bonne fin.

 

Un des anges parlait à Jésus-Christ, disant : Louange vous soit, O Seigneur, de toute votre troupe, pour l’amour que vous nous portez ! Vous avez commis cette épouse à ma garde : je vous la recommande aussi, car je l’attirais comme une petite fille à vous, en lui donnant des pommes ; et après les pommes, je lui disais : Suivez-moi encore, et je vous donnerai du vin très-doux, d’autant qu’en la pomme, il n’y a qu’un peu de saveur, mais au vin, il y a une grande douceur et un sujet de joie à l’âme. Or, ayant goûté le vin, je lui ai dit derechef : Avancez encore plus avant, car je vous dispose ce qui est éternel et en quoi est tout le bien.

 

Ces choses étant dites, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Il est vrai que mon serviteur me parlait de vous, vous l’entendant ; il vous attirait à moi comme avec des pommes, lorsque vous pensiez que toutes choses venaient de moi et me rendiez grâces de tout ce que vous aviez reçu de moi ; car comme en la pomme, il n’y a qu’une petite saveur et un médiocre rassasiement, de même mon amour ne vous était pas alors à grand goût, si ce n’est que quelque suavité fût en votre cœur de penser à moi. Mais lors vous avez passe plus outre quand vous pensiez ceci : La gloire de Dieu est éternelle, et la joie du monde fort courte et trop inutile à la fin du monde. Que me sert-il d’aimer de la sorte les choses temporelles ?

 

Après avoir eu cette pensée, vous commençâtes de vous abstenir courageusement des délectations du monde, et faire les biens que vous pouviez à l’honneur de mon nom ; et lors vos désirs furent plus grands à mon endroit. Après que vous eûtes pensé que j’étais tout-puissant et Seigneur, duquel, comme de la source, dépendent toute sorte de biens, et renonçâtes à vos volontés, faisant miennes, lors de droit vous été faite mienne ; je vous ai acceptée et ai fait que vous fussiez mienne.

 

Cela étant dit, Notre-Seigneur dit à l’ange : Mon serviteur, vous êtes riche en moi ; votre honneur est éternel ; le feu de votre amour est inextinguible ; ma vertu est indéficiente ; vous m’avez recommandé mon épouse, mais je veux que vous la gardiez encore jusqu'à ce qu’elle soit arrivée à l’âge ; gardez-la bien, afin que le diable ne lui présente à l’inconsidéré quelque chose mauvaise. Ayant soin de la vêtir des robes des vertus, vêtements de toute sorte d’éclat et de beauté ; entretenez-la de mes paroles, qui sont comme de la chair fraîche, par lesquelles le sang est amélioré, la chair infirme s’en porte mieux, et une sainte délectation est excitée en son ame, car j’ai fait à cette mienne épouse comme quelqu’un à accoutumé de faire à son ami, lequel il attire et allèche par amour, lui disant : Mon ami, entrez en ma maison, et voyez ce qui s’y fait et ce que vous y devez faire à l’entrée. Celui qui l’a attiré dans la maison ne lui montre pas d’abord les serpents et les lions farouches qui sont en la maison, afin que son ami ne soit épouvanté ; mais pour la consolation de son ami, il lui fait voir les serpents comme des brebis douces, et les lions comme des ouailles très-belles, disant à son ami : Mon ami, sachez que je vous aime et que je vous ai attiré pour votre bien. Partant, dites à vos amis tout ce que vous verrez, car ils vous consoleront et vous garderont, de sorte que ma captivité vous sera plus agréable que votre propre liberté.

 

De même en ai-je fait à votre égard, O ma fille bien-aimée ! Je vous ai comme attirée et captivée, quand je vous ai retirée de l’amour du monde et vous ai liée au mien ; quand je vous ai retirée des dangers du monde dans ce port de salut, dans lequel ceux que pensez être vierges par continence, sont vraiment des lions par malice, ceux que vous croyez des brebis par la contemplation divine, sont comme des serpents rampants à terre, et par la ventre de la gueule et cupidités insatiables. Partant, ne rapportez point ailleurs ce que vous verrez et oirez, mais bien à mes amis qui vous gardent et vous instruisent, car l’Esprit qui vous a conduite au port, celui-là même vous conduira à la patrie ; et celui qui vous a conduite à un bon principe, celui-là vous dirigera à une meilleure fin.

 

Chapitre 15

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à son épouse que les prélats, les grands et savants qui se glorifient et s’enrichissent de leur savoir et en vivent mal, sont comparés aux courtisanes et aux ivrognes, qui précipitent les autres et eux-mêmes dans les abîmes des péchés. Bien que pourtant ils eussent obligations d’être meilleurs que les autres, ma miséricorde néanmoins ira au-devant de celui qui se convertira, comme un père ayant recouvré son fils qui s’était perdu.

 

Ce prélat pour lequel vous priez détourne ses yeux de moi et se convertit au monde avec l’ornement et l’éclat de la dignité. S’il voulait être à moi, il me regarderait tous les jours ; il lirait mon livre avec plus d’attention, et considérerait non avec tant de soin du monde ma loi, qu’est ce qui est dit à l’Église.

 

Elle lui répondit : La loi de l’Église n’est-elle pas votre loi ?

 

Notre-Seigneur répondit. Elle était ma loi, tant que les miens l’ont lue et observée pour l’amour de moi. Or, maintenant, elle n’est point à moi, d’autant qu’on la lit en la maison des dés qui jettent trois points sur un dé, qui, pour une petite justice qu’ils trouvent en la loi de l’Église, en acquièrent une grande somme d’argent. On ne la lit plus pour mon honneur, mais pour acquérir des richesses.

 

Aux maisons des joueurs de dés se trouvent les courtisanes et les ivrognes : tels maintenant sont ceux qui lisent les lois de mon Église ; tels maintenant se nomment savants et sages, quoiqu’ils soient vraiment fous : car qu’est-ce qu’une courtisane a accoutumé de faire ? certainement, elle est babillarde, légère en ses mœurs, belle de face par le plâtre, et bien vêtue : tels sont maintenant ceux qui apprennent mes lois : ils sont babillards en plaisanteries, muets à prêcher ma parole et à me louer, si légers en leurs mœurs, que même les séculiers ont honte du dérèglement de leurs mœurs ; et non-seulement ils se perdent , mais ils ravagent et précipitent les autres par leurs pernicieux exemples ; ils n’affectionnent ni n’affectent rien tant que d’être vus du monde, d’être honnêtes et honorés , et d’aller pompeux en leurs vêtements , d’acquérir richesses et honneurs. Mes paroles et mes préceptes leur sont fort amers ; ma vie et ma voie leur sont abominables. En vérité, leur conversation et leur vie sont aussi puantes devant moi qu’une courtisane, qui est la plus vile et la plus abjecte des femmes. De même ceux-là me sont odieux par-dessus les autres ; ils disent et se glorifient de savoir mes lois, mais c’est pour décevoir et tromper les simples, pour assouvir leurs voluptés.

 

En la maison où ma loi se lit, il y a des ivrognes et des incontinents, la gloire desquels est d’exceller, voire excéder les autres, et de pousser leur nature aux superfluités : tels sont maintenant les maîtres de la loi, qui se réjouissent des superfluités, qui ont bien peu honte de leur excès, et qui ne s’affligent nullement des offenses et des péchés d’autrui. Néanmoins, s’ils lisaient vraiment ma loi, ils trouveraient qu’ils doivent être plus continents que les autres, et qu’ils sont plus obligés de vivre plus parfaitement.

 

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Or, je suis comme un seigneur puissant, aimant les brebis de plusieurs cités, lequel, bien qu’il soit puissant, n’usurpe point les brebis des cités circonvoisines ; il n’en veut d’autres que celles que la justice l’oblige d’avoir. De même moi, qui suis Créateur de toutes choses et suis très-puissant, je ne reçois pas pourtant, sinon ceux que je dois avoir par justice, et qui se connaissent être à moi par amour. En vérité, quiconque se sera retiré de moi, voudra retourner à moi et voudra ouïr ma voix, pourra être sauvé. Une brebis errante de son propre bercail, si elle oyait la voix de sa mère, ne retournerait-elle pas soudain à sa mère ? Et semblablement, quand la mère entend la voix de celui qu’elle a enfanté, elle court de toute sa force au-devant de lui, de sorte que, s’il est en sa puissance libre, il n’y a ni labeur ni peine qui l’empêche de courir : de même, moi, Créateur de toutes choses, je reçois librement ceux qui oient ma voix, et je leur vais au-devant avec joie, et je me réjouis d’avoir retrouvé l’enfant perdu, et comme une mère, je me réjouis du retour de mon agneau.

 

DÉCLARATION.

 

L’homme dont il est ici parlé fut prévôt de l’Église de Saint-Pierre, puis cardinal. Plusieurs qui sont le sort de Dieu et aumôniers de Dieu, thésaurisent au autres les dons de Dieu, car le clerc, qui est le sort de Dieu, n’a point d’autres biens hors le vivre et le vêtir, mais est des pauvres tout ce qui est par-dessus cela, d’où vient que celui-là est heureux qui amasse en l’été ce dont il puisse vivre en hiver.

 

Car voyez comme ses parents ont évidemment dispersé ce que celui-ci avait amassé, ne se souciant point de son âme ; mais néanmoins, d’autant qu’il a eu une bonne volonté de distribuer ses biens, il est parvenu à ce qu’il désirait ; néanmoins, il eût été plus heureux s’il les eût dispensés pendant sa vie.

 

Chapitre 16

 

Quelque saint dit à l’épouse que, si l’homme mourait chaque jour pour Dieu, il ne saurait assez remercier et reconnaître Dieu pour la gloire éternelle qu’il lui réserve.  Il raconte aussi des peines terribles qu’une femme endurait pour les délectations de la chair qu’elle avait eues en sa vie.
 

Un des saints parlait à sainte Brigitte, disant : Si j’avais souffert pour l’amour de Dieu autant de morts qu’il y a d’heures au monde, et que je fusse à toute heure ressuscité, je ne pourrais pourtant avec tout cela reconnaître Dieu pour l’amour qu’il m’a porté ; sa louange ne se retire jamais de ma bouche, sa joie de mon cœur ; sa gloire et son honneur ne sont jamais cachés de ma vue, ni ses concerts de mon oreille.

 

Lors Notre-Seigneur dit au même saint : Dites à cette épouse assistante ce que mérite celui qui se soucie plus du monde que de Dieu, qui aime plus la créature que le Créateur, et quel supplice cette femme endure, qui, pendant qu’elle à vécu, a cherché les plaisirs de la chair.

 

Ce saint répondit : Son supplice est très cruel, car pour la superbe qu’elle a eue en tous ses membres, sa tête, ses mains, ses bras et ses pieds, sont allumés comme d’un foudre horrible. Sa poitrine est piquée comme d’une peau de hérisson, les épines duquel percent sa peau comme des épines, et l’affligent sans consolation. Ses bras et le reste des membres, qu’elle étendait pour embrasser avec douceur les hommes, sont comme deux serpents qui l’environnent, la rongent et le déchirent sans cesse avec désolation continuelle ; son ventre est misérablement tourmenté, comme si, avec une grande force, on s’efforçait d’y planter un pal. Ses cuisses et ses genoux sont comme de la glace dure et inflexible, n’ayant point de repos ni de chaleur. Ses pieds aussi, avec lesquels, elle se portait aux délices, avec lesquels elle a attiré les autres à soi, sont comme des rasoirs aigus que la taillent incessamment.
 

DÉCLARATIONS.

 

Cette dame abhorrait fort les confessions et suivait ses volontés ; étant atteinte d’une tumeur à la gorge, elle est morte sans confession. On l’a vue être au jugement de Dieu, laquelle tous les diables accusaient, disant et criant : Voici cette femme qui a voulu se cacher de vous et être connue de nous.

 

Le juge répondit : La confession est une bonne lavandière ; et d’autant qu’elle ne s’est pas voulu laver en temps et saison, elle sera maintenant noircie de vos immondices ; et d’autant qu’elle n’a pas voulu se confondre devant peu de gens, il est juste qu’elle soit confondue de tous devant tous.

 

 

Chapitre 17

Lors le démon dit à la Sainte Vierge : Vierge, donnez-moi puissance sur celle-ci.

 

La Vierge lui dit : Pourquoi ne la recevez-vous en votre puissance ?

 

Le démon lui dit : Je ne puis pas, d’autant que je ne puis pas séparer le sang du sang étant dans un vase pèle mêle : le sang de la charité de Dieu est mêlé avec le sang de la charité de son cœur.

 

La Sainte Vierge Marie lui dit derechef : Pourquoi ne la laissez-vous en repos ?

 

Le diable dit : Je ne le ferai jamais, car si je ne puis la faire tomber en péché mortel, je ferai en sorte qu’elle soit fouettée pour le péché véniel. Et si je ne puis encore faire cela, je jetterai en son esprit plusieurs pensées qui l’inquiéteront.

 

Lors la Vierge dit : Je veux l’aider, car toutes les fois qu’elle chasse ces pensées et les jette à votre front, tout autant de fois les péchés lui seront pardonnés, et son prix et sa couronne s’augmenteront.
 
DÉCLARATION.

 

Un jour, sainte Brigitte était tentée de gourmandise ; et lors, ravie en esprit, elle vit un Éthiopien qui avait en la main comme une bouchée de pain, et un jeune homme qui avait un vase d’or.

 

Lors le jeune homme dit à l’Éthiopien : Pourquoi la sollicitez-vous et la tentez-vous, elle qui est commise à ma garde ?

 

L’Éthiopien répondit : Je la tente, d’autant qu’elle se glorifie de l’abstinence qu’elle n’avait pas eue : c’est pourquoi je lui présente mon pain, afin que le pain le plus bis lui soit à goût. Jésus-Christ n’a-t-il pas jeûné quelque temps sans manger ? Les prophètes n’ont-ils pas mangé le pain et bu à mesure ? D’où ils ont mérite ce qui est excellent et sublime. Et comment donc celle-ci méritera-t-elle, qui est toujours saoule ?

 

Le jeune homme répartit : Jésus-Christ à enseigné de jeûner, non pas à débiliter notablement son corps : il ne demande pas ce qui est impossible à la nature, mais la modération ; et il ne demande pas compte de la quantité et de la qualité des viandes, mais il considère l’intention et l’amour avec lequel on les prend, car il faut garder la coutume de la bonne éducation avec action de grâces, afin que la chair ne soit débilitée plus qu’il ne faut.

 

Lors le diable disparut, et elle fut affranchie de la tentation.


Chapitre 18.

Notre-Seigneur dit que les religieux et les personnes spirituelles qui reçoivent des consolations du Saint-Esprit, s’ils n’en remercient très-humblement Dieu, mais négligent la grâce et s’enorgueillissent, se délectant au monde, sont semblables au pauvre ingrat qui, après avoir bu, jette la boisson avec mépris devant les yeux de celui qui lui avait donné à boire.
 
Quelques-uns sont comme un homme pauvre, indigent, qui souffre la soif, ce que le père de famille sachant, il lui donne la meilleure boisson qu’il a. Or, ayant reçu la boisson et l’ayant goûtée, il dit : Ce breuvage ne me plaît point, et je ne vous en rends point grâces ; et il jette la boisson en présence de celui qui la lui a donnée, lui rendant contumélie pour charité. Le père de famille, ayant reçu une telle injure d’icelui, étant tout plein de douceur et de bénignité, pense à part soi : Voici que mon hôte m’a fait une grande injure, mais je ne veux pas pourtant me venger de lui avant de venir au jugement et que le temps en soit arrivé, car lors les taches, les notes et les injures seront ôtées de sa face.

 

De même m’en font plusieurs religieux, car en leur pauvreté et humiliation, ils crient à moi et disent : Seigneur, nous sommes accablés de mépris et de tribulations ; donnez-nous quelque consolation. Lors, j’en ai compassion, et leur donne pour consolation le meilleur vin que faire se peut, c’est-à-dire, mon Esprit, la douceur duquel remplit les âmes, et l’ardeur duquel fait qu’ils ne se soucient point ni du mépris ni de la pauvreté. Or, ayant goûté le vin du Saint-Esprit et l’ayant eu quelque temps en leur cœur, ils le négligent et ne me remercient point, mais le jettent en ma présence, lorsqu’ils choisissent les délectations du monde, et quand ils se rendent orgueilleux de mes grâces et de mes faveurs.

 

Celui que vous connaissez s’est comporté de la sorte avec moi, lequel étant pauvre et délaissé, mon Saint-Esprit le consolait ; quand il était méprisé et qu’il n’avait point la joie de son cœur, je le réjouissais, car bien que je ne lui parlasse point d’une voix corporelle et qu’il ne l’ouît pas sensiblement, néanmoins, mon Saint-Esprit l’avertissait de faire bien, et je l’excitais, en le réjouissant, à ce qui était le meilleur. Mais lui, ayant goûté mon Esprit et ayant reçu les grâces de mes consolations, répute à néant ce que je lui ai donné, et délibère en son esprit de jeter devant ma face les divines et amoureuses liqueurs ; Il ne les a pas pourtant jetées encore.

 

Voyez et considérez en ce fait combien je suis patient et miséricordieux, car je ne le souffre pas seulement avec patience, mais je lui distribue des biens pour ses ingratitudes ; car il est maintenant plus honoré et plus estimé des hommes, et les biens qu’il avait accoutumé de recevoir, lui arrivent avec plus d’abondance qu’auparavant, mais lui me sert moins pour cela qu’auparavant. Il répute mes grâces pour néant et ma dilection à nulle estime. Or, il s’arrête comme un homme qui délibère de jeter les faveurs devant la face de celui qui l’en a enrichi, et ce, d’autant que le monde qu’il aime lui plaît plus que moi ; la vie spirituelle qu’il avait embrassée lui est onéreuse et à dégoût, et afin que vous éprouviez ceci, expérimentez que l’odeur qui sortait de ses vêtements pendant qu’il me servait, n’est plus, ni n’est pas de merveilles, car les anges tous pleins de force et de vertu, protégent mes amis. Or, maintenant, sa volonté étant changée, l’odeur l’est aussi, et cette odeur montre aujourd’hui quelles sont son intention et sa volonté. Or, qu’est-ce que je dois faire, quand on jette devant ma face, mes grâces et mes faveurs ? Véritablement, je le souffrirai patiemment comme un homme débonnaire, jusqu'à ce que le jour de jugement arrive et sentence générale, afin qu’alors apparaissent l’ingratitude et la présomption de ce présomptueux, et la patience du Seigneur qui l’a souffert.
 
DÉCLARATION.

 

L’homme dont il est ici parlé fut moine du monastère de Saint-Paul, qui , ayant eu contrition de ses fautes, mourut heureusement.

 

 

 

Chapitre 19.

 

Notre-Seigneur se plaint des hommes qui se plaisent dans les délices temporelles, méprisant la gloire future et les bénéfices de sa passion, l’oraison desquels est comparée à la voix d’une canne et au cliquetis des pierres ; tels seront damnes, et lors ils ne verront pas la gloire de Dieu dans le ciel, hors, dessous et en tout lieu, à leur confusion.

 

Celui que vous connaissez chante : Seigneur, délivrez-moi de l’homme mauvais. Cette voix est à mes oreilles comme la voix d’un flageolet, comme l’harmonie d’une canne et comme le son du cliquetis des pierres. Or, qui pourra répondre à leur son, vu qu’on ignore ce qu’il signifie ? car son cœur crie à moi comme par trois voix.

 

La première dit : Je veux avoir les volontés. Je dormirai et me lèverai quand il me plaira ; je prendrai plaisir en mes paroles. Ce qui me plaît et délecte entrera en ma bouche. Je ne me soucie point de la sobriété, mais je cherche l’assouvissement de la nature ; je lui donnerai à suffisance ce qu’elle désire : je désire avoir de l’argent en ma bourse, la douceur et la mollesse des vêtements. Quand j’aurai toutes ses choses, je serai content, et je répute à félicité d’avoir ce que je désire.

 

La deuxième voix crie et dit : La mort n’est pas si dure qu’on le dit ; le jugement n’est pas si sévère qu’il est écrit. Les prédicateurs nous menacent de plusieurs choses dures pour nous faire prendre garde à bien vivre, mais elles seront plus douces à raison de la miséricorde divine. Mais pour que je puisse accomplir ici mes volontés, faire ce qui me plaît et jouir du meilleur, que l’âme aille où elle pourra.

 

La troisième voix criait et disait : Dieu ne m’aurait pas créé, s’il ne voulait me donner le ciel ; il n’aurait pas souffert, s’il ne voulait m’introduire dans la patrie des vivants. Et pourquoi aurait-il voulu endurer une mort si cruelle ? Qui l’y a contraint ? Ou bien quelle utilité en résulterait-il ? Je ne puis entendre ni comprendre que par l’ouïe ce qu’est le royaume céleste ; je ne vois pas sa bonté ; je ne sais si je le dois croire ou non. Je sais et tiens pour royaume céleste ce que je tiens.

 

Voilà quelles étaient ses pensées et ses volontés ; c’est pourquoi aussi sa voix m’est comme le cliquetis des pierres.

Mais je veux répondre à la première voix de son cœur. Mon ami, votre voix ne tend point au ciel ; la considération de ma passion ne vous est pas à goût : c’est pourquoi l’enfer vous est ouvert, d’autant que votre vie désire les choses basses et les aime.

 

Je réponds à la deuxième voix : Mon fils, la mort vous sera très-dure ; le jugement vous sera intolérable ; il est impossible que vous les fuyiez ; vous aurez une peine très-amère, si vous ne vous amendez pas.

 

Je réponds à la troisième voix de votre cœur : Mon frère, tout ce que j’ai fait par amour, je l’ai fait pour l’amour de vous, afin que vous me fussiez, et que, vous étant retiré de moi, vous puissiez revenir à moi. Or, maintenant, ma charité été éteinte en vous ; Mes œuvres vous sont pesantes et onéreuses ; mes paroles vous semblent des fadaises, mes voies vous paraissent difficiles : c’est pourquoi il vous reste un supplice amer et la compagnie des diables, et vous ne changez votre cœur en mieux, si vous me tournez le dos, à moi qui suis votre très-débonnaire Seigneur et Créateur ; vous aimez mon ennemi en me méprisant ; vous foulez aux pieds mes trophées et dressez ceux de mon ennemi.

 

Hélàs ! Voici comment ceux qui semblent être à moi sont contre moi ; voyez en quelle sorte ils s’en sont retirés. Je vois ces choses et les souffrances, et encore, ils sont si endurcis qu’ils ne veulent prendre garde à ce que j’ai fait pour eux et comme j’ai été devant eux.

1. J’ai été devant eux comme un homme dont un couteau aigu perçait les yeux ;

2- comme un homme dont un glaive transperçait le cœur ;

3- comme un homme dont tous les membres ont été roidis à raison de l’amertume et de la douleur de ma douloureuse passion : C’est de la sorte que j’ai été devant eux.

 

Or, qu’est-ce que mon œil signifie, sinon mon corps, auquel le ressentiment de ma passion fut aussi amer que la douleur en la prunelle de l’œil ? Néanmoins, je souffrais tout cela patiemment avec un grand amour. Mais le glaive signifie la douleur de ma très-chère Mère, qui affligea plus mon cœur que la douleur même.

 

En troisième lieu, tous mes membres et toutes les parties intérieures se roidirent en ma passion, et c’est ce que j’ai pâti pour eux. Mais hélas ! Les misérables ! Ils méprisent tout cela comme un fils qui méprise sa mère. Eh quoi ! Ne leur ai-je pas été comme une mère qui, ayant dans le ventre son enfant, désire l’heure de l’enfantement, afin que l’enfant naisse vivant ? Que s’il peut être baptisé, la mère n’a pas tant de peine de la mort qu’elle en aurait autrement. J’en ai fait de même : j’ai enfanté comme une mère, par ma passion, l’homme des ténèbres de l’enfer au jour éternel. Je l’ai porté et nourri comme dans mon sein avec de grandes difficultés, lorsque j’ai accompli les prophéties qui parlaient de moi ; je l’ai nourri de mon lait, quand je lui ai montré les paroles saintes et lui ai donné les préceptes de vie. Mais lui, comme un méchant fils, méprisant les douleurs de sa mère, me rend haine pour amour ; pour la douleur, des sujets de pleurs, et surajoute à mes plaies de nouvelles infirmités ; il donne à ma faim des pierres, et pour étancher ma soif, il me donne de la boue.

 

Or, quelle est cette douleur que l’homme me cause, vu que je suis sans changement, impassible et Dieu éternel ? En vérité, lors l’homme me fait comme endurer, quand il se sépare de moi par le péché, non pas que je sois sujet à quelque douleur, mais seulement d’une manière ineffable, comme un homme a compassion d’un autre. Or, l’homme me causait alors de la douleur, quand il ignorait la gravité et la laideur du péché, lorsqu’il n’avait ni prophètes ni loi, ni n’avait encore les paroles de ma bouche. Or, il me cause maintenant une double douleur comme un pleur, bien que je sois impassible, quand, ayant connu mes volontés, ressenti mon amour, il s’agit contre mes commandements, et pèche impudemment contre la raison de sa conscience ; et c’est pourquoi plusieurs sont plus profondément précipités dans l’enfer, ayant la connaissance de mes volontés, que s’ils ne l’eussent pas eue et n’eussent reçu mes commandements ; et certes, lors l’homme faisait en moi quelques plaies, bien que je sois invulnérable, lorsqu’il ajoutait péché sur péché.

 

Or, maintenant, ils ajoutent sur mes plaies quelque malheur vénéneux, lorsque, non-seulement ils multiplient les péchés, mais lorsqu’ils s’en glorifient et ne s’en repentent point. Or, quand l’homme me donne encore des pierres au lieu de pain, et de la boue au lieu de boisson, remarquez que, par le pain, sont entendus le profit des âmes, la contrition du cœur, le désir divin et l’humilité fervente en charité : au lieu de ces choses, l’homme me donne des pierres, savoir, par l’endurcissement de son cœur. Il me donne de la boue par l’impénitence et vaine confiance. Il méprise de revenir à moi par les avertissements salutaires ; et par les adversités, il dédaigne de me regarder, et de peser et considérer la grandeur de mon amour. Partant, je puis me plaindre à juste sujet, car je les ai enfantés comme une mère en la lumière par la douleur de ma passion ; mais ils aiment mieux être plongés dans les ténèbres palpables. Je les ai repus et je les repais du lait de ma douceur, et ils me méprisent, et ajoutent impudemment la boue de leur malice à la douleur de l’ignorance. Ils me rassasient du péché, bien qu’ils me dussent arroser des larmes de leurs vertus. Ils me présentent des pierres, bien qu’ils soient obligés de me présenter leur cœur plein de douceur. Partant, ayant patience comme un juste juge en la justice, et en la justice miséricorde, et en la miséricorde sagesse, je me lèverai contre eux en leur temps, et leur rendrai selon leurs mérites ; et ils verront ma gloire dans le ciel, dedans, dehors, de toutes parts, dans les vallées, sur les collines ; et ceux qui seront damnés seront confus et honteux de leur propre honte et confusion.

 

DÉCLARATION.

 

Celui-ci fut religieux, moine du monastère de Saint-Laurent, dissolu et dissipé, qui fut occis par ses ennemis et enseveli en l’Église de Saint-Laurent.

 

Saint-Laurent a été vu parler au juge, disant : Qu’est-ce que ce volage fait avec les élus, lesquels ont répandu leur sang ? Ce moine a aime les voluptés. Et cela étant dit, son corps a été jeté du sépulcre puant et infect.

 

Après, le juge dit à l’âme qui était là présente : Allez, maudite, aux incirconcis et abortifs que vous avez suivis, d’autant que vous n’avez voulu ouïr la voix de votre Père ! Et la vision disparut de la sorte.


Chapitre 20.

La Mère de miséricorde dit que l’homme qui a la contrition et la volonté de s’amender, et qui néanmoins est froid en la dévotion et en l’amour de Dieu, doit impétrer de Dieu une bluette de feu divin, par la fréquente méditation de la passion de Jésus-Christ ; et de là, elle échauffera son âme par le divin amour, et elle sera allaitée des mamelles virginales, c’est-à-dire, de la vertu, de la crainte divine et de l’obéissance.

 

La Vierge Marie dit : Je suis comme une mère qui a deux enfants ; mais ils ne peuvent atteindre aux mamelles de leur mère, d’autant qu’elles sont trop froides et sont en une maison trop froide. Néanmoins, la mère les aime tellement qu’elle les couperait volontiers, s’il était possible, pour leur utilité.

 

Je suis en vérité Mère de miséricorde, d’autant que je fais miséricorde à tous ces misérables qui me la demandent. J’ai deux enfants : l’un s’appelle la contrition de ceux qui faillent contre Dieu, mon Fils ; le second est la volonté de se corriger des fautes commises. Mais les deux enfants sont trop froids, et ils n’ont aucune chaleur d’amour, et ne ressentent aucun plaisir divin, et la maison de leur âme est si froide des flammes des consolations divines, qu’ils ne peuvent s’approcher de mes divines mamelles.

 

Lors, mon Fils me répondit : Ma Mère bien-aimée, j’enverrai pour l’amour de vous une scintille de feu en leur maison, de laquelle on pourra allumer un grand feu. Qu’on garde, fomente et nourrisse La scintille, et qu’on en chauffe vos enfants, afin qu’ils puissent recevoir vos mamelles.

 

Après, la Mère parlait à l’époux, disant : celui-là pour l’amour duquel vous me priez eut une spéciale dévotion envers moi ; et bien qu’il se soit plongé en des misères infinies, il se confiait néanmoins en mon secours, et eut quelque amour envers moi, mais point envers mon Fils, ni crainte ; et partant, s’il eût été alors appelé du monde, il eût été tourmenté éternellement. Mais d’autant que je suis pleine de miséricorde, c’est pour cela aussi que je ne l’ai pas oublié ; mais il y a encore quelque espérance du bien à ma considération. S’il se voulait aider soi-même, car il a maintenant contrition des péchés commis, et volonté de s’en amender ; mais il est trop froid en la charité et dévotion ; partant, afin qu’il puisse être chauffé et recevoir mes mamelles, on doit envoyer ma scintille en son âme, c’est-à-dire, la considération de la passion de mon Fils, qu’il doit assidûment méditer.

 

Et de fait, qu’il considère ce que le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge, qui est un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, a souffert et enduré ; comment il a été lié, souffleté ; comment on lui a craché au visage ; comment il a été fouetté jusqu’au dedans, de sorte qu’on arrachait la chair avec les fouets ; comment ayant tous les os désemboités et tous les nerfs étendus, il était pendu au gibet avec grande douleur ; comment, criant en la croix, il rendit l’esprit.

 

S’il souffle souvent cette bluette, il s’échauffera, et je l’appliquerai à mes mamelles, c’est-à-dire, à deux vertus que j’ai eues, savoir : la crainte de Dieu et l’obéissance ; car bien que je n’aie jamais péché, je craignais toutefois à toute heure afin que, ni par parole ne par démarche, je n’offensasse mon Dieu. Par cette crainte, j’allaiterai mon fils, savoir, la contrition de celui qui m’est dévot, pour lequel vous priez, afin qu’il se repente de ce qu’il a fait, mais encore il craindra le supplice et craindra d’offenser désormais mon Fils Jésus-Christ. J’allaiterai aussi sa volonté à la mamelle de mon obéissance, car de fait, je suis celle qui n’a jamais été désobéissante à Dieu. Je ferai donc que celui qui a été échauffé de la charité de mon Fils, obéira en tout ce qu’on lui commandera.

 

DÉCLARATION.

 

Celui-ci fut allié de sainte Brigitte et était grandement mondain ; il se convertit, et eut contrition de ses péchés par un avertissement divin. Il avait coutume de dire : Tant que j’ai eu horreur de la pénitence, je me suis senti chargé comme d’un grand et pesant faix de chaînes ; et lorsque je commençai de fréquenter les confessions, je me suis senti fort allége, et mon esprit a été fort paisible, de sorte que je ne me souciais point des honneurs et des ambitions mondaines, mais rien ne m’était si doux que de parler ou d’ouïr parler de Dieu. Celui-ci, ayant reçu les sacrements et ayant en la bouche le nom vénérable de Jésus, dit : O doux Jésus, ayez miséricorde de moi ! et s’endormit en Notre-Seigneur.

 

Chapitre 21.

 

La Sainte Vierge priant pour un défunt, son ami, Jésus-Christ lui dit que les biens que ses successeurs ont faits pour son âme, lui ont peu profité, d’autant qu’ils l’avaient fait, plus par vanité que par charité et amour de Dieu, et que néanmoins, sa peine était soulagée par les prières de la Vierge.

 

p.240

La Sainte Vierge Marie parle, disant : Béni soit votre nom, ô mon Fils ! Vous êtes le Roi de gloire et le Seigneur tout-puissant, ayant la miséricorde avec la justice. Votre corps, qui a été engendré et nourri en mon ventre sans péché, a été aujourd’hui consacré pour cette âme. Je vous prie donc, ô mon très-cher Fils ! Qu’il profite à son âme et que miséricorde lui soit faite.

 

Le Fils répondit : Béni soyez-vous, ô ma Mère, bénie de toute créature, d’autant que votre miséricorde est infinie ! Je suis semblable à l’homme qui a acheté à grand prix un petit champ de cinq pieds dans lequel était caché le bon or. Ce champ est l’homme qui a cinq sens, que j’ai acheté et racheté par mon sang, dans lequel il y avait un or précieux, c’est-à-dire, l’âme créée par ma Divinité, laquelle est maintenant séparée du corps et demeure seule en terre. Ses successeurs sont semblables à un homme puissant qui, allant au jugement, crie au bourreau : Séparez avec le couteau la tête de son corps ; ne permettez point qu’il vive plus ; ne pardonnez point à son sang. De même en font-ils, car ils vont comme au jugement, quand ils prient pour l’âme de leur père ; mais on crie au bourreau : Séparez leur tête du corps. Qui est ce bourreau que le diable, qui sépare de son Dieu l’âme qui consent à ses suggestions ? Ils lui crient : Séparez, quand, ayant méprisé l’humilité, ils font par superbe le bien pour l’âme ou pour l’honneur du monde, plus que par charité et amour de Dieu.

Par la superbe, Dieu est séparé de l’homme et est uni à lui par l’humilité, car ils crient : Ne souffrez pas qu’ils vivent longtemps, quand ils ne se soucient point de bien faire pour le mort ; ils crient qu’il ne faut pardonner au sang, quand ils ne se soucient point de soulager sa grande peine, ni ne se soucient du temps qu’il y demeurera, pourvu qu’ils puissent accomplir leurs volontés ; ils ne se soucient de rien plus, tant ils sont liés aux honneurs du monde et réputent à peu ma passion.

 

Lors la Sainte Vierge répondit : J’ai vu votre justice, ô mon Fils, grandement sévère, à laquelle je ne m’adresse point, mais bien à votre infinie miséricorde. Partant, pour l’amour de mes prières, ayez miséricorde de celui-ci : il disait tous les jours les heures pour mon honneur, et n’imputez point à superbe les biens que ses successeurs font pour lui : ils se réjouissent, et celui-ci pleure et est puni sans consolation aucune.

 

Le Fils répondit : Bénie soyez-vous , ma Mère très-chère ! Vos paroles sont toutes pleines de clémence et sont plus douces que le miel ; vos paroles procèdent et sortent d’un cœur tout plein de miséricorde, c’est pourquoi vos paroles ne prêchent que miséricorde.

 

Celui pour lequel vous priez aura trois sortes de miséricorde pour l’amour de vous :

1- Il sera affranchi des mains des démons, qui l’affligent comme des corbeaux, car comme les oiseaux, oyant quelque grand son, laissent la proie qu’ils tiennent, à cause de la peur qu’ils ont, de même les diables quitteront, à cause de la crainte qu’ils auront de vous, et ils ne la toucheront désormais ni ne l’affligeront.

2- Cette âme sera transférée d’une peine plus ardente à une moins ardente ;

3- mes anges la consoleront ; elle n’est pas entièrement affranchie ; elle a encore besoin de secours, car vous savez et voyez la justice qui est en moi, et que personne ne peut entrer en la béatitude, s’il n’est purifié comme de l’or par le feu ; partant, en son temps, pour l’amour de vos prières, elle sera entièrement affranchie.
 

p.242 à 245

 

 

 

Chapitre 22.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ reçoit à miséricorde quelque évêque par les prières de sa Mère, bien qu’il fût dénué de bonnes œuvres ; mais s’étant depuis peu converti à la contrition et à une sainte résolution de mieux vivre, il l’a prévenu de miséricorde et de douceur, montrant comme il devait vivre humblement, sans cupidité et de la manière dont il doit corriger ses sujets défaillants, avec miséricorde et justice.

 

Le Fils de Dieu parle : Ce prélat pour lequel vous me priez, ô mon épouse ! est déjà revenu à moi en trois manières :

1- comme un homme nu ;

2- comme ayant en sa main un glaive ;

3- comme étendant la main et demandant pardon ; et moi, pour l’amour des prières de ma Mère, je me tourne vers lui, et je lui irai au-devant comme une mère à son enfant qui avait été perdu ; et bien que mes apôtres, par leurs prières, me l’aient recommandé, ils avaient néanmoins obtenu peu, d’autant que celui-ci me fut contraire, lorsqu’il eut la dignité de l’Église, ni ne se comporta pas envers elle comme prélat.

 

Or, je l’ai revêtu maintenant, afin qu’il ne soit plus nu. Quelle est sa nudité, sinon le peu de bonnes œuvres, lesquelles, certes, doivent revêtir de l’éclat des vertus son âme qui, hélas ! paraît nue devant ma face, bien qu’elle pense être habillée ? Je lui donnerai secours maintenant par les prières de ma très-chère Mère et de mes saints, afin qu’il puisse être touché et revêtu, car il s’en venait autrement tout nu devant moi. Or, c’est lorsqu’il venait nu qu’il s’entretenait en ces pensées : je n’ai rien de bon de moi ; je ne puis rien de bien sans Dieu ; je ne suis pas digne de quelque bien, car si je savais comment je puis plaire à Dieu et qu’est-ce qui lui plaît, bien que je dusse mourir ; je le ferais franchement. Par une telle pensée, il vient nu à moi. C’est pourquoi je lui irai au-devant et je le revêtirai.

 

Il eut aussi le glaive en ses mains, quand il considérait la rigueur et la fureur de mes jugements, disant à part soi : Le jugement de Dieu est intolérable, et il est impossible de l’éviter ; partant, tout ce que Dieu veut de moi, je le veux librement, et ma volonté est disposée à faire la sienne ; je n’ai point de bonnes œuvres.

Que sa volonté soit faite et non la mienne. Cette pensée et cette résolution arrachèrent de mes mains le glaive de ma fureur, et lui attirèrent ma miséricorde.

 

En troisième lieu, il étendit sa main, quand il s’occupait en ces pensées : Je sais que j’ai péché outre mesure, et que je suis digne de la rigueur du jugement ; néanmoins, me confiant en votre bonté, j’espère secours, car vous n’avez pas méprise saint Paul persécuteur, ni rejeté Magdelène pécheresse. C’est pourquoi j’ai mon recours à votre secours, afin que vous me fassiez selon votre grande pitié et miséricorde.

Pour cette pensée et désir, je lui donnerai ma main miséricordieuse, et je lui augmenterai ma douceur, s’il accomplit généreusement ces trois choses, car il doit :

1- chasser de lui tout orgueil et toute ostentation, et embrasser l’humilité ;

2- qu’il arrache de son cœur toute sorte de cupidités, afin qu’il se gouverne dans les choses temporelles comme un bon dispensateur qui doit rendre raison à son maître ;

3- qu’il ait soin que les péchés propres et les siens ne soient négligés, mais qu’il les corrige avec miséricorde et justice, considérant mes œuvres, de moi qui ai pardonné et fréquenté les publicains et les courtisanes, qui ai néanmoins méprisé les superbes.

 

N’est-il pas écrit que quelqu’un, venant à moi et disant : Maître, je vous suivrai où vous irez ? Il répondit : Non, car les renards ont des tanières ? Et pourquoi l’ai-je méprisé, si ce n’est que j’ai vu son cœur et sa volonté qui désiraient la gloire et la nourriture sans rien faire ? et partant, ma justice a voulu qu’il fût repoussé. Qu’il en fasse de même, car quiconque viendra à lui, s’humiliant et promettant de s’amender, demandant pardon, il est tenu de lui faire miséricorde. Mais celui qu’il attrapera en la volonté de croupir dans son vice ni ne voudra se convertir, il le châtiera avec modération et avec des verges ; on le changera avec de l’argent.

 

Qu’il prenne néanmoins garde qu’il ne fasse pas le châtiment pour assouvir sa cupidité, mais par amour et pour l’amour de la justice, et qu’il convertisse l’argent qu’il a en tels usages qu’il en puisse rendre compte à Dieu un jour, savoir, qu’il ait pris l’argent du délinquant par droit et justice, et qu’il soit employé en de bons et divins usages. Que si, ayant été puni une fois en la bourse, il ne s’amende point, qu’il le prive après du bénéfice et du plus haut degré d’honneur, afin qu’étant ainsi confus, il demeure là comme un âne, qui, portant auparavant une selle dorée, était en grande réputation et en grand mépris, et qui, quand elle lui a été ôtée, a été regardé comme s’il était insensé : de même en fais-je, moi qui suis le Créateur de toutes choses : je châtie l’homme,

1- par la tribulation temporelle ;

2- par les infirmités de corps et d’esprit, par les résistances et contradictions de sa volonté ; et si lors, il ne veut se convertir, je le laisse et l’abandonne aux peines qui lui sont dues de droit et de justice.

 

p.246

 

Chapitre 23.

La Sainte Vierge Marie apparut à l'épouse, priant son Fils pour un grand seigneur qu'elle comparait à un larron . Notre-Seigneur lui disait ses détestables péchés, et il lui faisait, en consideration de ses prières , trois grâces, car il lui donna un maître spirituel . La connaissance des peines effroyables et éternelles, et l'espérance droite de la miséricorde avec la crainte discrète.

 

La Sainte Vierge parle à son Fils et lui dit : Mon Fils, béni soyez-vous ! Je vous demande miséricorde pour ce larron , pour lequel votre épouse pleure en priant.

 

Le Fils répondit et dit : Pourquoi , ô ma Mère , priez-vous pour lui ? Il a fait trois larcins : 1° il a dérobé les anges et mes élus ; 2° il a dérobé les corps de plusieurs hommes , séparant leurs âmes du corps avant le temps ; 3° il a dépouille plusieurs de leurs biens, car : 1° il a dérobé les anges , en tant que plusieurs âmes qui devaient être unies et associées avec les anges , en ont été séparées par lui par cajoleries , mauvaises œuvres , exemples mauvais, par occasions et attrait du mal , et en ce qu'il souffrait les méchants en leur malice , lesquels il devait punir justement , 2° Il a commande que plusieurs innocents fussent punis et occis par colère et indignation ; 3° il a usurpe les biens des innocents , et mis d'intolérables calomnies sur les misérables.

 

p.247

 

Il a encore trois autres maux avec ces trois-ci : 1° une insatiable cupidité du monde ; 2° une vie

incontinente , car bien qu'il soit lie par mariage , il n'en use pas par charité divine , mais pour assouvir ses cupidités ; 3° une superbe insupportable , de sorte qu'il ne pense pas qu'aucun lui soit semblable . Voyez quel est celui pour lequel vous priez ; vous voyez ma justice et savez ce qui est dû à chacun.

 

Quand la mère de Jacques vint à moi et qu'elle m'eut demande que l'un de ses enfants fut assis à la droite et l'autre à la gauche , je lui répondis que celui qui aurait plus travaille et qui se serait plus humilie , serait assis à ma droite et à ma gauche . Comment donc pourra quelqu'un être assis à ma gauche ou à ma droite sans rien faire, qui n'est pas pour moi , mais contre moi ?

 

La Mère repartit : Beni soyez-vous O mon Fils, plein de justice et miséricorde . Je vois votre justice terrible comme un feu embrase, et pas un ne s'en ose approcher ; et au contraire, je vois votre miséricorde très débonnaire , et c'est à elle que je m'adresse , que je parle ; c'est d'elle que je m'approche , car quoique j'aie bien peu de droit et de justice en votre endroit de la part du larron, et que je voie que, de ce côté-là, il ne sera pas sauvé si votre grande miséricorde n’y intervient, il est certainement semblable à un enfant qui, bien qu’il ait la bouche, les yeux, les mains et les pieds, ne peut pas pourtant parler de la bouche, ni discerner de ses yeux entre le feu et la clarté du soleil, ni ne peut marcher de ses pieds, ni travailler de ses mains : de même en est-il de ce larron : il a accru, depuis sa naissance, en œuvres du diable ; ses oreilles ont été endurcies pour ouïr le bien ; ses yeux ont été obscurcis pour entendre les
choses futures ; sa bouche a été close à votre louange, et ses mains ont été tout à fait débiles aux bonnes œuvres, en sorte que toute vertu et toute bonté étaient comme éteintes en lui ; néanmoins, il s’arrêtait sur un pied comme en un chemin fourchu.

P248

 

Or, ce pied n’est autre que son désir, qui attendait que quelqu’un lui dit en quelle manière il pourrait s’amender, comment il pourrait apaiser Dieu, car encore que je dusse mourir pour lui, je le ferai franchement, disait-il. Le premier de ses pas était la crainte et la considération de la peine éternelle ; le deuxième, la douleur de la perte du royaume des cieux. Partant, ô mon Fils très-débonnaire ! je vous en conjure, par votre bonté et par mes prières, et parce que je vous ai porté en mon sein, ayez miséricorde de lui.

 

Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, ô Mère très-débonnaire ! Vos paroles sont pleines de sapience et de justice ; et d’autant qu’en moi sont toute justice et toute miséricorde, je donne au larron trois biens pour trois autres qu’il m’a offert ; car d’autant qu’il a eu un bon propos de s’amender, je lui ai montré mon ami, qui lui montrera la vie. Pour le deuxième, c’est-à-dire, pour la connaissance sérieuse du supplice éternel, je lui ai augmenté la connaissance de la gravité du supplice éternel, afin qu’il entende et ressente en son cœur combien dure et amère est la peine éternelle. Pour le troisième, savoir, pour la perte du royaume des cieux, j’ai illuminé son espérance, afin qu’il fût maintenant plus sage qu’il n’avait été, et afin qu’il eût une crainte plus discrète. Lors derechef la Mère de Dieu parla :

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Béni soyez-vous, mon Fils, de toute créature, au ciel et en la terre, que vous ayez donné ces trois choses à ce larron par votre justice ! Maintenant, je vous supplie de lui donner aussi votre miséricorde, car aussi vous ne faites rien sans miséricorde. Donnez-lui donc une grâce de miséricorde en considération de mes prières et une autre pour l’amour de votre serviteur, qui me sollicite de prier pour ce larron ; mais donnez-lui la troisième grâce pour les larmes de ma fille, votre épouse sainte Brigitte.

 

Le Fils lui répartit :
Béni soyez-vous, ô ma Mère très-chère, Dame des anges, Reine de tous les esprits !
Vos paroles me sont très-douces et délectables comme un vin très-bon, voire par-dessus tout ce qui se peut penser et qu’on peut trouver en la sapience et justice.
Bénies soient votre bouche et vos lèvres, desquelles toute miséricorde s’écoule sur les pécheurs ! Vous êtes publiée Mère de Miséricorde, et l’êtes, attendu que vous considérez les misères de tous, et me fléchissez à miséricorde ; demandez donc ce que vous désirez, car votre charitable demande ne peut être vaine.

 

Lors la Mère répondit : Ce larron, ô mon Fils et mon Seigneur, est trop exposé aux dangers ; il ne se soutient que d’un pied : donnez-lui la grâce de pouvoir s’arrêter plus ferme ; donnez-lui votre saint et auguste corps que vous avez pris du mien ; votre corps est un très-salutaire secours aux infirmes ; il rend la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, redresse les boiteux ; il est le très-doux et très-fort emplâtre avec lequel les malades guérissent souvent.
Donnez-lui cette faveur qu’il ressente en soi ce secours, qu’il se plaise avec la ferveur de l'amour.

