CHAPITRE XIII

DE LA COMPASSION ET DE LA SOUMISSION DU SAINT HOMME.



    D'ailleurs combien, au jugement de tous ses Frères, ce serviteur et ami du Christ fut compatissant, affable et bon, seule, la consolation et la joie que tous ressentaient de sa présence le prouve aisément. En effet, la grâce de Dieu resplendissait sur sa figure, la modestie dans ses paroles, la piété dans ses actions, l'humilité dans son geste ; et enfin, dans toute sa manière d'être, l'intégrité et la suprême dignité des vertus. Il était sobre dans la nourriture, simple dans le vêtement, patient en toutes choses et envers tous. Son coeur était si plein de commisération et de compassion, qu'il s'apitoyait non seulement sur les êtres doués de raison, mais même sur les animaux qu'il avait coutume de secourir, dans la mesure du possible, quand c'était nécessaire.

Compassion de Rusbroch.
    Lorsqu'en hiver, à cause de l'excessive froidure, ou de l'abondance de la neige, les oiseaux souffraient la faim, les Frères qui n'ignoraient pas la bonté compatissante du pieux père, avaient coutume de lui dire : Père, voici qu'il neige ! Que vont devenir les pauvres oiseaux ? Et le bon Père, écoutant avec tristesse ces paroles, s'efforçait de subvenir en temps opportun, comme il le pouvait, aux besoins des passereaux.

Pour les riches avares.
    Plût à Dieu, que tous ceux qui ont en abondance les biens temporels fussent attentifs à ces choses, eux qui ne peuvent consentir à prendre de leur superflu, pour se montrer pleins de libéralité et de générosité, envers les malheureux et les indigents dont le monde est rempli.

    Un jour qu'il souffrait d'une grave maladie, comme il désirait vivement de l'eau, il ordonna de lui en apporter. Mais le préfet du monastère, craignant que cette boisson ne fût dangereuse et n'aggravât la maladie, ne voulut pas satisfaire ce désir. Bien que l'homme pieux, à cause de sa soif ardente, tombât en défaillance, et que ses lèvres fussent gercées, il le supporta avec patience, plus désireux, par la soumission et la patience, de s'offrir en sacrifice à Dieu, que de satisfaire son désir dans une si grande nécessité naturelle. Cependant, comme il craignait que la mort ne s'en suivît, guidé par la seule crainte de Dieu, il dit humblement au préfet : Père, si je
ne bois pas de l'eau, je ne guérirai pas de mon mal. A ces mots le Préfet, saisi de crainte, ordonna qu'on lui présentât de l'eau ; et, après en avoir bu, le malade commença, dès cette heure, à aller mieux.

    Il avait aussi une grace particulière, pour adapter merveilleusement ses conseils aux nécessités d'un chacun, même sans préméditation ; et bien que, entraîné par l'amour du Christ et de ses frères, il poursuivît souvent avec les autres, jusqu'aux Prières nocturnes, ses discours sur Dieu et sur les matières du salut ; il n'en était pas moins zélé cependant par les veilles nocturnes, qui se faisaient dans le choeur ; et tous, à son exemple, se sentaient plus dispos et plus allègres. Car il ne mettait aucune vanité à ces colloques ; et les raisons en étaient sérieuses, puisque c'était le seul amour du Christ et la nécessité ou l'utilité de ses frères qui l'y incitaient.