J. RUSBROCH

DES SEPT DEGRÉS DE L'AMOUR

CHAPITRE II

DU SECOND DEGRÉ DE L'AMOUR, A SAVOIR :

LA PAUVRETÉ VOLONTAIRE.



Louange des pauvres volontaires.
    Mais le premier fruit qui naît de la bonne volonté est la pauvreté volontaire, qui est  le second degré dans l'échelle de vie de celui qui aime. Celui qui est pauvre spontanément, mène une vie libre et dégagée du souci de toutes les choses temporelles qui ne lui sont pas nécessaires.

    Car, comme un sage marchand, il a échangé la terre pour le ciel ; conformant ses moeurs à cette sentence du Seigneur Jésus, par laquelle il est dit : Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent : Luc 16. Non potestis servire Deo et mammonae. Et ayant abandonné et méprisé tout ce qu'il pouvait posséder d'un amour ou d'une affection terrestre, il a acheté la pauvreté volontaire, c'est-à-dire, le champ dans lequel il a découvert le royaume de Dieu.

    Car, bienheureux les pauvres d'esprit, c'est-à-dire, de la volonté, ou, les pauvres volontaires, parce que le royaume des cieux est à eux : Math. 5 Beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum coelorum. Le règne de Dieu. Qu'est-il ? Le règne de Dieu est charité et amour, c'est le goût et l'exercice de toutes les oeuvres bonnes, de telle sorte que celui qui est pauvre d'esprit, de cette manière, soit largement miséricordieux, bon, clément et charitable envers tous ceux qui ont besoin de son secours ; et qu'il s'efforce de leur être utile, de façon toutefois, qu'il puisse déclarer, en vertu du jugement du Christ, et rendre témoignage, à cause de la large bienfaisance de Dieu et des dons reçus de lui, qu'il a mis tout son zèle aux actes de miséricorde, et qu'il s'y est adonné. Car, dans les choses terrestres, il n'a rien en propre ; mais, tout ce qu'il a, est commun à Dieu et à tous ceux qui appartiennent à la famille de Dieu. Bienheureux certes le pauvre volontaire, qui ne possède rien de caduc et d'éphémère, pour suivre le Christ, et recevoir le centuple gage des vertus ; en attendant la gloire de Dieu et la vie éternelle : Math. 19 Deique expectat gloriam et vitam sempiternam. Folie de l'avare Mais au contraire, celui qui est avare est  étrangement imprudent et insensé, car il échange le ciel pour la terre, bien qu'il soit certain qu'il doive la perdre bientôt : Le pauvre d'esprit escalade les cieux : l'avare se précipite dans le Tartare. Math. 19 Si un chameau peut pénétrer par le trou d'une aiguille, l'avare aussi qui s'attache (aux biens de la terre) pourra pénétrer dans les cieux.

    Et bien qu'il soit pauvre des biens terrestres, si cependant il ne préfère pas Dieu à toutes choses, s'il meurt dans l'avarice, il périra certainement.

    L'avare choisit l'écorce de la noix pour l'amende, la coque pour le jaune d'oeuf. Et cependant, en vérité, celui qui aime l'or et possède les biens de la terre, ne fait que se nourrir d'un poison mortel, et s'abreuver à la source de l'éternelle affliction. Et plus il boit, plus sa soif devient ardente ; et plus il regorge de biens, plus il en désire. Et bien qu'il en possède beaucoup cependant, il n'est pas content : Il lui manque en effet tout ce qui n'est pas à lui ; mais ce qu'il a, lui paraît peu de chose ou néant. Et il n'est aimé de personne. Car, comme il est en proie au mal de l'avarice, il ne mérite pas qu'on  l'aime. Pourquoi l'avare ressembleaux serres de Satan.  On peut le comparer, non sans raison, aux serres du démon. Car tout ce dont il s'empare, il ne veut plus le lâcher : mais il retient mordicus, jusqu'au dernier soupir, tout ce qu'il peut acquérir même par la ruse et la fraude. Alors, qu'il le veuille ou non, il perd toutes choses ; et la douleur éternelle s'empare aussitôt de lui : et cela justement certes, puisqu'il est semblable à l'enfer qui, quel que soit le nombre des damnés qu'il reçoive, ne dit jamais : Prov. 30 c'est assez ; et bien qu'il en ait englouti un grand nombre, ne s'améliore pas pour cela. Mais tout ce qu'il saisit, il le retient fortement, et toujours, la gueule béante, il attend de nouveaux hôtes pour le Tartare.

    C'est pourquoi, prenons bien garde de ne pas contracter la peste de l'avarice, 1 Tim. 6 qui est comme la racine de tous les vices, de toute improbité, et de toute malice.