P250

 

En second lieu, je vous en supplie, daignez lui montrer ce qu'il faut faire et comment il vous pourra plaire. En troisième lieu , je vous en prie , que les ardeurs de sa chair soient apaisées , en considération des prières de ceux qui vous en supplient

 

Le Fils répondit : Ma chère Mère , vos paroles sont très douces comme le miel en mes oreilles ; mais d'autant que je suis juste et que rien ne vous peut être refuse , c'est pourquoi je veux délibérer sur votre demande comme un sage seigneur, non pas que, pour cela , il y ait en moi quelque changement , ou bien que vous ne sachiez et voyiez tout en moi , mais je le fais afin que mon épouse assistante puisse entendre ma sagesse.


Chapitre 24.

P251

 

est avec discrétion et que votre volonté tend à la miséricorde. C’est pourquoi je ferai miséricorde à ce larron.

 

La Mère répondit : Donnez-lui donc ce qui m’est si cher, savoir est votre corps et votre grâce, car ce larron en est affamé, et il est privé de tout bien. Donnez-lui donc la grâce, afin que sa faim soit rassasiée, sa faiblesse affermie, et sa volonté enflammée au bien, qui a jusques à maintenant croupi dans les ordures sans charité.

 

Le Fils répondit : Comme l’enfant à qui on ôte la viande meurt bientôt, de même celui-ci qui, dès son enfance, a été nourri du diable, ne pourra point revivre, s’il n’est repu de ma viande. Partant, s’il désire prendre et recevoir mon corps ; s’il désire être rafraîchi de ses fruits, qu’il s’approche de moi avec ces trois vertus, savoir, contrition des fautes commises avec volonté de s’amender et de persévérer à bien faire.

 

Je réponds aux prières de ceux qui les font pour lui. Il faut que le larron fasse ce que je lui dirai, s’il cherche son salut : premièrement, d’autant qu’il a osé résister au Roi de gloire, pour amendement de ce forfait, il doit défendre la foi de mon Église sainte, et donner sa vie pour sa protection, s’il en est besoin, et que, comme il a auparavant travaillé pour les commodités mondaines, il en fasse de même, maintenant, afin que ma foi augmente, que les ennemis de la foi soient opprimés, et qu’il attire à la foi tous ceux qu’il pourra, par sa parole et par son exemple, comme auparavant il a retiré plusieurs du droit chemin.

 

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Je vous jure pour certain que, quand il n’aurait fait que prendre le bouclier pour mon honneur, avec intention de défendre la foi, il lui sera réputé pour la foi, s’il est appelé en ce point même que si les ennemis s’approchent de lui, pas un ne lui nuira.

 

Partant, qu’il travaille généreusement, car il a un maître puissant quand il me possède ; qu’il combatte virilement : les stipendes sont très-grandes, savoir est la vie éternelle. Pour ce qu’il a offensé les anges et tué des hommes, qu’il fasse dire tous les jours une messe de tous les saints, un an entier, où il lui plaira, donnant au prêtre qui les dire aumône pour vivre, afin que, par ses sacrifices, les anges soient apaisés et qu’ils tournent leurs yeux vers lui. Certes, un tel sacrifice les apaise, savoir, quand on prend mon corps, qui est un royal sacrifice, avec charité et humilité. Après, d’autant qu’il a ravagé le bien d’autrui, fait injure aux veuves et aux orphelins, il doit rendre humblement tout ce qu’il sait avoir injustement, priant ceux qu’il a injuriés de lui pardonner miséricordieusement ; et d’autant qu’il ne saurait satisfaire à tous ceux qu’il a injuriés et à qui il a dérobé, qu’il fasse bâtir en quelque église un autel, où il lui sera plus convenable, auquel il laisse de quoi célébrer une messe jusques au jour du jugement. Et afin que ceci demeure ferme et stable, il donnera autant de revenu qu’un chapelain puisse être entretenu. Mais d’autant qu’il n’a point eu d’humilité, il doit maintenant s’humilier autant qu’il pourra, et rappeler à la paix et concorde tous ceux qu’il a offensés autant convenablement que faire se pourra. Et quand il entendra louer ou vitupérer les péchés qu’il a commis, qu’il ne les défende jamais, ni ne se justifie, ni ne s’en glorifie jamais, mais qu’avec humilité il dise : Hélas ! que le péché m’a trop plu ! Hélas ! que m’a-t-il profité ? J’ai excédé trop en présomption, et si j’eusse voulu, je m’en fusse donné garde.

 

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Partant, ô mes frères, priez Notre-Seigneur qu’il me donne l’esprit de m’en repentir, de me convertir et de m’amender. Quant à ce qu’il m’a offensé par les excès de la chair, qu’il règle son corps par une tempérance modérée. Que s’il écoute mes paroles et les accomplit par œuvres, il sera lors sauvé et aura la vie éternelle. S’il fait autrement, j’exigerai de lui jusques à la dernière maille de ses péchés, et il aura une peine plus amère de ce que je lui fais dire ceci, et il n’en a rien fait.

 

Chapitre 25.

 

Après trois ans, sainte Brigitte eut la suivante révélation concernant ledit larron.

 

Le Fils de Dieu, parlant à son épouse, lui dit : Je vous ai dit autrefois une plaisante chanson du susdit larron ; mais maintenant, je vous dis, non un cantique, mais une lamentation et malheur : S’il ne se convertit soudain de l’autre côté, il sentira horriblement les fureurs de ma justice, car ses jours seront abrégés, sa semence ne fructifiera pas ; les autres dissiperont ses richesses, et lui sera jugé comme un larron pernicieux, et comme un fils rebelle qui a méprisé les avertissements de son père.

 

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Chapitre 26.

 

Notre-Seigneur dit à son épouse priant pour un roi, qu’il s’efforce, pour le conseil des hommes spirituels et sages, de réparer les murs de Jérusalem, c’est-à-dire, l’Église et la foi catholique, qui sont comme perdues, les murs de laquelle sont signifiés par la communauté des chrétiens, et les vases par le clergé et par les religieux.

 

Le Fils de Dieu parle : Que celui, dit-il, qui, de membre du diable, a été fait membre de Dieu, travaille comme ceux qui édifient les murs de Jérusalem, qui travaillaient pour le rétablissement de la loi, qui remettaient les vases qui avaient été écartés de la maison de Dieu.

 

Mais je me plains de trois choses :

1- que les murailles de Jérusalem sont détruites. Quelles sont les murailles de Jérusalem, sinon les corps et les âmes des chrétiens ? car de celles-la, mon Église doit être bâtie, les murailles de laquelle sont maintenant tombées, d’autant qu’elles ont fait leur volonté, et non la mienne ; elles détournent maintenant leurs yeux de moi, et ne veulent ouïr ma parole ; mes paroles leur sont insupportables, mes œuvres vaines, et ma passion leur est abominable à méditer, ma vie intolérable, et ils disent qu’il est impossible de l’imiter.

 

2. Je me plains que les instruments de ma maison sont transportés en Babylone. Quels sont les instruments de ma maison et mes vases divers, si ce n’est la disposition et la conversation des prêtres et des religieux ? Leur bonne disposition et ornement ont été transportés de mon temple en la superbe du monde eu aux volontés et plaisirs propres. Ma sapience et ma doctrine leur sont vaines, mes commandements onéreux ; ils ont enfreint mes promesses ; ils ont profané ma loi et les constitutions de leurs prédécesseurs, mes amis, et ont pour lois leurs inventions.

 

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3. Je me plains que la loi de mes dix commandements est perdue. Eh quoi ! Ne lit-on pas en l’Évangile que, quand quelqu’un m’interrogeait, disant : Maître, que ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Je lui répondis : Gardez mes commandements, qui sont maintenant perdus et négligés. C’est pourquoi ce roi pour lequel vous priez, doit assembler des hommes spirituels, sages de ma sagesse, s’enquérir de ceux qui ont mon esprit, et leur demander comment les murs de Jérusalem doivent être réédifiés emmi les chrétiens. Il faut que l’honneur soit rendu à Dieu, que la foi droite fleurisse, que l’amour divin soit fervent, et que ma passion soit imprimée dans les cœurs des hommes. Qu’il considère aussi comment il pourra rétablir les vases en leur premier état, c’est-à-dire, comment les prêtres et les religieux, ayant quitté la superbe, pourront embrasser l’humilité ; que les innocents aiment la chasteté, et comment les mondains pourront quitter les appétits désordonnés du monde et être lumière aux autres. Qu’il s’efforce aussi de faire aimer l’observance de mes commandements, et le tout avec force et sagesse. Qu’il assemble les chrétiens qui sont justes, afin qu’avec eux il réédifie ce qui a été détruit. En vérité, mon Église est trop éloignée de moi, de sorte que si les prières de ma Mère n’y intervenaient, il n’y aurait point espérance de miséricorde. Or, entre tous les états des laïques, les soldats ont plus apostasié que toute leur apostasie et supplice, comme il vous a été montré ci-dessus.


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Chapitre 27.

 

Notre-Seigneur défend à son épouse d’ouïr des choses nouvelles, des œuvres des mondains et guerres des illustres. Hélas ! pourquoi vous occuperiez-vous de choses si inutiles et si vaines, puisque je suis le Seigneur de toutes choses, et qu’aucune délectation ne doit être chérie que la mienne ?

 

Que si vous vouliez ouïr les faits des seigneurs et considérer les actions magnifiques, vous devriez occuper votre esprit en la considération de mes faits, qui sont incompréhensibles et prodigieux à la pensée des hommes, et admirables à l’ouïe. Or bien que le diable meuve les grands du monde à sa volonté ; bien qu’ils prospèrent par un mien juste jugement, néanmoins, je suis leur Seigneur, et ils seront jugés par mon juste jugement. Ils ont entrepris et formé une nouvelle loi contre ma loi, et ils emploient tout leur soin à être honorés du monde, à savoir comment ils pourront acquérir des richesses, en quelle manière ils pourront accomplir leur volonté, dilater leur race. C’est pourquoi je jure en ma Divinité et humanité que, s’ils meurent en tel état, ils n’entreront point en cette terre qui était promise en figure aux enfants d’Israël, terre où découlaient le lait et le miel ; mais il arrivera comme à ceux qui désiraient les pots de viandes, qui mouraient d’une soudaine mort ; car comme ceux-là mouraient d’une mauvaise mort corporelle, de même ceux-ci meurent d’une mort de l’âme.

 

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Mais ceux qui font mes volontés entreront en la terre où découle le miel, c’est-à-dire, en la gloire, en laquelle il n’y a point de terre dessous ni dessus, ni de ciel plus haut ; mais moi-même, Seigneur et Créateur de toutes choses, je suis au-dessous, au-dessus, aux côtés, dehors et dedans, d’autant que je remplis toutes choses de ma gloire, et rassasie mes amis d’une gloire, non de miel, mais d’une admirable suavité, de sorte qu’ils ne désirent que moi, n’ont besoin que de moi, en qui est tout le bien. Mes ennemis ne goûteront jamais ce bien, s’ils ne se convertissent de leur méchanceté, car s’ils considéraient ce que j’ai fait pour eux ; s’ils pensaient à ce que je leur ai donné, ils ne me provoqueraient jamais de la sorte à ire et à indignation. Certes, je leur ai donné tout ce qui était nécessaire, utile et désirable, avec la due tempérance ; je leur ai permis d’avoir des honneurs avec modération.

 

Quiconque penserait à part soi : Puisque je suis en honneur, je veux avoir avec modération et honnêteté ce dont j’ai besoin, selon mon état. Je rendrai à Dieu honneur et révérence ; je n’opprimerai personne ; je fomenterai les moindres ; j’aimerai tout le monde : un tel, certes, me plaît en son degré d’honneur. Mais celui qui a des richesses et s’entretient en ces pensées : Puisque je suis riche, je ne prendrai rien injustement ; je ne ferai injure à pas un ; je me donnerai garde des péchés mortels, j’aiderai les pauvres : celui-ci m’est agréable en ses richesses. Mais celui qui est plongé dans les voluptés, s’il pense : Ma chair est fragile, ni ne pense pas me pouvoir contenir : c’est pourquoi soudain que j’aurai une femme légitime, je ne désirerai point la femme de mon prochain et me préserverai de la turpitude, celui-là me peut aussi plaire.

 

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Mais d’ordinaire, tous ceux-là préfèrent leur loi à la mienne, d’autant qu’en leurs honneurs, ils ne veulent point avoir de supérieurs ; ils ne se peuvent jamais rassasier de leurs richesses ; ils excèdent en leurs voluptés par-dessus les manières louables. Partant, s’ils ne s’amendent et ne commencent une autre voie, ils n’entreront point en ma terre, en laquelle le lait et le miel sont spirituels, c’est-à-dire, ma douceur et l’admirable assouvissement ; ceux qui les goûtent ne désirent rien de plus et n’ont besoin de rien.


Chapitre 28.

 

Une âme damnée pour de grands péchés et pour n’avoir eu douleur des plaies que Jésus-Christ souffrit en sa passion. Cette âme est damnée comme un enfant abortif. Ceux qui gardaient le sépulcre sont marques par ceux qui poursuivaient malicieusement Jésus-Christ en ses prédications, et par ceux qui le crucifiaient.

 

Une grande troupe paraissait être devant Jésus-Christ, à laquelle il parlait, disant : Voilà que cette âme n’est plus à moi. Elle ne s’est non plus souciée de mes plaies et de la blessure de mon cœur que si on eût percé le bouclier de son ennemi ; elle s’est autant souciée des trous de mes mains que si un drap fripé était rompu; elle a eu autant en estime les plaies de mes pieds que si on eût coupé une pomme pourrie.

 

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Lors Notre-Seigneur parlait à elle, disant : Vous avez souvent en votre vie demandé pourquoi j’avais voulu mourir : Or, maintenant, je vous demande pourquoi vous êtes morte.

 

Elle répondit : D’autant que je ne vous ai point aimé .

 

Vous m’avez été, dit-il, comme un enfant abortif est à sa mère, pour lequel elle endure tout autant que s’il était vivant. De même je vous ai rachetée avec tant de prix et d’amertume comme un des saints, bien que vous vous en soyez souciée bien peu. Mais comme l’enfant abortif ne goûte point la douceur des mamelles de sa mère, ni consolation de ses paroles, ni n’est échauffé en son sein, de même vous ne jouirez jamais de la douceur ineffable de mes élus, d’autant que vous n’avez recherché autre douceur que le vôtre. Vous n’oyez jamais ma parole pour votre avancement. Les paroles de votre bouche et celles du monde vous plaisaient trop, et les paroles de ma bouche vous étaient amères. Vous ne ressentirez jamais les effets de mon amour ni de ma bonté, d’autant que vous avez été froide à faire toute sorte de biens. Allez donc au lieu où on a accoutumé de jeter les abortifs, où vous vivrez en votre mort éternelle, car vous n’avez pas voulu vivre en la lumière et en ma vie.

 

Après, Dieu parlait à la troupe : O mes amis, si toutes les étoiles et planètes étaient changées en langues ; si tous les saints me priaient, je ne lui ferais point miséricorde, d’autant qu’elle oblige ma justice à la damper.

 

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Cette âme fut semblable à trois sortes de gens : Premièrement à ceux qui suivaient de malice mes prédications, afin de pouvoir trouver occasion en mes paroles et en mes faits de m’accuser et de me trahir ; ils ont vu mes bonnes œuvres et mes merveilles qu’autre que Dieu ne pouvait faire ; ils ont ouï ma sapience, ont approuvé ma vie louable et néanmoins, ils enrageaient d’envie contre moi, et ils conçurent de la haine ; mais pourquoi cela ? d’autant que mes œuvres étaient bonnes et que leurs œuvres étaient mauvaises, et parce que je n’approuvais, mais je reprenais aigrement leurs péchés : de même cette âme me suivait avec son corps, non pas par le mouvement et l’attrait du divin amour, mais icelle était traînée à me suivre encore pour paraître devant les hommes ; elle oyait mes commandements et les voyait de ses yeux ; elle prenait de là sujet de se fâcher et s’en moquait ; elle ressentait ma bonté, et elle n’y croyait point ; elle voyait mes amis profiter, et elle les envoyait, mais pourquoi ? d’autant que mes paroles et celles de mes élus étaient contre sa malice, mes préceptes et mes avertissements contre sa volupté, mon amour et mon obéissance contre sa volonté ; néanmoins, sa conscience lui dictait que je devais être honoré par-dessus tout. Par les mouvements des astres, elle entendait que j’étais son Créateur, et par les fruits de la terre et par le bel ordre et la disposition de toutes les choses, elle savait que j’en étais l’auteur ; et bien qu’elle le sut, elle s’en fâchait et abhorrait mes paroles, d’autant que je reprenais ses mauvaises œuvres.

 

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En deuxième lieu, il était semblable à ceux qui me tuèrent, et qui disait ensemble : Faisons-le mourir sans crainte ; il ne ressuscitera point le troisième jour. Or, moi, j’avais prédit à mes disciples que je ressusciterais le troisième jour ; mais mes ennemis, les amateurs du monde, ne croyaient point que je ressuscitasse avec ma justice, et ce, d’autant que les Juifs me virent comme homme pur, et ne percèrent point jusques à la Divinité, qui était en moi : c’est pourquoi ils péchèrent, non avec tant de gravité, car s’ils eussent su que j’étais Dieu, ils ne m’eussent jamais occis.

 

Cette âme pensait en elle-même : Je fais ma volonté comme il me plait. Je le ferai mourir sans craindre par mes volontés et par les œuvres qui me plaisent et lui déplaisent ; elles ne me nuisent en rien : pourquoi ne les ferai-je donc ? car il ne ressuscitera pas pour juger ; il ne jugera pas selon les œuvres des hommes, car s’il voulait juger si rigoureusement, il nous eût pas rachetés ; et s’il avait tant de haine contre le péché, il ne supportait pas les pécheurs avec tant de patience.

 

En troisième lieu, il est semblable à ceux qui gardaient ma sépulture, qui s’armèrent et environnèrent de soldats mon tombeau, afin que je ne ressuscitasse point, disant : Gardons diligemment de peur qu’il ne ressuscite et qu’il faille le servir. De même en faisait cette âme : elle s’armait de l’endurcissement du péché, car elle gardait diligemment le sépulcre, c’est-à-dire, la conversation de mes élus, sur lesquels je me repose ; elle les gardait avec grand soin, afin que mes paroles et leurs avertissements n’entrassent en son cœur, pensant en soi-même : Je prendrai garde de n’entendre point leurs discours de peur qu’étant piqué de quelque juste ressentiment, je ne vienne à laisser mes voluptés, et que je n’entende ce qui déplairait à ma volonté ; et de la sorte, par la malice, il se sépara d’eux, avec lesquels la charité le devait unir.

 

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DÉCLARATION.

 

Cette personne damnée fut noble et se souciant peu de Dieu. Un jour, étant à table, blasphémant les saints, éternuant, elle mourut soudain sans les sacrements, et son âme a été vue comparaître en jugement, à laquelle le Juge disait : Vous avez parlé comme vous avez voulu, et avez fait comme vous avez pu : il est donc raisonnable que vous gardiez le silence maintenant et que vous écoutiez.

 

Répondez-moi donc, sainte Brigitte l’entendant.

 

Bien que je sache toutes choses, n’avez-vous pas ouï ce que j’ai dit ? Je ne veux point la mort du pêcheur, mais sa conversion. Pourquoi donc, le pouvant, n’êtes-vous pas revenue à moi ?

 

L’âme répondit : Certes, je l’ai ouï, mais je ne m’en suis pas souciée.

 

Le Juge lui dit derechef : N’avez-vous pas ouï : Allez au feu, maudits ! et venez, mes élus ! Pourquoi ne veniez-vous donc pas ?

 

Je l’ai ouï, dit-elle, mais je n’en croyais rien.

 

Le Juge lui dit encore : N’avez-vous pas ouï que j’étais juste Juge et éternellement formidable ? Pourquoi donc ne m’avez-vous pas eu en crainte ?

 

Je l’ai ouï, dit-elle, mais je m’aimais trop, et j’ai clos mes oreilles, afin de n’ouïr le jugement ; j’ai endurci mon cœur, afin de ne pas y penser.

 

Le Juge dit : Il est donc juste que la tribulation et l’angoisse ouvrent votre esprit, puisque vous n’avez pas voulu entendre quand vous le pouviez.

 

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Lors l’âme a été rejetée du jugement, gémissant et criant : Hélas ! Hélas ! Quelle récompense ! Mais aura-t-elle fin ?

 

Soudain une voix a été ouïe qui disait : Comme le premier principe de toutes choses n’aura point de fin, de même votre misère n’en aura point.

Chapitre 29.

 

Il est commandé à sainte Brigitte de recevoir souvent le corps de Notre-Seigneur, figuré par la manne du désert et par la farine dont la veuve rassasia le prophète. Il raconte aussi les grandes vertus, grâces et faveurs qui arrivent à l’âme qui communie comme il faut.

Je suis votre Dieu et Seigneur, la voix duquel Moïse ouït au désert au buisson, et Jean au Jourdain.

 

Dès ce jour, je veux que vous receviez souvent mon corps, car il est le médicament et la viande qui affermit l’âme : celui qui est infirme d’esprit et débile en l’exercice de l’esprit, en est guéri et affranchi. N’est-il pas écrit que le prophète était envoyé à la femme qui le nourrissait d’un peu de farine, et que la farine ne diminuait point jusqu’à ce que la pluie tombât sur la terre ?


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Je suis ce prophète en figure, et mon corps est figuré par la farine. Cette nourriture de l’âme ne se consomme point et ne diminue point, mais nourrit l’âme, et demeure sans être consommée, car la viande corporelle à trois choses :

1-étant mâchée, elle se rend liquide ;

2-elle s’anéantit ;

3- elle nourrit pour quelque temps ;

 

mais ma viande est,

1-mâchée quant aux accidents, et n’est point mâchée quant à la Divinité et humanité ;

2-elle n’est point anéantie, mais elle demeure la même ;

3- elle ne rassasie point pour un temps, mais éternellement.

 

Cette viande est préfigurée en la manne, que les anciens Pères ont mangée dans le désert ; elle est cette viande que j’ai promise en mon Évangile, et qui rassasie éternellement. Donc, le malade croît en force par la viande corporelle ; de même aussi tous ceux qui reçoivent mon corps dignement et avec bonne intention, croissent en force spirituelle. Elle est ce fort médicament qui, entrant en l’âme, l’affermit et la rassasie. Ceci est caché aux sens, et la foi le découvre à l’esprit demis. Cette viande est à dégoût aux méchants et à ceux qui goûtent les douceurs du monde, à ceux dont les yeux ne voient que cupidité, dont l’esprit ne discerne ni n’estime que les propres volontés.

 

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Chapitre 30.

 

Jésus-Christ commande à son épouse sainte Brigitte de conformer entièrement sa volonté à la volonté de Dieu, tant en prospérité qu’en adversité, car la volonté est comparée à la racine de l’arbre : que si elle est bonne, c’est-à-dire, si l’âme est bonne, elle produit de bons fruits ; que si elle est inconstante, alors elle est rongée par la taupe, c’est-à-dire, par le diable, et l’âme est lors remplie des vents des adversités, ou bien elle se sèche sous les chaleurs du soleil, c’est-à-dire, de l’amour vain du monde.

 

Le Fils parlait à son épouse : Bien que je sache toutes choses, dites-moi néanmoins en votre langage quelle est votre volonté.

 

Soudain l’ange répondit pour l’épouse, disant : Sa volonté est comme on lit : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel.

 

C’est ce que je demande, dit Notre-Seigneur, c’est ce que je veux, et c’est ce qui m’est une obéissance très-agréable. Vous devez donc, ô mon épouse, être comme un arbre bien enraciné, qui ne craint point trois sortes d’accidents :

1- Si l’arbre est bien enraciné, les taupes ne l’arracheront point ;

2- Il n’est point ébranlé par l’impétuosité des vents ;

3- Il ne sèche point par l’ardeur du soleil.

 

Votre âme est un arbre dont la principale racine est la bonne volonté de Dieu. En vérité, de cette bonne racine pullulent autant de vertus qu’il y a de racines en l’arbre. Or, la racine de laquelle les autres dépendent, doit être forte, grosse et plus profondément enfoncée en la terre : de même votre volonté doit être forte en patience, grosse en la divine charité, et profondément abaissée en la vraie humilité ; et si votre volonté est ainsi enracinée, elle ne doit point craindre les taupes.

 

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Mais qu’est-ce que signifie la taupe fouillant sous la terre, sinon le diable, qui va invisiblement, trompant et troublant l’âme ? Le diable, par sa morsure, fend la racine de la bonne volonté, si elle est constante à pâtir, et en la fendant de sa morsure, il la dissipe quand il suggère de mauvaises affections au cœur, tire votre volonté à diverses choses, et fait désirer ce qui est contre votre volonté, dit Jésus-Christ à sainte Brigitte. Mais la première racine étant empoisonnée, toutes les autres le sont, et le tronc se sèche, c’est-à-dire, la volonté et l’affection sont corrompues ; toutes les autres vertus sont empoisonnées et me déplaisent, si on ne s’amende par pénitence ; l’âme est digne d’être sujette à la domination de Satan, bien que sa volonté ne parvienne à l’effet extérieur. Que si la racine de la volonté est forte et grosse, la taupe le peut ronger, mais non pas la fendre, et lors, par la morsure, la racine devient plus forte : de même, si votre volonté est toujours forte dans les adversités et les prospérités, le diable la peut bien ronger, c’est-à-dire, il peut lui suggérer de mauvaises pensées, mais si elle y résiste et n’y consent point de volonté, lors elles ne seront point adjugées à supplice, mais bien à plus grand mérite, si on les souffre avec patience, et à plus grande sublimité de vertu.

 

Que s’il arrive que vous tombiez par impatience ou à l’improviste, relevez-vous soudain par la pénitence et contrition, et lors je remets le péché, et donne patience et force contre les suggestions de Satan.

 

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En deuxième lieu, si l’arbre est bien enraciné, il ne doit point craindre les impétuosités des vents. De même si votre volonté est conforme à la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversités du monde, qui sont comme un vent, pensant en vous-même que peut-être il vous est expédient que les tribulations du monde vous fassent souffrir. Vous ne devez pas aussi vous troubler du mépris du monde ni des affronts car j’exalte et j’abaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs du corps, car je le puis guérir et blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet. Or, celui qui a une volonté contraire à la mienne, celui-là est affligé maintenant, d’autant qu’il ne peut accomplir ce qu’il désire, et il sera encore puni en l’autre vie, à raison de sa mauvaise volonté ; que s’il résignait et consignait sa volonté en moi, il pourrait souffrir facilement toutes les adversités.

 

En troisième lieu, un arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs excessives, c’est-à-dire, ceux qui ont une volonté accomplie ne se dessèchent point de l’amour de Dieu par les excès de l’amour du monde, ni ne sont pas retirés de l’amour de Dieu par l’homme corrompu. Mais ceux qui sont inconstants, leur âme est bientôt ébranlée de leur suggestion du diable, ou par les contrariétés du monde ou de l’amour vain, désirent ce qui est inutile. Partant, cet homme n’est pas un bon arbre, duquel vous pensez maintenant : La principale racine d’icelui est coupée, savoir : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, car il a embrasse l’austérité de la vie conscient , et lors je remets le peche , et donne patience et force contre les suggestions de Satan.

 

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En deuxième lieu, si l'arbre est bien enraciné , il ne doit pas craindre les impétuosités des vents . De même si votre volonté est conforme à la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversités du monde , qui sont comme un vent , pensant en vous-même que peut-être il vous est expédient que le tribulat insidu vous fasse souffrir . Vous ne devez pas vous troubler du mépris du monde et des affronts car j'exalte et j'abaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs du corps, car je le puis guérir et blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet . Or, celui qui a une volonté contraire à la mienne , celui-là est affligé maintenant , d'autant qu'il ne peut accomplir ce qu'il désir , et il sera encore puni en l'autre vie , à raison de sa mauvaise volonté ; que s'il résignait et consignait sa volonté en moi, il pourrait souffrir facilement toutes les adversités.

 

En troisième lieu , un arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs excessives, c'est-à-dire , ceux qui ont une volonté accomplie ne se dessèchent point de l'amour de Dieu par les excès de l'amour du monde , ni ne sont pas retirés de l'amour de Dieu par l'homme corrompu. Mais ceux qui sont inconstants , leur âme est bientôt ébranlée de leur entreprise et de l'amour de Dieu , ou par la suggestion du diable , ou par les contrariétés du monde ou de l'amour vain ,désirant ce qui est inutile. Partant , cet homme n'est pas un bon arbre , duquel vous pensez maintenant :La principale racine d'icelui est coupée , savoir : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, car il a embrassé l'austérité de la vie continente , mais l'ardeur de l'amour se refroidit en lui. Je l'ai aide a raison des prières de ma Mère. Il avait trois choses : la pauvreté sans les richesses , l'infirmité en ses membres et défaut en la science . Ma volonté était que, s'il eut demeuré patiemment en ces trois choses , il aurait eu une abondance éternelle, éternelle santé, beauté , connaissance et vision de Dieu. Et pour obtenir ces choses , je l'avais grandement aidé, lui donnant la force spirituelle , lui inspirant ma volonté . Mais sa volonté est contraire a la mienne, se fâche de la pauvreté , non pour l'amour de moi , mais pour son utilité; il se fâche de son infirmité , se fâchant de pâtir ; il s'inquiète de ne savoir, de peur d'être méprisé des autres.

 

Partant, par le secret de ma science, il a obtenu les trois choses dont il était trouble , car il jouit d'une plus grande abondance qu'il n'avait auparavent de necessite corporelles ; il a une plus grande science et une plus grande reputation. Partant , quand le diable le touche avec la tentation , il doit craindre la chute , d'autant que la volonté principale est rompue , et que l'amour du monde est échauffé en lui, soudain il quitte le bien et avance chemin aux cupidités. Que la tribulation l'accable partout , du tout il est abattu comme un arbre frappé des vents ; il n'est stable en rien , mais querelleur en tout . Que si le vent d'honneur souffle , il ne sera pas moins sollicité par les pensées de plaire à tout le monde et d'être par tous estime bon. Et comment pourra-t-il parer sagement les coups au revers de fortune ? Voyez combien d'inconstance provient de la racine vicieuse.

 

P269

 

Or, que ce que je dois faire ? Je suis comme un bon jardinier : en mon jardin , il y a plusieurs arbres infructueux et peu plantureux . Si on coupe tous les bons arbres , quel est celui qui entrera après dans ce jardin ? Que si on arrache entièrement tous les arbres infructueux , le jardin sera trop difforme et désagréable , a raisin de la fosse et de la poudre : de même si j'appelai de cette vie tous les bons , qui entrerait après dans le jardin de mon Eglise ? Si j'en arrachais tous les mauvais tout d'un coup , mon Eglise apparaîtrait trop difforme , à raison des fosses et puis les autres me servitaient par la crainte de la peine, et non par amour.

 

C'est pourquoi je fais comme le bon enteur qui retranche du tronc tout ce qui est aride et sec et le met au feu , et ente là-dessus du bon fruit : de même je planterai des arbres doux ; je ferai des parterres de vertus et enterai là-dessus ; et de temps en temps , j'en retrancherai ce qui est sec et le jetterai au feu ; je nettoierai mon jardin , de peur qu'il n'y demeure quelque chose d'infructueux qui puisse empêcher les rameaux nouveaux et les fruits..

 

DECLARATION

 

Il est traité en ce chapitre d'un certain prieur qui s'étant excite à la contrition par les paroles de Jésus-Christ , se rendit après grandement dévot . Ce prieur vis Jésus-Christ lui tendant la main et lui disant : Par ces os si durs les clous sont entres.

 

P270

 

Ce prieur étant mort , Notre-Seigneur dit à sainte Brigitte : Ce frère , ton ami , n'est pas mort , mais il vit, d'autant qu'il a accompli par œuvres ce que le nom de frère signifie. Mais vous me pourriez demander ce que signifie le nom de frère . Je vous réponds : celui-là est véritablement frère, qui, selon la maxime commune , porte tout ce qu'il a sur son dos , qui ne désire que Dieu , qui se contente du nécessaire , qui connaît que Dieu incarné est son frère et l'aime comme frère.

 

Ce frère ne pouvait qu'à grand'peine se persuader que sainte Brigitte eut tant de grâces de Dieu . Dieu , en un ravissement , la lui montra, elle et le feu qui descendait du ciel sur elle ; et admirant cela et croyant que c'était illusion , étant éveillé de ce sommeil , il fut plongé dans la même vision , en laquelle il ouït une voix qui lui dit deux fois : Aucun ne peut empêcher que ce feu ne sorte , car de ma puissance , j'enverrai ce feu à l'orient et à l'occident, au septetrion et au midi , et il enflammera le cœur de plusieurs.

 

Après ceci , ce frère crut aux révélations , et les défendit et accomplit , et parfit par œuvres ce que le nom de frère signifie , et finit très heureusement sa vie.

 

D'ailleurs dans ce même chapitre , il est traité de quelque frère infirme depuis trois ans , le pied duquel se pourrissait et la moëlle en coulait . Ce frère exerça tant de patience qu'il avait toujours Jésus dans son cœur et en sa bouche , disant : O Jésus très digne ! Je désire , je désire , oui , je désire ce que je ne peux dire . Jésus , mon désir , venez à moi . Ayant été interroge sur ce qu'il désirait , il répondit : Dieu ! du désir que j'en ai , et de la vision je m'en réjouis ; voire tressaille de tel contentement , que , pour le posséder , je donnerais franchement cent ans en cette infirmité.

 

P271

 

Après ceci, le même frère , se réjouissant , mourut à minuit environ entre les mains des frères . Mais le jour suivant , qui était un dimanche, sainte Brigitte , étant ravie , en esprit , ouït : O fille , parce que les seigneurs et les maïtres ne veulent point venir à moi , je ramasse et attire à moi les pauvres et les moins fervents , car ce pauvre idiot a aujourd'hui trouvé plus de sagesse que Salomon, des richesses qui ne vieillissent jamais , et une couronne qui ne se flétrira jamais

 

Dites aussi au frère qui l'a servi en la maladie, que son service lui servira comme pénitence pour ses fautes , qu'il sera affranchi des tentations, et qu'il aura une nouvelle force dans l'exercice des choses spirituelles , qu'il arrivera à la fin de ses joies , et qu'il veillera dans le repos de Lazare.

 

Chapitre 31

 

L'épouse voyait au jugement divin un démon, et une âme semblable à la forme horrible d'un animal ; et elle était damnée , d'autant qu'elle avait persévéré dans le mal , et ne s'en était repentie à la fin . Comment Jésus-Christ est charitable et bénin aux bons, et vigoureux aux mauvais , et comment une autre âme montait.

 

L'épouse voyait au jugement divin comme deux démons semblables en tous leurs membres , la bouche desquels était ouverte ; leurs yeux étaient flamboyants , leurs oreilles pendantes comme celles des chiens ; leur ventre était enflé , grandement étendu et vaste ; leurs mains étaient comme des griffes , leurs cuisses sans jointures , leurs pieds comme boiteux et comme coupes au milieu

 

P272

 

Lors, un d'iceux dit au Juge : Donnez-moi pour femme cette âme qui m'est semblable.

 

Le Juge lui dit : Quel droit y avez-vous ?

 

Le démon répondit : Je vous la demande en premier lieu , puisque vous êtes juste : a-t-on pas accoutumé de dire que quand un animal est semblable à un autre , cet animal est fils d'un lion , car il lui ressemble, ou d'un loup, pour la même raison ? etc. Or donc , de quelle espèce est cette âme , ou a qui est-elle semblable , aux anges ou aux démons ?

 

Le Juge lui repartit et lui dit : Elle n'est pas semblable aux anges , mais à toi et à tes semblables , comme il parait.

 

Lors le démon , comme en se moquant , dit : Cette âme étant créée des ferveurs de votre amour , vous était semblable ; mais maintenant , ayant méprise votre douceur et clémence , elle est à moi par trois sortes de droits : 1° d'autant qu'elle est semblable à moi en ses dispositions ; 2° attendu qu'elle a un semblable goût ; 3° parce que nous avons un même accord de volontés.

 

Le Juge répondit : Bien que je sache toutes choses, néanmoins , pour l'amour de mon épouse ici présente , dites comment cette âme est semblable à vous en disposition .

 

Le démon dit : Si nous avons des membres conformes , nous avons aussi des actes conformes , car nous avons les yeux ouverts , et nous ne voyons rien ; et de fait , je ne veux voir chose quelconque qui vous appartienne ; ni elle n'a aussi voulu voir , quand elle pouvait , ce qui concernait le salut de son âme , mais elle s'amusait aux choses temporelles .

 

Nous avons aussi des oreilles , mais nous n'oyons rien pour notre avancement .

P273

 

De même celle-ci n'a rien voulu ouïr qui appartînt ou touchât à votre honneur ; à moi tout ce qui est de vous m'est très amère , c'est pourquoi la voix de votre doux concert n'entrera jamais en nos oreilles pour notre consolation et utilité . Nous avons les oreilles ouvertes , car comme elle a eu sa bouche ouverte à toutes les suavités du monde , et close aux louanges et pour vous louer, de même ai-je la bouche ouverte pour vous offenser et pour vous troubler , si je pouvais . Et de fait , si je pouvais , je vous troublerais toujours , et vous descendrais et débouterais du trône de votre gloire .

 

Ses mains sont comme les mains d'un griffon , car tout ce qu'il a pu prendre , il l'a retenu sans le laisser , et l'eût plus longuement tenu , si vous eussiez permis qu'il eût vécu davantage . De même tous ceux qui viennent dans les mains de ma puissance , je les tiens si fermement que je ne les laisserais jamais aller , s'ils ne m'étaient ôtés contre mon gré par votre justice .

 

Son ventre est enflé , d'autant que ses cupidités insatiables étaient sans bornes . Il était plutôt rempli qu'assouvi . En vérité sa cupidité était si ardente que toute la terre ne pouvait l'assouvir ; il eut voulu encore régner dans le ciel. J'ai aussi une semblable cupidité , car si je pouvais ravager les âmes qui sont au ciel , sur la terre et au purgatoire , je le ferai franchement ; et s'il m'en restait une seule âme , je ne laisserai pas celle-là franche de tourments , pour assouvir mes cupidités.

 

Sa poitrine est aussi froide que la mienne, car elle ne vous aima jamais , ni ne prit goût à vos avertissements , de même que moi , qui ne suis touché en votre endroit d'aucune atteinte d'amour , voire à raison de l'envie enragée qui me déchire au-dedans , je me laisserais tuer d'une mort amère , et désirerais que ce supplice me fût renouvelé incessamment , pourvu que je vous puisse défaire , et que cela fût possible.

 

P274

 

Nos cuisses sont sans jointures , d'autant que nous n'avons qu'une même volonté , car presque dès le commencement de la création , ma volonté s'est mue contre vous , ne voulant jamais ce que vous vouliez : de même la volonté de cette âme fut toujours contraire à vos préceptes et commandements.

 

Nos pieds sont comme boiteux et mutilés, car comme avec les pieds on court aux utilités corporelles, de même on s'approche de Dieu avec l'amour et les bonnes œuvres.. Cette âme non plus que moi , ne s'est jamais voulu approcher de vous par amour no par bonnes œuvres , et partant , nous sommes semblables en tout et en l'usage des membres.

 

Nous avons encore un semblable goût , car bien que nous sachions que vous êtes le souverain bien , nous ne vous goûtons pas pourtant ni ne savons pas combien doux et bon vous êtes . Donc , puisque nous sommes semblables en tout , jugez-nous conjointement.

 

Lors un des anges répondit devant Notre-Seigneur : Seigneur Dieu m après que cette âme fut unie au corps , je la suivais toujours ni ne me séparai point d'elle , tant que je trouvai quelque bien en elle ; or , maintenant , je la laisse comme un sac vide de toute sorte de biens. Elle a eu enfin trois sortes de maux : 1° Elle réputait vos paroles à mensonge , ô Dieu ! 2° Elle croyait que votre jugement était faux . 3° Elle réputât votre miséricorde pour néant , voire la miséricorde fut comme morte en elle.

 

P275

 

Cette âme fut unie en mariage avec une seule femme , et garda la fidélité du mariage , non pour l'amour de Dieu , mais d'autant qu'il aimait si tendrement sa femme qu'il n'en désirait point d'autre. Elle oyait aussi des messes et assistait aux offices , non par esprit de dévotion , mais afin qu'il ne fût séparé des chrétiens et noté par eux . Elle allait aussi souvent à l'église afin d'obtenir de vous la santé corporelle , et que vous lui conservassiez les richesses et les honneurs du monde , non afin que vous la protégiez des chutes. O Seigneur , vous avez plus donné à cette âme qu'elle ne vous a servi au monde . Vous lui avez donné des enfants fameux , la santé corporelle , vous lui avez conservé les richesses et l'avez protégée des infortunes qu'elle craignait . Les secrets de votre justice lui ont donné l'accomplissement de ses cupidités , de sorte que vous lui avez donné cent pour un , et tout ce qu'elle a fait a été récompensé . Partant , je la quitte maintenant vide de toute sorte de biens.

 

Lors le démon répondit : Donc ô Juge , puisqu'elle a suivi mes volontés , puisque vous l'avez récompensée au centuple , jugez-la être associée avec nous . N'est-il pas écrit en votre loi que là où

il y aura une même volonté et un consentement de mariage , là se pouvait une conjonction de loi ? Or , il en est de même entre cette âme et les diables , car sa volonté a été la nôtre , et la nôtre , la sienne . Pourquoi serons-nous frustrés de la société et conjonction mutuelle ?

 

Le Juge repartit et dit : Que l'âme dise ce qu'il lui semble de votre mariage avec elle.

 

P276

 

Elle dit au Juge : J'aime mieux être dans les peines de l'enfer que de venir dans les joies du ciel , afin que vous , ô Dieu , n'ayez consolation de moi ! Vous m'êtes à tant de haine que je ne me soucie point des peines , pourvu que vous n'ayez joie aucune de moi.

 

Lors le démon dit au Juge : J'ai aussi les mêmes volontés . J'aimerais mieux être éternellement tourmente que de jouir de votre gloire , si vous deviez avoir de là quelque contentement !

 

Lors le Juge dit à l'âme : Votre volonté est votre juge , et vous souffrirez le jugement selon icelle.

 

Et lors le Juge s'étant tourne vers moi ( sainte Brigitte ) , qui voyais tout ceci , me dit : Malheur à cette âme ! Elle est pire que le larron : elle a eu son âme vénale ; elle a été insatiable des immondices de la chair ; elle a trompe son prochain , c'est pourquoi tous crient vengeance contre elle ; les anges détournent leur face de devant elle ; les saints fuient sa compagnie.

 

Lors le démon , s'approchant de cette âme qui lui était semblable , lui dit : O Juge , me voici , moi qui suis plein de malice , qui ne suis point racheté ni ne serai point racheté. Cette âme est comme un autre à moi , car elle est rachetée , et elle s'est rendue semblable à moi , obéissant plutôt à moi qu'à vous . Partant , adjugez-la-moi .

 

Le Juge lui dit : Si vous vous humiliiez , je vous donnerais la gloire , et si cette âme eut demande pardon avec résolution de s'amender au dernier point de la vie , elle ne fut jamais tombée en tes mains ; mais d'autant qu'elle persévéra jusqu'à la fin en ton obéissance , la justice veut qu'elle soit éternellement a toi . Néanmoins , les biens qu'elle a faits en sa vie , s'il y en a quelqu'un , restreindront ta malice , afin que tu ne la puisses tourmenter autant que tu veux.

P277

 

Le démon repartit : Elle est chez moi , et comme par manière de dire , sa chair est ma chair , bien que je ne sois pas charnel , et son sang est mon sang , bien que je sois un esprit . Et le diable semblait se réjouir grandement de ces choses , et en menait un grand applaudissement.

 

Le juge lui dit : Pourquoi vous réjouissez-vous tant de la perte d'une âme ? Dites-le en sorte que mon épouse , ici assistante , l'entende.

 

Le démon dit : Quand cette âme brûle, je brûle plus ardemment , et quand je l'allume , plus je suis allumé ; mais d'autant que vous l'avez rachetée par votre sang et l'avez tellement aimée que vous vous étés donne à elle ; lorsque je la puis arracher de vous par mes suggestions , je me réjouis.

 

Le juge lui dit : Ta malice est grande , mais regarde, je le permets.

 

Voici une étoile qui montait au plus haut des cieux ; et le démon la voyant , devint muet.

 

Notre-Seigneur lui dit : A qui est-elle semblable ?

 

Le démon répondit : Elle est plus luisante que le soleil , comme je suis plus noir que la fume ; elle est toute pleine de douceur et jouit des dilections divines , et moi je suis tout plein de malice et d'amertume.

 

Et Notre-Seigneur lui dit : Quelles pensées en avez-vous en votre cœur, et qu'est-ce que vous voudriez donner pour qu'elle fut en votre puissance ?

 

P278

 

Le démon répondit : Je donnerais toutes les âmes qui sont descendues en enfer depuis Adam jusques à maintenant , pour avoir celle-là , et voudrais endurer les peines les plus dures et les plus amères , comme si on donnait autant de coups de poignard sur moi si multiplies qu'il n'y eut pas l'espace de la pointe d'une aiguille , voire je descendrais du plus haut du ciel jusques à l'enfer pour l'avoir en ma puissance !

 

Notre-Seigneur lui repartit : Ta malice est grande contre moi et contre mes élus , et moi je suis si charitable que , s'il en était besoin, je mourrais une autre fois et j'endurerais pour chaque âme et pour chacun des esprits immondes , le même supplice que j'ai endure une fois sur la croix pour toutes les âmes ! Mais vous êtes si envieux que vous ne voudriez pas qu'une seule âme vint à moi.

 

Lors Notre-Seigneur dit à cette bonne âme qu'on voyait comme une étoile : Venez , ma bien-aimée , jouir des contentements indicibles que vous avez tant désirés ; venez à la douceur qui ne finira jamais ; venez à votre Dieu et Seigneur , que vous avez tant de fois désiré . Je vous donnerai moi-même , en qui sont tout bien et toute douceur ; venez à moi du monde qui est semblable à la douleur et à la peine , car en lui , il n'y a que misère .

 

Et lors Notre-Seigneur , se tournant vers moi (sainte Brigitte) , qui voyais tout cela en esprit , me dit: Ma fille , tout ceci a été fait en moi en un instant ; mais parce que vous ne pouvez entendre les choses spirituelles que par les similitudes , je vous les ai voulu montrer de la sorte , afin que l'homme comprenne combien je suis rigoureux aux méchants , et combien débonnaire aux bons.

 

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DÉCLARATION.

 

Une âme était présentée au juge ; elle était suivie de quatre Éthiopiens, qui dirent au juge : Voici la proie : suivons-la, et nous marquerons tous ses pas ; et étant une fois tombée en nos mains, qu’en ferons-nous ?

 

Le juge leur dit : Qu’avez-vous à intenter contre elle ?

 

Le premier Éthiopien dit : Vous, Dieu, avez dit : Je suis juste et miséricordieux par-dessus les péchés. Or, cette âme s’est en telle sorte comportée comme si elle avait été créée pour la damnation éternelle.

 

Le deuxième Éthiopien dit : O Seigneur, vous avez dit que l’homme devait être juste avec son prochain et ne le tromper en rien. Or, cette âme a fraudé et trompé son prochain, a changé ce qu’elle a pu, et a pris ce qu’elle a voulu, sans dessein d’en restituer rien.

 

Le troisième Éthiopien dit : Vous avez dit que l’homme ne doit point aimer la créature par-dessus son Créateur. Or, cette âme a aimé toutes choses fors vous.

 

Le quatrième Éthiopien dit que pas un ne peut entrer dans le ciel, si ce n’est de tout son cœur ; mais cette âme ne désirait rien de bon, ni les choses spirituelles ne lui plurent jamais. Mais tout ce qu’elle faisait qui avait quelque apparence que c’était pour l’amour de vous, elle le faisait afin de n’être marquée des chrétiens qu’elle n’était pas chrétienne.

 

Lors le Juge dit à l’âme : Que dites-vous de vous-même ?

 

P280

 

Elle répondit : Je vous désire toute sorte de maux, bien que vous soyez mon Créateur et mon Rédempteur, et mon cœur est entièrement endurci ; néanmoins étant contrainte, je dirai la vérité. Je suis comme un avorton aveugle et boiteux, méprisant les avertissements du père. Ma conscience profère mon jugement : il faut que je suive aux peines ceux-là dont je suivis les mœurs et les conseils en la terre.

 

Ces choses étant dites, l’âme est sortie de devant Dieu avec de grandes larmes. Lors la vision disparut.

 

A la fin de cette révélation, il est fait mention de frère Algotte, prieur et docteur en théologie, qui, ayant été trois ans aveugle et tourmenté de la pierre, finit ses jours heureusement ; car sainte Brigitte, priant pour lui afin qu’il le guérît, ouït en esprit cette réponse : Il est une étoile luisante. Il n’est pas expédient que, pour le désir de la santé, son âme soit noircie, car elle a déjà combattu, vaincu et consommé sa course. Il ne reste que la couronne, et cela ne lui sera enseigné que de cette heure ; les douleurs de la chair lui seront soulagées, et l’âme sera enflammée des feux de mon amour.


Chapitre 32.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, lui marquant comment les parents qui élèvent leurs enfants dans les mœurs mondaines, à acquérir les honneurs et la gloire mondaine, sont désignés par les serpents qui, nourrissant leurs petits, leur enseignent à combattre avec l’aiguillon et venin mortifère.

 

P281

 

Quand le mâle et le femelle des serpents s’accouplent, ils se communiquent le venin, et de leur nature, ils engendrent un serpent venimeux ; mais le serpent, étant conçu, ne peut avoir vie que par ma faveur, car rien ne peut être sans moi, ni recevoir l’esprit sans ma puissance et ma vertu. Mais le serpent étant né, la mère, n’ayant point de lait pour le nourrir, se pose en telle sorte sur lui et l’échauffe tellement que peu s’en faut qu’elle ne l’étouffe. Ce serpenteau, sentant au-dessus un trop grand chaud, et au-dessous un grand froid, poussé par la nécessité, applique sa bouche à la terre, et commence à sucer et à manger peu à peu la terre. Après, sa mère le pique à la queue, pour lui enseigner de serpenter, le poussant et le retirant. Après, la mère considère le lieu où l’ardeur du soleil est, et là, elle traîne son serpenteau, allant devant lui lentement, afin qu’il apprenne à aller et à suivre ; et le voyant au soleil, la mère pense si son petit a du venin pour empoisonner, et connaissant qu’il en a, elle lui enseigne à piquer. Mais parce qu’il a l’aiguillon tendre encore, la mère pense : Si je lui donne quelque chose de dur, son aiguillon tendre sera bientôt rompu ; c’est pourquoi la mère lui apporte quelque chose de mou devant lui, et puis sa mère l’excite à la colère et à la fureur, jusques à ce que son petit serpenteau pique le corps mou, et que de la sorte il apprenne à piquer et à renforcer son aiguillon ; et l’ayant après fortifié, il pique les pierres et les corps durs, et la mère, l’ayant de la sorte instruit, le laisse.

 

P282

 

De telle trempe est l’homme que vous connaissez : il est de fait comme un serpenteau nouveau-né, d’autant qu’il est né d’un père et d’une mère qui imitent la nature du serpent, car tous deux conviennent en la nature du serpent, c’est-à-dire, en la superbe damnable, qui nuit à l’âme plus que nuit au corps le venin corporel. Or, enfin, ce serpent, ayant une grande affection aux ambitions et d’inextinguibles feux de volupté, brûlait en l’amour impur de sa femelle, et elle brûlait d’une pareille volupté en lui, c’est pourquoi ils s’approchèrent ensemble, bouffis d’orgueil, ayant oublié la crainte de Dieu, et engendrèrent un serpent venimeux d’une semence vénéneuse. Et moi, parce que je suis miséricordieux, ma justice l’exigeant de la sorte, j’ai créé l’âme. Mais d’autant que la mère n’avait point, pour nourrir son fils, les mamelles de la dilection divine, elle nourrit dessous soi, c’est-à-dire, selon l’amour du monde, et le fit élever avec les plus superbes, désirant d’une passion insatiable comment il le pourra rendre fameux parmi les grands du monde ; et l’incitant à sa ruine, il lui parle, disant : Si vous aviez ce domaine ou cette principauté, vous pourriez être semblable à votre père. Un tel honneur vous est convenable, et pour l’acquérir, vous devez faire tous vos efforts.

 

Un tel serpenteau, étant ainsi nourri par sa mère, échauffé aux choses terrestres, refroidi du divin amour, commence de désirer les choses terrestres, de s’y attacher, de s’y échauffer de plus en plus. Après, afin qu’il apprenne à remuer les membres et à dresser la tête, la mère le pique lors à la queue, quand elle le pousse à attirer les autres à soi par promesses, et à se les associer par paroles et faveurs ; quand elle lui commande de ne point pardonner aux bons, afin qu’il soit appelé bon, ne pardonner à sa vie, et afin qu’il soit appelé généreux, n’avoir point de repos, et enfin elle lui enseigne d’éterniser son nom. Elle lui enseigne de ramper et de serpenter, le conduisant aux ardeurs du soleil, quand elle l’incite à vivre superbement et dissolument, lui disant en particulier et en public : C’est de la sorte qu’ont vécu votre père et vos prédécesseurs.

 

P283

 

C’est ainsi que les grands doivent faire ; c’est une honte de vouloir être plus saint qu’eux, et c’est un déshonneur de vouloir être plus humble qu’ils n’ont été, eux, par leurs discours doux, flatteurs et emmiellés, se sont acquis les faveurs des hommes, et en se conformant à leurs mœurs, ils ont été grandement renommés. Par ces funestes avertissements, le serpent né, attiré par les vanités et les allèchements de la mère, la suit d’un péché à un autre, jusqu’à ce qu’il soit arrivé aux ardeurs de la lubricité, comme aux ferveurs du soleil ; et là où il pensait commencer ses plaisirs, là il a trouvé ses douleurs, et de là sont sortis les inquiétudes, les fureurs et les combats, qui lui ont été enseignés par la mère. Mais d’autant que la mère considérait ses infirmités et ses faiblesses en ses forces, elle commença de lui persuader ce qui est mol, savoir, l’acquisition des choses temporelles de moindre réputation, afin de là faire progrès aux honneurs médiocres qui semblent au commencement des choses douces et molles ; après, acquiesçant aux conseils envenimés, il afflige les pauvres misérables, ravissant leurs biens ; voyant qu’ils sont faibles pour leur résister, il injurie les uns, il pique par la haine les autres, il tue ses ennemis. Après, ayant affermi son aiguillon ès choses basses, étant soufflé par les ambitions de la mère, il commence de monter plus haut, portant envie aux plus grands, tendant aux trahisons, suscitant des querelles, semant des discordes, de sorte qu’il ne doute point d’étendre son aiguillon jusques aux injures de l’Église, si on ne s’en donne garde soigneusement et sagement.

 

p284

 

Pour arracher la malice de cet aiguillon, il n’y a qu’un seul remède, savoir : il faut couper la langue du serpent. Or, les sages doivent discerner cette langue et la manière dont il la faut couper.

 

Après, Notre-Seigneur dit : Comme on transperce le drap sans qu’il s’en sente, et comme la pomme est écorchée sans que le maître s’en sente, de même ma passion et mes peines sont au cœur de ce serpent, bien qu’il ne les considère jamais, car il met sa foi en la prédestination, disant : Si Dieu a prévu que je serais damné, pourquoi ne travaillerai-je plus ? S’il a prévu que je serais sauvé, facilement il acceptera ma pénitence. Malheur à lui, s’il ne s’amende promptement, car aucun n’est damné par ma présence ! Sachez aussi que la mère de ce serpent n’aura jamais ce qu’elle désire follement, ni même ses enfants, ni sa génération ne prospérera point, voire elle mourra en l’amertume et dans le chagrin, et sa mémoire sera éteinte.

 

ADDITION.

 

Le Fils de Dieu parle, disant : Qu’on se donne bien garde de cette espèce de serpent, et qu’on ne se confie point à ses inventions, car le jugement de Dieu approche, et ses jours ne seront point prolongés.

P285

Une autre fois, Notre-Seigneur apparut, disant : Sachez pour certain que ces diables n’obtiendront point ce qu’ils désirent, ni ses enfants ne prospèreront point, ni sa mémoire ne sera point provignée en générations.

 

Chapitre 33.

 

Dieu le Père parle à son Fils, montrant comme il est semblable à l’époux, qui a tant aimé l’épouse qu’il a été crucifié pour l’amour d’elle ; mais elle a aimé l’adultère et a tué l’époux. En quelle manière sont signifiés l’âme par l’épouse, le lit nuptial par l’Église, les portes du cabinet par la volonté, l’adultère par les délectations de la chair. Il prédit aussi que l’épouse sera l’épouse de Jésus-Christ.

 

Le Père parle à son Fils, lui disant : Vous êtes semblable à l’époux qui a épousé une épouse belle de face et honnête en ses mœurs, l’a introduite en son lit nuptial et l’a aimée comme soi-même. De même vous, ô mon Fils, vous avez épousé une épouse nouvelle, quand vous avez brûlé de tant d’amour et de charité envers les âmes, que vous avez voulu être déchiré et mourir au gibet de la croix pour l’amour d’elles, et les avez introduites en votre sainte Église, que vous avez dédiée par votre sang, comme en un lit nuptial. Mais hélas ! son épouse est maintenant adultère ; les portes du cabinet nuptial sont closes, et au lit de la vraie épouse. L’adultère est couchée très-méchamment, qui s’entretient en ces pensées : Quand mon mari sera endormi, dépouillé dans son lit, lors je lui mettrai le poignard au sein et le tuerai, car il ne me contente point.


p 286

 

Or, qu’est-ce que l’âme signifie, sinon les âmes que vous avez rachetées de votre sang, lesquelles, bien qu’elles soient plusieurs en nombre, ne sont néanmoins qu’une épouse à raison de l’unité de la foi et de la charité, et plusieurs d’icelles sont maintenant adultères, d’autant qu’elles aiment le monde plus que vous, ô mon Fils ! Elles cherchent le plaisir d’autrui, et non le vôtre. Les portes de votre cabinet nuptial, c’est-à-dire, de l’Église, sont closes. Qu’est-ce que signifient les portes, sinon la bonne volonté, par laquelle Dieu entre dans les âmes ? Elle est close comme ne contentant rien de bon, mais elles font la volonté de leurs ennemis, car tout ce qui leur plaît, tout ce qui est délectable à leur corps, c’est tout ce qu’elles désirent, honorent et poursuivent, et c’est ce qu’elles estiment être bon et saint. Mais votre volonté, qui est ce que les hommes devaient choisir avec ferveur, désirer avec ardeur et donner tout pour vous, est négligée et méprisée ; et aussi quelques-unes, par aventure, entrent quelquefois en dedans des portes de vos cabinets nuptiaux, mais ce n’est pas pour accomplir vos volontés, pour vous y aimer de tout leur cœur, mais seulement par honte des hommes, de peur d’être estimés iniques, et afin qu’elles ne soient reconnues publiquement ce qu’elles sont devant Dieu.

 

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Si donc la porte de votre lit nuptial est mal close, et il y a plus de plaisir à fréquenter les adultères que vous, elles conspireront de vous tuer quand vous serez couché en votre lit : en vérité, c’est lorsque vous leur avez paru tout nu, quand vous avez reçu le corps des pures entrailles de la Sainte Vierge sans laisser l’humanité ; et lorsqu’ils vous voient au saint et auguste sacrement, ils pensent qu’il n’y a que le seul pain, bien que vous y soyez vrai Dieu et vrai homme, que les yeux obscurcis des ténèbres du monde ne peuvent voir ne pénétrer.

 

Vous leur semblez encore endormi quand vous les souffrez sans les punir, et c’est ce qui les fait entrer impudemment dans votre temple, pensant en eux-mêmes : J’entrerai et je recevrai le corps de Jésus comme les autres ; néanmoins, je ferai ce que bon me semblera quand je l’aurai reçu, car que me profite ou nuit-il de le recevoir ou de ne le recevoir pas ? Hélas ! qu’ils sont misérables ! car lors ils vous tuent en quelque manière dans leurs cœurs, afin que vous ne régniez pas en eux, bien que vous soyez immortel, et en tout lieu, par la puissance de votre Divinité.

 

Mais parce qu’il n’est pas décent que vous soyez sans une bonne épouse, c’est pourquoi j’enverrai mes amis, afin qu’ils vous amènent une épouse très-pure, belle, nouvelle, honnête en mœurs, désirable, et qu’ils l’introduisent en votre lit nuptial. Or, ces miens amis seront aussi prompts que des oiseaux, d’autant que mon Esprit les conduira ; ils seront forts comme ceux devant les mains desquels les murailles sont renversées. Ils seront magnanimes comme ceux qui ne craignent point la mort et sont prêts à donner leur vie. Ceux-ci vous amèneront une épouse nouvelle, c’est-à-dire, les âmes de mes élus, et ce avec grand honneur, éclat, dévotion et charité, avec labeur et persévérance invincible. Je suis celui qui parle maintenant, qui ai crié au Jourdain et au désert : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Mes paroles seront bientôt accomplies.

 

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Chapitre 34.

 

La Mère de Dieu déclare à l’épouse par une similitude comment la Sainte Vierge impétra de son Fils les paroles de ce livre, pour servir de prière, et s’applique aux élus qui sont au monde. Ces paroles promettent malédiction aux superbes, miséricordes aux humbles. Ce livre contient encore des paroles par lesquelles il est donné pouvoir à certaines personnes de chasser les démons, et d’accorder ceux qui ont dissension, spécialement les rois de France et d’Angleterre.

 

La Sainte Vierge Marie dit : Mon Fils est semblable à un roi qui a une cité en laquelle il y a soixante-et-dix princes. En tout ce domaine, il n’y en avait qu’un seul qui était fidèle au roi. Lors les fidèles, voyant que les infidèles n’attendaient que la mort et la damnation, écrivirent à une dame très-familière au roi, la priant de prier Dieu pour eux, et qu’elle dit au roi qu’il leur écrivît quelques avertissements par lesquels ils retournassent à leur devoir. Elle parla au roi de l’importance du salut des infidèles .

 

Le roi lui dit : Il ne leur reste que la mort, et ils en sont dignes. Néanmoins, en considération de vos prières, je leur écrirai deux mots.

Au premier sont trois choses : La damnation qu’ils méritent ;

2- la pauvreté et la confusion ;

3- la honte et la confusion comme à des pourceaux.

Le deuxième mot est que celui qui s’humiliera aura la grâce et jouira de la vie.

 

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Mais quand la lettre où étaient ces deux paroles, fut parvenue à ces infidèles, quelques-uns d’entre eux dirent : Nous sommes aussi forts que le roi, et partant, défendons-nous. Les autres dirent : Nous ne nous soucions point de la mort ni de la vie, nous en négligeons l’évènement. Les autres dirent : Aussi, tout ce que nous avons ouï est faux et controuvé ; cette lettre n’a jamais été de la bouche et de l’intention du roi.

 

Ayant donc ouï ces réponses, ces fidèles écrivirent à ladite dame familière du roi, disant : Ces infidèles ne croient point aux paroles du roi ni aux nôtres, c’est pourquoi demandez au roi qu’il leur envoie un signe signalé, afin qu’ils croient que la lettre est du roi.

 

Ce que le roi oyant, dit : Deux choses appartiennent spécialement au roi, la couronne et le bouclier. Personne ne peut porter la couronne royale que le roi. Le bouclier du roi pacifie et réconcilie ceux qui ont débat entre eux. Je leur enverrai donc ces deux choses, pour voir s’ils se convertiront de leur malice et s’ils croiront à mes paroles.

 

Ce roi ne signifie que mon Fils, qui est Roi de gloire, Fils de Dieu éternel et le mien. Il a le monde auquel il y a soixante-dix langues comme autant de domaines, et en chaque langue, un ami de mon Fils, c’est-à-dire, il n’y a point langue en laquelle mon Fils n’ait quelque ami, qu’on signifie néanmoins en un, à raison de l’unité de foi et d’amour. Mais moi, je suis la Dame très-familière au roi, et mes amis, voyant les misères du monde, m’ont envoyé leurs prières, me suppliant d’apaiser mon Fils irrité contre le monde, mon Fils qui, étant fléchi par mes paroles et celles des saints, a envoyé au monde ces paroles de sa bouche, qui étaient presçues de toute éternité ; et afin que la cruauté et mécréance des hommes ne pensassent que c’étaient des paroles controuvées, j’ai impétré la couronne et le bouclier du Roi, en signe, la couronne pour la puissance qui sera donnée à un sur les esprits immondes ; le bouclier pour les ouvrages de la paix, qui seront donnés à un autre, savoir, réformer et pacifier les cœurs à un cœur, et la mutuelle charité. Or, les paroles de mon Fils ne sont quasi que deux mots, savoir, malédiction contre ceux qui s’endurcissent, et humilité à ceux qui s’humilient.

 

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Ces choses étant dites, le Fils parlait à la Mère : Bénie soyez-vous comme une mère qui est envoyée afin de prendre une épouse pour son Fils ! C’est aussi ainsi que je vous envoie à mes amis, afin qu’ils unissent les âmes à moi par un mariage spirituel, tel qu’il est décent et convenable à Dieu. Partant, en considération de votre grande miséricorde et du fervent amour dont vous aimez les âmes, je vous donne autorité sur cette couronne et ce bouclier, afin que, non-seulement vous la puissiez communiquer à deux, mais à ceux auxquels vous voudrez. Vous êtes pleine de miséricorde, et partant, vous attirez toute ma miséricorde sur les pécheurs. Bienheureux soit celui qui vous servira, car il ne sera délaissé ni en la vie ni en la mort !

 

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Après, la Mère de Dieu parla à l’épouse : Il est écrit que saint Jean-Baptiste alla au-devant de la face de mon Fils, lequel tout le monde ne vit pas, d’autant qu’il était retiré dans les déserts : de même je vais au-devant du jugement effroyable de mon Fils avec miséricorde et clémence. Dites donc de ma part à celui qui a la couronne que toutes fois et quantes qu’il ressentira en soi l’Esprit d’amour et de ferveur de mon Fils, et que le mauvais esprit le vexera, il dise ces paroles :

Dieu le Père, qui êtes avec le Fils et le Saint Esprit, Créateur de toutes choses et Juge d’icelles ; qui avez envoyé votre Fils au sein de la Vierge pour notre salut. Je te commande, ô esprit immonde ! je te commande de sortir, pour sa gloire et pour les prières de la Sainte Vierge, de cette créature de Dieu, au nom de celui qui est né de la Vierge, Jésus-Christ, un Dieu, qui est Père, Fils et Saint-Esprit.

 

Après, on dira de ma part à l’autre qui a le bouclier : Vous m’avez envoyé souvent comme votre messager à Dieu, et j’ai prié souvent mon Fils pour vous. Or, maintenant, je vous prie d’aller, vrai messager, au souverain chef de l’Église, car bien que Lucifer y soit, néanmoins, les paroles de mon Fils y seront accomplies selon da volonté. Mais quand il sera arrivé en France, ayant assemblé les princes, qu’il leur dise devant eux ces paroles : Que Dieu, qui est avec le Père et le Saint-Esprit, Créateur de toutes choses, qui a daigné descendre dans les entrailles de la Sainte Vierge, et unir l’humanité au Verbe, sans se séparer de la Divinité ; qui a eu un si grand amour envers la créature, que, voyant la lance, les clous aigus et tous les instruments de mort devant soi, il aima mieux mourir, souffrir toutes les peines horribles, avoir les nerfs déchirés, les mains et les pieds percés, que de se départir de l’amour qu’il portait à l’homme ; que Dieu, par sa passion, vous réunisse tous en un cœur, dont vous êtes depuis si longtemps séparés ; enfin qu’il lui propose les peines horribles de l’enfer, les joies indicibles des justes, et les supplices des mauvais, comme mon Esprit le lui a inspiré.

 

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Chapitre 35.

 

Notre-Seigneur montre à l’épouse la manière dont un moine était purifié en cette vie par les infirmités du corps, et sa gloire était manifestée sous espèce d’une étoile. En quelle manière l’âme damnée d’un autre religieux était attendue par neuf démons devant le prince des démons ; et il lui est rendu raison pourquoi les mauvais religieux sont tolérés de Dieu.

 

Le Fils de Dieu parlait à l’épouse : Vous avez vu, dit-il, l’âme de ce moine rayonnante comme une étoile, et à bon droit, car il était luisant et ardent en sa vie comme une étoile, et il m’a aimé par-dessus toutes les créatures. Il a vécu en l’observance et en la fidélité de ses résolutions. Cette âme aussi vous était montrée avant qu’elle mourût en cet état, où elle était avant qu’elle fût arrivée au dernier période de sa vie, et quand les signes évidents de la mort commençaient à paraître.

 

Cette âme donc, s’approchant du dernier période de sa vie, vint en purgatoire, et ce purgatoire était son corps, dans lequel elle était purifiée par le feu de ses douleurs et de ses infirmités. Et c’est pourquoi elle vous était montrée comme une étoile enclose dans un vase, et cela, pour montrer comme elle avait brûlé des feux de mon amour ; c’est pourquoi elle est maintenant en moi et je suis en elle ; car si une étoile venait en un feu très-lumineux, elle ne paraîtrait pas plus éclatante, de même ce religieux enclos en moi et moi en lui d’une manière ineffable, se réjouira de cette joie qui n’a point de fin. Or, étant en purgatoire, il brûlait d’un si grand amour en mon endroit, et moi envers lui, qu’il réputait la véhémence de la douleur très-légère. Sa joie a commencé en tristesse et a fait son progrès en l’éternité. Ce que le diable regardant, et voulant trouver en elle quelque formalité de droit pour l’amour qu’elle m’avait porté, il eût volontiers donné toutes les âmes pour celle-ci.

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Une autre âme vous était montrée, que le diable possédait par neuf sortes de droits. Je vous ai montré son jugement ci-dessus ; maintenant, je vous veux montrer son supplice, et comme toutes choses se sont passées en un point devant Dieu, bien que, pour votre intelligence, elles ne puissent être représentées que corporellement.

 

Cette âme donc étant parvenue au supplice, soudain sept démons allèrent au-devant de leur prince, disant : Cette âme est à nous.

Le démon de superbe disait en premier lieu : Elle est mienne, d’autant qu’elle n’a réputé personne être légal, et a autant voulu être sur les autres que je le suis.

 

Le démon de cupidité disait : En deuxième lieu, elle n’a jamais pu être assouvie comme moi : partant, elle est à moi.

 

Le troisième démon de rébellion disait : Cette âme était liée et obligée à l’obéissance ; mais elle a été en tout rebelle à Dieu et obéissante à la chair : partant, elle est à moi.

 

Le quatrième démon de la gourmandise disait : elle a excédé à manger ès heures illicites, comme je lui suggérais, et n’a point voulu l’abstinence : partant, elle est à moi.


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Le cinquième démon de vaine gloire disait : Elle a chanté pour la vaine gloire et ostentation ; et lorsque la voix lui manquait, elle se fâchait, et lors, j’élevais sa voix et l’aidais à chanter plus haut : partant, elle est à moi.

 

Le sixième démon de propriété disait : Elle devait être pauvre au monde et n’avoir rien de propre ; mais au contraire, elle amassait comme une fourmi tout ce qu’elle pouvait, et le possédait sans l’avoir demandé à son supérieur : partant, elle est à moi.

Le septième démon, qui est le mépris de la religion, disait : Elle était obligée d’observer en certain temps, et toutes ses actions, les temps ordonnés ; mais au contraire, elle avait tout déréglé : elle mangeait et buvait quand elle voulait ; dormait, veillait, parlait quand il lui plaisait, et le tout sans discipline régulière : partant, elle est à moi.

 

Lors, le prince des démons disait : Par exemple, vous, ô esprit de superbe ! d’autant que vous l’avez possédée dedans et dehors, entrez en elle ; et partant, entrez en elle, et serrez-la si fortement que, si elle avait le corps, le cerveau et la moelle des os, les yeux, les os et les jointures, tout s’écoulât et se fracassât.

 

Il dit au deuxième démon : Esprit de cupidité, vous l’avez possédée selon votre désir, et elle n’était jamais rassasiée : partant, entrez en elle avec un venin très-ardent, et comme un plomb fondu, brûlez-la si misérablement qu’elle en soit et tout et partout affligée sans fin et sans repos.

 

Il dit au troisième diable : Esprit de rébellion : Vous l’avez possédée en tout, et elle vous a plutôt obéi qu’à Dieu : partant, entrez en elle comme un glaive très-aigu, et demeurez en elle sans en sortir, comme un glaive qui perce le cœur, qui ne peut sortir

 

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Il dit au quatrième démon, c’est-à-dire, à l’esprit de gourmandise : Elle a consenti à toutes les intempérances : partant, brisez-la de vos dents et déchirez son cœur, afin que les sept esprits ci-dessus mentionnés en aient chacun sa part, et qu’ils l’affligent sans cesse et sans la consommer.

 

Il dit au cinquième démon de vaine gloire : Entrez en elle, et ne permettez pas qu’en toute sa vie, elle jouisse tant soit peu de quelque repos ; et pour la vanité du chant, ne sortez jamais de sa bouche. Toute la joie qu’elle cherchait au monde sera changée en pleurs et misères éternelles.

 

Il dit au sixième diable : Esprit de propriété, entrez en elle avec l’amertume, et faites qu’elle ne jouisse jamais d’aucun contentement ; mais en son lieu, elle sera riche des confusions éternelles, des damnations horribles, et des malheurs qui n’auront jamais de fin.

 

Il dit au septième diable, c’est-à-dire, à l’esprit de mépris de religion : D’autant qu’elle a aimé et pratiqué le dérèglement, qu’elle ait un temps tout déréglé, où la rigueur du froid et l’ardeur du chaud ne finiront jamais.

 

Lors soudain en un moment apparurent deux démons devant le prince des diables, disant : Nous avons aussi part en cette âme. Le premier dit : Cet homme fut un prêtre, et il n’a pas vécu comme un prêtre, et partant, il est ma part.

 

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Le deuxième démon dit : Il avait en sa tête quelque lieu où la couronne de gloire devait être posée, et il ne l’a pas eue, et partant, il est à moi.

 

Le prince des démons répondit et dit : Qu’on lui change le nom de prêtre et qu’il soit appelé Satan. Et d’autant qu’il a négligé d’avoir la couronne de gloire, qu’on pose en sa place l’opprobre de malédiction et de déjection éternelle.

 

Après, Notre-Seigneur parlait à son épouse : Voici, mon épouse, quelle est cette récompense et combien elle est différente de l’autre : ces deux âmes ont été d’une même profession, mais bien inégales en leur récompense. Ne savez-vous pas pourquoi je vous montre ces choses ? Certainement, c’est afin que les bons soient récompensés, et que les mauvais, sachant cet horrible jugement, ses convertissent. En vérité je vous dis que les hommes de cette profession se retirent grandement de moi, comme vous le pourrez entendre par un exemple.

 

Je suis semblable au père de famille qui a pris des ouvriers auxquels il a commis le fossoir pour cultiver la terre, la pelle pour nettoyer les fossés, et le vase pour transporter la boue. Mais les ouvriers, méprisant le commandement de leur maître, rapportèrent les ustensiles à leur Seigneur, et dirent : Le fossoir n’est point aigu et la terre est trop sèche, et nous ne pouvons point travailler en icelle ; le balai est trop faible et le vase trop pesant : nous ne le saurions porter.

 

Ces professeurs en font de même, car je leur ai commis comme à ceux qui cultivent la terre, la parole pour la prêcher, et la puissance de cultiver les cœurs par la terreur de mes jugements ; mais hélas ! ils ne s’en servent point, mais ils les méprisent et en prennent d’autres, d’autant qu’ils emploient mes paroles et mon institution au soulagement du corps, à plaire aux hommes et à s’enrichir de plus en plus ; les cœurs des hommes sont maintenant trop durs, et les paroles de Notre-Seigneur moins aiguës pour exciter la dévotion : et partant, ils proposent aux hommes des sujets agréables ; ils cachent ma justice ; ils dissimulent de reprendre les péchés, en quoi ils font que les pécheurs croupissent confidemment en leurs péchés, et s’en repentent avec moins de douleur.

 

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En deuxième lieu, je leur ai commis le balai pour nettoyer la terre du fossé, c’est-à-dire, je voulais qu’ils aimassent l’humilité et la pauvreté, mais elle est maintenant trop faible, car ils disent : Si nous ne voulons rien avoir, comment vivrons-nous ? Si nous sommes entièrement humiliés, qui nous retirera ? Trompés donc et déçus de ce faux prétexte, ils sont autant superbes sur les autres qu’ils devraient être humbles.

 

Je leur ai encore donné un vase pour porter la terre, c’est-à-dire, afin qu’ils pratiquassent l’abstinence des choses corporelles ; mais ils ont jeté ce vase à mes pieds, disant : Si nous voulons vivre en mêmes labeurs que nos pères, nous défaudrons et seront méprisés du tout en cette abstinence, de sorte donc que tout ce qu’il y a de bon dans la religion leur est pesant, et ils font ce que bon leur semble.

 

Or, qu’est-ce que je dois faire, mes instruments étant jetés par terre, et eux refusant de travailler ? Certainement je leur dirai : Vivez selon votre volonté, faites vos œuvres propres, et vous trouverez votre fruit ; ayez l’honneur du monde pour l’honneur éternel, ses richesses et son amitié pour les choses célestes,

 

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les voluptés du siècle pour les délices qui n’auront jamais de fin. Je jure en ma vérité que si je n’avais égard à deux biens qui me les font souffrir, une maison de ceux-là ne demeurerait pas sur pied : le premier est la prière de ma très-chère Mère, qui me prie incessamment avec leur patron ; le second est ma justice, car bien que je sois tenu de leur faire aucune miséricorde à raison de leur malice, néanmoins, pour les offrandes qui me sont agréables, je les tolère, car elles sont comme des instruments qui profitent aux autres ; car de leur chant et prédication, les autres sont excités de plus en plus à la dévotion, et prennent sujet et occasion de profiter ; mais ceux-là s’abaissent jusques aux fondrières infortunées, d’autant que, non pour l’éternité, mais véritablement pour le lucre, ils sont serviteurs ; et peu s’en trouvent d’autres, et si peu qu’à peine s’en trouve-t-il un sur cent !

 

DÉCLARATION.

 

Une âme apparut, revêtue du scapulaire et horriblement difforme en tout. Lors Jésus-Christ dit : Quelque peuple ouït le peuple d’Israël remporter la victoire partout, et craignant de lui être sujet, envoya des légats ayant aux pieds de vieux souliers, et du pain fort dur en leurs sacs, afin qu’en mentant, ils feignissent d’être des terres les plus lointaines. Mais la vérité étant connue, ils furent réduits en perpétuelle servitude.

 

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De même plusieurs religieux, feignant de ne l’être pas, servent le monde sous l’habit de religion, sont exclus de l’héritage éternel, du nombre desquels est celui-ci, dont l’âme est possédée du diable par neuf sortes de droits.

1. D’autant qu’étant superbe, il se préfère aux autres, faisant semblant d’être vertueux, étant néanmoins tout plein de vices.

2. D’autant qu’il désirait ce qu’il voyait, n’étant pas content du nécessaire.

3. D‘autant qu’il obéit seulement à ce qui le contente ; le reste, il le fait par contrainte, ou il cherche l’occasion de fuir.

4. D‘autant qu’il se plaît à l’intempérance, compagne de ceux qui font un Dieu de leur ventre.

5. D‘autant qu’il cherche à être loué de tous, et non de Dieu ; c’est pourquoi il prêche des choses sublimes, chante les hauts accords, fait des choses signalées.

6. D‘autant qu’il se glorifie dans les choses superflues et a un habit étranger, la propriété duquel devait être la vraie pauvreté.

7. D‘autant qu’il ne se réglait pas aux heures, mais suivait en tout les désirs de la chair.

8. D‘autant qu’il allait à l’autel impudiquement et effrontément, sanctifiant et absolvant les autres, et lui, croupissant dans les liens du péché, et étant en tout digne de répréhension.

9. D‘autant qu’indignement il porte le signe de gloire en sa tête, ayant confédération et alliance avec mon ennemi : partant, s’il ne s’amende, il boira et sentira les rigueurs de ma justice.

Elle répondit : O mon Dieu ! Il dit les messes, il prêche, et ses prédications agréent à plusieurs : Peut-il donc être ailleurs qu’en votre Esprit ?

 

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Notre-Seigneur répondit : Ses prédications sont de mon Esprit ; mais quand il ne prêche point avec charité ni avec la pure intention avec lesquelles un prédicateur doit prêcher, il n’a pas l’effet de la prédication ; et lors mon Esprit n’opère point en lui ; il mâche le fourrage, il suce la queue du serpent et cherche les fleurs périssables.

Lors elle repartit : O Seigneur, je n’entends pas ce que vous dites : partant, expliquez-le moi, je vous en supplie.

 

Notre-Seigneur lui dit : Lors il mâche le fourrage, quand pain éternel ne lui est point à goût, quand la divine sapience n’entre point dans son cœur, ma sapience qui dit : Venez à moi, humbles, et je vous réfectionnerai. Or, lors il suce la queue du serpent, quand la boisson de la divine intelligence ne lui est point à goût, mais bien la prudence du diable, qui dit : Mangez, et vos yeux vous seront ouvert. Il cherche les fleurs périssables, quand il ne se soucie point du fruit de la divine et éternelle douceur, mais a incessamment en la bouche les paroles du monde et de la chair.

 

Chapitre 36.

Notre-Seigneur Jésus-Christ révèle à son épouse comment, à raison de trois biens qui étaient aux cœurs vides et purs des apôtres, le Saint-Esprit y a été envoyé en trois manières. Comment le Saint-Esprit n’entre point dans les cœurs des hommes pleins de cupidité et de superbe. Notre-Seigneur veut que le vin des paroles de ce livre soit communiqué à ses amis, lesquelles paroles seront ensuite publiées aux autres.

 

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Pour le jour de la sainte Pentecôte.

 

Je suis celui qui vous parle à vous, qui, un tel jour, ai envoyé à mes apôtres le Saint-Esprit, qui est venu à eux en trois manières :

1-comme un torrent ;

2-comme un feu ;

3- en espèce de langues.

 

Or, il est venu à eux, les portes étant closes, d’autant qu’ils étaient retirés, et ils avaient trois sortes de biens, car

1-ils avaient la volonté de garder la chasteté et de vivre chastement en tout ;

2- ils avaient une profonde humilité ;

3- tout leur désir était envers Dieu, d’autant qu’ils ne soupiraient qu’après lui.

 

Ils étaient comme trois vases purs et vides, c’est pourquoi le Saint-Esprit descendit en eux et les remplit. Il vint comme un torrent, les remplissant entièrement de sa douceur et de sa divine consolation. Il vint comme un feu, car il enflamma tellement leurs cœurs des ferveurs du divin amour, qu’ils n’aimaient et ne craignaient que Dieu. En troisième lieu, il vint en espèce de langues, car comme la langue est dans la bouche, et que néanmoins elle ne nuit point la bouche, mais est utile pour parler, de même le Saint-Esprit, étant dans leurs âmes, ne leur faisait désirer autre que lui-même ; la sapience divine les avait rendus éloquents, la vertu du Saint-Esprit, faisant l’office de la langue, disait toute vérité.

 

Donc, ces vases, étant vides, et d’ailleurs, grandement désireux, furent dignes de recevoir le Saint-Esprit, car il n’entre point en ceux qui sont remplis et pleins. Or, ceux-là sont remplis qui ont leur cœur rempli de péchés et de vilenies, et ceux-là sont comme trois vases sales :

le premier est plein de fiente si puante des hommes que personne n’en peut souffrir la puanteur ;

le deuxième est plein comme de la corruption et pollution très-vile, que personne ne peut goûter ;

le troisième est plein de sang très-corrompu et pourri, que pas un ne peut regarder à raison de l’abomination .

 

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De même les méchants sont pleins des abominations et des cupidités du monde, qui sont puantes devant ma face et devant celles de mes saints, bien plus que la fiente des hommes, car que sont les choses temporelles, sinon fiente ? Les misérables se plaisent en cette méchante vilenie.

 

Au deuxième vase, il n’y a que luxure et incontinence en toutes ses œuvres ; cette incontinence m’est plus amère que la corruption. Je ne souffrirai point cela, et encore moins entrerai-je en eux par ma grâce. Comment pourrais-je, moi qui suis la pureté même, entrer en ces corrompus ? Comment moi, qui suis le vrai feu de la vraie dilection, enflammerais-je ceux qu’un grand feu de luxure enflamme ?

 

Le troisième est de superbe : elle m’est comme un sang corrompu, car c’est elle qui corrompt les hommes au-dedans et au dehors, ôte la grâce que Dieu donne, et rend l’homme abominable devant Dieu et le prochain. Or, celui qui sera rempli de la sorte, ne pourra être rempli de la grâce du Saint-Esprit.

 

Or, je suis comme un homme qui a du vin à vendre, lequel, en voulant boire, en donne plutôt à ses amis et à ses familiers pour le goûter, et après, le fait crier par les carrefours, disant que ce vin est bon, que qui en voudra vienne : de même, j’ai un vin très-bon, c’est-à-dire, une douceur ineffable, laquelle j’ai fait goûter à mes amis, qui ont ouï les paroles qui procèdent de ma bouche. Entre tous ceux qui croyaient que le vin était bon, était celui qui est venu à moi ce jourd’hui, ayant comme trois vases à remplir, car il est venu ayant la volonté d’être continent, de se retirer de la vanité, de s’humilier profondément et de désirer tout ce qui me plaît.

 

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C’est pourquoi j’ai aujourd’hui rempli ses vases, car 1. il sera plus éclatant par ma sapience divine, plus éclairé pour comprendre mes mystères, et plus prompt à la contemplation qu’auparavant. 2. Je l’ai rempli de charité, et il sera plus fervent que jamais à tout bien. 3. Je lui ai donné une crainte discrète, de sorte qu’il ne craint que moi et ne cherche que ce qui me plaît. Afin donc qu’il sache appeler les autres à goûter mon vin, qu’il écoute les paroles que j’ai prononcées, qui sont écrites, afin qu’ayant oui combien je suis charitable et juste, il ait autant de soin d’appeler les autres à goûter la douceur de mon vin incomparable.

 

DÉCLARATION.

 

Ce frère suivait sainte Brigitte au voyage de Saint-Jacques. Il vit en esprit sainte Brigitte comme couronnée de sept diadèmes, et vit le soleil comme tout noirci ; de quoi s’étonnant, il ouït une voix qui lui disait : Ce soleil obscurci signifie le prince de votre terre, qui ayant relui comme un soleil, sera méprisé par l’opprobre des hommes ; et cette femme que vous voyez aura l’épi d’une grâce de Dieu septuple, laquelle est signifiée par la couronne septuple que vous avez vu, et ceci vous sera en signe que vous serez guéri de cette infirmité. Vous retournerez aux vôtres et serez élevé à une plus grande dignité.

 

Etant retourné, il fut fait abbé, faisant progrès de vertu en vertu.

 

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Chapitre 37.

 

La Sainte Vierge parle à l’épouse. En quelle manière la Sainte Vierge est saluée de quatre sortes d’hommes : des vrais amis par amour, des autres par crainte de la peine, des autres pour être riches, des hypocrites par la présomption d’obtenir pardon. Les deux premiers sont récompenses entre les spirituels, le troisième temporellement, le quatrième abominablement.

 

La Sainte Vierge Marie disait : Il y a quatre sortes de gens qui me servent :

 

Les premiers sont ceux qui laissent en mes mains leur volonté, leur conscience et tout ce qu’ils font pour mon honneur ; leur salutation m’est agréable comme une boisson très-douce.

 

Les deuxièmes sont ceux qui craignent la peine, et par la crainte, péché. Je leur donne, s’ils persévèrent, la diminution de la mauvaise crainte, l’accroissement de la vraie charité, et la science par laquelle ils apprennent à aimer Dieu avec raison et sagesse.

 

Les troisièmes sont ceux qui élèvent éminemment mes louanges ; mais ils n’ont autre affection ni intention, sinon que les richesses et les honneurs temporels leur soient accrus. Et partant, comme un seigneur à qui on envoie quelque don, et qui en renvoie un égal, de même, d’autant qu’eux demandent des choses temporelles ni ne désirent rien si chèrement, je leur donne ce qu’ils demandent, et je les récompense en cette vie présente.

 

Les quatrièmes sont ceux qui feignent d’être bons, et néanmoins, ont le péché en délectation, car ils pêchent en secret quand ils peuvent, de peur qu’il ne semble aux hommes que soudain qu’on implore la Sainte Vierge, on obtient soudain le pardon ; leur voix me plaît comme le son d’un vase argenté par dehors, et qui, au dedans, est plein de fiente très-puante que personne ne peut souffrir.

 

Tels sont quelques-uns par la mauvaise volonté qu’ils ont de pécher.

 

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Chapitre 38.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à son épouse qu’il y a deux esprits, l’un bon et l’autre mauvais. Or, les signes du Saint-Esprit sont la douceur de l’esprit et la gloire ; et les signes du mauvais esprit sont l’anxiété et l’inquiétude de l’esprit procédant de la cupidité ou de la colère.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Le bon esprit est au cœur de l’homme. Or, quel est ce bon esprit, sinon Dieu ? qu’est Dieu sinon la gloire et la douceur des saints ? Dieu est en eux, ils sont en lui ; et lors ils ont tout le bien quand ils ont Dieu, sans lequel rien n’est bon. Partant, celui qui a l’Esprit de Dieu a Dieu, et toute la milice céleste et tout bien ; Semblablement, quiconque a le mauvais esprit en soi, a tout le mal en soi. Or, quel est cet esprit mauvais, sinon le diable ? Or, le diable n’est que peine et tout mal. Celui donc qui a le diable a en soi la peine et tout le mal. Or, comme l’homme de bien ne ressent point d’où ou comment est versées en soi la douceur du Saint-Esprit, ni ne la peut goûter parfaitement, bien qu’en partie, de même l’homme mauvais, quand il est angoissé par les cupidités, quand il soupire après les ambitions, quand il est blessé de colère, ou corrompu par la luxure ou d’autres vices, a une peine du diable et un indice de l’éternelle inquiétude, bien qu’en cette vie, on ne puisse la comprendre comme elle est. Malheur à ceux qui adhèrent à cet esprit !

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Chapitre 39.

 

L’épouse voyait que le démon présentait au jugement divin sept livres contre l’âme d’un soldat décédé ; mais le bon ange présenta pour lui un livre où l’âme n’était point damnée éternellement, d’autant que, le diable l’ignorant, elle s’était repentie intimement à la fin de ses jours. Elle est néanmoins condamnée, dans le purgatoire, à sept peines, à raison de ses péchés, jusques au jour du jugement, car elle avait autant désiré de vivre. Mais Jésus-Christ révèle trois remèdes par lesquels elle pourrait être affranchie plus tôt ; et de fait, soudain trois peines lui ont été remises par les prières de la Sainte Vierge et des saints. La supplication du bon ange ne fut pas soudain exaucée, mais différant à quelque temps, Jésus-Christ la met en délibération.

 

Un démon apparut au jugement divin, qui tenait une âme d’un décédé toute tremblante comme un cœur pantelant. Ce démon dit alors au Juge : Voici de la proie. Ton ange et moi avons suivi cette âme depuis sa naissance jusques à la fin de ses jours, mais lui pour la conserver, et moi pour la ruiner. Tous deux nous la guettions comme des chasseurs ; mais néanmoins, elle est à la fin tombée en mes mains, et pour gagner à moi, je me suis comporté avec toute sorte d’impétuosité, comme un torrent quand la brèche est faite, à qui rien ne résiste, sinon quelque digue, c’est-à-dire, votre justice, laquelle n’est pas encore éprouvée contre cette âme ; c’est pourquoi je ne la possède pas encore assurément. Je la désire aussi avec autant d’ardeur qu’un animal affamé, voire si enragé de faim qu’il mande ses membres. Donc, d’autant que vous êtes juste Juge, pourquoi est-elle plutôt tombée en mes mains qu’en celles de son ange ?

p307

Le Juge répondit : d’autant que ses péchés sont en plus grand nombre que ses bonnes œuvres.

Puis le Juge demanda : Montrez lesquelles.

 

Le démon répondit : J’ai un livre tout plein de ses péchés.

 

Le Juge lui dit : Quel est le nom de ce livre ?

 

Le démon répondit : Son nom est Désobéissance. En ce livre sont sept livres, et chacun a trois colonnes, et chaque colonne a plus de mille paroles, mais non moins de mille ; quelques-uns en ont plus.

 

Le Juge répondit : Dites les noms de ces livres, car bien que je sache toutes choses, néanmoins, dites-les, afin que votre volonté et ma bonté soient connues.

 

P308

 

Le démon répondit : Le nom du premier livre est la Superbe, et en icelui sont trois colonnes :

la première est la superbe spirituelle en sa conscience, d’autant qu’il s’enorgueillissait de la bonne vie, qu’il croyait avoir meilleure que les autres ; il s’enorgueillissait encore de son esprit et de sa conscience, qu’il estimait plus sages que les autres

La deuxième colonne était d’autant qu’il s’enorgueillissait des biens qui lui avaient été donnés, des vêtements et des autres choses.

La troisième était d’autant qu’il s’enorgueillissait de la beauté de ses membres, de sa noble race et de ses œuvres. Et en ces trois colonnes, il y avait des paroles infinies comme vous connaissez mieux.

 

Le deuxième livre était la Cupidité. Ce livre avait trois colonnes : la première était spirituelle, d’autant qu’il a cru que ses péchés n’étaient pas si grands qu’on le disait, et indignement a-t-il désiré le royaume céleste, qui ne se donne qu’aux purs.

La deuxième, d’autant qu’il a plus désiré d’être au monde qu’il n’était nécessaire, et que sa volonté ne tendait qu’à rendre recommandables son nom et sa race, afin de nourrir ses héritiers, non à l’honneur de Dieu, mais à l’honneur du monde.

La troisième fut qu’il désirait l’honneur du monde et d’exceller par-dessus les autres, et en ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles innombrables par lesquelles il recherchait les faveurs et bienveillances, par lesquelles il acquérait des biens temporels.

 

Le troisième livre est l’Envie. Celui-ci a trois colonnes :

La première fut en l’esprit ; il enviait ceux qui excellaient sur lui et avaient plus que lui.

La deuxième, d’autant qu’il a reçu par envie les biens de ceux qui en avaient plus besoin que lui.

La troisième, que, par envie, il a nui secrètement au prochain par ses conseils, tant par lui que par les siens, et aussi publiquement, tant par paroles que par faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incité les autres à des choses semblables

 

P309

 

Le quatrième livre est l’Avarice, dans lequel il y avait trois colonnes :

La première était l’avarice dans son esprit, car il ne voulut jamais enseigner ce qu’il savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation ou profit, pensant à ce qui suit : Quel profit m’en reviendra-t-il, si je donne tel ou tel conseil ? Quelle récompense en aurai-je, si je lui profite, en lui donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait conseil, s’en retournait grandement affligé, pouvant être instruit de lui et ne l’étant point, le pouvant édifier et ne le faisant point.

La deuxième colonne est que, pouvant purifier ceux qui étaient en dissension, il ne le voulait point faire, et pouvant consoler ceux qui étaient en trouble, il n’en voulait rien faire.

La troisième colonne était l’avarice en ses biens, d’autant que, s’il lui fallait donner un denier pour Dieu, il s’en affligeait grandement, et il en eût donné cent pour l’honneur du monde. Or, en ces colonnes sont des paroles infinies, comme vous le savez très-bien. Vous savez toutes choses, et rien ne vous peut être cache ; mais vous me contraignez de parler par votre puissance, afin que les autres profitent.

 

P310

 

Le cinquième livre est la Paresse ; il a aussi trois colonnes :

La première : il était fainéant aux bonnes œuvres pour votre honneur et pour accomplir vos préceptes, car pour avoir repos ne son corps, il a perdu son temps. L’utilité et la volupté de son corps lui étaient très-chères.

La deuxième colonne : il était oisif en ses pensées, car quand vous lui inspirez quelque pensée, la contrition ou quelque connaissance spirituelle, elles lui semblaient trop longues, et il en retirait son esprit, et le portait aux joies du monde, qui lui plaisaient beaucoup.

La troisième : il était lâche à parler, à prier pour son utilité et celle d’autrui, et surtout pour votre honneur, et fervent à dire des paroles de gausserie et cajolerie. Or, combien grand en est le nombre et la quantité, vous seul le connaissez.

 

Le sixième livre était la Colère ; il avait trois colonnes :

La première : d’autant qu’il se colèrait contre son prochain des choses qui ne lui étaient point utiles.

La deuxième : d’autant qu’il a laissé le prochain par sa colère en ses œuvres, d’autres fois en aliénant le sien.

La troisième : d’autant que, par sa colère, il troublait son prochain.

 

Le septième livre était la Volupté ; il avait aussi trois colonnes :

La première : d’autant qu’il était impudique dans ses paroles et dans ses actes.

La deuxième : il était trop pétulant en ses paroles impures.

La troisième était qu’il nourrissait trop délicatement son corps, se préparant des superfluités de mets délicats pour contenter sa sensualité et pour être estimé grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles. Il demeurait à table plus longtemps qu’il ne devait, ne considérant pas le temps qu’il y restait, non pour cajoler ni pour recevoir plus que la nature ne requérait mais bien pour prier ou travailler.

 

P311

 

Voici, ô Juge, que mon livre est rempli. Adjugez-moi donc cette âme.

 

Or, le Juge ne disant mot, la Mère de miséricorde, qui semblait être fort loin, s’approchant, dit : Mon fils, je veux disputer de la justice contre ce diable.

 

Le Fils répondit : Ma chère Mère, si la justice n’est pas déniée au diable, pourquoi vous serait-elle déniée, à vous qui êtes ma Mère et la Reine des anges ? Vous pouvez aussi et savez toutes choses en moi, mais vous parlerez, afin que les autres connaissent combien je vous aime.

 

Lors la Mère parlait au diable, disant : Je te commande de répondre à trois choses que je te demande ; et bien que tu le fasses à regret, tu y es obligé par la justice, d’autant que je suis ta maîtresse.

Dis-moi, ne sais-tu pas toutes les pensées des hommes ?

 

Le diable dit : Non, sinon celles-là qui se manifestent par l’œuvre extérieure, et ce que j’en puis conjecturer de sa disposition, celles que je suggère dans le cœur, car bien que j’aie perdu ma dignité, néanmoins, par la subtilité de ma nature, il m’est demeuré tant de sagesse que par la disposition de l’homme, j’entre dans l’état de l’esprit, mais je ne puis pas connaître les bonnes pensées des hommes.

 

La Sainte Vierge lui dit encore : dis-le-moi, ô diable, bien que contraint : qu’est-ce qui peut effacer les écrits de ton livre ?

 

Le diable répondit : Une seule chose, qui est la charité, car quiconque l’obtient dans son cœur, soudain l’écriture de mon livre est effacée.

 

La Sainte Vierge lui dit pour la troisième fois : Dis-moi, ô diable ! quelqu’un peut-il être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscence pendant qu’il vit ?

 

P312

 

Le diable répondit : Il n’y en a pas un qui, s’il veut, ne le puisse avec la grâce, car quand quelque pécheur que ce soit change sa mauvaise volonté en une bonne, est atteint des feux de la charité divine et veut demeurer ferme en icelle, tous les démons ne sauraient le retenir.

 

Ces choses étant ouïes, la Mère de miséricorde dit à ceux qui étaient à l’entour d’elle : Cette âme, à la fin de sa vie, s’est convertie à moi et m’a dit : Vous êtes Mère de miséricorde et faites miséricorde aux misérables. Je suis indigne de prier votre Fils, d’autant que mes péchés sont trop grands et ne trop grande quantité ; j’ai trop provoqué sa colère, aimant plus mes voluptés et le monde que Dieu, mon Créateur : partant, je vous supplie d’avoir miséricorde de moi, car vous ne la refusez à pas un qui vous la demande ; et partant, je me convertis à vous, et je vous promets que, si je vis, je veux m’amender, convertir ma volonté à votre Fils, et n’aimer autre chose que lui. Mais je suis surtout marri de n’avoir rien fait pour l’amour de votre Fils, mon Créateur : partant, je vous prie, ô très-clémente Dame, d’avoir compassion de moi, car je n’ai mon refuge qu’en vous. Par telles pensées et paroles, cette âme vint à moi à la fin de ses jours ; et ne la devais-je pas exaucer ? car qui est celui-là qui, priant un autre de tout son cœur et avec résolution de s’amender, ne mérite d’être exaucé ? Combien plus dois-je ouïr ceux qui crient à moi, qui suis Mère de miséricorde !

 

P313

 

Le diable répondit : Je n’ai rien su d’une telle volonté ; mais si cela est comme vous dites, prouvez-le par des raisons évidentes.

 

La Mère répondit : Tu es indigne que je te parle. Néanmoins, parce que cela peut servir au prochain, je te répondrai : O misérable, tu as dit ci-dessus qu’en ton livre rien ne peut être effacé que par la divine charité.

Et lors la Sainte Vierge, s’étant tournée à lui, dit au Juge : O mon Fils, que le diable ouvre donc maintenant son livre, qu’il le lise, et qu’il voie si toutes choses sont là entièrement écrites, ou s’il y a quelque chose d’effacé.

 

Lors le Juge dit au diable : Où est ton livre ?

 

Et le diable dit : En mon ventre et ma mémoire, dit le diable, car comme dans le ventre sont toutes immondices et toute puanteur, de même en ma mémoire sont toute malice et toute méchanceté, qui sont puantes devant moi comme une corruption ; car quand je me suis retiré de vous et de votre lumière par la superbe, lors j’ai trouvé en moi toute sorte de malice, et ma mémoire a été obscurcie ès biens divins, et en cette mienne mémoire est écrite toute l’iniquité des pécheurs.

 

Lors le Juge dit au diable : Je te commande de voir diligemment ce qui écrit dans ton livre, ce qui est effacé des péchés de cette âme, et de le dire publiquement.

 

Le diable répondit : Je vois dans mon livre être écrit des choses que je n’ai jamais pensées, car je vois que ces sept choses sont effacées, et il ne demeure rien de plus en mon livre que moquerie.

 

Après, le Juge dit au bon ange qui était là présent :Où sont les bonnes œuvres de cette âme ?

 

P314

 

Elles sont en votre présence, dit le bon ange. Tout vous est connu. Nous voyons toutes choses en vous, de sorte qu’il ne nous est pas nécessaire d’en parler. Mais d’autant que vous voulez montrer votre charité, c’est pourquoi vous marquez votre volonté à ceux qu’il vous plaît, pourquoi, depuis que cette âme fut jointe à son corps, j’ai été toujours avec elle. J’ai écrit aussi un livre de ses biens : si vous voulez ouïr ce livre, il est en votre puissance.

 

Le Juge répondit : Je ne puis juger sans les avoir ouï d’avance ; et ayant connu les biens et les maux, lesquels étant bien considérés, la justice demande alors qu’il soit jugé ou à la mort ou à la vie.

 

L’ange répondit :

Mon livre est son obéissance par laquelle il vous a obéi, et en icelle, il y a sept colonnes :

La première est le baptême .

La deuxième est l’abstinence, au jeûne, des œuvres illicites, péchés, et aussi des voluptés et des tentations de la chair.

La troisième est l’oraison et le bon propos qu’il a eu.

La quatrième est les bonnes œuvres en aumônes et autres œuvres de miséricorde.

La cinquième est l’espérance qu’il avait en vous.

La sixième est la foi qu’il a eue comme chrétien.

La septième est la divine charité.

 

Ces choses étant dites, le Juge lui dit encore : Où est votre livre ?

 

En votre vision et amour, ô mon Seigneur ! dit l’ange.

 

Alors la Sainte Vierge, détrônant le diable : Comment, dit-elle, avez-vous gardé votre livre ? Comment s’est effacé ce qui y était écrit ?

 

Lors le diable dit : Malheur ! Malheur ! vous m’avez déçu !

 

P315

 

Après, le Juge dit à sa très-bénigne Mère : Vous avez avec raison, obtenu en ce fait absolution et avez avec justice gagné cette âme.

 

Le diable cria après : J’ai perdu ! je suis vaincu ! Mais dites-moi, ô Juge, combien de temps tiendrai-je cette âme pour les moqueries et cajoleries qu’elle a faites.

 

Le Juge lui dit : Je te le montrerai. Les livres sont ouverts et lus. Mais dis-moi, ô diable ! bien que je sache toutes choses, si cette âme doit entrer au ciel selon la justice, ou non. Je te permets de voir et savoir maintenant la vérité de la justice.

 

Le diable dit : La justice est en toi. Que si quelqu’un décède sans péché mortel, qu’il n’entre point en enfer, et quiconque a la divine charité de justice, doit avoir le ciel. Cette âme donc, n’étant point morte en péché mortel et ayant eu la divine charité, est prête à entrer dans le ciel, après qu’elle aura été purifiée.

 

Le Juge répondit : Puisque donc je te permets de dire la vérité de ma justice, dis, ceux-ci l’oyant, qu’est-ce qui me plaît et quelle doit être la justice de cette âme.

 

Le diable répondit : Qu’elle soit purifiée en telle sorte qu’il n’y reste aucune tâche, car bien qu’elle soit à vous, pourtant elle ne peut arriver à vous avant qu’elle ne soit purifiée. Et d’autant que vous, ô Juge, m’avez demandé, je vous demande maintenant, comment elle doit être purifiée et combien de temps elle sera en mes mains.

 

P316

 

Le Juge répondit : Je te demande que tu n’entres point en elle et que tu ne l’absorbe pas en toi, mais tu la dois purifier jusqu’à ce qu’elle soit pure, et qu’elle ait enduré la peine selon la grandeur de la faute, car elle a péché en trois manières : trois en la vue, trois en l’ouïe, trois en l’attouchement, et partant, elle doit être punie triplement en la vue :

1. Elle doit voir ses péchés et ses abominations ;

2. elle te doit voir en ta malice ;

3. elle doit voir les peines terribles des autres âmes ; et que semblablement elle soit affligée en l’ouïe en trois manières :

 

1. Elle doit ouïr les malheurs horribles, d’autant qu’elle a voulu ouïr les louanges propres et les délectations du monde ;

2. elle doit ouïr les cris épouvantables et les moqueries des démons,

3. les opprobres et les misères effroyables, d’autant qu’elle a écouté avec plaisir plus les amours, les frayeurs du monde que celles de Dieu.

 

Elle est aussi affligée en trois manières en l’attouchement :

1. elle sera brûlée d’un feu très-ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre tâche qui ne soit purifiée dans le feu ;

2. elle pâtira une grande rigueur de froid, d’autant qu’elle brûlait en ses cupidités et était glacée en ma charité ;

3. elle sera aux mains du diable, afin qu’il n’y ait pas la moindre pensée qui ne soit purifiée, jusqu’à ce qu’elle soit comme l’or passé par la coupelle à la volonté du possesseur.

 

Lors le diable demanda derechef combien de temps cette âme serait en cette peine.

 

P317

 

Le Juge répondit : Tout autant de temps que sa volonté était de vivre au monde ; et d’autant qu’elle aurait voulu vivre en son corps jusques à la fin du monde, elle est obligée d’endurer cette peine jusques à la fin du monde, car telle est ma justice que quiconque a ma charité et me désire ardemment, souhaitant d’être avec moi et d’être séparé du monde, celui-là mérite d’avoir le ciel sans peine, d’autant que l’exercice de cette vie présente est sa purification. Or, celui qui craint la mort pour la peine de la mort et pour la peine qui suit la mort, et voudrait à raison de cela vivre plus longtemps afin de s’amender, celui-là aurait une peine plus légère dans le purgatoire ; mais celui qui a volonté de vivre jusques au jour du jugement , bien qu’il ne péchât mortellement, mais seulement pour l’amour qu’il a à cette vie, celui-là doit souffrir les peines du purgatoire jusques au jour du jugement.

 

Lors la Sainte Vierge Marie, pleine de miséricorde, dit : Béni soyez-vous, ô mon Fils, pour votre justice, qui est en toute miséricorde ! car bien que nous voyions et sachions toutes choses en vous, néanmoins, pour l’instruction des autres, dites-nous quel remède on peut appliquer pour diminuer un si long temps de peine, et quel pour éteindre un feu si ardent, et comment aussi cette âme peut être affranchie des mains des diables.

 

Le Fils répondit : Rien ne peut vous être refusé, car vous êtes la Mère de miséricorde, et vous cherchez et procurez la consolation à tous. Il y a trois choses qui diminuent un si long temps de peine, qui éteignent ce feu et délivrent des mains des démons : la première, si on rend par quelque peine ce qu’il a pris injustement ou devait rendre aux autres justement, car ma justice veut que cette âme soit purifiée, ou par les prières des saints, ou par aumônes, bonnes œuvres des amis, ou par quelque purification digne pour cela. La deuxième est par des aumônes très-grandes, car par elles, le péché est éteint comme le feu par l’eau. La troisième est par les messes et sacrifices, et par les prières des amis. Ce sont ces trois choses qui la délivreront de ces trois peines.

 

P318

 

La Mère de miséricorde répondit derechef : Qu’est-ce que lui profitent maintenant les bonnes œuvres qu’il a faites pour vous ?

 

Le Fils répondit : Vous ne le demandez pas parce que vous l’ignorez, puisque vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin que mon amour soit manifesté aux autres. Certainement, il n’y aura pas la moindre parole ni la moindre pensée pour mon honneur, qu’elles n’aient leur récompense, car toutes les choses qu’il a faites pour l’amour de moi, sont maintenant devant lui, et en sa peine, elles lui servent de soulagement, et moindres sont les rigueurs du feu qu’elles ne seraient.

Après, la Sainte Vierge dit à son Fils : Pourquoi est-ce que cette âme demeure immobile, ne bougeant ni remuant contre ses ennemis, bien qu’elle soit vivante ?

 

Le Juge répondit : Le prophète a écrit de moi que je fus comme un agneau muet devant le tondeur : véritablement, je garde silence devant mes ennemis, et ma justice veut que, comme cette âme se soucia peu de ma mort, elle soit maintenant comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis.

 

P319

 

La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô mon doux Fils, qui ne faites rien sans justice ! Vous avez déjà dit que vos amis pourraient secourir cette âme, et vous savez que cette âme m’a servie en trois manières :

1- par abstinence, jeûnant les vigiles de mes fêtes, et, et le faisant pour mon nom ;

2- elle disait mes heures ;

3- elle chantait de sa propre bouche pour mon honneur. O mon Fils ! puisque vous exaucez ceux qui vous prient en la terre, daignez exaucez aussi ma prière.

 

Le Fils répondit : Plus quelqu’un est ami de quelque seigneur, plus ses prières sont exaucées et le plus tôt ; et d’autant que vous m’êtes la plus chère par-dessus tous , demandez ce que vous voudrez, et il vous sera donné.

 

La Mère répondit : Cette âme souffre trois sortes de peines en la vue, trois en l’ouïe et trois en l’attouchement : je vous supplie donc, ô mon Fils très-cher,

1- de lui vouloir diminuer une peine de la vue, savoir, qu’elle ne voie point les diables horribles, mais qu’elle souffre les deux autres peines, puisque votre justice l’exige de la sorte, et à laquelle je ne puis aller contre, selon la justice de votre miséricorde.

2- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’ouïe, savoir, qu’elle n’entende l’opprobre et la confusion.

3- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’attouchement, savoir, qu’elle ne ressente pas un froid si rigide qu’elle mérite de ressentir, d’autant qu’elle était froide en votre charité.

 

Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, ma Mère très-chère ! Rien ne peut vous être refusé. Que votre volonté soit faite.

 

La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô, mon très-cher Fils, pour l’amour et la miséricorde que vous portez aux âmes !

 

P320

 

Puis, on vit soudain un des saints avec une grande milice, qui disait : Louange vous soit,

Seigneur Dieu, Créateur et Juge de tous ! Cette âme dévote m’a servi en sa vie ; elle a jeûné pour mon honneur ; elle m’a loué, moi et tous les amis qui vous environnent. Partant, de leur part et de la mienne, je vous en supplie, Seigneur, faites-lui miséricorde pour l’amour de nos prières. Donnez-lui le repos en une des peines, savoir, que les démons n’aient point puissance d’obscurcir sa conscience, car leur malice obscurcit tellement son âme, s’ils n’en sont empêchés, qu’elle n’attendrait point la fin de sa misère ni l’acquisition de la gloire, si ce n’est que vous jetiez les yeux de votre grâce sur lui, et cela lui sera le plus grand supplice des supplices. Donnez-lui, ô Seigneur plein de miséricorde, en considération de nos prières, la grâce de savoir certainement que sa peine finira, et qu’il possédera un jour la gloire éternelle.

 

Le Juge répondit : Ma justice veut que les démons obscurcissent son âme, d’autant que, quand elle vivait, elle retirait son esprit et sa pensée de la contemplation spirituelle, les tournait aux choses corporelles, et ne se souciait d’être sans connaissance et d’agir contre moi. Mais d’autant que vous, ô mes amis ! avez ouï et reçu mes paroles et mes inspirations, et les avez accomplies par œuvres, il n’est pas raisonnable que je refuse et rejette vos demandes, mais je ferai ce que vous demanderez.

 

Or, lors tous les saints répondirent : Béni soyez-vous, ô Dieu, en votre justice, qui jugez justement, qui ne laissez rien d’impuni !

 

P321

 

Après, l’ange gardien dit au Juge : J’ai accompagné cette âme des que l’âme fut unie à ce corps, et le suivais comme votre providence charitable l’avait ordonné, et elle faisait quelquefois ma volonté. Partant, je vous en prie maintenant, ô mon Seigneur, ayez miséricorde d’elle.

 

Lors Notre-Seigneur dit : Nous voulons délibérer sur ce sujet.

Et Lors la vision disparut.

 

DÉCLARATION.

 

L’homme dont il est parlé en ce chapitre fut un soldat doux et ami des pauvres. Sa femme fit de grandes aumônes pour l’amour de lui, qui mourut à Rome, comme il avait été prédit d’elle au livre III, chapitre XII.


Chapitre 40.

 

Quatre ans après que sainte Brigitte, épouse, eut eu la susdite vision, où on voyait une âme condamnée à être au purgatoire jusques au jour du jugement, elle vit derechef la même âme être présentée au jugement divin par l’ange, comme à demie revêtue, pour laquelle il priait Notre-Seigneur avec la milice céleste, et laquelle Notre-Seigneur affranchit entièrement des peines, et la transporta en la gloire comme une étoile reluisante, par les prières des anges et des saints, et par les larmes et les prières de ses amis vivants.

 

Pour le jour des morts.

 

Après que quatre ans se furent écoulés, sainte Brigitte vit derechef l’âme susdite comme un jeune enfant très-beau à demi vêtu. Or, lors elle dit au Juge, qui était assis sur un trône éminent, assisté de mille millions des saints, qui tous l’adoraient à raison de sa patience et de son amour : O juge souverain, cette âme, pour laquelle je priais, vous me dites que vous l’affranchiriez. Or, maintenant, nous tous assemblés vous prions et demandons miséricorde pour elle ; et bien que nous sachions que tout est en votre dilection, néanmoins, à raison de votre épouse ici présente, nous parlons d’une manière humaine, bien que cela ne soit en nous de même manière.

 

P322

 

Le Juge répondit : Si un chariot était plein de gerbes et qu’un chacun en prît une poignée, le nombre et le poids diminueraient : de même en est-il maintenant, car plusieurs larmes de charité m’ont été présentées pour cette âme : partant, le jugement veut qu’elle vienne à votre garde ; et vous, apportez-la au repos que l’œil n’a vu, que l’oreille ne peut ouïr, qu’elle-même ne saurait comprendre, si elle était en la chair, là où il n’y a point de ciel au-dessus ni de terre au-dessous, où la hauteur est incompréhensible, la longueur indicible, la largeur admirable et la profondeur incompréhensible ; où Dieu est sur toutes choses au delà et entre toutes choses, régit, contient toutes choses, sans être contenu par aucune.

 

Or, après, on vit que cette âme montait au ciel aussi reluisante que l’éclat d’une étoile.

Et lors le Juge dit : Le temps viendra bientôt où je proférerai mes jugements et ferai ma justice contre la famille de ce défunt, car cette race monte avec superbe, mais elle descendra par la récompense de la superbe.

 

P323

Chapitre 41.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ reprend un roi et les hommes temporels qui attribuent les victoires, non à Dieu, mais à leur industrie et à la grandeur de leur armée, et leur force corporelle, disant : Nous allons à la guerre contre les ennemis, à l’exemple de David contre Goliath, mettant notre espérance en Dieu, avec néanmoins la discrétion humaine, car celui qui a Dieu pour coopérateur, vaincra  très-facilement.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse et lui dit que ce roi est un enfant. Vous le pourrez conjecturer en sa conduite et en son armée innombrable. David, étant pasteur, ne vainquit-il pas le géant ? Mais comment ? Fut-ce par la sagesse et la puissance ? non, certes, mais par la vertu divine, car si Dieu n’eût étonné l’audace du géant et n’eût animé l’esprit de David, comment un enfant aurait-il assailli un géant, et comment une pierre aurait terrassé un si fort et eût touché un si docte et expert, si , en cette pierre, il n’y eût pas eu la vertu de Dieu ? Certainement, celui qui combat avec Dieu vainc facilement, et celui qui s’appuie en la vertu divine n’a pas besoin de tant de force corporelle, mais bien de foi et de charité. Les hommes du monde pensent vaincre par la force corporelle, et mettent l’heureuse issue de leur combat et l’industrie des hommes, et quand ils ont vaincu, ils attribuent plus la victoire à l’industrie des hommes qu’à la vertu divine, bien que ni les bons ni les mauvais ne
puissent être vainqueurs sans la permission divine et sans sa justice, car souvent on voit les bons qui prospèrent sur les mauvais, et quelquefois, par un juste et occulte jugement de Dieu, les mauvais sur les justes ; et d’autant qu’il y a peu d’hommes qui considèrent la patience et la justice de Dieu, à raison de leur grande négligence, c’est pourquoi, c’est pourquoi la vertu divine est peu estimée dans les combats, mais on attribue tout a l’homme comme puissant.

P324

 

Je n’ai pas dit sans sujet que ce roi est un enfant, car quand l’enfant voit deux pommes, l’une toute dorée à l’extérieur, mais très-bonne et fraîche au-dedans, il choisit plutôt celle qui est belle à l’extérieur et corrompue à l’intérieur, d’autant qu’il ne sait considérer que l’extérieur. De même en fait ce roi : il lui est avis qu’il est beau et excellent de marcher avec une grande armée, mais il ne considère pas la misère qui est au-dedans ; il ne considère pas combien de famines, de douleurs et d’angoisses s’ensuivront, et combien de misérables mourants de faim y sont entrés et s’en retourneront plus misérables. Or, il lui semble vil et abject de marcher avec une petite armée, mais une grande utilité y est cachée. Qu’il aille donc avec une petite armée et avec humilité : je remplirai sa conscience de la divine sapience ; je fortifierai son corps de la force divine, car je puis faire d’un infirme un fort, un sublime d’un humble, un honorable d’un abject. Partant, dites-lui qu’il ne craigne point, qu’il mette son espérance en moi, et qu’il fasse ce qu’il pourra avec la sapience divine et la considération humaine : ce qu’il pourra de la sorte, où la sagesse humaine manquera, la charité et la bonne volonté l’excuseront.

P325

 

ADDITION.

 

Le Fils de Dieu parle : Celui qui désire visiter les terres des infidèles, doit avoir cinq choses :

1- il doit décharger sa conscience par la contrition et vraie confession, comme s’il devait mourir soudain.

2- Il doit déposer toutes les légèretés de ses mœurs et de ses vêtements, ne prenant point garde aux modes nouvelles, mais aux modes louables que ses prédécesseurs ont instituées ;

3- ne vouloir avoir autre temporel que ce qui est nécessaire pour vivre et pour l’honneur de Dieu, et que, s’il sait qu’il ait acquis quelque chose d’injuste, lui ou ses parents, qu’il le restitue, bien qu’il soit grand ou petit.

4- Qu’il s’efforce que les infidèles viennent à la vraie foi, ne désirant point leurs richesses ni chevances, si ce n’est ce qui est nécessaire à leur corps.

5- Vouloir franchement mourir pour l’honneur du Dieu, et de la sorte se disposer afin qu’il mérite d’arriver à une mort louable.

 

Chapitre 42.

La Mère de Dieu se loue du soin qu’elle a eu de plaire à Dieu. Elle dit aussi qu’en cela, elle ne cherche pas sa propre louange, mais l’honneur de Dieu. Elle demande à son Fils, pour l’épouse, les vêtements célestes des vertus, la viande sacrée de son corps, et un esprit plus fervent que son Fils donnera, si son épouse a l’humilité, la crainte et l’action de grâce.

 

P326

La Mère de Dieu parle : Dès ma jeunesse, j’ai pensé à l’honneur de mon Fils, et j’ai été toujours soigneuse de lui plaire. Bien que l’honneur soit moindre en la bouche propre, néanmoins, je ne parle pas à la façon du monde, qui cherche sa propre louange, mais je cherche en ceci l’honneur de Dieu, mon Fils, qui a d’une manière admirable attaché le soleil à la poudre ; il a enclos le feu non consumant, mais enflammant en l’aridité ; il a produit le fruit très-digne et très-doux sans humidité.

Après, se tournant vers le Fils, elle dit : Béni soyez-vous, mon Fils ! Je suis quasi comme cette femme qui est exaucée devant Dieu pour les coupables, et demande miséricorde pour les plus faibles : de même je vous prie pour ma fille, car elle est honteuse ; elle est votre épouse, l’âme de laquelle vous avez rachetée de votre sang ; vous l’avez illuminée et échauffée de vos feux d’amour, excitée par votre bonté et épousée par votre miséricorde. Mon Fils, je vous supplie humblement de lui donner trois choses :

1- des vêtements convenables à la fille et à l’épouse du Roi des rois, car si l’épouse du roi n’est point revêtue des vêtements royaux, elle est méprisée ; si elle est trouvée moins décente, elle est en opprobre. Donnez-lui des vêtements non terrestres, mais célestes, non de ceux qui sont reluisants au dehors, mais ceux qui reluisent de charité et de chasteté au-dedans. Donnez-lui l’habitude des vertus, afin qu’elle ne mendie point l’extérieur, et faites qu’elle ait au-dedans l’abondance, afin qu’elle puisse reluire au-dedans par-dessus les autres.

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2- Donnez-lui la viande très-délicate, car votre épouse est accoutumée aux viandes grossières, et maintenant elle est accoutumée à vos viandes, car c’est cette viande qui touche et

N’est point vue ; on la tient et on ne la sent pas ; elle rassasie, et les sens n’en savent rien, elle entre et elle est partout où les hosties sont consacrées. Cette viande est votre précieux corps, que l’agneau rôti préfigurait, car l’humanité que vous avez prise de moi a accompli cela. La Déité avec l’humanité montre que cela est heureusement accompli. Donnez donc, ô mon très-cher Fils, cette viande à votre épouse, car sans elle, elle défaut, et par elle et avec elle, elle est renouvelée comme un malade à toute sorte de biens.

3- Donnez-lui, ô mon Fils, un esprit plus fervent, car il est un feu qui ne s’éteint jamais, qui nous rend vil tout ce qui est délectable en ce monde, et nous fait espérer les joies futures. Donnez-lui donc cet esprit, ô mon Fils !

Lors le Fils répondit, disant : Ma très-chère Mère, vos paroles sont très-douces, mais comme vous savez, il est nécessaire que celui qui cherche les choses sublimes, fasse les fortes et les humbles. Partant, trois choses lui sont nécessaires :

1- l’humilité, par laquelle on obtient la sublimité, afin qu’il sache qu’il a les biens de la grâce, et non de ses mérites ;

2- qu’il rende le service qu’il doit à l’auteur de la grâce ;

3- la crainte qu’il ne perde la grâce donnée. Afin donc qu’il obtienne et possède les trois choses que vous avez demandées ; qu’il ne néglige les trois précédents avis, car il ne lui sert de rien d’avoir obtenu, s’il ne sait posséder ce qu’il a obtenu ; et plus douloureusement afflige d’avoir perdu ce qu’on avait obtenu, que si on ne l’avait jamais possédé.

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Chapitre 43.

 

L’épouse se troublait de ce qu’elle n’obéissait point au Père spirituel avec patience et joie. Jésus-Christ dit que si elle prend la résolution de parfaitement obéir, bien que quelquefois la volonté y résiste, elle a néanmoins, obéissant de la sorte, un grand mérite, et les péchés passés en sont purifiés. Notre-Seigneur donne aussi les armes spirituelles du combat, c’est-à-dire, les vertus par lesquelles les justes combattent et surmontent, et les injustes sont terrassés et vaincus.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous ? Et bien que je sache toutes choses, néanmoins je le veux comme connaître par votre dire, afin que vous sachiez aussi qu’est-ce que je vous réponds.

L’épouse répondit : Je crains deux choses et me trouble de deux choses : 1- d’autant que je suis trop impatiente à obéir et moins joyeuse à pâtir ; 2- que vos amis sont assaillis de tribulations et que vos ennemis les surmontent.

Notre-Seigneur répondit : Je suis celui à qui vous vous êtes donnée pour obéir, et partant, à toute heure et à chaque moment que vous consentez à obéir et que vous voulez obéir, bien que la chair y résiste, il vous sera imputé à mérite et à purification de vos péchés. Au deuxième, savoir, que vous vous troublez de la contrariété de mes amis, je réponds par un exemple. Deux hommes combattent, l’un deux jette ses armes et l’autre s’en munit. Celui qui a jeté ses armes ne sera-t-il pas vaincu plus facilement que celui qui les amasse ?

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Il en est de même maintenant, car mes ennemis jettent leurs armes tous les jours.
Trois sortes d’armes sont nécessaires pour combattre :

la première est ce qui porte l’homme, comme un cheval, etc.

La deuxième, ce par quoi l’homme se défend, comme le glaive, etc.

La troisième, ce qui munit le corps, comme la cuirasse, etc.

 

Mais mes ennemis ont perdu, en premier lieu, le cheval de l’obéissance, par lequel ils étaient portés à toute sorte de biens, car c’est celle-là qui conserve l’amitié avec Dieu et garde à Dieu la foi promise. Ils ont encore jeté le glaive de la crainte divine, par lequel le corps est retiré des voluptés, et le diable se sépare de l’âme et n’ose s’en approcher. Ils ont encore perdu la cuirasse, qui les défendait des dards, c’est-à-dire, ils ont perdu la divine charité, qui réjouit dans les choses adverses, protége dans les prospères, purifie dans les tentations et adoucit les douleurs. Leur cuirasse, qui est la sagesse divine, croupit dans la boue. Les armes du col, c’est-à-dire, les pensées divines, sont aussi tombées, car comme par le col la tête est mue, de même, par les divines pensées, l’esprit doit prendre mouvement à tout ce qui concerne la gloire divine. Mais hélas ! les divines pensées sont maintenant tombées, c’est pourquoi la tête est maintenant gisante avec les infirmes et est agitée des vents. Les armes aussi de sa poitrine sont oubliées et négligées, c’est-à-dire, la contrition avec la résolution  de s’amender n’est plus. Ils se réjouissent dans leurs péchés, et désirent être plongés en eux tant qu’ils vivent. Les armes de leurs bras, c’est-à-dire, les bonnes œuvres leur sont vaines et odieuses, car ils font audacieusement ce qu’ils veulent, et n’en ont point de honte.

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Mais mes chers amis se munissent de plus en plus des armes, car ils courent sur le cheval de l’obéissance, comme de fidèles serviteurs, laissant l’empire de leurs volontés à Dieu. Ils combattent contre les vices en la crainte de Dieu, comme de bons soldats. Ils souffrent avec amour toutes les rencontres fâcheuses, comme de généreux combattants, attendant le secours de Dieu, se munissent de la sapience divine et de la patience contre les médisants et criminateurs, comme ceux qui se sont retirés et éloignés du monde. Ils sont prompts et agiles aux choses divines, comme l’air qui va partout. Ils sont fervents vers Dieu plus que l’épouse aux embrassements de son cher époux. Ils sont prompts comme des cerfs, et forts pour fouler aux pieds toutes les délectations du monde, soigneux au travail comme des fourmis, vigilants comme des sentinelles.

Tels sont mes amis, et ils se munissent chaque jour des armes des vertus, lesquelles les ennemis méprisent, et partant, ils sont vaincus facilement. Donc, le combat spirituel qui est avec patience et amour divin, est plus noble et plus éminent que le combat corporel, et plus odieux au diable, car le diable ne s’efforce point d’ôter les choses corporelles, mais bien de corrompre les vertus, et de ravir la patience et la constance ès vertus. Partant, ne vous troublez pas, si quelques choses contraires assaillent mes amis, car il leur revient de là de grandes récompenses.

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Chapitre 44.

Notre-Seigneur dit à son épouse qu’il est semblable au vitrier qui replace les vitres cassées, c’est-à-dire, les âmes, jusqu’à ce que le royaume céleste soit plein. Il se dit aussi semblable à l’abeille, qui  convertit en miel les herbes, c’est-à-dire, qu’il convertit les païens, desquels il tirera de grandes douceurs, c’est-à-dire, plusieurs âmes.

 

Je suis comme un bon vitrier qui fait de cendres plusieurs vases ; et bien que plusieurs se gâtent, il ne cesse pas pourtant d’en faire de nouveaux, jusques à ce que le nombre des vases soit rempli. J’en fais de même, d’autant que, d’une infime matière, je fais une créature excellente, savoir, l’homme ; et bien que plusieurs se soient retirés de moi par leurs mauvaises œuvres, je ne cesse pas pourtant d’en former d’autres, jusqu’à ce que le chœur des anges et les lieux vides du ciel soient remplis.

Je suis aussi semblable à une bonne mouche à miel qui, sortant de sa ruche, vole sur les belles herbes qu’elle a vues de loin, sur lesquelles elle cherche les belles et odoriférantes fleurs ; mais quand elle s’en approche, elle les trouve sèches et trouve l’odeur évaporée. Mais après cela, elle cherche une nouvelle herbe plus âpre, dont la fleur est plus petite, dont l’odeur n’est pas trop forte, dont la suavité est plaisante, mais elle est petite. La mouche à miel fiche son pied en cette herbe, en tire de la liqueur, et la porte à sa ruche jusqu’à ce qu’elle l’ait emplie.

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Or, je suis cette mouche à miel, moi, Créateur et Seigneur de toutes choses, qui sortis de la ruche, lorsqu’étant né, j’apparus en forme humaine visible. Or, je cherchai une herbe fort belle, c’est-à-dire, le genre humain, qui est beau par la foi, doux par la charité et fructueux par la bonne conversation ; mais maintenant, il dégénère et déchoit de son premier effet, semble seulement beau de nom, mais paraît difforme d’effet, fructueux pour le monde et pour la chair, et stérile à Dieu et à l’âme, très-doux pour soi et très-amer à moi, c’est pourquoi il tombe et s’anéantit. Or, moi, je suis comme une mouche à miel, qui élis une autre herbe en quelque manière âpre, c’est-à-dire, les païens rebutés de moi par leurs mœurs, quelques-uns desquels ont des fleurs petites et quelque peu de douceur, c’est-à-dire, la volonté par laquelle ils se convertiraient franchement et me serviraient, s’ils savaient comment et s’ils avaient qui les ouît. De cette herbe j’en tirerai autant de douceur que j’en aurai besoin pour remplir ma ruche, et je ne veux autant approcher d’eux qu’il ne leur manquera point de suavité, afin que la mouche à miel ne soit frustrée de son travail ; et ce qui est vil et abject croîtra à merveille et parviendra à une grande beauté, mais ce qui semble beau diminuera et se rendra laid et difforme.

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Chapitre 45.

 

Jésus-Christ dit à sa Mère que les hommes aveugles d’esprit peuvent recouvrer la vue, de sorte qu’ils pourront voir Dieu et l’aimer par-dessus tout en trois choses : en la considération de la justice temporelle, de la bonté, savoir, par la beauté des créatures, et de la toute-puissance et sapience. Or, tous ceux qui croient que le mal et le bien viennent des constellations des astres, se trompent.

 

La Sainte Vierge Marie parle : Béni soyez-vous, ô mon Fils, mon Dieu et mon Seigneur ! Bien que je ne puisse m’attrister, néanmoins, j’ai compassion du genre humain, de trois choses :

1- d’autant que l’homme a des yeux et est aveugle, car il voit sa captivité et la suit ; il se moque de votre justice, et il rit quand il satisfait à sa cupidité ; il tombe en un point dans les peines éternelles, et il perd la gloire qui n’a point de fin.

2- J’ai compassion de l’homme, d’autant qu’il affecte et regarde avec joie la monde, ne considère point votre miséricorde, cherche ce qui est petit et rejette tout ce qui est grand.

3- Je compatis, d’autant que vous étant Dieu de tous, néanmoins votre honneur est oublié et négligé de tous, et vos œuvres sont mortes devant eux : partant, ô mon Fils très-doux, ayez miséricorde d’eux.

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Le Fils répondit : Tous ceux qui sont au monde et qui sont de bonne conscience voient qu’au monde la justice règne, par laquelle les pécheurs sont punis. Si donc les excès corporels sont punis des hommes par la justice, combien plus il est juste que l’âme immortelle soit punie de Dieu immortel ! L’homme pourrait voir et entendre ceci, s’il voulait ; mais d’autant qu’il tourne ses yeux vers le monde et ses affections à ses voluptés, c’est pourquoi il suit la nuit, comme l’homme suit les biens fugitifs et a à haine les biens permanents.

En second lieu, l’homme peut voir et considérer, s’il veut, que, s’il y a de la beauté dans les plantes, les arbres ; que si, en ce qui est au monde, il y a quelque chose désirable, combien plus Dieu est beau et désirable, le Seigneur et Créateur de toutes choses ! Que si la gloire temporelle, passagère et périssable, est désirée avec tant d’ardeur, combien plus est désirable la gloire éternelle ! Cet homme pourrait voir cela, car il a bien l’intelligence pour comprendre que ce qui est plus grand et plus excellent doit être plus aime que ce qui est moindre et ce qui ne vaut guère. Mais d’autant que l’homme penche toujours aux choses inférieures, comme les animaux irraisonnables, bien qu’il doive tendre et regarder toujours en haut, c’est pourquoi toutes ses œuvres sont comparées à la toile d’araignée. Il laisse la beauté des anges ; il suit les choses passagères, c’est pourquoi il fleurit comme le foin pour peu de temps, et tombe aussi bientôt comme le foin.

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En troisième lieu, ils savent en conscience, et certes, ils ont créé afin de connaître qu’il y a un Dieu, créateur de toutes choses, car s’il n’y avait pas un  créateur d’icelles, tout ce qui est réglé serait en désordre, quoique toutes choses soient bien réglées, excepté celles que l’homme déréglé ; et bien qu’il semble aux hommes qu’en l’ordre de la nature, il y a du dérèglement, d’autant qu’il ignore le cours des planètes et le cours du temps, d’autant que Dieu les leur a  cachés à raison des péchés. Si donc, il y a un seul Dieu, et celui-là bon, d’autant que tout bien dépend de lui, pourquoi l’homme ne l’honore-t-il pas par-dessus tous, puisque la raison lui dicte qu’il doit être honoré par-dessus tous, puisque tout dépend de lui ? Mais l’homme, comme vous avez dit, a deux yeux, et il ne voit rien, voire lui-même s’aveugle par les blasphèmes malheureux, d’autant qu’il rapporte aux étoiles la bonté ou le malheur des hommes, ou bien au destin et à la fortune, l’évènement des choses prospères ou adverses, comme si en eux, il y avait quelque chose de divin qui pût engendrer ou faire quelque chose, bien que le destin ou la fortune ne soit rien pour tout, car la disposition de l’homme et de toutes choses a été prévue en la prescience divine, et est conduite constamment selon l’exigence de chaque chose ; certainement les étoiles ne font pas que l’homme soit bon ou mauvais, bien qu’on voie en icelles plusieurs choses raisonnables, savoir est, selon les conditions et qualités de la nature et l’exigence des saisons. Les hommes pourraient-ils, s’ils voulaient, prévoir ces choses ?

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La Mère de Dieu répondit : Tout homme qui a bonne conscience entend fort bien que Dieu est plus aimable que toute autre chose, et qu’il doit témoigner cela par œuvres ; mais d’autant qu’une membrane a couvert ses yeux, bien que la paupière soit saine, c’est pourquoi ils n’y voient pas tous. Mais qu’est-ce que cette membrane signifie, sinon la considération des choses futures, qui a couvert la connaissance de plusieurs.

 

Partant, je vous supplie, ô mon très-cher Fils, de vouloir manifester à quelqu’un quelle est votre justice, non pas afin que sa honte et sa misère s’accroissent, mais afin que la peine qu’il mérite soit diminuée, et afin qu’on connaisse et qu’on craigne votre justice ; car là où le sac est plein de quelque chose, et où le vase est plein de lait, l’homme ne saura ce qui y est contenu, s’il ne le vide, de même, bien que votre justice soit grande, si vous ne la manifestez  par un manifeste jugement, elle sera crainte de peu, d’autant que vos œuvres admirables se sont avilies par la longueur du temps et par la grandeur des péchés.

En deuxième lieu, je vous supplie qu’il vous plaise manifester votre miséricorde par quelqu’un de vos chéris pour la dévotion des autres et pour la consolation des misérables.

En troisième lieu, je vous supplie que votre nom soit honoré, afin que les diligents le connaissent et que les tièdes en soient allumés.

Le Fils répondit : Où plusieurs amis entrent et prient, ils sont dignes d’être exaucés : combien plus quand une très-chère dame entre ! Qu’il soit donc fait comme vous désirez. Ma justice sera si évidemment manifestée, que les membres de ceux qui l’expérimenteront, et desquels les œuvres viendront en public, trembleront.

En deuxième lieu, je donnerai à une personne miséricorde, autant qu’elle en pourra prendre et qu’elle en aura besoin ; son corps sera exalté et son âme glorifiée, en sorte que ma miséricorde en sera manifestée.

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Après, la Mère de Dieu parla, disant : Les lieux des religieux sont éloignés du bien ; ils sont fondés sur la glace ; leur fondement était autrement d’or très-pur. Dessous ces lieux, il y a une cave très vaste. Quand la chaleur du soleil sera en vigueur, la glace fondra, et ce qui a été édifié tombera dans l’abîme. Partant, ô mon Fils, ayez miséricorde d’eux. La chute est horrible ; les ténèbres et les peines y sont sans fin.

 

Chapitre 46.

Sainte Brigitte prie la Sainte Vierge d’obtenir de Dieu son parfait amour. Elle lui répondit : Pour l’obtenir, qu’elle suive six paroles de l’Évangile contenues en ce chapitre.

 

Sainte Brigitte prie la Sainte Vierge disant : Oh ! que Dieu est doux ! Ceux qui le prient ressentent de la consolation en toutes leurs douleurs. Partant, ô très-bénigne Mère, je vous supplie d’arracher de mon cœur toutes les affections des choses du monde, en sorte que votre très-cher Fils soir mon très-cher et bien-aimé jusques à la mort.

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La Mère répondit : D’autant que vous désirez avoir chèrement mon Fils, suivez les paroles que lui-même a proférées en l’Évangile : Matthieu 18. V. 21
1
- Ce que j’ai dit au riche : Vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez-moi.
2
- Ne soyez point soigneux du lendemain.
3-
Voyez comme les passereaux sont repus : combien plus le Père céleste repaîtra les hommes !

4- Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.
5
- Cherchez en premier lieu le royaume de Dieu.
6
-  Vous tous qui avez faim, venez à moi, et je vous réfectionnerai.

 

Certainement, celui-là semble vendre tout, qui ne se conserve que la substance nécessaire pour la nourriture de son corps, et distribue le reste aux pauvres pour l’honneur de Dieu, et non pour l’honneur du monde, à l’intention d’avoir l’amitié avec Dieu, comme il apparaît en  saint Grégoire, et en autres rois et princes qui ont été aimés de Dieu, bien qu’ils eussent des richesses et en donnassent aux autres, comme ceux qui ont laissé toutes choses tout d’un coup pour servir Dieu, mendiant après les autres ; car ceux qui ont eu les richesses seulement pour l’honneur de Dieu, s’en fussent librement privés, si la volonté de Dieu eût été telle. Or, les autres ont embrassé une autre sorte de pauvreté, laquelle ils désiraient pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi à tout homme qui a des biens justement acquis, ou bien des pensions, il est permis d’en recevoir les fruits pour son entretien, pour sa famille et pour la gloire de  Dieu, et qu’il donne le superflu aux amis de Dieu. En deuxième lieu, il ne doit se soucier du lendemain, car bien que vous n’ayez que le corps nu, espérez en Dieu, et celui qui nourrit les passereaux vous nourrira, puisqu’il vous a rachetée de son sang.

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Je lui répondis : O Dame très-chère, qui êtes belle, riche et vertueuse : belle, d’autant que vous n’avez jamais péché ; riche, d’autant que vous êtes très-aimée de Dieu ; vertueuse, d’autant que vous êtes parfaite en toutes vos œuvres : partant, oyez-moi, ô ma Dame, moi qui suis riche de péchés et pauvre de vertus. Nous avons ce jourd’hui le vivre et ce qui nous est nécessaire ; demain nous ne manquerons. Comment donc pourrions-nous être sans soins, quand nous n’avons rien ? car bien que l’âme ait ses consolations de Dieu, l’autre néanmoins, qui est le corps, désire et appète sa vie.

La Sainte Vierge répondit : Si vous avez quelque chose de superflu et dont vous vous puissiez passer, vendez ou engagez-le, et vivez sans soins.

Je lui répondis : Nous avons des vêtements dont nous nous servons la nuit et le jour, et peu de vaisselle pour notre table. Le prêtre a trois livres, et avons pour la messe un calice et les autres ornements.

La Sainte Vierge repartit : Le prêtre ne doit pas être sans livres, ni vous sans messes, ni on ne doit dire la messe sans ornements très-purs. Votre corps ne doit point être nu, mais revêtu pour les hontes et pour éviter le froid, partant, vous avez besoin de toutes ces choses.

Sainte Brigitte répondit : Ne dois-je pas emprunter de l’argent pour quelque temps ?

La Mère répondit : Si vous êtes assurée de la rendre à temps fixe, empruntez-en, et non autrement, car il vous profite beaucoup plus de ne manger de tout un jour que d’exposer votre foi à l’incertitude.

Et moi, je lui dis : Ne dois-je pas travailler pour gagner ma vie ?

La Mère lui repartit : Qu’est-ce que vous faites tous les jours et maintenant ?

J’apprends la grammaire, j’écris et je prie.

Lors la Mère dit : Il ne faut laisser tel travail corporel.

Et moi, je lui dis : Et qu’aurons-nous pour vivre demain ?

La Mère dit : Demandez-en au nom de Jésus, si vous n’avez autre chose.

 

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Chapitre 47.

La Mère de Dieu  dit de l’homme qui parle de Dieu, que, s’il est méprisé et moqué à raison de cela et qu’il prenne patience, son âme est alors rendue belle. Celui qui afflige son corps pour l’honneur de Dieu, ressentira les divines douceurs et sera enrichi des faveurs divines. Si l’on médit de lui et qu’il ne porte point de haine, son âme sera revêtue de vêtements précieux et agréables à Dieu. Les amis de Dieu s’affligent afin d’attirer les âmes.

La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Ne vous troublez pas, s’il vous faut parler de Dieu à ceux qui ne vous entendent pas franchement, car quiconque est confus et le supporte franchement pour l’amour de Dieu, cela rendra belle son âme, d’autant que l’âme de l’homme qui entend la détraction faite contre soi, et néanmoins ne hait point le médisant, est ornée comme de vêtements très-riches, de sorte que l’Époux, qui est un Dieu en trois personnes, désire que cette âme soit plongée dans les dilections éternelles de la Déité.

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Que les amis de Dieu donc tâchent avec peine de convertir ceux qui aiment mieux les cupidités et l’orgueil que Dieu, car ils gisent comme sous une montagne, voilà pourquoi il faut tâcher de les arracher aux dépends mêmes de leur vie ; car comme celui qui voit ses frères gisants sur la pente d’une montagne, souvent frappe la montagne pour en arracher des pierres, quelquefois les coupe doucement, afin que, tombant au-dessous, elles ne se brisent, quelquefois frappe plus fort, afin qu’il se retire du danger, de même les amis de Dieu travaillent, afin que les âmes soient sauvées. Partant, comme il y en a peu qui aient eu la foi droite quand mon Fils monta au ciel, de même maintenant ceux qui accomplissent ce commandement : Vous aimerez Dieu sur toutes choses et le prochain comme vous-mêmes, c’est-à-dire, les amis de Dieu vont maintenant à la conversion des chrétiens, qui autrefois allaient aux païens ; car comme il est impossible que ceux-là puissent obtenir le ciel, qui, ayant reçu la foi, ne l’ont point gardée, de même il est impossible que les chrétiens qui meurent sans charité jouissent de la gloire.


Chapitre 48.

 

Jésus-Christ se compare à un médecin. Des médecines et des malades.

 

Notre-Seigneur Jésus parle à son épouse : Je suis comme un bon médecin, auquel courent tous ceux qui savent que sa potion est douce. Or, ceux qui goûtent la douceur de sa médecine, considérant qu’elle est salutaire, soudain vont à la maison de l’apothicaire ; mais ceux qui la trouvent aigre, s’en retirent.

Il en est de même de la médecine spirituelle, qui est le Saint-Esprit, car l’Esprit de Dieu est doux au goût, affermit tous les membres et s’écoule dans le cœur, afin de le réjouir et de le fortifier contre les tentations.

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Moi, Dieu, je suis ce médecin, qui suis prêt à donner ce breuvage à tous ceux qui le désirent avec amour. Or, celui-là est sain et propre à le recevoir qui n’a pas volonté de croupir dans le péché ; mais ayant goûté une fois cette divine potion, il s’y plaît  toujours ; au contraire, ceux qui ont désir de demeurer dans le péché, ne se plaisent point à avoir l’Esprit de Dieu.

 

Chapitre 49.

 

La Mère de Dieu montre qu’elle a été conçue sans péché.

 

La Mère de Dieu parle : Si quelqu’un, voulant jeûner, avait le désir de manger, mais que la volonté résistât au désir, que le supérieur à qui il doit obéir lui commandât de manger, et qu’il mangeât par obéissance, manger serait alors de plus grand mérite que le jeûne : de même manière arriva en la conjonction de mes parents, quand je fus conçue. La vérité est que je fus conçue sans péché originel, car comme il n’y a que mon Fils et moi qui n’ayons péché, aussi il n’y a pas eu de mariage plus honnête que celui de mes parents.

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Chapitre 50.

 

La Vierge Marie dit à l’épouse qu’il n’y a rien qui plaise tant à Dieu que d’être aimé des hommes, et le montre par un exemple d’une femme païenne qui aima fort son Créateur.

 

La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, lui disant qu’il n’y a rien qui plaise tant à Dieu que quand l’homme l’aime sur toutes choses. Je vous en donnerai une similitude d’une femme païenne : ne sachant rien de la foi catholique, elle s’entretenait en ces pensées : Je sais de quelle manière je suis, et je connais mes parents. Je crois aussi qu’il est impossible que j’eusse le corps, les membres, les entrailles, les sens, si quelqu’un ne me les eût donnés ; et partant, il y a quelque Créateur qui m’a faite une si belle créature, et non une créature difforme, comme les vermisseaux et les serpents. Il me semble aussi que, bien que j’eusse plusieurs maris, et que, si tous m’appelaient, je courrais plutôt à mon Créateur qui m’appelle qu’aux voix de tous ceux-là. J’ai aussi plusieurs fils et filles : néanmoins, si j’avais de la viande en ma main et savais que mon Créateur en désire, je l’ôterais franchement à mes enfants et la présenterais à mon Créateur. J’ai aussi plusieurs possessions dont je dispose selon mes vouloirs : si je savais néanmoins que la volonté de mon Créateur est autre, je les laisserais, renonçant à ma volonté, et en disposerais à l’honneur de mon Créateur.

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Mais voyez, ma fille, ce que Dieu a fait avec cette femme païenne, car il lui a envoyé un de ses amis qui l’a instruite en la foi sainte, et Dieu a visité son cœur de lui-même, comme vous le pourrez entendre des paroles de la susdite femme, car quand cet homme de Dieu lui prêchait qu’il y avait un seul Dieu sans commencement et sans fin, créateur de toutes choses, elle lui dit : Il est bien croyable que celui qui m’a créée et qui a créé toutes choses, n’a pas par-dessus soi de créateur, et il est vraisemblable que sa vie est éternelle, puisqu’il m’a pu donner la vie.

Mais quand cette femme ouït que le même Créateur avait pris l’humanité d’une Vierge, qu’il avait prêché lui-même, elle dit : Il est bien fait de croire que Dieu fait de bonnes œuvres. Mais vous, ô mon ami ! dites-moi quelles furent les paroles qui furent proférées de la bouche du Créateur, car je veux renoncer à ma volonté et lui obéir selon qu’il a parlé.

Or, l’ami de Dieu prêchant et lui parlant de la passion, de la croix et de la résurrection, la femme, ayant les larmes aux yeux, lui dit : Béni soit Dieu qui a manifesté son amour en la terre tel qu’il l’avait au ciel ! Partant, comme je l’aimais auparavant, je suis maintenant obligée de l’aimer comme voie droite et comme Rédempteur, me rachetant de son propre sang. Je suis encore obligée de l’aimer de toutes mes forces et de le servir de tous mes membres. D’ailleurs, je suis obligée d’arracher de moi tous les désirs que j’ai eus en mes passions, fils et parents, et seulement aimer et désirer mon Créateur en la gloire et en la vie qui ne finissent jamais.

La Mère de Dieu dit : Voyez, ma fille, que cette femme a eu une grande récompense, à raison de la dilection : de même la récompense est donnée à un chacun selon qu’il aime Dieu pendant qu’il vit au monde.

 

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Chapitre 51.

Il est traité d’une doctrine fort utile contre les ennemis de l’âme, et contre les envieux qui désirent aux hommes la confusion, le dommage et la vie courte.

Cet homme que vous reconnaissez a trois ennemis : le premier est auprès de lui ; il est là où il est ; il dort et veille avec lui, et il ne le voit point. Le deuxième lui est familier, il est près de lui quand il veille, et il ne l’oit point. Le troisième ne lui est pas familier ; il ne le connaît pas, et celui-ci le hait.

Le premier ennemi est le diable, qui le tente de superbe, de cupidité, et de plusieurs autres choses ne plusieurs manières. Contre cet ennemi, il doit se munir d’un fouet, pensant : O diable, vous ne donnez rien de bon : pourquoi me rendrai-je superbe ? Vous me cherchez aussi pour me perdre, et Jésus-Christ me donne la vie. Partant, il est raisonnable que je fuie ta volonté et que je suive la volonté de Dieu et ses préceptes. Partant, quiconque veille ou dort avec une telle intention, menace de son fouet le diable, qui, en étant épouvanté, s’enfuit.

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Le deuxième ennemi, ce sont ses familiers et ses serviteurs qui lui disent : Vous encourez de grands dommages, si vous êtes trop juste ; vous pourrez faire votre profit en dissimulant plusieurs choses ; si vous êtes trop humble, vous serez méprisé : c’est pourquoi amassez des richesses, et faites-nous riches tous ; désirez les honneurs du monde, et nous nous réjouirons avec vous. Cet ennemi se fait ouïr tous les jours, et partant, il faut édifier un grand mur contre cet ennemi, afin qu’on ne l’entende : ce mur est la bonne volonté, savoir, qu’il désire embrasser plutôt la pauvreté avec la justice que les richesses avec l’injustice, et plutôt avoir la confusion avec l’humilité que l’honneur avec la superbe, et qu’il réponde à son ennemi, mauvais conseiller : Si je fais contre Dieu, priez et avertissez-moi, car lors je me réjouirai plutôt que je ne m’en attristerai. Qu’on mette donc entre l’ennemi et lui un tel mur, de sorte que le vent de ses paroles flatteuses frappe contre le mur, et non contre le cœur, afin qu’il ne s’éloigne de l’amour divin.

Le troisième ennemi est celui qu’il ne connaît pas. Ceux-là désirent sa honte et confusion, son dommage et sa vie très-courte, afin qu’ils jouissent des prospérités et obtiennent ses richesses. Partant, qu’il ait contre cet ennemi une corde forte, c’est-à-dire, l’amour de Dieu et du prochain, désirant souffrir tout ce que Dieu veut qu’il pâtisse, ne voulant endommager personne ; et lors l’opprobre et la confusion que ses ennemis voulaient jeter en son front, lui réussira à honneur, le dommage à utilité, la vie courte à longs jours, et l’ennemi est tellement lié qu’il ne peut plus nuire.

 

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Chapitre 52.


L’épouse admire et se répute indigne devant Jésus-Christ de la grâce qu’elle a de voir et d’ouïr en esprit ce qui se fait au ciel, en purgatoire et en enfer, et plusieurs autres choses excellentes qui sont  déclarées en ce chapitre.

 

Louange vous soit, ô mon Dieu ! pour toutes les choses créées, dit sainte Brigitte, et honneur pour toutes vos vertus ! Que tous vous servent pour l’amour que vous leur portez. Moi, indigne et pécheresse dès ma jeunesse, je vous rends grâces, ô mon Dieu, d’autant que vous ne refusez la grâce à ceux qui vous la demandent, quoique pécheurs, mais vous leur faites miséricorde et pardon, ô Dieu très-doux ! Ce que vous faites avec moi est admirable : quand il vous plaît, vous endormez mon cœur d’un sommeil spirituel, et excitez et relevez mon âme pour voir, ouïr et sentir les choses spirituelles. O mon Dieu, que vos paroles sont douces à mon âme ! Elle les avale comme une douce liqueur, et elles entrent dans mon cœur avec grande joie, car quand j’entends vos paroles, je suis rassasiée, et même je suis famélique : rassasiée, d’autant qu’il n’y a rien qui me plaise que vos paroles ; famélique, d’autant que je désire de les ouïr avec ferveur. Partant, ô mon Dieu ! donnez-moi la grâce de faire toujours votre volonté.

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Jésus-Christ répondit : Je suis sans commencement et sans fin, et tout ce qui est créé par ma puissance, disposé par ma sagesse et gouverné par mon jugement ; toutes mes œuvres sont aussi rangées par la charité : partant, rien ne m’est impossible. Mais ce cœur est trop dur, qui ne n’aime ni ne me craint, bien que je sois gouverneur et juge de toutes choses, mais fait plutôt la volonté du diable, qui est son bourreau, qui donne à boire largement le venin par le monde, qui ne peut donner la vie aux âmes, mais bien la mort de l’enfer. Ce venin est la péché, qui est doux au goût, bien qu’amer à l’âme, et tous les jours, il est répandu par les mains du diable sur plusieurs. Mais qui a ouï de telles choses, que la vie soit offerte aux hommes et qu’ils choisissent la mort ? Néanmoins, moi, Dieu de tous, je suis patient et je compatis à leurs misères. Je fais certainement comme le roi qui, envoyant du vin à ses serviteurs, leur dit : Buvez-en en quantité, car il est bon et salutaire : il donne aux malades la santé, aux tristes la joie, un cœur généreux à ceux qui se portent bien, et ce vin n’est envoyé que dans les grappes mêmes. De même j’envoyai mes paroles, qui sont comparées au vin, à mes serviteurs, par vous, qui êtes mon vase. Certainement, mon Saint-Esprit vous enseignera où il vous faut aller et ce qu’il vous faut dire : c’est pourquoi parlez courageusement, et faites sans crainte ce que je vous commande, car pas un ne me surmontera.

Lors je lui répondis : O Roi de toute gloire et celui qui verse la sagesse et qui donne toutes les vertus, pourquoi m’employez-vous à un tel office, moi qui ai consommé ma jeunesse en péchés ? Je suis certainement comme un âne insensé, et suis défectueuse en toute sorte de vertus. J’ai manqué en tout, et ne me suis amendée en rien.

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Le Saint-Esprit répondit : Qui serait étonné si quelque seigneur faisait de la monnaie ou du métal qu’on lui offrirait, des couronnes, des anneaux, ou des coupes pour son usage ? De même, il n’est pas de merveilles si je choisis et reçois les cœurs de mes amis qui me sont offerts, et si je fais en eux ma volonté. Et d’autant que l’un a plus petit entendement que l’autre, de même je me sers de la conscience et de l’esprit d’un chacun, selon que je vois expédient pour mon honneur, car le cœur du juste, c’est ma monnaie : c’est pourquoi soyez prompte et constante à faire mes volontés.

Ensuite la Mère de Dieu me parla : Qu’est-ce que les femmes superbes disent en votre royaume ?

Je suis une d’icelles, c’est pourquoi je suis confuse de parler en votre présence.

Et la Mère de Dieu dit : Bien que je sache cela mieux que vous, néanmoins je le veux ouïr de votre bouche.

Quand on nous prêchait l’humilité vraie, nous disions que nos parents possédaient des possessions très-amples et de mœurs très-excellentes. Pourquoi ne les imiterons-nous donc ? Notre mère allait de pair avec les premiers ; elle était excellemment et noblement vêtue, et avait plusieurs serviteurs ; elle nous a élevés avec honneur : pourquoi mes filles ne doivent-elles hériter de telles choses, auxquelles j’appris de se comporter noblement et de vivre avec joie corporelle ? Je leur ai enseigné de mourir avec de grandes dignités.

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La Mère de Dieu dit : Toute femme qui suit cette route et ces discours par œuvres, va par une voie droite dans l’enfer ; et partant, une telle réponse est dure et amère, car que profite tout cela, puisque le Créateur de toutes choses n’a jamais porté une robe superbe, tant qu’il a demeuré en terre ? Certainement, telles femmes ne considèrent point la face de Jésus, quelle elle était en la croix, sanglante et pâle de peines et de tourments, et ne soucient point des opprobres qu’il a ouïs, ni de la mort ignominieuse qu’il a choisie et soufferte pour nous, ni ne se souviennent point du lieu où il a rendu l’esprit ; car là où les larrons reçurent les supplices qu’ils méritaient, c’est là que mon Fils a été crucifié ; et moi, la plus chère de toutes les créatures, et qui suis la vraie humilité, j’assistai là. Et partant, ceux qui se gouvernent superbement et pompeusement, et donnent aux autres sujets de les imiter, sont semblables à un aspersoir qui, étant plongé dans une liqueur ardente, brûle et tache tous ceux qui en sont aspergés : de même quand les superbes donnent sujet de mauvais exemple et de mauvaise édification, ils brûlent les âmes ; et partant, je veux faire maintenant comme une bonne mère qui, déterrant ses enfants, leur montre les verges, lesquelles les serviteurs voient aussi ; mais les enfants, les voyant, craignent d’offenser la mère, la remerciant de les avoir menacés pour éviter les coups. Mais les serviteurs craignent d’être fouettés, s’ils manquent, et de la sorte, par cette crainte, les enfants font plusieurs biens, et les serviteurs moins de mal qu’ils ne faisaient.

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Partant, d’autant que je suis Mère de miséricorde, je veux vous montrer la peine du péché, afin que les amis de Dieu soient fervents de l’amour de Dieu, et les pécheurs, sachant de danger, fuient pour le moins le péché par la crainte ; et de la sorte, je fais miséricorde aux bons, afin qu’ils obtiennent une plus grande couronne au ciel, et au mauvais, afin qu’ils endurent moins de peines, et il n’y a pas pécheur si grand que je ne sois toute prête à lui aller au-devant et que mon Fils ne soit disposé à lui donner la grâce, s’il demande miséricorde avec amour.

Et après cela apparurent trois femmes : la mère, la fille et la nièce ; mais la mère et la nièce apparurent mortes, et la fille apparut vive. Or, la susdite mère apparaissait morte, semblait ramper par terre dans un lieu fort obscur et boueux, le cœur de laquelle semblait arraché, et les lèvres semblaient coupées. Le menton tremblait, et les dents, blanches et longues, grinçaient en la bouche. Les narines étaient rongées, et ses yeux arrachés pendaient aux joues avec deux nerfs. Son front semblait creux et avalé, et au lieu du front était un grand et ténébreux abîme. En la tête, il n’y avait point de crâne, et son cerveau bouillait comme du plomb fondu et de la poix échauffée. Son col était aussi secoué comme un bois qui tourne autour, lequel un fer très-aigu coupé sans cesse. Sa poitrine ouverte était pleine de vermisseaux longs qui grouillaient l’un sur l’autre, et ses bras ressemblaient à un manche d’un tailleur de pierres ; ses mains étaient comme des clous à nœuds et longs, et toutes les jointures étaient désemboitées, de sorte que quand l’une montait, l’autre descendait sans cesse. Un serpent long et grand était du plus haut de l’estomac jusques en bas, qui, baissait sa tête avec la queue envenimait ses entrailles, et tournait incessamment comme une roue. Ses cuisses et ses jambes ressemblaient à deux bâtons épineux pleins de pointes très-aiguës. Ses pieds étaient comme des pieds de crapauds.

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Lors cette mère, qui était comme morte, parlait à sa fille qui était vivante, lui disant : Oyez, lézarde et fille pleine de venin. Malheur à moi que j’aie été votre mère ! Je suis celle qui vous ai mise au nid de superbe, où vous croissiez, y étant échauffée, jusqu’à ce que vous avez atteint l’âge ; et elle vous a tellement plu que vous avez consommé en icelle tout votre temps. Partant, je vous dis que tout autant de fois que vous tournez les yeux superbement sur quelqu’un, comme je vous ai enseigné, tout autant de fois vous jetez à mes yeux du venin tout bouillant avec une intolérable ardeur ; et toutes fois et quantes que vous proférez des paroles orgueilleuses que vous avez apprises de moi, tout autant de fois j’avale des breuvages très-amers ; toutes fois et quantes que vos oreilles sont remplies de vent de superbe, qui excite les orages de l’arrogance, qui sont : ouïr les louanges de votre corps bien proportionné, désirer les honneurs du monde, ce que vous avez appris de moi, tout autant de fois frappe en mes oreilles un son horrible qui m’étourdit avec un vent brûlant. Malheur donc à moi qui suis en l’extrême pauvreté et misère ! Je suis pauvre, d’autant que je n’ai rien de bon ni n’en ressens ; misérable, parce que je suis assaillie de toute sorte de maux.

Mais vous, ma fille, vous êtes semblable à la queue de la vache, qui va par les lieux boueux, qui toutes les fois qu’elle meut la queue, salit tous ceux qui sont auprès d’elle. De même en faites-vous, ma fille, vous qui n’avez point la divine sagesse, et allez selon vos désirs et les mouvements de votre corps. Partant, toutes les fois que vous imitez les coutumes que j’ai fait couler en votre esprit en la jeunesse, savoir, les péchés que je vous ai enseigné de faire, tout autant de fois ma peine est renouvelée et mes feux brûlent avec plus d’ardeur. Partant, ma fille, pourquoi vous enorgueillissez-vous de votre sang ? Quel honneur avez-vous d’avoir été en mon ventre auprès de l’ordure et nourrie d’ordure ? Votre sortie a été honteuse, et les immondices de mon sang étaient votre robe en la naissance. Or, maintenant, mon ventre, qui vous a portée, est rongé par les vers.

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Mais pourquoi me plaindre de toi, ma fille, puisque j’ai plus de sujet de me plaindre de moi-même ? car il y a trois choses qui affligent le plus mon cœur : 1- étant créée de Dieu pour la gloire céleste, j’abusais de ma conscience, et me suis disposée pour les peines de l’enfer ; 2-Dieu m’ayant créée belle comme un ange, je me suis rendue difforme moi-même, de sorte que je suis plus semblable au diable qu’à l’ange de Dieu ; 3- j’ai mal changé le temps qui m’était donné ; j’ai préféré le moment c’est-à-dire, la délectation du péché, pour lequel je ressens maintenant des maux infinis dans l’enfer, à l’éternité glorieuse !

Et lors, elle dit à l’épouse : Vous qui me voyez, vous ne me concevez que par similitudes. Certes, si vous me voyiez comme je suis, vous mourriez d’effroi, car tous mes membres sont comme des démons. Et partant, l’Écriture est vraie quand elle dit que, comme les justes sont membres de Dieu, de même les pécheurs sont membres du diable. J’en fais maintenant l’expérience. Les démons sont comme cloués à mon âme, d’autant que moi-même je me suis disposée à une si grande difformité.

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Mais écoutez encore davantage. Il vous semble que mes pieds sont comme des crapauds : cela est d’autant qu’opiniâtrement je me suis arrêtée dans le péché ; c’est pourquoi aussi les diables sont toujours avec moi, me rongeant sans jamais se rassasier ; mes jambes et mes cuisses sont comme des bâtons épineux, d’autant que ma volonté a suivi les concupiscences de la chair et les voluptés. Mais les os de mon dos sont tous désemboités, et l’un s’émeut contre l’autre, d’autant que mon esprit se plaisait trop aux consolations mondaines, et s’affligeait trop des adversités et des fâcheries du monde. Et comme le dos s’émeut selon le mouvement de la tête, de même ma volonté ne devait se mouvoir que selon les volontés de Dieu, qui est l’origine de tout bien. Mais d’autant que je n’ai pas fait cela, je pâtis justement ce que vous voyez. Mais d’autant qu’un serpent se glisse du bas de l’estomac jusques en haut, et étant comme un cercle, environne mon ventre, cela est d’autant que mes voluptés ont été déréglées, et voulaient tout posséder, pour pouvoir dépendre beaucoup avec indiscrétion ; c’est pourquoi le serpent court incessamment par mon intérieur, sans me donner trêve ni repos.

Quant à ce que ma poitrine est ouverte et rongée des vers, cela montre la vraie justice divine. Certes, j’aimais la pourriture plus que Dieu, et mon cœur était lié aux choses passagères ; et partant, comme de petits vermisseaux s’engendrent les grands, de même mon âme est remplie de démons, comme engendrés de l’amour que j’avais pour la pourriture et l’ordure. Mes bras semblent aussi comme démanchés, d’autant que mon désir tendait à la longue vie et à vivre longtemps dans le péché.

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Je désirais aussi que le jugement de Dieu fût plus doux que l’Écriture ne dit ; et néanmoins, la conscience me disait bien que mon temps était court et que le jugement de Dieu était effroyable ; mais au contraire, les désirs des voluptés et des péchés me dictaient faussement que ma vie serait longue, et que le jugement de la fureur divine ne serait pas si effroyable ; et de telles suggestions renversaient ma conscience, et après, ma volonté et ma raison suivaient mes délectations et mes voluptés. C’est pourquoi aussi le diable s’émeut en mon âme contre ma volonté, et ma conscience entend et ressent que le jugement de Dieu est juste.

Mes mains sont comme une massue longue, d’autant que je n’ai pas gardé les commandements de Dieu ; et par la même raison, mes mains me servent à la pesanteur et non à l’usage.

Mon col tourne comme un bois au tour et qui est taillé avec un ciseau, et c’est parce que les paroles divines n’ont point été à goût à mon cœur, mais lui étaient amères, d’autant qu’elles reprenaient ses délectations et ses voluptés : c’est pourquoi un fer aigu est toujours fiché à mon gosier.

Mes lèvres sont coupées, d’autant qu’elles étaient promptes à parler de la vanité et superbe et de la cajolerie, mais grandement lâches à parler de Dieu. Ma joue paraît tremblante et les dents me grincent, d’autant que je donnais de la viande à mon corps, afin que je parusse belle, désirable, saine et forte à toutes les délices du corps ; et mes dents sont en continuel grincement, d’autant que tout leur ouvrage a été inutile pour le bien de l’âme. Mes narines sont coupées, d’autant que même vous punissez de telle peine ceux qui sont atteints des crimes dont celui-ci est atteint, afin qu’il ait de la honte, et moi, j’en ai la confusion éternelle !

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Quant à ce que les yeux sont pendus par deux nerfs jusques aux joues, cela est juste, car comme les yeux se plaisaient en la beauté des joues par ostentation de superbe, de même maintenant ils sont arrachés par trop pleurer, et pour confusion, pendant aux joues. Justement aussi mon front est avalé, et à sa place sont des ténèbres palpables, d’autant que j’ai couvert mon front du voile de superbe, et j’ai voulu me glorifier et paraître belle ; mon front est maintenant obscur et difforme ; mais d’autant que le cerveau bout et s’écoule, comme le plomb s’émeut et est flexible selon la volonté, qui était en mon cerveau, allait selon les mouvements de mon cœur, bien que je susse fort bien ce qu’il fallait faire. Mais même la passion du Fils de Dieu n’était point gravée dans mon cœur, mais s’enfuyait et s’en écoulait comme chose que je savais bien, et m’en souciais bien peu. D’ailleurs, j’étais autant attentive au sang qui coulait des membres du Fils de Dieu qu’à la poix, et je fuyais les paroles de charité comme de la poix, de peur qu’elles ne me détournassent des délices corporelles, et qu’elle ne me troublassent quand j’en jouissais. Quelquefois néanmoins, j’oyais la parole de Dieu pour le respect des hommes, mais elle sortait avec la même facilité de mon cœur qu’elle y était entrée. C’est pourquoi aussi mon cerveau s’écoule comme une poix ardente. Mes oreilles sont aussi bouchées avec des pierres fort dures, d’autant que les paroles de superbe entraient en elles avec joie, et de là s’écoulaient doucement

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Dans mon cœur. Et d’autant que j’ai fait toutes choses pour l’amour du monde et pour la vanité, mes oreilles n’entendront jamais les concerts et les agréables mélodies.

Mais vous me pourriez demander si je n’ai fait aucune bonne œuvre. Je vous réponds : J’ai fait comme celui qui rogne la monnaie et la rend à son maître, car je jeûnais , je faisais des aumônes et d’autres bonne œuvres, mais tout cela par crainte de l’enfer et pour éviter les douleurs corporelles. Mais d’autant que la charité n’était point en mes œuvres, elles ne m’ont point servi pour obtenir le ciel ; elles n’ont pas été pourtant sans récompense.

Vous pourriez encore vous enquérir quelle je suis intérieurement en ma volonté, puisque je suis difforme au-dedans. Je vous réponds : Ma volonté est comme l’homicide et le parricide : de même je désire toute sorte de maux à mon Créateur, qui m’a été néanmoins très-bon et très-doux.

Après, la nièce morte de la susdite bisaïeule, morte aussi, parla à la mère qui vivait encore : Oyez, ô scorpion, ma mère ! Malheur à moi, d’autant que vous m’avez déçue, car vous m’avez montré un visage doux, mais vous m’avez cruellement percé le cœur. Vous m’avez donné trois mauvais conseils ; j’ai appris trois autres choses de vos actions, et vous m’avez montré trois voies en votre procédé. Le premier conseil a été d’aimer charnellement pour obtenir les amitiés charnelles ; le deuxième, de dépenser prodigalement les biens pour l’honneur du monde ; le troisième, d’avoir le repos pour les plaisirs de la chair. Certainement, ces conseils m’ont été grandement dommageables, car d’autant que j’ai aimé charnellement, j’ai maintenant la honte et l’envie spirituelle ; et parce que j’ai prodigalement dépensé les biens, je suis privée des dons de Dieu en la vie, et après la mort, j’ai été remplie de confusion ; et d’autant que je me plaisais aux délices charnelles, à l’heure de la mort, les ingratitudes et les chagrins de l’esprit me saisirent sans considération aucune.

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J’ai aussi appris trois choses de vos œuvres, savoir :1-d’en faire quelques bonnes sans quitter le péché qui me plaisait, comme celui qui, mêlant le venin avec le miel, n’offrait que du venin au juge qui, étant justement irrité, l’épandit sur celui qui le lui offrait ; de même j’expérimente le même avec beaucoup de douleur et de tribulation ; 2-une façon et mode admirable de m’habiller, savoir des souliers mignons à mes pieds, des gants façonnés à mes mains, montrer ma gorge toute nue.

Ce linge délié marquait l’éclat de mon corps, qui a tellement offusqué l’éclat de mon âme que je ne me souciai de sa beauté. Mes souliers ou sandales, découverts au-dessus, signifiaient ma foi sans les œuvres, qui ont laissé mon âme toute nue. Les gants aux mains signifiaient la vaine espérance que j’ai eue, car j’appuyais mes espérances en mes œuvres, dont j’attendais miséricorde, sans que j’aie jamais considéré la justice divine, ni n’ai point ressenti sa fureur, ce qui me donna le libertinage au péché. Mais quand la mort s’approchait, mon linge tomba de mes yeux sur terre, c’est-à-dire, sur mon cœur, lors l’âme se connut et se vit toute nue, voyant que mes péchés étaient grands et mes œuvres fort petites, et j’en avais tant de honte et de confusion que je ne pus entrer dans le palais du Roi des cieux. Or, lors les démons me trouvèrent, et me donnèrent de grandes peines et douleurs, où j’étais moquée avec confusions insupportables.

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La troisième que j’appris de vous, ma Mère, c’est de revêtir le serviteur des habillements du maître, et le maître, des habillements du serviteur. Ce maître est l’amour de Dieu ; le serviteur est la volonté de pécher. Partant, la charité devant régner dans mon cœur, j’ai posé la volonté de pécher, laquelle j’ai lors revêtue des vêtements du Seigneur, quand je me suis servie des créatures pour l’assouvissement de mes voluptés, et j’ai donné au Seigneur quelques restes, et encore iceux par crainte et non par amour. Mon cœur donc se réjouissait du succès de mes voluptés, d’autant que le Seigneur en était chassé et banni, et le serviteur bien reçu et caressé.

J’ai appris de vous ces trois choses. Vous m’avez aussi montré trois voies en votre démarche : la première était éclatante, en laquelle étant entrée, je fus aveuglée de sa splendeur. La deuxième fut courte, et labile comme la glace, en laquelle je tombais pas à pas. La troisième était trop longue, et quand j’y marchais, un torrent impétueux m’emporta sur une montagne en une fosse profonde qui était là.

En la première voie est marqué le progrès de ma superbe, qui fut trop brillante, car l’ostentation, fille de la superbe, donna tant d’éclat à mes yeux que je ne considérai point la fin, et partant, je fus aveugle.

En la deuxième voie est marquée la rébellion.

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Le temps de rébellion n’est pas long en cette vie, car après la mort, l’homme est contraint d’obéir. En vérité, il m’a été fort long, car quand je passai par un pas, c’est-à-dire, par l’humilité de la confession, soudain je retombai à mes péchés ; c’est pourquoi je n’ai point été constante en l’obéissance, mais je tombais soudain dans mes péchés comme celui qui chemine sur la glace. Ma volonté était froide, d’autant que je ne quittais les délectations du péché, de sorte que quand j’avançais un pas à la confession, confessant mes péchés, je retombais en un autre pas, d’autant que je voulais le péché et je me plaisais à me confesser souvent.

La troisième voie fut que je m’attendais à pouvoir pécher sans avoir une grande peine, pouvoir vivre longtemps et ne m’approcher point de l’heure de la mort. Et ayant avancé chemin par cette voie, un torrent impétueux, savoir, la mort, qui donne à un autre, m’enleva et me chargea de peines, renversant mes pieds. Or, quels sont ces pieds, si ce n’est que, les infirmités m’accablant, je ne pouvais avoir soin des utilités de mon corps, et moins de celles de l’âme ? C’est pourquoi je tombai en une profonde fosse, quand le cœur, qui était haut et superbe, endurci dans le péché, creva, et l’âme tomba en la fosse de la peine du péché. Et partant, cette voie a été trop longue commençait. Malheur donc à moi, ô ma mère ! car tout ce que j’appris de vous avec joie, je le pleure maintenant avec amertume !

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D’ailleurs, cette fille morte parlait encore à l’épouse, qui voyait ceci : Oyez, vous qui me voyez. Il vous semble que ma tête et ma face sont comme un tonnerre qui fulmine au-dedans, et mon col est mis comme dans une presse garnie de clous. Mes bras et mes pieds sont comme des serpents très-longs ; mes jambes et mes cuisses sont comme deux canaux d’eau coulants du toit tout glacés. Mais encore une peine m’est la plus amère de toutes : car comme si une personne avait tous les canaux des esprits vitaux bouchés, et comme si toutes les veines pleines de vent se serraient dans le cœur et crèveraient à raison de la violence du vent, de même je suis disposée au-dedans misérablement, à raison du vent de la superbe qui m’a été très-agréable. Néanmoins, je suis en la voie de la miséricorde, car lorsque j’étais accablée d’infirmités,  je les louai le mieux qu’il me fut possible, mais néanmoins avec un esprit de crainte. Mais la mort s’approchant, la considération de la passion de Jésus-Christ me vint en l’esprit, savoir, qu’elle était beaucoup plus douloureuse que la douleur que je méritais à raison de mes fautes, et par une telle considération, j’ai obtenu les larmes, gémissant, voyant que Dieu m’avait tant aimée, et que je l’avais aimé si peu ; car lors je le regardai des yeux de l’esprit et lui dis : O Seigneur, je crois que vous êtes mon Dieu. Ayez miséricorde de moi, ô Fils de la Vierge, pour l’amour de votre amère passion. J’amenderais maintenant ma vie, si j’en avais le temps. Et en ce point-là, je fus soudain allumée d’une scintille de charité en mon cœur, de sorte que la passion de Jésus me semblait plus amère que ma mort. Et lors mon cœur creva, et mon âme vint ès mains des démons, pour être présentées au jugement de Dieu, car il était indigne que les anges d’un grand éclat et d’une grande beauté portassent une âme si difforme.

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Or, au jugement de Dieu, les démons criant que mon âme fût condamnée à l’enfer, le Juge répondit : Je vois une scintille de charité en son cœur, qui ne doit être éteinte, mais qui doit être devant moi, et partant, je juge l’âme à être purifiée jusques à ce qu’étant dignement purifiée, elle mérite de me posséder.

Vous pourriez encore vous enquérir si je serai participante de tous les biens qu’on fait pour moi. Je vous réponds par similitude : car comme si vous voyiez une balance, et s’il y avait en l’un des bassins du plomb qui l’abaissât, en l’autre une chose légère qui l’enlevât en haut, plus on la chargerait, voire emporterait le poids du plomb : de même en est-il de moi, car d’autant plus ai-je hanté le péché, d’autant plus suis-je descendue en peine. Et partant, tout ce qu’on fait à l’honneur de Dieu pour moi, cela m’enlève de la peine, et spécialement l’oraison, et les biens que font les hommes justes et amis de Dieu et les charités qu’on fait des biens bien acquis. Telles choses m’approchent de Dieu de jour en jour.

Après cela, la Mère de Dieu parla à l’épouse : Vous admirez comment moi, qui suis Reine du ciel, et vous, qui vivez au monde, et cette âme, qui est en purgatoire, et l’autre en enfer, parlent ensemble. Je vous dirai cela. Je ne me retire jamais du ciel, d’autant que je ne serai jamais séparée de la vision de Dieu, ni l’âme qui est en enfer ne sera jamais séparée des peines, ni l’autre du purgatoire, qu’elle ne soit entièrement purifiée, ni vous ne viendrez à nous avant la séparation du corps ; mais votre âme et votre intelligence sont élevées dans le ciel, pour y entendre les paroles de Dieu, et il vous est permis de faire savoir quelques peines de l’enfer et du purgatoire aux mauvais, afin qu’ils prennent garde à eux et aux bons, pour consolation et avancement. Or, sachez que votre corps et votre âme sont unis en terre,  et le Saint-Esprit vous donne l’intelligence, afin que vous connaissiez ses saintes volontés.

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DÉCLARATION

 

Il  est parlé en ce chapitre de trois femmes, l’une desquelles entra dans un monastère, faisant pénitence tout le temps de sa vie avec  grande perfection.

 

Chapitre 53.

 

Notre-Seigneur reprend la superbe des prélats, etc. Ils doivent corriger leurs sujets, de peur qu’à l’exemple d’Héli, ils ne soient damnés.

 

P364

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse, lui disant : C’est une grande chose, voire c’est un monstre horrible que là où le Roi de gloire s’est humilié, là l’homme obligé à rendre compte, s’enorgueillisse, car si quelqu’un est supérieur aux autres, il ne doit s’enorgueillir d’être prélat, mais plutôt craindre, car tous sont égaux en nature et toute puissance est de Dieu. En vérité, si celui que Dieu fait supérieur est bon, il profite à son salut et à celui des autres ; s’il est mauvais, c’est la permission de Dieu, pour la correction des sujets et à sa plus grande condamnation, ni n’est point de merveille, mais digne et juste, que l’homme qui a négligé de se soumettre à son Créateur, expérimente la domination de l’inférieur et ses conseils. Donc, quand quelqu’un est contraint d’être supérieur ou désire l’être, qu’il se montre tel à ses sujets, qu’il soir désirable à raison de ses mœurs et de sa bonne vie, utile en la justice et équité. Enfin de sa nature, celui qui est prélat doit s’humilier et ses mesurer par sa propre mesure, afin qu’il ne s’élève par-dessus soi-même, et qu’il apprenne en soi d’avoir compassion des autres. Qu’il craigne aussi que, de la même mesure qu’il mesure les autres, on ne le mesure (Matt.4.Luc. 16.), car moi, Dieu et homme, je me suis tellement tempéré que, bien que je connusse les défauts des hommes par ma science infaillible, je les ai voulu connaître par les peines, par les croix, en les expérimentant ; et enfin, pour me donner en exemple à eux, j’ai commencé plutôt par faire que par commander et enseigner ; j’ai voulu servir, et non être servi. De même en a fait ma très-chère Mère, car bien qu’elle fût maîtresse des apôtres, elle a été la plus humble de tous, et elle a été quasi un des moindres : c’est pourquoi aussi elle a monté à la souveraine félicité.

Que le prélat donc apprenne en ses propres infirmités à supporter les défauts des sujets, et qu’il prenne garde qu’il ne donne sujet ou occasion aux autres de péché et de ruine par ses paroles et ses exemples, en abusant de sa puissance, car il n’y a rien qui provoque tant l’ire de Dieu, attire, entraîne même les hommes à pécher, que la lasciveté des prélats, car si Héli, le grand-prêtre, fût demeuré en la vigueur du sacerdoce et eût aimé ses enfants spirituellement, comme jadis Phinées et Moïse, toute sa génération eût été sauvée ; mais d’autant qu’il voulut plaire charnellement à ses enfants, il laissa sa mémoire en tribulation et sa postérité en confusion.

 

P365

 

Chapitre 54.

 

Jésus-Christ dit que le monde était comme une solitude, et il a illuminé le monde et a montré le chemin du ciel. Il a envoyé ce livre ; ceux qui le recevront et le garderont par œuvre, seront sauvés.

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille, disant : Béni soyez-vous, ô mon Fils ! Vous êtes le principe, sans principe du temps, et puissance sans laquelle nul n’est puissant. Je vous en prie, mon Fils, achevez puissamment ce que vous avez sagement commencé.
Le Fils répondit : Vous êtes comme un boisson douce à celui qui a soif, et comme une fontaine arrosant les choses arides, d’autant que, par vous, tout grâce fleurit. C’est pourquoi je ferai ce que vous demandez.

Le Fils parle encore : Le monde, avant mon incarnation, était comme une solitude en laquelle il y avait un puits dont l’eau était fort trouble et immonde. Tous ceux qui en buvaient avaient plus de soif, et ceux qui avaient mal aux yeux s’en trouvaient pis. Auprès de ce puits, il y avait deux hommes, l’un desquels criait, disant : Buvez en assurance, car le médecin est venu qui ôtera toutes les langueurs. L’autre disait : Buvez joyeusement. Il est vain et inutile de désirer ce qui est incertain.

P366

 

Sept voies conduisaient à ce puits, c’est pourquoi ce puits était désiré de tous.  Ce monde est semblable à la solitude, où sont les bêtes, les arbres infructueux et les eaux immondes ; car l’homme désirait comme une bête épandre le sang de son prochain ; il était infructueux ès œuvres de justice, et immonde par l’incontinence et cupidité. Les hommes cherchaient un puits trouble en cette solitude, qui était l’amour du monde, et son honneur, qui est haut en orgueil, trouble en la sollicitude et soin de la chair, et par les sept péchés capitaux. L’entrée était ouverte à ce puits. Les deux hommes qui étaient auprès du puits sont les docteurs des Gentils et des Juifs, car les docteurs des Juifs étaient orgueilleux de leur loi qu’ils avaient et qu’ils n’observaient pas ; et d’autant qu’ils étaient 

infatigables en leur cupidité, ils incitaient le peuple à chercher les richesses temporelles, disant : Vivez assurément, car le Messie viendra, et il restituera toutes choses. Les docteurs des Gentils disaient : Usons des créatures que vous voyez, d’autant que le monde fut créé pour nous réjouir.

 

L’homme demeurant ainsi plongé en son aveuglement, et ne considérant pas la grandeur divine ni les choses futures, lors moi, un avec le Père et le Saint-Esprit, suis venu au monde, et m’étant revêtu de l’humanité, je prêchai, disant que ce que Dieu avait promis et que Moïse avait écrit, était accompli. Aimez donc les choses célestes, car les choses mondaines passent, et je donnerai les choses célestes.

J’ai aussi montré sept voies par lesquelles l’homme se retire de la vanité, car j’ai montré la pauvreté et l’obéissance ;  j’ai enseigné les jeûnes et l’oraison ; je fuyais quelquefois les hommes et demeurais seul en prière. J’ai embrassé les opprobres ; j’ai choisi les douleurs et les labeurs ; j’ai soutenu les peines et la mort ignominieuse.

P367

Or, j’ai montré par moi-même cette voie par laquelle mes amis marcheraient dès longtemps ; mais maintenant cette voie est ruinée. Les gardiens dorment, les passants se plaisent aux vanités et nouveautés, c’est pourquoi je me lèverai et ne me tairai pas. J’ôterai la voix de la joie, et je louerai ma vigne à d’autres, qui rendront les fruits en son temps. En vérité, selon la commune maxime, entre les ennemis se trouvent des amis : partant, j’enverrai à mes amis mes paroles plus douces que le miel, plus précieuses que l’or, et ceux qui les auront et les garderont, auront un trésor qui ne s’épuise jamais et qui s’augmente jusqu’à la vie éternelle.

 

Chapitre 55.

 

La Mère de Dieu explique en ce chapitre de grandes choses touchant sa Conception.
 

Pour le jour de la Conception de la Vierge Marie.

La Mère de Dieu dit : Quand mon père et ma mère s’unirent par le lien du mariage, l’obéissance eut plus de pouvoir que la volonté ; plus opéra là la charité divine que la volupté charnelle, car l’heure en laquelle je fus conçue se peut bien appeler heure dorée et précieuse, d’autant que les autres mariés s’unissent par volupté charnelle, et mes parents s’unirent par obéissance et par le commandement divin. Donc, ma conception a été à bon droit dorée, car lors le principe de salut prit en quelque manière quelque commencement, et les ténèbres s’allaient rendre à la lumière, car Dieu a voulu faire en son œuvre une chose rare et signalée, qui a été cachée aux siècles, comme il fit jadis en la verge
fleurissante. Mais sachez que ma conception n’a pas été connue de tous, car Dieu a voulu que, comme devant la loi écrite, la loi naturelle procédât, et le choix libre du bien et du mal, et qu’après, la loi écrite vînt, qui retiendrait le frein à tous les mouvements effrénés, de même il a plu à Dieu que ses amis aient douté pieusement de ma conception, afin qu’un chacun montrât son zèle jusqu’à ce que la vérité parût au temps que la sagesse avait ordonné

 

P368

 

Chapitre 56.


La Sainte Vierge montre que sa Nativité est la porte des vraies joies, etc. Elle se plaint des femmes qui ne considèrent cela avec dévotion.

 

Pour le jour de la Nativité.

 

La Sainte Vierge Marie parle : Quand ma mère m’engendra, je sortis par la porte commune, car aucun ne doit naître par autre manière, excepté Jésus-Christ, qui, étant le Créateur de tout le monde, a voulu aussi naître admirablement et d’une manière tout ineffable. Mais quand je fus née, les diables le surent et pensèrent en eux-mêmes : Voici qu’une Vierge est née, qu’est-ce que nous ferons, car il arrivera en elle quelque chose de grand ? Si nous lui appliquons tous les rets des finesses de notre malice, elle les rompra comme des étoupes. Si nous regardons son intérieur, nous la trouverons grandement munie, ni on ne trouve en elle aucune tache où on puisse mettre la pointe du péché : C’est pourquoi il est à craindre que sa pureté nous donnera de la peine, sa grâce dissipera toute notre force, sa constance nous foulera à ses pieds.

 

P369

Or, les amis de Dieu, qui attendaient depuis longtemps, disaient, Dieu les inspirant : Pourquoi nous affligerons-nous davantage ? Il nous faut plutôt réjouir, car la lumière qui illuminera nos ténèbres est née ; nous désirs sont accomplis. Les anges se réjouirent aussi, bien que leur joie soit toujours en la vision divine, disant : Quelque chose de désirable est né en la terre, et c’est une merveille d’amour par laquelle la paix du ciel et de la terre sera affermie, et nos ruines seront réparées.

De vrai, ma fille, je vous dis que ma naissance fut le commencement des joies, car lors apparut cette verge d’où est éclose la fleur que les rois et les prophètes désiraient voir. Après que j’ai été plus âgée et que j’ai pu comprendre mon Créateur, j’ai été intimement touchée d’un amour indicible, et je désirais Dieu de tout mon cœur. J’ai été aussi conservée d’une grâce admirable, en sorte qu’en mes jeunes et tendres années, je ne consentais pas au péché, d’autant que l’amour de Dieu, le soin des parents, la nourriture et honnête éducation, la conservation des faveurs et la ferveur de connaître éminemment Dieu, persévéraient en moi.

Or, maintenant je me plains que les femmes qui sont engendrées et engendrent avec horreur, naissant avec immondices, se délectent en icelles, et ne considèrent point la pureté de ma naissance, mais sont pires que les juments, d’autant qu’elles vivent sans raison ; elles vivent de vrai selon la chair : c’est pourquoi leur volupté passera ; l’esprit de pureté se retira ; les joies éternelles s’enfuiront d’elles ; l’esprit d’impureté qu’elles suivent les enivrera.

P370

 

Chapitre  57.

 

La Vierge Marie dit à sainte Brigitte pourquoi elle se purifia, etc. et elle parle aussi du glaive qui transperça son cœur.

 

Pour le jour de la Purification.

 

La Sainte Vierge Marie dit à l’épouse de son Fils : Ma fille, sachez que je n’avais point besoin de purification comme les autres femmes, car mon Fils, qui est né de moi, m’avait purifiée, et je n’avais pas contracté une des plus petites taches, lorsque j’engendrai mon Fils, qui est la pureté même. Mais néanmoins, afin que la loi et les prophètes fussent accomplis, j’ai voulu vivre en la loi, ni je ne vivais pas selon les apparents du siècle, mais je conversais humblement avec les humbles. Je n’ai voulu avoir en moi quelque chose de particulier, tant j’aimais tout ce qui touchait l’humilité !

Un jour, comme aujourd’hui, ma douleur prit accroissement, car bien que je susse par l’inspiration divine que mon Fils pâtirait, néanmoins, lorsque  Siméon dit qu’il me serait le glaive de douleur et qu’il me serait le signe que l’on contredirait, cette douleur perça mon cœur avec plus d’amertume, douleur, certes, qui ne se retira jamais de mon cœur, jusqu'à ce qu’en corps et en âme je montai au ciel, bien qu’il fût tempéré par les consolations du Saint-Esprit. Je veux que vous sachiez que, ce jour-là, ma douleur fut en six manières :

P371

 

1- En ma connaissance, car autant de fois que je le regardai, que je l’emmaillotai, que je voyais ses mains et ses pieds, tout autant de fois mon esprit était comme plongé en une nouvelle douleur, car je pensais comment on le crucifierait.
2-
En mon ouïe, car tout autant de fois que j’oyais les opprobres qu’on vomissait contre mon Fils, les mensonges et les embûches, mon esprit était comme emporté par la douleur, de sorte qu’à grand peine il se pouvait tenir ; mais la vertu divine donna la manière et l’honnêteté, afin qu’on ne remarquât en moi rien d’imparfait.
3-
  En la vue, car quand je vis qu’on fouettait mon Fils, qu’on le clouait, qu’on le pendait en un gibet, je tombai comme morte ; mais prenant courage, je demeurai auprès, debout et souffrant tout cela si patiemment que mes ennemis ni autres ne trouvaient en moi que douleur.
4-
  En l’attouchement, car moi et les autres descendîmes mon Fils de la croix ; je l’enveloppai et le mis dans le sépulcre, et de la sorte, ma douleur augmentait tellement qu’à peine mes mains et mes pieds avaient-ils la force de me soutenir. Oh ! que volontiers j’eusse voulu alors être ensevelie avec mon Fils !
5-
  Je souffrais à raison du désir véhément que j’avais d’aller au ciel, après que mon Fils y fut monté, car la longue demeure que je fis en terre après son départ augmentait grandement ma douleur.
6-
  Je souffrais de la tribulation des apôtres et des amis de Dieu, la douleur desquels était ma douleur, craignant toujours qu’ils ne succombassent aux tentations et tribulations, et dolente, d’autant que les paroles de mon Fils étaient contrariées par tout. Or, bien que la grâce de Dieu persévérât toujours avec moi et que ma volonté fût selon la sienne, néanmoins ma douleur fut continuelle, mêlée avec la consolation, jusqu’à ce que je fusse au ciel, en corps et en âme auprès de mon Fils. Partant, ô ma fille, que cette douleur ne se retire jamais de votre cœur, car sans les tribulations, peu de gens seraient sauvés.

 

Chapitre  58.

 

La Sainte Vierge parle à sainte Brigitte des douleurs qu’elle eut quand il fallut fuir en Égypte.

 

La Sainte Vierge Marie parle à l’épouse de son Fils, disant : Je vous ai parlé de mes douleurs ; mais la douleur que j’avais quand il fallut fuir en Égypte avec mon Fils ne fut pas des moindres, ni quand j’ouïs qu’on tuait les enfants innocents, qu’Hérode poursuivait mon Fils ; et bien que je susse ce qui était écrit de mon Fils, néanmoins mon cœur, à raison de la grandeur de l’amour que j’avais envers mon Fils, était rempli de douleur et d’amertume. Or, maintenant, vous me pourriez demander qu’est-ce que fit mon Fils tout ce temps-là avant sa passion. Je réponds comme l’Évangile : Il était soumis à ses parents, et il se gouverna comme les autres enfants, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un grand âge. Il fit des merveilles en sa jeunesse, montrant comment les créatures servaient leur Créateur. Comment les idoles se turent et comment plusieurs idoles tombèrent à son arrivée en Égypte ; comment les Mages prédirent que mon Fils serait le signe de grandes choses futures ; comment aussi le ministère des anges apparut ; comment il n’apparut jamais en son corps ni en ses cheveux aucune immondice, il n’est pas besoin que vous sachiez toutes ces choses, puisqu’en l’Évangile, il y a des signes de la Divinité et humanité qui peuvent édifier vous et les autres.

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Or, quand il eut  atteint un plus grand âge, il était continuellement en la prière et obéissance. Il monta avec nous aux fêtes ordonnées en Jérusalem et en autres lieux ; sa vue et sa parole étaient agréables et admirables, de sorte que plusieurs qui étaient affligés disaient : Allons voir le Fils de Marie, afin que nous soyons consolés. Et augmentant en âge et sagesse dont il était plein dès le commencement, il travaillait de ses mains tout ce en quoi décence n’était point lésée ; il nous parlait, nous disait en particulier des paroles de consolation et des discours de Dieu, de sorte que nous étions remplis continuellement de joies indicibles. Mais quand les craintes de la pauvreté nous assaillaient, il ne nous faisait point de l’or ni de l’argent, mais il nous exhortait à la patience, et il nous défendit et nous protégea des envieux. Quant aux nécessités, les gens de bien et notre propre travail nous y aidaient, de sorte que nous étions seulement secourus pour la seule nécessité sans superfluité aucune, car nous ne cherchions qu’à servir Dieu. Après cela, il conférait familièrement en la maison avec ceux qui venaient voir pour les difficultés de la loi et signification des figures, et disputait publiquement quelquefois avec les sages, de sorte qu’ils admiraient et disaient : Voici que le fils de Joseph enseigne les maîtres : quelque grand esprit parle en lui.

P374

 

Un jour, j’étais plongée en la considération de sa passion ;  j’en étais saisie de tristesse. Il dit : Ne croyez-vous pas, ma Mère, que je suis en mon Père et que mon Père est en moi ? Quoi ! avez-vous été polluée en mon entrée et en ma sortie ? avez-vous été triste ? Pourquoi donc vous affligez-vous ? car la volonté de mon Père veut que je souffre la mort, voire ma volonté est telle avec celle de mon Père. Ce que j’ai de mon Père ne peut pas pâtir, mais bien la chair que j’aie reçue de vous, afin que la chair d’autrui soit rachetée et que l’esprit soit sauvé. Il était aussi si obéissant que quand Joseph lui disait quelquefois sans y penser : Faites cela ou cela, il le faisait, et de la sorte, il cachait la puissance de sa Divinité, que Joseph et moi étions seuls à connaître, d’autant que nous l’avons vu souvent entouré d’une lumière admirable, et avons ouï les voix et concerts des anges qui chantaient sur lui. Nous avons aussi vu les esprits immondes qui n’avaient pu être chassés par les exorcistes approuvés en notre loi, sortir à la vue de mon Fils.

Que ces choses soient continuellement en votre mémoire, et remerciez Dieu d’avoir voulu manifester par vous son enfance.

P375 

 

Chapitre  59.

La Sainte Vierge raconte à sainte Brigitte ce qui arriva en la visitation de sainte Élisabeth, etc.

 

La Mère  de Dieu dit à sainte Brigitte : Quand l’ange m’annonçait que le Fils de Dieu naîtrait de moi, soudain que j’eus consenti, je ressentis en moi quelque chose d’admirable et d’inaccoutumé ; et partant, admirant cela, soudain je montai, afin de la consoler, à sainte Élisabeth, ma cousine, qui était enceinte, et pour parler avec elle de ce que l’ange m’avait dit ; mais m’étant venue au-devant auprès d’une fontaine, et nous étant baissées et embrassées, son enfant se réjouit en son ventre d’une manière admirable. Je fus alors touchée en mon cœur d’un nouveau ressentiment de joie, de sorte que ma langue proférait des paroles de Dieu incompréhensibles, et à grand peine mon âme les comprenait-elle, tant elle était dans les ressentiments de la joie !

Or, Élisabeth admirant la ferveur de l’Esprit qui parlait en moi, et moi admirant semblablement en elle la grâce de Dieu, nous demeurâmes quelques jours ensemble, bénissant Dieu. Après cela, une pensée commença à solliciter mon esprit avec quelle dévotion et comment je me devais gouverner après avoir reçu une si grande grâce ; qu’est-ce que je devais répondre à ceux qui me demanderaient comment j’aurais conçu, ou qui était le père de l’enfant qui devait naître, ou que dirais-je à Joseph, si l’ennemi le tentait et entrait en soupçon de moi.

Pendant que ces pensées roulaient en mon esprit, un ange, semblable à celui qui m’était apparu auparavant, me dit : Notre Dieu, qui est éternel, est avec vous et en vous : ne craignez donc, car lui vous donnera la grâce de parler ; il dirigera vos pas et vos lieux ; il accomplira son œuvre avec vous puissamment et sagement. Or, Joseph, à qui vous êtes recommandée, s’étonnera quand il apprendra que vous êtes enceinte, et se réputera indigne d’habiter avec vous.

P376

 

Et comme Joseph était en anxiété et ne savait ce qu’il fallait faire, l’ange lui dis dans son sommeil : Ne vous retirez pas de la Vierge qui vous est recommandée, car comme vous l’avez ouï d’elle, ainsi est-il, car elle a conçu de l’Esprit de Dieu, et elle enfantera un Fils qui sera le Sauveur du monde. Servez-la donc fidèlement, et soyez témoin et gardien de sa pudeur.

Depuis ce jour-là, Joseph me servit comme sa maîtresse, et moi je m’humiliai aux plus petites de ses œuvres. Après, j’étais en continuelle oraison, étant rarement vue, voyant rarement, et sortant très-rarement, si ce n’était aux fêtes principales. J’étais fort attentive aux vigiles et leçons que nos prêtres disaient, ayant quelque temps destiné aux œuvres manuelles. Je fus discrète au jeûne, selon qui ma nature le pouvait supporter pour le service de Dieu. Tout ce que nous avions de superflu, nous le donnions aux pauvres, contents de ce que nous avions. Mais Joseph me servit si fidèlement qu’on n’ouït jamais de sa bouche une parole de cajolerie murmure, jamais courroux, car il était très-patient en la pauvreté, soigneux en son labeur où il était nécessaire, doux à ceux qu’il reprenait, obéissant à mon service, prompt défenseur de ma virginité, très-fidèle témoin des merveilles de Dieu. Il était aussi tellement mort au monde et à la chair qu’il ne désirait que les choses célestes. Il était aussi si croyant aux promesses de Dieu qu’il disait incessamment : Plût à Dieu que je vive, et que je vive, et que je voie les volontés de Dieu accomplies ! car rarement venait-il aux assemblées des hommes et a leurs conseils, car tout son désir fut d’obéir aux volontés divines, c’est pourquoi sa gloire est maintenant grande.

P377

 

Chapitre  60.

 

La Mère de Dieu dit à l’épouse de son Fils que saint Jérôme ne douta point de son assomption au ciel, etc.

 

La Mère de Dieu parla à sainte Brigitte : Que vous a dit ce docteur, inventeur de paroles, que l’épître de saint Jérôme qui parle de mon assomption ne doit être lue en l’Église de Dieu, d’autant qu’il lui semble que saint Jérôme douta de mon assomption au ciel, d’autant qu’il dit qu’il ne sait pas si je suis montée au ciel en corps et en âme, ou par qui j’ai été portée, moi, Mère de Dieu ?

Je réponds à ce docteur et dis que saint Jérôme ne douta point de mon assomption ; mais d’autant que Dieu ne lui avait point déclaré ouvertement la vérité, il voulut plutôt en douter pieusement que la définir, Dieu ne l’ayant point montrée. Mais souvenez-vous, ma fille, de ce que je vous ai dit ci-dessus, que saint Jérôme aimait les veuves, imitateur des moines parfaits, asserteur et défenseur de la vérité, qui vous a aussi mérité l’oraison avec laquelle vous  me saluez. Partant, j’ajoute maintenant que saint Jérôme fut une trompette fléchissante par laquelle parlait le Saint-Esprit, et la flamme embrassée de ce feu qui vint sur moi et sur les apôtres le jour de la Pentecôte. Heureux donc sont ceux qui oient cette trompette et la suivent !

P378

 

Chapitre  61.

 

La Mère de Dieu montre en ce chapitre pourquoi elle vécut longtemps après l’ascension de son Fils.

 

La Mère de Dieu parle, disant : Souvenez-vous, ma fille, que quatre fois j’excusai saint Jérôme discourant de mon assomption. Or, maintenant, je vous montrerai la vérité de mon assomption.

J’ai vécu longtemps après l’ascension de mon Fils, et Dieu l’a voulu, afin que les âmes fussent converties à Dieu, ayant vu ma patience invisible et le règlement de mes mœurs, que mes apôtres et mes élus fussent affermis. Et de fait aussi, la naturelle disposition de mon corps requérait que je vécusse durement, afin que ma couronne fût augmentée, car tout le temps que j’ai vécu après l’ascension de mon Fils, j’ai visité les lieux où il a pâti et où il a manifesté ses merveilles, aussi sa passion était empreinte dans mon cœur. Mes sens aussi étaient abstraits et retirés de ce qui est du monde, d’autant que j’étais incessamment enflammée de nouveaux désirs, et réciproquement exercée par des douleurs ; mais néanmoins, ma douleur et ma joie étaient si tempérées que je n’omettais rien de ce qui touchait le service de Dieu. Je conversais aussi parmi les hommes, et je prenais bien peu de ce qui plaisait aux hommes. Mais d’autant que mon assomption n’a été connue à plusieurs et prêchée de par Dieu, qui est mon Fils, il l’a voulu de la sorte, afin que la foi de son ascension fût enracinée dans les cœurs des hommes, car les hommes étaient endurcis en la créance de son ascension, combien plus si mon assomption eût été prêchée dès le commencement !

 

P379

 

Chapitre  62.

 

La Sainte Vierge narre à sainte Brigitte l’annonciation que l’ange lui fit de sa mort, et ce qui advint après.

 

La Mère de Dieu parle, disant : Un jour, après que quelques années se furent écoulées de l’ascension de mon Fils, je m’affligeais beaucoup à raison du désir que j’avais d’arriver dans le ciel pour voir mon Fils. Je vis un ange reluisant, comme je l’avais vu auparavant, qui me dit : Votre Fils, qui est Dieu et notre Seigneur, m’envoie pour vous annoncer que le temps est arrivé où vous devez venir corporellement à votre Fils, pour recevoir la couronne qui vous est préparée.

Je lui répondis : connaissez-vous le jour et l’heure où je dois m’en aller de ce monde en l’autre ?

Et l’ange répondit : Les amis de votre Fils enseveliront votre corps.

Ces choses étant dites, l’ange disparut, et moi, je me préparai à l’issue, visitant tous les lieux, à mon accoutumée, où mon Fils avait souffert. Un jour, mon esprit étant suspens en l’admiration de la divine charité, lors mon âme fut remplie, en cette contemplation, de tant de plaisirs, qu’à grand peine mon âme les pouvait soutenir, et en cette contemplation et joie, mon âme fut séparée de mon corps. Mais hélas ! que de choses magnifiques mon âme vit alors, et de quel honneur le Père, le Fils et le Saint-Esprit l’accueillirent, et de quelle multitude d’anges elle fut élevée, vous ne le pouvez comprendre, et moi, je ne le puis exprimer, sans que votre âme soit aussi séparée de votre corps, bien que je vous en aie montré quelque chose en cette oraison que mon Fils vous a inspirée.

P380

 

Or, ceux qui étaient lors avec moi en la maison quand je rendis l’esprit, comprirent fort bien, par la lumière non accoutumée, quelles choses divines agissaient lors en moi. Après cela, les amis de mon Fils, envoyés divinement, ensevelirent mon corps en la vallée de Josaphat, avec lesquels il y avait une infinité d’anges comme des atomes du soleil. Mais les malins esprits n’osaient s’en approcher. Mon corps demeura quelques jours en terre, et après, il fut ravi et emporté au ciel par une grande multitude d’anges. Ce temps n’est pas sans grand mystère, d’autant qu’à la septième heure sera la résurrection des morts, et à la huitième, la béatitude des âmes et des corps sera accomplie.

La première heure fut depuis le commencement du monde jusques à ce temps où la loi était donnée par Moïse.

La deuxième, depuis Moïse jusques à l’incarnation de mon Fils.

La troisième fut quand mon Fils institua le baptême et adoucit la rigueur de la loi.

La quatrième, quand il prêchait par la parole et confirmait son dire par exemple.

La  cinquième, quand mon Fils voulut pâtir et mourir, et quand il ressuscita et prouva sa résurrection par plusieurs miracles.

La sixième, quand il monta au ciel et envoya le Saint-Esprit.

La septième sera quand il viendra en jugement, et que tous sortiront pour aller au jugement.

 

La huitième, quand tout ce qui a été promis et prophétisé sera arrivé ; et lors la béatitude sera parfaite ; lors on verra Dieu en sa gloire, et les saints resplendiront comme des soleils, et il n’y aura plus de douleurs.

 

P381

Chapitre 63.

 

En ce chapitre, Notre-Seigneur donne des paroles à son épouse, pour les envoyer au pape Clément, pour faire la paix entre le roi de France et d’Angleterre.

 

Le Fils de Dieu parle à l’épouse sainte Brigitte, lui disant : Ecrivez de ma part au pape Clément (sans doute Clément VI, l'an 1352) ces paroles : Je vous ai exalté et vous ai fait monter par-dessus tous les degrés d’honneur : sortez donc pour faire la paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre (Philippe de Valois et Edouard III), qui sont des bêtes périlleuses et les pertes des âmes. Venez après en Italie, et annoncez là la parole et l’an de salut et de la délectation divine, et voyez la place et les carrefours arrosés du sang de mes martyrs, et je vous donnerai la récompense qui ne finit jamais. Considérez aussi le temps passé, où vous m’avez provoqué à la colère avec effronterie, et je l’ai tu, où vous avec fait ce que vous avez voulu et ne deviez pas faire, et moi, comme ne jugeant point, j’ai eu patience, car mon temps s’approche, et je demanderai vos négligences et l’audace de votre temps ; et comme je vous ai fait monter par tous les degrés, de même descendrez-vous par tous les degrés spirituels, lesquels vous expérimenterez au corps et en l’esprit, si vous n’obéissez à mes paroles ; et votre langue gardera le silence des grandes choses, et votre nom, qui est grand en terre, sera en oubli devant moi et en opprobre devant mes saints.

P382

 

Je demanderai encore de vous combien indignement vous êtes monté à tous ces degrés d’honneur, quoique j’aie permis ce que je sais et ce que votre conscience négligente a oublié. J’exigerai encore de vous combien froid vous avez été à former la paix des rois, et combien vous avez penché en la partie contraire. D’ailleurs, je n’oublierai point combien l’ambition a été grande et la cupidité insatiable en l’Eglise, et a augmenté de votre temps, ce que vous pouviez beaucoup réformer et amender ; mais vous, qui aimez la chair, n’avez voulu.

Sortez donc, avant que la dernière heure qui s’approche, vous surprenne, et éteignez en ce temps, par le zèle, les négligences du passé. Que si vous doutez de quel esprit ces paroles sont, le royaume et la personne vous sont connus où ont été opérés les merveilles et les prodiges. La justice et la miséricorde s’approchent par toute la terre. Votre conscience dit que ce que je vous dis est raisonnable, et charité ce que je vous conseille ; et si ma patience ne vous eût conservé, vous fussiez descendu plus bas que vous prédécesseurs. Partant, fouillez au livre de votre conscience, et voyez si je vous dis la vérité.

P383

 

Chapitre 64.

 

Jésus-Christ menace les pécheurs qui, ayant oublié les péchés passés et les voies de Dieu, vivent avec trop d’assurance. Dieu leur pardonne, s’ils s’amendent.

 

Le Fils de Dieu parle, disant à sainte Brigitte : Ne vous attendez pas à ces  débauchés, car je viendrai bientôt à eux, non comme ami, mais comme celui qui prendra vengeance d’eux. Malheur à eux, car en leur temps de paix, ils n’ont pas voulu chercher le bien éternel ! Je vois que de leur race sont sortis des hommes d’amertume, qui ont moissonné le fruit de vanité et de leur cupidité, c’est pourquoi ils descendront maintenant. La pauvreté, la captivité, la honte, l’humiliation et la douleur, vous assailleront, mais ceux qui s’humilieront trouveront grâce devant mes yeux.

 

Chapitre 65.

 

Notre-Seigneur donne en ce chapitre à sainte Brigitte les enseignements de la vie active et contemplative.

 

Le Fils de Dieu parle, disant : Il y a deux vies qui sont comparées, l’une à Marthe, l’autre à Magdelène : celui qui les voudra imiter et suivre doit faire premièrement une pure confession de tous ses péchés, s’excitant à une vraie contrition et résolution de ne plus pécher à l’avenir.

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La première vie que je témoigne que Marie a embrassée, conduit à la contemplation des choses célestes, car celle-là est la meilleure part de la vie éternelle. A celui donc qui désire tenir la vie de Marie, il lui suffit d’avoir seulement les nécessités corporelles, savoir, des vêtements sans ostentation, le boire et le manger avec sobriété, et non en superfluité, la chasteté sans aucune mauvaise délectation, et qu’il garde les jeûnes selon les constitutions de l’Église. Or, que celui qui jeûne prenne garde de n’être malade par l’excès de quelque jeûne, et que ce jeûne ne lui fasse diminuer l’oraison ni les prédications, ou bien qu’il n’omette quelque autre bien à raison de cela, qui puisse profiter à soi ou à son prochain ; qu’il prenne encore prudemment garde que le jeûne ne le rende lâche à la rigueur de la justice, ou paresseux aux œuvres de piété, car la force de corps et d’esprit est requise pour punir les rebelles et pour assujettir les infidèles. Partant, tout infirme qui voudrait mieux jeûner pour l’honneur de Dieu que manger, aura égale récompense à raison de sa bonne volonté, comme celui qui jeûne, ému de charité : semblablement celui qui mange par obéissance, voulant plus jeûner que manger, aura la même récompense que celui qui jeune.

En deuxième lieu, Marie ne doit se réjouir de l’honneur du monde ni de ses prospérités,  ni s’affliger des adversités, mais qu’elle se réjouisse seulement en cela que les impies deviennent dévots, que les amateurs du monde aiment Dieu, que les bons avancent au bien, et combattant pour le service de Dieu, deviennent plus dévots. Qu’elle soit encore marrie de ce que les pêcheurs tombent de pis en pis, que Dieu ne soit point aimé de sa créature et que le commandement de Dieu soit méprisé.

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En troisième lieu, Marie ne doit point être oisive, ni Marthe, mais que le sommeil étant achevé, elle se lève et remercie Dieu de bon cœur, d’autant que, par sa bonté et son amour, il a créé toutes choses, montrant, par sa passion et par sa mort, l’amour qu’il portait à l’homme, amour si grand qu’il n’eut jamais d’égal.

Que Marie rende encore grâces à Dieu pour tous ceux qui ont été sauvés, pour tous ceux qui sont au purgatoire et pour ceux qui sont au monde, priant humblement Dieu qu’il ne permette  qu’ils soient tentés par-dessus leurs forces. Que Marie soit aussi discrète en l’oraison et dans les louanges de Dieu, afin que tout soit réglé, car si elle a les nécessités de la vie en la solitude, elle doit faire les oraisons plus prolixes ; que si elle se dégoûte en priant et que les tentations s’accroissent, elle peut travailler de ses mains à quelque ouvrage honnête, utile pour soi ou pour les autres. Que si elle se dégoûte en l’un et en l’autre, elle pourra lors avoir quelque occupation honnête ou écouter des paroles d’édification avec toute honnêteté, sans aucune cajolerie, jusques à ce que le corps et l’âme se rendent plus habiles à l’œuvre de Dieu.

Que si Marie n’a point ce qui est nécessaire pour sustenter son corps, si elle ne travaille, lors qu’elle fasse une plus courte oraison, à raison de l’œuvre nécessaire, et ce labeur sera perfection et accroissement d’oraison. Que si Marie ne sait travailler ou qu’elle ne le puisse, qu’elle n’ait point honte de mendier, mais qu’elle se réjouisse de m’imiter, moi qui suis Fils de Dieu, qui me suis fait pauvre pour enrichie l’homme. Que si Marie est sujette à l’obéissance, qu’elle vive selon l’obéissance de son prélat, et sa couronne lui sera redoublée plus que si elle était en liberté.

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En quatrième lieu, Marie ne doit point être avare, ni aussi Marthe, ni aussi elle ne doit être trop prodigue, car comme Marthe donne le temporel pour l’amour de  Dieu, de même Marie doit distribuer le spirituel, car si Marie a chèrement Dieu dans son cœur, qu’elle se donne garde de cette maxime : Il me suffit. Si je puis aider mon âme, que m’importent les œuvres du prochain ? ou si je suis bien, que m’importe la vie d’autrui ? O ma fille, si ceux qui pensent et disent telles choses voyaient leur ami être déshonoré et affligé, ils y courraient jusques à la mort, afin de l’affranchir de la tribulation. Marie en doit faire de même, car elle doit être marrie que Dieu soit offensé, que son frère, qui est le prochain, soit scandalisé ; ou si quelqu’un tombe en péché, que Marie, s’efforce autant qu’elle pourra de l’en arracher, avec discrétion néanmoins ; que si, pour cela, Marie est poursuivie, qu’elle cherche un autre lieu plus assuré, car moi, Dieu, j’ai dit : Quand on vous poursuivra en une cité, fuyez en une autre, car Paul en fit de même, d’autant qu’il était nécessaire pour un autre temps, c’est pourquoi, il a été mis dehors en une corbeille par la muraille.

Afin donc que Marie soit universelle et pieuse, cinq choses lui sont nécessaires :

1. la maison en laquelle dorment les hôtes ;

2. les vêtements pour vêtir les nus ;

3. la viande pour les malades, c’est-à-dire, paroles de consolation avec la charité divine.
 

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La maison du Marie est son cœur, les mauvais hôtes duquel sont tout ce qui trouble ce cœur, savoir, ire, tristesse, cupidité, superbe et autres choses semblables qui entrent par les cinq sens. Tous ces vices donc doivent être ou gisants ou dormants, comme ceux qui sont en un profond repos, car comme l’hospitalier reçoit les bons et les mauvais hôtes avec patience, de même Marie doit tout supporter avec paix pour l’amour de Dieu, et ne consentir en la moindre chose aux vices ni se plaire en eux, mais bien les repousser de son cœur autant qu’elle pourra avec la grâce de Dieu. Que si elle ne les peut chasser, qu’elle les souffre patiemment contre sa volonté, comme des hôtes, sachant pour certains qu’ils lui profitent à de plus grandes couronnes, et non à damnation.

Marie a des vêtements pour couvrir les hôtes, savoir, l’humilité intérieure et extérieure, et la compassion de l’esprit en l’affliction du prochain. Que si Marie est méprisée des hommes, elle revienne soudain en son esprit, pensant comme moi, Dieu, était content, et étant méprisé, je souffrais patiemment, et comme étant juge, je me tus, comment je ne murmurais point quand j’étais fouetté et couronné d’épines.

Que Marie considère aussi qu’elle ne montre point signe d’ire et d’impatience à ceux qui la reprennent aigrement, mais qu’elle bénisse ceux qui la poursuivent, afin que ceux qui la voient bénissent Dieu.

 

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Que Marie imite, et Dieu lui donnera bénédiction pour la malédiction. Que Marie se donne encore garde qu’elle ne médise ou impropère ceux qui lui sont fâcheux, car c’est une chose damnable de médire et d’écouter les médisants et d’injurier le prochain par impatience.

 

Partant, que Marie donne de bons exemples d’humilité et de patience parfaite ; qu’elle tâche d'avertir ceux qui médisent d’autrui, et leur marque le danger dans lequel ils se précipitent, et qu’avec charité, elle les porte à la vraie humilité, employant à cela sa parole et son bon exemple. D’ailleurs, le vêtement de Marie doit être la compassion, car si elle voit que son prochain pèche, elle en doit avoir compassion, priant Dieu qu’il lui pardonne ; que si elle voit qu’il souffre les injures, dommages, mépris, qu’elle en ait douleur avec lui ; qu’elle l’aide par ses prières, secours, et de soin, même parmi les puissants du siècle, car la vraie compassion ne cherche point ses intérêts, mais bien ceux de son prochain. Que si Marie est telle que les princes ne l’écoutent point et qu’elle ne profite de rien de leur parler, qu’elle prie lors Dieu pour les affligés, et Dieu, qui est celui qui regarde le cœur, convertira le cœur des hommes pour la paix de l’affligé, pour l’amour de celle qui le prie, ou bien il l’affranchira de la tribulation, ou Dieu lui donnera la patience pour la supporter, et afin que sa couronne soit redoublée. Telle doit donc être la robe d’humilité au cœur de Marie, car il n’y a rien qui attire tant Dieu dans le cœur que l’humilité et la compassion du prochain.

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3. Que Marie ait du pain et du vin pour les hôtes, car dans le cœur de Marie sont logés de grands hôtes, savoir : quand le cœur est ravi au dehors et appète des choses délectables, avoir les choses terrestres, posséder les temporelles ; quand l’oreille désire ouïr ses propres louanges ; quand la chair désire ses appétits charnels ; quand l’esprit s’excuse sur sa fragilité et diminue ses fautes ; quand le dégoût des choses bonnes la saisit ; l’oubli du futur ; quand elle a grande estime de ses bonnes œuvres ; quand elle croit que ses maux soient petits, ou qu’elle les oublie. Contre tels hôtes, elle a besoin de conseil et de ne point dormir en dissimulant. Que Marie donc, animée par la foi, se lève fortement, et qu’elle réponde en cette sorte à ces hôtes : Moi, je ne veux rien posséder du temporel, mais je me contente de ma petite nourriture ; je n’en veux point ; je veux employer jusques au moindre moment du temps à l’honneur de Dieu ; je ne veux point occuper mon esprit à ce qui est beau ou laid, utile ou inutile à la chair, ce qui est à goût ou à dégoût, si ce n’est autant que cela plaît à Dieu et touche à l’utilité de l’âme. Certes, je ne me saurais plaire à vivre un seul moment que pour l’honneur de Dieu : une telle volonté est la viande des hôtes, et une telle réponse éteint les délectations déréglées.

4. Que Marie ait du feu pour chauffer les hôtes et pour les éclairer. Ce feu est l’amour du Saint-Esprit, car il est impossible que quelqu’un puisse entièrement renoncer à ses propres volontés, ou aux affections charnelles de ses parents, ou à l’amour des richesses, sans l’inspiration et le mouvement du Saint-Esprit ; ni même Marie, bien qu’elle soit parfaite, ne peut commencer ni continuer la vie bienheureuse sans la dilection et l’inspiration du Saint-Esprit.

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Afin donc que Marie reluise aux hôtes qui arriveront, qu’elle pense à ceci : Dieu m’a créée afin que je l’honorasse sur toutes choses, et qu’en l’honorant, je l’aimasse avec crainte. Il est aussi né de la Vierge, afin de m’enseigner la voie du ciel, laquelle je devais suivre, en l’imitant avec humilité. Par sa mort, il a ouvert le ciel, afin que je soupirasse là en y allant. Que Marie examine encore toutes ses œuvres, pensées et affections, savoir, comment elle a offensé  Dieu, combien patiemment Dieu supporte les hommes, et en combien de manières Dieu appelle l’homme à soi.

Telles ou semblables pensées sont les hôtes de Marie, qui sont quasi en ténèbres, s’ils ne sont illuminés par les feux du Saint-Esprit. Ces feux viennent lors au cœur, quand Marie considère qu’il est raisonnable de servir Dieu, quand elle voudrait plutôt souffrir toute autre peine que provoquer à dessein Dieu à la colère, par la bonté duquel l’âme est créée et rachetée de son précieux sang. Lors aussi le cœur reçoit la lumière de ce bon feu, quand l’âme considère et discerne pour quelle intention l’hôte vient, c’est-à-dire, une chacune des pensées, quand elle examine si sa pensée tend à la joie éternelle ou à la joie passagère, si elle n’admet aucune pensée sans l’avoir reconnue, et nulle sans punition.

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Afin donc qu’on obtienne ce feu, et que, l’ayant obtenu, il soit conservé, il est besoin que Marie y porte du bois sec pour le nourrir, c’est-à-dire, elle doit prendre garde aux mouvements de la chair, afin que la chair ne se rende insolente et qu’elle apporte toute sorte de diligence, afin que les œuvres de piété et les oraisons dévotes s’augmentent, esquelles le Saint-Esprit se plaît et se délecte. Mais il faut prendre garde et considérer que là où le feu est allumé en un vase bouché sans issue, soudain il s’éteint et le vase se refroidit : de même en est-il quand il est expédient à Marie, si elle ne veut vivre pour autre chose, si ce n’est pour l’honneur de Dieu, d’ouvrir la bouche, et que la flamme de l’amour en sorte. Or, on ouvre lors la bouche, quand, en parlant, poussé par l’amour divin, on engendre des enfants d’amour à Dieu. Mais que Marie prenne diligemment garde que là elle ouvre la bouche de sa prédication, où les bons deviennent fervents et où les mauvais se rendent bons, où la justice peut être augmentée et où les coutumes dépravées peuvent être abolies, car Paul, mon apôtre, voulant parler quelquefois, mon Esprit le lui défendit, qui le fit parler et se taire à propos, qui lit fit user de paroles douces et rudes, qui proféra toutes ses paroles pour la gloire de Dieu et pour l’affermissement de la foi.

Que Marie, si elle ne peut prêcher, en ayant néanmoins la volonté et la science, fasse comme le renard, qui, voyant plusieurs montagnes, fait sa tanière là où il trouve le plus de repos : de même que Marie prenne garde à ses paroles, à ses exemples et aux oraisons du cœur de plusieurs, et quand elle trouve des cœurs disposés à recevoir la parole divine, qu’elle demeure là, persuadant et conseillant tout ce qu’elle pourra.

Que Marie travaille aussi afin qu’une issue convenable soit donnée à sa flamme, car plus grande est la flamme, plus plusieurs en sont illuminés et enflammés. Or, lors l’issue est convenable, quand Marie ne craint point le blâme ni ne cherche sa propre louange, quand elle ne craint point l’adversité ni ne s’attache point à la prospérité ; et lors elle est plus acceptable à Dieu, quand Marie fait plutôt les bonnes œuvres en public qu’en particulier, de sorte que ceux qui les voient glorifient Dieu.

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Nous devons savoir qu’il faut que Marie envoie deux flammes, une en public, l’autre en cachette, c’est-à-dire, elle doit avoir deux sortes d’humilité : l’une intérieure, dans le cœur, l’autre extérieure.

La première consiste à ce que Marie s’estime indigne et inutile à tout bien, et qu’elle ne se préfère à pas un, ni ne veuille être louée ; qu’elle ne désire être vue et qu’elle fuie l’arrogance, désirant et aimant Dieu sur toutes choses et imitant toutes choses. Or, si Marie jette telles flammes, signes de bonnes œuvres, lors son cœur sera illuminé, et elle surmontera toutes les adversités et les supportera facilement.

En deuxième lieu, que sa flamme soit en public, car si elle a la vraie humilité dans le cœur, elle doit paraître dans le vêtement, être ouïe en la bouche et être accomplie en l’œuvre. Or, c’est lorsque la vraie humilité est dans les habits que Marie choisit la robe de moindre valeur, de laquelle elle reçoit plus d’utilité et de service que d’une autre qui a plus d’éclat, de superbe et d’ostentation, car la robe qui est de peu de valeur est appelée vile et abjecte devant les hommes, et belle devant Dieu, d’autant qu’elle aide à l’humilité ; mais la robe qui est de grand prix est appelée belle devant les hommes et vile devant Dieu, d’autant qu’elle ôte la beauté des anges, qui est l’humilité. Que si Marie est obligée d’avoir une meilleure robe pour quelque chose raisonnable contre sa volonté, qu’elle ne se trouble pas pour cela, car de là ses récompenses s’augmentent. D’ailleurs, Marie doit avoir l’humilité en la bouche, savoir, parlant humblement et de choses humbles, évitant les cajoleries, se gardant de trop parler, ne subtilisant ses paroles, ne les préférant aux autres

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Que si Marie oyait se louer pour quelque bonne œuvre, qu’elle ne s’élève point, mais qu’elle dise : Louange soit à Dieu, qui a donné toutes choses ! car que suis-je autre chose que poudre devant la face du vent ? Ou bien : Quel bien peut-on attendre de moi, qui suis une terre sèche et sans eau ? Que si elle est blâmée, qu’elle ne s’afflige point, mais qu’elle dise : Je suis digne de cela, car j’ai tant de fois péché contre Dieu et n’en ai point fait pénitence, que je mérite de plus grandes afflictions ; partant, priez pour moi, afin que, tolérant les opprobres temporels, j’évite les éternels.

Que si Marie est provoquée à colère par la méchanceté du prochain, elle se garde de dire des paroles d’indiscrétion, car la colère est souvent accompagnée de la superbe : partant, le conseil veut que, la colère la pressant, elle contienne sa langue jusques à ce qu’elle puisse demander à Dieu la grâce de pâtir, et de délibérer avec paix sur ce qu’elle doit répondre et comment, afin qu’elle puisse se surmonter elle-même, car lors la colère est adoucie dans son cœur, et lors l’homme répond sagement aux fous.

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Sachez aussi que le diable envie grandement Marie : que s’il ne la peut empêcher par l’infraction des commandements de Dieu, lors il l’excite à la colère, ou à s’épandre et dilater en vaine joie, ou aux paroles dissolues et provoquant le rire : partant, que Marie demande toujours à Dieu le secours ; que toutes ses paroles et ses œuvres soient gouvernées par lui et dirigées vers lui. D’ailleurs, que Marie ait l’humilité en ses œuvres, afin qu’elle ne fasse rien pour la louange mondaine, qu’elle n’entreprenne rien de nouveau, que l’humilité ne lui soit point honteuse, qu’elle fuie la singularité, qu’elle défère à tous, qu’elle se répute indigne de tous. D’ailleurs, que Marie élise plutôt d’être avec les pauvres qu’avec les riches, d’obéir plutôt que de commander, de se taire que de parler, d’être plutôt solitaire que d’être avec les grands, et de converser avec ses parents. Que Marie ait aussi en haine se propre volonté ; qu’elle médite toujours sa mort ; qu’elle ne soit point curieuse murmurante ni oublieuse de la justice de Dieu et de ses affections. Que Marie se confesse souvent aussi ; qu’elle prenne garde à ses tentations, ne désirant vivre pour autre chose que pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

Marie donc, étant telle que nous avons dit, pourra être élue en Marthe ; et étant obéissante par l’esprit d’amour, qu’elle entreprenne le gouvernement des âmes de plusieurs, car elle aura une double couronne, comme je vous le montrerai par une similitude.

Il y avait un seigneur qui était grandement puissant, qui avait un navire chargé de marchandises précieuses. Il dit à ses domestiques : Allez à un tel port ; là je dois gagner beaucoup et recevoir quasi un fruit inestimable. Si les vents s’élèvent, travaillez généreusement, et ne perdez point courage ; gardez-vous de la lâcheté, car votre récompense sera grande.

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Or, les serviteurs cinglant en la mer, les vents les assaillirent, les orages s’élevèrent, les flots s’enflèrent, et le navire fut brisé en plusieurs lieux. Lors le pilote eut grande peur, et tous désespéraient de leur vie. Ils résolurent d’aborder à un autre port, où les vagues les portaient, et non à celui où le maître leur avait recommandé d’aller ; ce qu’oyant, un des plus fidèles serviteurs, étant marri de cette résolution, prit courageusement le gouvernail, et de ses forces pourra le navire au port que son maître désirait. On doit donc donner à ce domestique une plus grande récompense.

De même en est-il d’un bon prélat qui, pour l’amour de Dieu et pour le salut des âmes, a reçu le gouvernement des âmes, ne se souciant de l’honneur. Or, celui-là aura une double récompense : la première, d’autant qu’il sera participant de tous les biens de ceux qu’il a conduits au port de salut ; la deuxième, parce que sa gloire augmentera sans fin. Le contraire sera de ceux qui briguent les charges, honneurs et dignités : ils seront participants de toutes les peines et de tous les péchés de ceux dont ils ont entrepris le gouvernement. En deuxième lieu, leur confusion sera sans fin, car les prélats qui ambitionnent les honneurs, sont plus semblables aux prostituées qu’aux prélats, d’autant qu’ils déçoivent les âmes par leurs mauvais exemples et par leurs paroles, et sont indignes du nom de Marie ou de Marthe, s’ils n’en font pénitence.

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5. Marie doit donner des médecines à ses hôtes, c’est-à-dire, les réjouir par de bonnes paroles, car en tout ce qui lui peut arriver de triste ou de joyeux, elle doit dire : Je veux tout ce que Dieu veut que je veuille, et je suis prête à obéir à ses volontés, quand même j’irais en enfer. Une telle volonté est la médecine du cœur, et cette volonté est la délectation ès tribulations et le tempérament ès prospérités. Mais d’autant que Marie a plusieurs ennemis, c’est pourquoi elle se doit confesser souvent, car tandis qu’elle demeure sciemment en péché, ayant temps de se confesse, le néglige ou ne le considère, lors elle doit être plutôt appelée apostate devant Dieu que Marie. D’ailleurs, sachez, quant aux actions de Marthe, que, bien que la part de Marie soit la meilleure, la part de Marthe n’est pas mauvaise, mais louable et agréable à Dieu ; c’est pourquoi je vous dirai maintenant comment elle doit être formée.

Elle doit avoir, aussi bien que Marie,  cinq sortes de biens :

1. une foi droite en l’Église de Dieu ; savoir,

2. les commandements de Dieu et les conseils de la vérité évangélique, et elle doit les accomplir par amour et par œuvre ;

3. elle doit retenir sa langue de toute mauvaise parole, et doit contenir l’esprit des cupidités insatiables et des plaisirs déréglés, se savoir contenter de ce qu’on lui donne, sans vouloir le superflu;

4. accomplir avec raison et humilité les œuvres de miséricorde, afin que, s’appuyant en ses œuvres, elle n’offense Dieu ;

5. aimer Dieu sur toutes choses et plus que soi-même.

C’est de la sorte que Marthe se comporta, car elle se donna à moi fort joyeusement, suivant mes paroles et mes œuvres ; et puis, elle donna tous ses biens pour l’amour de moi, et elle se dégoûta des choses temporelles et recherchait les célestes ; c’est pourquoi elle souffrait toutes choses patiemment, et avait autant de soin des autres que de soi-même ; elle considérait incessamment l’amour que je lui avais porté et les douleurs que j’avais souffertes, et se réjouissait en ses prières, et comme une mère, elle aimait tout le monde. Marthe me suivait aussi tous les jours, ne désirant qu’ouïr la parole de vie ; elle compatissait avec les affligés ; elle consolait les infirmes ; elle ne disait mal de personne, mais elle semblait ne voir les méchancetés du prochain ; n’y pouvant remédier, elle priait Dieu pour leur conversion. Celui donc qui désire avoir la charité en la vie active, doit suivre Marthe, aimant le prochain pour obtenir le ciel, mais non pas en entretenant ses vices, fuyant la louange propre, toute superbe, duplicité, ire, envie.

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Mais remarquez que Marthe, priant pour le Lazare, son frère mort, vint la première à moi ; mais soudain son frère ne ressuscita pas. Mais Marie vint après, étant appelée, et lors, pour l’amour de toutes les deux, le Lazare ressuscita. De même en est-il dans la vie spirituelle, car celle qui désire être parfaitement à Marie, doit être premièrement Marthe, travaillant corporellement pour l’amour de moi, et elle doit plutôt savoir résister aux désirs charnels et aller au-devant des tentations du diable, que monter franchement au degré de Marie, car celle qui est éprouvée et tentée et qui n’a pas vaincu les mouvements charnels, comment pourra-t-elle s’unir continuellement ès choses célestes ? car souvent une bonne œuvre se fait avec un intention indiscrète et d’un esprit indéterminé ; et partant, en son progrès, elle est avec lâcheté et froideur ; mais afin que la bonne œuvre me soit agréable, elle ressuscité et revit par Marthe, c’est-à-dire, quand le prochain est sincèrement aimé et désiré sur toutes choses ; et lors toute bonne œuvre est agréable à Dieu ; c’est pourquoi je dis en mon Evangile que Marie avait choisi la meilleure part, car la part de Marthe est lors bonne, quand elle est dolente des péchés du prochain, et lors la part de Marthe est meilleure, quand elle travaille, afin que les hommes vivent sagement et honnêtement, et lorsqu’elle fait cela pour la seule dilection et amour divin ; mais la part de Marie est meilleure, quand elle contemple le ciel et le gain des âmes.

 

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Lors Notre-Seigneur entre en la maison de Marthe et de Marie, quand le cœur est rempli de bonnes affections et qu’il est en repos du tumulte du monde ; quand il considère toujours Dieu présent, et non seulement contemple l’amour divin, mais travaille nuit et jour pour posséder Dieu.

 

Chapitre 66.

 

En ce chapitre, Jésus-Christ montre à sainte Brigitte les devoirs d’une épouse, ses ornements, etc ; puis il y est parle d’une âme condamnée en purgatoire, etc.

 

Le Fils de Dieu parle, disant : Un seigneur épousa une fille à laquelle il édifia une maison, lui donnant des serviteurs et des filles de chambre, et tout ce qui était nécessaire pour la nourriture, et lui après s’en alla fort loin. Or, revenant, il ouït que sa femme était une infâme, que ses serviteurs étaient rebelles, que ses filles étaient impudiques. Courroucé de cela, il mit sa femme en jugement, les serviteurs à la torture et les servantes au fouet.

Je suis ce seigneur-là, qui, ayant, par ma toute-puissante main, fait éclore du néant l’ame de l’homme, l’ai prise en épouse, désirant prendre avec elle les plaisirs indicibles. Or, je l’ai épousée en foi, dilection et en persévérance de vertus. J’ai bâti une maison à cette âme, quand je lui ai donné le corps mortel, dans lequel elle devait être éprouvée et exercée de vertus.

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Cette maison a quatre propriétés : la noblesse, la mortalité, mutabilité et corruptibilité. Ce corps est noble, d’autant que c’est l’œuvre de Dieu, et il participe à tous les éléments, et ressuscitera au dernier jour pour vivre éternellement ; mais l’âme surpasse sa noblesse, d’autant qu’il est terrestre et que l’âme est spirituelle. Mais d’autant qu’il a quelque espèce de noblesse, il doit être orné de vertus, afin qu’au jour du jugement, il puisse être glorifié. Le corps est mortel, d’autant qu’il est de terre, c’est pourquoi il doit s’opposer fortement aux plaisirs au milieu desquels, s’il succombe, il perd Dieu. Le corps est encore changeant, et partant, il doit être constant par la raison, car s’il suit ses mouvements, il n’est point différent des bêtes brutes ; il est corruptible : partant, qu’il se tienne en pureté, car le diable le pousse à l’immondicité, afin d’éloigner de lui la garde des anges.

Que celui donc qui habite en cette maison de ce corps, qui est l’âme, dans lequel elle est enfermée comme dans une maison, vivifie ce corps, car sans l’union de l’âme, il est puant, horrible et affreux à regarder.

 

L’âme a aussi cinq serviteurs qui la servent pour le soulagement de la maison :

Le premier c’est la vue, qui doit être comme une bonté échauguette qui discerne les amis et les ennemis. Or, lors les ennemis viennent, quand les yeux désirent de voir des faces belles, ce qui est délectable à la chair et ce qui est nuisible et déshonnête. Or, lors les amis viennent, quand l’âme se plaît à voir et à contempler ma passion, les œuvres de mes amis et ce qui touche à l’honneur de Dieu.

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Le deuxième serviteur est l’ouïe, qui est comme un bon portier qui ouvre la porte aux amis et la ferme aux ennemis ; or, il ouvre lors aux amis, quand il prend plaisir a ouïr la parole divine, et la ferme ; quand il n’écoute point les médisantes et les paroles excitant au rire.

Le troisième serviteur est le goût au manger et au boire, et celui-là est comme un bon médecin qui range et ordonne la réfection pour la nécessité, non à la superfluité et volupté, car on doit prendre les aliments comme des médicaments. Partant, on doit considérer deux choses au goût, savoir, qu’on n’en prenne plus grande ni plus petite quantité qu’il ne faut, car la quantité nous cause l’infirmité, l’abstinence téméraire nous engendre le dégoût au service de Dieu.

Le quatrième serviteur est l’attouchement qui doit être comme un bon laboureur gagnant sa vie de ses propres mains pour sustenter le corps, travaillant avec discrétion pour les délices de la chair, travaillant avec amour pour obtenir la béatitude éternelle.

Le cinquième serviteur est l’odorat de ce qui est délectable ; celui-ci se peut mortifier en plusieurs choses pour la gloire éternelle : partant, que ce serviteur soit comme un bon dispensateur ; qu’il veille à ce qui est expédiant à son âme, à ce qu’elle mérite, si le corps pourra subsister avec cela ou cela ; que si l’âme considère que le corps peut subsister sans ces parfums, qu’elle s’en prive pour l’amour de Dieu, et ainsi elle méritera une grande récompense devant Dieu, car la mortification est grandement agréable à Dieu, quand l’âme s’abstient même de ce qui lui est licite.

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Or, puisque l’âme a tels serviteurs, elle doit avoir aussi cinq servantes bien ornées, qui la gardent et la défendent des dangers et plaisirs :

Que la première soit la crainte affectueuse, afin que l’époux ne soit en rien offensé ou que l’épouse ne soit trouvée négligente.

Que la deuxième soit la dévote, afin qu’elle ne cherche que l’honneur de l’époux et l’utilité de sa maîtresse.

Que la troisième soit la modestie et la constance, afin que l’épouse ne s’écoule en joie ni qu’elle succombe en adversités.

Que la cinquième soit la pudeur et la chasteté, afin qu’on ne trouve en elle quelque chose d’indécent ou de dissolu en la parole ou en l’action.

Que si donc l’âme a une telle maison que dessus, des servitudes si vertueux, des servantes si honnêtes, il serait déshonnête si l’âme, qui est la maîtresse, était déshonnête et n’était belle.

 

Partant, je vous veux montrer l’ornement de l’âme et son éclat : elle doit être raisonnable à discerner ce qu’elle doit au corps et à Dieu, car elle participe avec la raison et en la dilection : partant,

1. qu’elle traite la chair comme un âne, lui donnant avec modération les nécessités de la vie, l’exerçant par le travail, la corrigeant par la crainte et par l’abstinence, prenant garde à ses mouvements, afin qu’elle ne condescende aux infirmités de la chair, en telle sorte que Dieu en soit offensé.
2.
Que l’âme soit céleste, puisqu’elle a l’image de Dieu : c’est pourquoi elle ne doit jamais chercher ses plaisirs ni ses goûts en la chair, de peur qu’elle ne se conforme à l’image du diable.
3.
Qu’elle soit fervente en l’amour divin, d’autant qu’elle est sœur des anges, immortelle et éternelle.
4.
Qu’elle soit belle et enrichie en toute sorte de vertus, car elle verra la beauté éternelle du Dieu vivant.

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Que si elle consent au corps, elle sera éternellement difforme. L’âme a aussi besoin des viandes, qui sont la mémoire des bienfaits de Dieu, la considération de ses terribles jugements, et la délectation en l’amour et commandements divins ; et partant, que l’âme prenne diligemment garde qu’elle ne soit jamais gouvernée par la chair, car lors tout sera déréglé : oui, lors les yeux veulent voir les objets plaisants, les oreilles ouïr les cajoleries ; le goût cherche les choses douces, et le corps veut travailler pour l’honneur du monde. Lors aussi la raison est séduite ; l’impatience domine ; la dévotion diminue, la lâcheté s’y glisse ; les fautes sont rendues légères, et on ne considère point les choses éternelles. Lors aussi la viande spirituelle est rendue vile et tout le service de Dieu est onéreux, car comment pourrait être agréable la continuelle mémoire de Dieu, là où règne la délectation de la chair ? ou comment pourrait se conformer l’âme à la divine volonté, là où sont seulement les plaisirs de la chair ? ou comment le vrai peut-il être discerné du faux, là où tout ce qui est de Dieu est chargé ? De telle maison on peut dire qu’elle est péagère et tributaire de Satan.

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Telle est l’âme du défunt que vous voyez, car le diable la possède par neuf sortes de droits :

1. d’autant que volontairement elle a consenti au péché.

2. D’autant qu’elle a méprisé la qualité et la dignité de son baptême.

3. D’autant qu’elle ne se soucia point de la confirmation que l’évêque lui avait donnée.

4. D’autant qu’elle n’a point considéré le temps qui lui était donné pour faire pénitence.

5. D’autant qu’elle ne m’a point craint en ses œuvres, ni mes jugements, mais à dessein elle s’est retirée de moi.

6. D’autant qu’elle a méprisé ma patience, comme si je n’étais ou comme si je ne voulais point juger.

7. D’autant qu’elle se souciait moins de mes conseils et de mes préceptes que des hommes.

8. D’autant qu’elle ne rendait point grâces à Dieu de cœur des bienfaits dont Dieu l’avait enrichie, d’autant que son cœur était tout au monde.

9. D’autant que ma passion était comme morte dans son cœur.

C’est pourquoi elle souffre aussi neuf sortes de peines :

1. tout ce qu’elle pâtit, elle ne le pâtit pas par amour, mais avec une mauvaise volonté.

2. D’autant qu’elle laisse le Créateur et suit les créatures, toutes les créatures l’auront en abomination.

3. La douleur d’avoir perdu tout ce qu’elle aimait, et tout cela est contre elle.

4. Une ardeur et soif, d’autant qu’elle désirait plus les choses périssables que les choses éternelles.

5. Une terreur et puissance des démons, parce qu’elle n’a pas eu, quand elle devait, la crainte de Dieu.

6. La privation de la vision divine, d’autant qu’en son temps, elle n’a point considéré la passion de Dieu.

7. Un désespoir de pardon, d’autant qu’elle ne sait pas si elle sera sauvée ou non .

8. Un remords de conscience, d’autant qu’elle a perdu le bien et a fait le mal.
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9. Le froid et les larmes, d’autant qu’elle ne désirait point l’amour de Dieu.

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Mais d’autant que cette âme a eu deux sortes de biens, l’un est que cette âme a eu une grande foi à ma passion, et résista autant qu’elle put à ceux qui en médisaient ; l’autre qu’elle aimait ma Mère et mes saints, et les honorait par des jeûnes : partant, pour l’amour des prières des saints qui prient pour elle, je vous dirai comment elle pourra être sauvée :

1. par ma passion, car elle a eu la foi de l’Église ;

2. par le sacrifice de mon corps, qui est l’antidote des âmes ;

3. par les oraisons des saints qui sont au ciel ;

4. par les bonnes œuvres qui se font continuellement en l’Église ;

5. par les prières de ceux qui vivent au monde ;

6. par les aumônes faites des biens bien acquis ;

7. par le travail des justes qui sont en pèlerinage en ce monde pour le salut des âmes ;

8. par les indulgences concédées par les souverains pontifes ;

9. par les pénitences des vivants.

Voilà, ma fille, que saint Ericus, que cette âme a servi autrefois, vous a mérité cette révélation. Viendra le temps où le zèle des âmes s’excitera dans les cœurs de plusieurs et où la malice se refroidira.

 

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Chapitre 67.

 

Jésus-Christ compare le monde à un navire. De la naissance de l’Antéchrist.

 

Le Fils de Dieu dit à sainte Brigitte : Ce monde est comme un navire qui, étant plein de sollicitude, est assailli par les orages de la mer, et qui ne laisse jamais l’homme en paix qu’il ne soit arrivé au port de repos ; car comme le navire à trois parties, la proue, le milieu et la poupe, je vous décris aussi trois ages au monde : le premier depuis Adam jusques à mon incarnation. Cet age est signifié par la proue, qui est haute, admirable et forte : haute en la piété des patriarches ; admirable en la science des prophètes ; forte en l’observance de la loi. Mais cette partie commença à déchoir, quand le peuple judaïque, ayant méprisé mes commandements, se plongea dans les iniquités et méchancetés, c’est pourquoi il a été rejeté de l’honneur et de la profession. Or, le milieu du navire commença de paraître, lorsque le Fils de Dieu vivant eut pris la nature humaine ; car comme le milieu de la mer est le plus profond, de même, quand je fus incarné, l’humilité commença d’être prêchée, et l’honnêteté que plusieurs avaient embrassée commença à être manifestée.

Mais maintenant, l’impiété et la superbe règnent, et ma passion est comme oubliée et négligée : c’est pourquoi la troisième partie commence à monter, qui durera jusques au jour du jugement, et en cet age, j’ai envoyé mes paroles au monde par vous : ceux qui les ouïront et les suivront seront sauvés, car comme saint Jean dit de l’Évangile, non du sien, mais du mien : Bienheureux sont ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! j’en dis maintenant de même : Bienheureux seront certainement ceux qui ouïront ces paroles et les suivront !

En la fin de cet age l’Antéchrist naîtra d’une femme infâme et maudite, qui feindra de savoir les choses spirituelles, et d’un homme maudit, et d’eux le diable formera son ouvrage par la permission divine. Mais le temps et la venue de l’Antéchrist ne seront pas comme ce Père, dont vous avez vu les livres, a écrit, mais il viendra au temps que je connais, quand l’iniquité abondera outre mesure et que l’impiété augmentera grandement. Partant, sachez que la foi sera ouverte à quelques Gentils, avant que l’Antéchrist vienne. Après, quand les chrétiens aimeront les hérésies et que les méchants fouleront le clergé et la justice, lors ce sera un signe que l’Antéchrist viendra bientôt.

 

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Chapitre 68.

 

D’un moine trompé en ses révélations et des signes. Dieu le fait avertir de se corriger.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse sainte Brigitte :  Je vous dis que le moine dont vous doutez a quitté le premier monastère par impatience, et est entré avec mensonge dans le second ; et étant excommunié, il est venu en Jérusalem, ma sainte cité, c’est pourquoi il a mérité d’être déçu et trompé, d’autant qu’il a eu honte d’être un moine humble et de demeurer constamment en la vocation en laquelle je l’avais appelé. Lisez donc les livres, et vous n’y trouverez qu’ambition et propre louange, car vous y trouverez que saint Pierre et saint Paul lui ont dit qu’il était digne de la souveraine prêtrise ; qu’il serait semblablement pape et empereur, eu qu’étant en nécessité, il avait trouvé à sa tête de l’or et quelque monnaie inconnue ; que saint Michel archange lui avait apparu en un corps de quelque marchand, et comment il avait ramassé toutes ses prophéties. Sachez que

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Tout cela est du diable qui le trompe et le déçoit. Partant, dites-lui qu’il ne sera ni pape ni césar, que même, s’il ne retourne soudain à son monastère et s’il ne se comporte comme un humble moine, il mourra en peu de temps comme un apostat, indigne de la communion des saints et de la compagnie des moines.

 

Chapitre 69.

 

Il est ici traité d’un frère trompé sous espèce de vertu, ne mangeant rien en carême, etc..

 

Le Fils de Dieu dit : Je dis en l’Évangile qu’on peut obtenir le ciel par deux choses : la première, si l’homme s’humilie comme un petit enfant ; la seconde, si l’homme se fait violence contre soi-même. Or, celui-là est donc humble qui bien qu’il avance et qu’il fasse force biens, les réputes comme rien, ne se confiant point en ses mérites. Celui-là se fait violence qui, résistant aux mouvements charnels, se châtie avec discrétion, afin qu’il n’offense Dieu, et croit obtenir le ciel, non par les œuvres de sa justice, mais par la miséricorde divine. Mais ce Frère qui ne mangeait rien en carême et qui faisait d’autres jeûnes indiscrets, désirait, par ses jeûnes, obtenir le ciel. Tous ces jeûnes provenaient de la superbe, et non de l’humilité ; c’est pourquoi il sera justement jugé avec ceux qui jeûnaient et payaient les dîmes  et méprisaient les autres. L’humilité de ce pécheur qui n’osait lever les yeux au ciel était meilleure, car moi, Dieu et homme, conversant avec les hommes, je mangeai et je bus ce qu’on me donnait, bien que j’eusse pu subsister sans viandes, afin de donner aux hommes l’exemple de vivre, afin qu’ils prennent humblement les nécessités de leur vie et qu’ils en rendent grâces à Dieu.
 

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Chapitre 70.

 

Notre-Seigneur montre à sainte Brigitte la damnation horrible d’un cardinal, et ses causes.
Avertissements aux prélats.

 

Sainte Brigitte voyait comme la personne d’un cardinal défunt qui était assise sur une porte de bois, à qui quatre Éthiopiens préparaient quatre chambres par lesquelles il fallait que l’âme de ce cardinal passât.

En la première, il y avait des vêtements de diverses manières que cette âme avait aimés en sa vie. En la deuxième, il y avait des vases d’or, d’argent, et divers autres ustensiles, esquels cette âme s’était plue pendant qu’elle vivait. En la troisième étaient des viandes et des parfums aromatiques esquels elle se plaisait. En la quatrième, il y avait des chevaux et autres animaux desquels elle se servait autrefois.

Mais quand l’âme passait par la chambre, elle endurait un froid rigoureux, et elle était accablée d’un grand poids, et criant, elle dit en pleurant : Malheur à moi, d’autant que j’ai plus aimé ce qui est beau que ce qui est utile ! J’ai aimé d’être aimée, d’être exaltée et louée : il est donc raisonnable que je sois déprimée sous l’escabeau du diable.

Et passant par la deuxième chambre, elle ressentit un torrent de poix et une flamme qui s’épandait et s’étendait partout. Et lors l’âme s’écria : Malheur à moi ! malheur éternellement, d’autant que j’ai vu, revu et cherché ce qui reluit et éclate, et partant, je suis abreuvée des torrents des voluptés du diable !

Et quand l’âme passait par la troisième chambre, elle sentit une puanteur insupportable et des serpents envenimés ; et lors elle cria horriblement, disant : Hélas ! hélas ! j’ai aimé la servante et j’ai méprisé la maîtresse. J’ai aimé les douceurs, il est raisonnable que j’endure les amertumes.

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Mais passant par la quatrième chambre, elle ouït un son terrible comme un tonnerre, et elle cria de peur : Oh ! que  digne est ma récompense !

Après, on ouït une voix qui disait : Qu’est ce que l’homme pense en terre ? ou le Fils de Dieu mentira-t-il, que l’homme rendra raison de la moindre maille ? voire je vous dis de plus qu’il rendra compte de tous les moments, de chaque denier, viande, boisson, des pensées en détail et des paroles, s’il ne les amende par contrition et par la pénitence. Eh quoi ! les cardinaux et les évêques croiront-ils ne rendre pas compte de mes aumônes, qu’ils ne mangent pas avec crainte et dévotion, mais qu’ils dévorent sans fruit ? ou bien pensent-ils que les âmes desquelles ces biens étaient, et desquels ils s’enorgueillissent, n’en demandent vengeance devant Dieu ? Véritablement, ma fille, j’en ferai exact jugement, et sonderai en quelle manière ils prennent mes oblations ; et les anges les jugeront, car moi et mes amis avons doté l’Église, afin que les ecclésiastiques ne vivent point comme mes amis ni ne prient pour être exaucés. Partant, je secourrai et pourvoirai les âmes dont les biens étaient de la table de ma grâce et de ma passion, et je leur ferai miséricorde

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.

Chapitre 71.

 

Il est ici traité d’absoudre, l’an de jubilé, tous les pénitents, hormis les sentences.

 

Le Fils de Dieu dit : Que le bon confesseur absolve tous les pécheurs qui viennent à lui avec contrition ; je veux qu’il les absolve tous ; qu’il prenne seulement garde des sentences de l’Église, qui sont claires.
 

DÉCLARATION.

 

On croit que ce confesseur était celui de sainte Brigitte (1), docteur, car il écrit en une sienne épître à Nicolas d’heureuse mémoire, évêque du royaume de Suède, de la cour de Rome, disant : Un certain prêtre étranger à qui le vicaire du pape enjoignit de confesser tous ceux qui parlaient sa langue, lui donna autorité d’absoudre de tous les cas qu’il pouvait, entre lesquels vint un pénitent riche et grand, disant qu’il avait péché avec quatre paires de sœurs, qui toutes n’étaient pas d’un même père et d’une même mère, mais chaque paire était d’un différent père et mère. Après il dit qu’il avait péché avec deux-cents femmes, et que, sur cela, il n’avait jamais acquis note d’infamie, et qu’il n’en avait jamais été accusé devant aucun ecclésiastique ou séculier.

Le prêtre susdit, quand il ouït des crimes si abominables, en eut horreur et s’éloigna autant qu’il put du pénitent. Mais le pécheur, enflammé des feux divins, ne se désespérait point, mais poursuivait l’absolution dudit prêtre, et
s’approchant de sainte Brigitte, se plaignait, d’autant que ce prêtre ne voulait l’absoudre ; c’est pourquoi elle se mit en oraison pour le prêtre et pour le pécheur, et en même temps, elle ouït la voix du Père qui disait des cieux : Dites au prêtre que, de ma part, il absolve tous ceux qui viendront à lui de sa nation, leur enjoignant pénitence selon la grâce qui lui sera donnée, selon que la droite raison lui suggéra, et selon aussi que le pénitent la pourra supporter, et qu’il l’absolve avec assurance jusqu’à ce qu’un semblable pécheur se présente et que je lui dise : Il ne faut pas l’absoudre. Qu’il prenne néanmoins garde aux censures ecclésiastiques et aux crimes notoires qui doivent être juges publiquement par les prélats de l’Église.


(1) Lincompensem

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Chapitre 72.

 

Jésus-Christ commande qu’on se donne garde qu’on ne reçoive de l’argent pour l’absolution des péchés. Les prêtres de paroisse peuvent absoudre de tous les péchés occultes.

 

Le Fils de Dieu dit : Il y a deux taches ès ecclésiastiques : l’une que peu sont absous sans que l’on donne de l’argent ; l’autre que les prêtre des paroisses n’osent absoudre de tous les péchés occultes ; mais ils assurent ne pouvoir les absoudre en certains cas réservés à l’évêque, pour lesquels ils les envoient à l’évêque ; et on les examine si longtemps que les occultes sont manifestés à tous. Partant, ceux qui ont le zèle des âmes doivent obvier à tels accidents, de peur que les âmes ne meurent en péché mortel, ou par honte, ou par obstination.

 

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Chapitre 73.

 

Notre-Seigneur dit que l’absolution d’un mauvais pénitencier qui était à Rome est bonne.
Il prédit sa mort soudaine.

 

Ce pénitencier de Rome était lépreux, hardi comme un milan, superbe comme un lion, et partant, il tombera à terre comme un papillon, qui a les ailes grandes et le corps petit. Sachez néanmoins que son absolution est bonne de l’autorité  de l’Église, aussi bien que l’absolution d’un prêtre juste. Dites-lui : Vous aurez ce que vous désirez, mais vous ne le posséderez pas, voire les étrangers emporteront ce que vous avez amassé. Il obtint un archiépiscopat et mourut le même jour.

 

Chapitre 74.

 

Ici est une vision des bâtiments qui devaient être pour les cardinaux et conseillers du Pape.

 

Je vis à Rome, du palais du pape jusques au Château Saint-Ange, et de ce château jusques à la maison du Saint-Esprit et jusques à l’église de Saint-Pierre, comme s’il y avait une plaine ; et cette plaine était entourée d’un mur où il y avait diverses loges. Lors j’ouï une voix qui me disait : Ce pape-là, qui aime son épouse d’une telle dilection de laquelle moi et mes amis nous l’aimons, possédera ce lieu avec ses successeurs, afin qu’il puisse facilement convoquer son conseil.

 

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Chapitre 75.

 

Jésus-Christ commande à un docteur en théologie que les âmes purifiées voient Dieu, et que ceux qui désirent toujours vivre pour pécher toujours seront tourmentés éternellement.

 

Un docteur en théologie, de Suède, qui a composé le prologue de ce livre, prêchant un jour, un soldat s’écria, comme furieux, disant : Si mon âme ne va point au ciel, qu’elle s’en aille comme une bête, mangeant la terre et l’écorce des arbres. La demeure jusques au jour du jugement est trop longue, car avant ce jour-là, pas un ne verra la gloire de Dieu.

Ce qu’oyant, l’épouse sainte Brigitte, qui assistait à ce sermon, pleura et dit : O Seigneur, Roi de gloire, je sais que vous êtes miséricordieux et fort patient, car tous ceux qui taisent la vérité et dissimulent la justice, sont loués au monde ; mais ceux qui ont votre zèle et le montrent, sont méprisés ; partant, ô Seigneur, donnez, donnez à ce docteur la constance et la ferveur de parler.

Lors l’épouse vit en un excès d’esprit le ciel ouvert, l’enfer ardent, et une voix lui disait : Voyez le ciel ; voyez de quelle gloire les âmes sont revêtues. Dites donc à ce maître : Dieu, Créateur et Rédempteur, dit ces choses : Prêchez assurément ; prêchez constamment ; prêchez importunément et opportunément que les âmes purifiées voient Dieu ; prêchez avec ferveur, car vous en serez récompensé, comme un enfant qui ouït la voix de son père. Si vous doutez qui je suis, moi qui parle, sachez que je suis celui-là qui vous retire des tentations.

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Or, ayant ouï ces choses, elle vit encore l’enfer, de la part duquel tremblant d’effroi, elle ouït une parole disant : Ne craignez point les esprits que vous voyez : leurs mains, c’est-à-dire leurs puissances, sont liées et ne peuvent rien sans ma permission. Qu’est-ce donc que les hommes présumant d’eux pensent ? Ne prendrai-je pas vengeance d’eux, moi qui assujettis même les démons à ma volonté ?

L’épouse répondit : O Seigneur, ne vous indignez pas si je parle. Vous qui êtes tout miséricordieux, le punirez-vous éternellement, lui qui ne peut pécher perpétuellement ?  Les hommes ne peuvent croire que cela soit convenable à votre Divinité, vous qui surexaltez la miséricorde par le jugement, ni les hommes ne punissent point perpétuellement les hommes qui les ont offensés.

L’esprit répondit : Je suis la vérité et la justice, qui donne à chacun selon ses œuvres, qui sonde les cœurs et les volontés ; et comme le ciel est distant de la terre, de même mes voies et mes jugements sont éloignés des conseils et conceptions des hommes. Partant, puisque l’homme ne se corrige point pendant qu’il vit et qu’il peut, qu’est-il de merveilles s’il est puni où il ne peut rien ? ou comment peuvent demeurer en mon éternité très-pure ceux qui veulent éternellement vivre et éternellement pécher ? Et partant, celui qui corrige son péché quand il peut, doit demeurer éternellement avec moi, qui puis tout et vis de toute éternité.

 

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DÉCLARATION.

 

Cet homme était marié, qui tenait une concubine publiquement en sa maison ; et quelqu’un l’en avertissant, poussé de colère, il la tua, et lui, mourut le quatrième jour, endurci, sans sacrements et enseveli ; et pendant plusieurs nuits fut entendue une voix qui disait : Malheur ! Malheur ! Je brûle ! Je brûle ! Cela ayant été rapporté à sa femme, on ouvrit en sa présence la sépulture, où l’on ne trouva qu’un petit haillon de son suaire et de ses souliers. La sépulture étant derechef couverte, on n’entendit plus la voix.

 

Chapitre 76.

 

Il est ici parlé des corrections que Jésus-Christ fait à son épouse, etc.

 

L’épouse sainte Brigitte étant logée en une ville, il advint que ses vêtements et ce qu’elle avait de plus précieux fut brûlé, et encore ce qui était de ses amis. Notre-Seigneur lui dit pendant qu’elle priait : Il est écrit que le prince des cuisiniers brûla le temple de Jérusalem.

 

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Or, qui est ce prince, sinon ceux qui cherchent les délices de la chair plus que les amertumes de ma passion ? De même vous cherchez en votre famille, et les y tolérez, les beautés, l’éclat des habits, et vous ne reprenez point les mœurs dépravées, de peur qu’ils vous trouvent fâcheux ; c’est pourquoi vous recevez maintenant le dommage que vous voyez, afin que vous compreniez qu’il ne suffit point, pour aller à la perfection, de se corriger soi-même, mais encore les autres, et principalement ceux de la famille, les attirant à l’honnêteté de la vie, car ce que vous pouvez corriger, et ne le faites pas à raison de quelque considération humaine, cela vous sera imputé à jugement et à péché. D’ailleurs, sachez que l’habitant de cette maison a deux vices, savoir, 1. d’infidélité, d’autant qu’il croit que toutes choses sont régies par le destin ; 2. il use des enchantements et de quelques paroles diaboliques, afin qu’il prenne une grande multitude de poissons d’un étang ; et d’autant qu’il est de votre famille, avertissez-le afin qu’il s’amende, autrement vous verrez de vos yeux que le diable qu’il est prévaudra sur lui.

Celui-là oyant l’avertissement de l’épouse de Jésus-Christ et le méprisant, on le trouva mort subitement ayant le col renversé.

 

Chapitre 77.

 

Jésus-Christ reprend un religieux à raison de quelque dispute.

 

Le Fils de Dieu dit à son épouse : Que vous dit ce frère babillard ?

Elle répondit : Que les Gentils qui n’ont été appelés à la vigne ne jouiront pas du fruit de la vigne.

Notre-Seigneur lui dit : Dites-lui que le temps viendra que tout sera un bercail et un pasteur, une fois et une claire connaissance de Dieu. Et lors plusieurs qui ont été appelés à la vigne seront reprouvés, et ceux qui n’y sont appelés et qui ont fait tout ce qu’ils ont pu, auront quelque miséricorde et quelque soulagement en leurs supplices, bien qu’ils n’entrent en ladite vigne. D’ailleurs dites-lui : Il vous serait plus profitable de dire le Pater avec simplicité que de disputer sophistiquement et avec tant de subtilité des vanités du monde. Partant, pensez que vous êtes entré en religion, et sachez que bientôt vous mendierez le pain ailleurs. Néanmoins, si vous changez votre volonté, Dieu modifiera sa sentence.

 

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Chapitre 78.

 

De l’expulsion du diable d’une maison par les paroles de Jésus-Christ, etc.

 

L’épouse sainte Brigitte était logée une nuit en une maison où le diable parlait ouvertement, donnait les réponses et prédisait plusieurs choses. Or, cette sainte étant présente, le diable ne dit mot, et elle ouït, étant en l’oraison, une voix qui lui disait : En cette maison ont été faits quelques maux par les habitants du passé et du présent, car ils honorent les dieux tutélaires et ne fréquentent point les églises, si ce n’est pour la honte des hommes, ni ils n’entendent jamais la parole divine ; c’est pourquoi le diable domine en ce lieu.

Partant, que votre confesseur, ayant assemblé tous les habitants de cette maison et les voisins, leur dise ces paroles : Dieu est un et trine, par qui toutes choses ont été faites, et sans lui rien ne peut être fait. Or, le diable est sa créature qui ne peut pas mouvoir un de vos pieds sans que Dieu le permette.

 

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Mais d’autant plus vous aimez et cherchez les créatures et le monde plus que Dieu, et cherchez d’être riches contre les volontés de Dieu, lors le diable commence de posséder vos âmes, vous faisant (la justice de Dieu le permettant de la sorte), prospérer ès choses temporelles. Partant, croyez en Dieu, et chassez les serpents desquels vous sucez le lait, et ne donnez point des prémices d’aucune  chose à vos dieux tutélaires. Ne dites jamais que la fortune a fait cela ou cela, mais que Dieu l’a permis ainsi. Ne dites pas aussi qu’à l’autel n’est immolé autre chose qu’un gâteau, mais croyez fermement que là est vraiment le corps de Jésus-Christ qui a été crucifié en la croix, et croyez vraiment aux sacrements de baptême, confirmation et extrême-onction, et lors le diable s’enfuira de vous. Nous croyons, dirent-ils en criant, et promettons de nous amender.

Soudain on ouït le diable dans une fournaise, d’où il donnait les réponses, disant : Je n’aurai jamais plus ici de lieu. Et ainsi, il se retira tout confus, et désormais on n’entendit point de voix ni terreur.

 

Chapitre 79.

 

D’un homme qui avait dit la messe sans avoir reçu les ordres.

 

Un certain homme qui n’avait jamais été ordonné prêtre, célébrait et disait la sainte messe, lequel, étant présente au Juge, fut condamné au feu. Sainte Brigitte priant pour lui, Notre-Seigneur lui dit : Voyez ma miséricorde : si cet homme eût demeuré impuni, il serait damné. Or, maintenant, il a obtenu la contrition : c’est pourquoi, par le supplice qu’il souffre maintenant, il s’approche de ma grâce et du repos.

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Mais maintenant, vous me pouvez demander si le peuple qui entendait les messes et qui recevait les sacrements de cet homme, péchait mortellement.

Je vous réponds que, pour cela, il n’est point damné, mais la foi l’a sauvé, car il croyait que l’évêque  l’eût ordonné et que je fusse à l’autel en ses mains. La foi des parents a aussi profité à ceux qui ont été baptisés par lui, car la foi croit de Dieu des choses dignes par la charité des œuvres. Il ne sera pas sans récompense, et son désir ne sera pas frustré.

 

Chapitre 80.

 

D’une femme tourmentée d’un diable incube.

 

Une femme étant vexée par le démon, son ventre s’enfla soudain, de sorte qu’il semblait qu’elle enfanterait à l’instant, et soudain il se désenfla, comme si elle n’eût rien eu au ventre. Or, étant ainsi longtemps tourmentée du malin esprit et son ventre s’enflant comme le ventre de celles qui sont prêtes à enfanter, sa maîtresse consulta sur cela sainte Brigitte, épouse de J.C., qui lui dit : Comme entre les esprits, il y en a un plus subtil que l’autre, de même entre les malins, il y en a un plus malicieux que l’autre, car en ce royaume, il y a spécialement trois sortes de démons : les uns sont de feu et de flamme, qui dominent les gourmands et les gloutons ; le deuxième est diabolique, qui possède les corps et les âmes des hommes ; le troisième est le plus abominable de tous, qui excite les hommes à luxure contre nature. Et parce que cette femme a été incontinente et infidèle, le démon domine en elle ; et d’autant que, par honte, elle n’a pas confessé un péché et s’est approchée du saint Sacrement, le diable domine en elle. Partant, qu’elle confesse le péché celé depuis longtemps et que les amies de Dieu prient pour elle, et après, qu’elle communie, car je veux qu’elle soit affranchie par les larmes et les prières de mes amis. Et cela étant fait, cette femme fut délivrée.

 

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Chapitre 81.

 

D’un enfant et de sa mère affranchis des vexations du diable.

 

Un enfant de trois ans n’avait jamais repos, sinon lorsqu’on l’aspergeait d’eau froide ; ce que voyant, sainte Brigitte admira grandement. Jésus-Christ lui dit : Voyez la justice et la permission de Dieu. La mère de cet enfant a été longtemps tourmentée d’un diable incube, car le diable, qui est un esprit, se fait et s’applique un corps d’air, dans lequel se faisant luxurieux, il se montre visible, exerçant avec cette femme sa malice et sa méchanceté. Et bien que l’enfant soit né du père et de la mère, le diable néanmoins a grande puissance sur lui, d’autant qu’il n’est point baptisé, sinon à la manière dont baptisent les femmes qui ignorent les paroles de la sainte Trinité. Partant, que l’enfant soit baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et il sera guéri. Que la mère confesse son péché, et qu’elle dise, quand le diable approchera d’elle : Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui êtes né de la Vierge Marie pour le salut des hommes, qui avez été crucifié et qui maintenant régnez au ciel, ayez miséricorde de moi.

Cela étant fait, la femme fut guérie.

 

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Chapitre 82.

 

Notre-Seigneur reprend les hommes qui vont à la pythonisse.

 

Un soldat consulta un jour la pythonisse (1), à savoir, si les sujets se devaient rebeller contre le roi de Suède ou non, et l’effet arriva comme la pythonisse l’avait prédit ; ce qu’étant fait, le soldat racontait au roi, en la présence de l’épouse, ce que la pythonisse avait dit, et elle, s’étant un peu détournée du roi, ouït la voix de Jésus-Christ qui lui disait :  Vous avez ouï comment ce soldat a consulté la pythonisse et comment ce soldat a consulté la pythonisse et comment elle lui a prédit la paix future : partant, dites au roi que ces choses se font par ma permission à raison de la mauvaise foi des peuples, car le diable, par la subtilité de sa nature, peut connaître plusieurs choses futures, lesquelles il manifeste à ceux qui croient en lui, afin de les décevoir. Partant, dites encore au roi qu’il chasse telle sorte de gens de la compagnie des gens de bien, car ils sont ceux qui déçoivent les âmes qui se donnent au diable et lui rendent hommage pour le bien temporel, afin que, par eux, plusieurs soient perdus ; ni n’est pas de merveilles, car d’autant que l’homme désire savoir plus que Dieu ne veut, et être enrichi contre les vouloirs de Dieu, lors le diable, tentant son esprit et le voyant penché et enclin à ses suggestions, envoie ses coadjuteurs, savoir, les pythonisses et autres adversaires de la foi, pour le tromper, et acquérant quelque peu du temporel, il perd ce qui est éternel.

1.( Pythonisse est celle qui a le diable dans le ventre.)

P 422 

 

Chapitre 83.

 

De la dévotion des païens à la fin des jours.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Sachez que les païens auront tant de dévotion que les chrétiens ne seront que leurs serviteurs en la vie spirituelle ; et lors les écritures seront accomplies, que le peuple, ne l’entendant point, me glorifiera ; et lors les déserts seront édifiés, et tous chanteront: Gloire soit au Père, au Fils et au Saint-Esprit, et honneur à tous les saints !

 

Chapitre 84.

 

Ici Notre-Seigneur reprend ceux qui prennent plusieurs vêtements pour le froid et la vanité.

 

L’épouse sainte Brigitte, étant arrivée au royaume de Suède au milieu des rigueurs du froid en une île en naviguant, et tous ceux qui étaient dans le navire dormant, et elle, ne voulant les inquiéter, demeura jusques au jour dans le navire avec un domestique qui pâtissait de froid outre mesure, et elle avait un grand chaud, et eux, la touchant et l’expérimentant, l’admirèrent. Et elle priant Dieu à l’aurore, Notre-Seigneur lui dit : Oh ! que les hommes se défient de moi, qui se chargent de vêtements comme un érinacé de pommes, et comme un paon de plumes, et s’enorgueillissent tout autant que le paon s’enorgueillit de ses plumes, vu qu’ils ne peuvent échauffer sans moi ni être beaux sans qu’ils  soient de moi. Or, s’ils mettaient leur espérance en moi, je leur donnerais la chaleur du corps et de l’âme, et les rendrais beaux devant mes saints. Or, maintenant, ils sont difformes, d’autant qu’ils ne se contentent du nécessaire et aiment avec plus de ferveur la créature que le Créateur.

 

P423

 

Chapitre 85.

 

Du bien mal acquis ; des peines et des aumônes d’iceux.

 

Il y avait un homme qui était demeure quarante ans en purgatoire et qui apparut à l’épouse, disant : A raison de mes péchés et pour les biens que vous savez, j’ai souffert longtemps en purgatoire, car j’ai ouï souvent en la vie que ces biens étaient mal acquis par mes parents, mais je ne m’en souciai pas ni ne les restituai pas. Or, Dieu, l’inspirant à quelques-uns de mes parents ayant bonne conscience, les restituèrent après mon décès à ceux à qui il s’appartenaient, et lors, par les oraisons de l’Église, je fus délivré du purgatoire.

Après, Notre-Seigneur dit à son épouse : Qu’est-ce que les hommes croient, en détenant le bien d’autrui injustement et sciemment ? Eh quoi ! entreront-ils en paradis ? Certainement non, pas plus que Lucifer ; ni les aumônes des biens mal acquis ne leur profiteront de rien, mais passeront en la consolation de ceux auxquels ils appartiennent. Mais ceux qui ont ignoramment les biens mal acquis en seront pas punis, ne ceux-là ne perdent point le ciel, qui ont la volonté parfaite de restituer, et font en cela tout leur possible, car lors Dieu supplée à leur bonne volonté en cette vie ou en l’autre.

 

P424

 

Chapitre 86.

 

Comment sainte Brigitte vit le feu descendre du ciel, et en la main du prêtre, un agneau.

 

Un prêtre célébra, le jour de la Pentecôte, sa première messe en monastère ; Lorsqu’il élevait l’hostie, sainte Brigitte vit que le feu descendait du ciel sur l’autel, et elle vit entre les mains du prêtre les espèces du pain, et en icelles, un agneau vivant, et en l’agneau, une face comme d’un homme fort reluisante ; Et lors elle ouït une voix qui lui disait : Comme vous voyez maintenant que le feu descend du ciel en l’autel, de même le Saint-Esprit descendit sur mes apôtres en ce même jour, enflammant leurs cœurs. Le pain, par paroles sacramentelles, est transsubstantié en l’agneau vivant, c’est-à-dire, en mon corps ; et la face est en l’agneau, et l’agneau en la face, d’autant que le Père est dans le Fils, le Fils dans le Père, et le Saint-Esprit en tous deux. Et elle vit encore en la main du prêtre, à l’élévation de la sainte Eucharistie, un enfant d’une beauté admirable, qui lui dit : Je bénis les croyants et je serai juge des mécréants.
 

P425

Chapitre 87.

 

Il est ici parlé d’un excommunié.

 

Sainte Brigitte, étant un jour assise avec un évêque et autres seigneurs, sentit une puanteur insupportable, comme si elle sortait des écailles d’un poisson pourri ; et les autres admirant qu’elle seule sentît cette odeur, soudain entra en la maison un homme qui était excommunié ; mais à raison de sa grandeur, il ne se souciait du lieu de l’excommunication.

Le propos étant fini, Notre-Seigneur dit à sainte Brigitte : Comme la puanteur des écailles des poissons pourris est plus dangereuse au corps que les autres, de même l’excommunication est une infirmité spirituelle plus dangereuse à l’âme que les autres, car non-seulement elle nuit à l’excommunié, mais aussi à ceux qui conversent avec lui et qui consentent à ses desseins. Partant, que l’évêque fasse en sorte qu’un tel soit puni, de peur que, par sa participation, les autres ne soient marqués et tachés.
 

Chapitre 88.

 

Notre-Dame enseigne à sainte Brigitte ce que signifient les mouvements du cœur.

 

La nuit de la Nativité de Notre-Seigneur, sainte Brigitte fut touchée d’une si grande et si extraordinaire joie intérieure, qu’à grand’peine elle la pouvait soutenir ; et soudain elle sentit dans son cœur un grand mouvement si admirable qu’il semblait qu’elle avait en son corps un petit enfant qui s’émouvait ; et ce mouvement durant assez longuement, elle le montra à son Père spirituel et à ses amis spirituels, de peur que ce ne fût quelque illusion, lesquels, ayant vu et touché, en admirant l’effet.

P426

 

Le même jour, à la messe, la Mère de Dieu lui apparut et lui dit : Ma fille, vous admirez le mouvement que vous ressentez en votre cœur : sachez qu ce n’est point une illusion, mais bien une manifestation aucunement semblable à la joie, exultation et miséricorde qui me furent faites en ce soir ; car comme vous ignorez comme une exultation et joie sont arrivées si soudainement à votre cœur, de la même manière l’arrivée de mon Fils au monde fut soudaine et admirable, car quand je consentis à l’ange, lorsqu’il m’annonçait la conception du Fils de Dieu, soudain je sentis en moi quelque chose d’admirable et de vivant, et naissant de moi, il sortait d’une admirable vitesse, d’une joie indicible, sans léser le cloître virginal. Partant, ma fille, ne craignez point l’illusion, mais réjouissez-vous, parce que les mouvements que vous sentez sont les signes de l’avènement de mon Fils en votre cœur. Partant, comme mon Fils vous a imposé le nom d’une nouvelle épouse sienne, de même maintenant je vous appelle ma bru, car comme les pères et mères vieillissants mettent la charge sur la bru et lui disent tout ce qu’il faut faire en la maison, de même Dieu et moi, comme vieillis et refroidis ès cœurs des hommes, voulons marquer à nos amis et au monde par vous notre volonté. Ce mouvement de votre cœur croîtra selon la capacité de votre cœur.
 

P427

Chapitre 89.

 

Notre-Seigneur certifie à sainte Brigitte, par saint Jean, que l’Apocalypse est de lui, et que la glose du docteur Mathias sur la bible est du Saint-Esprit.

 

Quand le docteur Mathias, du royaume de Suède, gloseur de la bible, glosait sur l’Apocalypse, il priait une fois l’épouse de Jésus qu’elle sût en esprit le temps de l’Antéchrist, et lui demandait si l’Apocalypse avait été écrite par saint Jean l’évangéliste, d’autant que plusieurs tenaient le contraire. Elle fut donc ravie en esprit, et lors elle vit comme une personne ointe d’huile, mais grandement éclatante, à qui Jésus-Christ parlant, dit : Dites qui est celui qui a composé l’Apocalypse.

Il répondit : Je suis Jean, à qui vous avez recommandé votre Mère, lorsque vous étiez en croix. O Seigneur, vous m’avez inspiré les mystères qui y sont, et je l’ai écrite pour la consolation de la postérité, afin que vous fidèles ne fussent renversés à raison des divers accidents.

Et Notre-Seigneur dit à l’épouse : Ma fille, je vous dis que comme Jean a écrit de mon Esprit les choses futures qu’il a vues, de même Mathias, votre confesseur et Père, a entendu et compris, inspiré du même Esprit, et écrit les vérités spirituelles de la sainte Ecriture. D’ailleurs, dites au même docteur que j’ai rendu docteur, qu’il y a plusieurs antéchrists ; mais comment et quand il viendra, ce malin Antéchrist, je le lui montrerai par vous.

P428

Chapitre 90.

 

Il est ici traité d’une répréhension et punition d’un religieux trop babillard.

 

Ce docteur Mathias parlant avec un religieux de grande autorité et familiarité, de la grâce des visions célestes qui était divinement donnée à sainte Brigitte, le religieux dit : Il n’est pas croyable ni ne s’accorde point avec l’Écriture que Dieu se retire de ceux qui se contiennent et ont abandonné le monde, et qu’il manifeste ses secrets à des femmes magnifiques. Or, le docteur alléguant plusieurs choses là-dessus, l’autre ne consentit point.

Or, l’épouse, oyant ceci, vit que le docteur en était troublé ; elle se mit en oraison, et lors, ravie en esprit, elle ouït  Notre-Seigneur qui lui disait : Cette périlleuse infirmité en a assailli plusieurs ; et à celui qui se rend malade du remède, il ne faut pas lui en donner davantage, de peur qu’il ne soit pis. Or, je suis la médecine des infirmes, la vérité des errants. Mais ce religieux babillard ne désire point de médecine, d’autant que la fiente et l’ordure de la science vaine sont dans son cœur. Partant, je lui donnerai de ma main un soufflet, et tout le monde saura que je suis, non un Dieu babillard, mais puissant et redoutable.

Ce religieux, après la tribulation, s’humilia et mourut paralytique.

P429

Chapitre 91.

 

Jésus-Christ commande à son épouse d’affermir le corps, afin que l’âme ne soit empêchée des choses divines.

 

L’épouse sainte Brigitte ayant un jour trop jeûné et veillé, la tête et le corps lui défaillaient, et Jésus-Christ lui parlant, elle ne comprit pas bien, parce qu’elle était débile. Lors Notre-Seigneur lui dit : Allez, donnez au corps avec modération ce qui lui est nécessaire, car c’est mon plaisir que la chair ait modérément le nécessaire, et que l’âme ne soit empêchée des choses spirituelles par faiblesse.

 

Chapitre 92.

 

Jésus-Christ reprend un moine qui disait devant un roi que sainte Brigitte était trompée.

 

Un moine porta un jour, le livre des Vies des Pères devant le roi de Suède et ses conseillers, lisant en icelui que plusieurs Pères avaient été trompés à raison des excessives et indiscrètes abstinences ; et partant, il dit qu’il craint que cette sainte ne le soit aussi. Sainte Brigitte, priant, ouït Jésus-Christ qui lui disait : Qu’est-ce que ce moine dit que plusieurs de mes saints furent trompés ? Véritablement, ce sac de paroles a parlé comme il a voulu, mais non pas comme il devait, car aucun de mes amis n’a été trompé, car ils m’ont aimé sagement ; mais ceux qui, s’enorgueillissant de leur abstinence et de leur justice, se préféraient aux autres, et qui n’ont voulu obéir aux hommes, ceux-là certes ont été trompés ; et d’autant que ce moine a porté contre moi le livre des saints Pères, desquels il n’est pas imitateur,  je porterai aussi le livre de justice et de fureur contre lui ; et celui qui est loué en sa sagesse viendra devant la mienne, et lors il verra que la vraie sapience n’est pas en la sublimité de la parole, mais en la conscience pure et en la vraie humilité. Oh ! que les professeurs de cet ordre se sont retirés loin des vertiges de leurs pères ! car il a été comme l’édificateur de la haine dissipée, et comme un homme qui a suivi les pas des parfaits.

 

P430

 

Chapitre 93.

 

D’une vision remarquable d’une dame que  Notre-Dame et saint Pierre soutenaient, afin qu’elle ne tombât, etc.

 

Sainte Brigitte vit en esprit une femme assise sur une corde, l’un des pieds de laquelle soutenait un homme merveilleusement beau, l’autre une vierge d’une beauté incomparable. Et lors la Sainte Vierge, lui apparaissant, lui dit : Cette femme qui vous est connue étant embrouillée dans les soins et sollicitudes de la chair, a été conservée des chutes d’une manière admirable ; certainement elle a eu plusieurs fois la volonté de pécher, mais elle n’a trouvé ni le lieu ni le temps, et ce bien lui a été donné par l’oraison de saint Pierre et de mon Fils, que cette femme aime ; quelquefois elle en a eu le lieu et le temps, mais non pas la volonté et cela par ma charité, de moi qui suis Mère de Dieu ; et d’autant que son temps s’approchait, saint Pierre lui conseilla de faire quelque austérité en l’habit, déposant ses habits glorieux à son exemple, qui, dans les prisons, avait enduré la nudité et la faim, bien qu’il fût puissant au ciel et sur la terre.

 

P431

 

Mais moi, Mère de Dieu, qui n’ai pas passé une heure sans quelque tribulation et angoisse de cœur, je vous conseille de n’être point honteuse de vous humilier et d’obéir aux amis de Dieu.

Après cela, saint Pierre l’apôtre apparut, disant à l’épouse : Vous êtes nouvelle épouse de mon Seigneur. Allez, et demandez à cette femme si elle voulait être entièrement ma fille, puisque je l’aime et la conserve.

Elle répondit qu’elle le voulait être de tout son cœur.

J’en aurai soin, dit-il, comme de ma fille Pétronille, et la recevrai en ma garde.

Et soudain cette dame changea sa vie, et après, elle fut malade tout le temps de sa vie, jusques à ce qu’étant purifiée, elle rendit l’esprit. Mais étant quasi au dernier période de sa vie, elle vit saint Pierre l’apôtre revêtu pontificalement, et saint Pierre, martyr de l’ordre des Frères prêcheurs, car elle les avait aimés tous deux. Et lors elle dit clairement : Qu’est cela, O mon Seigneur ? Et ceux qui étaient auprès d’elle lui demandant si elle avait vu quelque chose : Des merveilles, dit-elle, car je vois saint Pierre revêtu en pontife, et saint Pierre le martyr en l’habit de prédicateur, lesquels j’ai toujours aimés et ai espéré en leurs prières. Et soudain elle cria et dit : Béni soyez-vous, ô mon Dieu! Je viens à vous . Et ainsi elle décéda.

P432

Chapitre 94.

 

La Mère de Dieu révèle où demeurèrent les âmes que Jésus-Christ affranchit de l’enfer, et les corps qui ressuscitèrent à sa mort, etc.

 

La Mère de Dieu dit : Mon Fils ressuscita un tel jour qu’aujourd’hui, fort comme un lion, car il brisa la puissance du diable, et affranchit les âmes de ses élus, qui montèrent avec lui aux joies célestes. Mais vous pourriez demander où étaient ces âmes (1) qu’il avait délivrées de l’enfer jusqu’à ce qu’il monta au ciel.

Elles étaient, dit la Sainte Vierge, en un lieu connu de mon Fils, car là étaient la joie et la gloire, comme il dit au larron : Vous serez aujourd’hui en paradis avec moi. Plusieurs saints aussi ressuscitèrent en Jérusalem, lesquels nous avons vu, et les âmes desquels montèrent au ciel avec mon Fils ; mais leurs corps attendent encore avec les autres le jugement et la résurrection. Mais quant à moi, qui suis Mère de Dieu, étant plongée en la douleur après sa mort, mon Fils m’apparut avant qu’aux autres, et se montra sensiblement à moi, me consolant et me disant qu’il monterait visiblement avec moi dans le ciel. Et bien que cela ne soit écrit par mon humilité, néanmoins cela est véritable que mon Fils apparut à moi la première. Or, d’autant que mon Fils m’a consolée un jour comme celui-ci, je veux aussi diminuer vos tentations et vous enseigner le moyen d’y résister.

(1) Saint Thomas dit qu’elles étaient dans les limbes pleines d’éclats. ( 3. p. q. 52. a. 4.)

P433

Vous admirez pourquoi  croissent en la vieillesse les tentations que vous n’avez eues ni en la jeunesse ni dans le mariage. Je vous réponds que cela se fait, afin que vous sachiez que vous n’êtes rien et que vous ne pouvez rien sans mon Fils ; et si mon Fils ne vous avait gardée, il n’y a péché dans lequel vous ne fussiez plongée.

Partant, je vous donne trois remèdes contre vos tentations : quand vous êtes assaillie des tentations sales, dites : Jésus, Fils de Dieu, qui connaissez toutes choses, aidez-moi, afin que je ne me délecte en la vanité de ces pensées. Quand vous êtes tentée de parler, dites : Jésus, Fils de Dieu, qui vous êtes tu devant le juge, tenez ma langue jusqu’à ce que j’aie pensé ce que je dois dire et comment. Quand vous vous plaisez à faire quelque œuvre, manger ou reposer, dites : Jésus, Fils de Dieu, qui avez  été lié, gouvernez mes mains, tous mes membres et mes œuvres, afin qu’elles tendent à une bonne fin : cela vous sera en signe de ce que je dis, que désormais votre corps ne prévaudra point sur votre esprit.

 

ADDITION.

 

Sainte Brigitte fut tentée en son oraison. La Sainte Vierge Marie lui dit : Le diable est comme un explorateur envieux cherchant sujet d’accuser et d’empêcher les bons, afin qu’ils ne soient exaucés en leurs oraisons. Partant, quoique vous soyez assaillie en l’oraison de quelque tentation que ce soit, ne désistez point, et efforcez-vous de mieux faire, car cet effort et ce désir seront réputés devant Dieu pour l’effet de l’oraison ; et si vous ne pouvez rejeter les pen sées sales, l’effort vous sera des couronnes, pourvu que vous n’y consentiez et qu’elles soient contre votre volonté.

P434

Chapitre 95.

 

D’un prince juste qui craignait d’accepter la royauté, et ce que la Mère de Dieu lui dit.

 

Au royaume de Suède, un grand et illustre, qui s’appelait Israël, étant souvent prié par le roi de prendre le gouvernement du royaume, le refusa, tant il brûlait de désir de combattre contre les païens, de mourir pour la foi au service de Dieu, et de n’avoir inclination aucune à la dignité royale ! Lors la Sainte Vierge dit à sainte Brigitte, qui était en oraison : Si ceux qui ont et savent la justice, qui la désirent, qui la peuvent faire, refusent d’entreprendre la charge et la peine pour l’amour de Dieu, comment le royaume demeurera-t-il en sa vigueur ? Malheur ! Il ne sera pas royaume, mais une volerie, une caverne de tyrans où les méchants commandent et où les justes sont foulés aux pieds.

Et partant, l’homme juste et bon doit être attiré par l’amour de Dieu et par le zèle au gouvernement, afin qu’il profite à plusieurs. Et ceux qui ambitionnent les dignités pour l’honneur du monde, ne sont pas de vrais princes, mais des tyrans très-méchants. Que donc Israël, mon ami, entreprenne le gouvernement pour l’honneur de Dieu, ayant en la bouche les paroles de vérité, et en la main le glaive de justice, ne regardant ni inclinant aux faveurs du monde, ni aux alliés, ni ayant acception de personnes.

P435

Je ne vous dis pas ce qui se dira de celui-ci de la bouche des hommes. Il est sorti généreusement de sa patrie ; il a honoré sincèrement : partant, sachez que je le conduirai à ma patrie par une autre voie.

Ces choses arrivèrent ensuite en même manière, car quelques années s’étant écoulées, ce seigneur alla contre les fidèles et vint aux Allemagnes, où il fut grandement malade ; et sentant que la mort s’approchait, il monta avec quelques-uns à l’église cathédrale, et là, il mit son anneau au doigt d’une image de Notre-Dame qu’il avait tant aimée, et qui était là honorée avec une très-grande révérence ; et laissant là son anneau, il dit : Vous êtes ma Dame et me l’avez été toujours très-douce, sur quoi je vous appelle à témoin. Je vous laisse moi et mon âme à votre providence et miséricorde. Et ayant très-dévotement pris les sacrements, il mourut.

Après, l’épouse priant pour lui, la Mère de Dieu parlait de lui, disant : Il m’a donné l’anneau de son amour, me désirant pour épouse. Sachez, ma fille, qu’en vérité il m’a aimée de tout son cœur, et il a craint mon Fils en toutes ses œuvres et jugements : c’est pourquoi je le conduis par la grâce et coopération de Dieu, mon Fils, par les voies les plus nécessaires et  à lui plus utiles, et l’ai présenté à la troupe des saints et des anges, desquels il était aimé, afin que, s’il fût mort en la main de ses parents, les consolations temporelles ne l’eussent empêché de plus grands biens. En vérité, sa bonne volonté a autant plu à Dieu que s’il fût mort parmi les païens, combattant contre eux pour la sainte foi catholique.

P 436

DÉCLARATION.

 

Ce Seigneur était frère de sainte Brigitte.
 

Chapitre 96.

 

Pourquoi, un jour, les cloches de l’église de Saint-Pierre de Rome brûlaient.
 

Peu avant la mort d’un pape, les cloches brûlaient d’une manière admirable, ce que l’épouse voyant, s’en étonnait, et Jésus-Christ lui apparut en cet étonnement, disant : Ma fille, ceci est un grand signe, car il est écrit que tous les éléments comme compatissaient à ma mort, quand ils retirèrent leur splendeur accoutumée et leurs effets : de même les éléments et les créatures combattent souvent et jugent les jugements de Dieu, et manifestent en leurs cœurs l’ire et l’indignation divine, et les signes évidents des évènements futurs. Or, maintenant, les cloches brûlent, et quasi toutes crient que le seigneur est mort. Le pape est décédé. Que ce jour soit béni, mais non pas ce seigneur. O chose admirable ! Là où tous devaient crier : Qu’il meure et qu’il ne ressuscite point ! Il n’est pas de merveilles, car celui qui devait leur dire : Venez, et vous trouverez le repos de vos âmes,  criait et disait : Venez, et voyez-moi en ma pompe et en mon ambition plus que Salomon. Venez à ma cour et videz vos bourses, et vous trouverez la perdition de vos âmes. C’est de la sorte qu’il criait par paroles et par exemples : et partant, le temps de l’ire s’approche,  et je le jugerai comme un dissipateur du troupeau de saint Pierre. Hélas ! Hélas ! Quel jugement lui reste-t-il ? Véritablement, s’il voulait encore se convertir à moi, je lui irais au-devant au milieu du chemin comme un père clément.

 

P437

 

Chapitre 97.

 

Comment Dieu veut que le pêcheurs soient avertis de confesser leurs fautes.

 

Un grand seigneur selon le monde n’avait pas été à confesse depuis longtemps, et tant qu’il différait d’y aller, il était malade. L’épouse, en ayant compassion, priait pour lui. Mais Notre-Seigneur, apparaissant lors à l’épouse, lui parlait, disant : Dites à votre confesseur qu’il visite ce malade et qu’il oie sa confession.

 

Le confesseur étant arrivé auprès  du malade, le malade lui dit qu’il n’avait point besoin de confession, disant qu’il s’était souvent confessé.

 

Le lendemain, Jésus-Christ commanda que le confesseur y retournât. Il y retourna, et le malade lui dit comme dessus.

 

Le confesseur y retournant le troisième jour par la révélation qui en avait été faite à sainte Brigitte, lui dit : Jésus-Christ, Fils de Dieu, vous parle aussi et le diable en cette manière : Vous avez en vous sept démons : l’un est au cœur, le liant afin que vous n’ayez contrition de vos péchés. L’autre est aux yeux, afin que vous ne voyiez ce qui est plus utile à votre âme. Le troisième est en votre bouche, afin que vous ne disiez des paroles à l’honneur de Dieu. La quatrième est ès parties inférieures, c’est pourquoi vous aimez toute sorte d’impuretés. Le cinquième est en vos pieds et en vos mains, c’est pourquoi vous ne craignez point de tuer et de dépouiller les hommes. Le sixième est dans votre intérieur, c’est pourquoi vous êtes adonné à l’ivrognerie. Le septième est en votre âme, où Dieu devrait être, et est son ennemi. Partant, faites au plutôt pénitence, car Dieu vous sera encore propice.

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Lors ce malade dit, les larmes aux yeux : Comment me pourriez-vous persuader que Dieu me pardonnera, à moi qui suis enveloppé en tant et tant de crimes publics ?

Le confesseur répondit : Je vous le jure, et je l’ai expérimenté, qu’encore que vous eussiez commis les plus grands crimes du monde, vous pouvez être sauvé par la sainte confession et la contrition.

Il dit encore en pleurant : Je désespère du salut de mon âme, d’autant que j’ai fait hommage au diable qui m’apparut souvent ; c’est pourquoi je ne me suis jamais confessé, bien que j’aie soixante ans, ni n’ai jamais reçu le corps de Jésus-Christ, mais je feignais d’avoir des affaires, quand il y fallait aller. Or, maintenant je confesse que je ne sache jamais avoir eu des larmes de  cette manière.

Ce jour-là il se confessa quatre fois, et le lendemain il communia, après s’être encore confessé. Après cela, il mourut le sixième jour.

Jésus-Christ, parlant de ce pécheur à son épouse, lui dit : Cet  homme servait un larron, le péril duquel je vous ai montré ci-dessus, et le diable se retire maintenant de lui à qui il faisait hommage, et cela à raison de la contrition qu’il a eue, et maintenant il va se purifiant, et le signe de son affranchissement fut la contrition finale.

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Mais vous me pouvez demander comment pouvait mériter la contrition celui qui était plongé en tant de crimes. Je vous réponds : Ma dilection l’a fait et voulu ainsi, car j’attends la conversion des hommes jusques au dernier point de leur vie, et le mérite de ma Mère y a aidé ; car bien que cet homme ne l’ait pas aimée de cœur, néanmoins, d’autant qu’il avait accoutumé d’avoir compassion de sa douleur, tout autant de fois qu’il l’oyait nommer et la considérait, c’est pourquoi il a trouvé le salut et il est sauvé.

 

Chapitre 98.

 

D’une abbesse qui, par la propriété et autres crimes, était pour ses Sœurs un exemple de perdition.

 

Pour les Bénédictins.

 

Le Fils de Dieu parle : Cette abbesse est comme une des vaches grasses, qui plongeant et trempant sa queue dans les ordures, en salit les autres : en effet, elle scandalise ses Sœurs par son exemple pernicieux ; son habit plissé et affecté montre bien qu’elle n’est pas fille de saint Benoît ni épouse humble, d’autant qu’elle a mis en oubli ses saintes épousailles, car sa règle dit qu’elle doit avoir la plus rude et la plus vile, et elle en porte des plus molles, des plus belles et des plus délectables.

La règle commande aussi de manger ce qui est nécessaire avec sobriété et crainte, et défend d’avoir quelque chose de propre ; mais celle-ci a du propre, du quel elle s’engraisse comme une vache du diable, suivant sa propre volonté.

P440

 

La règle dit aussi que toutes choses sont ès mains de l’abbesse, ne considérant par l’intention de mon saint Benoît, qui a tout mis en la main de l’abbé, afin qu’il fût discret, l’exemple des vertus et celui qui suit de plus près la règle.

Mais cette abbesse a reçu le nom et la parole de puissance pour sa dissolution et se ruine, ne considérant point qu’elle me rendra raison de toutes les âmes de ses Sœurs. Partant, sachez que si elle ne corrige ses mœurs et celles de ses Sœurs, elle s’en ira en enfer avec les vaches grasses, et les corbeaux de l’enfer la déchireront toute, puisqu’elle n’a pas voulu voler dans le ciel avec les humbles et avec les sobres.

 

DÉCLARATION.

 

Cette abbesse, étant morte, apparut à sainte Brigitte un peu blanche, mais comme enveloppée dans un rets de fer ; sa langue semblait de feu ; ses mains et ses pieds semblaient de plomb et ses yeux remplis de larmes ; et elle dit à sainte Brigitte : Vous vous étonnez pourquoi je parais si difforme : telle est la rétribution de la justice divine. Ma blancheur signifie la virginité de mon corps, mais le filet de fer marque que je n’ai pas gardé les observances régulières et le bien de la patience ; car comme aux rets plusieurs anneaux sont enlacés, de même j’endure plusieurs tourments pour l’omission de tant de bonnes œuvres que je ne faisais pas, quand j’en avais le temps.

Quant à ce que ma langue paraît de feu, j’en suis digne, d’autant que, contre ma profession, je la lâchais en paroles de vanité et de cajolerie.

P441

 

Mes mains et mes pieds apparaissent de plomb, et à bon droit, d’autant que mes œuvres, qui sont désignées par mes mains qui devaient être éclatantes comme de l’or, sont molles et dissolues comme du plomb.

Mes pieds aussi, par lesquels je devais aller donner à mes Sœurs de bons exemples et de saintes conversations, se glissèrent ès façons mondaines, et étaient paresseux à tout bien spirituel.

Mes yeux vous apparaissent tout éplorés, et à juste raison, d’autant que je me gardais de pleurer quand je devais laver les crimes de ma vie. Je suis néanmoins en état de miséricorde et en attente d’une bonne espérance, pour les prières qui se font en l’Église par les saints et par le sang de Jésus-Christ.

 

Chapitre 99.

 

D’un diable qui induisait des moniales à la propriété pour faire des aumônes.

 

On  voyait un épouvantable et horrible Ethiopien en un monastère, entre les religieuses voilées, revêtu d’un habit noir, en forme de moine, sur quoi l’épouse admirant, Jésus-Christ lui dit : Il est écrit dans mon Évangile qu’il se faut donner garde de ceux qui vont revêtus de vêtements de brebis, et qui, au dedans, sont des loups ravissants : je vous en dis de même maintenant : cet Ethiopien, qui paraissait entre les moniales avec l’habit de moine, est un diable de cupidité qui suggère aux filles d’amasses des richesses et des métairies, afin d’en vivre avec plus de largesse et d’en faire des aumônes, afin que, sur ce prétexte de religion, se retirant de la pauvreté, qui m’est tant agréable, elles soient peu à peu en entière dissolution, et prévariquant contre la règle, et s’éloignant de la première observance, elles perdent les âmes.

 

P442

 

Partant, sachez que, si elles ne se donnent garde de ce loup de cupidité, savoir, se contentant de ce qu’elles ont en commun et ne voulant en rien accroître en possessions ni richesses passagères, elles seront toutes gâtées, même les plus saintes à leur damnation, et après, elles seront déchirées sans miséricorde par les loups, car je prends plus de plaisir qu’elles vivent en leur pauvreté pacifique et sainte qu’elles professent, que s’intriguant dans les soins temporels, elles se glorifient en vain de la distribution de leurs aumônes.

 

Chapitre 100.

 

Jésus-Christ assure de ce qui est révèle en ses œuvres, etc.

 

L’épouse craignait que les paroles de ses livres divinement révélées ne fussent infirmées et calomniées des envieux et des méchants. Notre-Seigneur lui dit : J’ai deux bras : avec l’un j’embrasse le ciel et tout ce qui y est ; avec l’autre j’embrasse la terre et la mer. J’étends le premier à mes élus, les honorant et les consolant en la terre et au ciel. J’étends le second sur les malices des hommes, les souffrant miséricordieusement, les retenant afin qu’ils ne fassent autant de mal qu’ils voudraient. Partant, ne craignez point, d’autant que pas un ne pourra infirmer mes parole, mais elles parviendront aux lieux et aux nations qui me sont agréables. Néanmoins, sachez que ces paroles sont comme de l’huile, c’est pourquoi elles doivent être mâchées, considérées et expliquées, maintenant par les envieux, maintenant par ceux qui veulent savoir, maintenant par ceux qui cherchent occasion que mon honneur et ma patience soient employé.

 

P443

 

Chapitre 101.

Notre-Seigneur commande à sainte Brigitte de mettre par écrit tout ce qu’il lui a dit.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Je suis comme un seigneur dont l’ennemi tellement enchanté et opprimé les enfants qu’ils le glorifient même dans les captivités, qu’ils ne veulent par même lever les yeux ni à leur père ni à leur héritage. Partant, écrivez ce que vous oirez de moi, et l’envoyez à mes enfants et à mes amis, afin qu’eux sèment cette doctrine parmi les nations, afin qu’elles connaissent leur ingratitude et ma patience, car je veux montrer aux nations ma justice et ma charité.

 

 

 

Chapitre 102.

 

Notre-Seigneur avertit une infirme d’être patiente. Grandeur des indulgences.

 

Une dame de Suède, étant malade depuis longtemps à Rome, dit à sainte Brigitte comme en riant : Le bruit est qu’en ce lieu, il y a absolution des coulpes et des peines, mais il n’y a rien d’impossible à Dieu, car j’expérimente pour le moins la peine.

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Le matin suivant, l’épouse ouït en esprit une voix qui lui disait : Ma fille, cette femme m’est agréable, d’autant qu’elle a vécu dévotement et a nourri ses filles pour mon honneur ; mais elle n’a pas tant eu de contrition en ses peines qu’elle en eût eu en ses péchés, si mon amour ne l’eût retenue et conservée. Mais d’autant que je pourvois à chacun en la santé et en l’infirmité, comme je vois être expédient à un chacun, je ne dois être fâché de pas un ni jugé, mais être craint et révéré partout. Dites-lui aussi que les  indulgences de Rome sont plus grandes que les hommes ne le croient, car ceux qui viennent à Rome pour gagner les indulgences avec les dispositions requises, pénitents et confès, non-seulement obtiennent la rémission de leurs péchés, mais obtiennent aussi la gloire éternelle, car si l’homme endure mille morts pour l’amour de Dieu, il ne serait pas digne de la moindre gloire qui est donnée aux saints ; et bien que l’homme en puisse vivre tant de milliers d’années, néanmoins, d’autant qu’il a des péchés infinis en malice et en objet, sont dues peines infinies auxquelles l’homme ne saurait satisfaire en cette vie ; c’est pourquoi les maux sont relaxés à raison des indulgences ; les peines dures et longues sont changées en courtes, et ceux qui ont gagné les indulgences avec une charité parfaite et qui décèdent, non-seulement sont délivrés des péchés, mais encore de la peine due aux péchés, d’autant que moi, Dieu, je ne donnerai pas seulement à mes saints et à mes élus ce qu’ils demandent, mais je le doublerai et le multiplierai avec amour. Partant, avertissez cette malade qu’elle prenne patience et qu’elle soit constante, car je ferai ce qui sera le plus utile à son salut.

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DÉCLARATION.

 

Sainte Brigitte vit que l’âme de cette dame montait comme tout embrasée, vers laquelle accoururent plusieurs Éthiopiens, de la vue desquels l’âme fut étonnée et effrayée ; et soudain elle vit comme une Vierge très-belle venir à son secours, qui dit aux Éthiopiens : Qu’avez-vous affaire avec cette âme, qui est de la famille des nouvelles épouses de mon Fils ? Et soudain les Éthiopiens, s’enfuyant, la suivaient de loin.

Or, l’âme étant arrivée au jugement de Dieu le Juge lui dit : Qui répondra pour cette ame et qui est son avocat ?

Et à l’instant, on vit saint Jacques là présent : Je suis tenu, ô mon Seigneur, de parler pour elle, car elle s’est souvenue de moi en ses grandes angoisses. O Seigneur, ayez miséricorde d’elle, car elle a voulu et n’a pu.

Le Juge dit : Qu’a-t-elle voulu qu’elle ne l’ait pu ?

Elle vous a voulu servir de tout son cœur, mais elle n’a pas été si forte, d’autant que les infirmités l’en ont retardée.

Lors le Juge dit à l’âme : Allez, car votre foi et votre volonté vous ont sauvée.

Et soudain l’âme est sortie de la présence du Juge avec une grande joie, et était reluisante comme une étoile ; et ceux qui étaient là présents dirent : Bénie soyez-vous, ô Dieu ! qui étiez, êtes et serez, qui ne retirez jamais votre miséricorde de ceux qui espèrent en vous !

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Chapitre 103.

 

Comment saint Nicolas apparut à sainte Brigitte, et des merveilles.

 

Sainte Brigitte, visitant les reliques de saint Nicolas de Baro en son sépulcre, commença à penser à la liqueur de l’huile qui coulait de son corps, et lors ravie hors de soi en esprit, elle vit une personne ointe d’huile et parfumée, qui lui dit : Je suis Nicolas, évêque, qui vous apparais en telle forme que j’avais, avec les dispositions que j’avais en l’âme quand je vivais, car tous mes membres étaient tellement habitués au service de Dieu, comme les choses qui sont ointes, qui sont flexibles à ce qu’on veut ; et partant, mon âme louait Dieu avec une joie indicible, et ma bouche prêchait la parole divine, et en mes œuvres on trouvait la patience, outre les vertus d’humilité et de chasteté que j’ai aimées singulièrement ; mais d’autant que maintenant il y a plusieurs os aride de l’humeur divine, c’est pourquoi ils donnent le son de vanité et font du bruit ; ils sont inhabiles pour produire les fruits de justice, et sont en abomination devant Dieu. Or, sachez que comme la rose donne l’odeur et le raisin la douceur, de même Dieu donne à mon corps d’épandre et de distiller de l’huile et une singulière bénédiction, d’autant qu’il n’honore pas seulement les saints au ciel, mais les réjouit et les exalte en la terre, afin que plusieurs soient édifiés et participent aux grâces qui me sont données.

P447

Chapitre 104.

 

Sainte Anne enseigne à sainte Brigitte une oraison pour l’honorer et pour impétrer de Dieu des enfants.

 

Le sacristain du monastère de Saint-Paul hors les murs de Rome, donna à sainte Brigitte des reliques de sainte Anne, mère de la Mère de Dieu ; or, elle, pensant comment elle pourrait les enchâsser et les honorer, saint Anne lui apparut, disant : Je suis Anne, la dame de tous les mariés fidèles qui sont après la loi, d’autant que Dieu a voulu naître de ma race : partant, vous, ma fille, honorez Dieu en cette manière :

Béni soyez-vous, Jésus, Fils de Dieu et Fils de la Vierge, qui vous êtes choisis une Mère du mariage d’Anne et de Joachim ! Partant, ayez miséricorde de tous les mariés pour l’amour des prières de sainte Anne, afin qu’ils fructifient à Dieu. Dirigez aussi tous ceux qui tendent au mariage, pour que Dieu soit honoré en eux. Les reliques que vous avez de moi seront en soulagement aux bien-aimés, jusques à ce qu’il plaise à Dieu d’honorer plus hautement le jour de la résurrection dernière.

 

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Chapitre 105.

 

La Mère de Dieu exhorte à visiter les saints lieux de Rome, etc.

 

La Mère de Dieu dit à l’épouse sainte Brigitte : pourquoi vous troublez-vous ?

Elle répondit : Je me trouble d’autant que je ne visite pas les saints lieux qui sont à Rome.

La Mère lui repartit : Il vous est permis de les visiter avec l’humilité, révérence et dévotion, car à Rome, il y a de plus grandes indulgences que les hommes ne croient, lesquelles les saints et amis de Dieu ont mérité d’impétrer de mon Fils par leur sang et par leurs prières. Néanmoins, ma fille, ne quittez point l’étude de la grammaire ni la sainte obéissance de votre Père spirituel.

 

 

Chapitre 106.

 

Il est traité d’un dissimulateur qui, feignant d’avoir quitté le monde, demandait à sainte Brigitte en quel état il pourrait servir  Dieu.

 

Un homme disait qu’il voulait servir Dieu et voulait savoir en quel état il plairait plus à Dieu : il consulta pour cela sainte Brigitte, désirant avoir en cela la réponse divine ; duquel Notre-Seigneur parlant, dit à son épouse : Celui-ci n’est point encore arrivé au Jourdain, et moins, l’a-t-il passé, comme on écrit d’Élie qu’ayant passé le Jourdain et étant arrivé au désert, il  ouït les secrets divins. Mais quel est ce Jourdain, sinon le monde, qui s’écoule comme de l’eau, d’autant que les choses temporelles montent tantôt avec l’homme, tantôt descendent ; maintenant l’élèvent en honneur et prospérités, ores l’oppriment par l’adversité, de sorte que l’homme n’est jamais sans soin et tribulation ? il est donc nécessaire que celui qui désire les choses célestes retire de son esprit toutes les affections terrestres, car celui à qui Dieu est doux, les choses caduques et passagères lui son véritablement viles. Mais cet homme n’est pas encore parvenu à ce point qu’il méprise toutes choses, voire il a encore sa volonté en ses mains. Partant, il n’ouïra point les secrets du ciel, jusques à ce que plus parfaitement il méprise le monde et qu’il résigne sa volonté en la main de Dieu.

 

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Chapitre 107.

 

Notre-Seigneur dit qu’il garde ses élus comme l’aigle ses petits. Il conseille à sainte Brigitte de visiter le corps de saint André.

 

Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : L’aigle voit d’en haut celui qui veut nuire à ses petits, et le prévient par son vol très-prompt, les défendant : de même je prévois tout ce qui vous est de plus salutaire. C’est pourquoi je dis souvent : Attendez. Et derechef je dis : Allez. Mais d’autant qu’il est maintenant temps, allez maintenant à la cité d’Amaphre à mon apôtre André, le corps duquel a été mon temple très-orné de toute sorte de vertus ; c’est pourquoi il a été là le dépositaire des fidèles et le secours des pêcheurs, car ceux qui vont là d’une âme fidèle, non-seulement seront déchargés des péchés, mais auront la vie éternelle ; ni n’est pas de merveilles, car lui n’a pas eu honte de ma croix, mais il la porta joyeusement ; et partant, je n’ai pas honte d’ouïr et de recevoir ceux pour lesquels il prie, car sa volonté est la mienne. Quand vous serez chez lui, tournez soudain à Naples pour ma Nativité.

L’épouse dit : O Seigneur, notre temps et notre âge se passe, les infirmités s’approchent, et le soutien temporel se diminue.

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Notre-Seigneur lui dit : Je suis l’auteur de la nature, le Seigneur et le réformateur. Je suis aussi aide dans les nécessités, protecteur et distributeur ; car comme celui qui a un cheval qui lui est char n’épargne point son pré, bien qu’il soit agréable, afin que là ce cheval paisse, de même moi, qui ai toutes choses et ne manque de rien, qui regarde l’esprit de tous, j’inspirerai aux cœurs de ceux qui m’aiment de faire du bien à ceux qui m’aiment, car j’avertis même ceux qui ne m’aiment point, afin qu’ils fassent du bien à mes amis et qu’ils deviennent meilleurs par leurs prières.

 

Chapitre 108.

 

D’une apparition faite à sainte Brigitte à Rome de saint Etienne, etc.

 

Pour le jour de saint Etienne.

 

Sainte Brigitte, épouse, priait au sépulcre de saint Etienne à Rome hors les murs, disant : Béni soyez-vous, ô saint Etienne ! qui êtes du même mérite que saint Laurent, car comme il prêchait aux infidèles, de même vous prêchiez aux juifs ; et comme saint Laurent a souffert le feu avec joie, de même cous avez enduré les pierres : C’est pourquoi vous êtes loué le premier des martyrs.

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Lors saint Etienne lui apparut, disant : J’ai commencé dès ma jeunesse d’aimer Dieu chèrement, car j’ai eu des parents soigneux du salut de mon âme. Or, quand Notre-Seigneur Jésus-Christ fut incarné et qu’il commença de prêcher, lors je l’écoutais de tout mon cœur, et soudain après son ascension, je m’unis avec les apôtres, servant avec humilité en la charge qui m’étais enjointe. Je prenais joyeusement occasion de parler constamment avec les Juifs qui blasphémaient Jésus-Christ. Je reprenais l’endurcissement de leur cœur, étant prêt à mourir pour la vérité et à imiter mon Seigneur. Mais il y avait trois choses qui coopéraient à ma couronne, dont je me réjouis maintenant : la première fut ma bonne volonté ; la deuxième l’oraison des apôtres ; la troisième la passion et l’amour de Dieu. C’est pourquoi je possède aussi trois sortes de biens : le premier est que je vois incessamment la face et la gloire de Dieu ; la deuxieme est que je peux tout ce que je veux, et je ne veux sinon ce que Dieu veut ; le troisième que ma joie sera sans fin, et d’autant que vous vous réjouissez de ma gloire, mon oraison vous aidera pour avoir une plus grande connaissance de Dieu, et l’Esprit de Dieu persévérera avec vous. Vous irez en Jérusalem, lieu de ma passion.

 

Chapitre 109.

 

Répréhension et avis que la Sainte Vierge Marie donne à un spirituel.

 

La Mère de Dieu parle : Là où est une très-bonne viande, si on y verse quelque amertume, elle est soudain vile et méprisée : de même quelqu’un pourrait avoir toutes les vertus ; s’il se plaît en quelque péché, il ne plaît point à Dieu : partant, ô Brigitte, dites à ce mien ami que, s’il désire plaire à mon Fils et à moi, il ne se confie point en sa vertu ; qu’il contienne sa langue d’une grande quantité et vanité de paroles provoquant le rire ; qu’il garde qu’en ses mœurs on ne trouve point de légèreté, car il doit porter les fleurs à la bouche, afin d’attirer les autres aux fruits. Que si on trouve quelque chose d’amer entre les fleurs, les fleurs sont méprisées et on ne désire pas les fruits, quoique bons : partant, dites-lui que comme l’homme et sa femme s’aiment quelquefois pour la seule sustentation du corps, et que comme quelquefois on est dans le monastère pour le seul bien du corps, de même cet homme que vous connaissez désire être dans le monastère pour le bien corporel, afin de ne souffrir rien de contraire ; il désire aussi d’être pauvre à condition que rien en lui manque : partant, qu’il laisse donc sa propre volonté, car Dieu aime plus qu’on vive au monde justement et qu’on travaille de ses propres mains, que dans le désert ou religion sans l’amour de Dieu.

 

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Chapitre 110.

Jésus-Christ dit à l’épouse ce que signifient les sept tonnerres.

 

Un docteur demanda une fois à sainte Brigitte ce que signifiaient les sept tonnerres. Elle, étant ravie en esprit, ouït de Jésus-Christ ce qui suit :

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Ne croyez pas, ma fille, qu’il faille penser qu’en ma Divinité il y ait quelque chose temporelle, ni qu’il y ait des tonnerres, des vents, ou des créatures sensibles ayant une voix humaine. Mais Jean vit par mon inspiration les dangers futurs de l’Église sous des espèces corporelles, lesquelles choses, s’il les eût écrites devoir venir en un certain temps, les auditeurs les eussent eues en horreur, et les attendant, ils se fussent séchés de crainte et  d’effroi. Partant, il lui fut commandé de marquer ce qu’il vit, mais non pas de l’écrire, car là où quelque chose est marquée, c’est un signe qui porte de la crainte et de l’effroi, comme nous voyons aux hurlements des tonnerres, des foudres et des vents, car ils signifiaient les menaces furieuses des tyrans qui troublaient mon Église, lesquelles Jean voyait si véhémentes par esprit de prophéties qu’il fallait plutôt les marquer que les déclarer par écrit ; car comme celui qui écrit ou dit une petite parabole qui signifie beaucoup, afin que les auditeurs aient sujet de craindre les choses futures, de même j’ai montré les choses futures, mais je ne les ai point exposées, afin que les hommes en eussent crainte ; et d’autant que le temps n’était pas arrivé qu’on cassât la noix et qu’on en retirât le noyau, je les ai voulu montrer fort obscurément, car on doit plutôt préparer le vase qu’y verser la liqueur. Sachez aussi que de si grands tonnerres et foudres viendront en mon Eglise que plusieurs de ceux qui vivent maintenant le verront avec une si grande douleur qu’ils désireront la mort, et elle s’enfuira d’eux.

 

 

Chapitre 111.

 

L’obéissance est préférée à la chasteté, et elle introduit à la gloire.

 

Le Fils de Dieu dit à saint Brigitte : Que craignez-vous ? Bien que vous mangeassiez dix fois le jour par le commandement de l’obéissance, certainement il ne vous serait point imputé à péché, car la virginité mérite la couronne, la viduité s’approche de Dieu, mais l’obéissance les introduit tous en la gloire.

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Chapitre 112.

 

De la peau qui fut ôtée à la circoncision à Notre-Seigneur, et du sang, qui furent donnés en garde à saint Jean.

 

La sainte Mère de Dieu dit : Lorsque mon Fils fut circoncis, je gardai la membrane avec un grand honneur partout où l’allais, car comment eussé-je pu la remettre en la terre, ayant été engendrée de moi sans péché ? Quand le temps de mon départ du monde s’approchait, je la donnai en garde à saint Jean, mon gardien, avec le sang précieux qui était demeuré dans les plaies quand nous l’eûmes descendu de la croix. Après cela, saint Jean et ses successeurs étant morts, la malice et la perfidie des infidèles croissant, les fidèles qui restaient lors la cachèrent en un lieu très-pur sous terre, où elle fut longtemps inconnue, jusqu’à ce que l’ange de Dieu la révélât à ses amis.

O Rome ! ô Rome ! si vous saviez, vous vous réjouiriez ! Certainement si vous saviez, vous pleureriez même incessamment, d’autant que vous avez un trésor qui m’est très-cher, et vous ne l’honorez pas !

 

Chapitre 113.

 

De l’état des frères d’Alvastre.

 

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Sainte Brigitte, étant ravie en prière, vit en esprit une grande maison, et sur la maison le ciel grandement serein ; et le regardant, elle l’admirait. Elle vit aussi deux colombes qui montaient et pénétraient dans le ciel, lesquelles quelques Éthiopiens tachaient d’empêcher, mais ils ne pouvaient pas. Au-dessus de la maison, on voyait un cahos dans lequel il y avait trois ordres de frères : les premiers étaient simples comme des colombes, c’est pourquoi aussi ils montaient fort facilement ; les deuxièmes venaient en purgatoire ; les troisièmes sont ceux qui avaient un pied dans la mer, et l’autre dans un navire, le jugement desquels s’approche maintenant ; et afin que vous sachiez et que vous éprouviez que l’un passera après l’autre, selon que je vous en exprime les noms, ce qui arriva, car la mortalité en ravagea trente-trois.

 

Chapitre 114.

 

Du péché véniel, qui est fait mortel par le mépris.

 

Un jour sainte Brigitte se confessant, son confesseur fut appelé par quelque prêtre, et y allant, il oublia de donner l’absolution à sainte Brigitte. Elle, se voulant aller coucher et s’agenouillant, le Saint-Esprit lui dit : Humiliez-vous, ma fille pour recevoir l’absolution, le Saint-Esprit lui dit : Ceux  qui ne prennent garde aux choses petites tombent dans les grandes, car même le péché véniel dont la conscience remord, si on le continue avec mépris, sera mortel et sera rudement puni.

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Chapitre 115.

 

La bonne volonté suffit au pénitent, quand il ne peut trouver un confesseur.

 

Un certain homme était venu d’un diocèse à Rome ; ignorant l’idiome et la langue, ne trouvant à Rome pas un qui l’entendit et ne pouvant avoir de confesseur, il se conseilla avec sainte Brigitte afin  de savoir ce qu’il ferait. Lors Jésus-Christ lui dit : Cet homme qui vous a consultée pleure d’autant qu’il n’a personne qui l’oie en confession. Dites-lui que la volonté lui suffit, car qu’est-ce qui profita au larron en la croix ? ne fut-ce pas la bonne volonté et les affections déréglées. Lucifer n’a-t-il pas été bien créé ? ou moi, qui suis la bonté et la vertu même, aurais-je créé quelque mal ? non certes, aucun. Mais après que Lucifer eut abusé de sa volonté et la porta au dérèglement, il a été lui-même déréglé et mauvais par sa mauvaise volonté. Partant, que le pauvre homme demeure stable et qu’il ne se retire point de ses bonnes résolutions ; quand il sera en son pays, qu’il cherche et qu’il oie ce qui est salutaire à son âme ; qu’il soumette sa volonté et qu’il obéisse plutôt au conseil des sages et des justes qu’à sa volonté, ou autrement, s’il meurt par le chemin, il en sera comme du bon larron : Vous serez ce jourd’hui en paradis.

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Chapitre 116.

 

Combien la simplicité est agréable à Dieu.

 

Un certain homme ne savait pas à grand’peine le Pater noster ; il demanda un conseil pour son âme à sainte Brigitte, à laquelle Notre-Seigneur dit : Plus me plait la simplicité de ce pauvre homme simple que la prudence des superbes, d’autant que leur superbe les éloigne de Dieu, et en celui-ci, l’humilité introduit Dieu dans son cœur, partant, dites-lui qu’il continue comme il a fait, et il aura la récompense avec ceux dont j’ai dit : Venez, vous qui avez travaillé, et je vous soulagerai avec le pain éternel ; car si je lui dis comme j’ai dit à Judas quand il me demandait conseil trompeusement : Gardez les commandements et vendez ce que vous avez ; il ne pourra le souffrit, d’autant que la vieillesse fuit la reforme et que la pauvreté n’a rien à vendre. Néanmoins, les commandements de Dieu sont nécessaires à ceux qui tendent à la vie éternelle, car sans eux l’homme ne peut être sauvé, s’il peut en être instruit. Mais quant à cet homme, sa docte folie et sa bonne volonté me plaisent en telle sorte comme les deux deniers de la veuve que j’ai préférés aux présents des rois, car en sa folie, il a toute la sagesse, car il m’aime de tout son cœur. Mais d’où vient cet amour, sinon de mon Esprit? et ceci semble folie aux sages du monde de n’aimer les richesses et de ne savoir parler des grandes choses ; Partant, je l’appelle docte folie, d’autant qu’il puise de moi la sagesse, qui consiste à aimer Dieu.

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Ne vous semble-t-il pas sage, celui qui ne sait qu’une parole : aimer ? Par cette délection, il garde tous les commandements de la loi de Moise ; par icelle, il donne à Dieu ce qu’il lui faut donner ; par icelle, il garde tous les conseils ; par icelle, il garde tout le droit et les lois ; par icelle, il aime son prochain, ne désirant point le bien d’autrui, ne trompant point son prochain ; par icelle, il se souvient incessamment de la mort et du jugement, dont je le dois juger : et partant, celui qui veut venir à moi ne se doit inquiéter de l’ignorance de la loi, pourvu qu’il veuille se servir de sa conscience, qui dit qu’il veut pâtir ce qu’elle voudrait faire à autrui. Car pourquoi l’homme feuillette-t-il tant et tant de livres ? n’est-ce pas pour me servir ? n’est-ce pas plus pour sa curiosité, ostentation et pour être appelé docte ? Véritablement, chacun sait en sa conscience et chacun est jugé par icelle. Partant, ma fille, celui qui dit d’une foi parfaite et d’une bonne volonté ces paroles : Jésus, ayez miséricorde de moi, me plaît plus que celui qui dire cent versets sans attention.

 

Chapitre 117.

 

Du grand bien qu’il y a d’invoquer la Sainte Vierge Marie.

 

Pour les Bénédictions.

 

La Sainte Vierge Marie dit : Il n’y a pas si grand pécheur plongé en des crimes si sales, qui, s’il m’invoque, ne soit par moi secouru. Car qu’y a-t-il de plus vil que de soigner une tête galeuse ? Si quelqu’un m’invoque, je le guérirai. Qu’y a-t-il de plus sordide que l’instrument avec lequel on nettoie les ordures ? Néanmoins, si celui-là qui est aussi souillé m’invoque, je le nettoierai. Qu’y a-t-il de plus vil que de laver les pieds à un lépreux ? et néanmoins je laverai ce lépreux-là.

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L’épouse répondit : O très-sainte Dame, je sais que vous êtes très-humble, très-puissante et très-bénigne. Aidez cette âme pour laquelle je vous ai priée si souvent.

La Mère répondit : Cette âme a eu trois choses en sa vie : 1. elle a voulu avoir le monde, mais le monde ne l’a pas voulue ; 2. elle a aimé la chair par l’incontinence, d’autant qu’elle n’a pas voulu se marier ; 3. elle a aimé Dieu moins qu’elle ne devait, bien qu’elle fut constante en la foi ; elle est maintenant affranchie de ces choses-là, et elle participe à la table de ma piété. Quelques choses encore lui restent, desquelles étant purifiée, elle sera délivrée des peines.

 

Chapitre 118.

 

Jésus-Christ conseille à sainte Catherine, fille de sainte Brigitte, de ne s’en retourner point au pays, car son mari mourra bientôt.

Le Fils de Dieu parle à sainte Brigitte : Consultez cette dame, et priez-la de demeurer quelque temps avec vous, car il vous est plus utile de vous en retourner, car je lui ferai comme le père fait à sa fille, qui est aimée de deux et est demandée en mariage, l’un desquels est pauvre et l’autre riche, et tous deux sont aimés de la fille. Le père donc, qui est sage et prudent, voit l’affection de la fille se porter vers celui qui est pauvre ; il donne au pauvre des vêtements et des dons, et donne au riche sa fille : j’en veux faire de même. Celle-là m’aime et aime son mari ; partant, puisque je suis plus riche et le Seigneur de toutes choses, je le veux combler de mes dons, qui lui seront utiles pour son âme. Il me plaît de l’appeler bientôt, et la maladie dont il est atteint est un signe de son décès, car il est  très-décent que celui qui tend à un très-puissant soit connu en ses raisons, et qu’il soit dépêtré des choses charnelles. Je la (1) veux conduire et réduire en son pays jusques à ce qu’elle soit propre à l’œuvre à laquelle je l’ai appelée de toute éternité et que je veux manifester.

 

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Un peu de temps s’étant écoulé après que sainte Catherine eut fait vœu de demeurer à Rome avec sa mère, étant ébranlé de l’horreur d’une vie inaccoutumée et étant mémorative de la liberté passée, étant en anxiété, demanda à sa mère qu’elle put retourner en Suède. Sa mère priant pour cette tentation, Notre-Seigneur lui dit : Dites à cette fille vierge qu’elle est veuve, et que je lui conseille de demeurer avec vous, car ma providence en doit avoir le soin.

 

(1) Sainte Catherine, fille de sainte Brigitte

 

Chapitre 119.

 

Des  trois états de mariage, viduité et virginité.

 

Jésus-Christ parle : L’état commun et louable m’a été agréable, car Moise, conducteur de mon peuple, m’agréa, bien qu’il fût marié. Saint Pierre a été appelé à l’apostolat pendant le vivant de sa femme, et en cela il me plut, car il faut monter aux choses parfaites des moins parfaites, et il fallait que le peuple charnel fût instruit par des choses sensibles, signes et œuvres, afin qu’il comprît les choses spirituelles.

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De même Judith, à raison de sa viduité et pour le bien de la viduité, trouva grâce en ma présence, et elle fut digne, à raison de la continence, de délivrer son peuple. Mais Jean, à la garde duquel je commis ma mère, ne m’a point déplu pour avoir été vierge, voire il me plut grandement, car la vie très-parfaite en la chair est de ne vivre point charnellement et d’être semblable aux anges, c’est pourquoi il mérita d’être gardien de la chasteté et de lui montrer des signes signalés de charité. J’en dis de même maintenant : la viduité de cette dame me plaît plus que son mariage, d’autant qu’une veuve humble m’est plus agréable qu’une vierge superbe ; et plus mérita Magdelène en son humilité et ses larmes que si elle eût demeuré en ses propres volontés.

 

Chapitre 120.

 

La charité est comparée à un arbre entre les vertus ; l’obéissance tient le premier rang entre les morales.

 

Jésus-Christ, Fils de l’Éternel, parle : Comme sur un arbre à plusieurs rameaux, ceux qui sont plus hauts participent plus aux ardeurs du soleil et des vents, de même en est-il des vertus. La charité est comme un arbre ; d’elle procèdent toutes les vertus, entre lesquelles l’obéissance tient le premier rang, pour l’amour de laquelle je n’ai pas hésité de subir la mort et la croix : c’est pourquoi l’obéissance m’est très-agréable comme le fruit qui m’est très-doux, car comme la paix est très-paisible, de même cet homme m’est très-bon ami, qui se soumet aux autres par humilité, et met et consigne ses vouloirs aux vouloirs des autres. Partant, il me plaît que cette dame (1) obéisse, renonçant à sa volonté pour sa plus grande couronne et pour avoir un plus grand amour. Abraham, renonçant à sa volonté, a été plus aimable, et Ruth a été plus chère à Dieu en son peuple, d’autant qu’elle n’obéit pas à sa propre volonté.

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Notre-Seigneur parla derechef : Cette dame ne mourra point, comme le médecin dit, mais elle vivra un temps convenable, car je la veux nourrir sous la protection de ma main droite, et je lui donnerais la sapience, afin qu’elle me donne des fruits amoureux et qu’elle vive pour mon honneur.

 

(1) Sainte Catherine de Suède.

 

Chapitre 121.

 

De l’excellence de l’obéissance, etc.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ dit : L’obéissance est une vertu par laquelle les choses imparfaites sont parfaites, et toutes les négligences sont éteintes ; car moi, Dieu, la perfection même, j’ai obéi à mon Père jusques à la mort de la croix, afin de montrer par mon exemple combien il est agréable à Dieu de renoncer à ses propres volontés. Mais plusieurs, ne considérant point l’excellence de l’obéissance ni n’ayant un zèle discret, suivent la conception de leur esprit, et ainsi, en peu de temps, ils affligent indiscrètement leur chair et sont après longtemps inutiles à eux-mêmes et aux autres, de quoi ils plaisent moins à Dieu et sont à charge aux autres ; et ceux-là considérant après leurs défauts et voulant rétracter les choses passées, soudain la confusion les saisit de laisser ce qu’ils avaient commencé, et adhurtés à leur vanité, ils n’osent reprendre la première vie. De telle condition est cet homme que vous voyez, qui ne considère point les conseils des hommes éprouvés ni ne pense aux paroles que j’en ai dites : Je ne veux point la mort de la chair, mais du péché : partant, il faut craindre qu’il ne tombe en de plus grandes tribulations, voire en défaut d’esprit.

Néanmoins, s’il obéit aux sages, et s’il soumet et démet son esprit de ses propres pensées, la couronne lui sera redoublée, et la dévotion s’augmentera en lui ; autrement, il lui sera fait comme il est écrit : L’homme est venu et a surmené la zizanie, et les épines naissantes ont suffoqué la bonne semence.

 

P463

 

Chapitre 122.

 

Le Fils de Dieu montre par son exemple la modestie à l’oraison, etc.

 

Jésus-Christ parle : Moi, étant en l’humanité, j’ai tellement tempéré mes oraisons, mes labeurs et mes jeûnes, que ceux qui me voyaient n’en étaient scandalisés ni les absents n’en étaient point offensés, mais tous ceux qui voulaient, pouvaient imiter mes paroles, mes œuvres et suivre mes exemples.

 

P464

 

Or, cette dame que vous voyez a des gestes admirables ; elle n’est pas sans un grand remords de conscience : c’est pourquoi le conseil veut qu’elle modère avec plus de tempérance ses façons de faire, et qu’elle fasse ce qu’elle fait plus en cachette qu’en public, autrement son labeur sera vain et son oraison lui réussira moins à sa couronne.

 

Fin du Tome Troisième et fin du Livre 6 des Révélations célestes.
 

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